AB o NNEMÉ NT Pour la Le5lure de toutes fortes de Livres' LE JAI, Libraire, rue près celle de Richelieu, au neuve-des-petits-Champs^ vient de faire grand Corneille, n®. réirnpy 246 , mer fón vingt-trois à vingt "Catalogue contenant quatre mille Vo-limtes en .genres, tant anciens tous ^'abonne à que modernes, raifon de pour lefquels on fú mois, 30 1. un 18 9 1. pour an, 1. pour trois & de pour O 1. litre le mois, 4 un prix de mois. l^Abonnement,, pour on en nantiiTeraent, dépofe 12 1. font il remis à ceiTe qui de lire. FAbonné quand Le même Libraire vend fait auiîî toutes prifées, fortes de ventes, achats de Livres, vois eu Province ainii chezBibliothèques, & en- , que fEtranger, POGONOLOGIE, O u HISTOIRE PHILOSOPHIQUE DE LA BARBE. POGONOLOGIE^ o V HISTOIRE PHILOSOPHIQUE DE LA BARBE. Par M. L A. D * * ^ L'ufage nous dérobe le vrai vifage des cbofes. ftiontaigne» A CONST AN TINOPLEj Et se t rovve a VA R I S, Chez LE JAY, Libraire, rue neuve des Petits» Champs, près celle de Richelieu, au Gzand Corneille, M. DOC, LXXXVI. A MONSIEUR V [5 * * * Confelller du Roi j Sub(litut de ' Tl·í. le Procureur Général au Parlement de £)... L\ï o N AMI, Charger de titres pompeux le frontifpice defon Ouvrage ; ceji un honneur que rintérà cite & folU- ^ que la vanité accorde ^ ptuisyplacerlenomdefanami^ aij lui dédier le fruit de quelques loifirs 5 cefi un hommage pur, 'défintérejfé, & dont la modejle amitié lia point a rougir, Re- cevet^^ donc cefoïble témoignage de mon attachement, de mon efiime, & laiffei^moi la douce fatisfaclion davouer publique" ment que je fuis de tout mon cœur, Votre ami, J. A D**' PRÉFACÉ. « E qui regarde les mœurs 6c » les coutumes des Peuples, die » RoUïn j en fait connoître le » génie & le caraélère; ôc c'eil » ce qu'on peut appeler l'ame de » rHiftoire « Je crois que le ta- bleau des ufages, en offrant à l'homme des objets de compa- raifon plus rapprochés, le flatte naturellement dî-vantage que des faits ou des dates dont la mul- titude ou l'invraifemblance fatî- guent fa mémoire 3 ou révoltent fa raifon. C'eil pourquoi on aime mieux la vie privée d'un Héros, que l'hiiloire de fes grandes ac- tions ; l'une nous fait goûter une vlij PR ÈFACE. fatisfaciion fecrète où i'amour pro- pre trouve fon compte ; l'autre ne produit que de l'étonnement. Le Héros eft trop loin de nous ; nous l'admirons trop, pour ófer nous comparer à lui : c'eft l'homme que nous cherchons, c'eft fon cœur, ce font fes foibleíTes mê- mes; c'eft encore avec bien plus d'avidité qu'on vpudroit envifager fa figure : auiTi aime-t-on mieux voir les portraits des grands Hom- mes, leurs armures, leurs coftu- mes que de lire leur , hiftpire. On voudroit, pour ainfi dire , toucher le Héros de la main , fe mefurer avec lui. La connoiftance des coftumes, des modes antiques", forme une branche de Littérature qui a fes PRÉFACE. ix enthoufiaftes ; c'eft la paiTion des Antiquaires, Parmi les hiñoires de ces ufages, de ces modes, celle de la Barbe tient un rang diftingué : quoiqu'elle préfente au- jourd'hui 5 par fon peu d'impor- tance, un objet de ridicule, elle a joui, dans diiFérens fiècles, chez diflférens peuples, d'une haute confidération. Jamais rien de fem- blable n'a caufé tant de troubles y n'a échauffé tant de têtes ; jamais l'ufage des perruques, jamais les capuchons des Difciples de Saint , François n'ont occafionjié tant de , rumeurs( i ). Accueillie ou religieu- (i) Les capuchons carrés, ronds, pointus, oblongs, &c., fous les Papes Clément Vil & Pàtil III, ont caufé de longues furieufes difciiiTlons entre X F RÉ F ACE. fement refpe^tée dans un temps » profcrite ou dédaignée dans un autre, la Barbe eft devenue ■ lo jouet du caprice des hommes. Sacrée chez les Hébreux ôc chez les premiers Chrétiens, condam- I —■■«M.I.I «HWIIIB i^i les Capucins & les Obfervantins. rius Annalifte des Révérends pères Ca- , pucins a compofé un écrit 5 géométrique, contenant onze démonftratlons, pour établir, la véritable forme du capuchon de Saint François. Les perruques o'nt également excité, parmi les Eccléfiaf- liques, de cruelles difputes. Les Sulpi- ciens feuls ont réfiftéà cette mode avec line louable fermeté. M. dcThiers a com^ pofé rHiftoire des Perruques , qui prouve, ainfi que l'Hiftoire des Capu- chons 5 la petiteiTe de refprit humain , & fait la fatire de fon orgueil. 0 curee. hominum ! PRÉFACE. xj n-ée avec chaleur par quelques Papes j protégée fpécialemenc par d'autres, elle fut fucceííivemenc regardée par l'Eglife comme une hétérodoxie révoltante, ou comme- lofymbole delà fageiTe & de l'hu- milité chrétienne. Ainfi que les ob- jets d'un grand mérite,elle n'excita jamais de foibles querelles; fes ennemis comme fes partifans le furent à l'excès : de là ces anec- dotes, fi furprenantes aujourd'hui, qui, en amufant le Lefteur, décè- lent le caraftère des peuples, l'ef- prit desdiiFérens temps ^ ainfi que la petiteiTe humaine. Soutenir qu'une longue barbe efl: une beauté convenable à la majeñé de l'homme, qu'elle efl: utile à fa fanté & aux bonnes xij F RÉ PAC E. mœurs ; c'eft un paradoxe tieîi étrange, bien révoltant pour des élégans décrépits, pour des Abbés toujours fi proprement rafés, enfin, pour tout ce qui compofe le genre féminin; c'efl: fe montrer bien éloigné de fon fiècle : j'ai cepen- dant ofé le faire. Mais que le but de cet Ouvrage foit une vérité ou un fimple badinage, il a du moins le caraûère de la nouveauté ; ÔC c'eft confidérabie aujourd'hui. Faire l'apologie des longues barbes, c'efl; rappeler à l'homme fon antique majefté, Ôc cette fupé- riorité de fon fexe qu'il a perdue en Europe depuis le règne des chimères chevalerefques ; ce n'eil pas faire fa cour aux Dames, puif- que c'eii vouloir diminuer leur PRÉFACE. xüj empire ; mais auíTi c'eft reftituer en quelque forte le pouvoir au légi- time maître , & î'ôter à l'uíurpa- teur : Molière l'a dit : Du côté de la harhe efl la toute puijfance. Cela n'eft pas fort galant; mais quand on veut dire la vérité, il eft fouvent bien difficile de l'être. Prouver clairement que nos Prêtres font obligés, parla raifon , par des lois divines & humaines, de porter une longue barbe; cette idée m'a paru auffii fingulière que nouvelle : mais pour parvenir à cette preuve, employer métho- diquement les autorités les plus authentiques, les plus facrées , étaler à tout moment de l'érudi- tion, & garder fur-tout un air xiv PRÉFACE, de gravité ; cela pourroit m'at- tirer, de la part de mes Le£leurs, le reproche dWoir ajouté trop d'importance à un objet qui n'en fembie pas digne. J'avouerai que mon fujet m'a féduit, & que j'ai cru devoir prendre le ton de la difcuilion, d'autant mieux que la plupart des témoignages fur lef- quels je m'appuie font de na- ture à ne pouvoir, fans témérité, fe prêter au fel de l'ironie : mais cette difcuiTion eft quelquefois égayée par des anecdotes rares ôc divertiiTantes ; 6c quoique mon chapitre de la Barbe des Prêtres foit le plus long 6c le plus hé- riiTé de citations, je crois qu'il ne fera pas le moins curieux. Je ne badine pas dans ma cou- PRÉFACE. XV cîufion ^ & c'eft peut-être fon plus grand défaut ; je n*ai pu m'em- pêcher, en la compofant, de gar- der mon férieux : la gravité de mon fujet a fans doute influé fur mes idées ; je ne cherche pa$ à m'en excufer. [ TABLE DES CHAPITRES, Chapitre de la mode, Page I. CHAP. ir. Mentons a Barhe , 14 CII A P. ii I. De quelques Mentons rafes 45 , chap. iv. Femmes barbues . 69 chap. v, Que les longues Barbesfont falutaires , 77 chap. vi. Barbes pofliches, 88 chap. vii. Barbes dorées , ^3 chap. viii. Moujlackes . 97 c H A pj ïX. Barbes des Ptêtres . 108 CHAP. X. d^s Peuplés qui portent la barbe . 177. c h a p. XI. Conclujion , 181 dExilé à Verfailles . ipl POGONOLOGIE. OU HISTOIRE DE LA BARBE. CHAPITRE PREMIER. la Mode, S I i'on étoit bien perfuadé que la plupart des nouvelles Modes font in- ventées pour couvrir quelques fecretes împerfeilions du corps , ou pour fatif- faire à l'avidité des Marchands , peut- êtreyajouteroit-on moins d'importance^ car, en fe donnant la peine de recher- cher la xauie de ces nouveautés, on nq A 2 H istoire trouve le plus fouvent que le zèle adroit d'une Marchande de Modes , la taille irrégulière d'une Petite - Maîtrefle, le vifage alongé d'une autre, & le pied plat d'un Abbé. La premiere femme qui porta autre- fois le vertugadin voulut dérober aux , yeux les fruits indifcrets de fon amour. Cette efpèce de panier, de forme cy- lindrique, cachoit entièrement la taille. iToutes les Dames fuivirent bientôt cet exemple ; & chaque belle agiiToit corn- fi fon amant l'avoit mife dans le me cas de fon premier modèle. Les fraifes volumineufes, qui fem- bloient former l'auréole autour des têtes du fiècle de Henri IV, furent inven- tées en Efpagne pour cacher le goî- tre , incommodité très - ordinaire aux Efpagnols, Les François , qui n'avóient pas le goitre , n'en adoptèrent pas moins cette nouvelle Mode avec empreÎTer ment. Ce fut peut-être la crainte de fe hâler^, D E L A B A E B E. òii bien ce fut cette coquetterie raf- íinée qui dérobe aux yeux ce qu'elle veut faire déiirer , qui détermina les Dames à fe couvrir le vifage d'un maf- que de velours noir , appelé un loup* Aucune Dame alors ne fortoit fans fon îoup. La tradition ne nous apprend point Sa caufe de cette Mode : mais ce qui ne paroît pas équivoque, c eif que la Iai-< deur & la décrépitude firent naître l'ii-» fage d'une autre efpèce de mafque , que, portent encore aujourd'hui nos antiques Marquifes & nos vieilles à prétentions : c'eil un enduit de cérufe & de vermil- Ion, fi fortement exprimé , qu'il repré- fente bien mieux la mine rubiconde d'un ivrogne, que le coloris du bel âge. Un important à ventre rond , fous le regne de François II , aliéna toutes les têtes Françoifes. Chacun étaloit à l'envi, non feulement un ventre énorme, mais -encore un ample cul pofiiche. Aujout- d'hui nos belles Dames n'ont point re- mouvelié la Mode des gros ventres \ Histoire contraire, on a remarqué qu'elles avoient une répugnance décidée pour cette for- me : mais une d'entre elles, qui avoit la taille difforme, ayant porté des hanches & un cul volumineux toutes ont voulu , avoir des hanches & des culs poiliches ; & les femmes bien faites cachoient la beauté de leur taille, comme les autres en cachoient les défauts. Geoffroi Plantag&nct , Comte d'An- jjou, un des plus galans 6c des plus beaux hommes de fon fiècle, avoit mal- heureuferaent au bout du pied une ex- croiflance de chair aÎTez confidérable 5 il imagina, pour couvrir cette imperfecr tion 6c pour fe mettre à l'aife, de por- ter des fouHers dont le bout recourbé étoit de la longueur néceiTaire à fon in- commodité : chacun voulut avoir des fouliers comme ceux de Geoffroi Plan- tagenet. Cette Mode fut ii avidement accueillie 6c acquit une telle confîftance, que les différentes longueurs de ces bouts ^e fouliers diüinguoient les diiférem m mm D s L A B A R Ë E. f états des Citoyens. Ces fouliers, qu'on nommoh à laPoulaine, n'avoient, chez les gens du commun, qu'un bout de fix pouces de longueur , celui des Bour- geois alloit à un pied ; tandis que le bout des fouliers des Gens de qualité, des Seigneurs, des Princes , n'avoient jamais moins de deux pieds : de là eft venu le proverbe , Etrefur un grand pied. Ces bouts alloient tellement en croif- faut, que Ton penfa qu'ils pourroient bien porter coup à l'ordre public & à la Religion : on fit des Sermons & des Ordonnances contre ces fouliers ; le Clergé les anaihématifa , & Charles V les fit défendre expreifément. Ainii 5 chacun étoit chauiTé comme s'il eût eu, au bout du pied, une excroif- fance de chair-, ainfi , dans la plupart des Modes, chacun femble de bonne foi dé- rober des imperfeâions qu'il n'a pas. Depuis long-temps les Modes font une affaire férieufe chez les François j c 'eft ce que leurs voifins leur ont fouvent A 5 6 Histoire reproché (i). Paroît - il une nouveîîe Mode ? C'eft une agitation, un engoue- ment , une démence univerfeîs : cha- Clin fe précipite ; la contagion gagne bientôt tous les rangs ; il femble qu^on ne fera jamais aiTez tôt plus ridjcule qu'on l'étoit la veiÏÏe- Le goût ne décide de rien en cette occaiion ; c'eít Topinion feule qui détermine. La nouvelle Mode fût-elle un chef-d'œuvre d'extravagance^ on fe gardera bien d'en médire,à caufe de l'unique & puiiTante raifon que cejl la manure, de fe mettre aujourdhuu On veut être confidéré ; voilà le mo^ lif des gens à la mode. Il y a tant de gens (i) Baptifte Mantuan, Italien & Po'ete Latin, TU dit des François : Cità mobile -pedus Cordaque largitus, rerum ftlhunda novarum • Un Auteur Italien difoit, il y a plus de deux JÎîècles : £ Naiione U Franceie che mcii perfifie ne fta ferme in una forte ¿habito , ma Lo varie fccondo L caprici. De gli babiti antichi & nao* demi. D E L A B A R B E. 7 qui font pénétrés de refpeâ à la vue d*im bel habit i il y a tant de gens qui ne doi^ vent la coniidération qu'ils ont dans le monde qu'à leur extérieur , Ôc qui pour- roient bien dire : / mon habit, queji vous remercie ! Tout leur mérite eft dans leur garde-robe : il y a bien des François qui ne font jaloux que de ce mérite-là. Une feule forme d'habit, quoiqu'élé- gante , ne fuffiroit pas pour maintenir la vénération de tant de ftupides ; il faut que l'idole foit chaque jour diver- fement décorée: fans cette précaution , l'admiration feroit bientôt détruite; voilà peut-être ce qui contribue le plus à nour- rir chez les François ce goût de la non- veauté. Le Czar Pierre, pendant fon fé- jour à Paris, fut frappé de ce caraélère national : peu accoutumé à la variété des habits, ce Prince diioit, en voyant un Seigneur qui tons les jours étoit vêtu d'une maniere différente : Cet homme apparemment ncjl pas^ content de fon Tail" leur, A4 ^ H istoire Un Diûionnaire de nos Modes en vaudroit bien un autre. Les difFérentes dénominations que nous leur avons don- nées ne feroient pas le moins piquant de l'Ouvrage. Parmi les noms des an- ciens paniers, on trouveroit la Gour- gandlne le Boute-en-train , le , Tâtit^y , la Culbute y &c. Les chapeaux, les fou- licrs fourniroient de longs articles. En- fuite viendroient les volumineiifes per- ruques qui fleiu'iíToient fous le regne de Louis XIV & qui ont tant occupé les , Courtifans & les Perruquiers de ce iiè- de rnon feulement la tête, mais la moi- lié du corps étoient enfevelies dans cet amas de cheveux bouclés. Le^ ridicule n'occupoit alors que l'extérieur des têtes Françoifes ; aujourd'hui tout a changé. Je ne voudrois pas qu'on oubliât au mot Canon , la méprife d'un Auteur Al- îemand qui, ayant traduit les Précieu' , fcs ridicules de Molière, & voulant don- ner cette Pièce fur un Théâtre de fa Nation, fe trouva fort embarraffé pour DELABARBI, 9 'expfiqiier la fignification de ce mot. If ne ie feroit jamais douté qu'un Canon fût un morceau de mouffeline qui en- touroit le genoux. Après avoir mûre- ment examiné le cas , notre Traduc- teur fe décida à faire mettre dans la poche de Mafcarille des piñolets qu'il devoit montrer dans l'iniîant où il de- mande : Que. dites-vous de mes Canons^ L'article des coiffures des femmes feroit un volume : on y vcrroit que ce qu'elles ont perdu du côté de la tête, a toujours été remplacé du côté des hanches. Les paniers énormes & les- voltimineufes & hautes coifîures fe font alternativement fuccédé ; on a même vu de nos jours ces dernieres s'aiFaif- fer 5 pour ainfi dire, fous leur propre poids, pour laiffer régner les bouffans- êc les culs. Les femmes ne veulent rien perdre du côté du volume ; tant elles font pcrfuadées que le mérite fe mefure f3^ar le plus ou le moins d'efpace que fon occupe dans ie monde.  ^ 10 Histoire Dans une de ces révolutions qu*ont éprouvées les têtes des femmes, voici ce qu'une Dame écrivoit à fon amie r Mainte courte Beauté s'en plaint , gronde , tempête ; Et pour Ce ralongcr les Deftins , confultact g, Apprend d'eux qu'on retrouve , en liauflanc. les patins , La taille que l'on perd en abaiiTant la tête. Voilà le changement extrême Qui met en mouvement nos femmes de Patis.' Pour la coiffure des maris , Elle eft ici toujours la même (i). La Mode a beaucoup de rapport avec l'étiquette ; mais il ne faut pas la con- fondre avec cette derniere : l'étiquette cil bien plus ftable, 8c l'autre bien plus inconftante. Les motifs qui déterminent à fuivre l'une 8c l'autre ne font pas les mêmes ; l'un tient plus-à l'amour propre, l'autre plus à la coquetterie. L'étiquette femble être inventée par l'envie de do- (i) Epître de Madame de Laiïay à Madanif : îa Ducheife , , . » de la Barbe . îi miner, & la Mode par le défir de plaire. Auffi la premiere eíl-ellebien mieux ob- fervée par l'âge mûr, & la fécondé par la jeiineiTe. Si l'étiquette eil durable, ii la Mode eil: changeante, cette dernier® définition en renferme peut-être la feule caiife. On change vingt fois Tannée les for- mes & les couleurs des coftumes ; on fe joue, pour ainiî dire, de la Mode j & au retour de chaque faifon, on s'aiTii- jettit toujours aux mêmes lois de Téti- quette. Quoiqu'il faiTe fouvent froid , il faut néceiTairement prendre le taffetas à la Pentecôte; & quoiqu'il faiTe quelque- fois très-chaud le jour de la TouiTaints , on ne manque pas de prendre le fatin, le velours, 6c fur-tout les manchons. A la Cour, chez les Grands, Téti- quette regne en defpote ; & fon pou- voir diminue à mefure qu'on s'éloigne du centre de la fouveraineté. L'homme fans ambition, qui fait ou qui peut vivre dans le calme de la médiocrité, ne con* A 6 iî2 H I S T O I R S îlolt I etiquette que pour en faire la fa^ tire. L'homme qui prétend à la confi- dération ou à une domination quel- conque, eil fournis à fes lois, & lui Îacrifie fouvent fa raifon. Dans plufieurs états de la vie, l'eti- iquette acquiert de la confiance à. celui qui la fuit. Dans un métier, pour porter dignement le titre de Maître, il faut avoir 3a tête rafée & couverte d'une perruque ronde ; c'eil la même chofe dans la Mé- jdecine & la Chirurgie.Qui croiroit, dans ce fiècle éclairé, à la fcience d'un Mé- idecin coiffé de fes propres cheveux, ïuffent-ils les plus beaux du monde ? A 3a vérité, la perruque ne lui donne pas 3a fcience, mais elle lui en donne l'air, ôc c'eil l'air qui fait tout aujourd'hui La Mode alimente le luxe, en même temps qu'elle vivifie le commerce. Voilà (i) Otez â un Médecin fa perruque, fa cannt "3 pomme d'or ^ i«s manchettes de dentelle, fo» Jpamaat au doigt, que lui reitera-t-ilî. ds la B arbe. 15 îe bon Se le mauvais côté fous lefqnels elle doit être politiquement envifagée^ elle rapproche les états de la fociété, que la naiflhnce ou l'opinion avoit féparés> C^fl peut-être un bien moral i mais elle confond les rangs, que l'honnêteté publi- que auroit intérêt de diftinguer , en ne laiiTant aucune diiférence entre la femme honnête Si celle qui- ne l'efl pas. Jadis des lois fomptuaires avoient féparé ces deux états extrêmes. Un Arrêt-du Par- îement de Paris défendit y en 14-10, aux femmes prodituées de porter des cein- tures dorées 5 qui-étoient l'ornement ca- raâériflique de bonnes mœurs. Je penfe qu'il feroit impoiTible aujourd'hui, de mettre une pareille loi à exécution, parce qu'il ed: auiïî difficile de diilinguer le coftume d'une femme honnêîe , d'avec celui d'une courtifane, que de tracer entre ces deux états une juile ligne de; démarcation. 14 Histoire CHAPITRE II. Mentons à Barbe. ^^UAND je paiTe en revue tout ce que l'Antiquité a de plus refpeélable , tous ces Héros tant célébrés, cette foule de Sages de Savans qui ont illnilré Rome & la Grèce; je me fens pénétré de cette admiration, decerefpeâ: qu'inf- pirent les chofes facrées : mais quand je me repréfente l'extérieur majeilueux de ces grands hommes, quand je vois fur leurs faces anguiles l'air de gravité, le caraélère même de leurs vertus exprimé par leur longue barbe ; à ce fpeélacle impofant mon imagination s'enflamme ce nefont plus des hommes, je crois voir desDieux devant lefquels il faut s'incliner» Yoilà l'effet merveilleux que cet orne- de la virilité a produit dans tousles ment temps. Aujourd'hui même,qae nosufages DE r. A Barbe. 15: efféminés peignent fi bien les facultés de nos ames, l'image dîme longue Barbe fub-^ jugue encore notre vénération (i).. Elle fut en honneur chez toutes les nations : les peuples, à qui la nature ^ coniîamment avare , a refnfé cette mar- que caradériftique de notre fexe,le La- pon, le Japonois,&; iurtout l'Américain^ dont le menton imberbe fit long-temps douter s'il étoit homme , reconnoiffent l'irrégularité de leur conilitution. Les. Chinois regardent les Européens comme les premiers peuples du monde, àcaufe de l'abondance de leur barbe ; & tout mal partagés qu'ils font de ce côté, ils ne îaiffent pas que de la cultiver avec le plus grand foin. Les Lacédémoniens ( 2) (r) A.laderniere proceifion des Captifs, Faite- à Paris en 178^, on a admiré avec une forte d'enthoufiafme l'air mâle & fier de ceux qui. portoienc de longues Barbes 3 encore c'étoient des efclaves. (2) Nicandre répondit à quelqu'un qui l'inter»- togeoit pourquoi les Lacédémoniens portoiens: / i 16 H I s T o I K E ainíi que les Egyptiens l'ont regardée^ í comme la marque de la fageiTe. Chez les anciens Grecs , pour obtenir une ! grace, il ne s'agiiïoit, pour, être fa vora- Element reçu, que de toucher la barbe de celui qu'on intercédoit ( i )» La Barbe ne fut pas feulement le I fymbole de la philofophie, mars encore ! elle devint le gage le plus facré des iec- ^ j mens Se de la foi promife. Dans d'autres I temps, elle a été l'objet des plus graves I difcuiBons Se des foins les plus empreifés I d'une foule de doftes perfonnages ; pref- I que tous les légiilaîeurs du monde fe 1 font occupés d'elle» Les plus diftingués des anciens Eerii- vains. Se pluiieurs modernes ont fait I — ' longs cheveux & laiiToi—ent ^ croître leurs barbes : Ponrce^ dit-il, que c ejlle-plus beau-parement que fçauroitporter L'homme 6* qui confie le moins, 6* Ji lui efi propre. Plutarque par Amyot. {{) Antiquis Grtecix in fupplieando mentun^ i^tin§,erq ms qm, Plia;, üb. W, cap, 4^0.. © s I, A B A R B e. i(7 line mention honorable des plus belles barbes de l'antiquité. Homère parle avan- tageuíement de la barbe blanche de Nef- tor & de celle du vieux Roi Priam. Vir- gile nous peint celle de Mezencius, qui étoit aifez voliimineufe pour lui couvrir toute la poitrine; Chryfippe fait l'éloge de la majeñueufe barbe de Timothée, fameux Joueur de flûte. Pline le jeune nous rappelle la barbe blanche d'Eu- phrate , Philofophe Syrien ; & il fe plaît à rapporter la crainte refpsûueufe qu'elle infpiroit aux peuples. Piutarqiie parle de la longue barbe blanche d'un vieillard Laconien, qui répondit à ceux qui lui demandoient pourquoi il la laiffoit croî- tre ainli : C&jl afin que^ voyant fans oefie mon poil blanc , je ne fafie rien qui foit indigne de celte noble blancheur, Strabon raconte que les Gymnofophiiies, Phi- lofophes Indiens , faifoienc fur-tout con- tribuer la longueur de leur Barbe à cap- tiverla vénération des Peuples. Diodore , après luij fait rhiiloiretrès-circonilaiiciéç J ÏS H I s T Ò I .R Ê. des barbes Indiennes. Jiivénal n'oubliô pas celle d'Antiloque, fils de Neftor. Fénelon, pour nous repréfenter un prêtre d'Apollon avec toute la majeilé de ion extérieur, nous dit qu'il avoit une barbe blanche qui lui pendoit jufqu'à la cein- ture. Mais Ferie femble renchérir lur tous ces Auteurs : ce Poète éîoit fi per- fuadé que la Barbe étoit le fymbole de lafageiTe , qu'il ne croit pas mieux faire l'éloge du divin Socrate , qu'en l'appe -i- lant le Maître barbu, Magijîrum bar- batum. Piufieurs autres Ecrivains fe font plu à traiter cette matière. Voltaire y revient fouvent dans fes volumineufes produélions. L'Auteur des Modes fran- çoifes en parle très-longuement le fa- vant Dora Calmet n'a pas dédaigné ce fujet, pour lequel il a compofé un Ou- vrage particulier, intitulé flijïoire de la Barbe de Ldiomme, Il exifie en Italie un Ouvrage moderne qui a pour titre: Bar- halogia del CavaL Valeriano Vanettï^ 1760, de la B arbe . Ce Vanmi , après avoir fait l'hiftoire des révoiuîionS qu'ont Occaiîonné les Barbes , differte très-favamment & fur- tout très-férieufement fur la variété des formes qu'elles ont éprouvées chez les Hébreux, chez les Grecs, & chez les Romains : mais l'endroit qui n'eiî; ni le plus clair ni le plus prouvé de fon Ou- vrage, e'eft celui où il foutient avec cha- leur 5 contre Van-Helmonf, qu'Adam fut créé, avec la barbe au menton. J'a- voue que je n'ai pas porté mesrecher- ches dans une antiquité ii reculée. Dans le XVI®. fiècle,,on vit éclore une foule d'autres Ouvrages fur les Barbes, dont j'aurai lieu de faire mention ailleurs. Mais ce que l'Hifloire des barbes offre de plus miraculeux, c'eil le trait que ra- conte Tite-Live. Bien mieux que ne l'au- roient fait l'éloquence des Démoilhènes & le courage des Alexandres, une barbe fufpendit tout à coup la férocité d'un peuple de barbares altéré du fang de fes ennemis. i20 Histoike Les GauloiSj commandés par BrennuS^ venoient de prendre Rome d'affaut (i). Les Sénateurs de cette ville, aíHs, cha- Clin à la porte de leurs maifons, dans leurs chaifes curules, attendoient la mort avec ce fartg froid, cette fermeté naturels à ces iîers Républicains. Leur maintien majeftueux, leurs longues bar- bes blanches étonnenttellementces féro- ces vainqueurs,que l'admiration fiiccède chez eux à la fureur du carnage : tout à coup ils redent immobiles ; le fer leur échappe des mains. Les Romains cepen- dant confervoient toujours leur conte- nance grave & iilencleufe,lorfqu'un Gau- lois, piqué de voir une barbe fufpendre les effets de fa férocité, ofa le premier, comme pour rompre le charme qui l'ar- rêîoit, porter les mains fur celle d'un vieillard, qui, révolté de l'audace du foldat, lui frappa la tête d'un coup de fa baguette d'ivoire. Ce coup de baguette (j) Anno 365. dblaBARSE. 2t\ áétruiíit le preflige, devint le lignai du maffacrefr). Auffi la Barbe fnf-elle très-confidérée chez les anciens Romains ; & dans le temps même où la molle0eleur fit adop- ter l'ufage de la rafer, ils conferverent pour elle le refpeâ: le plus religieux. C'étoit avec la plus grande cérémonie qu'ils îondoient la premiere barbe des jeunes gens. Ces prémices des mentons etoient foigneufement recueillis dans une boîte d'or ou d'argent pour être enfuite préfentés à quelque Divinité , comme un tribut de l'adolefcence ; c'étoit fur- tout à Jupiter Capitolin que fe faifoit cette pieufe offrande^. Pendant que les" Gaulois furent fous la domination des Romains,.il n'étoit permis qu'aux Nobles & aux Prêtres chrétiens de porter de longues barbesü Les Francs s'étant rendus maîtres de la Gaule s'attribuèrent la même autorité. il} Ex Livio f Decade i°. âz H istoire que les Romains : il fut expreiTément ordonné aux Serfs de ferafer le menton ; & cette loi fut en vigueur jufqu'à l'en- tière abolition de la fervitude en France» Ainfi, du temps de la prendere Race , ime longue barbe étoit le iigne de la nobleiTe de la liberté. Les Rois, comme étant les plus nobles de leur Royaume , îâchoient auiïi de fe montrer les pluS/ barbus. Eginard, Secrétaire de Charle- •magne j en parlant des derniers Rois de îa premiere Race, dit qu'ils venoienî aux aiïèmblées du Champ de Mars dans im chariot tiré par des boeufs, 6c qu'ils s'af- feyoient fur le trône ayant les cheveux épars & une barbe très-longue, crim ^rofufo, harhà Jubmiffâ , folio rejîderent, j& fpuient dominantis effingerent^ Toucher la barbe à quelqu'un ou en «couper une partie, étoit, chez les pre- iniers François, le gage le plusfacréde îa proteûion &: de la confiance. Pen- ..d^nt, très-long-temps le fceau de lettres qui énjanoient du Souverain, portoit, fis L A B A R B B. 23f pour plus de fanâion , trois poils de fa barbe. On trouve encore une charte, de ii2i,qui fe termine par la formule fuivante : Quod lu ratum & JlablU perfe-* veret in pojîerum, pmfcnti fcriptoJigilli mù rohur appofui cum tribus pilis barbee mece. De tous les peuples du monde, les Orientaux femblent être ceux qui ont confervé plus conilamment l'ufage des longues barbes ; plufieurs les rafoient dans le deuil, tels que les Syriens & les Perfes. Elles étoient & font encore aujourd'huiaíTujetties aux pratiques reli- gieiifes. Zingzon nous aiTure que le ré- gime de la'Barbe eil un point eiTentiel de la Religion des Tartaresj qu'ils dé- clarèrentles Perfans fchifmatiques, parce qu'ils s'étoient relâchés au point d'ar- ranger leurs barbes d'une maniere tout oppofée aurit desTartares : il ajoute^ que cette dangereufe héréfie fut la caufe d'une fanglante guerre entre ces deux peuples. On fait que le ferment le plus redoux Î24 ÏÏISÍOIRB table des Mahometans, eft de jurer pat la barbe de leur Prophète. Dans les Mé- moires de M. le Baron de Tott, on voit que le premier foin du Prince Ot- toman qui parvient au trône, eft de fe laifter croître la barbe : les Princes Tar- lares fuivent le même ufage. Le même Auteur aiTure que le Sultan Muftapha ne fe contenta pas de laifter croître la fienne; il la teignit en noir, afin qu'elle fut plus apparente le jour de fa première fortie en public. Les Princes enfermés <îans le férail ne portent que la mouf- tache, ainiî que tous les jeunes gens, quj ne fe croient dignes de porter la barbe entiere que dans l'âge de la maturité ; & c'eft ce qu'ils appelle.ntcommunémení divenir fage. Plufieurs grands Hommes fe font ho- norés du furnom de bariu. L'Empereur Conftantin eft diftinguépar l'épithete de PogonatCs qui fignifie barbu. Du temps des Croifades , on trouve un Géofroi U Barhu ; Baudouin IV, Comte de Flandre, étoit D E L A B A R B 2f éíoií furnomirié à la belle Barbe dans riliíiílre Maifon de Montrnorenci, étoit un fameux Bouchard ^ qui íe glori- fioit du furnom de Barbu ; il fe montra toujours l'ennemi des Moines, fans doute parce qu'ils étoient rafes (2). Dans le dixième fiècle, je vois le Roi concurrent de Charles le Simple, auffi fameux par les exploits que par fa longue barbe blanche ; à la guerre, pour la faire mieux appercevoir à fes foldats , il la mettoit hors de fa cuiraiTe : la vue de ce figne refpedable ençourageoit les troupes dans le combat, & fer voit à les rallier dans la défaite. Guillaume de Tyr rapporte une aven- (i) Dans une charte du Roi Robert de l'an 10x3, ce^Baudouin eil appelé Honejla Barba, (z) La fînguliére querelle qu'il eut avec les Moines de Saint-Denis eft décaillée dans ma- Defcripdon des environs de Paris , à l'article ÎJIe Saint-Denis. Cette querelle occafionna dans cette Maifon le changement du nom de Boit- chard en celui de MQntmorenci. B ii6 H istoire ture qui prouve le grand prix qu'on at- tachoit à une longue barbe , & combien il étoit infamant pour un homme d'hon- neur de s'en voir dépourvu. Baudouin, Comte d'Edeffe, ayant un extrême befoin d'argent, eut recours à un ftratagême auiTi nouveau que le fuc- cès lui en paroiiToit aiTuré.Il vint trouver fon beau - père Gabriel, homme très- riche, & lui déclara qu'étant vivement preiTé par fes gens d'armes, à qui il devoit la fomme de trente mille miche- lets (i)j & fe trouvant dans l'impoiïi- bllité de fatisfaire à une dette auiîl con- fidérable, il s'étoit vu forcé d'engager fa barbe pour en répondre. A cette nou- veîle ; Tétonnement du beau-père fut lî grand, que, doutant s'il avoit bien en- tendu, il fe fit répéter plufieurs fois les termes de cette étrange convention : mais enfin , trop perfuadé de l'inconfé- (i) Monnoie grèque, du nom de Mickel Paléologue , Empereur d'Orient. DE LA B A R É E. Zf quence de fon gendre, le crédule Ga- brielfe lamentoit, en difant Comment ' »• un homme raifonnable peut-il fe ré-^ M foudre à engager une chofe qui doit « être confervée ii précieufement, un •0 ornement qui efl: la preuve de la vi- •» rilité, en qui coníiíle la principale au-» •> toritéde l'homme, & qui fait la gloire » de fon vifage ? Comment eft-il pof* fible , continuoit ce fage vieillard » que vous ayez pu éonfidérer comme » une chofe de médiocre valeur, ce qui » ne peut fe féparer de l'homme fans » le couvrir de confufion (i) ». Le faux débiteur répondit à ces juftes reproches, que, n'ayant rien de plus cher, il avoit cru devoir l'engager pour raíTuíer fes (i) .... Qu(Erititerum -Quare rem tantâ diligentia confervandam , argumentum viri, vultus gloriam, hominis ptœcipuam autoritatsm ^ iui obligajj'et, tanquam rem mediaerem & ab homine fine confufione fcparabilemil·llíioúd. Belli íacri, lib. II , cap. II. B 2 H istoire créanciers, & qu'il étoit déterminé à remplir fa promeiTe, s'il ne trouvoitfur le champ l'argent dont il avoit un ii preiTant befoin. Le beau-père, alarmé pour la barbe de Baudouin , s'empreiT» de lui conter les trente mille michelets^ en lui recommandant de n'engager ja- tuais à l'avenir un effet d'oîi dépendoit l'honneur d'un brave Chevalier. Je vois en Allemagne Jeajt Mayo^ Peintre célèbre, dont la volumineufe barbe le fît furnommer Jean k Barbu : elle étoit fi longue, qu'il la porîoit at- tachée - autour de fa ceinture j & quoi qu'il fût de la plus haute taille, en fe tenant debout il anroit pu marcher def- fus. Ilprenoit le plus grand foin de cette barbe extraordinaire ; il la détachoit quel- quefois en préfence de l'Empereur Char- les-Quint, qui s'amufoit à la faire voler, au gré du vent, contre le vifage des Seianeiirs de fa Cour. En Angleterre, le fameux Chance- lier, Thomas Morus , un des plus grands DE LA BAREE. Hommes de fon fiòcle, près de périr viéiime de la politique, fut faire, fur l'é- chafaud, refpeder fa barbe à la face d'un peuple entier , & la faiiver, pour ainii dire 5 du fupplice, que lui-même n'avoit pu éviter. Ayant la tête fur le billot > & s'appercevant que fa barbe pouvoit être endommagée par le fer de TExécu- teur, il la retira, en difant : Ma barbe, lia point commis de trahifon, il iieji pas jujie qii&lle foit punie ( l ). En France, le favant, le fage Evêque du Bellai,Pierre Camus ^ vca des plus grands Hommes de fon fiècle , un des plus grands ennemis des Moines > ¿toit encore fameux par fa longue barbe. Quand il prêclioit, il avoit coutume de la divifer en deuxoutrois toupets, felon la divifion des points de fon fermon,- Un Evêque de Grenoble étoit fameux de fon temps par la longueur de fa barbe (2). M. Mo/f, Garde des Sceaux, (i) Eloge fie Morus par Bullart. (ijCe même EyêquelaiiTa tomber, ■ en man-; B 3 30 Histoire qui la portoit auiîi fort longue, ayant vu celle de l'Evêque de Grenoble , dit : A prèfent, di&u merci, ma barbe ejl à couvert. Que de barbes n'aurois-je pas à ce- lébrer, fi mes forces me le permettoient ! que de noms de héros & de fages vien- drqient embellir cette précieufe énumé- ration ! Vous en feriez bannis, fages du fiècle , qui n'êtes jaloux de le paroître qu'en vos Ecrits; PhiJofophes rafes> dont l'extérieur efféminé a toujours dé- menti le titre glorieux avec lequel vous • cachez la puíiilaniniiíé de vos ames, Mais vous y tiendriez une place hono- rabie , hommes divins, que Rome & la Grèce fe font glorifiés d'avoir produits ! iVous , Fatrlarche des amours , galant ■■fc .1 INI ■■■Il ■ ■ II.. geaur, quelque cliofe deiTus fa grande barbe. -Un de tes domeiliques lui dit; 7/^ .z une ordure fur la barbe de votre Grandeur. On répliqua au do- ineííiquc : Q^ue ne dis-tu fur la grandeur de votre harbei fi de la B arbe. 31 Anacréon , vous, digne de figurer par- mi les plus barbus des Anciens , qui avez pris foin d'inilruire la poftérité de vos plaifirs &: de la beauté de votre barbe; venez prouver à notre fiècle qu'elle n'efi: point l'ennemie des amours. Et vous , ô Adrien (i) ! qui de tous les Empereurs romains futes le premier à mettre en vigueur cet ornement des faces mafculines, votre exemple nous prouve que l'établifiement d'un pareil ufage n'eft pas,indigne des plus grands Princes: je voLidrois pofer fur votre front un laurier éternel -, à côté de vous je placerois im Monarque françois, votre fage imita- teur : ami père des Arts Si des Scien-» ces 3 il penfa qu'il manquoit encore à fa (i) Adrien fut le premier Empereur Romain qui porta la barbe, pour cacher on , dit , qnel·· ques cicatrices qu'il avoit an vifage. Ses fuccef» fcurs l'imitèrent jufqu'â Conftantin qui fe rafoir. Les barbes reparurent fous Héraclius , & tous les Empereurs Grecs l'ont portée depuis, B 4 m 32 Histoire gîoire de faire revivre la majeilé des longues barbes; & pour donner à cette nobîe entreprife une exécution plus cer- îaine & plus générale , le premier de fon Royanme, il laiíTa fleurir fur fon royal menton ce poil qui caraûérife la vigueur & la majeflé. Voici par quelle aventure le fort fe réunit avec les fages projets de François /, pour rétablir un ufage anflî antique, aufli naturel qué refpeâable. L'an 15*21, le jour de la fête des Rois, ce Prince, étant à Romorantin chez le Comte de Saint Poî, s'amiifoit avec plu- iieurs de fes Courtifans à attaquer à coups de pelotes de neige une maifon dans la- quelle, comme dans un château fort, ie défendoit de la même manière le Comte de Saint-Pol, avec une troupe de Gentilshommes/Le courage national brilloit également des deux côtés. Aux attaques vigoureufes fuccédoit une dé- fenfe plus vigoureufe encore :ia balance ne penchoit pas plus pour les Grecs que DE LA Barbe. 55 pour les Troyens, lorfque, dans cette nouvelle îllion, les munitions de guerre vinrent tout à coup à manquer. Alors le défefpoir s'empare des aiîiégés i les ennemis en profitent pour monter àTaf- faut. La place alloit être la proie des cou- rageux vainqueurs i mais le Capitaine de Lorges , ayant un peu repris fes efprits, fe íaiíit courageufement d'un tifon , nouvel Hedor, s'avance fièrement à l'ennemi, & le lance au hafarcl fur la troupe des afiîégeans. Le Monarque fran- çois, qui grimpoit des premiers, en fut malheureufement frappé à la tête. Auiîï- tôt Grecs & Troyens mirent bas les armes ; le jeu ceiTa : on s'occupa de la bleffiire de François I, qui, par cet ac- cident, fut obligé de fe faire rafer les cheveux -, ôz voulant recouvrer du côté du menton , ce qu'il perdoit du côté de la tête, il laiifa croître fa barbe, & cha- cun l'imita. Les meilleurs établiÎTemens rencon- 54 H istoire trent toujours des détrafteurs : îa Barber eut les iiens; elle eut à combattre à la fois la routine, le préjugé, le mauvais goût du fîècle, & fur-tout la fureur du Clergé &desParlemens, qui, comme oq ie verra dans la fuite de cet Ouvrage ^ vouloient dans ce temps-là faire la barbe à tout le monde. Mais la grandeur & la puiffance des ennemis de cette mode, loiu de mettre des bornes à fes conquêtes,ne donnèrent que plus d'éclat à ion trlom- pbe. Bientôt tout fubit le joug de la Barbe vidorieufe, & l'on finit par regarder un menton rafé, comme la marque de la turpitude & de la débauche. Hmri 111, Roi de France, nous four- nit un exemple de riiorreur qu'infpiroit dans ce temps un menton rafé. Au mi- lieu des défordres oîi ce Prince étoit plongé, comme un nouvelHéliogabale ^ il alla jufqu'^à paroître dans un bal avec un vifage dépouillé de fa barbe. Quel- ques vers d'une Satire du Poète d'Aubigné" DE LA BAEBE. 35" nous ont confervé ce fait, avec l'indigna- tien que l'on y attachoit, Henri fut mieux inftmit à juger des atours Des P... de fa Cour, & plus propre aux Amours: Avoir le menton ra·^ la , garder face pâle, Le gefte efféminé, l'œil d'un Sardanapale ; Si bien qu'un jour des Rois , ce douteux- animal, Sans cervelle, fans front, parut tel en un baL Portons nos yeux fur un objet plus flatteur í admirons la barbe du meilleur des Rois, celle du grand Henri l Vf barbe à Jamais précieufe > qui répandoit fur la figure de ce Prince le charme d'une majefté douce & d'une aimable fran- ehife ; barbe chère à la poftérité , Ôl qui devroit fervir de modèle à celle de tous les grands Rois ; comme la barbe de fctr illuftre Miniilre à celle de tous les Mi* niftres. Ce fut dans ce fiècle d'or des mentons barbus que parurent fucceiïïvement les barbes pointues j carrées, rondes y en éyenr E(5: m ^6 H istoire íaí¿(i), en queue cChlronddle , en feuilles d'ariichaut, &c. On vit même des barbes à la ligue (2). L'art fut fouvent employé avec fuccès pour leur donner des formes gracieufes ; l'entretien des barbes étolt plus difpendieux aux Petits-Maîtres de ce temps-là, que n'eil aujourd'hui celui des cheveux à nos Elégans (5)-. Mais peut-on compter fur la ifabiiité (1) Dans le temps des barbes à léventail^ dit m. de Saint-Foix dans fes EÍTais íur Paris , on les faifoit tenir en cet état avec des cires prépa- lées , qui donnoientau poil une bonne odeur & la couleur qu'on vouloir. On aceommodoit fa barba le foir, & pour qu'elle ne fe dérangeât point la nuit, on l'enfermoit dans une bigotdle, eipèce de bourfe faite exprès. (2) C'eft ce qu''on trouve dans une pièce de •vers qui termine la Satire Menippée , ou la vertía du CatboHcon d'Efpagne, Qui aux quarante a fait la figue. Qui n'a point la barbe à la ligne> Ne vous fiez en tout cela, Src. (3) On lit dans Is MeuagUua, qu'un ' ommó É DELA Barbe. 37 des choies de ce bas monde ? Par un événement aiiiîî funefîe qu'imprévu, la Barbe, qui avoit été portée à fon plus haut point de gloire, perdit tout à coup de fa faveur, & finit par être entière- ment profcrite. La mort inattendue de Henri le Grand & la jeiineíTe de fon íucceífeur en furent les feules caufes. Louis XILl monta imberbe fur le trône de fon glorieux père : on fe doute bien queîesCourtifanSjVoyant leur jeune Roi fans barbe, trouvèrent la leur trop longue; ils la réduifirent bientôt aux mouftaches & à la barbe à toupet, qui confifioit en une petite touffe de poii placée fous la lèvre inférieure. Tout le monde fe garda bien de fui- vre d'abord ce dangereux exemple. Le .très-araoïireux de barbe dépenfoit trois écas par mois pourrcncrefS'nir. Le Cardinal Campege dit à ce propos : La barhe coûtera-plus que la tête ne vaut. On pourroit dire aujoard'Iuii la mêtne çboiè de bien des coijfures. 3 s H istoire, Duc de Sully n'adopta jamais cet irfage* eíFéminé. Caí homme, grand dans la guerre comme dans le miniilère , le fut; atiiîi dans fa retraite: il eut le eourage- de conferver fa longue barbe ôc de pa- foître ainii à la Cour de Louis XIII ^ oà il fut appelé pour donner fon confeil dans une affaire importante. Les jeunes Courtifans à barbes écourtées rioienc de fon air grave & de fa face à l'antique. Piqué de l'affront que l'on faifoit à fa belle barbe, le Duc dit au Roi : « Sire,. » lorfque votre père de glorieufe mé- 33 moire me faifoit l'honneur de me con- ' 3) fulter dans fes grandes &c importantes » affaires, aii préalable il faifoit fortie » tous les bouffons & balladins de fa- T> Cour ». Infenfiblement la Barbe à toupet di- minua, & finit enfin par difparoître. Les mouifaches réitèrent feules, & difparii* rent à leur tour. Cette révolution fit naître bien des regrets j pliiiïeurs s'en plaignirent ou s'obftinèrent à braver Is DE LA BARBE^ 35? siouveiie mode. Le Mercure de ce temps offre les témoignages honorables de l'ei- time dont les longues barbes jouiffoient y même après leur ruine. On y lit cette eipèce d'éloge funèbre :« La Barbe, qui- » n eil propre qifà l'homme, eil l'indice 3> de fa virilité , & lui donne la préféance 39 dans fon efpèce; c'eil elle qui ajoute fur » fon vifage une nouvelle grace, & qui 39 lui infpire un certain air grave &c mo- 33 de île , qui le fait paroître plein de 33 fageiTe (i)». Regrets fuperiîas ! éloges infruâtieuxT Chacun fe rafa (2). V ous feul,, ô célèbre Mïthon dont le nom mérite , une place honorable parmi ceux des hommes il- luñres de votre patrie, vous feul avez (i) Mercure de.. ..année 1678. (x) Le r^daréchal de Sajfompierre difoit, que tout le changement qu'il avoit trouvé dans le monde, après douze ans de prifon, étoit que ies hommes n'avoient plus de barbe , & les chef»- vaux plus- de queue. 40 H I s T o I R Ë. eu la force, au milieu de vos concitoyens? rafés, de hiffer fubiifter votre longue barbe & de la conferver entière jufqu'à vôtre dernier foupir! Que votre nom, ô Mithon , padant à la poftérité, ne foit prononcé qu'avec enrhouiiafme ! que les plus fameufes Académies pro- pofeiit à l'envi votre éloge ! que l'on y répète, du ton le plus pliilofophique, que vous eûtes feul le courage de pa- roître homme au milieu d'un peuple d'enfans (i) ! Ainii finit le règne de la Barbe en France. Malgré le préjugé qui exifle aujourd'hui, elle n'a p®int perdu de fon empire. Chaque fois qu'il a paru en France un étranger à longue barbe, il a non feulement captivé l'admiration, (t) Le dernier qui Üa-portée ( la barbe) dans cette ville , a été 3d» Richard Mithon , Bailâ & Juge Criminel du Comté d'Eu, qui vivoîtaa commencement du dernierJlècle, étant mort vers i'an i6z^. Mercure du mois de janvier 175;^ I) E LA Barbé. 41 imais encore ia confiance Se le refpeâ: de ceux qui l'ont vu. Un Genevois > nommé Liotard^ en eit un exemple; il fut très-bien profiter de cet afcendant que donne un extérieur impofant fur un peuple avide de nouveautés. Il étoit Peintre en portraits; il avoit refié trois ans à Conflantinople, oh fes talens lui valurent l'honneur d'être ap- pelé au férail du Grand Seigneur, pour y faire les portraits des Sultanes : il adopta le coftume oriental, & laiiTa par con- féquent croître fa barbe , avec d'autant moins de répugnance, qu'elle déroboit la difformité de fon vifage. De retour en France , il imagina de conferver fon extérieur de Levantin : ce fut ainfi qu'il parut à Paris l'an lyys. Il fentit bien- tôt qu'il avoit lieu de s'en applaudir. Son habit & fa barbe, beaucoup mieux que fes talens fiiffirent pour l'élever au- , deiTus de la foule. On fe doute bien de î'empreiTemenc des Parifiens pour cet homme extraordinaire. L'engouement 42' Histoire étoít univeríel j fon nom parvint bientôt à la Cour, oti il fut enfin appelé pour y faire les portraits du feu Roi &; de la Familie Royale. Ce fut là qu^il fit dans peu de temps une fortune brillante. Ses talensj moins étonnans que fon cof- tume , ne coniifioient pas dans la beauté du coloris, mais dans l'art de faifir par- faitementles reiTemblances.La Pdarquife de Pompadour fe íronva blefiee de la fcrupuleufe exaâitude de notre Peintre: en lui donnant cent louis pour le prix d'un portrait qu'il venoit de lui faire , elle lui dit ces paroles précieufes, qui devroient être écrites en lettres d'or dans les faftes des menions barbus : Votn harbe fait tout votre, mérite (l). C'eil encore à la faveur d'une longue (i) Cette anecdote m'a été fournie par un ami- de ce Peintre, qui l'avoit d'abord connu en cof> tume oriental. Il a depuis adopté le coftume fran- çois, pour céder aux vives follicitatlons de ià. femme j qui étoit Pariiîeane» DELA Barbe. 45 barbe qu'un jeune François prêchoii dans l'Arabie, il y a environ dix ans, une nouvelle dodrine. il s'étoit donné le nom ^Arphaxad TinnagelLi : fa qualité étoic celle de Difciple de /. J, Rouj[/cau, en mijjion en Arabie. Son codume oriental ainfi que ia barbe de Prophète concou- roient particulièrement à lui gagner des profélytes (i). M. M , en faifani le voyage de Tînde par terre , rencontra, le if août 1770, cet entliou- iîafte à BaiTora, qui demandoit à M. Pyrault, Confuí de France en cette ville, des guides pour le conduire dans le défert. II reveaoit de Surate, oil il avoit demeuré quelque temps cîiez M. Ac- quetil de Briancourt, auilî Confuí de France. « Cei Arphaxad Tinnagelliy dit M. M**" dans » la relation manuicrite de ce Voyage, eil un » jeune homme d'environ ^8 ans, de médiocre » ilature, & i! paroît avoir l'accent lorrain. 11 » s'eft donné pour Arabe né à EliatiF fur le » Golphs Pei'fiquej il a corapofé un Roman, » donc l'invention a^a pas été plus heureufe que « celle de fon nom arabe, ñlalgré fa barbe & » fon habillement, nous le reconnûmes bientôt » pour un François j ce qu'il finit par nous |4 histoire Rien n'eít plus éloquent que Texte- rieur, fur tout chez un Peuple fuperfî- ciel. Pourquoi donc ceux qui,pour Tin- térêt de TEtat ou le bonheur des fiijets, font néceffités de fe faire refpecler, né- gligent-lls des moyens auiTi puiffans ? La Barbe leur offre le plus fimple , le plus naturel, & le plus perfuai'ifde tous. Avec elle nos guerriers ne reiTembleroient plus à des femmes ; nous aurions des vieil- lards vénérables & des Prêtres plus ref- pedes. y.w I fil» Il » ■ I —M Dieu? la Vérité. Quel ejl fon Prophète? » JJ. Roujfeau. On a cru à BaiTora, continue » notre Voyageur, qu'il étoit revenu de toutes » íes folies ; & fur la promeiTe qu'il fit de revenir » dans l'Inde & d'y vivre comme il le devoir, » MM, Pyrault &Rouireau(Ie Ferian, couiîn » de J. Jacques ) lui compofèrent une garderobe ») européenne : il vint, avec moi jufqu'à Mafcatc j » mais je ne pus le mener plus loin, & je le » laiiTai très-dirpofé à aller remplir fa iniffion, î) E LA BARBE. 4^^ CHAPITRE III. De quelques Mentons rafes, C^'est avilir l'homme que de lui enlever la marque la plus apparente de fa virilité: c'eil le comble de la déraifon & du ridicule, que de prétendre qu'il lui iied bien de reffembler à des femmes, à des eunuques, ou à des enfans. Quand même le vœu confiant de la nature ne viendroit pas à l'appui de cette vérité, l'opinion de tout ce que l'Antiquité a de plus refpeélable, devroit fuffire pour rétablir à jamais chez tous les Peuples, Voilà ce que je voudrois perfuader à mes compatriotes. Un menton rafé fut toujours le ligne de l'efclavage, de l'infamie,ou de la dé-^ bauche. Diogène demandoit à ceux qu'il voyoit fans barbe, s'ils n'avoient pas çbangé de fexe^dí s'ils étoient mécontent ^6 Histoire d'être hommes. Chez une infinité de Peuples 5 le banniffement accompagnoit la perte de la Barbe. Tous les Pères de l'Eglife fe font récriés contre cet abus honteux, & ont toujours regardé un menton rafé comme TeiFet du plus vil libertinage. On m'oppofera fans doute l'exemple ¿^Alexandre qui, avant la journée d'Ar- belles,fit rafer tous fes foldats. Je répon- drai, que lui ne fe rafa jamais, qu'il con- ferva toujours cette marque caraftérif- tique de fa valeur, & que s'il prefcrivic ce régime à fes foldats, ce fut feulement, comme le dit Plutarque, dans la crainte que les ennemis ne les faifiiTent par la barbe. Je fais encore que Scipîon VAfricain fut le premier des Romains qui tous les jours fe fervit de rafoirs. Je fais que cette mode fut apportée de Sicile en Italie par P. Ticinïus , qui amena avec lui une compagnie de Barbiers. Mais il eil bon de favoir, comme Pline le remarque f>E LA B a RSE 47 très-judicieufement, que, de toutes les Nations qui confentirent alors à (e couper la barbe , les Romains furent les derniers qui cédèrent à cet ufage efféminé (i). Cela ne prouve autre chofe, ii ce n'eil que le luxe commençoit à dominer à Rome, & que le luxe dénature tout. D'ailleurs ces cas particuliers doivent (être mis au rang des erreurs paffagè- tes, qui, en fe diiîipant, ne donnent qu'un nouvel éclat à la vérité. Des faits plus rapprochés, en jetant plus d'intérêt, vont faire voir le prix: de la Barbe, la honte des mentons rafés, & les maux qu'ils ont fait naître. Au commencement de la Monarchie Françoife, CLotaire. //, voulant donner un Gouverneur à fon fils Dagobert, fit choix de Sadregefile y homme très-fa- vent pour fon fiècle 5 il le combla d'hon- neurs, le gratifia du Duché d'Aquitaine; (i) P¿¿n, Hifi, nau lib. 7 , cap. 60. H is T oiriê 6¿ le nouveau Duc n'épargnoit rien pou^ l'inflrudion de ion élève: mais il paroît que celui-ci ne répondit pas plus aux intentions du Roi fon père qu'aux le- çons de fon Gouverneur. Le cara hi barba, no hi mas aima. Depuis qu it n'y a plus de barbe il n'y a plus d'amet Voilà déjà plus d'un fiècle que nous ne portons plus de barbe. Avons-nous gagné à ce changement ? C'efi: ce qui mériteroit bien d'être examiné. Le pro- verbe efpagnol, qu'on pourroit bien nous appliquer, femble rendre raiibn de notre état d'aviliiTemenf. Si, comme Fa. dit un Philofophe moderne, lafiupeur regney. Histoire c'eíl fans doute parce que- noiis vons plus de barbe au rtienton. Mais confoîons - nous ; la fource de tous ces maux va bientôt tarir. La mode des longues barbes eft prête à éclore de nouveau, & l'époque que j'annonce eft plus prochaine qu'on ne penfe. Nos goûts, nos ufages aéluels ne font que d'anciens goûts & d'anciens ufages, que le temps renouvelle & fait difparoître à leur tour. La révolution s'achève, nos changemens précipités en ont accéléré le cours : un nouveau règne approche. Hommes agréables du jour, jolis Abbés, charmans roués, & vous tous, gens à pâleur intéreftante & à nerfs irritables, foyez ftupéfaits , je le prédis, vous allez bientôt reiTembler à des hommes. D E I, A B A R B s. CHAPITRE IV. Femmes barbues, C^u'iL ait exiilé des femmes.avec de la barbe au menton , c'eft un de ces écarts que la nature nous offre journeb lementj qu'il ait exiffé des femmes qui, pour figurer comme des hommes, fe foient ajouté des barbes artificielles, c'eft Teifet des circonfîances ; qu'il en ait paru d'autres dont le caradère, fécondé par la nature , leur ait fait regarder une longue barbe comme un phénomène honorable à leur fexe, cela doit fembler aujour- d^hui un peu plus extraordinaire ; mais que l'ardeur de dominer ait porté les femmes à employer les reffources les plus propres à fe faire croître la barbe au menton, &, par cette ufurpation ¿ àdifputer à l'homme le fymbole de fa, fouveraineté, ôc que, pour mettre ua 70 Histoire frein à ce défordre, les Lois aient'em- ployé leur facré miniftère j c'eil ce qui paroîtroit prefque incroyable, fi Tau- îbenticité des témoignages qui nous eil reftent, n'en banniiîoit même jufqu'au, doute. Ceil: Cicerón lui-même qui rapporte cette Loi unique , indituée pour s'op- pofer à ce que les femmes ne parvinf- fent enfin à fe procurer de la barbe : elle leur défend expreiTémeni de fe rafer les joues. Elle eft tirée des douze Tables; en voici les exprefîions : Mulleres gênas ne radunto. Que les femmesfe gardent bien de fe rafer Us joues (i). Si l'abus qui a fait naître cette loi, eft un des plus beaux éloges de la Barbe, il nous offre encore un trait de compa- raifon. Les femmes d'aujourd'hui ne font pas moins jaloufes de dominer, que celles dont nous parle Cicéron ; mais (i) Cicero, dehcgibus ^ !ib. n. DE li A Barbe. 71 ikiîrs moyens font bien diiFérens. Il eft conftant que les femmes de ce iemps-Ià étoient bien éloignées d'avoic la barbeen horreur. La Vénus de Cypris,' que les anciens Grecs avoient repréfen- tée avec une épaiile barbe au menton, femble renforcer cette vérité. Quant aux fernmes barbues Se celles qui fe font fait honneur de le paroître, nous en avons plufieurs exemples. Dans le cabinet de curioiité àsSíut-o gard en Allemagne on voit le , portrait d'une femme nommée Band Graetje^ dont le menton eft ombragé d'une très- volumineufe barbe : c'étoit en 15*87, qu'elle fut peinte; elle n'avoit alors que vingt-cinq ans. Dans le même cabinet fe trouve encore un autre portrait qui la repréfente dans un âge plus avancé, mais toujours barbue. On rapporte que le Duc de Saxe fît tirer le portrait d'une payfanne SuiiTej; remarquable par la longueur & l'épaif- ^2 Histoire feur de fa barbe ;& ceux qui, en ijiS ^ ont paiTé le carnaval à Venife, ont vu une Danfeiife étonner autant les fpec- tateurs par fes talens , que par fon men- ton couvert d'une barbe noire & touiFue. Pendant fes campagnes, Charles XII avoit dans fon armée un Grenadier femme : ce n'étoient ni le courage ni la barbe qui lui manqnoient pour être homme. Elle fut prife à la bataille de Fui- tawa, & amenée enfuite à Péteribourg, oùeiiefutpréfentéeauCzaren 1724: fa barbe , que l'on mefura, avoit une aune & demie de longueur (i). On lie dans le Diêtionnaire de Tré- vonx, qu'à Paris on a vu une femme ayant non feulement le vifage hériiîe d'une épaifle barbe , mais de plus le corps tout couvert de poils. Parmi une foule d'autres exemples de cette nature, on remarque celui de Marguerite^ (i) Mefure de Ruiîîe. Gouvernante. DE LA E A R S E. 73 E L A Barbe. 7^ parler. On a pris plaiíir à mettre cette penfée en vers grecs , latins, italiens, ÔC françois: Voici les vers françoisCi) : Sais-tu pourquoi , cher camarade , Le beau fexe n'eft point barbu? Babillard comme il eft , on n auroit jamais Le rafer pu fans eftafiiade. Ce que les circonftances, un goût bi- zarre, le déiir de fe diftinguer de la foule ou de lui en -impcfer, ont rendu quelquefois fupportable, le bon goût, ôc fur-tout Tart de plaire, l'a toujours crit. Il prof- eft des femmes, & Ton en voit tous les jours, dont le vifage eft obfcurct par cet ornement de la virilité. Mais bien loin de s'enorgueillir de cette de la fuperlluité nature, elles la regardent comme une tache honteufe, qu'elles s'efforcent de faire difparoître. Combien de brunes fur-tout (i) font obligées, dans le fecret (1) Voyez leMenagiana, tom. iv ( ) Le ,pag. ao^, z nombre en eft plus ne peufe. grand On qu'on diftingue de nos jours une « D ^ 7(> Histoire des toilettes, d'employer !... Mais gar- dons-nous de dévoiler ces opérations myftérieufes; nous leur devons notre in- diligence, puifqn'elles tendent à nous plaire: d'ailleurs, on peut bien pardon- ner aux femmes de corriger cet écart de la nature, puifque les hommes ne Tougiffent pas de la défigurer. Il eil aufli ridicule à un homme de reilémbler à une femme, qu'il l'eif à line femme de reiTembler à un homme. Cependant un homme fans barbe fur- prendroit bien moins aujourd'hui qu'une femme barbue : cela nous prouve corn- bien nos goûts & nos ufages font éloignés de la nature. Héroïne dont les dignités de Guerrier, de Ju- lïfconfulte de Littérateur, d'Homme d'Etat, , ainfi fon menton barbu, dérobèrent que long- temps le fexe à fes compatriotes. tic b è l a B a r b e. 11 CHAPITRE V. Q^ue les longues Barbes font falutaires, I3onner à riiomme un air íevère Òí majeíliíeux , Ini conferver fur le fexe cet empire que la Nature lui a concédé, faire briller fur fon vifage les traits ca- raflériftiques de fa virilité; ce ne font pas les feules prérogatives dont la Barbe peut s'enorgueillir : elle offre encore à' Tobfervateur attentif l'avantage de mar- quer, par des changemens plus décidés, les différens états de la vie de Thomme , & celui, bien plus précieux,d'être utile à fa confervation. La nature ne fait rien ea vain : & ce n'eil jamais impunément que l'on s'op- pofe au cours de fes fages opérations. Ce poil touffu qu'elle a placé fur la face de l'homme, ne doit-il pas influer fur ia falubrité des parties effentielles qui D 5 7^ H istoire i'avoiiînent ? Peut-on penfer autrement, ians accufer notre commune mère d^in- conréqnence jfans taxer de caprice & de produâion bizarre, ce qui eft l'ouvrage d'une conduite uniforme & motivée ? D'après cela, comment eft-il poftible que l'on s'expofe à contrarier la fage.ÎTe de fes vues, à en détruire les effets, fans craindre d'encourir une furabondance de maux, auxquels ie genre humain efl déjà trop fujet? Ceft cependant ce que nous faifons tous les jours, pour fatisfaire à un lîfage bien peu naturel. La Barbe eft, chez les hommes, le préfage de la puberté , de la vigueur , & de la caducité. Ceft elle qui la pre; jnière lui annonce que le temps eft venu où fes organes plus développés vont lui procurer une nouvelle exiftence, qu'il va commencer d'être homme , tenir fon rang dans la fociété , & qu'il eft doué de cette précieufe faculté de fe reproduire dans fon femblable. Ce duvet naiftant eft j chez les jeunei de la barbe. 79 garçons^ce queraccroiffement de la gorge eñ chez lés jeunes filles. Ces deuxtémoi- gnages de la puberté annoncent, dans l'un & l'autre fexe,cette douce inquiétude, prélude de ramour & des plaifirs , les émotions, les défirs, le befoin de fe rendre heureux, & en même temps l'empire de la raifon (i). « La Bàrbe., dit Theodora » dans Difcours fur la provi- 33 dence de Dieu , apprend aux jeunes » garçons qui en font décorés, qu'il cil >3 tempe de renoncer aux jeux de l'en -r » fance, pour s'occuper de choies plus » férieufes ». C'eil alors que i'abon- dance, plus ou moins grande, de la barbe détermine le plus ou moins de vigueur de celui qui en eil pourvu; c'eil alors queia nature, confiante dans ( 1 ) « C'eft à l'heure que le diable efl: bien enragé , quand cefie barbe commence à monf- Si trer fa fleur, & que iî jamais l'homme doit raonftier quelque ligne de . courage ou quel- » que conjedlure de prud'Jiommie , c'eil alors que » la barbe commence à venir. Po^onologU v* - So H I s T o I R E fa marcîie j.néceíiite fon accroîffement; & ce n'eíl fans doute qu'ay préjudice des parties adhérentes, que nous nous obf- iinons à la faire difparoître. S'il ait évident qu'une longue barbe i par la chaleur égale qu'elle maintienr, procure aux corps glanduleux une douce iranfpiration & qu'elle attire à elle les , humeurs defíinéesà fan alirq^t, on ne peut s'empêcher de convenir que 3 I3 barbe étant coupée ^ tranfpiratioy ni la fecrétion n'ayant point lieu, les humeurs qui deyoient produire l'une l'autre, prennent un cours différent & deviennent nuiiibles aux parties oii elles font forcées de circuler. C'eif le fentiment d'un Auteur profond, qui y epvifage la Barbe fous ce point de vue intéreflant. « 11 eft inconteftable, dit-il,, » qu'une longue barbe contribue beau- » coup à la fanté, parce que, pen- 3» dant qu'elle attire à elle les hii- 33 meurs fuperflues qui la nourriOent, M elle préferve long-temps les dents de de LA B arbe. 8i 93 pourriture , donne de la fermeté aux 33 gencives ; avantage dont font ordinal- 33 rement privés ceux qui fe rafent fou- » vent 5 qui, pour la plupart, font tour-, »> mentés de cruels maux de dents, & » à qui elles manquent de bonne heure. 33 En été, continue le même Auteur, » la barbe garantit le viiage des rayons 3Í brûlans du foleil ; en hiver, elle le » met à couvert des frimas : elle pré-. » ferve enfin l'homme d'une infinité de 3> maux, tels que refquinancie &Z le relâ- 33 chement de la luette, 6iç. i ) ». Adrien Junius , Médecin vivant au XVF fiècle, dans ion Commentaire fur les cheveux, affure que la barbe eil un préfervatif de plufieurs maux, Gentien Hervet^ dans un de fes Difcours fur les Barbes, rap- porte, qu'après le Concile de Trente, plufieurs Eccléfiaftiques, étant obligés de fe rafer, furent quelque temps après atteints de violentes douleurs de dents. (i)Pierius Valerianas ^ ProSacerdotumharbis, D X $2 Histoire Je puis ajouter à ces autorités ce que des perfonnes dignes de foi m'ont aiTuré. Un Gentilhomme Allemand , depuis long-temps tourmenté par un cruel mal de dents, fut confeillé de laiiTer croître fa barbe, ôc il ne dut fa guérifon qu'à ce remède. Les Anciens femblent avoir^ mieux que nous, reconnu la vertu fpécifique de cet ornement de la virilité. Ce n'étoit pas fans raifon qu'ils avoient repréfenté Ef- €ulape , le Dieu de la Médecine, orné d'une épaiiTe barbe d'or, tandis que ion père Apollon avoit le menton rafé. Cette barbe fymbolique annonçoit aux Grecs, non feulement qu'il falloit conferver leurs mentons barbus, mais encore, par la richeffe de fon métal, combien la barbe étoit précieufe à leur famé. Ce ne fut pas impunément, difent plufieurs Auteurs, que Denis le Tyran eut l'impiété d'enlever au Dieu de la Médecine cette riche toifon : ils regar- dent, entre autres, comme un châtiment, V dela B aree. $3 de ce facrilège, lebefoin oii fa méfiance le mettolt de fe faire brûler la barbe par fes enfans avec des coquilles de noix ardentes, plutôt que de fe confier aux Barbiers de Syracufe. La dénomination que les Latins don- noient à la Barbe , nous prouve qu'ils étoient perfuadés qu'elle les mettoit à couvert des fluxions ôc des autres maux auxquels la nudité de nos mentons eft expofée : ils la nommoient vejîis ( vê- tement ), & invefiis ( dépouillé ), celui qui n'avoit pas encore atteint l'âge de puberté. Quant à nous, efciaves des ufages bi- zarres que nous-mêmes avons inventés , nous iommes encore bien loin de penfer qu'il eft bien féánt de pafoître homme. L'air mâle& vi|òúféux n'eft pas du bon ton ; & la fanté ^ême n^éft plus à la mode. Je prévois que îa Barbe, fi fon tour revient enfin , pourra caufer la déftrudion de quelques ufages nuifibles, entré autres de celui dit tabac : mais, pour P d. i 84 Histoire |: donner une idée de cette perte 3 je pîa- , jl cerai ici le fentirnent d'un contemporain I fur .cette poudre iiernutatoire^ « Le ta:* ^ Í bacdit-il, caufe une certaine mal- | |! » propreté, inévitable à ceux qui en ["• » ufent : ils ont l'haleine forte , le nez I 53 prefque toujours barbouillé les habits. , I ji> très-icuvent fales , le vifage dégou- ^ I » tant y la langue.ieche , fiirTtout après I » le ibmmeil,, ôic». Mais tout cela n'eft I >> rien en comparaifon des maux eiTen- I 53, tiels que rufage de cette plante produit^ ?> .&; après, rénumération que je vais en I » faire , on s'eionnera encore davantage I qu'une aufîi mauvaife-couiume ne fé S5 perde point»,.,. Il continue enfuite : II « Le tabac nuit aux^ tempéra mens fecs> « il biji^ux , ch^udsi U^enivre, dérange. | I 33 les fondions d!^ .çp4;^eau, procure; le J . :«:vpmiiF^mjept, éperve î'eilomac, irrita I »îesnerfs, diminueJes facultés de l'ef- 1 » prit, détruit la mémoire^ gâte l'odorat I « éehauifq^ trouble le ibmmeil> - cauía I w des Yppèurs ¿c.des: vertiges c.oiî% ! ' " ■ ji': j DE LA BARBE, 8^ » duit à l'apoplexie & à la léthargie CO"' Si cette enumeration de maux n'eil point exagérée, iî Ton ofoit même y ajouter les marques dégoûtantes que l'abus de cette poudre imprime fur la beauté des femmes, il faut avouer que l'on aura une grande obligation au moyen qui ferviroit à la faire oublier. Dans l'âge mûr, la Barbe eft l'indice des facultés phyiiques ; dans la vieilleffe , elle eft le fymbole de la vénération. Quel ipedacle plus attendrifiant que de voir on vieillard , la face ennoblie d'une Ion- gue barbe blanche, recevant lescareffes- de fes petits enfans, l'unique confola- ' tion de fa pefante vieilleilb 1 Au fein- de fa famille, il eft l'image de la fageife- Se de la divinité, Eil-il rien de plus nobî? (i) Difcours préliminaire Jes Tables népîo- giqiies & météorologiques , par M. B'aioux^ M. Bue fio^ vient Je pu-blier un Ouvrage iiir iufàge Ju tabac, qui confirme'cette opinion. H istoire que Nejlor appaifant la colère à'AckilU » déplorant les malheurs de cette divifion , donnant des confeils à tous les Rois qui- compofoient le camp des Grecs, & fe voyant l'objet de la vénération géné- iale? Où peut-on trouver un exemple plus frappant de cette majefté douce , humaine, que celle dont étoit revêtu le fage Me/ï/or ? Eft-il un tableau plus tou- chant,que celui du vieux Priam aux pieds ¿'Achille , baifant les mains terribles du meurtrier de ion fils ; & de voir ce vieil- , lard refpeftable demander en pleurant les trifles reftes du malheureux Heâor ? Toutes ces différentes efquiffes peuvent donner une idée de la majeflé & de la nobleffe qu'une longue barbe & des cheveux blancs impriment fur la figure | d'un vieillard. Mais que Ton ,fe figure Mentor & Neflor rafés, le vieux Roi Í Priam dépourvu de fa barbe & de fes cheveux blancs ayant de plus chacun , | ime perruque à trois marteaux ; cette j liuiion, d'abord fi flatteufe , difparoi- DE LABARBE, 87 I ira; le ridicule remplacera le refpeft, I ôc l'on ne verra plus dans ces Héros 1 que la figure de notre voifin le Mar- I guillier 5 de Monfieur le CommiiTaire, de Monfieur rHiiiiTier Prifeur, 88 Histoire CHAPITRE VI. Barbes pojliches, TiE poftiche eft à la nature ce qtte l'hypocriiie eft à la vertu ; l'un & l'autre font indignes de l'homme droit, quine craint pas plus de découvrir les ientimens de fon cœur que les traits de ion vifage. Mais fi, comme l'a dit un fameux Mo- ralifte , thypocrljie eji un hommage que h vice rend à la venu , lés barbes poftiches doivent être aufti regardées comme un hommage que le luxé ou la pareffe rend aux barbes naturelles. De pareilles fourberies font plus ou moins condamnables, fuivant les caufes qui les déterminent. Ce vieillard dont parle Thiophrajîe , qui, pour plaider de- vaut le Sénat de Lacédémone, avoit peint en noir fa barbe & fes cheveux blancs, méritoit à jufte titre l'affront hu- jniliam qu'une peiiteffe auiîi indigne de D E L A B A R B E. Sp fon âge lui attira publiquement. Comme il débattoit fa canfe, fa partie l'inler- rompit, & s'adreiTant au Sénat, de- manda quelle confiance on pouvoit donner aux paroles d'un homme qui pOrtoit le menfonge fur"'fa tête. Vers le milieu du quatorzième fiècle^ on vit en Efpagne - , & fur tout dans les Etats de Cortez de Catalogne, éclore le règne des barbes poftiches. Cet arti- fice, qui concilioit l'avantage que la Barbe donne à l'homme, avec une grande commodité, doit paroître bien moins furprenant chez un peuple dont le caraélère a pour bafe la gravité. Aufii cette mode fut-elle adoptée avec le plus vrf empreiî'ement. Le même individu poiTédoit des barbes de pluiieurs formes, de pluiieurs couleurs. Se pouvoit en changer à fon gré ; on en avoit pour les jours de grandes fêtes & pour les jours ordinaires : tel homme pouvoit avoir le matin la barbe courte ou rouiïe, & le foii* la barbe longue ou noire» Chacun, po H,istoire fuivant fes intérêts, changeoit fa figure. Une mode auííi accommodante & auííi fuivie ne laiíToit pas que de favorifer bien desmaiverfations j &ces perruques de menton n'auroient pas manqué d'à- voir le brillant fuccès des perruques de tête , fans une foule d'abus qui fixèrent enfin l'attention du Gouvernement. Dom Pèdre, Roi d'Arragon, fit défendre ex- preiTément à tous fes fujets de porter à l'avenir des barbes poftiebes. Elles dif- parurent & furent remplacées par les barbes naturelles. Il eft bien dommage que cette mode n'ait point franchi les Pyrénées: en France, pafi'ant par tous les degrés de perfeûion , elle auroit ac-. qnis une fupériorité dont les François font feuls capables. Cependant l'Efpagne n'eft pas Is feul pays qui ait vu fleurir des barbes poftlches. Ce fut à la fin du quatorzième fiècle qu'on vit paroitre à Paris la barbe la plus abondante , la plus volumineufe qui ait peut-être exifté fur notre globe, ce- de la barbe. pi toit la merveille des barbes. Celui qui en étoit porteur fe difoit Patriarche de Conilantinople ; d'après une barbe aniïi extraordinaire, auiïi prodigieufe , on n'eut pas de peine à le croire: tant l'appareil a de pouvoir fur l'efprit des hommes 1 Jamais barbe n'avoit opéré une fembîable fenfation. Les Parifiens, comme on peut le croire, ne pouvoient fe lalTer de l'admirer ; & ce fut en faveur d'elle que le foi-difant Patriarche reçut l'accueil le plus flatteur. Par-tout il étoit comblé d'honneurs : enfin, cette barbe étonnante, cette barbe qui attiroit la vénération d'un peuple entier, devant la- quelle on s'extafiolt défi bonne foi, n'é'· toit qu'une barbe pofllche. Quel pulffant eiFct de la majeilé des Barbes ! mais quel fujet de comparaifon pour nos mœurs ! Que de Sages révérés ! que de Génies , que de Héros préconi- fés I que de grands Seigneurs exaltés reiTemblent à cette barbe ! Ce qui raf- fure, c'efi que l'hommage des citoyens r H istoire trompés eít toujours la fatire du pref" tige qui les a féduits : tôt ou tard la i vérité brille ; alors c'eiî: aux vertus, aux | talens, c'eft aux vraies Barbes qu'en i revient tout l'honneur. [ É £) E LA Barbe P5|' ^ I t ■BBSBHanaasBBnacaAnn^ nmnnnagnBaMi^aBa - ^ ' I CHAPITRE V11. Des Barbes dorées. D e toiit temps, les hommes ont cm honorer les objets de leur attachement ou de leur culte , en cherchant à les embellir. Mais les moyens qu'ils ontem^- ployés, en faifant l'éloge de leur zèle, ont fouvent donné la preuve de leur mauvais goût. Parce que l'or eil ii pré^ deux à notre avidité, nous avons cru long-temps que lui feul étoit capable de tout orner. Le luxe mondain,la dé^ votion, l'ont également étalé avec pro- fufion : mais la richeiTe ne conilitue pas I la beauté. On a fini par dégrader ce qu'on prétendoit décorer. Cet abus qui a dominé , fur-tout dans des temps d'i- ' gnorance , a exercé fon pouvoir même ' furies Barbes, 5)4 Histoirís La pompe orientale nous ofTre d'abord un exempfede ce fafte mal entendu. Plu- fleurs Potentats de ces contrées ont treiTé le poil de leur menton avec des fils & des paillettes d'or. Ce n'eft pas fans in- dignation que Saint Chryfofiôme nous parle d'un Roi de Perfe, qui, de fon temps fnivoit cette coutume bizarre. , Après avoir reproché le luxe extrava- gant du beau fexe d'Antiocbe, ce Doc- teur évangelique dit : « Si je vous en- 35 tretenois d'un genre de luxe qui eft encore bien plus abfurde que celui » des femmes qui mettent de l'or fur » leur chevelure , qui en chargent leurs »5 lèvres, leurs fourcils, enfin qui en font ao toutes couvertes ; ne penfez pas que sa je veuille rire : ce que je vais vous 33 raconter exifte encore aujourd'hui j aq c'eft du Roi de Perfe dont je veux 33 vous parler. Il ne rougit pas de porter une barbe dorée -, les poils en font 33 couverts ou tiiTus de petites lames ou de la B abee. >4 fiïs d'or. Ayant la face ainfi décorée, 4> ce Prince reffemble plus à un monftrc » qu'à un homme (i) ». Ce n'eft pas le feul exemple de ce fafte ridicule ; la France, qui, comme on fait, a fourni, en tant de genres, des modèles d'extravagance, n a pas laifle échapper celle-là ; il paroît même qu'elle y a régné aiTez long-temps. Pluiîeurs Hiiloriens s'accordent à dire que les Rois de la première Race fe faifoient une gloire de porter une longue barbe toute garnie de rubans , enrichie de paillettes & de fils d'or & d'argenf. Soit que cet ufage ait fubfifté depni» les premiers Rois de France, foit qu'il ait été apporté de l'Afie pen- dant les Croifades, il efl: confiant que , fous le règne de Louis XI, on en trouve encore un exemple, qui n'a été fuivi qu'à l'imitation d'un ufage plus ancien. ( ï ) Joannis Chryjojlomi ^ in Epifiolam ad CoLloJJenfcs Comnsnt. , cap. iii, Hoxnilia vm. ^6 Histoire Le Continuateur de Moniiretet fàp« porte que , dans la cérémonie des funé- [ railles du Duc de Bourgogne tué à la bataille de Nanci, l'an 1476, le Duc de | Lorraine,ibn vainqueur, fe préfenta avec [ une barbe d'or poiliche , à l'exemple | des anciens Chevaliers. « 11 étoit, dit 1 l'Hlilorien, vêtude deuil, & avoitune 30 grande barbe d'or venant juiques à la 33 ceinture , m Jignijication d^s anciens 33 Preux & de la viéloire qu'il avoit fur 3j lui eue 33, Je penfe , avec Saint Chryfoflôme, qu'une barbe dorée eft une chofe monf- trueufe *, que l'éclat de l'or, bien loin de rehauiler les beautés naturelles, ne fert qu'à les dégrader. La nature eft - comme l'i vertu, elle plaît fans éblouir. CHAPITRE \ CHAPITRDEEVIII. LA BARBE. ' ^ Moujîaches, ^7 IL n'eft point de bornes pour les ob- jets fournis à l'inconftance humaine : . tout s'altère, tout fe modifie, la Barbe en eft une preuve. Cet ornement de I l'homme , que la Divinité a placé i fur fa face pour marquer plus ! par- liculièrement les époques de fa vie, I pour être l'indice des facultés les plus I précieuffis à l'humanité, n'a pas été i épargné de la loi commune, & a fubi fans ménagement celle de notre capri- cieufeinftabilité. LaBarbe, qui eft Thon- neur de la virilité, que Saint Clément d'Alexandrie ne craint pas de nommer la beauté engendrée , la beauté ingenue , a paiTé par tous les états d'accroiiTement i & de dégradation. Les mouftaches en 1 font un diminutif, un de ces états inter- ! médiaires qui ont précédé fon triomphe, ! E i Histoire ou fa défaite. Cette modification de la Barbe, malgré fa foible exiílence, ne laiíTe dans pas que de tenir un rang l'Hiftoire , & mérite que j'en faiTe mention (i). A la guerre, on a employé les mouf- taches pour épouvanter l'ennemi par un afped plus terrible. C'étoit ainfi que Céfar avoit vu autrefois les anciensBretons. On rapporte auiïï que les Goths & les Francs fe rafoient la barbe, à l'exception du poil (i) Quelques Auteurs font honneur aux Ara- bes de l'invention de la mouñzche. Flutar^ue y dans la vie de T/ieJee, en donne la gloire aux 'Abantes anciens peuples de l'ifle d'Eubce, , que nous appelons Négrepont, defquels Hérodote ^ . fait une mention honorable, liv. I , chap. 14è. Comme les Abantes étoient fort belliqueux , ils fe rasèrent tout le devant de la tête, afin que, dans la mêlée, leurs ennemis n'euiTent pas de prifepour les accrocher 3 & en même temps ils laiiTèrent croître leur chevelure par. derrière, pour leur montrer qu'ils ne craignoient pas d'être pris en fuyant. Recherches fur la Barhs y par h F* Oudin-y J¿fuite. ; D E L A B A R B E. (a de la lèvre Tupérieure, qu'ils appeloient le Les Gaulois, intimidés d'abord par ' IS la figure de leurs vainqueurs , accueilli- le rent enfuite cette coutume ; & fous la pre- mière Race des Monarques François , ii if> i Fon en excepte les Rois & les Princes, ' qui, à l'exemple des Empereurs , laif- 1 foient-entièrement croître leur barbe, )fi I le Peuple ne portoit que la mouilache. ? ,(25 C'eil fans doute de là que nous efl: venu, Í ainii qu'à toutes les Nations de l'Eu- I rope, l'ufage de la faire porter aux mi- ra,- I litaires. ucy , Comme un vifage fans barbe eil l'in- lux dice de l'enfance & de la foibleiTe , un menton barbu, celui de la virilité & de la prudence; de même les 46- mouilaches,' . . , . . jjj qui tiennent le milieu entre ces deux ex- tremes, annoncent l'adolefcence & le» de déiirs. Les j Turcs, les Grecs modernes .font 11 perfuadés de cette vérité, que, jufqu'à l'âge de trente ans , ils ne por- tent que la mouilache, époque oh ils laiffent naturellement venir leurs barbes. h y ? S lloo Histoire | Dans chaque fiècle , chez chaqué peuple, elle a reçiume forme diiFérente*, mais de quelque manière qu'on l'ait em- ployée ; quel que fût le but de ceux qui la portoient, il n'en eil pas moins conf- tant que,lorfqu'elleefl; avantageufement placée & retrouiTée avec grace, elle donne un air fier, vigoureux , ardent, qui caraâérife le jeune homme, & qui ne déplaît pas toujours aux dames. ParmilesNations de l'Europe qui ont été les plus curieufes de barbes de mouftaches, nous diftinguerons l'Ef- pagnole. Cette Nation grave Sc roma- nefque a toujours regardé la barbe comme l'ornement dont on devoit fe - faire le plus de gloire ; & fouvent les Efpagnols ont fait coniifier la perte de leur honneur dans celle de leurs mouf- taches. Les Portugais, dont l'efprit na- tional eft à peu près le même, ne leur cèdent en rien de ce côté-là. Sous Ca' therim de , Reine Portugal 5 le courageux Jean di Cujiro venoit de délivrer dans DE LA Barbe. ÏOÎ l'înde le château de Diu : viílorieux',' maïs manquant de tout, il fe vit obligé de demander mille pliloles aux Habitans de Goa pour le foutien de fa ñotte; ÔC pour garant de cette femme , il leur en- voya une de fes mouftaches, leur dit : « Tout l'or du monde ne peut ap- préciec cet ornement naturel de ma 33 bravoure i je vous le coniîgne pour te fureté du prêt 33. Toute la Ville fut pénétrée de cet héroïfme ; chacun shn~ téreiToit au fort de cette moufrache pré^ cieufe ; les femmes mêmes voulurent donner des marques de leur zèle pour un il brave homme : pîufieurs vendirent leurs braiTcîets pour groffir la femme demandée, les Habitans de Goa lui envoyèrent fur le champ ôc l'argent Se fa mouñacíie. On pourroit citer encore une foule d'exemples de cette forte, qui font autant d'honneur aux mouilaches qu'à la bonne foi de ce temps-là. Quand Philippe V monta fur le Trône d'Efpagne, il trouva fes nouveaux fu- E3 '102 Histoire í ^ets amplement pourvus de barbes Sz de | mouftaches ; il ne voulut porterni l'une i ni l'autre , quoique d'ailleurs il adoptât îe coihime efpagnol ; ce qui fit naître | i'ufage de fe rafer. Ces peuples virent | avec le plus vif regret difparoître deleur [ inentomcet ornement qui leur étoit il î cher : aujourd'hui ils ne peuvent s'en rap- peler fans émotion -j c'eil: ce qui a donné lieu à ce proverbe fi expreiîif, fi vrai, ; mais un peu trop énergique ; Defd¿ qiu los Efpanoles îio lUvan bigotes., no tïtneii €»,,, , c'eft-à-dire5 en paraphrafant | ce qui ponrroit ofTenfer les oreilles des dames : Depuis que, les Efpagnols nont plus de moujtachès, ils ne valent pas mieux [ que des -Eunuques, En France, les mouiîaches ont été ■' l'objet du luxe le plus raffiné' Sous Louis XIII, elles acquirent, aux dépens des barbes expirantes, le dernier degré de faveur. Dans ce temps de galanterie, que le bel efprit n'avoit pas encore in- fedé, elles devinrent la plus chère oc- I) E LA B A Fx B E. IO3 • cupation des amateurs. Une mouftacha bien noire s relevée avec élégance , étoit un titre bien puiflant auprès du beau iexe. Moins occupées d'efprit que des affaires de cœur, plus connoiffeufes en. amans qu'en livres, les femmes de ce vieux temps faifoient confîffer leur gloire à triompher d'un guerrier j à voir hum- blement à leurs pieds un amant à la mine hère & menaçante : glorieufesd'une telle conquête, jaloufes de la confer- ver ces femmes s'eftimoient affez 5 pour reffer iidelles. Et iî les faveurs étoient le prix de l'amour, elles l'étoientfou^. vent du mérite : dans ce cas , une femme refpeéloit affez un homme pour être iincère , 6c un homme refpeûoit affez fon amante pour être difcret : mais au- jourd'hui.... quels hommes 1 Le trait fuivant prouve combien les François, fous Louis XIII, montroient d'amour pour leurs mouffaches. Le plus célèbre dueliffe de fon temps, le Comte . de Bouievillc, condamné à être décapité, E ^ 4 fl04 H I s T o I K E. -voyant que l'Exécuteur lui avoit coupé les cheveux , 8z alloit lui couper. la mouftachejqui étoit belle oC grande , il ne put cacher le chagrin que lui caufoit ce déshonneur, & il y portoit les mains, comme pour la préierver du mal dont elle étoit menacée. Alors l'Evêque de dVîantes, qui le reconfortoit en ce der- nier inftant, voyant cette nouvelle in- quiétude, lui dit : Mon fils il , ne font plus penfer au monde j quoi / vous y peri' fe:i encore ? Vers le commencement du regne de L-ouis XIV, les mouñaches étoient en- core en vigueur. Ce Roi & tous les grands Hommes de fon règne fe firent im honneur de les porter. Elles étoient i 'ornement des Turenne, des Condé, des Colbert, des Corneille , des Mo- îière , &c. C'étoit alors une faveur aiTez ordinaire pour un amant chéri, d'avoir fa mouilache retrouifée , peignée, &c pommadée par les mains de fa niaitreiTe ; & pour cet effet, un homme du bon ♦ D s LA BARBE. lof ton rie manqnoit pas d'etre toujours muni depluíieurs meubles relatifs, fur-tout de la cire à rnouftache. Il étoit bien flatteur pour une belle d'avoir à louer, dans la perfonne de fon amant, la beauté de fes mouílaches : bien loin de lui rien offrir de dégoûtant, elles ne fervolent qu'à donner à fa figure plus de ton de vivacité ; plufieurs même y trou- voient raiguillon du défit*. On fe doute que la légèreté françoife leur fit éprou» ver plufieurs cbangemens & de forme & de nom : on vit des mouifaches á íefpagnole , à la turque, en garde de poi- gnard, &c. y & enfin à la royale, & ce furent les dernières : leur petit volume annonçoit leur prochaine défaite. De- puis ce temps, les moulfaches n'ont paru que fur la Scène Sz chez quelques-unes de no^ troupes j encore font elles bien moins accueillies en France que chez les autres Nations, oii il eft très-ordinaire de la voir à prefque tous les Officiers.. Ei ïo6 Histoire il jferoit un citoyen zélé, un ami du vrai beau celui qui oferoit le , premier porter des mouitaches. Quelle gloire n'acquerroit pas ce mortel courageux, j qui, bravant la coutume eiFéminée, rendroit aux faces françcifes l'ancienne i marque de leur bravoure ! Il reilitue- | roit à fa Patrie le caraftère de fran- ' chife & de loyauté qui la diftinguoit des autres Nations ; il mériteroit une place honorable parmi les Preux qui : jadis ont été l'honneur de la France. « J'ai bonne opinion d'un Gentilhomme 35 curieux d'avoir une belle mouftache, 33 dit un Auteur du iiècle dernier ; le » temps qu'il a paifé à l'ajufter & à la redreiïer, n'eft point du tout un temps 33 perdu ; plus il l'a regardée, plus fon 30 efprit doit s'être nourri ôc entretenu í » d'idées mâles & coura'geufes ( i) m . La | (ïj Elémens d'éducation imprimés en 1640. 1 i i ; DELABARBE. 107 * ' mouflache peut donc faire des ames énergiques & valeureufe. Ah I François , * vous avez tout perdu en perdant vos I Eîiouiîaches. E 6 I à loS H istoire CHAPITRE IX Barbes des Prêtres. PARMI les dignités qui doivent, par un dehors impofant, acquérir la con- fiance & la vénération des Peuples, le Sacerdoce tient le premier rang. Trop fouvent obligé de parler aux yeux- d'une fouie groiîière, le Miniilre de la Divinité a befoin ilir-îout que le pref- tige des vêteinens pompeux le fuive au ^ied des autels : mais il convient que cette magnificence facrée, en s'éloignant de la frivolité &; du luxe vulgaire, fe rapproche davantage de la nature, & foit plus caraflérifée de cette empreinte refpeéfable de l'antiquité. Peut-on trou- ver un ornement qui réuniffe plus par- faitement tous ces avantages ? en eft-il un qui foit moins recherché, qui nous rapproche plus des premiers âges, qui DELA BARBE. lop donne à l'homme un air p'us févère, plus con- grave, plus vénérable -, & par féquent en eil - il un qui appartienne mieux à la fonélion facerdotale, que la majeñé d'une longue barbe ? Si je joignois à ces raifons lumineufes une hiiloire fidelle des faits,fi je m'appuyois des pré- ceptes authentiques, des lois facrées, de l'opinion, & de l'exemple - d'une foule d'hommes divins, &.qu'enfin Je par- "viniTe à démontrer l'abfolue o·bligation où font^nbs Prêtres de porter la Barbe , j'aurois découvert une vérité non moins intéreiTante qu'inattendue. Je pourrois m'étayer de l'exemple des Prêtres des religions étrangères, indiquer, dans les livres dépofitaires de leurs dogmes , des témoignages de l'honneur que l'on gardolt à cette marque de la virilité ; je pourrois citer une multitude de moniimens -hif- toriques, qui attellent que toutes les nations du monde fe font accordées à regarder la Barbe comme l'ornement le ï10 H r s T o í R E plus convenable aux interprètes des vo- lontés céleites : mais je n'ai pas befoin de ces fecours- étrangers; c'eft notre re« ligion elle-même qui va me fournir des armes contre l'abus efféminé qui en dé- grade les Miniftres. Si j'ouvre au hafard le livre facré de îa religion des Ifraélites , j'y trouve par- tout des preuves de cette vérité. Dieu y menace plufieurs fois fon peuple, par la bouche de fes Prophètes, d'avoir le menton rafé ignominieufement ; ce qui étoit alors une infamie attachée à l'efclavage ( i ). David ne voit dans l'extérieur de l'homme rien de plus refpedable que la Barbe : c'eft pour- quoi ce Roi Pfalmifte fait une corn- paraifon fi honorable de celle du grand Prêtre Aaron ( 2 ) ; c'eft pourquo^ ce ■(i) Voyez Ifaïe, chap. 7, v. zo ; id. chap. iJSt verf z : Jérémie-, chap. 48, verf. 37: Apocal. 14 : Miphibofet, j". a. Sam. jp , &c. (a) Voyez le pfeaurae 13 a. Sicuc unguenturit de la B alee, iir même Roi jugea qu'il ne falloit pas moins que des ruiffeaux de fang pour laver l'aiFront qu'on avoit fait s à la barbe de quelques-uns de fes fujets. On lit dans le Paralipomenon , que ce Prince envoya des AmbaiTadeurs à Hanon, Roi des Ammonites, pour le confoler de la mort de fon père Naasy que ce Roi ayant été perfuadé que ces AmbaiTadeurs étoient des eipions, il les fit prendre fur le champ, & les renvoya , après leur avoir fait couper la, moitié des vêtemens & la moitié de la barbe. David , à cette nouvelle, eil pénétré de ¿n capite quod defcendit in barlarn , barbam Aaron, Tertulien dans fon livre de Fallió , a , expliqué , très-favorablement pour la Barbe , les expreflîons de ce pfeaume. Voyez auifi Saint Ambroife 6. Dans le Con- , lib, de initiand. cap. cile de Bafle , tenu l'an 1433 , Henri Kalteifen lit un long commentaire à ce fujet. Sauveur ^ Archevêque de ... . prononça un difcours au Concile de Trente, qui rojwla prefque tout entier fur la barbe ^Aaron* •112 Histoire fureur ; &c pour éviter à fes envoy&î la honte de paroître à fa Cour en cet état d'ignominie, il leur recommande de demeurer à Jéricho jufqu'à ce que leur barbe eût atteint la iong'ueur & la O forme ordinaires; il marche enfuiie contre les Ammonites, & dans deux batailles fanglantes qu'il leur livre , il détruit fept mille chariots , tue Saphachyhm Géné- ral, & quarante mille hommes d'infan- terie, & venge ainfi l'infulte faite à la tarbe de fes AmbaíTadeurs (i). Ce maiTacre , quoiqu'il n'ait pourob- jet que quelques moitiés de barbes cou- pées, ne paroîtra ni injufte ni atroce, ii'l'on coniidère en quel honneur éîoit, chez les Juifs, cet ornement de la viri- lité, & fur-tout fi l'on fait qu'il exiile une loi dans le Lévitique, qui leur dé- fendoit expreifément d'en rien retran- cher. (0 Voyez la Bible de Vatable, liher Parali-, pomenonf cap. jp. DELA BARBE. J13 Dieu lui-même, devant tout fon peu- pie aiTemblé, a bien voulu, par l'or- gane de Moïfe, s'expliquer fur le régime de cette décoration de la face de l'homme. Cette loi ne défend pas feulement de fe ra fer le menton , comme le rapporte la Vulgate, ce qui infinueroit que les Hébreux a voient déjà employé cet ufage efféminé, mais , fuivant toutes les meil- ieures verfions de là Bible, on y lit : Ne corrompéis pas les pointes de vos barbes , c'eil- à-dire, iaiiTez-les croître au gré de la natiirefi). Aucun précepte, aucune autre loi n'ont dérogé depuis à celle-ci. Le di- vin Légiilateur de notre religion, bien loin de l'altérer, l'a refpedée, en s'y foumettant îiH-méme ; fes Apôtres, &: tout ce que la religion naiiïante avoir de (i) Voyez la même Bible de Vacabie, Lévi- tique, chap. 15, verí! 27. Non attondebids ia circuitum comam capias vejfri, nepre dijjlpar bids cxtrcmitatem barbes tu.ce^ 1 ï4 histoire plus faint & de plus refpeclabie) ont foutenu avec chaleur la néceiîité de porter la barbe : mais la pureté des pré- cepteSjIa iimplicité des mœurs, l'hum- ble pauvreté, fe font éclipfées avec les temps. Nous avons de riches Bénéfî- ciers, des Chrifoilomes à manteau court, des Abbés channans: mais, hommes dï- vins, à barbes vénérables, pères delà primitive Eglife, ofi êtes-vous^? Dans les conilitiitions des Apôtres, ce précepte eil encore renouvelé : Il faut fur-tout ne pointfc couper le moindre poil de la barbe, y eft-il dit: Oportetpre- îerea non barbespilum corrumpere ( i ). Si du temps des Apôtres Je remonte infenii- blement jtifqu'à l'entier établiiTement du Chriilianifme, je vois quetous les Pères, tous les Doclenrs, & tons les Saints de i'Eglife naiiTante ont -recommandé fortement l'ufage de porter la barbe, & ont regardé comme la marque de (î) hib. /, cap, 3. de la Barbe, iij .rinfamieôi de la débauche, un menton qui en éto'it dépourvu. Saint Clément le Romain , qui vivoit encore du temps des Apôtres, après avoir rapporté la loi du Lévitlque, que nous avons déjà citée dit, que D'uu qui nous a crées à , , fon image de , accablera fa haine ceux qui violent fa loi en fe rafant le menton (i). Saint Clément d'Alexandrie, en di- vers endroits de fes favans Ouvrages , fe plaint vivement de cet abus honteux pour rhumanité; il reproche avec vé- hémence aux débauchés de fon temps, qu'ils ne rongiíient pas de fe montrer en public le menton rafé. Ce Saint, encore plus Philofophe que Théologien, ne ■ dédaigne pas ailleurs de faire l'éloge dé la Barbe :£lle contribue ^ dit-il, à la beauté de îhomme, comme une belle chevelure con- (i) Ce Saint, quiétoit difciplecie Saint Pierre, fuccéda au Pape Anaclet, l'an pi de notre ère. Voyez dans fon livre Conjiimdonum Sanñorum ^pojlolorum , le chap, intitulé Catholica Dodrinà de Laids* î T (5^ H í S T O I K E trihue à la beauté déune femme (l). Tef-^ tulien fur-tout parle très - longuement des barbes : ufant de fon éloquence or- dinaire, il s'élève avec force contre les moeurs corrompues de fon fiècle, qui avoient introduit l'indigne ufage de fe refer; il s'appuie de Saint Jçrôme de Saint Clément d'Alexandrie, & renché- rit encore fur ces deux Saints Pères (2). Saint Cyprien n'a pas moins té- (i) Saint Clément d'Alexandrie, qne l'on re- garde comme le plus erudit & le plus favant de tous les Pères de TEglife, vivoit à la fin du fe- Cond fiècle & au commencement du troifième. Voyez fon livre fur les fpeèlacles , & fon Péda- gogue , liv. m, Ouvrage que l'Abbé Fleuri, dans fon Hiftoireeccléfiaidiqufc, appeiie«/2 abrégé de tome la morale chrétienne. (z) Tertulien, dans Ion livre de Cultu femi- narum , dans celui de Pal·lio , parie très-avanta- geufement delà Farbe. Ce Savant, que Saint Cyprien appeloit fon maître , eit le premier qui ait écrit fur l'altération d'un canon du Concile de Carthage, qui défendoit aux Prêtres de fe rafer la barbe. DE LA BARBE. 117 ïmoigné combien il croyoit les men- tons rafes oppofés à la difcipline chré- tienne : en déplorant l'état de cette re- ligion y\\ s'écrie : On ne retrouve plus dans les Prêtres cette déiH)tîon religieufe, cette entière confiance dans les Miniflres de Dieu; il n\efl plus d'oeuvre de wiféricorde ^ plus de difciplineche:^ les inférieurs: les hommes fe coupent la barbe, 6* lesfemmesfefardent le vifage. Et ailleurs; Et malgré quil foit écrit'. Vous ne couperet^ point vos barbes^ ils sépilent le rnenton & s enluminent la figure : cejl ainji qm ^ pourplaire aux hom* mes, ils ne craignent pas de déplaire à Dieu (l). Il feroit trop long de citer la foule des autorités refpeélabies qui ont fait ou réloge de la Barbe ou la cenfnre des mentons rafés, qui non feulement l'ont regardée comme un ornement conforme à la gravité chrétienne, mais qui ont foii^ [ t ) Diví Cipriani, liber de Ufjls, li8 Histoire. tenu que l'on ne pouvoit s'en abrtenîr fans pécher (i). Deux Conciles viennent appuyer cette opinion des premiers Pères de l'Eglife : le premier* eft le quatrième , Concile de Carthage, dont le canon 44, s'exprime de cette manière : Ckricusmc comam nutriat, nec barham radat. Un Kcclé- fiafUqut ne. doit ni entretenirfa chevelure, ni rafer fa barbe» Quoique ce canon ait çté altéré entièrement par la fuppreiïioiî du dernier mot radat ^ comme le re- marque Tertulien, & comme, après lui, l'ont remarqué une foule de Commen- ^ tateurs, il eft confiant qu'il doit exifter ainii; c'eft ce que nous prouverons par la fuite : le fécond eft un Concile tenu à Barcelone en 5*40, ou l'on lit au canon (i) Tous les premiers Pères de l'Eglife ont recommandé fortement l'ufage de la Barbe, ou en ont parlé avantageuièment : tels font Saint Jérôme, Saint Ambroife, Saint Chryfoftôme , Saint Epiphane, Saint Théodoret, Saint Sidoine Apollinaire, &c. de da Barbe 119 5 : Ut nullus CUricorum comam nutriat ^ aut barbam radat ; Qu'aucun EccUJiaJli- que rdentretienne fa chevelure ni , m rafe fa barbe. Après des lois anfîi facrées, après le fentiment & l'exemple des Apôtres & de tons les Pères de la primitive Eglife ¿ après les déciiions de deux Conciles authentiques, on ne penferoit pas qu'il eût exifîé des hommes affez fourbes ou aiTez ignoranspour foutenir^non feule- ment qu'il efl: indifférent de fe rafer ou non mais encore que la Barbe eil con- , traire à la difcipline de l'Eglife. Eclai- rés du flambeau de la vérité, Se guidés par l'impartialité la plus fcrupuleufe, nous allons fuivre la chaîne des diffé- rens événem ens qui ont fifouvent changé les fentimens & les barbes d'une partie de l'Europe. Je vois tous les Papes des premiers temps de la Chrétienté fe faire honneur d'une longue barbe, jufqu'au temps de la première divifion des deux Eglifes ^ 120 Histoire grecque & latine. Leur rivalité avoit déjà éclaté dans l'excommunication des ko- [ noclailes. Lorfque Charlemagne fut Em- pereur d'Occident, les Papes alors fe- couèrent le joug de la domination grec- que & faifirent cette occaiion 5 pour fe diilinguer, en quelque manière, de leurs ennemisjc'eft juilement à cette époque, comme le difent très-bien les F P. Henf- chcnïus & Pap&brock (l) , que Léon III donna pour la première fois à l'Eglife latine l'exemple d'un Pape rafé. Bientôt les difputes redoublèrent. Photius, Pa- triarche Grec, renouvela les préten- tions de préféance du Clergé d'Orient fur celui d'Occident : il excommunia, à ion tour , le Pape Nicolas /, qui l'avoit déjà excommunié. Jamais les mentons grecs n'avoient été fi barbus, ni les mentons latins fi bien rafés. Photius ^ (i) Voyez le Propileum des PP. Henfchenius & Papebrock du mois de Mai, p. %Ò9 , tora. I 4es Aftes des Saints. ayant B E L A: B A R B E. 121 ayant pris le titre de Patriarche Ecumé- nique , déclara hérétiques ies Evêques occidentaux. Entre autres reproches , iÎ leur faifoit celui de fe couper la barbe. Etrange raifort pour brouiller l'Occident avec COrient , dit un grand Ecrivain de notre fiècle. Ceft attacher bien peu d'importance à la Barbe, que de trouver cette raifon fi étrange (i). Nicolas I ne fe défend point de cette grave accufation. On voit dans fa lettre de l'an 867 à Hincmar, de Reims, Archevêque aux autres du Royaume Evêques de France, qu'il dit Îimple- ment, parlant des Grecs : « >3 eil, ils Qui s'empreiTent de plus nous couvrit 33 de blâme, parce que les Clercs 33 font fous qui notre domination ne refufent (i) Que l'on fe rappelle toujours n'eit ici qu'il queftion que de difcipline. décla- mations Quelques indiipenfables fur les diverfes des Papes, ne doivent opinions point efFaroucher les âmes fcrupuleufes. Le Dogme , que l'on infí- nimenr, n'a relpeñe point de part dans cette difcuiîioa. F 122 H istoire w pas de fe rafer la barbe (i) ». Cette, phrafe, qui indique qu'on avoit, à cette époque, contraint tout le Clergé de fe faire la barbe, ne préfente rien qui ex- cufe cette conduite viplente. Si ce Pape avoit eu quelques raifons pour pallier ce relâchement de difcipline, il n'auroit pas manqué, en cette occaiion, de s'en prévaloir i mais il n'en donne aucune, La rivalité etoit la feule caufe de ces puériles diiTentions. Que de difputes, que de troubles n'a pas occaiionnés ce ridicule entêtement des Prêtres Latins ! ils euiTent évité tous ces maux en laif- fant croître leur barbe. La mort du Patriarche, fans détruire le fchifme, calma pour quelque temps les efprits ; & l'ignorance des temps (fuivant quelques-uns ) contribua beau- coup à amortir le feu de cette grande (i) Quin Ù reprehenden fatagunt, quia-penes os Clerici barbas rai erefuas rion abiiuunt ^ Ada Conciliorum. ^ • de fia B arbe. íjuerelle. Jean XII, oubliant , ou peut- être ignorant l'animoilté qui avoit régné entre les deux Eglifes, reparut bientôt avec une longue barbe, ielon les PP. Henfchenius & Papebrock (i). Cette conduite irrégulière & iiïcon- féquente des Papes, cette indifférence pour la vraie difcipiine de l'Eglife, pa- roît être juftiiîée dans un Concile tenii à Limoges l'an 1031. On y voit qu'il importe peu qu'un Prêtre foit rafé ou non. On y balance les raifons des Grecs & des Latins ; on y dit que ces derniers s'appuient fur l'exemple de Saint Pierre. ( Cette aifertion efl: contre toute vérité,' c'eif ce que prouvent tous les monu- mens qui nous ont confervé l'image de ce Saint), On ajoute, en faveur des Prêtres rafés, qu'ils doivent être diftingués des Laïques par leur exté* rieur. Cette raifon, ii elle étoitjufte, ne vaudroit que dans les temps où (i) Voyez Prop¿¿sum, déjà cicé^age 30» F 2. ■f24 Histoire la Barbe feroit à la mode chez leá féculiers ; & elle deviendroit un pré- de la cepte de plus aux Prêtres porter , chez une Nation qui ne la porte pas, Apôtres » Paul, ôc Jacques frère du Seigneur, ÍÏ difant avec raifon, car il faut tout avouer que les Clercs , comme les 33 , Laïques doivent conferver fur leur 03 , M face comme cet ornement de la virilité, 3» une dignité de la condition humaine, dignité créée par Dieu »3 même, & dont » il a voulu ho- que l'homme feul fut noré. Pour les Clercs, ils doivent être a» 93 diftingués feulement par la tonfure de 33 la tête, Les Grecs ajoutent de plus que notre Seigneur de Nazareth porta tou- 3» » jours la barbe sd . Par cette feffion du Concile de Limoges, il n'eft point fait mention des deux Conciles qui défendent cxpreffément aux Clercs de fe rafee la DE LA B A E E E. 12f barbe , pas plus que de l'autorité des Pères & de la Loi du Lévitique ; e'étoit pour s'accommoder aux cîrconftanees : &C on conclut fur cette matière, que Ji les Grecs rHont rien à nous reprocher , nous n avons rien non plus a reprocher aux Grecs (i). D'après cet aveu, tout oppofé qu'il eil à la difcipline fondamentale t on fera fort étonné d'apprendre que, la même année 1051, un canon du Concile de Bcaurges ordonne à tous les Eccléiiaftiques de fe rafer la Barbe (2) t on ne le fera pas moins de voir le Pape Grégoire Vll^ jadis Frère Hildebrand , Moine rafé, homme turbulent, ambi- tieux, ennemi déclare des Empereurs & des Rois, foutenir avec fermeté qu'un Prêtre barbu étoit criminel de leze-Chré- (i) Et hac in re neque illi nos ^ noque nos pojpimus reprehendere iLlos , Çíc. Concil. Lemo- vkenfe , anno 1031 , feifio ir, afta Conci!. tom. VI. fa) Concile de Bourges, canon 7. Fi; '126 Histoire tiente. C'étoit un grand tondeur de bar- bes que ce Pape Grégoire ; il fît tenir un Concile à Gironne en 1073 , où il défendit formellement aux Clercs de porter la barbe (i). Peu d'années après, ce tyran des barbes ayant appris que » PArchevêque de Cagliary confervoit la iienne dans toute fa longueur, il lui or- donna auiîi-tôc de fe rafer, 6c en même temps il écrivit, en 1080, à Orzoc, Po- deitat de la ville , ces di¿)oíítions .... a Nous ordonnons donc que votre Evê- ï> que, notre frère, fe rafera la barbe y à 93 Vexemple de tout le Clergé occidental, qui »3 a confervé cet ufage depuis le commen» 9» cefitient de la foi chrétienne (2) : en con- V féquence , nous vous commandons - r ' ' ' I ... .. {^i) Sjrnodus Gerundcnjis ^ cun, VII f T/iafo- TUS anccdotorum. (2) Scilicet ut qucmadmodum totius occident salis Ecclefce CLerus , ab ipfs fidei chrijiîana primordiis, barham fddendi morcm tenuity Greg. Papx VU, Epift. lib. Víll ad Orzoc, judicem Calaritanura. t>E LA BARBE. 127 35 auííi de forcer tous les Eccléfiaíliques 33 qui font fous votre puiffance de fe 3» rafer la barbe j & de confifquer tous 35 les biens de ceux qui refuferont d'o- 33 béir, au profit de l'églife de Cagliary : >5 armez-vous de févérité, de peur que » cet abus n^aille plus avant 35» Cette lettre, tome fondée fur Tim- poílure, & qui caraâàrife û bien fon auteur i annonce la prochaine deftruc- tion du peu de barbe qui refioit encore fur ks mentons des Prêtres Latins, Ce fut fans doute dans ce temps que pri- rent naiffance ces conftitutions dè radm- dis barbîs, qu'on lit encore dans pbdinni*» Communautés; & bientôt les Laïques furent les feuîs qui purent, fans crime, porter la barbe au menton: mais ce ne fut pas pour long-temps. Les Prêtres d'Allemagne ne tardèrent pas à fuivre cet exemple : c'eil ce que prouve un fragment de kitre.rapporté dans la nouvelle HiÎloire des Bénédic- F 4 128 Histoire tins de la Forêî Noire, oii Sigefroy ât Goet^ ie plaint amèrement au réforma^ îeiir Papon, que les Allemands corn- mencent à imiter les François dans plu- fleurs ufages efféminés , entre autres, dans celui de fe couper la barbe. Dans la fuite , les Prêtres ne vireat pas fans une jaloufe confuilon qu'ils étoient féparés du refîe des hommes par une diílínélion fi humiliante : quel parti avoient-ils à prendre pour foulager leur amourpropre oiFenfé? LaiiTer croître leur barbe? La difficulté de rordonner, même quelque temps après l'avoir défendu, ne pas : mais la querelle des Grecs étoit encore trop récente pour jeiTembler à ces fiers Si clair-voyans en,- Jiemis. Afin de rendre les chofes égales , on fe décida à faire la barbe à tous les Laïques : ce moyen parut très-plaufible, & l'on commença parles Princes. Celle de Henri 7, Roi d'Angleterre., fut la première viéfime de la conjura- ©ELA Barbe. 129 fíòn. Serl'on d^Abond, Evêque de Séez, rechargea de la conquête de cette royale" toifon. £.e jour de Pâques de l'année 'Iioj", il prêcha devant ce Prince & toute fa Cour : fon fermon roula tout entier fur les cheveux & fur les barbes í il s'emporta notamment fur lia longueur de ces dernières, qu'iKprétendoit coti- traire à l'efprit de la reljgion : fon tort véhément, fon éloquence pathétique-- ment redondante, attendrirent tous les» auditeurs. Le Roi, pénétré de compono- fion, voulut le premier donner rexempfe d'un facrifice auiïi faint & auiîi nouveaiî que courageux : alors le Prédicateur s'ap- prochant, tira de fa manche une paire de cifeaux, & tondit dévotement le mentom de ce Prince. Toute l'affiftance, entrai- née par cet aâe de Religion, voulut Ti- miter, & le faint Evêque devint le" tondeur de tout l'auditoire. Cette étrange* comédie, qui ne fut pas la feule, pa- loîtroit une fable, ii le Père Mabilloiv n'en rapportoit très^ - férieufement le& F s 130 Histoire détails dans fes Annales Bénédic* tines (i). Quelques années après, la Barbe de Louis le Jeune iubit le même fort. Ce Prince ayant brûlé trois mille cinq cents Champenois qui s'étoient réfugiés dans l 'églife de Vitry (2), fut bientôt en proie à fes remords. Pierre Lombard, Evêque de Paris (3), aiTura qu'il n'y avoit pas de moyen plus efficace pour expier ce crime, que de fe faire couper bien vite ia longue barbe. Louis le Jeune vit bien que rien n'étoit plus raifonnable j & ce (i) Jl·Ioxque EpifcopuSi extradis èmanicâfor·» ficibus, primo liegem , poji careros Optimates ettondijfe lib. , «S'c. Annal. Eénedift. 70. ( 2 ) Dans la guerre qu'il eut ^ foutenk contre ThibaultyQoxniQ de page 5 ( 3 )ú^liiLippe , frère du Roi, étant nommé à l'Evêché de Paris, fe trouva indigne de cette place ; il la céda âce Eierre Lombard^ qui, fui» vaut Zuinger ^ l'an 1160, employa fon autoriré épifcopale à faire lafer tous les Prêtres & les. JWoines de fon Diocèíè» DE LA BARBE. 131 pieux Evêque remplit lui-même auprès de ce Roi la fonilion de Barbier. Frédéric /, dit BarberouJJe, ne fut pas exempt de la commune loi ; la couleur d.e ia barbe , l'exemple de deux Princes, & les vives îollicitations du Clergé le déterminèrent à fe faire rafer ; & cet Em- pereur, qui avoitcourageufement refiifé de tenir l'étrier au Pape Adrien IF, de baifer fes pieds, & de conduire fa ha- quenée par la bride, n'eut pas la force de réfiiler aux Prêtres en cette occaiion. Il fuffifoit au Clergé d'avoir rafé les principaux Princes de l'Europe , pour s'attendre à voir beaucoup d'imitateurs dans le refte du Peuple. Biefi mieux que la violence, l'exemple auroit triomphé des barbes qui reftoient encore i mais l'eiprit des Prêtres de ces temps d'igno- ranee ne connoiffoil point de moyens tempérés. Un jour de Noël de l'an 1105* ^ Godefroy, Evêque d'Amiens, en célé- brant l'Office de la MeiTe, projeta de? I (5 i&É ^^2 H istoire dépouiller fans tniféricorde tous les men>^ tons barbus V ceux qui fe préienterent à l'ofFrande avec une longue barbe, furent honteufement renvoyés. Epouvantés ds ce cruel refusla plupart des hommes s 'empreiTerent de fe couper le poil du . mentonemployant à la hâte des cifeaus & même des couteaux,- pour pouvoir fe préfenter tout de fuite & plus digne- ment devant leur EvêqueCi). Jamais la raifon ne fut le principe pareilles, indécences,. Il femble que la vérité fe foit vengée de ces temps îhep- tes> & fuperilitieuxaux dépens des bienféances. L'enviefous le voile impofant de la religion , venoit de répandre fon fiel la vengeance étoit.confommée-; tous les mentons étoient rafes : l'Egîife JouiiToit de fon triomphe.. Le temps modère tout^ même la colère des dévots ; on oublia (i) Vo.yez le Mercure, de France.de Janvis:]? BE" LA R A R E E. bientôt Ies anathêmes qu'on a voit lancés contre les barbes: les fucceiïèurs^de ces Papes même, qui avoient régardé un Prêtre barbu comme atteint d^un péché fcandaleux-, bientôt ne craignirent plus de pécher eux-mêmes ;• ils reparurenîr avec de longues barbes. Tels on vit, en différens temps, Henri Ul, Alexandre IF, Adrien V y Jean XX y Nicolas Illy &c. &c^ Le calme ne fut pas long; un nouvel' orage s'éleva contre les barbes facer» dotales : l'envie & l'ignorancelavoient formé pour détruire l'ouvrage de la paix & de la raifon. La vicifcitude des choies humaines ne refpeéle rien. Louis V en Allemagne, Pierre le Cruel en Efpagne, Philippe de Valois en. Francey avoient repris la barbe : la mode gagnoit l'Eu» rope entière. Les Prêtres n'ont pas un- caraftère qui lés mette à l'abri du pou- voir des modes ; plufieurs furent les ef» claves de celle qui ramenoit l'iifage des*- Èarbeg,. Les Pages mêmes ne la dédain; 134 Histoire gnèrent pas; ce fut dans ce même tempá que Ton vit s'armer contre les nou- veaux mentons barbus une foule de Conciles provinciaux :en 1523, des ña- tuts fynodaux de l'églife d'Orléans de- fendent aux Eccléñafliques de porter des barbes longues, fous peine d'excommu- nication. Cependant ,.fuivant la qualité condition des perfonnes ( i ), d'autres ñatuts fynodaux de l'églife de Béziers ordonnent aux Prêtres du Diocèfe de fe tondre la barbe ôi les cheveux,, à l'excep- tion de la couronne, afin qu'ils s'occu- pent plus diligemment de leurs études & de leurs fondions ( 2 Un Concile provincial de Paris , un autre de Sens, ordonnent la même cbofe ; un Concile de la même ville de Béziers , fous l'Archevêque Pierre Narbonne , en i^i)StatiiTa fynodalia ecclejîee Aiirdianenjîs^ anno 1313» AmpliJJlma. Colleñio veterum Script tommy Ùc% tom. 13 par Jkfartenne 8c Durand^ [i)Statuta jjnodali eccclejîa Jiitteris, l'élit, ' Tliaeforus Anecdotorum,- DE LA BARBE, r^f 135*1, canon XI, défend de porter de longues barbes; & pour punir un ufage auiîi téméraire, y efl: il dit, on con- damne les contrevenans,ii c'eft un Cha^ noine, à être privé de la didribution du jour^ & ii c'eil un Bénéficier, à payer la fomme de douze deniers ap- plicables à Téglife (i). Des iîatuts fy- nbdaux de l'églife de Saint-Malo, en 1370, condamnèrent aufiî rufage des barbes i & toutes les barbes facerdotales furent tondues. Dans cette profcriptîon générale, on voit que celles des Laïques furent cette fois épargnées. Sans doute que le temps où les Prêtres pouvoient faire dmpuné- ment la barbe aux Peuples & aux Rois, commençoit à paiîèr. Les Moines avoientdepuis. long- (i) ALioquin , canonîcum privatum diftributio- nlhus illius diüi ejfe voLumus , S* £eneficiatum- puniripanâ duodecimorum denariorumpro taliuju temerarioftatuimus & mandamus Fabrics illius €cdejîa applisandoaim^ Th^orus Anecdotorum» H r s T o I R Ë temps,, preferit des- règles fur le régimd' de leur menton : en 807, à l'Aifemblée" d'Aix-la-Chapelle , on ordonna que les^ Moines ne fe raferoient point de tout le carême& que le refte de l'année ils fe raferoient une fois tous les quinze jours. Dans les ftatuts Ss coutumes de diiférens Monailères,- on -^oit que leS' Moines fe faifoient rafer,, à l'exception' des Frères laïques, que l'on nommoit Fratm barbati. Frères barbus ( i). Om trouve même dans de vieux manuf" crits les prières que l'on réeiroit lorf- qu'on tondait la barbe à un Moine clerc. L'humilité étoit l'efprit de cet ufage qui fe pratiquoit avec beaucoup- de cérémonie. A la prife d'habit, on faifoiî la bénédiHlorl· d& h barb& à\.\ Can^- didat ; ôi loriqu'il étoit fait Moine , il confacroit fa barbe à Dieu. Cette cé-' rémonie étoit également en vigueur chez les Pàyens. Voy&i_ pagi i.\. 4mdiblip.es^ par Mabilion, LibT.i^^ DE E A B A P. B E. 137 Un nouveau calme fuccéda à cette nouvelle tempête ; il fembloit annon" cer les plus beaux jours des longues barbes : auiîi reparurent - elles dans toute leur majeftéantique./w/ei //donna le iîgnal;toute l'Euro^pe l'imita; ce Pape, par fon air vénérable, rappeloit l'image des anciens Patriarches. Les Cardinaux , toute l'Eglife,ftiivirent avec empreffe- ment un exemple auiîi louable. Le fiècle étoit plus éclairé ; on oublia lés an- ciennes difputes , ou bien l'on n'y penfa que pour gémir fur l'injufíice de leur caufe. L'orthodoxie des barbes étoit feconnue : la vérité brilloit alors dans tout fon éclata mais la fombre envie vint enfin l'obfcurcir:,on cria à l'orgueil,au fcandale; on renouvela des querelles qui- devoient être à jamais enfevelies dans l'oubli des temps. La jalouiie , à l'abri d'un prétexte faint, ne s'éleva qu'avec plus d'audace j les efprits s'é- ehaufFèrent» Que d'écrits parurent !, que de violences Ique de fureurs L,,.. .Se/Ziat 15^ Histoire hórrida^ hlla,,.^ cerno Mais n'anticipons point fur des faits auffi précieux ; tâchons toujours, avec la même impartialité , de découvrir l'origine de tant de troubles^ Le fameux Grec Be^fadon^ d'abord Archevêque deNicée, enfuiteCardinal enfin Patriarche de Confiantinople , étoit venu en Italie avec l'Archevêque de Ruiîie, pour travailler à la réunion des Eglifes Grecque & Latine» B^iTarion foufcrivit fans peine à l'orthodoxie de cette dernière ; & c'eil ce qui lui valut le Chapeau de Cardinal ; fa longue barbe & celle de fon compagnon y accoutu- mèrent la Cour de Rome, BeiTarion étoit , un des plus grands Hommes de fon fiècle; chacun briiloit de reiTembler à ce per- fonnage illuftre , ne fût-ce que du côté du menton j & fa belle barbe grecque, l'ob- jet des défirs de tant de gens, fit bientôt éclore une foule de barbes latines (i)» ( i ) La barbe dç ce Cardinal ne fut pas auflî bien accueillie en Fiance. Ce grand Hoiniue y Quelques années après, Jules II fut élu Pape : fa jeunefle, peu convenable à la majefté du Pontificat, lui fit prendre le parti de laiiîer croître fa barbe, pour infpirer plus de refpeéf : il fut le premier Pape de fon temps qui donna à l'Eglife un exemple auiîî faint, auiH raifonnable. Clément VII^ un de fes fucceiTeurs, ne fut pas d'abord un de fes imitateurs; mais ayant été détenu cinq mois en prifon par Charles de Bourbon , Général des armées de l'Empereur, il enfortit comme régénéré & triomphant, la face ennoblie d'une volumineufe barbe, qu'il ne voulut jamais quitter. Cet ufage fut ayant éti envoyé Légat, vifîta, par politique, f le Duc de Bourgogne avant de voir le Roi Louis XI. Ce Roi de France fut fi piqué de la pré- férence qu'il donnoit à fon ennemi, qu'à la pre- j mière audience qu'il accorda à ce Légat, il le ^ faîfic brufquement par fa longue barbe, en lui difant des injures. Le Patriarche fut fi fenfible à cet affront, qu'il en mourut un an après. i 140 H I s T o I R E avidement adopté par les Eccléfiaíliques qui, parleurs revenus ou leurs emplois , tenoient un rang diftingué dans l'Eglife ou dans l'Etat. Ce fut alors que le Clergé fubalterne, les Chapitres fur-tout s'é- ■levèrent fortement contre cette préten- due indécence. On voit que, fouslow/i XÎI, un M®, Antoine de Langheac , Cha- noine de l'Eglife de Paris , Abbé Cha- noine de celle de Clermont, Confeiller Clerc au Parlement & Ambaiïadeur à. la République de Venlfe, ne put entrer au chœur de Notre-Dame de Paris avec fa longue barbe. En coniidération de la- commiiîîon dont leRoiFavoit honoré,, il obtint enfin d'afiifter à Matines, qui fe difoient alors à minuit ( i )• Bientôt on fut moins fcrupuleux , tout le Clergé prit la barbe i tout, jufqu^au moindre (i) Ce faic& cette permiflion font inférés dans- le regiitre des conclufions capitulaires de Tannée- rjO)', fe voit aux archives de l'églife rné— trop.olitaine de Paris.. ' pE LA BARBI. ï4ÏÎ Treftolet, embraffoit cette mode, pouc fe donner un air pontifical (i); lorfqu*en France , François I, qui pouvoit fe glo- rifier d'avoir porté la première barbe de fon Royaume, par des raifons éco- nomiques, arma d'un fer deilruâeur les ennemis des barbes cléricales, & donna lieu à la guerre dont nous allons parler. Ce Roi, pour tirer de l'argent des EccléfiaftiquesdefonRoyaume , comme le dit lè Doéleur Zuingcr, contempo- rain, obtint du Pape un Bref qui or- donnoit à tous les Prêtres de France de fe rafer, ou bien de payer une cer- taine fomme pour avoir le droit de (i) Beroali de Verville , dans fon Moyen de parvenir donne une raifon de la ^ promptitude avec laquelle les Prêtres imitorént les Papes. « Je vous dirai une remarque, c'eft que quand le Pape a la barbe grande, les Preftres la veulent avoir de inefme; s'il ha le menton raz, les Preftres le veulent aufli, pour ce que chacun prérend aq. papal». Moyen de parvenir y chap, tom. ï42 H î s T o I R È portería barbe (i). Cette contribution fui un pareil fondspouvoit être d'un grandie» cours dans des momens de difette. Fran-, çois I l'éprouva ; tous les Prélats hupés, touslesEccléiiaftiques de la Cour, tous les Bénéficiers, tous les Abbés à préten» tion payèrent, & gardèrent leurs barbes ; tous les Chanoines à mince revenu, tous lès Vicaires de Village, ainfi que les pau- vres Curés, s'affranchirent de l'impôt en fe rafant : ôc voilà la fource des trou- bles qui agitèrent le règne de Henri II» La différence des mentons des Prêtres d'un mêmeRoyaume, caufa cette guerre lourde & inteftine , dont la jaloufie feule alluma tous les feux. C'eft ici le lieu de parler des difcuf- fions qui, pour une affaire de barbe, commençoient à troubler l'ancienne Ca- pitale du monde. Des êtres remuans {I ) Thsatrum vîtes humanes Theodori Zuingcrîy hh, 2. de LA B arbe. 14,3 6¿ jaloux fomentoient en fecret leur ruine j l'alarme croiiToitj les barbes étoient en danger : Furrias Vakrianiis fe préfenta pour les défendre. Cet homme , un des plus favans & des plus barbus de fon fiècle , difcuta avec le plus grand talent la caufe qu'il avoit entreprife; fon livre, intitulé pro Sacèrdotum Barhis^ eil dédié au Cardinal Médicis^ De l'érii- dition, un raifonnement juile, une élo-; quence preiTante, font les premières qua- lités defon difcours; on y voit que l'Aim teur étoit rempli de fon fujet; il cite une foule d'autorités, tant facrées que profanes, qui concourent à faire triom- pher fa caufe; il fe plaint quelerefpeél que l'on doit aux Minières de la Divinité n'a déjà que trop diminué, fans chercher à l'anéantir par un ufage déshonorant ; il ajoute, que Jéfusndi jamais donné au- cune loi qui tendît à réformer celle du Lévitique, que nous avons citée; & que le fils de Dieu même ayant donné l'exemple de cette difcipline, tous le^ ï44 Histoire Chrétiens doivent rimiter. « Quelle 53 folie, s'écrie-t-il, de prétendre que la 35 barbe , qui a été donnée à la Divinité, 35 devienne indigne de fa créature » ! Il démontreque iecanon du Concile de Car- thage j qui défend aux Eccléiiaftiques de nourrir leur barbe, a été entièrement tronqué: il réclame le fentimentde tous les grands Hommes de fon temps, plu- lieurs anciens manufcrits'^ entre autres celui qui eft dans la Bibliothèque Pa- latine (i). Examinons maintenant s'il mérite { i) » Qui ofera, dit-il , foucenir que la barbe » n'eft pas l'ornement de Tbomme , le fvmbole » delà probité & de la juftke j qu'elle ne répande » pas fur la figure un air grave & févère ; j'en- » tends parler de ceux que la raifon détermine » plutôt que l'opinion ? Si l'on convient donc >» que la barbe eft l'ornement de l'homme hon- » nête & jufte , pourquoi ne feroit-elle pas l'or- 55 nement le plus décent d'un Prêtre qui doit être 55 un exemple de vertu», y^pologia Joannis Pie- rii palcriani hdianen. J'ai vu trois éditions de cet Ouvrage. quelque DE LA BALSE. 145" quelque confiance, ce canon du Con- cile de Carîhage, qui a aiitorifé les dé- clamations & les anathèmes des anti- barbus. Voici, fuivant eux , les exprei- fions du canon de ce Concile \*Ckricus me comam nutrîat nec harham j ôi les voici, fiiivant les partifans des barbes : Clericus nec comam nutrîat, nec barbam radat. Le premier défend l'ufage des barbes, le fécond l'ordonne. Ainfi, le mot radat ^ ajouté ou fnpprimé, fait toute la quef- tion. Il femble d'abord, en faveur des men- tons barbus, que la terminaifon de phrafejWec barbam^ indiqueroit la fup- preiTion d'un verbe , tel que radat effet, il auroit ét^plùs fimple & plus régulier, dans le même fens, d'écrire, Clericus nec comam me bàrbam nutrîat. Cette objeélion, qui commence à éclairer la fupercherie des ennemis des barbes , n'auroit qu'une foible valeur , fi elle n'étoit confirmée par une foule de preuves triomphantes, & fur-tout par îc G '1^6 Histoire íèntiment des plus célèbres & des plus laborieux Commentateurs, tels que les VhïQS Labbe ^Hardouin^ M. Sa-^ varon, dans "fon Commentaire fur les Epîtres*de Saint Sldoyne Jppollinaire y fouîient avec chaleur que l'on a fupprimé le mot radat dû canon 44 de ce Concile de Carthage, & que l'iifage des longues barbes y étoit précifément ordonné. Le Père Sïrmond , qui donna quelque temps après an public un Commentaire fur les mêmes Epîtres, ell du fenjiment de M, Savaron fur la fuppreiîion de ce mot radat, Charles Dumoulin dans fes no^ ■tes fur le chapitre 5* du titre P'. du 3^. livre des Decrétales, aíTure que le texte de ce canon a^té mutilé, & qu'il faut lire nec barham mdat. Voyons fifr quelles autorités eil fon- dée l'opinion de ces Savans. La plus grande partie des manufcrits des Con- ciles portent le mot radat, Pierrius Va- lerianus , dans fon livre pro Sacerdotum Barbis, en cite plufieiirs, ôc ce font les de la B arbe. 147 rnoins fufpeils. Le Père Labbe a ájouté une note au canon en queilion , dans îaquelle il fait le dénombrement des ma- nufcrits oil fe trouve le mot radat. Le Père Hardouin aiTure que cet important radat exifte dans les maniifcrits les plus authentiques, tels que ceux des bibllo- îhèques de Corbie, de Gibîou, de Bar- berin , de Paris , &c. De ces preuves modernes paÎTons à celles que l'Antiquité ou les contempo- rains de ce Concile doivent nous fournir. SaintSidoyne Appollinaire, dit très-clai- rement, en parlant du temps de ce Con- cile de Carthage : Turn coma bnvîs & bàrba prolixa. ; alors on portoît les cheveux courts & la barbe longue. Tertulien parle très-longuement de ce même Concile ; il foutient que le mot radat a été re- tranché du canon 44; il fe récrie contre la licence de fon fiècle, trop fertile en -pareilles fraudes, & il dit expreiTément : Corrigendum eji reponendumque , jiixta jidem yeterum exemplarium ^ CUricus nec 24S Histoire comam nutriat^ me harbam radat. Ce Canon doit être corrigé , & , conformément à la fidélité des anciens exemplaires ^ Il doit être écrit, qu aucun Eccléjiajîique n entretienne fies cheveux & ne fè rafe la barbe {1). On voit combien nosEccléfiaftiques à man- teau court font éloignés de cette édifiante difcipline. (i) Il eft peut-être à propos de relever une erreur de chronologie qui exifte dans les époques de ce Concile de Carthage & de la vie de Ter- mlien. Tous les Commentateurs & Chroniqueurs placent ce Concile l'an 3^8 , Se la mort de ce Savant environ l'an %zo de notre Ere. Suivant eux, il auroit vécu environ un iîècle & demi avant ce Concile. D'après cela, on eft bien furpris de trouver dans les Ouvrages de ce même Ter- tulien fes obfervations fur ce Conçile de Car- thage ; on l'eft bien davantage de voir qu'il en parle comme d'une époque bien antérieure au temps où il écrivoit : car en condamnant la fup- prellîon du mot radat^ il dit qu'il faut le rétablie conformément à la fidélité des anciens exem- fizix.es juxta fidcm veterum i exemplarium ^ G't» L'anachronifme eft de plus de deux fiècles, be la B arbe. 149 . Saint Epíphane vivoit aii temps de ce Concile de Carthage : ce Saint étoit favant. Cherchons dans fes Ecrits fi l'ef- prit des Pères de ce temps annonce la profcription des longues barbes. Voici comme il s'exprime à l'égard des hé- rétiques Maffaliens. « Eil-il rien^de plus 3» odieux de plus contraire aux bonnes 5 53 mœurs que leurs ufages ? Ils fe cou- » pent la barbe qui eft le propre de la K virilité, & portent les cheveux très- » longs. Cependant les expreiîions fa- 33 crées des conftitutions des Apôtres ■» prefcrivent dogmatiquement le régime 33 qu'on doit obferver à l'égard de là »> barbe ; ileft ^éfendu de n'en rien cou- enfin » per, de peur que l'on ne vienne 33 à fe la rafer entièrement, & que l'on » ne s'empare des manières efféminées » ôc du luxe des infames débauchés ( í ). (i) Sed deterius quiddam , a.c contrarium ah illis geritur Jîqiddera ijii barbam , hoc : ejî, propriam viri formam ^ refccaiw, capillos veré ^ G 3 IJÒ H I s T o I E E Ces reproches, bien concluans en fa- veur des partifans des longues barbes, le deviendront bien davantage, & fer- meront la bouche à leurs adverfaires, fil 'oïl obferve que ce même Concile de Carthage condamna comme hérétiques ces mêmes MaiTaliens auxquels Saint Epiphane fait un crime de leurs men- tons rafés. Ëil-il vraifemblable qu'on condamne les Mafialiens comme héréfi- ques, & que dans le même temps on prefcrive aux Prêtres chrétiens de les imiter, 6c de fuivre un ufage qui eft regardé comme la marque la plus fcan- daleufe de la débauche : une telle loi feroit le comble de l'ir^onféquence. Il eft bien plus raifonnable de croire qu'au lieu d'ordonner aux Prêtres de fe rafer le m flurimum , ^rolixio'res habcnt. Atqui quod ad barbam .atîinet in Apojiolormn conflitutionibus divino Jermone , à dogmate prafcribitur, ne ea corrumpatur ; hoc ejî, ne barba ponatur, neve meretricius culms îy ornants ufurpetur, 6dc. Saint Epiphane contre les hérétiques MaiTallens, fea. VIII. t>e la B arbe, ísiéntòn on le leur , défendit, pour qu'ils ne reffemblaffentpas aux hérétiques Maf- faliens. D'ailleurs que pourroit-on oppo- fer tenu au Concile de Barcelone, quel- que temps après celui de Carthage; Con.- ciîe qui n'a éprouvé aucune contradic- tion, oîi l'on renouvelle la défenfe defe couper la barbe ? On y lit, au canon 3 > nullus Clericorum comam nuirlât aut bar- bam fadat. Qiiaucun Eccléjiafliquc nen- tîetîenne fes cheveux & ne fe rafe la barbe, La fraifde des Prêtres-antibarbus efl: donc démontrée : le mot radut a donc été fupprlmé du canon 44. Ce Concile de Carthage, ou ont aÛiiié deUx Séiit • quatorze Evêques , défend donc aux Ec- cléfîaftiques de fe couper la barbe, & établit fur ce point l'opinion générale de la primitive'Eglife. Si l'on ne favoit pas que des intérêts particuliers peuvent difpofer les hommes à contredire les principes les mieux * fondés, on feroit fans doute bien fur- pris de trouver même des Savans dif- 1^2 Histoire tingues, qui ont ofé écrire que l'opi- nion générale de la primitive Eglifeconr- damnoit les longues barbes. A leur tête eille Cardinal Bízrí>.w/5( tom. T, ad.ann. 48). Renvoyons les profélytes de ce crédiile Légendaire au Mercure d'Avril 1765" ; ils y verront qu'un favant Jéruice, le Père Oiùdin dans fes recherches fur la Barbe , prouve que ce Cardinal étoit de mauvaife foi, ou qu'il n'avoit pas bien voulu lire fon A. Epiphane, Les réglemens des Synodes & des Conciles provinciaux , qui fe font auto- rifés de ce Concile de Carthage pour défendre aux EccléfiaO.iques l'ufage des lons barbes, Oues doivent donc être né- xeiTairement nuls : Tediiice croule de lui- mehsiÇ, loriqu'on en a fapé les fonde- inens,^ Mais revenons aux défenfeurs des barbes dufeizième fiècle : Pkrrius ne fut pas le feul athlète qui parut fur cette * arène. Adrien Junius, Habile Médecin, Savant diilingué, dans fon Commentaire D E L A B A R B E. 1^3 furies cheveux , parle très-Lnguement de la barbe des Prêtres , avec autant d'é- îoquence & plus d'érudition que fon pré- déceiTeur ; il rapporte tout ce qui n'a pas encore été dit d'avantageux fur fou fujet : il ne craint point de paiTer en re- vue le fentiinent & l'exemple de tous les anciens ; il qtablit, que quand même iln'exifleroit aucune loi, aucune conili- tution, aucun Concile qui ordonnât aux Prêtres de conferver leur barbe longue, ils le devroient, par la raifon qu'elle donne à celui qui la porte un air grave ^ févère, & refpeûable , qui convient iî bien aux Miniftres des Autels, & que c 'eft pour eux un luxe bien criminel , que, pour plaire aux hommes, ils déna- turent ainii l'ouvrage de la Divinité (i). Ces ouvrages firent leur effet : cepen- dant le Pape Faul ///, mécontent du (i) De comâ Commcntarium Aàriani Junii Hûnani', Medici^ ca¿>. H de rafurâ capillorum ^ariier & barba» G y 15-4 H istoire ton tranchant de Pierrlus & des vives forties qu'il avoit faites contre les mœurs * des Prêtres du fiècle , ne vouloit pas pa- roître y condefcendre : mais fans lancer un décret en forme contre les barbes, comme on l'avoit annoncé > il fe con- tenta de charger un Cardinal d'ordon- ner fommairement aux Prêtres de fe ra- fer(i;. La plupart firent peu de cas de cette (i) Beroalde ic moque des Prêtres rafés de ce temps. Il dit qu'on l'ordonna ainfi, afin que le regret qii Us ont de nofer ni vouloir fréquenter la douceur de ce mondene -parut aiiciuiement ; joint qii Us doivent être joyeux { venite ei'uite- mus ) , & que Leur ejîat efi une joie perpétuelle ^ laquelle il faut faire paraître, encore qu'elle ne fit pas ; c ejî-là la caufe pour laquelle ils fe font fait rafer le menton , pour ce qu'il femble qu'un homme, uinjî réparé du bas du mJnois, rit toujîours .... De là eft venu & procédé ce canon àu Concile de Quarante : Le P re STRE ÏERA SA B aRÏE en COUENNE DE LARD, afin qu'il paroijfe toufîours riant^ friant, fringant, dcnec, ^c. Moyea de parvenir, chap. Allégation, de ea B arbe. ordonnance ; quelques-uns, plus fcru- puleux non fans , obéirent, répugnance: il s'en trouva même de ces derniers , 4 comme le rapparie Gemien Havet, qui eurent à fe repentir de cette exaélitude: entre autres, il parle d'un nommé nicus Thomeus , nonagénaire , qui, après avoir été rafé, iiiivant l'ordonnance ,, fut tout *à coup tourmenté par de fî cruels maux de dents, qu'il fut obligé d'avoir recours à la clémence du Sou- verain. Le Cardinal Bembc lui expédia line permiiîion de porter fa barbe d'une- longueur raifonnable. PaíTons maintenant en France, où le Bref du Pape, obtenu par François I, lit naître l'envie que les Prêtres rafés portoient aux Prêtres barbus. La jalouiie fèrmentoic depuis long-temps, oc n'at- îendoit, pour ie manifeiler, que la mort de ce Prince > dont on fembloit refpeêfer encore les ordres. Cette haîne, déjà trop accrue par cet obftacle, éclata enfin fur la perfonne de Guîllcuime Duprat^ fils G é 1S6 H -I s T o IRE du fameux Chancelier de ce nom : il re- venoit triomphant du Concile deTrente, oil fon éloquence l'avoit fait remarquer, & alloit prendre poiTeiîion de l'Evêché de Clermont, dont il étoit pourvu de- puis quelque tems. Qu'on fe rappelle qu'il étoit porteur d'une des pins belles barbes du Royaume. Un jour dePâques, s'étant préfenté à fon églife 'cathédrale pour y faire l'office, il trouva les portes du choeur fermées ; trois dignitaires du Chapitre l'attendoient à l'entrée ; l'uti tenoit un rafoir, l'autre des cifeaux,. ôc le troiiième le livre des anciens ftatut? de cette églife, & montroit du doigt ces mots,^ar^/i rajis. A la vue de cet appareil effrayant, le Prélat vit bien qu'on en vouloit à fa barbe : cette belle barbe, le plus cher objet de fes foins , deux de ces funeftes ennemis fembloient la menacer du fer dont ils étoient armés; le troifièrae ne ceiToit de crier : Révérend Père en Dieu, barbis ra/is» L'impatient Doyen s'empa^ •DE la B arbe. 15:7 toit déjà de ceite toifon épiicopale., lorfqüe-notre E-véque barbu l'arrcta, & s'étant un peu raiTuré, lui remontra qu'il ne convenoit point de travailler le jour d'une ii grande fête, & qu'il valoir mieux remettre cette opéra- tion au lendemain : mais l'éloquence du Prélat temporifeur ne faifoit que gliffer fur ces efprits intraitables ; rim- pitoyable Doyen ne lâchoit pas prife : indigné de cette violence révoltante, effrayé pour le fort de fa barbe chérie, Guillaume. Duprat prit foudain la fuite , en criant : Je fauve ma barbe , Gf lai^e monEvêché (ij. Il fe rendit furie champ (t ) Guillaume Majour, Dofteur de Sorbonne & Chanoine de Téglife de Clermont, dans un Ouvrage intitulé Défenfe de feu M. Savaron, &c. foutient, contre M. l'Abbé Faydit, que cette anecdote eil: une impofture de Ton invention. Pour laver fes anciens confrères du reproche d'avoir voulu tondredeur Evcque, dans l'ardeur de fon aele il fe répand en inveélives contre fon , adverfaire ; mais il prouve au moins, "dans fa, ij-8 Histoire en fon château de Beauregard, qui eft à trois lieues de Clermont, & jura de ne plus habiter cette Capitale. Ce fut dans cette retraite, qu'affe£lé violemment de l'affront que fa barbe avoit reçu , il tomba malade, & mourut, dit-'on de chagrin (i). Cette funefte nouvelle fît frémir tout le Clergé barbu. L'étendart de la révolte, étoit levé ; la ruine des barbes cléricales eioit réfolue j mais Hinri 11 s'en mon- tra toujours le défenfeur. Chaque nou- vel Evêque mettoit fa barbe fous la, proteftion de ce Roi. La lettre qu'il fut longue réfutation , que les Clianoines voyoient avec chagrin une longue barbe au menton de leur Evêque, & que quand ce dernier vouloit aififter à quelque iynode, il étoit obligé de de- mander à ion Chapitre la perraiffion d'y venir fans fe raièr. Il cite plufieurs délibérations capi- tulaires, par lefquelles on lui accorde cette miífion. per- (i) Voyez le tom. VllI des Caufes célèbres y Chanoine refufé pour ùre trop petit. DE LA Barbe , ijrp obligé d'écrire, le 27 Décembre lyji, au Clergé de la ville de Troyes, qui refuioit Antoine Caraciole pour Evêque à caufe de fa longue barbe, prouve le vif intérêt qu'il prenoit aux barbes des Prêtrés de fon Royaume : « Chers ÔC » bien amés, y eif-il dit, pour ce que 33 nous doutons que vous foyez poiir faire difficulté de recevoir en votre 33 M églife notre amé & féal coufin Meffire » Anioine Caraciole , votre Evêque , fans premièrement il ait fait rafer 33 que 33 fa barbe, au moyen de quelques ílatutá 33 que vous avez accoutumé d'obferver 33 en tel cas : à cette caufe, nous avons >> bien voulu écrire la préfente pour vous >3 prier que vous ne veuilliez arrêter 33 à cela, mais l'en tenir, en faveur 33 de nous, pour exempt, d'autant que » nous avons délibéré de l'envoyer en 3> brief en quelque endroit hors du 33 Royaume, pour affaires qui nous im- 33 portent,oii nous ne voudrions qu'ilallât îs» fans fadite barbe, Nous affurant que 't6o Histoire » vous le ferez ainíi, nous ne ferons plus » longue lettre, fi ce n'efi: que ferez, S3 en ce faifant, chofe qui nous fera » agréable, vous difant à Dieu, chers S3 & bien amés, qui vous ait en fa garde, » donné à Fontainebleau, &c. (t) 3>. Le ton pacifique qu'employa Henri lî ne réuifit guère auprès du Clergé fu- balterne ; la guerre étoit trop allumée : tous les jours nouvelles fcènes, nouvelles attaques de la part des mutins ; nou- velles tentatives du Roi pour les ap- paifer. Ce fontales Chanoines du Mans, qui refufent de recevoir le Cardinaf á'Angennes pour leur Evêque, à cauic de fa longue barbe. Le Cardinal leur écrit pour les prévenir j le Roi leiu: écrivit encore pour les calmer : ils ne veulent rien entendre ; il fallut que ce Prince leur envoyât des lettres de juf- fion, par lefquelles il ordonnoit au Cha- (2) Cette lettre eft tirée de veterum Scriptorum & amplijjima colk^io , tom. I, par Mattenne & Durand. la B arbe. j6I de pitre du Mans de recevoir ledit Evêque lans le requérir de fe rafer la barbe. Quelques années après, les Chanoines d'Orléans font difficulté de recevoir M. de Morvillier pour leur Evêque : le Roi fut encore obligé d'éctire aux Chanoines pour les prier de vouloir , bien le recevoir avec fa barbe. Les - Chanoines d'Amiens refufent également leur Evêque & il eil obligé' d'avoir , contre eux un fameux procès pour foute- rir la caufe de fa longue barbe. Dans le même temps, ce fut avec la plus grande peine que l'on parvint à faire recevoir Chanoine à Notre-Dame de Paris, Pierre Lefcot de Clagny avec la bar- be : il eut befoin de joindre à fon mérite perfohnel, les qualités de Confeiller de la Cour , d'Aumônier du Roi , &c. Bientôt après, la Sorbonne décida férieufement que la Barbe étoit con- traire à la modeftie facerdotale (i). Un ( I ) Le premier Juillet cette célèbre* ï62. HiStGIRt arrêt du Parlement de Touloufe défendît en même temps aux Clercs de porter là barbe (i),Mais la perfécntion fortifie ce qu'elle s'acharne à détruire : les barbes triomphoieut de toutj on fut même juf- qu'à leur donner une forme plus gra- cieufe ; on les frifa : c'efi: ce qui paroît par ladéfenfe que fit le Clergé deBour- ges de porter des barbes frifées* Antoine Hotman écrivit dans ce temps fon Po- gonias ^ on dialogue fur les cheveux ôc fur la barbe ; il conclut par faire l'éloge de cette dernière. En ijrydjavoit déjà paru iinPoëme-en quatrains, intitulé Eloge des barbes roujfes. En i y , fut pu- blié un livre intitulé la Pogonologie , par jR. Z>. P. 5 à Rennes, in-8 : & Geniien Compagnie oidonnaà tous fes fuppôts , Dodleurs & Bacheliers, &c. de porter là barbe rafe, &c. Non déférant barbas Ù veniant tonjî. (i) L'Auteur .du Livre intitulé dit à Pogonologie ce propos, que ceux qui avoient intention d'abufer des expreilions de cet arrêt , faifoient porter leurs barbes par leurs Laquais. D E LA B A R B E. j6J Hervu compoía trois difcoiirs far la Barbe. On voit, par ces diíFérens Ecrits, que dans ce temps-là on étoit plus oc- cupé de barbes qu'aujourd'hui. Comme Ies meilleures choies ont des détraâeurs , la Barbe en trouva un dans la perfonne de ce Geniuîi Hervct, favant Orléanois. Il compofa un Difcours latin contre les barbes j mais bientôt, ébranlé par les fortes raifons de fes adverfaires, il en compofa un fécond, oîi il avança qu'il étoit indifférent pour un Prêtre de porter fa barbe ou non :eniin, entraîné la (orce de la vérité, il finit par par compofer un troiiième Difcours, dans lequel il ïoutient avec vigueur qu'un Prêtre doit abfolument avoir une longue barbe au menton (i). Malgré fes fuccès, fes apologiffes, & (i) Le premier de ces Difcours efl: intitulé , • de radendd harhâ Orado j le fécond de vel alenda , vel radendâ barba. ^ & le troiiîème alenda ,• barbs. î(?4 H istoire fes pniíTans partifans, la Barbe avtíít encore fes ennemis; les provinces étoient fur-tout le théâtre des cabales foiirdes, OÜ fe tramoient à l'aife ^ loin de la Cour & des pAiiffans barbus , les complots de vengeance , dont les eiFets éclatèrent iouvent dans des Conciles provinciaux ; & la plupart de ces Conciles, mus par des fentimens oppofés, fe contrarioienc dans leurs dédiions. Deux Conciles provinciaux , tenus à Narbonne la mênie année ijyi 5 avoient ordonné à tous les Prêtres du Diocèfe de fe rafer au moins une fois le mois: un autre Concile, tenu à Reims en 1583 , avertit feulement de fe cou- per les poils de la lèvre fupérieure, afin de pouvoir communier fans obilaçle. Un Concile de Bagnères, de la même année, annonce les mêmes difpoiitions. Un Concile de Rouen, en 1581 , or- donne aux Prêtres de fe rafer entière- ment la barbe, que l'on regarde comme line chofe, y eil-il dit, qui déshonore DE LA BARE'^. l6j; le miniftère des Autels. Un Concile de Malines en 1^79 > condamne abfolii- , ment l'iifage de porter la barbe, tandis qu'un autre Concile, tenu en la même ville, vingt-huit ans après, déclare à peu près le contraire : on fe contente d'ordonner de coupèr un peu le poil de la lèvre Supérieure ( i De tous ces Conciles provinciaux ne , on peut con- dure autre chofe, fi ce n'eft que la fu- reur de l'efprit de parti s'étoit intro- duite jufques dans le fanâuaire de la vérité y propager le défordre ôç , pour l'irréfolution. Toutes ces ordonnances ^phémères n'eurent d'autres eiFets que de prolonger le règne des barbes des Prêtres i elles fleuriiîbient encore fur leurs mentons , iorfque les féculiers n'en ponoient déjà plus. La mode fit en peu de temps ce que tant d'efforts redoublés n'avoient (i) Voyez, pour tous ces Conciles provin-- ciaux, A£lii ConciLiorum da Père Hardouin» 266 ^ Histoire pu opérer pendant plus d'un ííècíe. Les Papes coniervèrent leur barbe allez long- temps, & le premier qui s'eit rafé en- tièrement, fut Clément Xî, qui vivoit au commencement de ce fiècle. Prefque tous les Prêtres la quittèrent infenfiblement. Les Auguftins , qui portoient en- core la barbe, rougirent de n'cîre plus à la mode; ils envoyèrent le fameux Père Eujiache. des Petits Auguilins de Paris, pour obtenir à Rome la permif- fion de fe rafer le menton. On affure que ce Père Euftache mit, dans cette dé- putation, toute l'adreiTe d'un Politique & toute l'importance d'une grande affaire. Il y eut cependant de vrais croyans, de fidèles obfervateurs du Lévitique ôc des préceptes de la primitive Eglife , gens fur qui la mode a peu de pouvoir, qui confervèrent courageufement leur barbe jufques vers le milieu du fiècle de Louis XIV. Un très-refpedable Curé fe trouva dans ce cas : lorfque l'Evêque fit la vifite de fon Diocèfe, il parut avec DE LA Barbe; 1^7 une face ornée d'une barbe vénérable.. Le Prélat fe récria beaucoup fur ce qu'il fe donnôit ainfi des airs de Patriarche, tandis que lui, fon Evêque & fonder- gneur, étoit r|fé ; & il finit par lui ordon- ner formellement de fe défaire de fa longue barbe. Le pauvre Curé eut beau lui citer l'exemple du Pape vivant alors, celui de Saint François de Sales, &c.; PEvêque fut inexorable, & le Curé ne jugea pas à propos d'obéir. Piqué de fon opiniâtreté, ce Prélat lui envoya une lettre de cachet pour l'exiler de fa Cure. Par une inconféquence bien rare , on avoit laiifé le lieu de l'exil en blan'c -, le Curé y écrivit Verfaïll&s, & fe rendit fur le champ a ce féjour de nos Rois, Là, il affeûcit de fe trouver par-tout où Louis XIV pafioit : fa longue barbe fut enfin remarquée par ce Prince, qui le fit appeler, & lui demanda ce qu'il fai- foitici, Se pourquoi il avoit une barbe il extraordinaire. Le Curé raconta fon aventure : le Roi s'en amufa, renvoya Histoire ce grave Pafteur auprès de fes ouailles f & ne manqua pas de blâmer l'Evêque d'un caprice aufli ridicule (i). Depuis ce temps les barbes ont en- fièrement difparu, & n'^nt exifté que fur le -menton des Capucins; encore la jalouiie religieufe les a -1 - elle pourfuivies jufqu'à ce dernier retran- chement : combien de *riailleries n'ont-elles pas caufé de la part des au- tres moines ! que de libelles, que de produdions polémiques elles ont eu à foutenir(2)! Tels font les livres (i) Voyez le toin. VIII des Caufes célèbres. Chanoine refufe -pour être trop petit. Cette aveq- 'ture a fourni la matière d'un petit Poème bur- lefque, intitulé L'Exilé à Verfailles , qu'oa trouvera à la fin de cet Ouvrage. (i) On reproché à plufieurs Coinraunautés de Capucins d'avoir, dans de certaines occafions, caché leurs barbes. On a dit que ceux de Mont- pellier , vers le commencement de Février 1731, jouèrent, dans le Réfeétoire du Couvent, la Tragédie d'e PolieúLle , & dansèrent, dans les intitulés j DE LA Barbe. îritkulés le liajibus ou le Procès fait à la entt'ades, pour fêter l'arrivée áii Provincial, & que, pour jouer les rôles de femmes, ils mirent leur barbe dans une mantonnière de par- cliemin peint en couleur de chair. Les Capucins du grand Couvent de Lyon, en 1757, don- nèrenc auffi un fpeélacle à leurs amis & à leurs confrères du fécond Couvent ; ils jouèrent pen- dant trois jours de fuite les Fourberies de Scapin : le Père qui étoit chargé du rôle de Scapdn, le rendit avec beaucoup d'intelligence. On ajoute qu'un de ces P».évérends danfa avec beaucoup de grâce & de fouplelTe uae danfe d'Arlequin,, & que, pour remédiera l'inconvénient des Ion- gues barbes , ils les avoient renfermées dans des bourfes de taSétas' couleur de roiè. A Gre- noble & à Vienne, les Capucins fouèrent auilî la comédie, & couvrirent leurs barbes de la même manière. C'efc pour prouver qu'on ïie laiiToit échapper aucune occaiîon défaire la guerre aux barbes capucinales , que nous rapportons ces anecdotes imprimées autrefois par les en- nemis des Capucins. Ces Religieux, aujourd'hui, n'ont point à redouter de pareils reproches j ils ne jouent pas la comédie, ils ne cachent pas leurs barbes, & ils fe font également refpeftef H iyo Histoire harhe, des Capucins ( i ) ; la Guerre Jera-' phiquc ou Hijloîre des périls qu a courus , la barbe des Capucins par les violentes at" taques des Cordeliers (2); les Capucinsfans barbe &c : Ouvrages de Tenvie ou de , la vengeance, dont je me garderai Men de faire mention, à caufe de mon grand éloignement pour la fatire. On ne s'eft contenté d*écrire : les avions les pas plus violentes, les plus contraires au droit des les gens, ont été employées par ennemis des barbes capucinales. La triile cataftrophe arrivée, l'an 1761, aux Capucins de la ville d'AfcoIi, dans la Marche d'Ancone, prouve jufqu'à quel point la vengeance des Moines eil cruelle : voici ce qu'on trouve dans la Gazette d'Utrecht de ce temps-là. « Nos par la gravité de leur extérieur & par l'étendue de leurs connoiiTances. (i) C'eft un petit Dialogue imprimé à C01» bgne, .1718 , in-îz. {^) Ouvrage rare &c curieux, quoique mal écrit, fur l'établiiTement des Capucins, imprimé 4 la Haye, 17^0, iu-u. DE LA BARBE. IJt » RR.PP.Capucins n'ont maintenant plus « de barbe. Un de leurs Frères Convers, » Cuiíinier du Couvent, ayant mis dans » leurs alimens une dofe fuffifante d'o-« j M pium, les a tousdébarbiiîés dansleur: ; » profond fommeil, & a enfuite jeté ■ » le froc aux orties. Les Capucins font 33 il honteux de cette comique aventure, oc qu'ils n'ofent plus fe montrer en pu- a:blic(i} 33. Qui eil-ce qui ne vok pas dans cette adion révoltante, que la plus noire jalouiie a armé le bras dé I ce miférable Frère ? Qui ne reconnoî- troit pas la vengeance d'un Moine îta- lien , dans cette moiiTon de tant de refr peâables barbes ? Après tant d'avanies^ comment veut-on qu'elles puiiTent encore fe foutenir ? Sans l'exprès commandement de porter la barbe, qui fe trouve dans le Bullarium des Frères de cet Ordre, (i) Voyez la Gazette dUtrecIit du Vendredi Juin 17615 cette aventure a fourni le fujet d'un Ouvrage intitulé ¿es Capucins fans barh0 H 2 172 Histoire ils anroient, depuis long temps aban- donné le trifte refie de l'antique ma- jefté des Patriarches (i). Ils étoient bien loin de penfer autrefois que la barbe , qu'ils regardoient comme un ornement refpeâable, deviendroit un jour l'objet du mépris public;, ils étoient bien loin de penfer qu'elle devoit fervir à leur humilité extérieure, qu'ils faifoient jadis confiiler feulement dans la couleur le prix de leurs habits ; mais le temps pervertit tout (2). Pendant que plufieurs Souverains s'occupent de la deftruûion des mo- nafteres ou de la diminution des Moi- nés , le Miniûère de Portugal vient de fe diilinguer, non pas en les dé- truifant, mais en les rendant plus ref- peflables , en les éloignant des pratiques (1) tam illi, quam vos harbam dcferre. §. 7 , Bullarium Ordinis Fiati'orum Minorura S. P. Francilci Capucinornm, com. i. (2) Quad vefiiinentorum viLitas attendatur in ■£reii.o paritsr Ù colors* Bullarium idsm, çoip, i « DE LA Barbe. 175 mondaines, & en leur reilituant toute leur gravité antique: il a été ordonné, en 1784, à tousles Religieux de quel*- que Ordre qu'il ioient, fans diftindlion , de laiffer croître entièrement leur barbe (i). La raifon , l'intérêt de la religion ^ qui dépend fur-tout du refpeâ qu'inf- pirent fes Miniftres , une loi expreffe de la Divinité , l'exemple du Légiilateur des Chrétiens & de la plus grande partie des Papes, un précepte des conilitntions des Apôtres, le fentimentgénéral de la pri- mitive Eglife ¡Sc deíous-les Saints Pères en particulier, la décifion de deux Con- ciles : voilà fur quels fondemens eil ap- puyée l'obligation où font les Prêtres ca- tholiques de porter de longues barbes, Qu'auronî-ils à oppofer à tant d'auto- rites refpedables ? La mode ? Un Em- pereur Payen oppofa, à ceux qui lui ( I ) Voyez le Mercure.de France , nouvelles folitiques de Liibonelé zp Janvier 1784. H 3 174 H I s T o I K B reprochoient de ne point fe rafer lè menton, i'aufîériré de fes moeurs, ÔC répondit :Jene veux point jeter ça & là des regards tendres & pajjionnès , embellir mon vifage en rendant mon ame hàdeufe ^pour devenir agréable, déêtre philofophe. Et ailleurs : Par bonheur, je ne me fonde ni de donner ni de recevoir des baifers ( i ), (i) Le Myfopogon de l'Empereur Julien. de la Barsi, i75 CHAPITRE X. De.s Peuples qui portent la barhe, T Xjes Capucins, les Chartreux , tous les Moines Portugais, les Prêtres & les Payfans Ruffes, tous les Prêtres du Rit Grec, les Juifs Allemands, les Ana- baptiñes font les feuîs en Europe qui portent de longues barbes. Prefque tous les habitans de TAiie portent, fuivant leurs âges, les moufta- ches ou la barbe plus ou moins longue. Tous les Peuples fournis à la Loi de Mahomet portent la monffache jufqu'à l'âge de quarante ans, époque oîi ils laif- fent croître leurs barbes, qu'ils confer- vent toute leur vie(i). (i) Il eft, en Tnrquie, telle dignité où une ÎGBgue barbe eft de la premiere importance. H 4 17^ Histoire Toute la partie feptentrionaíe de l'Afrique eil habitée par des hommes barbus. La nature a refufé de la barbe aux ^différentes peuplades de Nègres quice- cupent l'intérieur peu connu de cette partie du monde. Dans la plupart des liles de la mer Pacifique, les hommes confervent leurs barbes, & quelques-uns leur donnent différentes couleurs. L'Auteur des Recherches philofophïques fur les Américains , le. Doéleur Robertfoa dans fon HijlolreAmérique beaucoup d'autres Hiiloriens refpeclables, fou- tiennent que tous -les naturels d'Amé- rique ont le menton abfolument dé- pourvu de barbe; ils n'en exceptent que les Efquimaux^ habitans de l'Amérique feptentrionaíe, qui portent la barbe, & dont la figure n'a point le caradere de celle des naturels ( i ). Cependant M. (i) Il eft prouvé depuis quelque temps que DE LA BARBE. 177 Cc?o¿ rapporte que le manque de barbe, chez quelques peuplades d'Amérique, eil moins une défeftuoiité de la nature, que l'effet de l'ufage oii ils font de fe l'arracher plus ou moins : c'eft ce qu'il a obfervé à Nooika, dans fon troiileme voyage autour du monde : tous les vieil- lards qu'il a vus fur la côte occidentale de l'Amérique , portoient d'épaiiîes bar- bes, mais qui étoient liffes comme le font ordinairement leurs cheveux. les Efquiraaux defcendert d'une colonie Euro- péenne de Danois & de Norwegiens qui ont 'aborde par l'Iflande en cette partie de l'Ainé- rique , pluiîeurs iîècles avant- que Chriftophe CoLomh en fît la découverte. Cette vérité eft ap- payée fur l'hiftoire du temps & fur des monu- mens des arts & de la religion des Européens, trouvés dans ce pays. Vôyez Hijîoire des dé- couvertes & de la navigation dans le Nord , par J. R. Forfier. J'ai lu un manufciit françois pat M. P. D. L. C. , où l'origine européenne des" Efquimaux eft prouvée de la manière la plus inconteftablei ■ u , "5 ÍÍ7S HIST O ire Dans rintérieiir de l'Amérique, le Capitaine Carver a rencontré des Sau- vages avec de longues barbes au menton, iVoici ce qu'il objefte à ceux qui ont nié ce fait .'cc Lorfque ces peuples ont paffé » l'âge delà puberté, leur corps,dans w leur état naturel, eft couvert de poils, » ainii que celui des Européens. Les >9 hommes, il eft vrai, jugeant la barbe 39 très-incommode, fe donnent beau- 9> coup de peine pour s'en débarrafferj 99 & on ne leur en voit jamais que lorf- 99 qu'ils deviennent vieux, & qu'ils né- 30 gligent leurs figures. = Les Nando 93 wefles & les tribus éloignées l'arra- 99 chent avec des morceaux d'un bois » dur, qui forment des pincettes; ceux » qui communiquent avec les Européens 99 fe procurent du fil d'archal, dont ils 30 font une vis ou tirre bourre; ils ap- 99 pliquent cette vis fur.leur barbe, en 99 preftent les anneaux ; .& en donnant « une fecouiTe brufque, ils arrachent les de la barbe. 179 » poils qu'elles ont faiils (i) ^>. Voyages ■de CzxwQVipag. 22^ 22^ de îoriginal, ■ Le mafqiie de l'armure de Monte:{uma, dernier Roi du Mexique, confervé à Bruxelles, Se fur lequel on voit de très- larges mouftaches, femble confirmer les obfervations de MM. Cook Se Carver : il eft évident que les Américains n'au- roient pas imité cet ornement de l'hom- me, fi la nature ne leur en eût offert le modèle. Ainfi, les obfervations faites par M. Cook fur la côte oueft de l'Amérique, celles de M. Carver dans l'intérieur du continent, le monument des anciens lîfages du Mexique, qu'offre le mafque à mouftaches de Alonte^uma, prouvent que l'aifertion des Hiftoriens contre les barbes américaines eft au moins dou- ( î ) Les Infulaires de Sumatra s'arrachent la barbe de la même manière. ( Voye^ le xroijièmc J^qyagede Cook , tom. 3 , pag. 76. ) H 6 18o H istoire teufe, fi elle ne il pas deilituée de fon- dement. D'après les obfervations de tous las voyageurs, il eil confiant que les hom- mes qui habitent les zones tempérées, 6c qui font le plus avantageufement fa- vofifés de la nature, font aufîi les plus barbus ; on peut remarquer encore que les peuples qui fe font le plus conflam- ment occupés à fe rafer la barbe , font les plus foumis à l'empire des femmes, & par conféquent les plus frivoles. DE LÀ BARBE. i8i CHAPITRE X.I. Conclusion, XjA raifon, le vœu conftant de la natu- te, détermineront-ils enfin nos hommes du jour à adopter l'ufage des longues barbes î Je n'en crois rien. > C'eft à l'opinion', à la mode qu'eil rcfervé le droit d^ine pareille révolution. Mais il eil dans la fociété, des hommes qui doivent être indépendans de ces deux piiiiTans mobiles : ce font ceux à qui le peuple eft fubordonné, à qui la Religion & i'Etat ont commis leurs intérêts & leurs pouvoirs. Ces média- teurs entre Dieu & fa créature , entre la loi & le citoyen, fortis de la claffe commune, doivent en être diftingués. La régularité de leur conduite n'eft pas leur premier devoir ; c'eft l'art de fe revêtir des dehors de la fageffe & de 1^2 HIS T O ire la gravité : il ne leur fuffit pas d*avoir toutes les vertus qu'exige leur état , il faut encore qu'ils en aient l'extérieur. Le peuple ne voit que par les yeux du corps; les objets phyfiques ont feulsle droit de captiver fa vénération ou d'exciter fon mépris. Si l'homme qui veut acquérir le refpeft & la confiance du public, néglige de s'éloigner des ma- nières, du coftume, ou des modes vul- gaires^ il verra bientôt difparoître ce refpeâ & cette confiance. Nonfeulement l'individu , mais encore la dignité dont il efi revêtu perdra de fa confidération ; il reiTemblera à ce Roi foliveau que Jur piter envoya aux grenouilles : fon peu de preftance lui attira le mépris & les înfultes du peuple aquatique. De tous les moyens extérieurs qui peuvent fubjuguer l'admiration du peu- pie, la barbe eft fans contredit le plus puiflant, le feul qui n'eft pas recherché, le feul naturel, & qu'on ne peut raifon- nablement taxer de vanité ni d'orgueil. DE LA BARBE. 183 L'Antiquité a toujours penfé que la re- ligion& les mœurs étoient intéreiTées au maintien de cet ornement du vifage de l'homme, Auiïi quels Prêtres étoient plus refpeftés que ces vieillards à barbe blanche des anciennes religions, fur- tout ces Patriarches des Ifraélites? Dans le Chriftianifme naiffant, quelle véné- ration n'attiroit pas la face grave éi iévère des Pères de l'Egîife ? Où font-ils ces hommes divins ? où font, avec eux, le refpeèl que l'on doit aux Miniftres de la Divinité ?... Si la vue journalière des objets qui ont le caraftère de la grandeur & de la majefté, élève l'ame de lui donne du ref- fort ; la vue des objets qui ont le ca- raèlère de la foibleiïe, l'énerve infenfi- blement & la dégrade. L'ame fe peint fur ie vifage : l'homme qui ne voit, dans celui de fon femblable, que l'image de la moileiTe, apprend bientôt à ne plus l'eftimer, à ne plus le refpeéler ; la pieufe vénération , la confidération 184 HIST O T R E fincère, la,tendre amitié, (ont rempîà- cées par la politeííe & les bienféances, qui ne font que le vernis de l'intérêt & de régoïfmej on ne remplit plus les devoirs de la fociété, on ne fait plus le bien pour fa propre fatisfadion j & fi l'extérieur efféminé des hommes n'eil pas la feule caufe de ces maux , il y contribue beaucoup. Dans les vaftes régions de l'Orientj oírles longues barbes font en honneur, Thofpitalité j la piété filiale, la fidélité dans les engagemens, font les premières vertus : les hommes s'y refpedent. Pre- nons un peuple que la même loi affn- jettit à peu près aux mêm.es mœurs que les nôtres, les Chrétiens grecs ou la- tins qui fe trouvent fous la domination mufulmane : chez eux, l'adultère y efl prefque inouij les femmes n'y font ce- pendant point renfermées; mais elles refpeâent leurs époux,. Se ces époux portent de longues barbes. Aujourd'hui ou eft la piété filiale? DE LA BARBE 185* les triftes rides de la face de nos vieil- lards ,'qui infpifent nos dégoûis & nos mépris ^ prévaudront-ils fur la douce majeilé d'une longue barbe blanche ? Oil eft la fidélité conjugale? A-t-elle été moins obfervée que dans les temps , dans les pays oii l'homme a préfenté, à un fexe qui lui doit être foumis, un ex- térieur féminifé? Combien d'individus, dans ce fiècle de turpitude , font les triftes ou lâches viffimes de cette vé- rité ! Je le répète ; l'extérieur eft un des grands mobiles d'un Etat monarchique, fur-tout chez une Nation fuperficielle. Otez aux fujets leurs bienféances popu- îaires, leurs pratiques; aux gens en char- ge, leu r décoration, la forme de leiir cof- turne, leur couleur, leur dehors grave & impoiant: vous détruifez la plus grande partie des vertus fociales ; plus d'énergie, plus d'élan dans les ames ; tous fes ref- forts font engourdis, fi vous ceiTez de fournir au peuple cet aliment à fon ima- i8<$ H istoire gination. Les chimères ont produit unô foule de Héros; la raifofi, en analyfant iout, a intimidé, ralenti la marche de nos aftions ; le luxe, &c. &c. ont achevé l'ouvrage. Auiîî quelle généra- tien que la nôtre ! Jadis, la lanterne à la main , Diogène parcouroit en plein jour les rues d'Athè- nés,pour trouver un homme : que trou- veroitdl aujourd'hui dans notre immenfe Capitale ? des fquelettes animés, des femmes, des enfans, des chevaux, Sz cette multitude de machines roulantes, dont l'ufageincommode écrafe les uns, & achève d'enlever aux autres le peu de force qui leur reile. Trouveroit-il des hommes dans ces êtres à manteau court, dont la toilette recherchée fait la plus grande affaire ? Un efprit brillant de fadaifes empruntées fait leur plus grand mérite. Poudré, rafé, voyez ce moderne Cryfoilôme, courant chez la vieille coquette , chez la femme du monde, ou chez le financier. Il va D E L A B A R B E. 187 répéter par-tout íes mêmes phrafes adu^ latrices. Là intrigant ou vil , flatteur; ici, libertin décidé ou ridiculement doucereux , il devient par-tout un par- ticulier effentiel ; c'eil un ioujou, un vrai meuble de toilette que cet Abbé. Rien ne coûte à ce charmant apoîogifle ; il eil:, il pehfe ce que Ton veut qu'il fort ce que l'on veut j qu'il penfe : il fait fort bien fon métier d'Abbé. Notre fage Athénien trouveroit - il des hommes parmi nos Pariiiens? En- fans, ils font hommes,hommes,vieil- lards & ils s'obilinent à fuir la na- , turc qui commence à fe laifer de les pourfuivre. Un efprit foible & frivole, une face blafarde & efféminée, on les prendroit pour des femmes déguifées. Blafés fur toutes fortes de jouiffances > ils le ne connoiifent d'autre vertu que talent d'être agréables, d'autre vice que le mauvais ton. Trouveroit-il enfin des hommes dans ces guerriers délicats qui donnent jour- ï88 Histoiks neliemeíit , à leurs fubalternes , deS exemples de leur molleíTe ? Mais vous. Soldats François, refte précieux du paíriotiíme & de la valeur nationale , confirver-en toujours l'exté- rieur; maintenez avec foin fur votre vifage ce figne de la vaillance, de la vigueur. Se de l'intrépidité; maintenez ces itères monftaches qui font l'attribut des Héros ; fouvenez - vous qu'elles étoient l'ornement des Turenne, des Condé,&c. &c.. ïlferoit donc avantageux à ceux qui, par leur état ou par leur dignité, font deilinés à commander aux autres , à les endodriner , ou à mériter leur confiance, de laiiTer croître leur barbe dans toute fa longueur, tandis que le militaire ne devroit garder que la mouf- tache, qui donne à l'homme un air mar- tial & vigoureux. Si l'exemple de quelques Grands , ou 11 quelques événemens politiques faifoient revivre enfin l'iifage des ion- DE LA Barbe. 189 ^ues barbes concilier en- , on pourroit core notre délicatefle , notre urbanité avec la majeflé de l'homme. A l'exem- pie des fiècles derniers, ne feroit-il pas poiTible que le bon goût donnât à la barbe des formes gracieufes ? Ce foin occupant ceux qui fe font une af- faire de paroître agréables, les détour- neroit peut-être d'un luxe plus dange- reux. Outre le refpeél: d'un homme en- vers fon femblable, d'un fexe envers celui qui lui eft fupérieur ; cet ufage porteroit avec lui un autre avantage. La reftemblance des fexes femble incli- rter l'homme vers ces débauches hon- teufes qui jadis ont fouillé la gloire de la Grèce &c de Rome, débauches que l'on ofe à peine indiquer, & qu'une diftinftion plus marquée entre l'homme ^ la femme contribueroit beaucoup à détruire. On ne pourra jamais en difconvenir, il faut que l 'homme paroiffe ce que la nature l'a fait : c'eft le fentiment d'tm IÇO H ISTOIRE Peníeur illuftre, d'un Moralifte pro- fond ( i ). Je ne puis mieux terminer que par fes propres expreffions. « Une femme « parfaite & un homme parfait ne doi- « vent pas plus fe reffembler d'ame que » de vifage : ces vaines imitations de « fexe font le comble de la déraifon; « elles font rire le fage & fuir les amours... » Enfin, je trouve qu'à moins d'avoir « cinq pieds &c demi de haut, une voix: « de bafîè-taille, & de la barbe au men- « ton, l'on ne doit point fe mêler d'être « homme ». (i) J. J. Rouilèau. DE LA BARBE. 191 A VERSAlLLES{x). X-Jn Prélat d'im rare mérite. Et digne de la pourpre au moins. En faifant un jour la viiite Du troupeau commisLà fes'foEins. Zï L É Fut reçu dans certain Village Par un Curé dont le vifage A tel point le fcandalifa , Qu'enfin il le dépayfa. Il faut vous faire la peinture De fa fcandaieufe figure, (i) Ce petit Poëme, à cauiè de fa rareté Se à caufe de la mention que nous avons faite de l'a- necdotefur laquelle il eft fondé, ne fera pas déplacé ici; L'exemplaire que je poifède fourmiiloit de fautes & d'incorrections j je me fuis permis de le rectifier. içi Histoire jAfín tie juger fainement Et du crime & du châtiment; Vous parler de la procédure Que tint le févère Prélat, Pour lui faire ôter fa parure Dont il faifoit -bien plus d'état Qu'une belle de fa coiffure, Qu'un jeune Abbé de fon rabat j Et par quel adroit artifice. Le Pafîeur, qui n'étoit point fat, Sut la fouflraire au facrifîce. Sa face avoit pour ornement, - Qu'il cultivoit foigneufement. Une barbe à la Patriarche, Avec un long nez aquilin, La tête chauve, un front ferein; Joignez une grave démarche, Vous trouverez que fon afpeâ: Pouvoir infpirer du refpeél. Quant à fes moeurs, je les ignore, Ainii je ne vous en dis rien -, Mais je puis ajouter encore Qu'il paiToit pour homme de bien i Aufíi dit-on que fes ouailles Avoient DE LA BARBE. Avoient pour lui, depuis trente ans. De refpedueux fentimens. Quelles fe trompoient ces canailles ! Notre Prélat, voyant plus clair, l'envifagea bien d'un autre air. Prévenu que la difcipline Aux Pafteurs ne permettoit pas De n'avoir point le menton ras; Il fut fi choqué de fa mine, Qu'il lui dit d'un ton rude & fee : Ftes-vous donc un Prêtre Grec, Ou bien un Miniftre de Berne? Moi , dit le PaBeur fubalterne. Non, Monfeigneur, graces à Dieu, Je crois être bon Catholique: Queil-ce qui peut vous donner lieu De me prendre pour Hérétique ? Votre barbe, dit le Prélat, Qui iied fort mal à votre étaf. Il eft vrai qu'au temps de Moïfe Pareille barbe étoit permife. Parce que les Peuples groiîîers N'avoient point alors de Barbiers: Mais depuis long-temps, dans l'Eglife ; I ,H I s .T o ï R. E . r tarnode n'en eft plus de m.iíe; - On ne la voit plus qu'à des gens • Qui font do rebelles enfans , Comme Grecs, Juifs, & Mofcovites^ Et tels autres hétéroclites ; Qui font entêtés follement Du ridicule ajuftement Que fait line barbe à l'antique. Ainii, tout bien confidéré , ■ I» • Ea yptte, Moniteur le Curé, Vous donne l'air d'un Schâfmatique ; ^t air enfin reft; fcandaleux . Or tout ce qui nous.fcandalife,- Fuifent les pieds, les bras,4es yeux. Doit fe retrancher fans remife ; Votre barbe étant.d^ns ce cas, XI vous faut donc la mettre à bas. Cet argument théologique Ne demeura pas faps réplique. Le Pafteur homme ferme & , droîtj Lui répondit d'un grand fang-froid : Monfeigneur, votre fyllogifme Eft .un véritable fophifme,, , N'en déplaife à Votrç.Çr.andeur.: ] i D E L A B A R B E. JpS. •! Quoi! la barbe, que la Nature, ? j Pour mieux dire , le Créateur, Donne à rhonime pour ia pâture, 1 Seroit fujiette à la ceniure ? ! La barbe eft la marque-formelle .] De la noble virilité, I Et de la jufte autorité i Dont l'homme a droit fur la femelle: ■ En effet, elle a tant d'appas, j Qu'on a vu les grands perfonnages, i Dans tous pays, dans tous les âges, ! S'en.faire honneur jufqu'aii trépas.: Pour n'être foupçonné de fchiime. Je laiiTe là le Paganifme. Sans donc vous parler de Soîcn , i Lycurgiie, Ariftore & Platon , Si fameux dans l'antique Grèce i Par leurs lois, fayoir, & fagefte,, . ¡ Gens à barbe longue d'un pié., Ou tout au moins de la moitié *, Il n'eft pas un feuf Patriarche, Depuis celui qui, bâtit l'Arche, " . jiifqiies au chafte époux Jofèph, Point de Juge, de Rois, de Chef^ I 2. I 'iç6 H istoire Dans tous les temps du Judaïfme , Qu'on ne nous dépeigne barbus. Parcourons le Chriftianirme, Vous n'y gagnerez guère plus. Tels ont été les grands Apôtres, Pierre , Paul, prefque tous les autres} Les Ambroifes, les Auguftins, Les Athanafes , les Jeromes, Les Grégpires, les Chrifoilômes, Et deux cents Pontifes Romains ; Tel encore un François de Sales. La barbe de tant d'hommes faims Fut-elle un fujet de fcandales ? Et parce que des Aportats, Des Luther, Calvin, Çarlortadts (i), 'Aufli longue qu'eux l'ont portée, P'héréfie eft-elle infeélée ? • ^—"—————— -. ■ . . ( i ) Célèbre ProfeiTeur à Wirternberg ; ayant embraiîé la fefte des Abécédaires qui penfent que, pour être fauvé , il faut ignorer jufqu'à 1*A B C, U foula publiquement aux pieds fa jrobe , fa calotte, & fcs parentes de Doéleur, Si (ç fit Porte-faix. ce la barbe. 15)7 Non : de nos jours les Capucins, Barbus à l^inñar des Saints Pères j Ne font pas gens moins exemplaires Que bons Catholiques Romains. S'il falloir juger par la mine> I)ans des momens d'humeur chagrine j On diroit que tous les Tafés Sont des hommes féminifés. Mais qui veut fe rafer fe rafe : Pour moi, j'eftime honnête & bon D'avoir longue barbe au menton y Et peu m'importe qu'on en jafe^ Je veux vivre & mourir barbon. Vous en favez plus fur la barbe," Répondit alors le Prélat, Qu'un Médecin fur la rhubarbe: Mais pour finir notre débat. Apprenez que tout homme fage Doit fe conformer à l'ufage. Les Capucins, que vous citez > Ne s'en trouvent pas exemptés; S'ils portent du poil au vifage , C'eil-là leur mode & leur partage. ij ip8 histoire Mais chacun aujourd'hiti l'abat Comme un excrément inutile; Autrement d'un cerveau débile C'eft porter le certificat : Difpofez vous donc à l'abattre. Sans vouloir être opiniâtre ; Je vous le commande en Prélat, Et Prélat qui fait la mafiière De commander pour obtenir, . C'eft-à-dire , qui fait punir L'infolence d'un réfraftaire. Figurez-vous un criminel Entendant lire la fentence Qui le condamne à la potence. Vous concevrez l'état cruel Oil l'ordonnance & la menace Mirent le Pafteur contumace i Il tomba prefque en pamoifon: En retournant à fa maifon, G Ciel ! diibit-il en lui-même. Un Janfénlfte, un Anathême Seroit traité moins durement. Encor s'il avoit pu détruire, déla BARBE. îpp Par un íeul petit argument, * ■ Les raifons que j'ai fu lui dire"j J'obéirois plus aifémeht. Mais qu'a (i mode , à fón caprice j J'offre ma barbe en facrifice, Et que j'en fois , moi, le bourreau j Non je ne" faurois m'y ré'fòudfe : Qu'il lance contre moi la foudre , Je veux la porter au tombeau.' C'éft ainii qu'en homme de tête , Se tenant ferme comme un roc , Notre v^aillant-Héros s'apprête A foutenir-un rudè choc ;' Et que , s'armant de patience ^ Sans obéir à l'ordonnance , Il s'attend à l'événement Du plus, terrible châtiment.' Il étoit prefque las d'attendre,' Quand une lettre de cachet, - Que fon Evêque lui fait réndre, Mit fon deftin au clair & net. On veut donc que je me promène? Dit-il en prenant lè paquet; AiTurément c'éft fort bien fait : u 200 H istoire. Òiii-dàj j'en accepte la peine. Et m'y foumets plus volontiers Qu'aux ñscaies mains des Barbiers, Ouvrons donc. Qaand il vit la lettre... L'exil ell en blanc, reprit-il. Je trouve le Roi bien civil : Que j'ai de joie à me ibumettre, Puifqu'il me laiiTe opter le lieu De mon exil, graces à Dieu! Rempliffons le blanc par Versailles, Je n'ai jamais vu ce cbâteau ; J'entends dire qu'il eft ft beau , Si plein de rares anriquailles Et d'admirables nouveautés, Que tous les palais enchantés Des Apollons & des Armides, Et les Jardins des Hefpérides, Ces charmans êtres de raiion, Ne font rien en comparaifon. En vérité , je gagne change ; Il faudroit être bien étrange, Pour ne pas me plaire à la Cour. Moi, petit Curé de village. J'aurai, dans ce charmant féjour, de la B arbe, ioi L'honneur, le plaiiîr , l'avantage De voir en face , ôc de mes yeux , Un Roi dont les faits merveilleux , Volant fur la terre &c fur l'onde. Sont admirés de tout le monde l Ma chere barbe, c'efl: à vous Que je dois un deftin fi doux ! A nous féparer on s'eiForce ; Mais jamais entre vous & moi Je ne fouffrirai de divorce; Duifé-je toujours voir le Roi, Il part donc : & rendant hâtive Sa route , à Verfailles arrive : Il n'eil: point de cour, d'avant-cour, De falle , falon, galerie , Jardin , parterre, orangerie , Qu'il ne vifite chaque jour. Attentif à ce qui fe paiTe , Que le Roi dîne, aille à la chaiTe ; A la Meife, alors le Pafteur Eft au premier rang fpeélateur. On fe demande on s'interroge, Qui peut être cet Allobroge, Qui n'eft Abbé ai Capucin ; 202 Histoire Et qu'on voit par-tout en chemin? Chacun dit ne le pas connoicre. Enfin, un Marquis, petit-maître, Entreprend d'éciaircir le faite li le joint. Suivant l'apparence, Vous plantez ici le piquet Pour affaire de conféquence , Moniieur, dit-il, car je vous vois Depuis fix femaines, je crois. Je fais ici quelque figure ; Si je pouvois vous y fervir, Sans compliment, je vous aifure , Que je m'en ferois un plaifir. Monfieur, vous êtes fort honnête Dit le Curé: ce qui m'arrête, D'un mot, le voici décelé 5ans façon , je fuis exilé. Exilé ! comment, à Verfallles? Vous raillez , Monfieur le barbon , Dit notre jeune homme. Hélas ! non, Reprit le-vieillard •, fi je raille, Je veux mourir dès maintenant. " L'exil eil-41 fi furpîrêhant ? On exile au fond des pfavinees- ^ de la . B arbé. 20^ Les gens de Cour, les Ducs, Se Princes; On doit exiler à leur tour Les Provinciaux à la Cour. Tous les relégués, d'ordinaire, Chagrins d'être hors de leur fphère. Jurent, peilent contre le Roi. Mais je fuis d'une autre humeur, moi ; Encor que Curé de village. Je trouve y dans ce-beau féjour, Pius d'agrément en un feul jour. Que je n'en goûtai de ma vie Dans ma chétive métairie : Du Paradis , dans celui-ci. Je vois l'image en raccourci. Ménageant mon petit pécule. J'ai de quoi payer ma cellule Et vivre ici frugalement: Tant qu'on voudra que j'y demeure,' J'y refiera i tranqtiiliement, Fût-ce jufqu'à ma dernière hewe : Ce parti m'eft trop glorieux; J'ai l'efprit & le cœur joyeux. Le devoir de mon Bénéfice Me donne chez- moi cent tracas ; 204 Histoire Je fuis ici fans embarras : Qand j'ai dit Meffe & mon Office ^ Le reile du jour je jouis Du plaiiir d'admirer Louis, Sa grandeur, fa magnificence. Dont tous les yeux font éblouis. Sa fageiTe & fa prévoyarrce, Dont les effets font inouis. Je ne puis donc, fans préjudice, Accepter l'offre de fervice Dont il vous plaît de m'honorer : Mais fenfible à ce bon office, Je prierai Dieu qu'il vous béniiTe Et vous faife en tout profpérer. On ne fauroit aiTez décrire Quels furent les éclats de rire De notre jeune curieux, À ce difcours facétieux: Ravi d'avoir un conte à faire Qui lui parut d'un caraftère Auffi nouveau que fingulier, 11 fut par-tout le publier. L'exil, dit l'un , eft de mémoire*, Ceft un article pour i'Hiftoire, DE la B abee. 205* Marquis, dit l'autre, en bonne foi, Ce barbon s'ell moqué de toi. Il fera fou , dit un troiiième. Point fou, répond un quatrième ; Hier moîrmême je le vis Dire la MeiFe, &c je l'ouïs : On le permettroit pas, peut-être. S'il n'étoit bon & fage Prêtre. Meflieurs , Meffieurs les beaux-efprits ¿ Réplique alors notre Marquis, Je foutiens l'exil véritable , Et l'exil très-raifonnable ; J'en.fuis garant, & je veux, moîy En conter l'aventure au Roi. Tu feras (o^t bien, dit un Comte"> Affurément c'eft une honte, Oui^ c'eil au Roi jouer un tour, Non feulement infupportable, De faire un exil de la Cour, Mais encore un tour punidable. Le Marquis s'en fut de ce pas. Et même jour ne manqua pas De fe rencontrer en préfence Du Roi dont il eut audience : 'íò6 'hi s t o í r e Il lui ' dépei^it l'Exilé ' Qu'on voyoH par-torit faufile , Le garantiiTant h'óinïlib fage. ^ Le Roifoiirit, & comnianda Qu'on fît vertir' íé perfonnage.' Il vint. Le Roi lui d-emanda Ce qu'il pou voit fairé â "'V'^erfaiiles, Lui qui ri'étoit pas à" favbir Que ion grand premier devoir Etoit de garder fes ouailles. Si j'ai quitté -mon cher troupeau , Dont j'eus toujours un foin nouveau Ce n'eft pas, dit il, de mof-même; Voilà, SiRÈ , l'ordre fuprêmeV Par lequel Votre Ma je'S'té M'en preferit là néceffît^.^ Certes l'exil eil: admirable, .Dit le Roi; mais venons au fait : N'en favez vous pas le fujet ? Oui, Sire ; il paroît pitoyable, Autant qu'injuile, à mes amis. L'Evêque auquel je fuis fournis Eft d'une humeur anthipatique Avec les barbes à l'antique; de la B arbe. 207 La mienne l'a fcandalifé. Il a voulu me voir rafé. Je fouffris fa mercuriale ; Et lui racontai doucement Que la barbe efl: un ornement Qui ne peut faire aucun fcandaîe , Puifqu'on a vu les plus grands Saints^ Prophètes, Pères de l'Eglife, Qu'on voit encore nos Capucins La porter longue, large, & grife. Telle qu'eil la mienne aujourd'hui. Tout cela ne put rien fur lui : Toujours ferme dans fa morale, Par autorité paiforale, Le Prélat , fans plus biaifer, Me commanda de la rafer. Il faut avouer ma foibleiTei J'en fus accablé de trifteiTè, Et je ne pus gagner fur moi De me foumettre à cette loi. Si j'enfle eu l'efprit de chicane, J'euiTe appelé comme d'abus De cette ordonnance profane ; Mais il me falloit des ecus. 2o 8 h i s t o i r e Mon refus conftant de l'abattre, M'a fait traiter d'opiniâtre , Et cette lettre de cachet Eft la peine de mon forfait. Mais la divine Providence, Qui, par des refforts inconnus, Protège toujours l'innocence, A juftifié mon refus : Elle a trouvé bon de permettre Qu'on laiffât en blanc, dans la lettre Le lieu de relégation A ma propre difcrétion. J'ai cru, dans un cas fi propice , Ne pouvoir faire un plus beau choix Que la Cour du plus grand des Rois Où ma peine eft un vrai délice, Puifqu'enfin j'ai la liberté De faire à Votre Majesté Le récit entier & fincère De tout ce qui fait le myftère. Le fujet le dénoûment D'un fi nouveau banniiTement. J'aurois bien pu taire ma raie ; Mais j'aime la fincérité : dt la B arbe. On ne doit point chercher d'excufe Aux dépens de la vérité. L'air riant de votre vifage M'eft, Sire , un affuré préfage De votre équitable bonté ; Je vois que Votre Majesté Eft difpofée à faire grace Au vieil ornement de ma face. Si mon Prélat l'a condamné, C'eft de fa part un vrai caprice*, Car pouvoit-il, fans injuftice, M'ôter ce que Dieu m'a donné ? Vous avez, lui dit le Monarque,^ Plaifamment conduit votre barque. Allez, Monfieur, ne craignez plus: Retournez dans votre village; Je vous donné deux cents écus Pour les frais de votre voyage. Et prends fous ma proteflion Votre barbe & votre menton, A la Cour, ainfi qu'à la Ville j, On parla fort de l'Exilé ; Il y pafta pour homme habile. Et le Prélat fut bien fiiBé. 5 l o - H 1 s T O t R E ;£-C, Voici le fens deia nouvelle: Jamais un homme en dignité Ne doit, pour une bagatelle, Commettre fon aiuorife. FIN. ERRATA, ÎPAGE 58 , ¿ign. 6 i vient, ¿if. viennent. Pag. 6$ , !¿gn-. 11-, courage pzs ,f¿ipprim. pas, 86, Lign. dern. lluíion , illuííon. Pag, loi , ügn, Î3 , paraphrafant , Lif. péri- phrafant, Pag. 109, Lign. 7 , m'appayois, lif. m'antorifois. Pag. IÏZ ,Ügn. é , ordinaires , ¿if. ordinaire. Pag. 116 , Lign. 7, s'appuie , Lif. s'autorife. Pag. ítz,à ¿a note, os , Lif. nos. , Pag. 113 ^ ¿ /j 77ote , page 20, Lif. page 120. Pag. 144 , Lign. T 8 , à La note , parier de, Lif. à. Fag, 161 , Lign. 9 Ù \o , fefuíent également jeur, Lif. refufent également M. de Caumartin pour leur. 5)4 Histoïrü la bakbl. H La pompe orientale nous cíTre d'abord « fils d'or. Ayant la face ainfi décorée,' im exempíe de ce fafte mal entendu. Plu- ». ce Prince reffemble'plus à un fleurs Potentats de ces contrées ont treffé » qu'à un homme (i) ». le poil de leur menton avec des fils & Ce n'eft pas le feiil exemple de ce des paillettes d'or. Ce n'eft pas fans in- fafte ridicule : la France, qui, comme on dignation que Saint Chryfofiôme nous fait, a fourni, en tant de genres, des parle d'un Roi de Perfe, qui, de fon modèles d'extravagance, n a pas laiiTe temps fiiivolt cette coutume bizarre. échapper celle-là ; il j paroît même qu 'elle "" avoir reproché le luxe extrava- a régné aftez