._ ,',..... ¡ ¡ i ,} I t· ! .¡.¡,. , . L'ORFÈVRERIE .� :- 4-7, • " '- ' . ff " t • • L'ORFÈVRERIE • ·1 fi Fig. 1. - Vase cu pOI'phYN monté en vermeil, orfèvrer-ie du xuc siècle (OALEHIE n'APoLLO¡o.;.) LES ARTS DE L'AMEUBLEMENT L'ORFEVRERIE PAR HENRY HAVARD Inspecteur des Beaux-Arts Membre du Conseil superieur CENT VINGT ILLUSTRATIONS PAR M. GOUIN PARIS LIBRAIRIE CHARLES DELAGRAVE 15, RUE SOUFFLOT, I; Tous droits réservés. It a etë imprimé 100 exemplaires de cet ouvrage sur japon eles manufactures impériales, numérotés et signés. EPUIS une trentaine d' années, une heureuse ré­ volution s'est opérée dans le goût, et non seu­ lement en France, mais encore à l' étranger, tout ce qui se rapporte directement ou indi­ rectement �l l'ameublement a pris une impor- tance inattendue dans les préoccupations des gens du monde aussi bien que des artistes. Ces mille et un objets, compagnons' fidèles de tous nos instants, trop longtemps dédaignés, injuste­ ment méconnus, ont reconquis dans l'estime générale la place à laquelle ils avaient droit. On commence même à s'apercevoir que les arts de l'ameublement ne sont point aussi inférieurs qu'on veut bien le prétendre �l ce qu'on nomme communément les beaux- arts. En tout cas, les satisfactions qu'ils procurent á ceux qui savent les apprécier, les problèmes variés qu'ils sou­ lèvent, les beautés spéciales qu'ils présentent, justifient ample­ ment l'intérêt qu'on leur témoigne. Une autre raison doit encore nous faire souhaiter de voir leur étude se généraliser en France. Le soin de conserver notre suprématie artistique quelque peu menacée nous impose le de­ voir de familiariser nos jeunes gens avec les innombrables appli­ cations de procédés toujours ingénieux, souvent très savants, qu'exige l'exercice de ces différentes professions. Il importe, en effet, à tous ceux qui se destinent à la pratique des arts in­ dustriels d'apprendre de bonne heure que chacun d'eux possède son esthétique particulière et que, suivant les matières qu'il met en œuvre, il se trouve soumis à des lois spéciales qu'il ne YI AVERTISSEMENT lui est pas permis d'enfreindre, tl des règles étroites qu'il lui est interdit de transgresser. Chaque matière, en effet, comporte une contexture, une duc­ tilité, une densité qui lui sont en quelque sorte personnelles et dont les qualités mêmes imposent tl l'artiste la nécessité de recourir tl un traitement spécial. Il est elair, par exemple, que les fibres souples et tenaces du bois ne sauraient être taillées comme le grain sec et cassant de la pierre ou du marbre, et les façons qui conviennent à l a pierre, au marbre ou au bois ne sauraient convenir à l'argile qui, flexible et malléable, se mo­ dèle à l a main, ou aux métaux qui se fondent ou se martèlent. Parmi ces derniers, le degré de dureté, l a fusibilité plus ou moins grande, aussi bien que I a valeur intrinsèque, forcent l'ar­ tiste à employer pour chacun d' eux des procédés différents. Il n'y a que des rapports très lointains entre Ia mise en œuvre du fer qui se forge par grandes masses et celle de l'or qu'on fond et cisèle par petits lingots. Or ces traitements si divers ne sont point inutiles tl approfondir. C'est faute d'avoir appris tl les connaître que les gens du monde exigent si souvent d'indus­ triels trop empressés à leur plaire, qu'ils donnent à certaines ma­ tières des formes qui seraient mieux appropriées à des objets de nature très différente. C'est à cette même ignorance qu'il faut attribuer le manque d'originalité, de convenance, de la plupart des modèles qui, dessinés par des artistes cependant fort ha­ biles, pourraient s'appliquer aussi bien à la céramique qu'ù l a métallurgie. Un vase, quelle que soit sa destination, doit revêtir une forme particulière suivant qu'il est en or, en argent, en bronze, en por­ celaine, en faïence, en marbre ou en bois, et cette forme doit être assez caractéristique pour qu'a première vue, et par la seule contemplation de son galbe, on puisse découvrir de quelle matière il est fabriqué. C' est pour remédier tl ce manque de connaissances, si fâcheux tl tous égards, que nous avons entrepris de publier cette petite bibliothèque des Arts de l'ameublement. Nous avons pensé rendre aux amateurs de beaux meubles et aux gens du monde un véritable service, en leur permettant de se pénétrer des dif- AVERTISSEMENT VII íicultés pratiques et des exigences que présente la mise en œu­ vre des divers matériaux plus particulièrement employés dans chacun de ces différents arts, et du genre de beauté auquel ils peuvent prétendre. Nous sommes, en outre, convaincu que les professeurs et les élèves de nos écoles d'art décoratif nous sauront gré d'avoir précisé à leur intention les conditions de construction, d'équilibre, de statique, auxquelles doivent se conformer les principaux ouvrages du mobilier, pour répondre aux règles de convenance, d'élégance ct de solidité indispen­ sables. Ayant à résoudre un problème particulièrement délicat, nous nous sommes adressé à un écrivain dont la compétence en ces matières est universellement reconnue. M. Henry Havard a bien voulu se charger non seulement d'écr-ire spécialement pour nous la suite de monographies dont nous commençons aujourd'hui la publication, mais encore d'en diriger et d'en surve iller l'illustration, de façon que texte et dessins forment un tout d'une homogénéité parfaite. Nous n'avons pas besoin de présenter M. Henry Havard ¡l nos lecteurs. Les hautes fonctions qu'il occupe au ministère de l'instruction publique et des beaux-arts, l'incontestable auto­ rité qu'il a su acquérir comme critique d'art, la part considé­ rable qu'il a prise à l'organisation des Expositions universelles d'Amsterdam en 1883 et de Paris en 1889, la faveur exception­ nelle que le public a toujour-s témoignée à ses ouvrages, ont fait assez connaître l'historien de l'Art hollandais, l'auteur de l'Art dans la maisori et du Dictionnaire de l'ameublement, pour que toute présentation soit au moins inutile. Ce dont nous pouvons assurer nos lecteurs, p'ar contre, c'est que M. Henry Havard a apporté dans la rédaction de ces petits volumes non seulement le même soin, la même conscience que dans ces magnifiques et coûteux ouvrages qui ont fait sa réputation, mais aussi ce style simple, élégant, précis, et surtout cette clarté d'exposition qui donnent à ses écrits une si grande va­ leur didactique. Nous n'avons, d'autre part, rien négligé pour que ces petits [ivres, malgré leur prix infime, constituent à leur tour de véri­ uables œuvres d'art. L'illustration, confiée ¡l des artistes éprou- YIII AVERTISSEMENT vés, a été exécutée avec une attention exceptionnelle, et nos gra­ vure s, relativement très nombreuses, - plus de cent par vo­ lume, - peuvent lutter comme finesse et comme beauté avec celles des publications de grand luxe. Le caractère, entièrement neuf, a été, après de nombreux essais, choisi par l'auteur lui­ même, à cause de ses qualités de netteté et de lisibilité; enfin le papier, d'une pureté absolue, exempt de charge, et Ia reliure souple qui les enveloppe, achèvent de faire de ces jolis volu­ mes de véritables petits modèles de typogr-aphie. Faut-il ajouter que si nous leur avons donné ces qualités d'élégance et de recherche, c'est que nous avons voulu que leur possession pût être souhaitée par tous les jeunes gens comme une récompense? La petite bibliothèque des Arts de l'ameuhlemerü a, en effet, sa place marquée dans toutes les mains. Sa lecture comporte la meilleure des « leçons de cho­ ses ) qu'on puisse désirer; car les curieuses questions qu'elle apprend à résoudre sont de chaque jour, et le{¡r solution, tout en formant notre goût, nous enseigne mille faits généraux qu'il est indispensable de connaître. CHAR�ES DELAGRAVE. t'ORFÈVRERIE PREMIÈRE PARTIE FABRICATION Fig. 3. - Orfèvre du xv= siècle, fot-geantsui- le tas, d'après le ms. 5066 • de la bibliothèque de l'Arsenal. I DÉFINITION DE L'ORFÈVRERIE. L'OR ET SON "EMPLOI. RFÈVRE est formé « des mots or et [èvre, ancien mot françois imité du latin: auri faber; artisan en or », Il sert à dési­ gner « celui qui vend ou fabrique de la vaisselle. ou des ouvrages et hijoux d'or et d'argent », Cette définition, emprun­ tée au vénérable Dictionnaire de Tré- fJOUX, n'a pas cessé d'être exacte. Sous le nom d'orfèvrerie on embrasse, d'une façon générale, la mise en œuvre des métaux précieux, et la fabrication ainsi que la vente des objets mobilier-s exécutés en argent ou en or. De tous les métaux conn!ls, l'or est le plus recherché, et la préférence qu'on lui accorde se justifie par des qualités tout à fait exceptionnelles. Sa densité, qui est de 19,26 . lorsqu'il est fondu et qui atteint t9,36 lorsqu'il a été forgé, ne le cède qu'à celle du platine. Sa ductilité et sa malléabi­ lité surpassent celles de tous les autres métaux. Les livres spéciaux nous apprennent qu'il est possible de le réduire en feuilles assez minces pour que mille d'entre elles ne pré- ------- L'ORFÈVRERIE sentent pas plus d'un millimètre d'épaisseur, et qu'un gramme suffirait au besoin pour habiller un fil de plusieurs kilomètres de longueur. Enfin, sa couleur, qui est d'un jaune superbe, son éclat particulièrement agréable à l'œil, et surtout son inaltèr-ahilitè ,", justifient la grande estime dans laquelle le tenaient les anciens, qui n'hésitèrent pas à le proclamer « le roi des métaux ». La seule critique qu'on lui puisse adresser, concerne sa résistance. Celle-ci laisse quelque peu à désirer; mais on remédie à cet inconvénient en l'alliant au cuivre, métal à la fois plus fusible et plus dur. Trois alliages sont actuel­ lement en usage dans l'orfèvrerie: Le 1er titre, formé de 920 parties d'or et de 80 de cuivre. Le 2e 840 160 Le 3e 750 250 Suivant l'emploi auquelon les destine, ces trois alliages, comme dureté et comme résistance, donnent des résultats satisfaisants. Fait curieux, ce métal si recherché et si rare est un de ceux qui se trouvent le plus .régulièrement répartis sur presque toute la surface du globe. L'ancien monde s'en est approvisionné non seulement en Afrique et en Asie, mais aussi en Europe. On a pu relever, en Fran�e notamment, la trace de gisements aurifères relativement nombreux, qui furent exploités à une époque très lointaine. Le sol de l'Es­ pagne et de l'italie renferme des mines d'or épuisées au­ jourd'hui. On en rencontre également dans le pays de Gal­ les. La production des mines de l'Oural, quoique leur ex­ ploitation dure depuis deux siècles, n'a pas sensiblement diminué. Mais tout ce qu'on a extrait de ces diverses con- 1. Il est non.seulement inaltérable à l'air et au contact de l'eau, mais il résiste à la plupart des acides: il n'est attaqué que par l'acide sélé­ nique, et par l'acide nitromuriatique, qui, à cause de cette propriété, a reçu le nom d'eau regale. L'ORFÈVRERIE 5 trées n'approche pas de la quantité fournie par le nouveau monde. Au XVIe siècle, les Espagnols, en s'emparant du Mexi que, du Chili et du Pérou, mirent la main à la fois sur les placers précédemment explorés par les Incas, et sur les masses de métal que ceux-ci en avaient tirées depuis un nombre respectable de siècles. Ils se livrèrent à un véritable drainage de l'or sous toutes ses formes, et lui firent prendre le chemin de l'Europe. Au siècle suivant, la découverte des. célèbres mines de Pasco (1630)' déve­ loppa encore cette exportation. Des milliards sortirent des flancs du Pérou, qui, pendant longtemps, suffit à lui seul à approvisionner le vieux monde. Enfin il appartenait à notre siècle de voir se constituer de nouvelles exploitations au­ rifères. En 1848, un hasard révéla la présence de paillettes d'or dans le Sacramento, et depuis lors, sur le littoral du Pacifique, six États appartenant à la République des États-Unis ont fourni jusqu'à cinq cents millions d'or et d'argent par an. Plus récemment encore, l'Australie, la à Nouvelle-Zélande, la Colombie anglaise, en ont, leur tour, expédié des quantités considérables en Europe, et cepen­ dant, malgré cette incessante importation, ce métal n'a pas cessé d'être relativement rare et extrêmement recherché. Fait plus curieux peut-être: avant que la découverte de l'Amérique eût décuplé la masse d'or en circulation; à une époque, par conséquent, où ce précieux métal était infi­ niment moins abondant et singulièrement plus difficile à se procurer que de nos jours, on l'employait à une foule d'usages pour lesquels il paraît aujourd'hui trop coûteux, Pendant tout le âge, les princes et les rois moyen mangè­ rent et burent dans de la vaisselle d'or. Un ancien Inoeti­ taire royal nous apprend que le « roy Dagoubert », dont - le trône forgé par saint Éloi était d'or, faisait journelle­ ment usage d'une « grosse coupe d'or toute plaine », c'est­ à-dire tout unie, qui pesait quatre marcs, soit près d'un kilo- 6 L'ORFÈVRERIE gramme. Saint Louis, Philippe le Bel, .Louis le Hutin, Philippe le Long, Charles le Bel, étaient également servia dans de la vaisselle d'or. L'lnrentaire dú clue Louis IC?' d'An­ jou, dressé en 1360 1, se termine par la constatation que l'orfèvre du prince avait en garde 1,308 marcs d'or « au marc de Troyes 2 ». En faisant le relevé des objets de toutes sortes en or décrits dans l'lnrentaire de Charles V (1380), M. Charles Laharte est arrivé au total de 3,879 marcq 3. Si l'on prend pour base d'estimation le prix actuel deI'or , qui est de 860 fr. le marc, on constate que la vaisselle d'or du duc Louis 1er d'Anjou vaudrait 1,124,880 fr., et celle de son frère, le roi Charles V, 3,336,140 fr. En tenant compte du pouvoir de l'argent; à cette époque dix fois plus considérable que celui qu'on lui attribue aujourd'hui, on aura un aperçu de ce que pouvait représenter une pareille orfèvrerie. On chercherai.t vainement dans les temps mo­ dernes l'exemple d'une semblahle prodigalité. Ajoutons qu'à ce moment ce n'était .pas seulement les rois et les princes de la famille royale qui mangeaient et bu­ vaient dans de la vaisselle d'or. Tous les seigneurs riches et puissants se donnaient ce luxe, et même dans leurs dé­ placements se .faisaient suivre d'une profusion de ces beaux vases en métal précieux. Froissart, parlant du voyage qu'accomplit en terre sainte le comte de Douglas, pour porter au saint 'sépulcre le cœur du roi Robert d'Écosse, nous apprend I¡. que ce gentilhomme convoyait avec lui « toute vaisselle d'or et d'argent, potz, escuelles, hanaps, bouteilles, bar-ils et aultres si faictes choses ». Ailleurs 5, notre chroniqueur raconte l'indignation que ressentirent le 1. Publié par lVI. Léon de Laborde. 2. Le mate de Troyes équivalait à 260g,05 de nos poids actuels, alors que le marc ordinaire ne représentait que 2(l(lg,75. 3. Inventaire de Charles V, Introduction. 4.. Chroniques, tome Ie,., p. 117 5. Ibid., tome VII, p. 171. L'ORFÈVRERIE 7 .cornte de Flandre et le duc de Bretagne en apprenant qu'un modeste seigneur comme Pierre de Bournesel, envoyé de Charles V en Écosse, était « estoffé de vaisselle d'or et d'argent, courant parola salle, aussi largement que si fut un petit duc ». Enfin, pour ne pas multiplier ces citations, nous nous hornerons à rappeler que l'auteur des Mémoires du maréchal de Boucicauit indique comme une marque de l' étonnante modestie de son héros, qu'à son dîner, toujours « brief et en public», iln'était, malgré son rang, « servy en .argent ny or ». Ainsi que nous venons de le dire, par une singulière con­ tradiction, c'est à partir de la découverte de l'Amérique et de l'importation constante et 'régulière en Europe de quan­ tités d'or considérables, que l'emploi de ce métal commença de se faire de plus en plus rare. Au xvr' siècle, les princes ,de la dynastie des Valois, au lieu d'une profusion de vases de toutes sortes et de tout volume, comme ceux que mon­ traient leurs prédécesseurs, n'eurent plus en or que quel­ ques pièces destinées à leur usage personnel. Au siècle suivant, Louis XIV, en ses plus beaux jours, fu't le dernier de nos rois qui possédât un service de table en or. Encore la vaisselle de ce prince magnifique n'aurait-elle pu suppor­ ter aucune comparaison avec celle de Charles V. On sait qu' en 1689 et 1709 toute l' orfèvrerie royale prit le chemin de la Monnaie. A partir de cette époque, l'or disparut des tables françaises, et même de celle du roi. Louis XV essaya bien de se reconstituer un certain nomhre d'assiettes avec les jetons que la Ville de Paris lui offrait chaque année pour ses étrennes 1; mais en 1759 illui fallut, à son tour, envoyer .sa vaisselle à la ref;nte, et depuis lors, à l'exception de quelques objets de petite's dimensions, cuillers, sucriers, -etc., les orfèvres cessèrent à peu près complètement d'em­ ployer pour leurs o�vrages le « roi des métaux». Celui-ci, 1. Voir Barbier, Journal, tome VI, p. 64" 8 L'ORFÈVRERIE accaparé par les bijoutiers' et les joailliers) ne fut plus­ guère utilisé que pour la parure, et pour la confection des, boîtes, des tabatières, des drageoirs de poche, des petits: nécessaires, en un mot de menus objets qui relèvent moins. du mobilier que du costume. Aussi le Feu d'emploi qu'on fait de l'or dans l'orfèvrerie courante, joint à ce fait que son traitement et sa mise en œuvre ne diffèrent pas essentiellement de ceux de l'argent, nous servira-t-il d'excuse pour ne pas entrer' actuellement dans de plus longues explications. Nous aurons, au sur­ plus, au cours de cette étude, maintes occasions de reparler de ce métal, et nous ne manquerons pas de le faire chaque fois que cela nous paraîtra de quelque utilité ou de quelque intérêt. Fig. 6. - Les orfèvres des Gohelins . présentant un vase d'Ol', d'après une tapisserie du xvn- siècle. II L'ARGENT. - ALLIAGES DIVERS. - ALOI DU MÉTAL EMPLOYÉ PAR LES ORFÈVIlES. L'argent, nous l'avons dit, est le second métal que les orfèvres mettent en œuvre. Contrairement à ce qui 's'est produit pour l'or, à mesure que, par suite d'une extraction du plus importante, il est devenu plus abondant à la surface • globe, son usage, au lieu de se restreindre, s'est généralisé, et si l'on n'assiste plus, comme cela avait lieu autrefois dans certaines familles, à l'étalage brillant d'une somp­ tueuse vaisselle, du.moins n'est-il pas de ménage bourgeois qui n'attache un certain amour-propre à posséder quelques ses ra­ pièces d'argenterie. L'argent, au rest�, mérite, par qualités, cette persistance et ce redoublement de faveur. res Sa couleur est agréahle. Il est blanc, et même le plus blanc des métaux. Sensiblement moins lourd que l'or, car son poids spécifique est de 10,474 lorsqu'il a été fondu et de 10,510 quand on l'a façonné au marteau, il offre, par contre, de résistance et une dureté plus grande. Sans être -aussi plus ductile et aussi malléable que son superbe rival, il possède une élasticité suffisante pour se plier complaisamment à toutes les formes qu'on entend lui donner. En le battant, on peut le réduire en feuilles assez minces pour que 8,000 d'entre elles ne dépassent pas en épaisseur deux centimè­ tres et demi. Sa ténacité est telle qu'un gramme passé à Ia filière peut fournir 2,500 mètres de fil, et qu'un fil de deux millimètres de diamètre peut, sans se rompre, porter un poids de 85 kilogrammes. Enfin, dernier avantage, il se laisse très facilement souder. Indépend.amment de ces qualités déjà suffisamment nom- 10 L'ORFÈ-VRERIE breuses, il en possède une autre plus précjeuse encore. Il est insipide et inodor'e. L'air et l'oxygène, soit à l'état sec, soit à l'état humide, n'exercent aucune action sur lui. Il n'est attaqué que par certains acides particulièrement vio­ lents, et lorsqu'il est oxydé, son emploi ne présente de jamais danger pour la santé. Voilà pourquoi de tout l'argent temps a été recherché avec une sorte de passion par tous les peuples de la terre; et sa possession est, depuis bien longtemps, considérée comme si précieuse, que son nom est devenu, chez nous, le synonyme de richesse 1. Si, à l'état pur, l'argent est plus dur que l'or, par contre il e�t moins résistant que le cuivre; aussi, pour lui de permet­ tre s'user moins rapidement et de mieux conserver les -contours et les formes qu'on lui a donnés, prend-on or-dînai­ Tement le soin de le mélanger avec une petite quantité de ce dernier métal. On forme ainsi des alliages qui; darnment indépen­ d'une fermeté et d'une dureté plus considérables, présentent encore l'avantage d'être plus facilement fusibles -que l'argent à l'état pur; et comme la fusibilité de ces al­ liages est d'autant plus grande que la proportion de cuivre y est plus importante, on utilise certains d'entre eux pour opérer les soudures. On sait que souder deux surfaces métalliques, c'est joindre ces deux surfaces à l'aide d'un fondant, c'est-à­ dire d'un autre métal qui entre en fusion à une ture moins élevÚ tempéra­ que celle où les deux métaux qu'on veut unir commencent eux-mêmes à fondre. Nous parlons autre part et assez longuement (chap. VI) de cette opération com­ pIiquú et toujours délicate, qui joue dans la fabrication de l'orfèvrerie un rôle des plus importants. Pour le moment, 1. Les Romains avaient fait dériver le mot avait pecunia, cette qui chez eux signification, de pecus (troupeau), parce que ples pour les primitifs la peu­ possession et l'élève du bétail constituaient la source par excellence de la richesse. Chez nous, it partir du .à l'argent moyen revient âge, c'est que ce privilège caractéristique. L'ORFÈVRERIE 11 nous bornerons à constater que la compo sition de ces nous soudures ou fondants varie, suivant la nature et le prix pièces l'on doit exécuter. Les orfèvres, pour leurs des que travaux courants, en emploient de quatre sortes, et les proportions d'alliage de chacune de ces sortes, ainsi que nom le le remarque M. P. Boué, « sont indiquées par même qu'on leur donne et qui exprime la quantité de métal étranger entrant dans leur composition 1 ». On les appelle, en effet, soudures à huit, à six, au quart et au tiers. Ces divers alliages étant, nous l'avons dit, d'autant plus fusi­ bles que le c¡lÏvre y figure en proportion plus élevée, il semble pour la commodité de l'ouvrage, on né devrait que, employer les soudures les moins fortes, c'est-à-dire que celles où 'le métal précieux entre en moindre quantité. NIais l'orfèvre, dans l' exécution des grandes pièces, a toujours intérêt à rendre ses, soudures aussi peu' appa­ rentes que possible; or celles-ci demeurent d'autant plus visibles que la proportion de métal commun y est plus considérable. En outre, .à mesure qu'on augmente la quan­ tité de cuivre contenu dans le fondant, le titre de la pièce qui a subi les soudures se trouve légèrement abaissé, et sa valeur intrinsèque est par conséquent amoindrie. « Il arrive souvent, ainsi le constatent MM. Julia de Fon­ que tenelle et Malpeyre 2, que quand on revend de la vais­ selle à montée, la valeur qu' on en trouve est inférieure celle de la vaisselle plate. - Cela est facile à comprendre: si la pièce, objet de la transaction, ne présente pas, par suite du travail qu' elle a reçu, une valeur artistique propre, et que, par suite du changement de mode, elle soit deve­ nue. hors d'usage, il est bien évident que, la quantité des soudures augmentant la proportion générale du cuivre, on aura, lors de la refonte, un lingot dont le titre sera abaissé par rapport à celui du métal proprement dit qui a servi à 1. Traité d'orfèvrerie; Paris, 1832; tome 1er, p. 24,3. 2. Nouveau Manuel du bijoutier orfèvre, tome II, P: 122. 12 L'ORFÈVRERIE établir chacune des parties séparément. La valeur au poids se trouvera donc diminuée l. » Voilà pourquoi, dans leurs grands ouvrages et pour les pièces d'argenterie de premier titre, les orfèvres n'em­ ploient que des soudures à six ou au quart, et réservent celles au tiers pour les œuvres communes faites d'argent au second titre, et pour ce qu'on appelle dédaigneusement « la petite orfèvrerie ». Ces remarques offrent un certain intérêt, parce que la proportion de cuivre mélangé par les orfèvres au métal précieux qu'ils travaillent, n'ajamais été facultative et lais­ sée à leur convenance. De tout temps, au contraire, Ia qualité de leurs alliages a été sévèrement réglée, d'ahord par le hon plaisir royal, ensuite par le législateur. Pour des raisons dont nous avons autre part expliqué l'oppor­ tunité 2, Philippe le Bel, dès 1313, s'occupa de réglemen­ ter ce qu'on appelait alors l'aloi, ce que nous nommons au­ jourd'hui le titre, c'est-à-dire la détermination légale de la quantité de métal fin que doivent contenir les ouvrages d'orfèvrerie relativement à leur poids total. Sous l'ancien régime, le titre de l'or s'évaluait en carats, et celui de l'argent en deniers. L'or le plus fin, pur de tout mélange, était dit à 24 'carats. L'argent remplissant les mêmes conditions était dit à 12 deniers. Une ordonnance de Henri II rendue au mois de mars 1554 défendait aux orfèvres de travailler, « soit en menuiserie, soit en gros­ serie », l' argent à un titre inférieur à 11 deniers 12 grains 1. Fait à noter: tous les Arrêts du Conseil relatifs aux diverses refontes des matières d'or et d'argent, établissent une différence de valeur entre la vaisselle plate et Ia vaisselle montée. Ainsi, les Let- tres patentes données par Louis XV le 26 octobre 1759, n'en t pour pas citer d'autres, « fixent les prix des vaissel'les qui seront portées à la Monnaie: à 56 livres le marc pour la vaisselle platte au poinçon de Paris, et à 55livres 3 sols 6 deniers pour Ia vaisselle montée au même poinçon », 2. Voir le Dictionnaire de l'ameublement et de la decoration aux mots ARGENT, ORFtvRE, TITRE, VAISSELLE, etc. L'ORFÈVRERIE 13 2 grains « de remède », - c'est-à-dire avec une de fin, avec tolérance d� 2 grains pour les soudures. - Cet argent, nommait argent le roi. Des orclonnances de ainsi titré, se 1586, 1657, 1679, etc., confirmèrent ou modifièrent légère­ de cet alliage. Quant à l'or, il devait ment Ia composition être à 22 carats de fin, au remède d'un quart de carat. de La loi du 19 brumaire an VI changea ces façons titrés s'exprimer1.· Les métaux précieux furent désormais 1. Tous les ouvrages d'orfèvrerie et d'argenterie fabriqués en « titres prescrits par la Ioi ; ces ti­ aux France doivent être conformes Ia quantité de fin contenue dans chaque pièce s'expriment tres ou dénominations de carats et deniers anciennes pour en millièmes. Les le degré de pureté des métaux précieux n'ont plus lieu. » exprimer bien (Loi da19 bramaire an VI.) Néanmoins, puissance de l'habitude et d'indiquer la pureté du métalne réponde plus qu'ap­ que cette façon aux titres par Ia légis­ proximativement et fractionnairement adoptés continué d'estimer l'or par carats. lation nouvelle, les orfèvres ont de le mot carat, dans le sens 'où il a été employé On'remarquera que poids réel, mais une désigne un partie aliquote tout temps, ne pas fractionnaire. Ainsi, en décidant que l'or ne devait être employé ou métal 22 carats, le législateur de 155[1 entendait dire que le , qu'à seule­ quel fût son poids, devait contenir 22 parties d'or fin et que au ment deux parties de cuivre. Pour plus de commodité, surplus, des carats en voici un tableau indiquant la réduction approximative millièmes. RÉDUCTION NOMBRE RÉDUCTION NOMBRE de en de en CARATS MILLIÈMES CARATS IIlILLIÈMES 500 24, 1000 12 95S 11 45S 23 917 10 417 22 21 S75 9 375 333 20 S33 S 19 792 7 292 lS 750 6 250 'l7 70S 5 20S 16 661 4 161 15 625 3 125 1-4 5S3 2 S3 13 542 1 42 à On voit par ce tableau que l'ancien aloi de·l'or correspondait �17 millièmes de fin. Ce titre a cessé d'être en usage. L'O'RFÈVRERIE d'après le nombre de millièmes de fin qu'ils contenaient Ces titres sont pour l'or (nous l'avons dit à la page au nombre 4) de trois: le premier comporte 920, le second 840, le troisième 750 millièmes. Pour les ouvrages d'argent il n'en existe que deux: le premier de 950 et le second de 800 millièmes, avec une tolér-ance de 3 millièmes pour l'or et de 5 millièmes pour l'argent. L'exactitude du titrage est, après essai, attestée par le contrôle, c'est-à-dire par position d'un certain l:ap­ nombre de poinçons. SOliS l'ancien régime on faisait usage de quatre poinçons spéciaux, .à sa­ voir: le poinçon de charge, que l'orfèvre était tenu de faire apposer, par le fermier des droits, sur ses pièces encore à l'état d' èhauche , le poinçon de la maison commune ou du bureau des orfèores, qui' certifiait le titre du métal employé; le poinçon du maître, qui permettait, une fois l' ouvrage achevé, de savoir quel en était l'auteur, et enfin le poinçon de décharge, indiquant que les droits du fisc avaient été acquittés. Aujourd'hui, le bureau des orfèvres et les fermes des matières d'or et d'argent ayant été supprimés, les poin­ çons apposés sur les pièces d'argenterie ne sont plus que de deux sortes: la marque du fabricant révélant l'auteur de l'ouvrage, et le contrôle qui, tout en constituant une garantie du titre, vient certifier que les droits dus à l'�tat ont été régulièrement perçus. Fig. 7. - Orfèvre des Gobelins présentant un brancard d'argent, d'après une tapisserie du XVII" siècle. III' DIFFÉRENTES'MANIimES DE TRAVAILLER L'OR ET L'ARGENT. DANS' MASSE ET DANS LA l'IÈCE. - LA PRISE LA LA _ FONTE. Les métaux précieux que l'orfèvre met en œuvre, peuvent se traiter de différentes manières. On les sculpte dans la masse, on les fond, on les forge, on les repousse. Forgées, repoussées, fondues ou prises dans la masse, toutes les pièces d'orfèvrerie sont achevées à l'aide de l�mes plus ou moins douces, de rifloirs, de gouges, de molettes, de ma­ toirs, 'efe ciseaux, de burins et de ciselets, puis, une fois terminées, elles sont, s'il y a lieu, brunies ou polies. De toutes ces façons, la moins couramment employée est la prise dans la masse. Elle ne co.nvient guère que pour de petites pièces, - comme les clefs, cachets, pommeaux, boutons, targettes, etc., - encore faut-il que ces me�lUs objets ne soient exécutés qu'à un seul exemplaire. L'or et l'argent, en effet, se fondent avec une facilité assez grande póur voulant obtenir une pièce un peu vaste, ou si l'on que, doit en tirer plusieurs épreuves, on ait avan'tage.à confection­ uer un modèle, à le mouler en sable, à le fondre', quitte en­ suite à le réparer et à l'achever avec tout le soin désirable. I Quand l'artiste a des raisons spéciales pour prendre sa pièce dans la masse, il commence par forger un petit lingot de dimensions convenables (voir fig. 3); puis il le dégros­ sit au tour, abat au ciseau les parties inutiles, et finalement, à l'aide de gouges, de burins, d'agnettes, de grattoirs, c'est-à-dire avec tout un- arsenal d'outils coupants et trem pés, il incise, découpe, creuse, sculpte le métal, comme il sculpterait toute autre matière ductile et résistante. La 16 L'ORFÈVRERIE seule particularité qu'offre son travail, c'est qu'au lieu de pousser ses gouges et ses burins directement à la main, il les conduit toujours au marteau, et enlève à petits coups. redoublés les copeaux de métal. Une fois la forme définitive donnée à l'objet par le. tranchant de l'outil, il reprend, pour achever son œuvre, ses instruments habituels. Cette fa­ çon de travailler l'or et l'argent peut être tenue non seu­ lement pour délicate et difficile, mais encore pour parti­ culièrement artistique. Celui qui prend dans la masse n'est plus, comme le ciseleur ordinaire, un artiste auxiliaire, uniquement chargé d'améliorer les ouvrages de l'orfèvre et de les amener à leur point de perfection. C'est un créateur véritable. Il cesse d'être un simple décorateur, pour faire acte de statuaire (voir fig. 8 à 12). Avec la prise clans· la pièce l'artiste fait également preuve d'une grande indépendance, qui exige-des capacités spéciales, Cette nouvelle opération consiste à cliamplever une surface métallique, c'est-à-dire à enlever le champ, ou mieux à en abaisser le fond de manière que le dessin qu'on veut représenter s'en détache en saillie et forme une sorte de bas-relief. Supposons, par exemple, qu'on veuille entou­ rer un médaillon obtenu au repoussé, d'un cadre décoré par une suite .de rinceaux', de chiffres, d'emblèmes, d'ar­ moiries. Après avoir décalqué son dessin, l'artiste réserve avec soin les. ornements qui doivent faire saillie et enlève au burin, à l'échoppe, à la gouge, à l'agnette, la matière sur tous les points destinés à constituer le fond. Ce que nous disons d'un encadrement s'applique également (nos figures 13 à 16 le prouvent) à un étui, à un pommeau, etc. Parfois, dans ce genre d'ouvrage, le ciseleur s'aide de la morsure à l'eau-forte; ma:is quand il est absolument maître de sa main et de ses procédés, il attaque le métal directe­ ment, conduisant l'outil avec son marteau,' détachant bra­ vement les parties qui doivent disparaître; et le travail exécuté avec cette vaillance offre toujours une hardiesse, 'L'ORFÈVRERIE 17 LA PRISE DANS ,LA MASSE Fig, 8. - La masse forgée. Fig. 9. - La masse dégrossie au ciseau ct à la . lime. Fig.l0. Fig. 11. La Fig.12; masse clétourée et­ Lamasso " ébauchée. La masse reprise au clans ses profils. ciselet et achevée. 2 18 L'ORFÈVRERIE une liberté et par conséquent un charme que la morsure à l'eau-forte ne saurait présenter . . On comprend que ces façons de travailler le métal, exi­ geant une sûreté d'œil et une habileté de main exception­ nelles, ne sont et ne peuvent être employées que par un petit nombre de- ciseleurs tout à fait aguerris. La [otite, par laquelle on les remplace, quand il s'agit d'objets en ronde bossé,' est, nous l'avons dit, d'autant plus usitée que l'argent et l'or sont suffisamment fusibles et malléables pour prendre exactement, et sans trop de difficulté, l'em­ preinte des moules dans lesquels ils sont coulés. Les méthodes pratiquées pour la fonte de ces deux métaux ne diffèrent pas sensiblement de celles en usage pour la fonte du cuivre'. Dans l'étude que nous consacrons au BRONZE n'ART ET n'AMEUBLEMENT, nous expliquons en détail les procédés de la [onte à ?ire perdue et ceux de lafonte à noyau et cl pie­ ces rapportées. La fonte à cire perdue, toutefois, n'est guère employée par les orfèvres, et cela pour plusieurs raisons. Tout d'abordle prix élevé des métaux qu'ils mettent en œuvre. fournit rarement l'occasion de fondre des pièces assez gran­ des pour qu'on aime à retrouver sur leur épiderme la trace­ laissée sur l'argile ou la cire par la main même de l'artiste. Leurs ouvrages, au contraire, étant générále:rJ?ent de petite taille, exigent un fini, un précieux, qu'une ciselure très pous­ sée peut seule leur donuer. En outre, la facilité avec laquelle nos deux métaux se soudent et se réparent, jointe à l'habitude .qu'on a de composer les pièces d'orfèvrer-ie - chandeliers, vases, coupes, etc. - de morceaux séparés qu'on réunit ensuite, ou, pour employer l'expression technique, qu'on. monte avec des tiges de fer et des écrous, cette double par­ ticularité permet au fondeur de diviser l'objet qu'il veut re­ produire en un certain nombre de fragments isolés, et d'évi­ ter ainsi tous les inconvénients que comporte la fonte à. pièces rapportées, pour les grands ouvrages de bronze. L'ORFÈVRERIE 19 Afin de mieux nous faire c.omprendre, nous prendrons un exemple. Une statue représentant une figure entièrement nue offre aux yeux, depuis l'extrémité de ses pieds la cime de jusqu'à ses cheveux, un objet unique, dont la surface exige une continuité absolue; et toute trace de coupure, toute séparation qui reste visible, atténuent la logique et la ' beauté de cette statue. Avec un candélabre il n'en va de plus mê!ne. Celui-ci se. compose d'un pied, d'une tige, de branches, de hinets, de bobèches, qui, réunis, constituent Fig.13. Fig.14.-Ledes- Fig.15.-Lapièce Fig.16. - La pièce La pièce forgée. sin décalqué sur champlevée et reprise au cise­ la pièce. ébauchée. let et achevée. bien un tout, mais qui, pris séparémel�t, ont chacun leur forme, leur raison d' être, et dont �es points de jonction peu­ vent être facilement dissimulés, ou même demeurer visibles sans que l'œil s'en trouve le moins du monde choqué (voir Hg. i7 et i8). D'accord sur ce premier point, résumons maintenant les opérations principales de la fonte. Lorsque l'objet à mouler est d'une certaine importance" on prend le modèle exécuté par l'artiste, ou mieux le plâtre moulé d'après ce modèle, 'et on le couche sur un lit de terre un peu maigre et conve­ nablement humectée. Par la pression on enfonce le modèle jusqu'à la moitié de son épaisseur, puis on complète la 20 ,L'ORFÈVRERIE chape par la confection d'une série de pleces séparées, façonnées également en sable humide et bien pressé, et s'emboîtant les unes dans les autres, de façon à former au­ tour du modèle une enveloppe parfaitement close. Ce moule, ou, pour parler plus exactement, cette chape étant achevée et suffisamment sèche, on s'en sert pour con­ fectionner en terre une épreuve -de l'ouvrage que l'on veut reproduire. A l'aide d'un grattage uniforme, on maigrit cette épreuve, de façon que, replacée dans le moule, elle n'adhère plus à sa, paroi intérieur.e, mais laisse partout un vide régulier de un, ou deux millimètres.' Cette épreuve ainsi maigrie, qui prend le nom de noyau, est mise en place et calée par une armature; puis le moule est refermé. On enveloppe le tout dans de la terre bien battue et maintenue contre toute pression intérieure et extérieure par des ca­ dres en fer, et ensuite on verse le métal en fusion. Ce der­ nier, .en pénétrant dans l'espace libre, forme une sorte de chemise qui habille le noyau. Une fois le métal versé, on n'a plus 'qu'à laisser refroidir. Ces opérations, réduites dans cet exposé à leur plus sim­ ple expression, concernent la fonte de pièces relativement importantes comme dimensions. Mais, ainsi que nous ve­ nons de le dire, grâce à la facilité avec laquelle les métaux précieux se soudent, et aussi par suite de l'habitude qu'on a de monter les objets usuels à l'aide d'e tiges de fer et d'é­ crous, l'orfèvre n'a généralement' que de petites pièces à fondre, qu'il moule le plus souvent en massif, et par consé­ quent sans noyau. Même dans ses plus grands ouvrages, il n'exécute à la fonte que les parties en' ronde bosse, qui sont ordinairement de dimensions réduites, et il n'hésite à diviser en plusieurs fragments les morceaux vastes Oli pas compliqués. En outre, comme il serait long et coûteux de confection­ ner chacun de ces fragments une chape spéciale, et pour de procéder pour chacun d'eux à une fonte particulière, on L'ORFÈVRERIE 21 en réunit un certain nombre dans un même cadre garni de terre convenablement préparée. On les dispose dans ce ca­ dre, en ayant soin de les faire rayonner autour d'un rouleau de bois chargé de ménager le chemin du maitrejet, On établit également des communications entre eux de façon à favori­ ser par des jets de traverses la transmission rapide du !llétal Fig. 17. - Flambeau Fig. 18. - Diverses parties du flambeau. monté. - A, hinet. - B, bobèche. - e, collet. - D, tige. - E, collet du pied. - F, ,pied. - G.' suage ou doucine. dans toutes les parties du moule; puis on remplit de sable le cadre des châssis, et on le presse dans tous les sens jus­ qu'à ce qu'il soit parfaitement compact, en ayant soin que les divers modèles ne soient engagés que jusqu'à leur moitié. Cela fait, on établit la contre-partie de ce premier tra­ vail, ce. qui s'exécute de la façon suivante. On prend un second châssis en tout pareil au premier et qui s'adapte à celui-ci à l'aide de chevilles pénétrant dans des trous exactement repérés. On place ce second châssis sur le pre- 22 L'ORFÈVRERIE miel', et on le charge de sable. Cette opération achevée, on sépare les deux cadres, pour rectifier, s'il y a lieu, lesjets de communication et la marche du maître jet, lequel doit tou­ jours aboutir à l'ouverture des châssis. On retire les ob­ jets, on fait légèrement chauffer la terre pour chas�er l'humidité qui pourrait y rester. On soumet les empreintes à la fumée d'un flambeau de poix-résine pour empêcher l'adhérence. Ensuite on réunit de nouveau les deux cà­ dres au moyen des chevilles dont il a été parlé; on les serre à l'aide d'une presse à vis et l'on verse le métal en fusion, en prenant bien garde de s'arrêter juste au moment _ où l'ouverture du maître jet se trouve remplie. Après cela on n'a plus qu'à laisser suffisammentrefroidir, puis on brise I le moule et l'on en sort les objets . Il s'en . manque d� beaucoup, à ce moment, que les pièces fondues soient en état d'être utilisées. D'abord il faut les détacher des jets auxquels elles adhèrent, enlever les cou­ tures, c'est-à-dire les légères saillie's laissées par les points de jonction du.moule, mettre à vif le métal en faisant délica­ tement disparaître, à l'aide de grattoirs et de rifloirs, la couc-he d'oxydation produite par la fusion. Si Ia pièce est faite de plusieurs fragments soudés, il faut que la ragrëure rende invisibles les points d'assemblage que présentent les mor­ ceaux réunis. Enfin, comme l'or et l'argent, métaux moins malléables que le bronze, ne s'imprègnent pas toujours suffi­ samment des finesses et des délicatesses du moule qui les re­ çoit; comme ils gardent souvent, après la fonte, une certaine mollesse de contours, il s'agit de leur imprimer la nervosité et l'accent qu'ils n'ont point su prendre, et de leur donner en même temps le précieux et le fini auxquels ils ont droit. Ces différentes opérations relèvent du ciseleur. IV DES DI'FFÉRENTES SORTES DE CISELURE SUR FONDU. r: LES OUTILS DU CISELEUR. Les difficultés multiples que, présentent ceux de ses ()uvrages qui sont un peu compliqués, la singulière diver­ sité de qualités physiques et de talents qui lui sont néces­ saires pour les mener à bonne fin, la part décisive qu'il prend à l'achèvement et souvent même à la création des œuvres les plus considérables de l'orfèvrerie, font du ci­ seleur habile un artiste véritable. Malheureusement tous ceux qui exercent cette délicate profession ne sont point ' ,intelligents et capables au même degré. A côté du ciseleur expérimenté et suffisamment instruit pour comprendre et interpréter une forme, et qui, maître de son outil, touchant juste et du premier coup, est en état de conduire un travail à sa perfection, il y a ceux qu'en termes d'atelier on appelle les abatteurs et les ficeleurs. Se contentant d' exercer la lettre de leur métier, les premiers abattent' en un instant les 'besognes les plus longues. Ils nettoient une pièce en un tour de main, et donnent à l'ou­ vrage les apparences d'un achèvement soigné, sans se préoccuper aucunement de respecter l'esprit qui a présidé .à l'invention' de l'œuvre, non plus que les exigences' du .décor. Les seconds se bornent à n'être réellement habiles ,que dans une spécialité, et pour le reste demeurent au­ dessous du médiocre; ou bien, fiers à l'excès de leur talent, ils ne cherchent qu'à embellir l'ouvrage par des façons compljquées, qui trop souvent dénaturent le caractère du modèle. Le rôle du véritable ciseleur est tout autre. Il doit assurément avoir acquis une cer-taine virtuosité technique. L'ORFÈVRERIE Il lui faut en outre, comme l'explique fort hien M. Jean Garnier i, des qualités physiques toutes spéciales , mais ce qui lui est surtout indispensable, c'est d'avoir du senti­ ment et du goût. �e pouvant employer la Ioup'e, - le maniement du mar­ teau s'y oppose, - il est de toute nécessité que son œil soit assez perçant pour suivre le travail dans toutes ses parties et pour enregistrer l'effet produit par chacun de ses coups. Conduisant le ciselet de sa main gau�he et tenant dans sa. droite un petit marteau typique, - à tête plate et à panne arrondie, monté sur un lég�r manche de frêne, - il a éga­ lement besoin d'une délicatesse exquise de tact et d'une Fig. 19. - Marteau de ciseleur. absolue possession de ses moindres mouvements, car cha­ que coup doit être frappé exactement en sa place, ni trop fort ni trop faible, et l'artiste doit sans cesse varier non seulement la position de son outil, mais la forme même et la grosseur de cet outil, pour que son travail soit exempt de monotonie. Tout ceci, cependant, n'est que la partie technique et matérielle de sa tâche. _ Un autre devoir lui incombe encore, et celui -Ià sin-· gulièrement plus relevé. Le rôle du ciseleur, sa mission essentielle est, après avoir corrigé les défauts de la fonte­ �t resserré le grain du métal, de compléter le modèle qui lui est fourni, mais sans jamais substituer les fantaisies de son interprétation aux indications données par l'auteur principal. Ainsi que le remarque fort bien un maître en ces. 1. Nouveau Manuel complet du ciseleur; Paris, 1859; p. 27. · L'ORFÈVRERIE matières 1, il a le devoir de faire signifier au métal cc ce que le sculpteur n'a pu donner, ce que ne livrent ni la terre, n'i la cire, ni le bois, ni le marbre : cette fleur de l'épi­ derme, le chairé de la peau, la maille du tissu, les ner­ vures 'des feuilles, le moiré des fleurs, tout cet infini dé­ licat qui charme l'œil et donne la couleur et l'esprit à Ia matière )), Mais, dans ce magique achèvement qui est son triomphe, le ciseleur ne doit jamais cesser d'être le tra­ ducteur obéissant et soumis du créateur de l' œuvre. Fig. 20. - Le boulet, - e, le ciment portant la pièce à ciseler. - A, le cercle de­ tôle renfermant le ciment. - B, le boulet proprement dit. - D, le panonicr. Ces diverses façons extrêmement variées et, toujours. délicates, notre artiste les exécute avec une quantité prodi­ gieuse d'outils, peu compliqués du reste, et qu'il fabrique· souvent lui-même. Ces outils sont le marteau dont nous avons déjà dit un mot, les gouges, les burins, les grattoirs, les molettes et surtout les rifloirs et les ciselets. Ces der­ niers notamment sont en nombre infini, et cela s'explique. Leurs formeset leurs dimensions changent au gré de I'exé- L . cutant, qui les accommode et les façonne suivant les habi- tudes de sa main, la nécessité de son travail, ou son désir d'obtenir certains effets déterminés. Voici, du reste, en quoi ces outils consistent. 1. M. L. Falize, Voir Dictionnaire encpclopedcque de l'industrie et des arts irulustriels, à l'article CISELURE. 26 L'ORFÈVRERIE On donne le nom de ciselets à des tiges d'acier de 10 à 15 centimètres de'!emgueur et de 3 à 5'millimètres d'épais­ seur, dont un bout - celui qui agit sur le metal :- est fortement trempe, mais sans jamais être tranchant. C'est cette extremite de l'outil qui reçoit ces formes etonnam­ ment variees dont nous parlions à l'instant. Non seule­ ment elle se modifie comme largeur et comme taille suivant les besoins de celui qui l'emploie, mais elle s'aplatit Ou se bombe, s'arrondit ou se creuse, revêt un aspect anguleux ou carré, offre une surface grenue ou polie, et presque à chacune de ces transformations l'outil prend un _nom par­ ticulier, Si l'extremite s'amincit et s'effile en pointe, c'est la bouge>' si elle s'arrondit, au contraire, c'est la bouterolle>' si elle se creuse, c'est le perloir, etc. Cette pointe est-elle unie et polie, le ciselet rentre dans la categ0rie des outils clairs : si, au contraire, elle est striee, pointillee ou grenue, il se trouve compris dans la classe des matoirs >. 'etc. Les sous - variétés de ces petits instruments sont tellement nombreuses, que le ciseleur a generalement à portée de sa main trois ' ou quatre grandes boîtes rondes en fer-blanc. La première est remplie par 'les outils clairs, la seconde par les matoirs, la troisième par les traçoirs, et tous sont dresses le bout en l'air et reunis sous son œil, de façon que l'artiste voie de suite où sa main exercee peut chercher et trouver l'outil qui lui est necessaire. Les rifloirs, egalement, sont fort employes et très varies dans leurs formes. Ils consistent en tiges d'acier longues d'environ 25 centimètres, dont les extremites sont façon­ nees à la lime suivant le dessin particulier qu' exige la na­ ture même'du travail. Une fois prepares, on les taille, et on les trempe ensuite. On en fait de ronds , d'autres sont en forme de langue ele chat>' de haricot> de couteau (on nomme ceux-là coutclless de feuilles ele sauge> de crochets> de bouts releves. Les uns ont leur tige droite; d'autres l'ont cambree et même courbe; de façon à penetrer dans cer- L'ORFÈVRERIE 27 taines cavités dont autrement on ne pourrait atteindre le fond. Indépendamment de ce petit arsenal déjà fortement ap­ provisionné, et qui comprend ce que l'on pourrait nommer les instruments classiques, il faut mentionner cette autre catégorie que M. Jean Garnier 1 appelle plaisamment les Fig. 21. - Le blot pris clans l'étau. outils ele chic. Ceux-ci consistent en ciselets qui tantôt se traînent à la façon des matoirs, tantôt se frappent net et laissent une empreinte d'une nature spéciale. On s'en sert pour imiter le poil de certains animaux, les carapaces de l'écrevisse, du homard, des crabes, les écailles des truites et des brochets, des lézards, etc. Ces outils singuliers, spécialement exécutés par ceux qui en font usage, exigent 1. Le Mœnue] du ciseleur, p. 219. 28 L'ORFÈVRE RIE . chez leurs auteurs une certaine dose d'observation et beau­ coup d'adresse et d'expérience. Le reste du matériel nécessaire au- ciseleur est de moin­ dre importance. Il se compose d'un établi sur lequel on place un boulet en fer, calé par un épais rond de cuir, en forme de collier de chien, qu'on nomme p anonier (voir fig. 20). Ce boulet n'est engagé dans le panonier que jusqu'au quart de son diamètre. Grâce à son poids, il offre une grande stabilité. En outre, sa forme sphér-ique permet de le tourner dans tous les sens et de lui donner toutes les inclinai�ons. Le ciseleur fixe sur ce bouletIes pièces qu'il veut achever, à l'aide .d'un ciment fait de résine, de suif et de coaltar (gou­ dron de houille), qu'il applique à chaud, et dont la mission, une fois que par le refroidissement il a pris la dureté né­ cessaire, est non seulement de retenir la pièce sur son support, mais encore de soutenir le métál. Lorsque, au lieu de travailler un objet en ronde bosse, le ciseleur doit s'attaquer à un plat ou à une assiette, comme lé boulet ne Iui offrirait pas une surface assez ample pour exécuter un ouvrage aussi vaste, il colle ce plat ou cette assiette sur un blot. On donne ce nom à un plateau de bois fait d'un ou de plusieurs morceaux et proportionné, comme dimensions, à la taille de la pièce qu'on veut achever. Ce hlot peut être fixe' sur le boulet; mais plus ordinairement il est muni en dessous d'une forte cheville qu'on seri-e so­ lidement dans les mâchoires d'un étau (fig. 21). Enfin, si le blot affecte lui-même des proportions trop vastes, on se horne à le caler sur l' établi avec des morceaux de bois, ou, ce qui vaut mieux, avec des coussins de cuir remplis de sable. Tels sont les principaux outils journellement employés pour la ciselure du fondu. Nous verrons bientôt que pour le repoussé on fait également usage de la plupart d' entre eux, et qu'on se sert aussi de quelques autres. v DU TRAVAIL AU MARTEAU, ET DES AVANTAGES QU'IL PRÉSENTE Bien que l'or et l'argent se fondent presque aussi facile- )( ment que le bronze, on ne recourt que rarement, nous l'avons dit" à ce procédé pour la confection des pièces d'orfèvrerie. Le prix relativement elevé de ces deux me­ taux oblige, en effet, ceux qui les mettent en œuvre à mé­ nager autant que possible la matière. C'est pour eux non seulement un moyen de rendre plus abordables. les ouvra­ ges qu'ils fabriquent, mais encore d'en assurer la censer- vation 1. Aussi, dans le but d'économiser le métal, a-t-on , recours, pour la fabrication de la vaisselle plate, à la forge et au planage, et pour Ia fabrication de la vaisselle montée, au repoussé et à l'estampage; procédés d'autant plus uni­ versellement employés que l'argent, métal très ductile, se laisse admirablement travailler au marteau. Ajoutons que ces diverses manières de façonner les mé­ taux précieux sont' extrêmement anciennes. La plupart des bijoux et des pièces d'orfèvrerie antiques qui sont parve­ nus jusqu'à nous, sont le resultat de la forge et du repoussé. Le musée egyptien du Louvre montre. dans les vitrines de la Salle [uneraire, un masque estampé dans une lame d'or, .et le livret d'un batteur d'or encore rempli de feuilles ob­ tenues au marteau. Les masques et les bijoux découverts par M. Schliemann dans ses fouilles célèbres, ainsi que les admirahles parures, diadèmes, colliers, couronnes, censer­ vés dans la Salle des bijoux, prouvent que les Grecs et les 1. On peut voir, en effet, dans le Résumé historique dont cette no­ tice est suivie, que la pr-incipale cause de destruction de l'argenterie réside justement dans la valeur -constamment réalisable des métaux qu'elle met en œuvre. 30 L'O RFÈVRERIE Étrusques pratiquaient ce genre de travail d'une façon courante. Les trésors d,.'Hildesheim, de Bernay, de Notre­ Dame d'Alençon, attestent qu'à Rome et dans la Gaule ro­ maine, le repoussé avait atteint une beauté qui n'a pas été dépassée depuis. Enfin la précaution que nos' ancêtres prirent de toujours représenter l'illustre patron des orfè­ vres, le grand saint Éloi, un marteau à la main, établit assez que les procédés ayant le martelage pour base ne furent jamais négligés dans notre pays. Il ne faut donc pas s'étonner qu'un art aussi vénérable, pratiqué de toute ancienneté, soit arrivé à produire des ouvrages d'une irréprochable perfection. Ce long entraîne­ ment devait avoir pour conséquence une sûreté d'exécution absolument supérieure; aussi peut-on affirmer, sans exagé­ ration, que l'orfèvre habile ne connaît pour ainsi dire pas d'obstacles, et peut, armé de son marteau, réaliser toutes les � fantaisies que son génie enfante. En possession d'une lame d'argent relativement mince, il va, en frappant des coups fermes et bien assurés, donner peu à peu à cette lame une courbure concave; puis, quand cette courbure sera suffisamment accentuée, il saura toujours, par le même moyen et sans autre artifice, ramener son métal, en former un vase dont il rétrécira progressivement l'entrée jusqu'à terminer celle-ci par un étroit goulot qu'il évasera légère­ ment. Ce n'est point tout. Une fois ce goulot achevé et ourlé d'un rebord, notre artiste couvrira le corps de son vase de reliefs obtenus par des coups frappés de l'intérieur, et il achèvera exterieurement ces reliefs, par une reprise au ci­ selet qui en accentuera toutes les délicatesses. Ces diverses opérations sont si couramment pratiquées, que chacune d'elles porte un nom spécial. L'action de ren ... dre une feuille de métal convexe d'un côté et concave de l'autre, se nomme �mboutir >' celle de ramener le. métal, de restreindre ainsi son étendue, est désignée par le mot ri­ treinte >' lorsque le goulot est suffisamment haut et que l'ar- L'ORFÈVRERIE 31 .tiste en é.vase les bords, cette opération s'appelle ëcoüeter, et ce verbe fait presque image. Enfin, on elit du ciseleur ' qui décore la pièce en Ia re- poussant de l'intérieur qu'il recingle ses ornements, . parce que le coup ele marteau cin­ glé par lui sur la tige de fer qui pénètre. dans le goulot, recingle par contre-coup sur la paroi interne du vase 1. Lorsque nous disons que ces curieux tours de force sont couramment exécutés au mar­ teau, il ne faut pas entendre qu'ils sont tous obtenus avec le même marteau. L'orfèvre possède, au contraire, une foule de ces oútils, de formes différentes, et dont chacun est particulièrement façonné pour un genre spécial de travail. Tels sont les divers marteaux à emboutir, à réparer, à ache­ ver, les marteaux et les mar- Fig. 22 à 26. - Passes successives telets à bouge, à marli, à pla- d'un disque de métal amené par le ner à retreùulre etc., et, martelage à former une corbeille. , , conjointement avec ces marteaux variés, il fait encore usage d'autres intruments de formes assez particulières. 1: L'outil dont on se sert pour ce travail et que nous décrivons plus loin porte également le llom de recinele, Nous remarquerons que jamais nom d'outil aussi employé ne fut écrit d'une façon plus incer­ taine même par les gens du métier. Ainsi Jean Garnier et, après lui, L. Falize écrivent ressing; Julia de Fontenelle et'lVIalpeyre préfèrent ressingue ; Littré, resingle ; Charles Blanc, resingue. N ous avons cru bien faire en rendant à ce mot son orthographe primitive. I. 32 L'ORFÈVRERIE Suivant la nature du travail qu'on doit exécuter, les ap­ pareils sur lesquels on bat le métal affectent, en effet, un as­ pect différent et prennent des noms en rapport avec l'usage spécial auquel ils servent. Veut-on planer> dresser ou polir une plaque d'argent, on a recours au tas à dresser> sorte cie pyramide renversée faite en acier trempé, dont le sommet se trouve engagé dans une large mortaise préalablement pratiquée dans l'établi, ou encore enfoncée dans un billot de bois, et dont la base, devenue partie supérieure, est par­ faitement polie . Veut-on c�nllelel' une plaque ou former le Fig. 27 à 29. - Tas à planer, à drosser et à canneler. rebord d'un vase, d'une cafetière, on se sert du tas à can­ neler ou du tas à soyer> dont les bords sont arrondis ou dentelés, suivant la qualité de l'ouvrage. S'agit-il d,'en'tboutir une plaque de métal, on emploie celle des nombreuses espèces de bigornes qui convient le mieux au genre d'objet qu'on se propose d'exécuter: bigornes droites pour les timbales, bigornes demi-rondes pour le corps ou la panse des vases, bigornes en boule pour les ob­ jets à fond arrondi, comme les saucières, etc. C'est égale­ ment la bigorne qui sert pour restreindre le corps des va­ ses et former les goulots. Pour les gros ouvrages, on a des enclumes spéciales, se, terminant le plus souvent en bigor­ nes; enfin quand l'emboutissage doit affecter un galbe parti- L'ORFÈVRERIE 33 culier, on se sert de mandrins méplats, ronds, octogonaux ou carrés, faits de bois, de cuivre jaune ou de fer, et ap­ propriés aux contours que l'on veut obtenir. L'exécution des principaux ouvrages d'orfèvrerie néces­ site encore un matériel accessoire, permettant soit de pré­ parer les pièces, soit de les finir. Il est clair, en effet, qu'a­ vant d'attaquer la feuille de métal pour en tirer un plat ou une cafetière, il est indispensable de commencer par tailler cette feuille suivant la forme convenant le mieux au genre d'ouvrage qu'on prétend mener à bien. Il faut dé- Fig. 30 à 32. - Bigornes droites et demi-rondes. barrasser , en outre, la surface que l'ouvrier va modeler au marteau, de toutes les parties inutiles qui le gêneraient dans l'exécution de son travail. D e là des opérations de traçage et de découpage, toujours délicates, parce que le bon orfèvre s'efforce, avant toutes choses, de ne pas gâchú la matière. Aussi prend-il bien soin de découper ses surfaces princi­ pales avec le moins de perte possible, et de façon à se mé­ nager des rognures assez vastes pour en tirer les petites pièces, comme les becs de cafetière, de théière, les an­ ses, etc., qui lui serviront ensuite à compléter l'objet prin­ cipal. Pour exécuter son tracé, l'orfèvre emploie ordinai­ rement des patrons en carton ou en fer-blanc. Parfois, et lorsqu'il est très habile, il trace directement à la pointe un dessin, dont il reprend ensuite le contour au burin, et 3 340 L'ORFÈVRERIE qu'il tranche soit aux cisailles cl. 17UÛIZ, soit aux cisailles ct banc, suivant l'épaisseur de la plaque. Tels sont les principaux outils qui sont couramment usi­ tés dans les ateliers d'orfèvrerie. Leur énumération et la desér iption succincte que nous en donnons aideront sans doute le lecteur à se faire une idée générale de la façon dont s'exécutent tous ces beaux et riches ouvrages. Ce qui est plus délicat à entendre et moins facile à expliquer, c'est le degré d'habileté, d'intelligence pratique et d'expé­ rience que réclament ces curieuses et difficiles opérations .. Le façonnage au marteau des métaux précieux nécessite, en effet, des précautions nombreuses et une adresse de main absolument exceptionnelle. L'ouvrier doit conduire son métal, appauvrissant les parries destinées à constituei­ les fonds, renforçant celles qui doivent former les saillies pr-incipales, s'appliquant à proportionner la force de cha­ cun de ses coups à l'épaisseur de la surface qu'il frappe, et à ne jamais faire porter son marteau qu'une seule fois it la même place, de façon que le métal conserve sa parfaite . homogénéité. Le repoussage, en outre, par la multiplicité des chocs, arrive à corroyer l'argent, à le durcir au point que le tra­ vail deviendrait beaucoup plus pénible, presque impos­ sible, si l'ouvrier ne prenait le soin de passer de temps en temps ses plaques à un feu assez vif, afin que Ia chaleur, en dilatant les molécules, rende au métal sa ductilité et sa malléabilité premières. Encore là, de grandes précautions. sont-elles à prendre. On doit, par exemple, faire bien at­ tention que chaque chaude soit donnée d'une manière uni­ forme, afin que les coups de marteau appliqués avec une même force sur un métal qui a été plusieurs fois recuit ,. ne produisent pas des effets différents. Est-il nécessaire d'ajouter que, dans la pratique, ces deli­ cats travaux présentent mille et une complications auxquel­ ê les nous ne saurions avoir la prétention d'initier le Iecteur A, tas et maillets. - B, bigornes et mar­ teaux. e, creusets. D, fourneau. E, fonderie. F, fourneauàsoudel·. 'V' G, chalumeau à gaz. � H, nouveau soufflet. O !:O l, soufflet ancien. � trj- J, loupes-bocaux, -< !:O K, filière. trj !:O L, laminoir. - trj M, hanc à tirer. N, établi, 0, lampe à souder. P, étau. R, claies. Fig. 33. - Atelier d'orfèvre, d'après l'atelier type établiau Conservatoire des arts et métiers. W IòIY r'" 36 L'ORFÈVRERIE Ce n'est pas dans un livre, en effet, mais dáns l'atelier et sur le la pièce même, placée entre la bigorne et marteau, que avec fruit et ces sortes de démonstrations peuvent se faire d'une façon complète. de ces Nous nous bornerons à constater qu'en dépit difficultés si nombreuses et si variées, l'orfèvre vraiment habile arrive à tirer du métal à. peu près ce qu'il veut. leur talent, les repousseurs adroits Ainsi, pour prouver de 5 francs et parviennent à lui pièce donner, prennent une le simple martelage, la forme d'un cornet ou d'un verre par le ruban à champagne, en ne conservant de' la pièce que la devise « Dieu protège la France )), qui devient le avec obtenu. NIais, quelle que soit la dextérité rebord du vase dé ceux qui l'exercent, une profession ne peut admettre C'est les tours de force qu'à l'état d'exceptioli. pourquoi l�s à de orfèvres se, sont lri.géniés, de tout temps, user procédés leur permettant de simplifier ce que ces ouvrages ingénieusement compliqué et, comme exé- offrent de trop cution, de trop difficile. Fig. ,34. _ Orfèv,re façonnant un gohelet sur la higorne, . . d'aprés une. gravure de l'Enéyclopédie. VI , PROCÉDÉS ÉCONOMIQUES ET RAPIDES DE FABRICATION . LES .,( DIVISION DES PIÈCES EN FRAGMENTS SÉPARÉS, ET RÉU- _ NION DE CES FRAGMENTS PAR LA SOUDURE. Pour donner à leur industrie toute l' extension dont elle est susceptible, les orfèvres se sont, de tout temps, appli­ à réduire autant que possible leurs prix de fabrica­ qués ti.on. Produire rapidement et à bon marché non seulement la vaisselle d'usage, mais encore �es pièces compliquées, destinées à la parure des buffets, c'est assurément en ren­ dre l'acquisition plus facile et, par contre-coup; donner aux travaux de l'orfèvre un redoublement d'activité. Ce calcul était surtout aux époques lointaines 'où, les valeurs exact , d'État et de banque n'existant pas, la possession des mé­ précieux constituait à peu près toute la fortune mobi­ taux lière. En rendant leurs façons de moins en moins coûteu­ ses, les orfèvres devaient amener tout naturellement les détenteurs de quantités considérables d'or et d'argent à les faire convertir en vases, en aiguières, en drageoirs, quitte, à leur resti­ lorsque les temps devenaient plus difficiles, Et tuer leur première forme de monnaie ou de lingots. sei­ c'est ai nsi que l'argenterie des princes et des grands gneùrs. put être assimilée, pendant toute une suite de siè­ cles, à une sorte de réservoir métallique où l'on puisait sui­ vant les besoins du moment. Telle est, en effet, la raison de ce débordement de pièces d'orfèvrerie que, durant tout le moyen âge, on' rencoRtre, aux jours heureux, dans les trésors des princes et des rois, et de, cette pénurie que les une Inoentaires de ces mêmes princes signalent après funeste. guerre malheureuse ou quelque entreprise 38 L'ORFÈVRERIE Une foule de documents viennent nous apprendre, en outre, que jusqu'à la fin du XVIe siècle l'argenterie tint lieu constamment de monnaie, et servit aux payements de toutes sortes 1. On prêtait alors à ses amis des ouvrages d'or et d'argent, comme de nos jours on prête des espèces ou des billets de banqu�. C'est avec un lot d'argenterie mis géné­ reusement à sa disposition par le duc Louis d'Anjou ,' que Henri de Transtamare put regagner son trône usurpé par Pierre le Cruel. Louis d'Anjou, si généreux pour les prin­ ces détrônés, usa à son tour de toute l'influence qu'il avait sur son neveu Charles VI, pour emprunter à l'orfèvrerie royale les moyens de conquérir son royaume de Sicile. François 1er fit mieux ou pis. Après la bataille de Pavie, il ne se borna pas à faire fondre la vaisselle royale et jusqu'à la « nef» d'or, emblème de ses prérogatives sou­ veraines, il· adressa un pressant appel à la générosité de ses sujets, et, pour payer sa . rançon, emprunta I'argente- rie des particu'liers, qui prit avec la sienne le chemin de la Monnaie. Une curieuse Ordonnance datant du règne de ce prince nous apprend, également, qu'à cette époque les impôts étaient communément acquittés en vaisselle; et dans l'information que le roi Henri de Navarre fit faire en 1588 à propos de la mort suspecte du prince de Condé, nous voyons que toute l'argenterie de ce prince avait été mise en gage, ou donnée en payement de dettes plus ou moins anciennes. Ces exemples, qu'on pourrait multiplier et qui, du reste, ont été recueill is avec soin, car ils sont des plus instruc- 1 .. Il est à remarquer que tous les ouvrages d'argenterie qui antiques nous ont été conservés, portent l'indication de leur úne poids gravée sur partie apparente. De même les Tnoerüaires du moyen âge rela­ tent méticuleusement le poids de toute la vaisselle décrite;. et cette précaution permettait aux possesseurs de ces richesses de savoir exac­ tement le nombre et la nature des pièces qu'ils devaient donner pour acquitter une somme quelconqué. L'ORFÈVRERIE 39 tifs 1, montrent suffisamment le rôle tout spécial que jouait alors la vaisselle d'or et d'argent. Pour pouvoir, au pre­ mier besoin, être fondue sans trop de perte et remplacer la monnaie dans les transactions courantes, il fallait que les façons dont on la chargeait fussent relativement de peu de valeur, sans quoi le déchet eût été trop grand 2. De là cette 'constante préoccupation des orfèvres de diminuer leurs frais de fabrication et de rechercher les procédés simpli­ ficateurs, it une. époque où les autres industries ne s'ingé­ niaient point encore à faire des économies sérieuses sur la main-d'œuvre. Le premier moyen auquel les orfèvres paraissent avoir eu recours pour atteindre ce résultat, fut de diviser l'ou­ vrage en un nombre plus ou moins considérable de mor­ ceaux, qu'on exécutait séparément et qu'on réunissait par la soudure. Les avantages qu'offre cette fragmentation sont assez évidents pour qu'on n'ait pas besoin d'insister longuement. Il est clair, en effet, que, quelle que soit la maîtrise de l'exécutant, il y a pour lui économie de temps et de difficultés à façonner isolément chacune' des 'parties d'un vase, quitte à les sonder ensuite, plutôt que d'essayer de tirer progressivement d'une feuille de métal non seu­ lement le corps même de ce vase, mais toutes ses parties .accessoires. C'est, en outre, le seul moyen qu'on ait d'em­ ployer simultanément plusieurs mains à la confection d'un 1. Voir le Inctionnaire de l'ameublement ct de la decoration, aux mots ARGENTERIE, ORFÈVRERIE, VAISSELLE, etc. 2. Louis XIV en fit bien l'expérience. Lorsque la fortune commença de lui faire mauvais visage, voulant se conformer it la coutume adop­ rtée les rois ses prédécesseurs, il fit, en 1(;)89 et par 1709, porter it Ia Monnaie son incorp.parable argenterie. Mais les temps avaient -changé: la main-d'œuvre était devenue infiniment plus coûteuse, et le Toi, gui espérait se procurer six millions avec cette refonte, it sa ,grande surprise n'en trouva que Ia moitié. Il avait compté sans l'a­ néantissement it jamais déplorable des façons qui doublaient la va­ ieur de cette orfèvrerie unique en son genre. (Voir Saint-Simon, Me­ moires, tome VII, et Voltaire, Siècle de Louis XlV.) !toO L'ORFÈyRERIE même ouvrage et, suivant la complication des façons, d'u­ tiliser le concours de collaborateurs plus ou moins expé­ rimentés. En un mot, c'est recourir à la division du travail et profiter de tous les avantages qui en découlent 1. Une fois les différents fragments exécutés, on les sou­ dait au corps de la pièce. Nous avons, dans notre second chapitre, expliqué en quoi consistait cette nouvelle opé­ ration. Et-il bien nécessaire de redire ici que souder deux surfaces métalliques, c'est les faire adhérer à l'aide d'un alliage, entrant en fusion à une température sensiblement moins élevée que celle où le .métal dont elles sont faites commence à fondre? Faut-il rappeler également ce que nous avons dit des alliages servant pour cette opération et qui, divisés en deux classes, prennent, suivant leur degré de fusibilité, le nom de soudures [ortes ou de soud�lres ten­ dres? Nous croyons inutile de revenir sur ces particulari­ tés, et nous nous bornerons à indiquer rapidement les pro­ cédés les plus communément employés pour opérer, à 1. C'est une sorte de lieu commun de prétendre que Ia division du travail est d'une pratique moderne. Les écrivains spéciaux et les manu­ facturiers eux-mêmes en sont si bien convaincus, qu'ils ont rarement laissé passer l'occasion de se plaindre de cette division, considérée comme récente. « Jadis, écrivait le rapporteur de la classe de l'Orfè­ vrerie à l'Exposition de 1867, jadis l'orfèvre créait et exécutait lui­ même son œuvre; aujourd'hui l'importance des affaires l'a forcé it introduire chez lui la division du travail, si utile dans la grande in­ dustrie. » Rien n'est moins exact, surtout pour la profession qui nous occupe. M. Jean Garnier, dans son Manuel du ciseleur (p. 97), cons­ tate que les vases exécutés au XVIe siècle sont composés d'un nombre considérable de morceaux, tous ciselés séparément. Mercier, dans son Tableau de Paris (tome XI, P: 139), écrit : « L'orfèvre foule occupe une de graveurs, ciseleurs, guillocheurs, polisseurs et polisseuses. Tel homme, haut de cinq pieds six pouces, robuste, ne .fait toute sa vie que tirer des filets sur des boîtes. Tel autre fait un trophéevcelui­ là grave un cachet, un chiffre ... )) Plus loin (p. M et suiv.) nous citons des Édits royaux qui confirment cette division du travail aussi généra, lement pratiquée sous l'ancien régime que de nos jours. Il ne saurait donc subsister aucun doute à cet égard. L'ORFÈVRERIE liaide de ces sortes d'alliages, la jonction des diverses fractions d'un même ouvrage. Après que le corps principal de la pièce et les parties accessoires destinées à lui être réunies, ont été suffisam­ ment achevés à l'aide du marteau, du grattoir et de la lime, on les nettoie avec soin ; on décape les endroits qui doi­ vent être soudés, pour qu'ils soient mieux en état de se joindre avec l'alliage; on les boraxe même légèrement, dans le but de faciliter aux paillons de soudure le chemin qu'ils doivent suivre; puis on fixe les parties accessoires sur la pièce principale à l'aide de fils de fer, d'agra­ fes ou de petits crampons, opération qui réclame la plus méticuleuse attention. Il est indispensable, en effet, que chacun des mor­ ceaux qu'on veut souder occupe bien exactement sa place définitive, etne puisse subir aucun déplacement Fig. 35. -Théière avec ses diverses parties à être de l'opération. Il, réunies et prêtes soudées. au cours faut, en outre, que cette fixité soit obtenue sans aucun excès de pression pouvant laisser une empreinte sur le métal, qui se trouve toujours quelque' peu ramolli par le haut de­ gré de chaleur auquel la pièce doit être soumise. Une fois ces précautions prises, on humecte toutes les parties à souder avec du borax délayé dans de l'eau; on charge ensuite la pièce avec la soudure, et, à l'aide d'un instrument appelé rochoir, on recouvre cette soudure avec du borax en poudre. Puis l'ouvrage est présenté une pre­ mière fois au feu' pour faire fondre le borax. Lorsque celui-ci a cessé de se boursoufler, on retire la pièce; on s'assure déran­ que les parties attachées n'ont point été gées, que les paillons de soudure ont conservé leur place, L'ORFÈVRERIE et alors on soumet de nouveau la pièce à une haute tem­ pérature. Jadis, pour amener la fusion de la soudure, on avait deux façons de procéder. On soudait soit au feu de la forge et-au vent du soufflet, soit à feu couvert: L� premier pro­ cédé, de beaucoup le plus simple, n'a pas besoin, croyons­ nous, d'être expliqué en détail. Il n'est personne qui n'ait vu fonctionner un feu de forge et des artisans porter au rouge blanc des barres ou des objets de métal. Le procédé du feu couvert est moins connu. Il consiste à. installer au milieu de l'atelier une bassine en fer, autour de laquelle I l'ouvrier peut facilement circuler pour aviver le feu et sur­ veiller sa marche. Le fond de cette bassine est garni d'un lit a.ssez épais de charbon incandescent, dont on fait un sol ardent sur lequel la pièce à souder est verticalement posée. Puis on dresse autour d'elle une sorte de petit mur fait de charbons également enflammés, percé par places par des regards qui permettent de suivre les effets produits par la chaleur. Quand il est nécessaire, on élève ce mur assez haut po�r qu'il recouvre la pièce entière. Cela fait, l'ouvrier, armé d'un carton en forme d'éventail, tourne autour de la bassine, activant la combustion des charbons et surveillant la fusion des soudures. Dès qu'il voit celles-ci br-iller d'abord et couler ensuite dans les parties opposées les une,s aux autres, il arrête l'opération, démolit son mur de charbon et sort la pièce soudée. - Ces façons d'agir, passablement compliquées, étaient autrefois couramment employées. Elles ne sont plus guère en usage aujourd'hui que pour les ouvrages exceptionnels. Dans nos grands ateliers d'orfèvrerie, on procède plus simplement. On dépose la pièce qu'on veut souder sur un lit de charbon éteint, garnissant une - vaste bassine, et l'on se sert de chalumeaux à gaz dont la flamme, renforcée d'un jet d'air au moins aussi puissant que celui du plus fort soufflet de forge, est dirigée sur les parties qu'on veut L'ORFÈVRERIE réunir. Ce jet' de flamme 'porte rapidement le métal au rouge et en quelques instants fait fondre la soudure. On comprend qp.e ces sortes d'opérations ne laissent pas que d'être délicates. Elles exigent une expérience, une sûreté de coup d' œil, une décision particulières. Lorsqu'il s'agit de grandes pièces, qui ont demandé déjà des mois de travail, l'ouvrier même très habile ne les entreprend qu'avec une certaine appréhension. Quelques degrés de température au-dessus de celle" nécessaire à la fusion de la soudure, peuvent, en effet, détériorer tout l'ouvrage, sans compter que celui-ci court d'autant plus de risques qu'il est plus précieux; car les soudures les moins fusibles sont toujours réservées pour les pièces les plus cornpli­ quées, et, en ce qui 'concerne ces dernières, les précautions à 'prendre sont d'autarit plus grandes, qu'un seul objet, par - suite de la multipljcíté même des morceaux accessoires qui doivent être u is':'lU corps principal, - et qui peuvent être soudés seu' ment les uns après les autres, - se trouve for­ cément oumis à un certain nombre de chauffes succes­ sive . Aussi, pour ces ouvrages difficiles a-t-on recours es alliages de qualités différentes, en commençant tou­ rs pal' faire usage de celui qui est le plus fort, c'est-à­ e qui entre en fusion à une température plus élevée: En tre, à chaque chauffe, on recouvre les parties précé­ demment soudées de couches assez épaisses de blanc d'Es- pagne, qui les isolent et les empêchent de griller lors­ qu'elles subissent ensuite le degré de chaleur destiné à amener la fusion- des nouvelles soudures, qu'on choisit, cette fois, de plus en plus tendres. On recourt à des précautions analogues lorsqu'une ou plusieurs des pièces que l'on a féunies au corps principal se sont déplacées au cours de l'opération. Pour les re­ mettre' en place, il faut nécessairement les dessouder. Dans ce hut, on recouvre toutes les parties de la pièce qui doi­ vent être conservées d'une pâte. faite de terre argileuse 44 L'ORFÈVRERIE additionnée de blanc d'Espagne, en réservant seulement le point que l'on veut rectifier et qu'on a pris soin de gratter préalablement et d' enduire de borax, pour que la fusion en devienne plus facile. On doit rendre cette justice aux orfè­ vres que, malgré la délicatesse de ces diverses opérations et les complications qu'elles présentent, les accidents sont rares. A force de précautions, de prudence, de perspicacité, ils arrivent à triompher de ces multiples difficultés; et cette habileté, cette sûreté d'œil et de main qu'on ne saurait trop louer, sont chez eux en quelque sorte héréditaires, car depuis les temps les plus ohscurs du moyen âge nos orfèvres parisiens ont beaucoup usé de soudures, et pa"' raissent même en avoir quelque peu abusé. On pourrait citer, en effet, de très anciennes Ordonnances royales visant cet emploi abusif, soit directement, comme l' Ordonnance rendue par Charles V en 1378" soit indirectement, comme celles édictées ,par Louis XII, François 1er, Henri II, etc., en 1506, 1523, 1543, 1549, 1554, etc. On pourrait également rappeler que, pour rester dans les limites légalement fixées, le remède, c'est-à-dire la quan­ tité d'alliage introduit par les soudures , ne devait faire descendre l'aloi de la pièce entière que de deux grains par marc 1, et qu'un Edit de 1495 ordonnait que la lettre ser­ vant de marque à chaque orfèvre fût accompagnée de deux points, afin qu'au cours de son travail celui-ci ne perdît jamais de vue la limite qui lui était imposée par le légis- 1. Le marc d'argent équivalait à 244g,752; le grain, à Og,053. C'était donc une tolérance de Og,106 par 245 grammes (chiffres soit ronds), environ 4,25 pour 100. Le remède sur l'or était beaucoup sévère. L'Édit plus du roy François I'" donne á Sainte-Menehoud (sic), le 1er décembre 1543, était ainsi conçu : ARTICLE PRE"rlER. Premièr-ement que quand à l'ouvi-ago d'or fin, les maistres ele l'estat d'orfèvrer-ie juréz ele nostredito ville ele Paris et aun-os maistr-es orfovres ele nos royaume, pays, terres et scigncur-ios, seront tenus faire les ouvrages d'o'� L'ORFÈVRERIE Fig. 36. - Théière décorée de clu'ysanthèmes, avec ses divel'ses pur-ties soudées au COI'pS principal (oUVI'age exécuté pal' la maison Cln-istoflo ct Cie). L'ORFÈVRERIE Iateur. Enfin l'Ji."tat du 30 décembre 1679; réglant la ma­ nière dont les ouvrages d'orfèvrerie devaient être poin­ çonnés en leurs différentes parties, achève de nous édifier sur la façon dont les orfèvres, à cette époque, décompo­ saient les pièces principales exécutées dans leurs ateliers. Nous y voyons que les aiguières, par exemple, devaient être marquées et contremarquées au corps, au couvercle et au collet du pied, et qu'en outre l'anse, la coquille, le bec, le suage ou moulure rajoutée et les carrés du pied devaient être marqués du poinçon du maître. De même on exigeait que les chenets fussent marqués et contremarqués aux faces des pieds, bastes, fonds, vases et pommes, et mar­ qués du poinçon de l'orfèvre aux griffes, suppots, collets, flammes, etc. Les grandes salières fort en usage it cette époque, ,et qui se compliquaient généralement de flaÍn­ beaux, étaient marquées et contremarquées au collet et au saleron, et si elles portaient un chandelier, aux platines, bassinets, branches, etc. Ori pourrait multiplier ces pIes. exerp­ Aujourd'hui, la vaisselle d'argent et d'or ne présentant plus le caractère d'une monnaie courante, ces marques et contremarques multiples ne sont plus exigées, et le légis- auquel il n'y aura' soudure. à vingt-trois carats trois quarts de carat ert vendre au peuple à raison de huit icaluy vingt-trois livres (163 livres) treize sols le marc; l'once, gros, denier et grain, à l'équipolent. ARTICLE II. Et quant à l'ouvrage d'or fin, qui est à vingt-trois carats trois il quarts y aura soudure, auront lesdits orfèvres auqnnl un quart de carat de remède, telle­ ment qu'ils sei-ont tenus faire ledit ouvrage à le vingt-trois carats et moins. demy poue ARTICLE III. Et quant à l'ouvrage d'Ol' à vintg-deux carats auquel il n'auront les-dits orfèvres n'y aura soudure, aucun remède, mais à l'ouvrage plain et massif au­ quel entrera soudur-e, auront un quart de carat de remède; et en' creus et chargés de filets ouvrages et de l'apport, pourr-ont avoir carat d'or fin de r emède, demy D'après cette Ordonnance, le remède pour l'orfèvrerie d'or d'un quart de carat, soit seulement é!ait de 1 pour 100. Il est vrai que l'Edit de 15403 fut adouci par Ia suite. L'ORFÈVRERIE Iateur a cesse de se montrer aussi rig�ureux sur le remèder c'est-à-dire sur l'abaissement que les soudures font subir au titre de l'alliage. Il convient d'aj.outer, à l'honneur de notre industr-ie nationale, qu'aucun orfèvre français digne de ce nom n' est capable de sonder au corps d'une pièce exécutée en argent d'un titre élevé, des fragments d'un aloi inférieur, ni de [ourrer t certaines parties de l'ouvrage afin d'en aug­ menter le poids au détriment de la qualité. L' exécution des soudures est une des dernières opéra­ tions auxquelles procède l'orfèvre. Quandles diverses par­ ties qu'il s'agissait de réunir, ont passé sous la flamme du chalumeau, on laisse refroidir la pièce; on détache les fils. de fer, on enlève les crampons, puis, par un décapage som­ maire, on Faitdisparaitr e le borax, et l'on peut alors cons­ tater si la soudure a coulé partout où elle devait pénétrer. Ensuite on fait tomber, soit avec une lime ou un rifloir, l'alliage qui se trouve en excédent. Après quoi, l'on donne au metal le degré de poli convenable, et la pièce passe entre les mains des ciseleurs chargés de I'achever. Peut-être sétonnera-t-on que nous ayons parlé à cette place de cette opération presque finale, et-que nous n'ayons pas commencé par décrire certaines autres façons prélimi­ naires que reçoit le métal. Mais il nous a paru utile d'établir tout dlabord que le procédéfondamental de simplification, économi­ point de départ de toutes les, autres applications résidait dans la faculté qu'ont les orfèvres de ques, frag­ leurs grandes pièces et ensuite de les r-econstituer menter ' à l'aide de soudures. 1-. On dit des avec pièces creuses dont les cavités ont été remplies un alliage de qualité inférieure, qu'elles ont été fourrées. VB '{ LE COQUILLÉ. - L'Ei.\ŒOUTISSAGE ET L'ESTAMPAGE AU MOUTON. Dès le moyen âge, peut-être même dès l'antiquité, les orfèvres eurent également recours, pour l'exécution de pièces relativement importantes, à un certain nombre d'au­ tres méthodes à la fois économiques et rapides. Ils s'appli­ quèrent notamment à remplacer par des moyens mécani- ques le travail du I repoussé, toujours long et difficile. Le plus ancien des procédés employés dans ce but paraît avoir été le coquillé. Nous avons vu plus haut comment on moule les métaux précieux, en les coulant dans une chape de sable portant íntérieurement l'empreinte du modèle que l'on entend duire. repro­ Lorsqu'il s'agit de fabriquer une pièce au ce n'est coquillé, plus le modèle qu'on jette en métal, mais le moule lui-même, et l'on exécute ainsi en cuivre jaune ou en fente de fer une série de bons creux. Puis, sur ces bons creux on applique des lames de métal plus ou moins épaisses; avec la bouterolle et le marteau on frappe ces feuilles, et on les force à épouser exactement la forme de du chaque fraction moule 1. On réunit ensuite par des soudures ces diverses parties, etl'on obtient ainsi des reliefs ou des rondes bosses , qui, repris extérieurement au ciselet, peuvent devenir des œuvres d'art remarquables. 1. Pour les très vastes ouvrages en bronze, au lieu de bons creux en métal, qui seraient trop coûteux, on se sert de bois grands mandrins en qui l'emplissent le même office. La statue de la Liberti de tholdi M. Bar­ et les chevaliers qui couronnent le de l'hôtel de de ville Paris faîtage ont été exécutés sur des mandrins de bois. . L'ORFÈVRERIE Ce procédé paraît avoir été régulièrement employé par les orfèvres à partir du XIIIe siècle et remonte vraisembla­ blement à une {poque très antérieure. La statue de I'Aúon­ dance trouvée à Saint- Puits (Yonne) et qui, exécutée en bronze, a été recouverte d'une feuille d'argent façonnée au . marteau; le masque de Minerve provenant du trésor de Fig. 37. - Petit coffret �lll XIve siècle revêtu de plaques obtenues au tcoqltiltd.' Notre-Dame d'Alençon, mis au jour en 1836, semblent obte­ nus par ce moyen, qui ainsi aurait été connu des Gallo­ Romains 1. Pour un grand nombre de châsses, de bustes­ reliquaires, de bras et même de statues très anciennes dé­ corant nos églises, il n'y a pas d'hésitation possible. On a pu voir, du reste, à l'Exposition rétrospective de 1878, une à statue en vermeil représentant un Diacre et appartenant la collection Bazilewski, et à l'Exposition de I' Union cen- 1. Ces curieux objets sont conservés au Louvre, dans Ia Salle de's bijoux antiques. 4 50 L'ORFÈVRERIE trale en 1880 un Ghrist et un Saint Sebastien, prêtés le pre­ miel' par M. Dupont-Auberville', le second par M. Target, qui, tous trois, avaient été confectionnés au coquillé. Les avantages qu'offre ce genre de travail sont de deux sortes. En premier lieu, l'exécution est plus rapide et par conséquent moins coûteuse. Toutefois, par suite de la fa­ brication des moules, qui reste assez dispendieuse, l'écono­ mie demeure peu sensible lorsque les pièces sont repro­ duites seulement à un ou deux exemplaires. Par contre, elle devient considérable quand, au lieu de fabriquer des ];ustes ou des statues en ronde bosse, il s'agit de pièces de vaisselle courante, d'ornements de chandeliers, de plaques destinées soit à l'ameublement, soit à la décoration de cassettes ou de coffrets (voir fig. 37), et dont on tire des quantités d'épreuves. A ce premier avantage le coquillé-en joint un second plus précieux encore: c'est de pouvoir, dans bien des cas, suppléer à l'insuffisance de l'interprète. Avec les procédés ordinaires du repoussé, l'auteur du modèle reste à la dis­ crétion de l'orfèvre chargé de traduire son œuvre. Dès qu'on emploie le coquillé, il n'en est plus de même. Les bons creux, en effet, servent au repousseur de guides im­ muables pendant toute la durée de son: travail. L'exécutant a bien encore besoin d'une solide éducation technique, d'une forte dose d'habileté et de'beaucoup d'application et de soin. Il importe qu'il sache ménager et conduire son métal, mais il n' est plus nécessaire qu'il soit lui-même un statuaire expérimenté. Sa part de collaboration devient ainsi quelque peu mécanique, et c'est cette dernière consi­ dération qui, dansIa fabrication au coquillé, amena les or­ fèvres, 'surchargés de commandes, à substituer. peu à peu l'action violente du mouton, au travail plus lent de la boute­ l'olle frappée par le marteau du repousseur. Dans l'industrie on donne le nom de mouton à une masse de fer ou de bois garni de fer qu'on élève à une certaine L'ORFÈVRERIE 51 hauteur à l'aide d'une machine à coulisses appelée SOll­ nette, et qu'ensuite, au moyen d'un déclic, on laisse brus­ quement retomber. Supposons que sous un appareil de ce genre on dispose un de ces moules en creux dont nous parlions à l'instant, et que ce moule soit recouvert d'une feuille de métal: le choc produit par cette masse, dont la pesanteur va se trouver multipliée par la vitesse acquise au cours de sa descente 1, forcera la feuille métallique à épou­ ser les contours intérieurs du moule, et grâce à ce choc on obtiendra d'un seul coup une empreinte qui aurait nécessité, au repoussé, un travail relativement long et toujours difficile. Dans la réalité, toutefois, les choses ne se passent pas aussi rapidement et aussi simplement que cette description un peu trop sommaire pourrait le laisser croire. En pre­ mier lieu, .... pour que la feuille de métal soit également re foulée dans tous les creux du moule, il est indispensable, que le mouton offre la contre-partie de ces creux. Lorsqu'il, s'agit seulement d'emboutir le fond uni d'une casserole, d'une cafetière, d'une saucière, d'un gobelet, on arme le sommier du mouton d'un {nandrin dont la saillie correspond avec la cavité présentée par le moule. Mais lorsque la matrice comporte dés dessins intérieurs plus ou moins mouvemen­ tés; quand elle est, par exemple, goderonnée, cannelée ou enrichie d'un ornement quelconque, l'orfèvre procède d'une façon différente. Il dispose son moule à la place exacte qu'il doit occuper; puis il coule dans ce moule un alliage com­ posé de plomb, d'étain et d'antimoine, et quand cet alliage est suffisamment refroidi, il laisse tomber brusquement le mouton. Celui-ci, armé de crampons qui pénètrent dans le métal coulé, emporte avec lui, quand on le ¡'emonte, l'alliage qui a gardé l'empreinte exacte du moule, et c'est de cette empreinte qu'on se sert comme de contre-partie. 1. Le poids des moutons employés par les orfèvres'varie entre 80 et 200 kilogrammes. Ces appareils sont mus aujourd'hui par la vapeur, ce qui en l'end le maniement extrêmement facile. 52 L'ORFÈVRERIE Lorsque le galbe qu'onveut imposer à la feuille de mé­ tél41 est simplement convexe d'un côté et concave de l'au­ tre, qu'il est, en outre, uni et sans ornements, l'opération prend le nom d'emboutissage. Elle s'appelle estampage quand la feuille, en même temps qu'elle est emboutie, re­ çoit unedécoration en relief. L'emboutissage s'obtient assez généralement en une fois. Un seul coup de mouton suffit pour imprimer au métalla forme qu'on désire lui faire pren­ dre. Mais quand le moule présente une cavité trop accentuée, , - comme ce serait risquer de crever la feuille de métal que de l'obliger du premier coup à épouser les contours de cette cavité, on procède prudemment par opérations successives, c'est-à-dire qu'on frappe cette pièce avec une suite de man­ drins de plus en plus saillants, cor-respondant à des matrices deplus en plus creuses, et le métal ainsi battu adopte pro­ gressivement une forme se rapprochant davantage de celle qu'on veut lui faire prendre, jusqu'à ce qu'un dernier choc du mouton achève de 'lui donner son galbe définitIf. Enfin, n'oublions pas de rappeler que, pOUT augmenter l'élasticité du métal, et pour le mieux disposer à obéir à la brusque pression de cet appareil un peu brutal', on a soin, avant chaque coup de mouton, de donner une forte chauffe à la feuille qu'on, travaille. Mais le mouton n'est pas la seule machine-outil dont on, se sert pour emboutir et estam­ per. On emploie également le balancier, qui, avec moins de violence, produit des résultats aussi rapides et plus satis­ faisants à divers égards. VIII L'EMBOUTISSAGE ET L'ESTAMPAGE AU BALANCIER L� forme du balancier et la manière dont il fonctionne (. - sont suffisamment connues pour que nous n'ayons pas be­ soin de décrire cet appareil. On sait également qu'inventé par Nicolas Briot, aux environs de 1625, et exclusivement destiné, dans le príncipe, à la frappe des monnaies, le balan­ cier ne fut il pas adopté chez nous avant 1645. Depuis lors est demeuré d'un constant usage, et la finesse du relief aussi bien que la netteté des empreintes obtenues grâce à lui, sur nos monnaies ou médailles d'or, d'argent et de bronze, attestent assez sa puissance et la parfaite régularité de son fonctionnement. Il était naturel que les orfèvres cherchassent à utiliser un auxiliaire aussi précieux. Toutefois, il ne paraît pas que dans la fabrication de l'argenterie on se soit régulièrement r- servi du balancier avant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Encore ne l'employa-t-on, tout d'abord, que pour le fa­ çonnage des couverts et pour 1a décoration de quelques' ouvrages soignés. C'est au balancier que furent découpés et estamp.és ces petites frises, ces grecques, ces rosaces, ces palmettes, ces médaillons surajoutés qui décorent l'orfè­ vrerie du temps de Louis XVI et de l'Empire, et tous ces ornements, rais de cœur, postes, feuilles d'eau, etc., dont la parfaite régularité et la constante répétition communi­ quent aux ouvrages de cette période une monotonie si par­ ticulière et une sécheresse en quelque sorte typique. Depuis lors, et grâce aux progrès de la mécanique, le balancier a pris une place relativement considérable dans l'industrie, et on l'emploie couramment pour un 'certain L'ORFÈVRERIE nombre de travaux. En .outre, l'adaptation de la vapeur à �on fonctionnement a permis de réduire ses dimensions, jadis très encombrantes, en même temps qu'elle donnait à l'opérateur le moyen de guider sa marche, de régler son effet, de varier son action, en un mot de proportionner l'énorme pression dont il est capable au résultat souvent très délicat qu'on en veut obtenir. Le balancier, en effet, ne procède pas comme le �outon. Fig. 38 à 44. - Passes successives d'une cuiller forgée sur le tas, bouterolléc et achevée au balancier. Il n'agit pas d'une manière violente et brutale, en fournis­ sant d'un seul coup tout ce qu'il peut donner. Son action, au contraire, est lente et progressive. Au lieu de refouler brusquement le métal, ill'étire, l'allonge, l'étend e� le force, par une pression continue et que l'opérateur peut toujours modérer ou suspendre, à adopter la forme qu'on désire. Aussi cette faculté de conduire l'appareil et d'en régularÍ­ sel' l'effort, permet-elle de s'y reprendre à plusieurs fois pour exécuter des ouvrages compliqués, et d'obtenir ainsi des effets que le mouton ne saurait fournir. L'ORFÈVRERIE 55 N venons de dire qu'un des ous premiers emplois pour des couverts. lesquels on utilisa le balancier fut la confection C"est seulement à la fin du XVIIe siècle, qu'on a commencé de fabriquer les fourchettes en nombre 1. Quant aux cuil­ elles sont.aussi anciennes que la soupe, dit lers, plaisam­ ment le comte Léon de Laborde. Dans le principe, on fa­ le tas ou sur çonnait ces dernières en forgeant le métal sur la bigorne, et l'on emboutissait le cuilleron sur un man- 45 à 51. Passes successives d'une fourchette Fig. _ forgée SUl' le tas et achevée au balancier. drin ou sur une bouterolle approp�'iée. En outre, lorsque le manche comportait des ornements, qu'il était, par exemple, filets, ceux-ci étaient poussés au burin ou obtenus orné de à l'aide de poinçons. Ces façons, on le comprend, étaient le longues et coûteuses, sans compter que travail, toujours un peu hâtif, ne présentait qu'une régularité fort relative. Aussi l'orfèvre était-il obligé de faire longuement réparer à lime au' rifloir la plupart de ses couverts avant de les la et 238, et, sur l'adoption des four­ 1. Voir Glossaire du moyen âge, P: et suiv, chettes, le Dictionnaire de l'ameublement, tome II, col. 826 56 L'ORFÈVRERIE mettre en vente, - ce qui lui occasionnait un surcroît de main-d'œuvre, et par conséquent de dépenses. Le développement considérable pris au XVIIIe siècle la par fabrication de ces ustensiles, que nous considérons au­ jourd'hui comme de première nécessité, conduisit les fa­ In-icantsà rechercher des procédés plus rapides et moins coûteux. C'est alors qu'on eut recours au balancier. On commençait, comme précédemment, par préparer les four­ chettes et les cuillers à la forge et suivant un calibre ar- Fig. 52 à 59. - Passes successives d'une cuiller fabriquée à la machine. rêté ; puis on les soumettait il l'action du puissant appareil, qui achevait de leur donner lem' forme, cambrait les man­ ches, arrondissait les dents 'ou le cuilleron, et 'finalement imprimait les filets ou tels autres ornements dont on à jugeait propos de les décorer. En sorte que cuillers et four­ chettes sortant du balancier n'avaient plus besoin que d'être légèrement réparées, finies et brunies; ce qui constituait déjà, comme temps et comme dépense, une économie très sensible. Mais une fois en si bonne . voie, on ne devait point s'ar- r êter. Des hemmes particulièrement ingénieux, parmi les­ quels il faut citer Jalabert, Krupp, J.-N. Ferry, et surtout L'ORFÈVRERIE 57 Allard et Levallois,_ ont progressivement amené cette fabri­ cation à un point de simplicité et de perfection qu'on n'au­ rait même pas soupçonné au commencement de ce siècle. Aujourd'hui, ce n'est plus seulement par l'estampage au balancier, mais encore par une sorte de laminage préalable que l'on arrive à produire, avec une rapidité sans précé­ dent, des couverts qu'on peut presque qualifier de parfaits. Pour cela, on prépare des plaques d'argent, dont l'épais­ seur varie naturellement suivant la force et la nature des Fig. 60 à 66. - Passes successives d'une fourchette fahriquée à la machine. couverts. Quand le modèle est uni, le fJan n'a pas besoin d'être beaucoup plus épais que le couvert lui-même .. Si, au contraire, le. modèle porte des rinceaux, cartouches ou filets, on proportionne son épaisseur au relief que doi­ vent former ces ornements. On lamine les plaques pour leur donner une régularité et une homogénéité aussi com­ plètes que possible. Puis l'orfèvre les débite en bandes de largeur convenable, de façon qu'on puisse découper dans ces bandes, et avec le moins de perte possible, les flans d'une série de fourchettes ou de cuillers disposées tête­ bêche (voir fig. 52 à 66). Une foils ces flans obtenus, on les met en contact avec une machine extrêmement ingénieuse, 58 L'ORFÈVRERIE formée de deux blocs semi-circulaires qui oscillent sur deux axes et exécutent ainsi un mouvement constant de va-et­ vient. Chacun de ces fragments de cylindre est armé d'une matrice. Le flan saisi par l'appareil est somnis à une pres­ sion considérable, qui étire le métal, lui impose sa forme et imprime des deux côtés les reliefs, filets ou ornements dont on juge à propo,s de le décorer. Cette opération très curieuse semble, à la description, d'une grande simplicité. En réalité, elle est très délicate et ne peut s'exécuter qu'à l'aide d'appareils construits avec une précision irréprocha­ ble. En outre, elle ne s'achève pas en une fois. Le flan doit passer par plusieurs épreuves successives, - en moyenne cinq. - Chacune des matrices avec lesquelles il est mis en contact présente un creux différent, et c'est seulement par l'effort progressif de ces passages successifs que l'ou­ vrage est amené à son point de perfection. Cette première. opération terminée, il ne reste plus qu'à cambrer les man­ ches, à courber les dents des fourchettes et à bouteroller les cuillerons. Ces dernières façons s'exécutent au ba­ lancier. On comprend qu'un procédé aussi ingénieux permette d'obtenir à très bon compte des pièces d'une uniformité presque absolue. Une fois l'appareil construit, on peut, en effet, sans autre dépense que les frais de gravure des ma­ trices, arriver à donner aux flans les décorations les plus variées. Mais ces machines coûtent extrêmement cher, . comme frais de premier établissement, et leur hon fonction­ nement nécessite une mise en' train considérable. Il n'est donc possible d'en faire usage que pour les modèles en quelque sorte classiques, et qui se fabriquent par quantités. Nous avons dit, dans notre précédent chapitre, que le mouton servait également à estamper des pièces portant des reliefs plus ou moins compliqués. Nous venons d'ajou­ ter, en parlant du balancier, que ce nouvel appareil rendait L'ORFÈVRERIE 59 des services analogues à l'orfèvre. Il nous faut constater, avant de terminer, qu'avec le balancier, aussi bien du reste qu'avec le mouton, l'estampage ne doit pas comporter des reliefs trop profonds ou des cavités trop fouillées. Pour que l'opération réussisse, il est indispensable que, dans l'un comme dans l'autre cas, la pièce soit ele depouille, c' est-à-dire que les sarllies dont le �outon ou le balancier porte l' empreinte, après être entrées dans les creux du moule, en sortent librement. Il est facile de comprendre, .en effet, que le moule, s'il présentait des cavités latérales, retiendrait le métal, et qu'on ne pourrait plus dégager ni l'appareil ni la plaque. Le même inconvénient se produirait si l'on vo�lait emboutir une forme plus évasée à la base qu'au sommet. On ne peut donc exécuter à l'aide du mou­ ton ou du balancier que des pièces peu fouillées et creusées -verticalement. Pour obtenir mécaniquement des vases à goulot ou des ornements formant des cavités latérales, il faut recourir à d'autres appareils. Dans ce cas, on fait gé­ néralement usage du tour et des rnandrins brisés: Fig. 67. - Couvert du roi Louis XIV, d'après un dessin du temps, conservé au Cabinet des estampes. IX LA FABRICATION DE LA VAISSELLE AU TOUR On donne d'une façon générale le nom de tour à des appareils qui, au moyen d'un mouvement rapide de rota­ tion imprimé à une masse plus ou moins dure, mais tou­ jours résistante, cornmun iquent à cette masse une forme arrondie. La construction des différentes espèces de tours varie naturellement suivant la nature de la matière mise . en œuvre, et suivant le genre de façon qu'on entend lui don­ ner. Ce qui distingue toutefois ces appareils des machines­ outils ordinaires, et notamment de celles dont nous avons parlé dans nos précédents chapitres, c'est qu'au lieu de se mouvoir pour aller travailler la matière, c'est, au contraire, cette dernière qui se déplace, et qui, décrivant une évolu­ tion rapide, vient chercher le contact de l'outil. L'emploi du tour est des plus anciens et se perd dans la nuit des âges. Pline attribue son invention à Phidias. Diodore de Sicile, remontant beaucoup plus haut, en fait honneur à unneveu de Dédale nommé Talus. La vérité est que l'on connaît assez mal l'origine de ce précieux outil, qui, depuis la plus haute antiquité, n'a cessé de rendre à l'art industriel les plus signalés services. Il ne paraît pas, cependant, que l'application du tour à la fabrication de la vaisselle d'argent soit antérieure au XVIIe siècle. Dans le príncipe même on ne semble pas en avoir fait grand usage. Au siècle suivant, l'argenterie ayant commencé de se con­ tourner fortement, de nombreux perfectionnements durent être introduits dans la construction de notre appareil. Sous le. nom de tours cl langlaise, on exécuta des tours cl la main, fort ingénieusement combinés et qui permirent de L'ORFÈVRERIE 61 chantourner presque sans effort ces plats et ces assiettes .dont la forme gracieuse est demeurée classique 1. Enfin, depuis cinquante ans, l'application de la vapeur à la mise en action des machines-outils a développé singulièrement l'usage de cet appareil, et achevé de rendre à la fois facile et rapide la fabrication de la vaisselle au tour. Notre figure 68, qui reproduit, d'après une gravure du siè­ cle dernier, un tour à l'anglaise portant une assiette à peu près achevée, montre qùelles étaient alors la forme et la. disposition de ces sortes d'instruments. Ceux en usage à l'heure actuelle, quoique plus savamment combinés, ne dif­ fèrent. pas de ce modèle dans leurs parties essentielles, et les opérations successives auxquelles ils donnent lieu sont demeurées à peu près les mêmes. Pour faire mieux comprendre la nature et l'étendue des services que l'orfèvre demande à ce genre de machine, nous allons rappeler ici en quelques mots la manière dont on façonne la vaisselle plate au marteau. Nous parlerons ensuite de la fabrication au tour. Le rapprochement des deux modes d'opérer fera plus facilement saisir les avan­ tages que chacun d'eux présente. Lorsqu'on veut fabriquer au marteau un plat ou une assiette, on commence par forger une plaque rectangulaire de dimensions et.d'épaisseur convenables. On forge ensuite une baguette proportionnée comme grosseur à l'importance que. doit avoir la moulure 2. On fait passer cette baguette dans une filière dont le calibre est taillé suivant un profil 1. Une annonce insérée dans les Annonces, Affiches et Avis divers du 12 août 1779 offre « A VENDRE Ull tour à l'anglaise pour contour­ ner Ia vaisselle d'argent ronde et ovale ... et si doux qu'.un enfant peut le faire aller ». 2. Nous croyons inutile de rappeler que la moulure dont on borde les assiettes et les plats ne constitue pas simplement Ull ornement plus ou moins riche. Elle a aussi pour effet de renforcer le bord exté­ rieur de l'objet sur lequel on l'applique et d'augmenter ainsi la durée de cet obj et. 62 L'ORFÈVRERIE arrêté d'avance. Une fois la moulure tirée, on la contourne de façon qu'elle suive exactement le bord du plat; on la soude, puis on fait tomber les parties-de métal qui dépas­ sent extérieurement; on ébarbe à la lime; les excédents de soudure sont enlevés au burin; et cela fait, on remet la pièce au planeur. Celui-ci, à l'aide de divers ,marteaux· à planer, forme d'abord le marli du plat, c'est-à-dire la partie qui borde intérieurement la moulure. Le marli achevé, la moulure est reprise à l'échoppe" au rifloir, au burin, puis. polie, et le planeur ressaisit la pièce , attaque le fond et l'amène au degré de profondeur voulu, sans employer d'autres outils que les divers marteaux dont il fait habituelle­ ment usage. C,e travail, on le voit, s'il est théoriquement assez simple, ne laisse pas que d'être assez long. L'emploi du tour a pour objet' de le rendre beaucoup plus rapide. Les préliminaires, dans les deux cas, sont à peu près les mêmes. Comme pour le façonnage à la main, on prend une plaque rectangulaire de taille convenable. Sur cette plaque on fixe, à l'aide de la soudure, une baguette proportionnée à l'importance de la moulure qu'on veut avoir et qu'on a. préalablement recoUl'­ .• 1 bée de façon à lui faire' décrire exactement la forme de l'as­ siette ou du plat. Après quoi l'on fait tomber aux cisailles ou à la scie ce qui dépassé extérieurement; on ébarbe les bords à la lime; on enlève l'excès de soudure qui a coulé, et, ces préparations achevées, on fixe la feuille de métal sur un mandrin présentant exactement la forme et le creux de la pièce que l'on veut exécuter. Ce mandrin, ainsi garni, est ensuite monté et exacte­ ment centré sur un plateau qu'on fixe à l'extrémité de l'arbre du tour, puis l'appareil est mis en mouvement. L'ouvrier, alors, appuie de toutes ses forces contre la plaque avec des outils de différents calibres qui, par une pression continue,. étirent le métal, le refoulent et finalement le forcent à se creuser suivant la cavité que présente le mandrin et à en 64 L' ORFÈVRERIE épouser progressivement le galbe. De cette façon, le marli et le fond se trouvent régulièrement formés, et l'ouvrier n'a plus à s'occuper que des moulures. Pour celles-ci, il se sert d'un ciseau muni d'un très long manche, et dont l'ex­ trémité fortement trempée est découpée suivant le profil qu'il se propose d' obtenir. Ce ciseau est fixé sur un porte­ �util q_justé lui-même à l'établi, de manière qu'en faisant avancer lentement la lame, celle-ci égratigne d'abord, puis mord le métal et le racle jusqu'à ce que le contour de la moulure se dessine avec une complète netteté. On peut également, par ce procédé, agrémenter la mou­ lure d'ornements plus ou' moins riches, tels que perles, godrons, rais de cœur, palmettes. Il suffit, pour cela, de substituer au tranchant du ciseau l'énergique pression de molettes fortement trempées et portant, gravé en creux, le motif que l'on souhaite d'avoir. On arrive de la sorte, sans , grands frais, à varier presque à l'infini les façons de l'argenterie de service. Enfin, lorsque les plats, au lieu d'offrir un bord simplement circulaire, sont contournés, comme les moulures dont on les renforce doivent suivre exactement leur contour extérieur, on est obligé, pour cela, de recourir à quelques complications d'outillage que nous allons essayer de décrire d'úne façon sommaire. Quand on fait usage du tour à main, la pièce n'est plus montée sur un mandrin à bord uni, mais sur une platine de conduite dont le bord extérieur est échancré suivant le contour du plat lui-même. L'outil, de son côté, est fixé sur un support qui, par suite du mouvement d'un excentrique relié à un petit arbre de manivelle, subit un déplacement latéral de va-et-vient (voir fig. 68), en sorte que, le tour étant mis en marche, l'outil ne trace plus sur le plat une circonférence ordinaire, mais une courbe ondulée et dont les ondulations se trouvent elles-mêmes réglées par-Ia pla­ tine de conduite qui sert de guide à l'appareil. Dans les grands ateliers où sont installés des tours à va- L'ORFÈVRERIE 65 peur, on procède d'une manière moins ingénieuse assuré .. ment, mais plus expéditive. On dé­ ,coupe et on façonne au balancier la moulure suivant le contour et le profil qu'elle doit avoir. Puis on la .soude au plat ou à l'assiette. Après quoi, on détache la partie de la pla­ 'que débordant au dehors et l'on.ré­ pare le tout, arrondissant le bord .à la lime, enlevant l'excès de sou­ .dure, ravivant, s'il y a lieu, les re­ liefs au burin; et cela fait, on livre la plaque au tourneur, qui lui donne' la forme souhaitÚ. Mais le tour ne sert pas seule­ ment à façonner .la vaisselle plate. nest également employé pour em­ boutir les pièces creuses et pré­ parer la vaisselle montée. Dans ce cas, on fait usage d'une succession de mandrins de plus en plus pro­ fonds, dont on force, par la pres­ sion, la plaque à adopter successi-' vement les formes de plus en plus concaves, en ayant soin, à chaque changement de mandrin, de don­ ner une chauffe au métal pour qu'il reprenne son élasticité. Enfin, grâce à l'appareil que nous décrivons, l'orfèvre peut exécuter rapidement �- des pièces compliquées ou présen- Fig. 69 à 74. - Passes suc- cessives d'un flacon façon­ tant des cavités latérales hors de né au tour et au mandrin \ dépouille> qu'il ne saurait fabriquer hrisé. ni avec l'aide du mouton ni avec celle du balancier. Pour 5 66 L'ORFÈVRERIE obtenir ce résultat, il a recours, nous l'avons dit, � l'em­ ploi de mandrins spéciaux, faits de bois dur ou de cuivre jaune, et auxquels on donne le nom de mandrins brisés. Ces mandrins, de calibre et de contours naturellement très variables, sont formés d'un noyau légèrement coni­ que, un peu plus évasé au sommet qu'à la base. Ce noyau est enveloppé ' par une série de pièces indépendantes s'em- bQîtant les unes dans les autres, et dont la réunion con­ stitue le contour qu'on entend imposer au métal. Ces pièces sont retenues au collet du noyau, par un fil toujours facile it rompre. Une fois que, par une pression lente, progressive et sagement conduite, I'ouvnier a fait prendre à la feuille de métal sa forme définitive, il tranche le fil, dégage le noyau, et ensuite enlève séparément les pièces de contour qui sont demeurées dans l'ouvrage. Ainsi, grâce à c.�s mandrins, non seulement le tourneur peut façonner couramment des pièces godronnées, it parois renflées et saillantes, mais il peut même restreindre le métal et former des vases à goulot (voir fig. 69 à 7.4), à condition toutefois que ce dernier soit assez évasé pour que le noyau se dégage sans effort. On. voit par là de quelle utilité le tour peut être, lorsqu'il est. manié par des mains habiles. Telles sont � résumées aussi brièvement que possible - les principales opérations auxquelles les orfèvres ont recours et les principaux procédés qu'ils emploient pour­ rendre plus rapide et moins coûteuse la confection des ouvrages d'argenterie courante. Est-ce à dire que, grâce à. ces combinaisons mécaniques, assurément fort ingénieuses, la machine soit parvenue à suppléer d'une façon complète, absolue, la main et le coup d'œil de l'homme? Il serait téméraire de le prétendre. Rien, en effet, ne vaut, pour­ l'argent, ce martelage habile qui, tout en lui faisant revêtir les formes les plus variées, le consolide en quelque sorte et le raffermit. Le marteau savamment manié I par un ouvrier , L'ORFÈVRERIE 67 expérimenté, augmente. les qualités du méta]; il en res­ serre les molécules; il développe sa résistance et accroît sa densité. Le tour, au contraire, - aus.si bien que le mouton ou le balancier, - l'appauvrit et l'étiole. Suivant une expression de Froment-lVIeurice, recueillie par Charles Blanc 1, « le tour exténue, le marteau est nourrissant ». Les orfèvres, du .reste, se rendent si bien compte de cette défectuosité relative du travail effectué par les machines­ outils, que souvent, après avoir préparé une pièce à l'aide du mouton ou du tour, ils la font de nouveau passer au mar­ teau pour redresser les fibres du .métal, pour en fermer les pores trop relâchés et redonner à la matière alanguie un peu de la fermeté et de la vaillance qu' elle a perdues. Cette opération, qui s'exécute avec un maillet de bois, a même un nom spécial. Elle s'appelle le tapotage. Il convient, en outre, d'observer que-Ies pièces façon­ nées directement par l'ouvrier et repoussées sur la bigorne, conservent dans leur aspect général une souplesse d'exé­ cution, u:q gras dans le rendu, une ampleur et une liberté de facture, qui contrastent heureusement avec la froide ré .. gularité des pièces obtenues mécaniquement. Il n'est pas jusqu'au ton du métal qui ne soit différent. Le martelage, en resserrant ses molécules, donne à celui-ci un éclat parti­ culier', une beauté d'aspect unique, et' l'argent plané est beaucoup plus agréable à l'œil que l'argent poli. Cette indis­ cutable supériorité suffirait, à elle seule, à corn- _. expliquer ment toutes les pièces d'orfèvrerie vraiment artistiques sont toujours repoussées au marteau. Une autre raison qui oblige à agir ainsi, c'est que pour les objets compliqués l'établis­ sement de matrices spéciales et de mandrins particuliers coûterait extrêmement ,cher,. et l'orfèvre ne pourrait reu­ trer dans ses frais, souvent considérables, qu'à la condi­ tion p_'exécuter, d'après chacun de ses modèles, un nombre 1. Grammaire des arts décora.tifs) p. 283. 68 L'ORFÈVRERIE assez considérable d'exemplaires. Or, autant la consom­ mation de l'argenterie ordinaire est importante, 'autant est rare l'acquisition des pièces qui sortent du courant. Cela est si vrai, que certains des procédés que nous venons de décrire n'ont guère été usités jusqu'à présent, en France, que dans l'orfèvrerie d'imitation la des , vente pièces en métal précieux étant, dans la plupart des cas, insuffisante pour' permettre aux fabricants l'installation d'un outillage très compliqué, par conséquent fort coûteux, et dont le bon fonctionnement comporte, en outre, une mise en train particulièrement longue .. Toutes les opérations dont nous nous sommes occupé jusqu'à présent ont pour objet de donner aux métaux pré­ cieux les différentes formes qui conviennent le mieux aux emplois pour lesquels on les réserve. Nous allons, dans le prochain chapitre, passer en revue les principaux de ces emplois, et dire quelles sont les lois fondamentales auxquel­ les les formes des pièces d'orfèvrerie doivent répondre pour être à la fois agréables et commodes. Fig. 75. - Planeur dl'CSS31lt le marli d'un plat, d'après une gravure de l'Encyclopédie. " x DES EMPLOIS POUR LESQUELS LES MÉTAUX PRÉCIEUX SONT PLUS SPÊCIALEMENT RÉSERVÉS, ET DES RÈGLES QUE DOI­ VENT OBSERVER LES ORFÈVRES DANS LE CHOIX ET LA DISPOSITION DES FORMES A DONNER A LEURS OUVRAGES. Les qualités spéciales que nous avons énumérées dans nos deux premiers chapitres feraient employer 1'01" et l'ar­ gent à la confection d'un nombre incalculable d'objets mo­ biliers, si la rareté de ces deux métaux et leur prix élevé n'obligeaient ceux qui les mettent en œuvre à les réserver presque exclusivement pour un certain nombre d'usages auxquels ils conviennent d'une façon toute particulière. Nos lecteurs savent qu'il n'en fut pas toujoursainsi. Durant tout le moyen âge, et à des époques plus récentes, - au XVIIe siècle notamment, - lorsque Louis XIV s'efforçait d'éblouir le monde par sa magnificence, on vit à Paris et à I Versailles des ameublements entiers exécutés en argent et en vermeil. Tables, canapés, fauteuils, torchères, guéri­ dons, balustrades en argent, ornaient les appartements de celui quise faisait appeler fastueusement le Grand Roi. Six millions avaient été consacrés à cette magnifique folie. Aux années sombres de ce long règne, toutes ces éblouissantes richesses durent prendre le chemin de la Monnaie, et l'on ne devait plus jamais revoir un luxe pareil. De nos jours, en effet, on est devenu plus modeste. Bien que les métaux précieux soient infiniment plus abondants qu'ils n'ont ja­ mais été, leur emploi se trouve en quelque sorte spécialisé, et l'habileté des orfèvres n'a plus à s'exercer sur un champ aussi vaste 1. 1. Les seuls meubles exécutés en orfèvrerie dans la seconde moitié du XIX· siècle, dont 011 ait gardé le souvenir, sont: le berceau offert au prince impérial par Ia Ville de Paris et que celle-ci avait commandé 70 L'ORFÈVRERIE Le principal usage mobilier pour lequel, en notre temps, \ on utilise l'or et l'argent, est le service de la table. Encore le 'premier de ces deux métaux n'y est-il employé qu'à l'éta1 d'exception, et c'est à l'argent seul qu'incombe cette mission relativement considérable. Ce service, en effet, 'comprend non seulement les plats, les assiettes; les couverts, les légu­ miers, les soupières et autres vases. d'usage, pour la con­ fection desquels tout autre métal, moins sain et plus facile­ ment oxydable, n'offrirait ni la même sécurité ni autant d'agrément; il embrasse encore "toutes les pièces de déco­ ration qui sont la parure de nos repas: les candélabres, les huilier-s , les salières, les assiettes montées, les porte-cara­ fes et enfin les surtouts, c'est-à-dire un ensemble d'objets qui peuvent revêtir parfois des proportions monumentales. On a , conservé le souvenir de services exécutés par les grands orfèvres du XVIIe et du XVIIIe siècle, par les Ballin, les Loir, les de Villers, les Delaunay, les Roettiers, les Ger­ main, qui constituaient des décorations d'une ampleur et d'une magnificence incomparables. Les plus grands dessi­ nateurs du temps furent mis à contribution pour la cornpo­ sition de ces monuments d' orfèvrerie, et l'on peut admirer sans réserve ceux dont Meissonnier nous a laissé les fas­ tueux modèles. En notre siècle, le surtout du duc d'Or­ léans, modelé par Barye'; celui de l'empereur Napoléon III, exécuté par une légion de sculpteurs émérites dirigés par Gilbert; le surtout de M. Petin, exposé en 1867 par M. Odiot, et celui de M. Isaac Pereire, envoyé à la même Exposition par M. Froment-Meurice; celui du duc de San­ tonia, dessiné par Reiber, modelé par Mathurin Moreau et par Mercie, et orfévré par MM. Christofle et Cie, sont éga- à Froment-Meurice, et la jardinière ù figures de satyres que M. Du­ ponchel exposa en 1867. Même en ajoutant à ces pièces exceptionnelles' les beaux vases repoussés pal' Vechte, et les prix de course ciselés par les frères Fannière, on voit que notre temps est l'esté très en arrière sur le mobilier du Grand Roi. L'ORFÈVRERIE 71 lement dignes d'êtres comptés au nombre deaouvr-ages les plus considérables et les plus artistiques qu'ait produits notre orfèvrerie nationale. Après le service de la table, il faut mentionner les garni­ tures de toilette, qui ont pareillement fourni aux artistes du XVIIe et du XVIIIe siècle le thème de compositions exquises. Nous avons par les Inventaires royaux la description des toilettes en or massif dont Anne d'Autriche et Louis XIV Fig 76. - Surtout en orfevroi-ic dessiné pal' .Meissonnier. firent usage. Le Mercure de décembre 1697 consacre un long article à celles que le Grand Roi fit exécuter pour le duc et la duchesse de Bourgogne, par le célèbre Delaunay. Le Mercure de septembre 1726 décrit pareillement celle de la reine Marie Leckzinska, chef-d'œuvre de François-l'ho­ mas Germain, alors dans la plénitude de son talent et par­ venu au comble de la réputation. Barbier, dans' son Jour­ nal+, nous apprend que lors de la refonte de 1759, la toilette dela Dauphine fut seule épargnée par ordre spécial du roi, à cause de- sa haute valeur artistique. On n'en finirait pas, du reste, si l'on voulait passer la revue de toutes les gar- 1. Voir Journal de l'allocat Barbier, tome VII, p. 20'1. 72 L'ORPÈVRERIE nitures admirables qu'enfanta cette époque si féconde ·en. beaux et riches ouvrages. Il faudrait mentionner la fameuse toilette de la princesse des Asturies, dont le sculpteur Caf­ fiéri et les orfèvres Pierre Germain et Chancelier se dispu­ tèrent aigreÎnent la paternité 1. Il faudrait aussi dire un mot de la toilette toute en or de Mme du Barry, avec son. miroir « surmonté de petits amours tenant une couronne royale 2 ». Mais ces quelques exemples suffisent à montrer­ le merveilleux parti tiré par nos grands orfèvres de cette seconde adaptation des métaux qu'ils ·mettent en œuvre. A la suite des garnitures·üe toilette, on peut comprendre· également les chandeliers, les flambeaux, les bougeoirs, qui, tenus fréquemment à la main, gagnent infiniment à être exécutés en un métal inoxydable par l'humidité, et ne lais­ sant après lui aucune odeur désagréable. Il en est de même pour les tasses dans lesquelles on offre de la tisane ou du \ bouillon, pour les plateaux sur lesquels on présente des. lettres ou des cartes. Enfin, il ne faut pas oublier les objets de grande décoration, les vases en argent repoussé, les gar­ nitures de cheminée, les bustes et les statuettes, non plus. que les bottes, les tabatières et ces mille objets qu'on aime à porter sur soi, et qui dependent du costume plus encore que du mobilier. On voit que nos orfèvres ne manquent pas . . de motifs pour exercer leurs talents, et les pièces magni­ fiques, si justement admirées aux Expositions de 1867, de 1878, de 1889, attestent assez qu'ils ne perdent aucune oc­ casion de se montrer dignes de leurs devanciers les plus. illustres. Pour résoudre les innombrables problèmes que soulève la confection de ces précieux ouvrages, les orfèvres ont à leur disposition une matière singulièrement favorable. La malléabilité, la ductilité, la ténacité de l'or et de l'argent 1. Voir l'Avant-Coureur des 2 et 9 décembre 1765, et le Mercure de janvier et avril 1766. 2. Voir Mercier, Tableau de Paris, tome VI, p. 89. L'ORFÈVRERIE 73 n'assignent, pour ainsi dire, aucune limite preclse à leur audace. Ils n'ont comme le statuaire qui taille le marbre pas, ou comme le potier qui pétrit l'argile, à se préoccuper d'assurer la stabilité de leur œuvre à l'aide de soutiens, de tenons, de larges points d'appui. Ils n'ont pas, comme le' menuisier, à tenir compte de la fibre du bois, de son grain, de son fil et de l' épaisseur que doivent conserver les cadres et les pour assurer la solidité de panneaux l'ouvrage. Les formes qu'ils adoptent, en outre, ne sont plus commandées par la .nècessitè de certains assemblages, imposant à l'objet fabriqué une structure spéciale, dont les lignes principales doivent toujours demeurer apparentes, et obéir à des con­ ditions de' carrure capables de rassurer l'œil et l'esprit. Fondue ou obtenue par le travail du marteau, la pièce d'or­ fèvrerie sou­ présente un tout résistant, homogène, et les dures, quand il en existe, constituent un subterfuge de fa­ brication que l'on doit dissimuler avec le plus grand soin. Enfin, la multiplicité et la variété des usages auxquels l'or­ fèvrerie doit satisfaire, obligeant de créer constamment des formes nouvelles pour répondre à des besoins nouveaux, et les audaces autorisées par la matière même qu'il emploie ne l'enfermant pas dans un programme étroit, il semble que l'orfèvre n'ait, dans l'exécution de ses œuvres principales, à suivre d'autres guides que la commodité de ses clients, ,son caprice personnel et le devoir qui incombe à tous les artistes industr-iels de produire de beaux ouvrages 1. Il n'en est rien cependant. Pour la création des formes, son art est, comme tous les autres arts plastiques, soumis à un certain nombre de règles qu'on ne saurait braver impunément. 1. Ce devoir incombe d'autant plus à l'orfèvre que ses productions ont toujours eu une certaine action sur le goût général. Ainsi que le fort bien M. Paul Christofle dans son l'apport sur l'Exposi­ remarque les produits de cette industrie, par leur nature et leur tion de 1867, « une sont journellement sous nos yeux ... et, exercent destination, grande influence sur le sens artistique des masses. » L'ORFÈVRER.IE En premier lieu, le prix relativement élevé des métaux qu'il met en œuvre, oblige l'orfèvre à imprimer à ses créa­ tions un caractère d' élégance et de richesse en harmonie avec la matière qu'il emploie. Il ne lui est pas permis, en effet, d'oublier que les objets sortant de ses mains, alors même qu'ils sont destinés à un usage journalier, cons tituent des produits de luxe. Cette élégance, cette richesse, doivent découler d'une façon générale du galbe de la pièce, de lajustesse de ses proportions, du goùt qui a présidé au choix des ornements et de la façon dont ces derniers sont répartis , car la forme, quelle que soit la somptuosité de Ia décoration, ne doitjamais cesser d'être une, fermement écrite, très lisibl� par conséquent. Elle doit aussi ne pas se laisser dominer ou commander par le décor. En outre, quand il ne s'agit pas d'un vase de pure décoration, mais d'ustensiles conçus et exécutés clans un but d'utilité journa­ lière, l'orfèvre est obligé - pour régler les dimensions cle l'objet les I et rapports qui doivent exister entre les parties 'complémentaires et le corps principal - de tenir compte cles exigences de capacité, de maniement aisé et de facile transport. On voit, par ces quelques observations, à quelles difficultés toutes spéciales l'orfèvre se heurte dès qu'il pré­ tend créer une forme nouvelle. Étudions maintenant par quels procédés il peut se tirer cl'embarras. Comme celles des autres ustensiles usités dans l'ameu­ blement, la plupart des formes des pièces d'orfèvrerie, métralement géo­ considérées, dérivent plus ou moins directe­ ment du rectangle, du cylindre, du cône, de la de sphère ou l'œuf. Toutefois le rectangle, lorsqu'il est parfait, c'est­ à-dire absolument carré, est peu usité. Il en est de même de Ja sphère, bien qu'elle jouisse de ce grand avantage d'être Ia figure géométrique qui offre la plus grande capacité dans le moindre périmètre. L'excès cle régularité de ces jure, figures en effet, avec le caractère d'élégance un peu fantai- L'ORFÈVRERIE 75 siste , qui convient à un objet en métal precleux. Lorsque les implacables nécessités de l'usage obligent à construire un vase affectant l'une de ces deux formes, l'artiste, cepen­ dant, peut dissimuler ce qu'elle présente de trop monotone en rompant, par un artifice, l'exacte équivalence des pro­ portions. Il obtient ce résultat par l'adjonction d'un bou­ ton, d'un fruitelet, en gratifiant le corps pr-incipal de pieds ou d'anses, enfin en décorant celui-ci de godrons Ou de spirales qui distraient l' œil et l' empêchent d'être contrarié par une conformité de pro­ portions enlevant à la p�èce tout agrément et tout carac­ tère (voir fig. 77). J'ajouterai encore que la malléabilité du métal em- ¡ployé par l'orfèvre, devant s'affirmer tout d'abord parIa souplesse et la richesse' des contours , l'oblige à repous­ ser, autant que possible, non seulement les profilsrectan­ gulaires, mais encore tous les galbes géométralement r-ectilignes, tels Fig.77. que le cy­ lindre et le cône, par exemple. Ces. figures, qui en céra­ mique peuvent donner naissance à des vases agréables, ne sauraient convenir que très exceptionnellement au� pièces d'orfèvr-er-ie, dont la forme comme la matière veut rester précieuse. Lorsque, pour des raisons particulières, on est contraint d'exécuter des objets d'après ces modèles rectili­ ,gnes, il faut avoir soin, par la décoration dont on les orne, d'atténuer ce que ces galbes ont de trop simple et même de commun. D'ancien gobelets du XVIIe siècle, enrichis de festons et de médailles; un broc en argent, exposé par ]\fM. Fannière en 1878; une jolie théière exécut�e tout ré- L'ORFÈVRERIE cemment par MM. Bapst et Falize, montrent que la solu­ tion de ce problème n'est pas impossible. Cependant ces sortes de pièces contreviennent à une des lois fondamenta­ les de la décoration. Chez elles, c'est l'ornementation qui rend la forme acceptable 1. Quoique les figures rectangulaires doivent être bannies de I'orfèvrerie à cause de leur raideur et de leur austère simplicité, comme Ia plupart des ouvrages èurvilignes en- Fig. 78. - Cafetière à forme simple et à décoraticn compliquée, exécutée par MM. Bapst et Falize. visages géométralement peuvent s'inscrire dans un rectan­ gle, il nous a semblé naturel de chercher quelles propor­ tions extrêmes ce rectangle peut présenter pour que la forme inscrite intérieurement ne soit pas déplaisante à I' œil'. Sei-lie, dans un livre 2 justement apprécié, passe en revue les proportions des divers rectangles dont l'usage est ad­ mis dans les arts plastiques, et fixe certaines limites qui ne doivent en aucun cas être dépassées. Ces limites par­ tent du carr-é parfait pour aboutir à un rectangle dont l'une des dimensions est le double de l'autre. Serlio considère 1. Voir notre volume sur la DÉCORATION, prop. XIX et XLVIII et suiv. 2. Il Primo Libro d' arcliitettura di Sabastiano Salio Bolognese; Pa­ ris, 15ll5, in�fol., p. 21. L'ORFÈVRERIE 77 cette dernière figure comme un maximum. Il constate même n'excède ces qu'aucun bon ouvrage parmi ceux de l'antiquité 1. Ces diverses relations, que notre auteur proportions baptise sesquiquarte, sesquitierce, proportion diagonale, ses­ quiaitére , 'etc., etc., conviennent assez bien aux pièces d'orfèvrerie, et c'est entre ces deux extrêmes que le dessina­ teur est amené en quelque sorte spontanément à inscrire le dou­ ble développement en hauteur ou en largeur des modèles qu'il compose (voir fig. 79.) Lorsque le vase ou tout autre objet exécuté par ses, soins s'étend en largeur, l'orfèvre n'a point à se préoccuper beau­ coup de l'aplomb qu'il faut don­ ner à son modèle. Les pièces basses sur pieds et trapues ne courentpoint de grands risques d'être renversées. Avec les piè­ ces qui se développent en hau­ teur, il n'en va plus de même. 79. - Gobelet mesurant deux Le fabr icant, il est vrai, peut, Fig. diamètr-es en hauteur. en alourdissant vqlontairement la base, déplacer leur centre de gravité et rendre leur chute à près impossible. Mais c'est là. une sorte d'artifiçe peu que l'œil saurait percevoir, et l'œil, ne l'oublions pas, a des ne exigences avec lesquelles nos arts plastiques sont toujours obligés de compter. Il faut non seulement que la solidité et l'aplomb existent, il est encore indispensable qu'ils soient suffisamment que l'esprit ne puisse être apparents pour alarmé. 1. « Et questa forma neUe cose buone antiche non se tro­ sopra vata forma che esceda alla dupla. » L'ORFÈVRERIE Un vase a beau être en argent repoussé, c'est-à-dire fait d'une simple feuille de métal relativement très mince, et par conséquent d'un poids extrêmement faible, comme rien dans son aspect extérieur ne vient révéler cette condition toute spéciale de fabrication, si l'embase est trop étroite. si le pied .étranglé offre une . sveltesse excessive, si les atta­ ches, tout en étant de force suf­ fisante, sontjugées trop tenues, le vase. semblera fragile et pa­ raîtra manquer d'aplomb et de solidité. Comme exemple, on peut prendre notre figure 80. La buire qu elle représente a été cependant dessinée par un artiste de premier ordre, par le célèbre lé Brun. Cette buire orne une .des tapisseries des Maisons royales (château du Louvre). Malgré son origine illustre, l'étroitesse du pied lui donne une telle apparence d'in­ stabilité, qu'elle semble devoir rouler à terre au moindre choc. Est-il des formules spéciales. particulières, qui permettent de Fig. 80. � Buire composée fixer a le priori les par Brun. proportions qu'une base doit non seulement offrir, pou�> que le vase qu'elle supporte soit solide, mais encore pour que cette solidité soit suffisamment évi­ dente et que l'œil et l'esprit se trouvent complètement ras­ " surés? Dans notre étude sur la Menuiserie 1, nous avons eu, à propos de la stabilité des tables, à étudier un problème 1. Voir notre volume sur la MENUISERIE, p. 93 et suiv, L'ORFÈVRERIE 79 de même nature. Or, par une de ces coincidences qui mon­ trent, une fois de plus, comment les divers arts de l'ameu­ hlement obéissent à des règles identiques, il se trouve que les résultats fournis par cette étude peuvent s'adapter pré­ cisément aux pièces d'orfèvrerie. Supposons qu'on nous de­ mande d'établir les dimensions normales que doit présen­ ter le pied d'un vase ovoïde, de modèle classique, dont. ·1'extrême largeur est figurée par l'horizontale AB et Ia hauteur pa.rla verticale CD (fig. 81). Pour obtenir le résul-· Fig,81. Fig.82. Fig,83. tat cherché, il nous suffira de diviser la partie de la ligneCD qui se trouve au-dessous du grand diamètre AB" c',est-à­ dire la fraction CO, en cinq parties égales, et de faire pas­ se'l' deux diagonales tirées des points A et B par la seconde de ces cinq divisions. Ces deux lignes, en coupant le sol la. aux points S et S', nous fourniront la largeur normale de hase demandée, laquelle comprendra toujours les deux tiers de la ligne AB, autrement dit du grand diamètre. Une série de cotes pointées que nous avons introduites, dans nos figures 82 et 83 m�ntrent, en effet, que les pro­ portions révélées par notre calcul ne concernent pas seu­ lement les vases ovoïdes de forme classique, mais encore 80 L'ORFÈVRERIE les coupes à boire d'up. galbe tout différent, et qu'elles four­ nissent aussi un résultat satisfaisant lorsqu'il s'agit d'ai­ guières ou de gobelets. Si, au lieu d'un vase élancé, nous avions à déterminer le pied d'un vase trapu, le problème s'établirait de même et sa solution ne serait pas différente. Comme conclusion de ce qui précède, on peut donc déclarer que la base d'un vase, pour satisfaire aux lois de l'aplomb et de la solidité, doit comporter comme largeur les deux tiers au moins du plus grand diamètre de ce vase. Il demeure entendu que cette proportion n'est qu'un minimum. Si, comme còntrôle, nous mesurons un certain nombre de vases anciens ou modernes, qu'on peut avec raison considérer comme des types d' élégance et de bonne construction, nous verrons que cette relation des 2/3, in­ diquée par nos précédentes figures, est presque toujours dépassée. Réduisant, pour plus de commodité, nos men­ surations à un coefficient commun, nous trouverons que l'admirable aiguière de Briot que possède notre musée du Louvre comporte les proportions 84/108; que le joli pot à eau de Germain (que nous reproduisons fig. 120) nous donne 81/108, et que ce même chiffre, particularité curieuse, nous est fourni par le beau vase de Vechte, représentant la Paix (voir fig. 122). Ces diverses pièces, qui peuvent pré­ tendre avec raison au titre de modèles, dépassent donc sensiblement les chiffres que nous avons indiqués et qui, réduits à notre nouveau coefficicnt , sont seulement de 72/108. Seule, la grande buire d� le Brun, dont nous avons constaté les proportions fâcheuses, entraînant un manque de stabilité très apparent, présente 54/10&. On voit que, dans ce -premier cas, la théorie et la pratique donnent des résultats concordants, et que les exigences de l'œil sont d'accord avec celles de la géométrie 1. \ 1. Le Brun, dans la composition de cette énorme buire, n'est peut- être pas aussi répréhensible qu'il le paraît. Il peut s'autoriser de l'exemple de Serlio (loco cit.), qui donne à certains modèles de vases L'ORFÈVRERIE 81 Mais l'aplomb des pièces d'orfèvrerie ne dépend pas uniquement de leur structure générale. Il peut être mo­ difié, dans une large mesure, par l'adjonction de parties complémentaires. La plupart des vases comportent un cer­ tain nombre de membres utiles, parfois même indispensa­ bles, qui viennent se greffer sur le corps principal, et dont les formes, les dimensions, et jusqu'à la place, sont réglées par le besoin ou par l'usage. Dans .ce cas, l'œil doit montrer quel­ que condescendance pour ces exigences de construction, car l'utilité dans les pièces dont on se sert journellement, ne peut être entièrement subordonnée à I'agrément. L'œil, du reste, 'quand leur nécessité est bien démontrée, prend assez vite son parti de ces dérogations toujours regrettables. C'est ainsi qu'il songe à peine à protester con­ tre ces poignées droites en ébène qu'on fixe à la panse des cafetières ou des chocolatières, Fig. 84. et dont l' aspect ne laisse pas que d'être singulièrement dis­ gracieux. L' xtrême commodité de ces appendices, et la pr-écaution" qu'on' a de les faire en bois, pour bien éta­ blir leur légèreté spécifique, les font accepter cependant presque sans résistance; mais chaque fois que cela lui est possible, l'orfèvre soigneux, ne manque pas d'éta­ blir entre les parties accessoires qui accompagnent le un développement de pied absolument insuffisant (voir fig. 92). Mais il importe de remarquer que les vases dessinés par SerIio appartiennent à dé­ à l'architecture, sont immobilisés par destination et n'ont rien mêler avec l'orfèvrerie. 6 82 L'ORFÈVRERIE corps de ses ouvrages, une sorte d'équilibre qUl rassure l'esprit. Ces précautions sont surtout à prendre dans la compo­ sition et l'établissement des objets de décoration. C'est ainsi que_ quantité de, vases, au lieu d'une seule anse qui suffirait à leur maniement, en reçoivent souvent deux qui se font contrepoids, ou lorsqu'ils n'en peuvent comporter qu'une, l'orfèvre s'arrange de façon que cette anse unique ne vienne pas détruire l'aplomb apparent de sa forme générale. Tout en lui conservant la force $' et la solidité nécessaires pour qae le vase soit aisément ma­ niable, et l'épaisseur indis­ pensable pour qu'elle puisse être facilement saisie, il prend soin d'en alléger autant que possible le galbe, afin que son poids apparent ne menace pas d'entraîner la masse princi­ ,pale. En outre, il s'applique à la développer en hauteur, de telle sorte qu'elle ne déborde Fig. 85.- Diagramme pas le prolongement d'une li- d'un candélabre. gne idéale joignant le grand diamètre du vase à l'extrémité de son pied. De cetté façon la figure entière - ainsi que le démontre la buire que nous présentons sous le nO 84 - se trouve inscrite dans -un cône tronqué et renversé, dont les proportions' sage­ ment calculées satisfont à la fois les yeux et la logique. Ajoutons que ces lois d'équilibre et de pondération ne concernent pas uniquement les vases. Elles revêtent un caractère essentiellement général, et trouvent leur applica­ tion dans la construction des pièces d'orfèvrerie les plus L'ORFÈVRERIE 83 variees. Pour les candélabres, par exernple , il importe beaucoup qu'ils offrent, eux aussi, une assiette très solide. Rien n'est plus inquiétant ni' plus désagréable que la con­ ternplation d'un groupe de lumièr-es reposant sur une base insuffisante ou dépourvue d'aplomb, et qui menace perpé­ tuellement de s'écrouler. Le problème posé par ces sortes d'objets, étant de même nature que le précédent, se trouve 'résolu par les mêmes formules, . ' et nous pouvons facilement dresser un diagramme (voir fig. 85) qui convienne non seu- Iement aux luminaires dont il s est ici question, mais encore .à toute espèce de meubles- si­ 4 milaires. Que nous dit cette figure? Que la base, pour sa- -tisfaire aux lois que nous avons établies , doit représenter au moins les deux tiers de l' écar- tement total des branches, et que le développement des lu­ mières doit rester en dedans d'un arc de cercle compre­ nant l'écartement des branches comme diamètre. Un beau can- Fig'. 86. _ Le candélabre dans .délabr e exécuté par M. Odiot son diagramme. -et envoyé par lui à l'Exposition de 1878, où il fut juste­ ment admiré, montre que ces proportions sont absolument .satisfaisantes (voir fig. 86). Enfin, p()ur en terminer avec cette partie de notre étude, ¡il nous faut encore dire un mot ,d'un objet d'orfèvrerie cou­ .r-amment fabriqué, et qui se présente sous un aspect sensi­ blement différent de ceux dont nous venons de parler. Il ,s'agit des chandeliers qui, se dressant verticalement sur am pied plus ou moins développé, sont bien loin, eux aussi, 84' L'ORFÈVRERIE de posseder toujours l'aplomb et la stabilite indispensables. Rien n'est plus ridicule, cependant, que ces flambeaux etri­ ques dont la tige effilee et sans'consistance est surmontee d'une enorme bougie. Rien n'est plus désagréable et-plus difficile à saisir qu'un chandelier dont le corps amaigri à l'excès vacille et se dérobe dans la main. Rien n'est plus alarmant qu'une lumière reposant sur une base trop étroite et menaçant, au moindre choc, de se renverser et d'incen­ dier l'appartement. Combien de modèles, néanmoins, offrent . ces inconvénients regrettables! Pour remédier à ces défectuosités, il importe que le dia­ mètre du.chandelier dans la partie haute de la tige - celle qu'on saisit genéralement - mesure au moins 30 à 40 mil­ limètres. En outre, pour qu'il ne glisse pas dans la main" il convient que la tige soit plus large ,à son sommet qu'à la base, ou qu'elle forme en son milieu une sorte de pom­ meau qui puisse être solidement tenu. Quant à la hauteur proportionnellement à la largeur du pied, elle doit varier suivant l'emploi auquel notre ustensile est plus speciale­ ment destine. Doit-il servir à des usages journaliers et rem­ plir le rôle de bougeoir: dans _ ce cas, il importe surtout qu'il soit difficile à renverser. On le construira donc trapu, et on lui donnera comme elevation le diamètre de sa base (voir fig. 87). Est-il appelé à être manié avec plus de dis­ cretion, à servir de flambeau de toilette, à prendre place sur un petit meuble, table, console, gueridon : on lui accor­ dera plus de hauteur, et il pourra mesurer un diamètre et demi (fig. 88). Enfin, s'il doit rester à demeure sur un gros meuble ou sur une cheminée, on pourra aller jusqu'à deux diamètres (fig. 89). Mais c'est là un maximum qui, en aucun cas, ne saurait être dépassé. Pierre Germain, auquel nous devons toute une série de flambeaux, considér és avec raison comme des modèles classiques, atteint rarement ces der­ nières proportions, et jamais il ne les excède. Dans la plu­ part d'entre eux, le diamètre du pied etant egal à 12, la L'ORFÈVRERIE 85 hauteur totale se maintient entre 21 ou 22. Ajoutons que lorsqu'on accorde à un chandelier deux diamètres de hau­ teur, il convient, pour bien accentuer le caractère fixe de sa destination, d' en revêtir la tige, dans toute sa longueur, d'ornements en relief. 'Cette prodigalité de décoration lll- ,Fig.8i. Fig.88. Fig.89. dique, en effet, que notre ustensile n'a pas été construit être continuellement manié. Dans les deux autres pour cas, il importe, au contraire, de laisser une place libre et unie celle-ci et au milieu de la tige, pour qu'on puisse saisir porter le flambeau aussi longtemps qu'il est nécessaire, sans risquer ele se froisser la main. \ XI DE LA DÉCORATION DES PIÈCES D'ORFÈVRERIE, ET DE QUEL­ QUES RÈGLES A OBSERVER DANS L'ORNElVIENTATION DE CES OUVRAGES. Après nous être occupés des formes qui conviennent le mieux aux pièces d'orfèvrerie, nous allons dire quelques mots de leur décoration. Cette décoration peut" dans cer­ taines circonstances, résulter de la forme même donnée it l'objet. Les contours d'un vase, d'une coupe, sont parfois. si élégants, si gracieux, que tout ornement qui ne se con­ fond pas avec eux risque d'en troubler l'harmonie. Dans ce cas, il n'est besoin que de profils un peu riches, de moulures bien choisies et suffisamment variées, agrémen,­ tées, si l'on désire, d'une perle, d'une feuille d'eau, d'une olive, pour que l'ouvrage semble à la fois complet et assez orné. Dans les pièces fondues notamment, l'ornementation sort de la chape en même temps que le corps principal, et n'a plus besoin' que d'être reprise par le ciseleur, pour acquérir la finesse et l'accent qui achèvent de lui, donner sa valeur. Dans d'autres cas, au contraire, et surtout quand J il s'agit de pièces façonnées au marteau, l'ornementation se ' trouve surajoutée, soit par l'adjonction de morceaux rap- portés, soit par les reliefs d'un repoussé délicat, qu'on re­ prend ensuite au ciselet. Elle peut encore être obtenue par des façons accessoires, par la gravure, le rongé à l'eau­ forte, le, martelage, très apprécié depuis 1878, le guillo­ chage, un peu passé de mode, les nielles, l'application des , émaux, I'incrustation, etc. Ces derniers genres toutefois - les nielles, l'incrusta­ tion et l'émail - ne sont que très exceptionnellement em­ ployés dans l'ornementation des pièces d'orfèvrerie pure, L'ORFÈVRERIE 87 et surtout d'orfèvl:erie de service. Les chaudes colora­ tions de l'émail s'associent mal au ton pâle et glacé de l'argent, dont elles accentuent la froideur. En outre, les pâtes colorées, toujours fragiles et délicates, supporte­ raient difficilement'les immersions dans l'eau bouillante, et le fourbissage continuel auquel sont soumises les. pièces d'un usage journalier .. Des motifs analogues font réserver les incrustations et les nielles pour les ouvrages exclusi­ vement destinés à la décoration. Il en est de même pour le rongé à l'eau-forte, l'oxydation artificielle et la production de ce qu'on appelle le « vieil 1 argent ». Une des principales qualités qui font rechercher notre métal étant sa propriété de s'oxyder difficilement, il est clair que les préparations ayant pour but de le priver de cette qualité, ne peuvent avoir d'excuse que dans un besoin de varier son aspect, et de le revêtir d'une patine qui exclue toute idée � de service .continuel. Quant au guillochage et aux jeux de fond, obtenus à l'aide de fleurons gravés, dis­ posés en quinconce, ils ne sont guère employés que pour les ouvrages ordinaires, et dans lesquels les préoccupations ' d'artjouent un rôle assez effacé. Ces différents procédés de décoration peuvent s'appli­ quer au fondu aussi bien qu'au repoussé. Toutefois chacun� J de ces façons, suivant qu'on traite du massif ou du creux, exige non seulement l'emploi d'outils et de tours de main 1 spéciaux, ¿nais comporte encore (qu'on nous permette ce mot). une esthétique particulière. Si la pièce qu'on exécute est ornée de parties en ronde bosse et, à plus forte raison, r. si elle est tout entière sortie de la fonte, comme cela arrive, par exemple, pour les chandeliers? candélabres, 1. L'oxydation de l'argent s'obtient soit en soumettant ce métal à l'influence de vapeurs sulfureuses, soit en le faisant baigner dans une dissolution de barèges. Une fois qu'on a atteint le degré d'oxydation souhaité, revient avec de Ia ponce en poudre et un peu d'eau sur on les dessus, que l'on frappe avec une brosse ou un pinceau ferme. '1 88 L'ORFÈVRERIE cadres de miroirs, etc., les reliefs que présente le métal doivent toujours être vigoureusement accentués. Il faut, en effet, que la netteté des profils rachète ce que le métal a de monotone et de froid dans sa monochromie; que la masse se colore des ombres produites par la puissance d�s saillies; et pour cela que le modelé soit franc, accusé avec précision, mais sans présenter cependant des trous qui se traduiraient par des points noirs d'un aspect toujours désa­ gréable. S'agit-il, au contraire, d'un bas reliefexécuté au repoussé, d'un de ces beaux vases entièrement décorés à la recingle­ et au ciselet, comme ceux de l'illustre Vechte, alors la décoration doit être à peine saillante. Comme elle est non plus superposée à l'objet, mais tirée de la matière même dont il est. façonné, il importe qu'elle montre une sorte de .subordination à l'endroit du galbe de la pièce;' qu'elle ac- compagne doucement celui-éi, et ne cherche en aucun cas à détourner l'attention de la forme générale. Même lors­ qu' elle se modèle en un relief généreux, elle doit toujours laisser deviner son origine, son point de naissance, et se rattacher clairement au fond auquel elle a été empruntée. Dans la conception et l'exécution de ces deux sortes d'or­ nementation, sensiblement différentes, l'orfèvre ne se fait point faute de mettre à contribution le fond inépuisable que lui fournit l'observation de la nature. Personnages de tout état, quadrupèdes vivants ou morts, poissons, gibier, fruits, fleurs, légumes, plantes, rochers, coquillages, tout lui est bon pour décorer ses blanches surfaces, et pour ani­ mer leurs monochromes contours. Mais les emprunts que l'orfèvre fait à la nature doivent se manifester bien plus sous la forme d'une agréable interprétation que sous celle d'une imitation rigoureuse. Le but que l'artiste poursuit n'est pas, ne peut pas être, en effet, de produire une illu­ sion. Il ne saurait, en aucun cas, avoir la prétention de L'ORFÈVRERIE 89 Fig. 90. - Aiguière en argent exécutée par M. Froment-Meurice. Exemple du truvail différent que comportent la l'onde hesse et le repoussé. 90 L'ORFÈVRERIE nous faire prendre les jolies figurines qu'il assied au bord de 'ses surtouts, pour des dieux ou des deesses véritables. ni de nous faire croire que les legumes ou les fruits qui servent d'anses ou de boutons à ses legumiers et à ses sou­ pières appartiennent vraiment au règne vegetal. Les points de comparaison sont trop voisins pour que la moindre illu­ sion soit possible. Sous la Restauration, cependant, à l'epoque dite roman­ tique, on eut ia singulièreidée de remplacer cette conven­ tion aimable, qui permit aux orfèvres du XVIIe et du XVIIIe siècle de realiser tant de chefs-d'œuvre 1, par une imitation stricte et une recherche rigoureuse des effets naturels. On alla même si loin dans cette voie que nombre d'accessoires, les coquilles des crabes, des ecrevisses, des poissons, etc., furent moules directement sur, le vif, et que certains ma= toil'S traditionnels à faire les cheveux, certains outils à frap­ per les yeux, les ongles, etc., furent reformes comme etant I'OCOCO 2. Aujourd'hui, on est revenu de ces erreurs volontaires, et tout en s'inspirant de la nature, tout en se conformant à ses enseignements, nos orfèvres ont soin de conserver à leur interpretation un caractère suffisamment conventionnel. C' est cette convention, au demeurant, qui rend accepta­ , ble dans les ouvrages de grande orfèvrerie l'introduction de figures humaines traitees en ronde bosse, - introduction contre laquelle certains critiques, et notamment M. Charles Blanc 3, ont protesté avec plus de vivacite peut-être que de 1. Les orfèvres du XVIIC et du XVIIIe siècle ne se faisaient point faute de surmonter leurs vases de trophées de gibier ou de poissons, mêlés de fruits et de légumes, OLL les proportions des objets n'étaient point très respectées. Ces dérogations fantaisistes leur ont été reprochées très it tort. Elles produisaient, en effet, des motifs charmants. On possède toute une suite de compositions de ce genre, dessinées par Meisson­ nier, qui pourraient encore servir de modèles. 2. Jean Garnier, Manuel du ciseleur; p. 12. 3. Grammaire des arts decoratifs, p. 292 et suiv. L'ORFÈVRERIE 9] raison. - Lit figure humaine demande assurément à n'être. point prodiguée dans les pièces d'orfèvrerie. Elle ne doit inter-venir dans leur composition qu'avec une grande dis­ crétion. Elle exige, en outre, d'être traitée avec une supé­ riorité indiscutable; mais la meilleure preuve qu'elle ne présente aucun des inconvénients majeurs qu'on se plaît à Fig. 91. - Salière à poï-sennages exécutée par MM. Funnièrc. signaler, c'est qu'on peut citer telle salière exécutée de nos. jours par MM. Fannière frères (fig. 91) ou encore la belle aiguière ciselée par M. Jules Brateau, ainsi que le surtout des Quatre parties du monde exposé en 1889 par la maison Christofle \ où elle tient sa place avec un rare bonheur. Nous irons même plus loin; nous ajouterons que c'est él cette introduction dans ,ses créations les plus magistrales,. de la figure humaine traitée en ronde bosse, que l'orfèvrerie doit de pouvoir être considérée comme un art plastique 1. Cette belle pièce, composée par M. Mallet, est ornée de figures. charmantes, modelées par MM. Mathurin Moreau et Lafrance. 92 L'ORFÈVRERIE d'un ordre particulièrement élevé; mais toujours à cette condition expresse de ne point oublier qu'en aucun cas la décoration ne doit détourner l'attention de la chose décorée, et qu'elle a pour mission, non pas de reléguer celle-ci au second plan, mais au contraire de,la faire valoir 1. Ce que nous disons de la figure humaine s'applique, au surplus, aux plantes, aux fleurs, aux fruits, aux animaux, c'est-à-dire à tous les autres motifs de' décoration auxquels l'orfèvre recourt jDurnellement. Il doit, quand il les fait intervenir , leur conserver leur qualité d'ornement, c'est-à­ dire les approprier au caractèr-e et à la forme de l'objet qu'il décore, et proportionner leur importance et leur taille à celles de ce même objet; de façon à ne pas l'écraser, à ne pas le surcharger inutilement, mais à garder à sa sil­ houette toute l' élégance dont elle est susceptible. L'ornementation, en outre, doit, comme' la forme elle­ même, obéir à certaines considérations d'utilité. Il lui faut se soumettre aux exigences qui découlent de l'usage. Ad­ mettons qu'il s'agisse, par exemple, d'un vase d'une cer­ taine capacité. Généralement ces sortes de récipients sont gratifiés de deux anses qui servent à les mouvoir. Ces anses bien compr-ises peuvent devenir d'élégants motifs d'ornementation; mais encore faut-il qu'elles soient dis­ posées de façon à permettre de manœuvrer facilement le vase, en lui conservant son aplomb, et qu'elles présen­ tent des places unies par où elles soient bien saisissables. Si, au lieu de deux anses, notre pièce n'en comporte qu'une et que remplie elle pè�e assez lourd, - comme cela arrive pour les pots à eau - par exemple, dans ce cas, il est essentiel que le décorateur ménage sur la panse une place libre où l'on puisse appuyer la main gauche alors que l'on soulève l'anse de la main droite. Enfin, si la pièce est dé­ pourvue d'anses, comme un flacon ou un cornet, ou si elle 1. Voir notre volume traitant de Ia DÉCORATION, prop. XIV, XIX et XX. L'ORFÈVRERIE est massive et développée en hauteur comme un flambeau, un candélabre, etc., il est encore indispensable qu'elle offre, un peu au-dessus de son centre de gravité, un es­ pace lisse qu'on puisse tenir assez longtemps sans se frois, ser l'épiderme (voir p. 84 et 85). Ces ' exigences toutes spéciales varient naturellement sui- vant la forme de la pièce, et aussi suivant le genre de ser­ vices que cette pièce est appelée à rendre. A chaque créa­ tion nouvelle, elles fournissent matière à d'intéressants et curieux problèmes que l'orfèvre est tenu de résoudre, s'il veut que l'ouvrage exécuté sous sa direction ait non seule­ mentun aspect vraiment décoratif, mais réponde encore à l'ol�et pour lequel il a été conçu et fabriqué. B B Fig. !J2. - Modèle de vaso dessiné pal' Sedia. XII L'ACHÈVEMENT DES PIÈCES D'ORFÈVRERIE.' - LA REPRISE AU CISELET. - LA RECINGLE. - LE GUILLOCHAGE. LE POLISSAGE ET LE BRUNISSAGE. - LE POLI GRAS. C'est au' ciselet que s'achève la décoration des ouvrages soignés, surtout de ceux qui ont été directement confec­ tionnés au marteau. C'est aussi au ciselet que s'exécutent ces beaux ornements repoussés qui sont l'honneur de l'or­ fèvrerie. Lorsque la pièce a reçu sa forme, le ciseleur "ap­ plique sur les parties à décorer un papier où se trouve pr-èalablement dessiné le motif q�'il se .propose de repro­ duire. A l'aide d'une pointe qui traverse le papier, il pique le métal et décalque ainsi son dessin. Puis, en se servant du traçoir et du marteau, il reprend ce décalque et trans­ forme en un sillon continu les lignes de petites égratignures produites par sa pointe. Le traçoir, qui jamais ne doit être tranchant, refoule le métal, de sorte que le dessin devient lisible des deux côtés de la plaque, étant figuré en creux à l'endroit et à l'envers en relief. Ce double trait permet au -ciseleur de conduire son travail des deux côtés. Appliquant l'endroit de la plaque de métal sur un houlet DU sur Ull blot garni de ciment 1, notre artiste commence par attaquer l'ouvrage par derrière, refoulant à l'aide de bouterolles de tailles variées le métal dans toutes les pla­ -ces où il doit présenter des saillies, décollant sa plaque chaque fois qu'il souhaite de contrôler la marche du travail, . reprenant, corrigeant à l'endroit les fautes légères qu'il a pu commettre en frappant le métal à l'envers, accentuant même ses saillies en prenant certains de ses reliefs de par- 1. Voir chapitre IV, p. 23 et suiv. . EXÉCUTION AU REPOUSSÉ D'UN < CARTOUCHE EN J3AS-HELlEF. Fig. 93. - Le motif décalqué à In pointe. Fig. 94. - Le motif repoussé Fig. 95: - La pièce reprise à l'endroit et repr-is au traçoir. à l'envers. et achevée au ciselet. 96 L'ORFÈVRERIE dessus, c'est-à-dire enfonçant les par-ties qui doivent former les creux, et enfin donnant une chaude lorsque, sous l'ac­ tion du marteau, les molécules se sont resserrées et ont pris une dureté trop résistante. Puis, une fois que les reliefs ont été obtenus juste dans les proportions qu'il souhaitait, le ciseleur retourne définitivement sa plaque, en fixe l'en­ vers sur le ciment du boulet et achève, à l'aide de ses nom­ breux ciselets, de donner à l'endroit de l'ouvrage non seu­ lement les finesses du modelé, mais ces mats, ces chair-ès, ces pointillés, ce grenu, en un mot' cette variété d' aspect qui, nous l'avons dit, est-Ie triomphe de cet art précieux et sa raison d'être. Ce travail de repoussé et de ciselé se présente - en ap­ parence au moins - d'une façon assez simple quand l' �r­ tiste prétend décorer une surface plane. Lorsque celle-ci est recourbée, le problème est déjà plus compliqué. Mais c'est surtout lorsqu'il s'agit d'une pièce fermée par un goulot, que l'opération devient tout à fait délicate. Nous avons expliqué plus haut que pour ce genre d'ouvrages on avait recours à un outil spécial appelé recingle. L'invention de cet appareil n' est point très ancienne. Elle paraît ne pas remonter beaucoup au delà des premières années du XVIe siècle, et c' est en France que la recingle semble avoir J ) été utilisée tout d'abord. cc En analysant les travaux que l'on I ' affirme être authentiques des Florentins, écrit un auteur dont la compétence n'est pas contestée 1, il res/te bien ac...: quis qu'ils ne connaissaient pas la ressing, Leurs vases, j'ai vus, et qui sont du XVIe siècle, sont faits d'une ceux que façon qui le suffisamment. » Les corps de ces vases, prouve en effet, sont établis en plusieurs morceaux qui s'emboîtent les dans les autres et qui ont été réunis, une fois la ci­ uns selure achevée, à l'aide d'un filet ou carré formant une mou­ lure circulaire. Eneore la plupart des reliefs' qui les ornent 1. Jean Garnier, Manuel du ciseleur, p. 97. L'ORFÈVRERIE 97 sont-ils pris de par-dessus> c'est-à-dire en abaissant le champ par des coups frappés à l'endroit, au lieu d'être re­ poussés de l'envers 1. Benvenuto Cellini connut la recingle, mais tout porte à croire qu'il apprit à s'en servir chez nous; Fig. 96. - La recingle. 'Car il dit quelque part que, pour repousser les pièces de l'intérieur, il se servait de certaines petites bigornes dont les orfèvres parisiens faisaient usage. 1. C'est, au demeurant, le seul procédé, que décrive le m�ine Théo­ phile. (Voir Diversaruni Artillin schedula, ch. LVIII.) Le passage de ce livre si curieux qui est relatif au repoussé de l'ornementation des : « Quand le vases, mérite, au reste, d'être reproduit intégrale�ent refroidi, écrit notre' auteur, tracez sur le renflement et le ciment sera col de votre burette tout ce que vous voudrez; prenant des burins marteau, tenez vous-même la burette de Ia main légers et un petit gauche, de Ia droite chaque outil ù sa place; faites battre dessus par un enfant ù votre volonté doucement ou fort, abaissez les champs 7 98 L'ORFÈVRERIE C'est,' eli effet, il dé très petites higornes que peuvent être comparées les recingles employées pour les travaux d'orfèvrerie (voir fig. 96). Ce genre d'outils consiste en une barre de fer ou d'acier, coudée droit, dont une des bran­ ches est fixée dans les mâchoires d'un étau, et l'autre en­ foncée dans la pièce que l'on veut décorer.' L'artiste cin­ gle avec son marteau dés coups plus ou moins violents sur l'extrémité libre de la branche, et -l'autre extrémité, par contre-coup, recinglo le métal et lui fait produire ex­ térieurement un relief. On comprend aisément quelle précision de coup d'œil, quelle expérience et quelledélicatesse de main réclame ce genre de travail; 'car le ciseleur n'a pour se guider que le résultat même qu'il obtient. Il ne connaît la position exacte de l'outil que par la bosse relevée par celui-ci. Aussi est­ il obligé, avant dattaquer- sérieusement l'ouvrage, de . cc se reconnaître » et de frapper quelques petits coups produi­ sant des reliefs imperceptibles qu'on peut facilement ef­ facer, mais qui lui indiquent où il est. L'artiste, néanmoins, lorsqu'il est suffisamment exercé, arrive rapidement à trou­ ver le point qu'il veut repousser. Il peut ainsi, dès le com­ mencement, procéder avec vigueur, frapper la pièce à grands coups, et éviter les petits chocs successifs qui fati­ guent, recrouissent etpiétinent le métal. Mais ces audaces ne conviennent qu'aux exécutants très expérimentés et tout à fait sûrs d'eux-mêmes. Il faut, en effet, prendre garde de afin qu'ils soient creux et le travail en saillie. Lorsque vous aurez battu une fois partout, approchant Ia burette du feu, jetez le ciment; la burette recuite et retirée du feu, remplissez-la de nouveau, battez-la comme auparavant; vous ferez ainsi jusqu'à ce que vous ayez lement éga­ abaissé tous les champs et façonné tout l'ouvrage, de sorte' qu'il paraisse comme fondu". » On voit que dans cette description très minutieuse il n'est question que du travail exécuté à l'endroit et de par-dessus, et que le ciseleur, au lieu de repousser les reliefs de l'intérieur, se borne it abaisser les champs pour qu'ils deviennent, creux et pour que les ornements se présentent en relief: deponere campos ut cavi sint et opus elevetur, L'ORFÈVRERIE 99 calculer exactement la force de chacun de ses chocs; car, s'il est difficile de faire saillir la matière, il est bien plus difficile, lorsque la saillie est trop forte, de la faire rentrer. Les reliefs obtenus à la recingle sont achevés comme ceux exécutés au repoussé ordinaire. C'est, du reste, au ci­ seleur , nous venons de le dire, qu'appartient lafinition de toutes les décorations de prix. Pour les pièces ordinaires et qu'on fabrique par nombres, son intervention serait trop coûteuse ; aussi a-t-on recours à des moyens économiques,' et le balancier supplée, dans maintes circonstances, à la main de l'artiste, mais saris jamais la remplacer. Certaines J. petites pièces fondues en ronde bosse, ou , préalablement estampées au mouton, sont ainsi soumises à l'action de ce puissant appareil, dont I' énergique pression oblige le mé­ tal déjà formé à épouser le creux des matrices finement gravées, qui, en achevant de préciser le contour, complè­ tent lè décor. On exécute aussi mécaniquement le guillochage. Ce der­ nier est généralement obtenu au tour. Les. cafetières, les sucriers, les plateaux, les gobelets et quantité d'autres ob- ' jets d'argenterie usuelle, dont la forme médiocrement plas­ tique présente de grandes surfaces unies, et qui, à cause de cela, pourraient paraître monotones, sont ainsi char­ gés de traïts qui" .s' entrelaçant parallèlement ou concen- triquement, constituent une ornementation dont l' effet . est plus ou moins riche. Pour mener à bien cette espèce de dé­ cor, on monte la pièce sur un tour ordinaire, et on)a met en contact avec un outil qui, au lieu de rester fixe et de tracer des cercles réguliers suivant une section plane, se déplace lui aussi, et g�'ave des tailles couchées, croisées, .en ruban, en ondes, enfin toutes sortes de lignes sinueuses, dont les entrelacements composent des dessins que l'on peut va­ rier à volonté. Il arrive encore que, pour enrichir le travail, l'orfèvre sème les tailles dites d' azur ou de grain cl'orge> de menus 100 L'ORFÈVRERIE fleurons menages en uni. Ce genre de decoration s'obtient à l'aide d'une petite machine 'armee d'un electro-aimant, qui fait avancer et reculer le burin d'une façon régulière. On couvre les places qui doivent être reservees par un ver­ nis isolant, et ces dessins, interrompant le courant elec­ trique, se trouvent epargnes chaque fois que le burin les rencontre. On peut de 'cette manière .augmenter singuliè­ rement les ressources du guillochage et varier. ses effets 'presque à l'infini. Enfin, en 1878, .l'exposition d'un orfèvre americain, M. Tiffany, revela à ses confrères du vieux monde un mode fort ancien de decoration, moins banal que le guillo­ chage. Nous voulons parier du martelage, très usite au moyen âge, mais si bien oublié depuis lors, qu'il parut être une nouveaute. Ce procede, renouvele des anciennes pra­ tiques, a trouve de suite son emploi chez nous; tant il est vrai que I'ingéniosité infatigable de nos orfèvres est cons-: tammeut à J'affût de tous les perfectionnements que l'on 'peut imaginer . , L'objet principal des diverses sortes de guilloche, de martele, etc., qu'i ls soient simples ou precieux, est, nous I'avóns dit, de former avec les parties unies un contraste qui enlève à l'objet sa fatale monotonie. Quant aux parties qui demeurent unies, on leur donne par le bruniseage ou par le polissage un eclat un peu froid, mediocrement plastique, mais qui plaît beaucoup aux amateurs inexperimentes. Le brunissage s'execute à l'aide d'un instrument d'acier appele brunissoir, que des ouvriers et surtout des ouvriè­ res, femmes etjeunes filles, appuient fortement sur le metal, et dont le passage rapidement répété unifie les surfaces. Le polissage, lui, s'obtient en frottant la pièce d'abord avec de la pierre broyee et melangee d'huile d'olive, ensuite ponce avec du rouge d'Angleterre reduit en poudre très fine, et converti en upe pâte au moyen d'un malaxage dans l'alcool. L'ORFÈVRERIE 101 Le brunissage et le polissage, que le public confond très souvent l'un avec l'autre, ne produisent pas, cependant, des effets identiques. La première de ces deux opérations se traduit toujours à la surface par une sorte d'hésitation; de frémissement, que la matière conserve de son contact direct avec la main de l'ouvrier. La seconde, lau, contraire, par sa régularité absolue, prend un aspect brillant à l'excès, miroitant, presque aveuglant, qui longtemps a séduit les' Anglais, mais dont ils commencent à revenir. En France on a toujours mieux aimé le brunissage, qui donne plus de cohésion au métal, resserre ses pores dilatés par le feu ou par l'étirement au tour ou au balancier, et communiqué aux surfaces une tenue plus calme et plus mâle. Si le brunissage est généralement admis pour les' pièces de service courant, pour celles qui sont de décoration, l'œil préfère de, beaucoup un poli moins vif, 'permettant aux formes de se dessiner d'une façon plus franche, aux con­ tours de garder plus d'ampleur et de gras, et,par l'absence des reflets, de demeurer plus lisibles. Pour apaiser le bril­ lant du métal, les orfèvres emploient un certain' nombre de procédés dont ils savent tirer des effets variés. Ils ont recours soil à une très faible oxydation, soit à une légère morsure à l'eau-forte, soit enfin à ce qu'ils nomment le poli gras, qu'on obtient en frottant lal pièce avec une brosse à fils de laiton enduite d'huile et appelée gratte-boesse 1 , On parvient de la sorte à un demi-poli doux, caressant à l'œil, et permettant à l'argent de s'envelopper d'ombres grises et de demi-teintes qui mettent admirablement en valeur les reliefs de la ronde bosse et du repoussé. Enfin, pour les ouvrages de prix, ne craignons pas de le redire, c'est exclusivement au ciseleur que l'on s'adresse. Par le martelage, par les pointillés et les sablés qu'il exé- 1. On fait également des gratte-boesses de fils de verre qui s'em­ ploient à sec et sont usitées surtout' pour les pièces dorées légèrement et dont on veut ménager Ia dorure. 102 L'ORFÈVRERIE cute au ciselet, au matoir, à la pointe cassée, àla molette, cet artiste donne à l'épiderme de l'argent tous les aspects qu'illui plaît. Ainsi jusqu'en ses dernières façons l'orfè­ vrerie soignée recourt à la main de l'homme, met à contri­ bution son habileté, son expérience, son goût, et demeure, par là même, un art dans toute la force du terme. Fig. 9ï. - Soupière en argent repoussé ct ciselé (XVIIlc siècle). L'ORFÈVRERIE DEUXIÈME PARTIE RÉSUMÉ HISTORIQUK Fig. 98. - Armoir-ies des orfèvres parisiens, d'après un dessin du xvn- siècle. (BIBLIOTHÈQUE DE LA VILLE DE PARIS.) I ANTIQUITÉ ET PÉRIODE, BARnARE L serait, semble-t-il, oiseux de dis­ cuter aujourd'hui avec Voltaire si l'on doit admettre que les Juifs a,ient pu, en plein désert, et pen­ dant que Moïse était en conférence avec le Très-Haut, exécuter, au cours d'une seule nuit,' le modèle et le moule de leur fameux veau d'or, et jeter cette idole en métal. La constatation seule que ce fait, vrai ou controuvé, a pu trouver place dans un texte aussi ancien que l'Exode, suffit à prouver la haute antiquité de l'orfèvrerie. Les dé­ 1 tails que nous fournit ce même livre sur lés instructions' données par le Seigneur à son fidèle et irascible prophète, relativement à la confection de l'arche sainte et des vases d'or qui devaient servir au culte nouveau, nous révèlent en outre l'existence, à. ces lointaines époques, d'une profession depuis longtemps en possession de procédés relativement compliqués et absolument maîtresse de ses moyens; et c'est là oc­ tout ce qu'il importe de retenir. Le bel art qui nous cupe n'était déjà plus à ses débuts. Depuis hien des siècles 1. Exode, ch . xxv. 106 L'ORFÈVRERIE il était pratiqué non seulement en Égypte, mais même en Arabie chez les peuples pasteurs. On se souvient què c'est avec un présent d'orfèvrerie qu'Éliézer aborda Rébecca et captiva sa bienveillance . Chez les Grecs comme chez les . Hébreux, les plus anciens monuments de la littérature attestent le haut degré de per- o fection auquel, dès les - temps préhistoriques, la mise en œu­ vr� de l'or et de l'argent était parvenue. Homère consacre la meilleure partie du XVIIIe chant de l'Iliade à célébrer l'ornementation compliquée du bouclier d'Achille! et la des­ cription encore plus détaillée qu'Hésiode trace de l'armure d'Hercule, embrasse un poème presque entier. Même en tenant compte de la part qui revient, dans ces longs récits, à l'imagination du poète, on en peut conclure que les Grecs étaient déjà familiarisés avec les ouvrages d'orfèvrerie les plus complexes. Les admirables découvertes de l'érudition moderne 'sont venues, depuis peu, démontrer la relative exactitude de ces descriptions dithyrambiques. Enfin, les inscriptions cunéiformes de l'Assyrie dont nos savants ont les premiers pénétré le mystérieux lan­ gage, en constatant officiellement l'étonnante richesse des monarques de ce pays, en énumérant notamment la surpre­ nante quantité de meubles et de bijoux que le roi Sargon rapporta comme butin de ses nombreuses conquêtes, nous dévoilent assez que le travail des métaux précieux avait at­ ·teint chez les peuples orientaux un développement censi­ dérable. Il ne faut donc pas s'étonner qu'après les guerres médiques, les artistes grecs aient pu entreprendre et mener à bien la confection de ces énormes ouvl'ages en or et en at'gent que décrivent les historiens, et dont'Ia prodigieuse -richesse n'á pas cessé d'être pour nous un sujet d'admira­ tion et de surprise. Il appartenait, au surplus, au génie de cett� ádmirable nation de porter l'orfèvrerie à un point de perfection qui n'a guère été dépassé depuis. A Rome, où la passion de 107 l'argenterie fut encore plus développée qu'à Athènes; à Rome où l'on vit, au dire de Plutarque, des palais entiers Fig. 101. - Grand cratère antique en argent repoussé et ciselé provenant du trésor de Hildesheim (Il.cnnepolis) (reproduit en galvanoplastie par la maison Christofle). uniquement garnis de meubles d'argent et d'or, les person­ nages lès plus illustres et 'hiérarchiquement les plus élevés non seulement mettaient un grand am0!lr-propre à la pos­ session de vases en métal précieux, mais encore attachaient 108 L'ORFÈVRERIE u,ne sorte de gloire à faire servir sur leurs tables des coupes, des œnochoés, des patères de vieille orfèvrerie, dont on at­ tribuait la paternité aux grands artistes de l'ancienne Grèce. C'est ainsi que Caligula se vantait de boire journellement dans la coupe dont Alexandre le Grand avait fait. usage. Pline parle de vases que les amateurs de son temps ache­ taient jusqu'à cinq et six mille sesterces 1 la livre; et Mar­ tial se plaint d'être obligé, au cours des longs repas, d'en­ tendre ressasser la généalogie de coupes et de bassins dont on fait remonter l'origine au temps de Nestor et d'Achille. Un certain n,ombre de pièces qui nous ont été conservées de la belle époque romaine démontrent, au reste, que l'admiration des ariciens pour leúr orfèvrerie était largement justifiée. La superbe patère en or trouvée au commencement de ce siècle à Rennes 2; les soixante objets, vases, disques, tasses, spatules, ustensiles de tous genres, groupes et sta­ tuettes, qui furent mis au jour, il y a une cinquantaine d'années, aupr-ès de Bernay; le grand et précieux disque pêché dans le Rhône il y a près de deux siècles et connu sous le nom de bouclier ele Scipion , tous ces superbes ob­ jets, pieusement conservés au Cabinet des médailles, vien­ nent, avec la magnifique réunion de pièces de décoration et de service découvertes, il y a environ vingt ans, auprès d'Hildesheim (Hanovre), avec les nombreux monuments composant le trésor de Notre-Dame d'Alençon (Eure-et­ Loir), que l'on peut voir au Louvre dans la Salle eles bijoux, et avec quantité d'autres ouvrages qui sont l'ornement des musées européens, attester l'incomparable perfection à la­ quelle l'orfèvrerie romaine était parvenue aux premiers temps de l'Empire. 1. De 1,160 Ù 1,[.100 francs de notre monnaie. 2. Cette belle pièce, extrêmement précieuse, car les pièces d'orfè­ vrerie en or de cette époque sont de Ia plus insigne rareté, ne pèse pas moins de 1k,300 gr. et mesure Om,25 c. de diamètre. L'ORFÈVRERIE 109 Ajoutons que les Latins n'étaient pas seuls épris de ces précieux ouvrages. Avant eux les Étrusques - notre Lou­ vre se charge de le prouver - avaient nourri pour les hi- . joux d'or et d'argent une passion dont la mort elle-même ne savait triompher. Les couronnes, les diadèmes, les col­ liers, les épingles en ',or martelé i repoussé et chargé de filigranes d'une incroyable délicatesse, qui ornent notre grande collection nationale, proviennent, en effet, de tom­ beaux où ils étaient enfouis. En outre, presque tous les peuples que l'on englobait alors sous la dédaigneuse déno­ mination de Barbares, possédaient des quantités d'or et d'argent dont on ne soupçonne pas généralement l'impor­ tance. Pour ne citer qu'un exemple, emprunté à notre Gaule elle-même, le trésor que les Tectosages conservaient dans leur capitale (Toulouse) et dont Q. Servilius Cepio 's'empar-a vers les premières années du Ile siècle" s'éle­ vait, d'après Posidonius , à quinze mille talents (près de ' 90 millions de notre monnaie t). Il va sans dire que l'orfèvrerie, dans les provinces éloi­ gnées, n'affectait pas ce caractère d'art recherché et raffiné qu'on trouvait encore en Grèce et qui fleurissait à Rome. De ce côté des Alpes, toutefois, le tr-avail des métaux précieux était depuis longtemps en honneur et pratiqué avec un indis­ cutable mérite. Les premières armées gauloises auxquelles se heurtèrent les légions romaines portaient des enseignes brillantes, l:..eprésentant un cheval libre, 'une laie, un san­ glier. Les plaques, les agrafes, les torques, les umbos de bouclier, retrouvés aux environs d'Alise, et contemporains du siège de cette valeureuse cité, montrent une ornementa­ tion fine, des proportions heureuses, une exécution délicate, pleine à la fois d'habileté, de savoir et de goùt. Les adver­ saires de César possédaient déjà des orfèvres expérimentés. Au contact ?e leurs vainqueurs, les Gaulois achevèrent 1. Ferdinand de Lasteyrie, Histoire de l'orfèvrerie) P: lil, 110 L'ORFÈVRERIE de se policer. La période d'un siècle qui s'étend de la pro­ clamation de Vespasien à celle de Commode vit les arts se développer dans nos provinces, au point d'égaler ceux de la métropole. Partout s'élevaient des temples, des mai­ sons, des villas bâties et meublées à la mode d'italie, où le luxe complétait le confort. Partout les pompeuses architec­ tures dessinaient leurs lignes à la fois él�gantes et nobles, et les statues s'alignaient en bel ordre sous les portiques majestueux. Ces statues, distinguées de formes, aux gestes sobres, à l'attitude calme et réfléchie, égalent par la science de leurs proportions et Ia dignité de leurs poses les œuvres romaines du plus beau temps. Le Jupiter d'Évreux, les bas reliefs du tombeau de Saint Remi, les sarcophages d'Arles et de Clermont, l'arc d'Orange, la statuette d'An­ necy, montrent assez à quelle perfection les arts plastiques . étaient . parvenus en Gaule. De cette époque lointaine nous avons, au surplus, les confidences d'un témoin aimable et indiscret. Sidoine Apollinaire, Lyonnais de naissance, Romain par ses allian­ ces, fonctionnaire, évêque et poète, raconte en vers et en prose la vie patricienne qu'on menait alors, et mille souve­ nirs viennent confirmer ce qu'il nous dit du. luxe et des arts. Malheureusement cette civilisation délicate et raffinée ne devait pas trouver grâce devant les Francs, les Ger­ mains et les Burgondes. Lorsqu'ils pénétrèrent dans la Gaule, ces envahisseurs n' étaient plus, cependant, des sau­ vages incultes. Ils savaient façonner les métaux, fondre le cuivre et l'incruster, repousser et marteler l'or et l'argent, et les réduire en feuilles minces. Ils couvraient de lames estampées ou gaufrées les poignées de leurs glaives, les agrafes de leurs manteaux, leurs boucliers et leurs cas-· queso Mais ils étaient incapables de comprendre les cor­ rectes beautés de l'art qui leur était brusquement révélé 1. 1. Voir Amédée Thierry, Histoire d'Attila et de ses successeurs; Bau­ di-illurt, Histoire du luxe; l'Art cl travers les mœurs, etc. L'ORFÈVRERIE 111 En outre, dans ce pays conquis, ils apportaient, avec leur esthétique personnelle, une insatiable cupidité qui leur fit mutiler et détruire, pour les fondre, les vases, les bassins, les coupes, les statues, en un mot tous les ouvrages d'or et d'argent dont ils purent se saisir. C'est en vain que leurs chefs et leurs souverains, mieux Fig. 102. - Grand vase à "in (œnochoé) du trésor de Bernay. (CABINET DES MÉDAILLES.) préparés, mieux entourés, s'efforcèrentde réagir contre ces tendances étroites et rapaces. Les plus policés de ces farou­ ches guerriers, les Francs eux-mêmes, ne voulurent rien entendre au raffinement de la civilisation gallo-romaine. Ils proclamaient hautement leurs primitives parures supé­ rieures à celles, exécutées à grands frais par les artistes venus d'Italie, et, ainsi que le remarquait fort bien notre éminent et regretté ami B. FilIon, leur art rudimentaire acheva de s'imposer au pays entier « juste au moment 112 L'ORFÈVRERIE où l'aristocratie, plus rebelle que ses rois à l'influence des idées romaines et chez qui la féodalité était en germe, entra en lutte avec les Mérovingiens et ne tarda pas à les subalterniser 1 ». Vingt cimetières de cette époque découverts et fouillés, dix mille tombes explorées avec un soin minutieux, ne li- . vrent pas à l'archéologie dix objets qui ne portent le cachet de la barbarie. Des dessins géométriques, des lignes droi­ tes, courbes, ou brisées, des cercles, des entrelacs , des méandres, telles sont les combinaisons, ingénieuses assu­ rément, mais essentiellement primitives, - bégayements d'une civilisation enfantine, - qui ont remplacé dans les œuvres de métal ces gracieuses représentations humaines, ces guirlandes harmonieuses, ces élégants trophées, aux­ quels les productions de l'art gallo-romain empruntent un charme si particulier. Une fois de plus, la barbarie a fait faire à des peuples aimablement policés un brusque retour en arrière; et si les conquérants qui occupèrent alors la Gaule conservèrent une orfèvrerie, c'est que cet art pré­ cieux, né de Iavanité de l'homme et de la coquetterie de la femme, remontant par conséquent aux premiers âges du monde, est immortel comme les passions auxquelles i ldoit le jour. 1. L'Art romain. et ses dégéne'rescences. Voir les 'Beauoi-Arts ct les Arts décoratifs; Pui-is, 1879; tome II, p. 121. II LES TEMPS MÉROVINGIENS ET CARLOVINGIENS. LA PÉRIODE ROMANO-BYZ'ANTINE. Une noble et sainte figure éclaire la longue nuit mé­ rovingienne qui succéda c?ez nous à la période gallo­ romaine, celle de l'orfèvre Eloi, grand homme au sens le plus complet du mot, esprit élevé, affiné, délicat, artiste , de génie pour son temps, cc qui devint évêque sans avoir été cler-e, et saint bien qu'ayant été évêque ». Avec cela ministre d'un prince tout-puissant, à la fois volontaire, magnifique et superstitieux, Éloi', par les ordres de son maître, enrichit les églises, les couvents, les chapelles, du royaume, d'une prodigieuse quantité d'orfèvreries, dont quelques-unes, au dire de ceux qui les purent contempler, méritaient amplement le titre de chefs-d'œuvre. Ce n'est pas qu'avant Dagobert et son vénéré collabor-a­ teur, les. églises franques aient chômé de vases d'o.r et d'ar­ gent. La conscience mal rassurée des princes de ce temp's les portait à faire aux sanctuaires en renom des générosi­ tés copieuses. De leur côté, les évêques employaient une partie de leurs immenses revenus à doter leurs cathédrales d'ornements somptueux. Au nombre de ces prélats bien­ faisants on mentionne Syagrius, évêque d'Autun, et Didier, évêque. d'Auxerre, comme s'étant spécialement distingués par une prodigalité fastueuse. Un très ancien manuscrit, conservé aux archives de l'Yonne, contient l'InfJentaire des pièces d'orfèvrerie dont ce dernier prélat gratifia son pro­ pre chapitre, et l'énumération de ce tré�or, qui comprend des bassins, des lampes, des patènes, des calices, des re­ liquaires, des croix et jusqu'à -des escabeaux d'argent, se termine par la mention d'un certain. nombre d'objets dont 8 tili L'ORFÈVRERIE la destination 'et la forme ne nous sont plus connues. Il est à croire, toutefois, que ces ouvrages, assurément fort pré­ cieux, se recommandaient bien plus par leur valeur intrin­ sèque que p�r la délicatesse de leur décoration ou par l'é­ légance de leurs formes . . La haute réputation qui s'attacha de suite aux ouvrages et au nom de saint Éloi semble prouver, en effet, que celui- . ci fit faire un pas énorme à la profession qui allait désor­ mais s'abriter sous son intervention vénérable. Les œuvres considérables exécutées certainement sous sa surveillance directe et vraisemblablement sur ses dessins et avec sa participation; les innombrables châsses dont saint Ouen, son disciple, parle avec une admiration sans mélange 1: celles notamment de Saint-Martin de Tours, de Saint-Denis, de Sainte-Geneviève, de Sainte-Colombe, de Saint-Séve­ rin, de Saint-Quentin, de Saint-Jullien, de Saint-Lollien, de Saint-Piatv.de Saint-Maximin, de Saint-Brice, etc.; la grande croix d'or, haute de près de cinq pieds et demi, toute couverte de pierreries, dont le pieux orfèvre orna le maître-autel de la basilique de Saint-Denis; le calice et la croix offrit à qu'il I'église du Chatelard, son lieu de nais­ sance; les chandeliers dont il enrichit la cathédrale de Limoges, où il avait appris son métier dans l'atelier du mo­ nétaire Abbon; toutes les pièces dont les écrits de Suger" et I'Jnçentaire du trésor de Saini-Denis, église favorite de Dagobert, nous livrent la description; cette sur-prenante quantité d'objets de toutes sortes, très importants par leurs dimensions, célèbres par leur magnificence, admirés des contemporains, attestent hautement la prodigieuse activité, la science et le goût du saint orfèvre et de ses dévoués col­ laborateurs. Enfin, l'événement qui acheva de mettre saint Éloi en évidence, les économies qu'il réalisa sur la façon du trône de Dagobert, et le scrupule inattendu, si en dehors 1. Vita sancti Elegii, lib. I, cap. XXXII, et lib. II, cap. VI. 2. Hist. Franc. Script., tome IV, p. 3409. L'ORFÈVRERIE 115. des mœurs du temps, qui lui fit restituer au roi l'excédent d'or qu'il n'avait pas employé, nous apprennent qu'il sédait pos­ non seulement une exceptíonnelle probité, mais encore la pratique toujours délicate des alliages 1. Éloi donc peut être considéré comme un orfèvre de premier mérite pour son temps. Néanmoins il ne paraît pas que cet artiste - si considérable ' qu'il ait été - ait osé rompre avec les formules ornementales que les Francs vainqueurs avaient imposées à la Gaule réduite et soumise. Il n'y a pas de pré­ somption, en effet, qu'il exécuta non pas une figure humaine en ronde bosse, un buste, une statue, mais même das vases, des croix, des châsses, ornés de bas­ reliefs représentant des animaux ou des personna­ ges; et les rares gravures qui nous sont offertes comme images authenti- !;�� , . . - ques de cer-taines de Fig. 103. Grande croix en or ses repoussé, décorée de filigranes et de œuvres, nous mont1J'ent 'attribuée cabochons, à saint Eloi. des pièces d'un galbe assurément gracieux, mais très et très simple primitif, ornées de cabochons et filigrane, d'arabesques de mêlées de plaquettes d'or estampées au marteau, et uniquement décorées de dessins fig. géométriques (voir 103). Ce système de décoration, au surplus, était à demeurer appelé' en honneur encore pendant plusieurs siè­ cles, et peut-être saint Éloi dut-il son étonnante .célébrité 1. Labarte, lIistoire des arts industriels, tome Iv, p. 2(l4. 116 L'ORFÈVRERIE - à ce fait qu'il sut amener ce genre de décor à un point de perfection relative. C'est, en effet, cette même ornementation, cette même association de filigrane d'or et de pierres précieuses que nous t retrouvons sous les Carlovin­ giens et jusque sous les descendants' I directs de Hugues Capet. La couronne . du roi wisigoth Recesvinthe, décédé en � 672, c'est-à-dire juste treize ans après la mortde saint Éloi; la couronne de Charlemagne, conservée au trésor im­ périal de Vienne; le livre de prières connu sous Íe nom de Bible ele Charles le Chauve, et la reliure des quatre évan­ gile,s à l'usage de Me'tz que possède notre Bibliothèque nationale; ceux eles objets du 'trésor si curieux de Conques (Aveyron) qui remontent aux temps les plus lointains; le calice dit de saint Remi, qui, après avoir �ongtemps séjourné au Cabinet des médailles, fut restitué en 1861 à la cathédrale de Reims; le joli vase en verre grénele qui provient de Suger et qu'on peut' la tou- Fig.104. dans - Couronne du admirer galerie d'Apollon; roi wisig?th Recesvin- tes ces pièces bien que la , plupart the. (�\[USEE DE CLUi'\Y.) , soient très postérieures à saint Eloi et embrassent, comme fabrication, un espace de près de quatre, cents ans, demeurent fidèles à cette ornementation d'une magnificence un peu primitive, mais cependant délicate et surtout caractéristique. Toutefois, dès le règne ele Charlemagne, prince artiste s'il en fut et dont les capitulaires .ordonnaient la création d'ateliers d'orfèvre'rie dans toutes les juridictions de l'Em- L'ORFÈVRERIE 117 pire, un fait considérable s'était produit .. Aux cabochons dont avaient été décorées jusque-là les pièces d'orfèvrerie, on avait substitué des camées antiques, des plaquettes d'i­ voire sculptées de bas-reliefs, et des émaux byzantins. Ainsi la représentation humaine avait trouvé place de nouveau. dans les œuvres des orfèvres, et ceux-ci, entraînés par une pente naturelle, allaient peu à peu cesser de s'attarder Fig. 1.05. - Coupe dite des Ptolémées. (CAllINET DES MEDAILLES.) dans la combinaison forcément monotone des lignes géo­ métriques, pour associer, dans leurs compositions ingé­ nieuses, l'observation de la nature aux grandes lignes de la décoration. L'orfèvrerie, en accomplissant cette évolution intelligente, ne faisait, au surplus, que se. conformer à la marche suivie par les autres arts. Le beau vase gravé qui porte le nom de coupé des Ptolémées, et dont le hanap . antique est complété par une monture carlovingienne, montre le point de départ de cette féconde transformation, 118 L'ORFÈVRERIE dont la fin est "marquee par le magnifique vase de porphyre­ converti en vautour (voir fig. 1) qui provient de Suger 'et qu'on peut admirer au Louvre. Mais avant d'arriver à ce grand abbe, qui, ministre de- • deux rois, a brille au moins autant comme homme d'État que comme prêtre, il, nous faut mentionner les noms d'un certain nombre d'hommes d'eglise qui se sont vivement intéressés aux progrès de l'orfèvrerie: ceux des évêques Aaron, Héribald et Hincmar , ceux encore du bienheu­ reux Perpetuus , d'Angilbert, abbe de' Saint-Ricquier, et d'Ansegise, abbe de Saint-Vandrille, tous grands amateurs de belles croix et de riches ciboires. On peut egalement citer, d'après Augustin Thierry, deux orfèvres du nom d'Othon qui l'un et l'autre habitaient la Normandie, et emprunter à lVI. Labarre les noms de trois orfèvres fran-· çais : Odulphus, Bernelinus et Bernuinus, qui furent, le premier moine de Saint - Ricquier, les deux autres cha­ noines de Sens. Malheureusement rien n'est demeure des ouvrages commandes par ces prelats ou executes par ces � artistes; et anterieurement à Suger, le seul personnage religieux dont quelques souvenirs soient parvenus jusqu'à nous est Begon, dont l'abbaye de Conques possède un 'certain nombre de cadeaux, parmi lesquels il faut sur­ tout admirer une statue en or de sainte Foy, haute de om,85, doublement precieuse par la beaute du travail et par son extrême rarete. Quant aux autres ouvrages d'orfèvrerie si nombreux en ces temps lointains, si considérahles, si magnifiques, ils ont, helas! disparu. Nous citions tout à l'heure les deux vases provenant de Suger que possède le Louvre. Certes ce sont là des mor­ ceaux d'un immense intérêt, et pour nous d'une valeur ines­ timable; mais leur importance est bien minime si on les. compare aux mer-veilleux objets en metal precieux que cet abbe ministre fit fabriquer pour sa basilique préférée, et L'ORFÈVRERIE 119 dont l'étonnante somptuosité provoqua les sévères ad­ monestations de saint Bernard. Les plus impor-tantes de' ces orfèvreries superbes furent impitoyablement détruites. Le tombeau de saint Denis et la châsse qui l'envelop­ pait, 'véritable chef-d'œuvre des disciples de saint Éloi, dont la description n'occupait pas moins de douze folios dans un Inventaire de l'abbaye de Saint-Denie dressé au xv" siècle; la grande croix d'or dont Suger avait orné ce même sanc-: tuaire , et dont le 'pape était venu en personne effectuer la dédicace; des retables entiers, des tableaux d'or et d'argent, cent ouvrages qui se­ raient pour nous sans prix, furent depuis lors anéantis. Eugène Il l avait cependant fulminé une sen­ tence d'excommunication contre tout individu qui oserait détourner ces précieux joyaux de leur des­ tination sacrée. « Cette mesure comminatoire fut longtemps res­ pectée, écrit M. de Lasteyrie; au milieu même des guerres de reli­ g\on, elle eut la puissance d'arrêter . Ies br d hélr _. 'Il",' FIg. 106. - Vase en verre I as es étiques. etait I e- gré- neléprovenantdeSug_er. (GA- servé aux plus fougueux catholiques LERlE D'APOLLON.) de l'enfreindre les premiers. 'Ce furent les ligueurs, sous la conduite du duc de Nemours, qui mirent les premiers la main sur ces richesses jusque-là épargnées, et sur beau­ coup d'autres objets non moins dignes de respe-ct 1. )) Et ce n'est pas seulement la basilique de Saint-Denis qui fut ainsi mise au pillage. Tous les beaux et précieux ouvrages dont Maurice de Sully, évêque de Paris, Ger- 1. Histoire de l'orfèvrerie, p. 131. 1i20 L'ORFÈVRERIE vais, abbé de Saint- Germain, Samson, archevêque de Reims, Simon, abbé élu du monastère de Saint-Bertin , Guillaume, abbé d'Andernès dans le diocèse de Boulogne, et nombre d'autres prélats avaient enrichi leurs cathédrales et leurs abbayes, éprouvèrent un sort analogue. 'Bien avant les guerres de religion, les invasions étrangères, et surtout les malheurs des guerres intestines, avaien't vidé , les trésors des églises. Geoffroy de Vigeois, dans sa Chro­ nique du monastère de Saint-Martial> donne la description des orfèvreries superbes qui furent dispersées ou anéan­ ties lorsque Henri le Jeune, roi d'Angleterre, prit, comme duc d'Aquitaine, possession du Limousin. Les retables, les croix, les chandeliers, les ciboires qui ornaient l'église de Saint-Front, à Périgueux, ne furent pas plus respectés. Dans_ ces siècles de guerre perpétuelle, l'orfèvrerie reli­ gieuse eut partout à compter avec la cupidité des vain­ quem's, et l'orfèvrerie civile, qu'aucune crainte supers­ titieuse ne protégeait, fut encore plus maltraitée. Non seulement elle se trouva soumise au hasard de luttes constantes, 'se compliquant de pillages réguliers, mais elle eut à compter avec les donations pieuses, qui prenaient parfois les proportions d'un désastre, et avec certaines réalisations périodiques dont nous parlerons au chapitre suivant. On a presque le droit, après cela, de s'étonner qu'il nous soit resté quelques morceaux d'orfèvrerie d'une épo­ que si troublée. En dépit de leur extrême rareté, les pièces qui nous ont été conservées fournissent matière toute­ fois à des constatations précieuses. Elles attestent que dès .Ia fin du XIe siècle l'orfèvrerie, à l'imitation des autres arts, accomplit �n pas décisif. L'artiste, nous l'avons dit, commença de Ile plus chercher toute son inspiration en lui-même. Son attention, attirée au dehors, se porta sur les spe'ctacles qui l'entouraient. L'étude si suggestive de la flore L'ORFÈVRERIE 121 €t de la faune de nos diverses provinces, l' observation ¡plus attentive de l'homme et de ses œuvres, le besoin de mêler aux enroulements pittoresques et aux arabesques ingénieu'ses la figure humaine et celle des animaux, l'im­ pression intense produite par la contemplation de l'archi­ tecture, qui pendant près de six siècles allait demeurer la grande inspiratrice de l'orfèvrerie, toutes ces préoccupa- I Fig. 107. - Calice dit de saint Remi. (CATHI�DRALE DE HEIMS.) tions, autr-efois ignorées, provoquèrent une complète évo­ [ution dans le noble art qui nous occupe. Aux combinaisons ;géométriques exclusivement en honneur durant les siècles précédents, succédèrent de saints personnages alignés en hel ordre sous les arceaux trapus d'édicules robustes; et les I branches feuillues portant des fruits ou des fleurs ciselés, :se substituèrent aux cabochons sertis dans des rinceaux de filigrane. En même temps l'émaillerie, encore parquée -dans les étroites cellules où l'orfèvre limousin la tint si longtemps cloisonnée, remplaça par ses chaudes, et vi- 122 L'ORFÈVRERJE bran tes' colorations le reflet de s pierreries. Grâce' à elle, l'orfèvre put enrichir les parois de ses châsses de véritables tableaux représentant les héroïques immolations et les saintes hécatombes, et, interprète ému du martyrologe chrétien, n'ayant plus à compter avec les exigences du.' lapidaire, il put donner un libre essor à sa verve déco­ rative. Une pareille transformation - est-il besoin de le dire? - ne s'accomplit pas sans de longs tâtonnements, sans hésitation et sans peine. Un livre precieux entre tous, la Dioers arum. artillin schedula du moine'Théophile, que nous. avons déjà eu l'occasion de citer ", décrit avec une pré­ cision que certains écrivains déclarent admirable et que d'autres prétendent insuffisante et trop sommaire 2, les pro­ cédés en usage à cette lointaine époque. On y trouve re­ tracées les opérations de moulage, de fonte, de repoussé, de ciselure, de gq.vure, de dorure et de polissage, tels. qu'ils étaient alors pratiqués. L'ornementation des vases, la composition de leurs formes, y fournissent la matière de paragr-aphes intéressants; mais il ne paraît pas qù'en cette période romano-byzantine la conception artistique ait été, en tant qu'interprétation de la nature, à la hauteur de l'habileté technique. L'artiste, en effet, dans l'ordonnance et la composition de ses décorations nouvelles n'est, en aucune façon, tour­ menté par le souci de la vérité, et l' exactitude demeure la moindre de ses préoccupations. Ses personnages généra­ lement incorrects, difformes même, greffent sur des bustes trop longs des membres trop petits. Les fleurs et les feuil-. lages volontairemént simplifiés, et transformés, par une heureuse abstraction des détails, en ornements convèn-. 1. Th.eoph.ili Presbyteri et Monach.i libri Ill, seu diversarun¿ artium. sch edula (publié par le comte Charles de l'Escalopier, Paris 2. 18l¡,3). Voir, relativement à ces deux opinions contradictoires, lVI. de.' Lasteyrie, Histoire de l'orfèvrerie, p. 125, et Jean Garnier, Manuel du ciseleur, p. 83. L'ORFÈVRERIE 123 tionnels, abritent sous leurs enroulements des animaux qui restent barbares et fantastiques. Les nuages qui occu­ pent le ciel, les arbres et les rochers qui s'étagent sur le sol, ne sont, suivant un mot très fin de Mérimée, que des « explications graphiques )) exemptes de toute idée précise d'imitation. L'image ainsi comprise demeure un pur sym­ hole, auquel on ne cherche à donner ni la ressemblance ni la vie. NIais cette expression d'un art nouveau, tout im­ parfaite qu'elle soit, n'en reste pas moins digne d'être étu­ diée, car elle laisse entrevoir la magnifique efflorescence qui allait, dans l'histoire générale de l'art, placer au pre­ mier rang la période suivante. Fig. 108. � Médaillon représentant saint Éloi, et provenant du collier des orfèvres de Gand. III LA PÉRIODE OGIVALE .Avec le XIIIe siècle s'ouvre une époque glorieuse et fé­ conde pour l'orfèvrerie française. Cet épanouissement n'eut . pas pour cause unique, un redoublement dans l'affection immodérée que la noblesse et le clergé avaient antérieure­ ment marquée pour les métaux précieux et pour leur tra­ duction en beaux ouvrages. Une recrudescence de ce genre n'était guère possible. Un moment, il est vrai, les sombres appréhensions de l'an 1000 avaient attiédi quelque peu et relégué au second plan cet amour désordonné des argen­ teries magnifiques. Mais, la date fat�le une fois passée� les craintes s'étaient évanouies; lemonde s'était senti renaître à l'espérance, et l'invincible passion avait repris de plus belle. Si le moindre doute pouvait exister -sur le goût ex­ cessif de nos ancêtres du XIe et du XIIe siècle pour les bril­ lantes orfèvreries, la littérature du temps suffirait à le lever. Chansons de geste, romans, chroniques, tous les poèmes, tous les récits relatifs à cette lointaine période de notre histoire, prennent, par la précision des détails, l'impor­ tance et la netteté d'une déposition. Le Roman ele Berthe aux grands pieds> la Chronique rimée de Philippe Mouskes , le Romaii du chevalier au cygne> celui de Godefroiel ele Bouillon> la gracieuse Histoire de Flaire et Blancheflor, etc., non seulement attestent cette persistante tendresse, mais fournissent même sur le bel art que nous étudions des l'en, seignements instructifs. Comme preuve des révélations curieuses que nous offrent certains de ces textes, un peu trop négligés des historiens L'ORFÈVRERIE 125 spéciaux, on pourrait citer, rien que dans cette dernière fus­ taire; une centaine de vers consacrés à la description d'une \ , I' chière coupe d'or ... Qui fut emblée du trésor Au riche emperéour de Rome. Détaillant les scènes relatives à la guerre de Troie repré­ sentées à l'entour de ce joyau·, l'auteur nous révèle indi­ rectement l'importance considérable que, durant le XIIIe et le XIVe siècle, les émaux translucides appliqués sur basse­ taille prirent dans lorfèvrerie de service. Un autre passage de ce gracieux roman nous apprend que la tombe de Blan­ cheflor, exécutée par de cc boins orfèvres bien sachans », fut • moult bien ovrée . .. D'or et d'argent et néellée, et prouve ainsi l' emploi courant des nielles pour la déco­ ration des plus vastes ouvrages. Dans le Roman du checa­ lier au cygne; à peine la reine Matabrune a-t-elle pu s' em­ parer des chaînes qui ornaient le col de ses petits - fils? qu'elle envoie chercller cc ung orfèvre qui estoit b?in ou­ vrrer », Et Ii dist : ( Allez may une couppe forgier Et le me raportès, puis arès vo loyer. » Et la façon familière dont cette commande est donnée non seulement nous renseigne sui' les rapports qui existaient alors entre les plus grands princes et les orfèvres, mais nous dénonce surtout l'empressement singulier qu'on ap­ portait à faire traduire en vases, en coupes, en drageoirs, les matières d'or et d'argent dont on pouvait se sai­ toutes sir. L'orfèvrerie, en effet, à ces lointaines époques et, du tout le âge, joua un rôle politique et reste, pendant moyen social qu'elle a perdu depuis. cc C'était tout l'avoir des rois, des princes, des seigneurs, écrit avec beaucoup de raison .NI. de Laborde 1. Ce que nous plaçons dans les fonds pu- 1. Notzce des emaux du Louvre, p. S!¡,. 126 L'ORFÈVRERIE blies, dans les actions industrielles, ce que nous possédons en argent comptant, le seigneur du moyen âge I'avait en orfèvrerie ... : capital mort sans doute, mais qui donnait, au lieu d'intérêts, le plaisir fastueux d'étaler ses richesses sur les dressoirs aùx jours de grandes fêtes et de repas ma­ gnifiques 1. » Jusqu'à la fin du xv= siècle, ces brillantes exhibitions firent, en quelque sorte, partie du cérémonial obligé de la cour. Aux banquets, aux repas qui accompagnaient les entrées solennelles, les joutes, les pas d'armes, les tour­ nois, toute l'orfèvrerie royale ou princière, soigneusement gardée « par chevaliers à ce ordonnéz 2 », était exhibée aux regards de la foule, qui jugeait de. la puissance et de la richesse du prince par le poids et la beauté de ces superbes vases aux formes étonnamment variées. Les grandes récep­ tions des ambassadeurs, les mariages, les baptêmes, étaient autant d'occasions de renouveler ces expositions magni­ fiques, et Aliénor de Poitiers, dans son curieux livre inti­ tulé les Honneurs de la cour, nous montre comment les ducs de Bourgogne prêtaient leur admirable argenterie, pour augmenter l'apparat des relevailles des princesses de la famille ducale. Puis, revers de la médaille, lorsque les_ sombres jours venaient à luire, toute cette provision de meubles précieux formait une réserve métallique où l'on puisait à pleines mains pour subvenir aux frais de la guerre, payer les hommes d'armes, acheter les consciences, acquit­ ter les rançons, ou pour se concilier la faveur divine. On comprend mieux, après ces explications, la tendresse 1. Il est à croire que dans l'antiquité l'orfèvrerie jouait un rôle ana­ logue, car, nous l'avons dit plus haut, on ne r-encontra de presque pas pièces remontant à la période gallo - romaine qui ne. portent la marque de leur poids et par conséquent l'indication de . leur valeur intrinsèque. 2. Voir le Livre des [aiz et bonnes mœurs du sage roy Charles) tome 109 II, p. et 110; les Chroniques ele Lefèvre de Saint-Remy) tome II, p. 160, etc. L'ORFÈ VRERIE 127 toute particulière que les grands seigneurs resseritaient pour ces somptueux' objets, enseigne visible de leur puis­ sance, ressource suprême aux mauvais jours; et l'on s'ex­ plique comment, dans ces temps si étrangement troublés, certains princes parvenaient à concentrer dans leur trésor Fig. 109. - Triptyque en or (xv- siècle). une quantité invraisemblable de pièces d'orfèvrerie. Une suite de documents d'un rare intérêt nous permettent de nous rendre un compte presque exact non seulement de la surpr-enante richesse de ces trésors, mais encore des modi­ fications radicales qui, au XIIIe et au XIVe siècle, se produi-' �irent dans l'esthétique des orfèvres. Au premier rang de ces documents si précieux à tous 128 L'ORFÈVRERIE les titres, il faut placer le Livre des mestiers d'Étienne Boi­ leau, dont les curieux chapitres nous initient aux statuts. compliqués qui, dès le règne de saint Louis, gouvernaient la corporation des orfèvres; les Comptes des argentier's royaux, notamment ceux de Geoffroy de Fleuri et d'Étienne de la Fontaine; les Exécutions testamentaires de Clémence de Hongrie et de Jeanne d'Évreux, et surtout les Inventaires princiers des descendants directs de Philippe de Valois, dm duc de Normandie, du duc Louis d'Anjou, de Charles V, du duc Jean de Berry, des ducs Jean et Philippe de �ourgogne. Fait remarquable et qui prouve combien les orfèvres étaient déjà maîtres des procédés d'affinage, les règlements. 'consignés dans le livre d'Étienne Boileau 1 s'occupent sur­ tout du titrage de l'or et de. l'argent, qui, étant donné le rôle complexe joué par l'orfèvrerie, devait être l'une des gran­ des préoccupations de ce temps.' Les ateliers parisiens ne pouvaient mettre en œuvre d'or s'il n'était à la 'touche de Paris.- laquelle, est-il dit, . dépasse toutes celles qu'on employait alors sur le reste du globe, - et d'argent s'il n'égalait au moins l'aloi des esterlins, c'est-à-dire de la monnaie la plus dépourvue d'alliage. Les maîtres orfèvres. avaient le droit de prendre en apprentissage leurs jeunes. parents ou ceux de leurs femmes', mais en fait de personnes. étrangères à leurs familles, ils ne pouvaient occuper qu'un apprenti, qu'ils devaient garder au moins dix ans. Cette-dis­ position restrictive, d'une rigueur singulière, faisait de la maîtrise un privilègè en quelque sorte héréditaire, et de la réunion des maîtres une espèce de féodalité· commer- • ciale. Il était, en outre, défendu de travailler la nuit et de trafiquer le dimanche. Ceux qui ouvraient leur boutique. ce jour-là étaient tenus de verser le bénéfice qu'ils avaient réalisé dans la caisse de la corporation. Tous les ans le· contenu de cette caisse servait à offrir un banquet aux pa�- 1. Les ]Ifetiers et Corporations de la oille de Paris, le Livre des mé­ tiers d'Étienne Boileau, p. 32 et suiv, . , L'ORFÈVRERIE 129 vres de l'hôtel-Dieu. Les maîtres enfin prêtaient le serment de se conformer à leurs statuts, et trois jurés ou prud'hommes veillaient à la bonne exécution des règlements, avec le droit de punir les délinquants du bannissement ou de l'amende. Sous la protection de cette loi librement acceptée, les orfèvres de Paris n'avaient pas tardé à devenir nombreux et riches pour la plupart. Les Registres de la taille- pour l'an­ née. 1292 mentionnent plus de 110 maîtres en exercice. Sur ceux de l'année 1313 on en relève 156, d'abord installés sur le pont. au Change, où Jean de Garlande nous les montre assis devant leurs établis ou occupés à leur forge et exécutant sous les yeux mêmes du public leurs beaux ouvrages. Chassés de cette pre­ mière résidence par l' écroule­ ment de ce pont, ils se répan­ dirent sur la rive droite, dans le quartier Saint-Martin, dans Fig. 110. - Orfèvre façonnant un les Quincampoix, Bourg- gobelet, d'après un rues dessin du Ta- bleau. {le la civilisation. . l'Abbé, Aubry-le-Boucher , au- tour de la paroisse Saint-Josse, dont le nom n'allait pas tarder à devenir le synonyme d'orfèvre. Plus tard, tout en conservant_leurs boutiques des rues Quincampoix et Aubry­ le-Boucher, ils revinrent, après la reconstruction de leur pont, prendre possession de cette voie essentiellement pas­ sante, où Guillebert de Metz, en 1420, nous signale de nou­ veau leur présence. C'est dans ces ateliers que furent confectionnés tous les beaux ouvrages dont le souvenir nous a été conservé : la célèbre châsse de sainte Geneviève, terminée par l'orfèvre Bonnard en 1212; le grand plat allégorique offert àLouis VIn lors de son entrée à Paris; le sarcophage en argent doré où 9 • I 130 L'ORFÈVRERIE furent enfermés les restes de Philippe-Auguste; le reliquaire de la sainte Épine dont Louis IX fit présent il l'abbaye de Saint-Maurice d'Agaure; la nef curieuse, avec tous ses cor­ dages et agrès, que le sire de Joinville offrit en eec-voto à l' église de Saint-Nicolas de Varengeville, en reconnaissance de l'heureux retour de Terre sainte; enfin les innombra­ bles cadeaux que Louis IX et sa femme Marguerite de Pro­ vence firent aux églises du royaume, et surtout à la basili­ que de Saint-Denis, etc. Ces derniers joyaux, d'un goùt rare et délicat, avaient été exécutés par Raoul, l'orfèvre fa­ vori du saint roi, que Philippe le Hardi anoblit en 1270. C' est encore dans ce milieu si artistique et par ces orfèvres parisiens, dont la renommée était alors européenne, que furent confectionnés le magnifique buste-reliquaire offert en 1297 par Philippe le Bel à la sainte Chapelle, et qui conte­ nait une partie du « chef » de saint Louis; et I'adrnirable trône de Jean II qui valut à son auteur, l'orfèvre le Braalier, d'être attaché à la Maison du roi avec le titre de valet de chambre. De cet artisan justement illustre on peut rappro­ cher Jehan de Lille, Jehan Pascon, Jehan de Toul, les or­ fèvres attitrés de Clémence de Hongrie; J ehan Arrode, qui livra l'orfèvrerie de Jeanne de France; J ehan Lussier et Pierre, Chapelier', qui fournirent celle que la sympathique Blanche de Bourbon emporta en Espagne, lorsqu'elle re­ joignit son mari Pierre le Cruel, et surtout les noms de Claux Fribourg, orfèvre de Charles V; de Henri Hambert, orfèvre duduc Louis 1er d'Anjou, etc. Par les Inventaires de ces deux derniers princes, on se fait une idée assez précise du merveilleux talent, de l'iné­ puisable ingéniosité de ces infatigables artistes. A la mort de Charles V, l'argenterie royale conservée dans les châ­ teaux du Louvre, de Beauté, de Vincennes, de Melun, dans les palais, de Saint- Pol, des Tournelles et du Louvre, représentait une valeur intrinsèque de dix-neuf millions, chiffre énorme, surtout si l'on, tient compte des crises ter- L'ORFÈVRERIE 131 ribles que traversèrent alors la France et la royauté. L'I/l(Jentaire du. clue Louis d'Aujou, naturellement plus res­ treint, n'est ni moins varié quand il s'agit de pièces com­ pliquées, ni moins surprenant. Les plats, les hanaps, les coupes, les saucières, les drageoirs, les bassins, les pots, les aiguières, les flacons, les salières monumentales, les écuelles, et jusqu'aux chaudrons d'or, d'argent et de ver­ meil, s'y comptent par douzaines. Mais ce qui constitue le haut intérêt de ces documents, c'est moins encore le débor­ dement des richesses qu'ils décrivent, que l'aimable fan­ taisie, I'élégante hardiesse, la grâce délicate et cherchée qui présidèrent à la conception et à la décoration de ces pièces, souvent compliquées et toujours ingénieuses. L'or­ fèvrerie, en effet, suivant en cela la marche des autres arts, et surtout de l'architecture, dont elle avait, depuis long­ temps, 'cornmencé de s'inspirer, était, avec le XIIIe siècle, entrée dans ces voies à la fois nouvelles et glorieuses dont nous parlons en tête de ce chapitre. On connaît la féconde et curieuse révolution qui.s'était produite à cette époque dans l'art de bâtir. L'architecture, à la fin du XIIe siècle, était brusquement sortie des sentiers connus. Elle avait adopté des formules ignorées jusque-là, et, par l' emploi régulier de l'ogive, elle avait transforrné par­ tout sa massive solidité, qui semblait se cramponner au sol, en une sveltesse élégante et en apparence fragile, qui, n'offrant plus à l'édifice que de rares et maigres supports, le montrait comme suspendu dans les airs. A son exemple, l'orfèvrerie se fit, elle aussi, frêle, délicate, élancée. A ses châsses dont la carrure pesante s'alourdissait encore d'ar-­ ceaux en plein cintre et d'un toit en bâtière , elle substitua des cathédrales soutenues par une forêt de colonnettes, ornées de pignons aigus et dentelés, flanquées de tourelles en encorbellement, enrichies de pinacles hérissés, de balus­ trades évidées, de fenêtres et de flèches ajourées, édicules- 132 L'ORFÈVRERIE gracieux d'une construction d'autant plus audacieuse que. n'ayant à compter avec aucun des problèrries qui pouvaient embarrasser l'architecte, toutes les témérités étaient per­ mises à l'orfèvre. La grande châsse de sainte Geneviève dont nous parlions à l'instant; celle de sainte Julie il Jouarre, décrite dans les Annales archéologiques >' la châsse· de Nivelle, chef-d'œuvre de Colard de Douai et de Jacque­ mont; celle de saint Taurin d'Évreux, représentant un oratoire surmonté de clochetons; la monstrance de saint Henri, provenant de la collection Bazile wski ; le reliquaire dit aux oiseaux, de l'ancienne collection Seillière, mon­ trent quelle transformation s'était opérée dans la con­ ception et la réalisation de ces monuments d'argent et d'or. Ajoutons que les préoccupations architecturales ne se font pas moins pressantes dans l'orfèvrerie civile que dans. l'orfèvrerie religieuse. On les retrouve dans l'argenterie de· service aussi bien que dans celle de décoration. Les Inven­ taires que nous venons de mentionner nous fournissent, en effet, la description de quantité de surtouts, de dra­ geoirs, de lariguiers, de salières aujourd'hui malheureu­ sement détruits.. et qui étaient « en manière de chastel, il murs crénelez )) munis de portes « batailleresses )) et da « tournelles », D'autres reposaient sur des pieds ayant le corps orné de « fenestraiges )) ou d' « orbevoies )) avec mu­ railles à mâchicoulis, et couvercles formant toiture en poivrière. Un surtout de table transformé en reliquaire, et conservé au séminaire de Soissons, représente une ville entière. Mais l'architecture si gracieuse, si originale et si brillante de ce temps ne fut pas seule à inspirer ces féconds. artistes; la sculpture, elle aussi, exerça une influence déci­ sive sur l'orfèvrerie. M. Charles Blanc, dans sa Gra¡nmaire d'œmeublement ", parlant justement de l'art qui nous occupe; accuse hau- 1. A l'article ORFÈVRERIE, p. 293'. L'ORFÈVRERIE 133 tement la Renaissance d'avoir cc donne l'exemple d'abuser de la figure humaine et d'en avoir fait l'ornement principal, le plus voyant, le plus saillant de toute chose », L'accusa­ tion est singulière. Au moment où la Renaissance com­ mença de faire sentir ses effets, la statuaire, depuis plus de deux siècles, avait pris possession des metaux précieux, et régnait en maîtresse dans les ate­ liers d'orfèvrerie. Non seulement les représentations de saints per­ .. un sonnages ou de héros trouvaient emploi fréquent dans l'ordonnance des châsses, des reliquaires, des croix, comme on peut le voir par la belle croix du trésor de Bâle, par le reliquaire de la vraie croix de Jaucourt, ou encore par le précieux triptyque en or appartenant au ba­ l'on de Rothschild que nous repro­ duisons ici (fig. 109); mais encore, dans l'orfèvrerie civile aussi bien que dans l'orfèvrerie religieuse, elles jouaient un rôle important en tant que statuettes isolées. Dans la parure des sanctuaires, les anges notamment tenaient une place con- Fig. 111. -·Vierge offerte par sidérable. Ces créations gracieuses, Jeaull.e d'Évreux à l'abbaye - . de Salllt-Deills. . avec Ieur sexe IIId"ecis et Ieur Jeu- nesse éternelle, se prêtaient admirablement à l'interpréta­ tion à la fois naïve et poétique de ces artistes croyants et émus. Puis venait la douce Vierge Marie portant son en­ fant dans bras, comme dans cette délicieuse statuette ses qu'on admire au Louvre et qui fut, en 1344, offerte par Jeanne d'Évreux à l'abbaye de Saint-Denis. Ensuite c'est toute la légion des saints. Rien que dans l'Illgentaire du duc Louis d'Anjou (1368), nous avons relevé les images de saint L'ORFÈVRERIE Jean-Baptiste, de saint Pierre, de saint Louis, de saint Jacques, de saint Nicolas, de saintGuillaume, de saint Lau­ rent, de saint Martin, de saint Yves, de saint Marc, de saint Eustache, de sainte Marthe, de la Madeleine, etc. Quelques-unes y figurent même en doubles et en triples. exemplaires. Ajoute� aux statuettes les bustes presque aussi nomhreux et singulièrement riches: celui de saint Bernard, fabriqué en 1334 pour recevoir le chef du grand abbé de Clairvaux; ceux de saint Philippe et de saint Jean-Baptiste, donnés par le duc de Berry à la cathédrale de Paris et il. la sainte Chapelle de Bourges. Parfois, au lieu d'un per­ sonnage, l'orfèvre en réunissait trois ou quatre et compo­ sait de véritables scènes expressives. En 1368, Charles V enrichissait la basilique de Saint-Denis d'un groupe en argent doré où il était représenté, aux pieds de la Made­ leine, avec la reine sa femme et son fils le Dauphin. Chris­ tine de Pisan nous apprend que ce même prince offrit à l'empereur son oncle, lors de son voyage il Paris, des fla­ cons « où estoit figuré en ymages enlevéz comment saint Jaques monstroit il saint Charlemaine le chemin en Espai­ gne ». Enfin, on peut contempler encore à Altœting, en Bavière, un groupe comprenant neuf personnages parmi lesquels Charles VI en adoration devant la Vierge Marier abritée sous un berceau de roses, couronnée par des an­ ges, pendant qu'un page porte le heaume du roi et qu'à l'étage au-dessous un écuyer tient son cheval. On voit ce que deviennent, en présence de ces constatations, les objur­ gations de M. Charles Blanc. Les personnages ne jouaient pas un rôle moins impor­ tant dans la décoration de l'orfèvrerie d'usage, et la fan­ taisie, qui dans la vaisselle de service pouvait se donner' libre allure, ne manquait pas d'imprimer à ces curieuses compositions un caractère pittoresque et divertissant. Soit qu'il s'appliquât à représenter des petites scènes de mœurs , comme dans ce surtout figurant « un brouète séant sur un L'ORFÈVRERIE 135 pié cizelé à fueilles de vigne ... et y a à un des houz uri home qui maine ladite brouète, qui a les pans à la ceinture et son chaperon en fourure ... et devant a une femme qui en main destre tient la brouète et en la senestre tient une sa hache danoise et a un chaperon d'une vielle, lequel cha­ peron est à la mode de Picardie », etc.; soit qu'en veine de satire il s'amusât, au contraire, à combiner de grotesques adaptations; qu'il figurât « un singe d'argent doré ... lequel singe a une mittre d'évesque en la teste », ou « une royne enmantelée ... à chevauchons sur dos d'une beste sauvaige qui a teste et mains d'omme »; dans tous ses ouvrages l'orfèvre demeurait original et charmant. L'étonnante malléabilité du métal lui permettait, en effet, de renchérir encore sur l'idéal poursuivi par les sculpteurs ses contemporains. En outre, il était, à leur suite, entré dans des voies qu'on peut qualifier d'humaines. Ses figures, prenant une expression de plus en plus per­ sonnelle, s'étaient rapprochées progressivement de la na­ ture. Les poses s'étaient assouplies; les attitudes, plus variées, avaient été étudiées sur le vif; les gestes, enfin, avaient pris une vérité attendrie, et les visages une expres­ sion pleine d'un sentiment profond d'émotion contenue. Aussi, semblable à une fleur épanouie sur un champ de bataille, cet art jeune et puissant, charmant et robuste, qu'on appelle improprement « l'art gothique » et que les maîtres de' la Renaissance mieux inspirés nommaient « l'art français ;;, s' était développé et avait grandi au milieu des radieux péripéties les plus terribles de notre histoire, et, symbole, il avait éclairé de ses gracieuses créa­ comme un tions le monde féodal, dont il devait demeurer l'expression à la fois la plus riche et la plus charmante. 1° IV LA RENAISSANCE Au souffle de la Renaissance, toute cette gracieuse fan­ taisie s'envola. L'orfèvre, par le rôle qu'il jouait alors dans . l' économie sociale et par ses rapports intimes avec les plus hautes classes de la société, fut au nombre des premiers ar­ tisans qui subirent l'influence des idées nouvelles. Au con­ tact de l'art italien, la cour et la noblesse avaient senti leur curiosité s'éveiller, et commençaient à se piquer de con­ naissances spéciales en ces matières toujours délicates. Les grands seigneurs, frottés d'érudition latine et fiers des notions superficielles qu'ils pouvaient avoir de l'antiquité, s'efforçaient de raffiner en toutes choses. Désormais les poètes et les statuaires furent consultés sur les faits d'or­ fèvrerie, et les orfèvres, au lieu de présenter des projets, r'eçurent des programmes. Interprètes directs des tendan­ ces et des goùts de leur aristocr-atique clientèle, ils cessèrent peu à peu d'être les inspirateurs de leurs œuvres, pour n'en demeurer que OIes exécuteurs. Comme conséquence, tous ces amusants et capricieux sujets qui avaient fait la joie du moyen âge, disparurent pour faire place à des dé­ corations mieux pondérées et plus graves. Les gracieuses figurines n'égayèrent plus les tables des princes et des rois de leurs attitudes variées et de leurs physionomies pitto­ resques. De beaux vases leur furent substitués. La statuaire réclama pour ses bronzes et pour ses marbres le monopole des personnages traités en l'onde hosse , et ne permit plus à l'orfèvrerie de les faire intervenir que dans de rares et solennelles occasions. Il fallut, en effet; l'entrée du monarque dans sa capitale, le couronnement d'un prince, un mariage royal, pour que L'ORFÈVRERIE 137 Fig. 112. - Présent offert au roi Chm-lcs IX lor-s de son entrée solennelle dans Ia ville de Pads ('1571). 138 L'ORFÈVRERIE les ateliers parisiens essayassent de .produire encore quel­ qu'une de ces compositions surchargées de figures, de ces. allégories emblématiques dissimulant sous leurs lignes fantaisistes une manière de rébus alambiqué. C'est ainsi que, pour l'entrée solennelle de François I'", la ville de Paris flt exécuter par ses orfèvres un beau groupe en 014 représentant saint François, assis sur un siège porté par quatre piliers, entre lesquels on apercevait une salamandre couronnée, tenant en sa gueule la devise du prince: Nutri­ cor et exstinguo, et un petit chérubin tenant une cordelière ornée d'une grosse émeraude. Vingt-cinq ans plus tard, quand Charles-Quint traversa la France pour aller châtier­ les Gantois révoltés, François 1er voulut que partout son hôte fût traité comme s'il était roi de France, et Paris dut lui faire son présent. Ce présent consista en une statue d'Hercule en argent, haute de six pieds, revêtue d'une peau de lion en or, et tenant deux colonnes sur lesquelles était tracée la devise: « Plus oultre. » A l'avènement de son successeur, un groupe fut encore offert au nouveau roi. Ce groupe représentait Henri II lui-même, auquel François Iel> et Louis XII montraient suspendu aux branches d'un arbre un cartouche sur lequel on lisait: Magna magnum do­ cent. Trois autres figures, celles de Janus, de la Justice et de la Noblesse, complétaient cette curieuse composition. Enfin, lorsque Charles IX fit son entrée à Paris, une allé­ gorie du même genre lui fut pareillement présentée, vaste composition où le nouveau roi, sa mère, sa sœur et les. quatre grands Charles (Charles - Martel, Charlemagne, Charles V dit le Sage, Charles VII dit le Victorieux) se trouvaient emblématiquement groupés. La reproduction que nous donnons (fig. 112) de cette pièce remarquable in­ dique, au surplus, sa disposition et nous dispense de plus amples détails. Mais ces morceaux compliqués, dont le caractère et la raison d'être ressortent suffisamment des. événements dont ils étaient chargés de solenniser le sou- L'ORFÈVRERIE 139 venir, peuvent être qualifiés d'exceptionnels. O�l en doit dire autant de quelques autres, exécutés par des artistes de haut renom, - comme la fameuse salière que Benvenuto Fig. 113. - Aiguière ct bassin en vermeil. (GALERIE D'APOLLON.) Cellini modela sur les ordres de François r= et qui fait partie du trésor de Vienne, comme la châsse donnée par le cardinal de Bourbon à .I'abbaye de Saint-Denis, et le Saint Sépulcre offert par Henri II à la cathédrale de Reims. - Ces ouvrages, au surplus, sont presque les seules piè- 1110 L'ORFÈ.VRERIE ces d'orfèvrerie de ce temps, où l'on rencontre des figu­ res en ronde bosse rappelant-par leur nombre celles qui encombraient les entremets, les surtouts, les salières mo­ numentales et les innombrables ex-voto de la période _pré­ cedente. Encore restent-ils loin de cette fantaisie quintes­ senciée dont le moyen âge à son déclin avait fait un si copieux usage. Ils sont, en outre, conçus et exécutés dans un esprit tout différent. Les orfèvres du XIVe et du xv" siècle avaient de­ mandé leurs effets les plus puissants au nombre et à la richesse; l'esthétique nouvelle professa, au contraire, un dédain ahsolu pour « l'innombrable », et pour l'excès de la parure un indiscutable mépris. Au lieu de couvrir Vénus et Junon de vêtements somptueux et magnifiques, on dés­ hahilla les Saintes et on souleva les voiles dont on avait jusque-là .drapé les Vertus. Au lieu de s'égarer dans les efflorescences d'un idéal mal défini, on s'efforça de pré­ ciser les formes et de tout ramener à une sculpturale et magistrale sim-plicité. En même temps que le vestiaire se modifiait, le personnel du Paradis faisait place à celui de l'Olympe. Le paganisme était désormais appelé à fournir les motifs des allégories dont allaient se parer, en -de nohles has-reliefs, les aiguières, les hassins, les coupes, les salières. Car, ne craignons pas de le redire, à partir de la Renaissance, les compositions de personnages en ronde bosse devinrent aussi rares qu'elles avaient été précédem­ ment nombreuses, et les grands orfèvres de cette brillante période, Guillaume et Jean Hotman, Jean de Crèvecœur, Jean Trudaine, Guillaume Hérondelle , Jean Rousseau, Regnault Danet, Dujardin, Jacques Lempereur, Nicolas Havart, Jean et Robert Pijart, Mathieu, Claude et Mathias Marcel, Jean et Simon Cressé et surtout Étienne de Latine, Nicolas Br-iot et Delahaye, s'appliquèrent bien moins à faire concurrence aux statuaires de leur temps, qu'à de­ meurer franchement orfèvres. Leurs multiples et merveil- L'ORFÈVRERIE 141 leux talents furent presque exclusivement employes à créer - \J une vaisselle de service admirable, et qui rachète ample­ ment par la purete de ses lignes, par l'elegance de son galbe et Ia noblesse de son decor, ce qu'elle devait for­ cement perdre en imprévu et en fantaisie. Faut-il se lamenter, comme le font quelques critiques, de cette transformation radicale? Assurément non. L'art ogival Fig. 114. - Atelier d'orfèvre, d'après une gravlll'c d'Étienne de Laurie. du xv" siècle, quand il disparut, avait dit tout ce qu'il avait à dire et _n'avait plus qu'à faire place à un art nouveau. Faut-il, comme ont osé le pretendre certains écrivains, faire honneur à l'italie de la transformation si 'caractéris­ tique qui s'accomplit alors dans notre orfèvr-er-ie ? Pas da­ des vantage. On peut, en effet, passer .une revue détaillée orfèvres établis alors à Paris. C'est à peiné si l'on trouvera dans le nombre deux ou trois artisans, et non des plus illustres, dont I'origirie péninsulaire soit bien établie. Parmi les fournisseurs royaux, on remarque, il est vrai, Matteo del Nassaro et la petite 'colonie de fondeurs et de ciseleurs L'ORFÈVRERIE réunis à l'hôtel de Nesle. Mais de tous ces artistes un seul, Cellini, put, par son prestige, exercer une influence directe autour de lui. Or, on sait qu'il demeura seulement cinq ans en France, et que pendant ce temps il s'occupa plus de statuaire que d'orfèvrerie proprement dite. Quant à ses com­ pagnons, Ascanio Desmarris, Paul Romain et le Flamand Baulduc, travaillant exclusivement pour le roi, ils accom­ plir-entmodestemsnt et sans fracas les besognes dont ils étaient chargés. Les orfèvres parisiens n'eurent point d'em­ prunts à leur faire ni d'influence à subir. Les belles pièces anonymes qui nous sont parvenues de cette époque peuvent donc être hardiment attribuées aux artisans français. Les auteurs de celles dont l'origine nous est connue, sont les garants naturels de l'habileté de leurs confrères. Au surplus, on se demande ce que nos orfèvres auraient bien pu apprendre de leurs concurrents italiens. Est-cJ quelque secret de fabrication? Mais la main-d'œuvre pari­ sienne se trouvait en avance sur celle d'outre-monts. Elle était plus délicate dans son rendu, plus hardis dans ses moyens, plus maîtresse de ses procédés: Elle avait hérité de cette précision de la main, de cette sûreté d'œil, de ce discernement dont le xv" siècle était si justement fier, et qui, perdus à la fin de la période gallo-romaine, avaient été r-econstitués par huit cents ans d'études incessantes et de progrès continus. Alors que leurs collègues tr-ansalpins divisaient leurs pièces à l'infini, recourant ensuite, pour les monter, à d'in­ nombrables soudures, les orfèvres parisiens, stimulés par les Ordonnances royales quiIimitaientj-igoureusement la quantité de remède, nos, artisans,' disons-nous, pratiquaient , couramment la retreinte et exécutaient leurs admir-ables aiguières en un nombre limité de "morceaux. Alors que les ciseleurs italiens prenaientleurs repoussés de p ar-dessus, enfonçant le champ pour donner aux reliefs la saillie néces­ saire, nos repousseurs, usant de la recinglo, attaquaient L'ORFÈVRERIE ill3 Iapièce de l'interieur et imprimaient ainsi it leur déco­ r-ation une variete de plans �t un modele de beaucoup pré­ fèrables. Bien que l'orfèvrerie du XVIe siècle ait été en grande partie détruite, les specimens de provenance ita- . lienne et de provenance fran- çaise sont encore assez nom­ breux pour qu'aucun doute ne s�it possible sur notre supérior-ité au point de vue du travail. Veut-on, au contraire, en­ visager le dessin et la com­ position des formes géne­ l'ales? Ici les présomptions semblent moins faciles à dé­ truire. Cependant ilfaut bien reconnaître que toutes les grandes pièces dont nous venons de passeI� la revue - présents offerts à Dieu, à ses saints ou aux rois - n'avaient rien d'italien, ni comme conception ni comme galbe. En outre, on, connaît les auteurs d'un certain nom­ bre de ces beaux ouvrages. L'admirable cadeau fait au roi Charles IX la muni- Fig. 115. - Miroir dessiné par Étienne par de Lanne. ' . . . ... Clpal.ité parISIenne ainsi que le buffet dont fut gratifiee Élisabeth d'Autriche avaient été executes par Robert -Bourgonnière et Jean , Jacques Even Delvaux, et si aucune de' ces pièces ne nous est restee, le casque et le bouclier de ce même prince, qu'on peut admi­ rer parmi les trésors du Louvre, disent assez de quels feeriques chefs-d'œuvre les artistes parisiens de ce temps L'ORFÉVRERIE étaient cal�ables. Dans un autre ordre d'idées, l'aiguière et le plat de la Tempérance de Briot sont également des morceaux parfaits. On en peut dire autant de la coupe d'Étienne de Laune que possède le Louvre et qui repré­ sente Vénus faisant forger les annes d'E�llée. Ce grand ar­ tiste fut, en outre, un des inspirateurs les plus écoutés des orfèvres de son temps. L'œuvre gravé qu'il nous a laissé est plein d'excellents modèles, auxquels les juges les plus exigeants ne trouveraient rien à reprendre; et il n'était point seul à fournir les artisans du' XVIe siècle de motifs précieux. Philibert de Lorme,. Jean Goujon, du Cerceau, et, dans up.e note moins élevée, Woëiriot, Rennequin de Metz, avec toute la pléiade des graveurs qu'on désigne sous / le nom de « petits maîtres )), s'appliquèrent à cette tâche aimable, dans laquelle ils furent secondés, au reste, par les plus nobles dames et par les plus illustres seigneurs. Le gOllt d'érudition alambiquée qui distinguait alors la plus haute société faisait de celle-ci - nous venons de le dire - la collabor-atr-ice et l'inspiratrice des artistes. Cette collaboration se traduisait en emblèmes gracieux, or­ nés de devises obscures, à sens multiples, et c'est ainsi que prirent naissance quantité de jolis ouvrages, d'une dé­ coration un peu quintessenciée peut-être, mais dont la grâce et le charme" exercèrent une influence directe sur le style et l'ornementation de l'orfèvrerie. Avec un pareil concours de talents et de bonnes volontés, les artisans français, il faut bien le reconnaître, n'avaient guère besoin des secours du dehors. Ils trouvaient autour d'eux toutes les inspira­ tions souhaitables. Aussi leurs œuvres, à la fois si fines d'exécution, si délicates de composition et de dessin, si élégantes de forme, si merveilleusement pondérées, peu­ vent-elles braver toutes les comparaisons, et la saveur au­ tochtonejqui s'en dégage est telle, que leur originalité ne saurait être loyalement contestée. v LE XVIIe SIÈCLE Lorsqu'on envisage à longue distance les évolutions ac­ complies par nos arts d'ameublement et leurs transforrna-' tions caractéristiques, ces évolutions apparaissent avec une netteté et une précision qu'elles sont loin d'avoir quand on les étudie d'une façon un peu plus attentive. C'est sur­ tout en matière de styles qu'on peut dire que rien ne com­ mence et ne finit, au sens rigoureux du mot. Si, au milieu de la période qu'on examine, les caractères distinctifs de cette période se manifestent avec une évidence complète, absolue, il n'en saurait être de même au commencement et à la fin. Là, les différences s' estompent, les contours se fondent, les contradictions s'atténuent. Il se produit comme une sorte de pénétration réciproque, et l'on s'aperçoit bien vite que l'art d'un grand peuple n'avance pas par soubre­ sauts, mais procède par manifestations successives, qui se tiennent et s'enlacent comme les anneaux d'une chaîne. L'orfèvrerie n'échappe pas à ces lois générales. Bien que les premières aspirations de la glorieuse période désignée sous le nom de Renaissance se fassent sentir dès la fin du règne de Charles VIII, c'est seulement aux environs de 1520 que Ïes beaux ouvrages d'or et d'argent apparaissent complètement transformés par l'esthétique nouvelle; Cette transformation se conserve dans toute sa pureté pendant une cinquantaine d'années. Les modèles les plus parfaits d'Étienne de Laune datent, en effet, de 1561. Puis les for­ mes commencent à s'alourdir, l'ornementation s'épaissit, Jlé-' légance des contours tend à disparaître sous la surcharge de la décoration. Les créations de Pierre Woëiriot, de Briot, de Boivin, cèdent laplace aux compositions déjà empâtées 10 146 L'ORFÈVRERIE d'Androuet du, Cerceau, de Jean de Bulle, de Philippe Millot, de Jacques Hurtu et d'Antoine Jacquard, dont les combinaisons restent assurément ingénieuses, mais offrent déjà un tout autre caractère. Deux causes pr-incipales précipitèrent cette transformation finale de l'orfèvrerie. Ce furent d'une part les guerres civi­ les et religieuses qui marquèrent l'effondrement" de la dy­ nastie des Valois, d'autre part l'avènement, avec la dynastie des Bourbons, d'une société nouvelle. On comprend que pendant les sombres années du règne de Henri III, quand deux partis d'égale force et pareillement fanatisés ensan­ glantaient et rançonnaient la France, les orfèvres n'aient eu guère de loisirs pour exécuter des ouvrages délicats et précieux. La disette, en outre, qui régna perpétuellement dans le trésor des Valois, jointe à l'insatiable avidité de ces chefs, qui couvrai�nt de motifs politiques ou religieux leur besoin de pouvoir ou leur amour de pillage, fit pis en­ core. Elle amena la destruction à peu près complète de toutes les belles- argenteries entassées pendant des siècles dans les sanctuaires et dans les châteaux. Dès 1554, Henri II faisait appel à la générosité de ses sujets, et leur emprun­ tait leur vaisselle pour l'envoyer à la refonte. En 1562, on mit à contribution les trésors des églises. En 1590, celui de Saint-Denis, que défendaient cependant des bulles d'ex­ communication 1, fut pillé. En cette même année, le légat décida qu'on prendrait dans les diverses paroisses de Pa­ ris tous les beaux vases qui n'étaient pas indispensables au service divin, et qu'ils seraient employés à la solde des gens de guerre. En moins de dix ans, la mise à rançon pé­ riodique des manoirs et des églises, les saisies, confisca­ tions et donations plus ou moins volontair-es, firent dispa­ naître pour jamais ces belles œuvres d'art, auxquelles on avait attaché jusque-là un prix inestimable. Quand Henri IV 1. Voir p. 119. L'ORFÈVRERIE H7 -eut achevé dé conquérir le trône de France, il ne restait pres- -que plus rien de tant de merveilles, et il ne paraît pas que son entourage direct, formé dans les camps, instruit au ·culte des arts sur l�s champs de bataille, ait été en état -d'apprécier comme il le méritait un dommage pareil. Cer­ tes, les orfèvres que le galant Béarnais fit travailler de pré­ férence, Albin de Carnoy, Jean Delahaye, Paul le Mercier, Jean Allain, Isaac et David de Vimont, Pierre Touset, etc., furent d'habiles gens; mais il ne nous est demeuré d'eux au- Fig. 116. - Aiguière avec son bassin (commencement du XVIIe siècle). 'c?-ne œuvre capitale capable de lutter avec celles de leurs illustres prédécesseurs; et la passion de la joaillerie qui commença de régner à ce moment, suffirait, à défaut d'au­ tres raisons, à expliquer la révolution essentiellement fâ­ cheuse qui se produisit alors dans l'orfèvrerie. La recher­ che de la somptuosité se substitua- au goüt des formes 'élégantes, délicates et pures. Louis XIII, élevé au milieu de cette cour-peu raffinée, ins­ truit, ou, pour parler plus exactement, gouvernë par Mme de Monglat et M. de Souvré , bien incapables l'un et l'autre d'insuffler à leur élève des idées vraiment artistiques, ne parait guère avoir- exercé d'influence sur l'orfèvrerie de 1�8 L'QRFÈVRERIE son temps. Il n'en fut pas de même d'Anne d'Autriche, et surtout de Louis XIV. Avec la fille de Philippe III, les idées espagnoles franchirent les Pyrénées et se taillèrent un vaste domaine dans nos arts et dans notre littérature. Elles s'implantèrent chez nous, juste au moment où la mise en exploitation régulière du nouveau monde faisait affluer en Espagne les métaux précieux importés par des flottes en­ tières. Leur. abondance était telle dans la péninsule, qu'on y faisait des mobiliers entiers en argept. Anne d'Autriche, qui, suivant un mot de Mme de Motteville, cc ne prenoit plai­ -sir qu'à ce qui lui rappeloit l'Espagne », ne pouvait man­ quer d'introduire chez nous ces modes somptueuses. Elle fut la première à posséder des tables, des guéridons, des balustres en métal précieux. Le cardinal de Mazarin, non moins épris de luxe coûteux, s' efforça de renchérir encore sur la prodigalité royale, et c'est dans ce double exemple qu'on doit chercher sans doute l'origine de cette magni­ ficence débordante et sans précédent, qui distingue la pre­ mière moitié du règne de Louis XIV. Nous ne pouvons guère aujourd'hui nous faire une idée bien précise de ce que put être, pendant cette période de trente ans (1660 à 1690), l'orfèvrerie dont celui qui se faisait appeler le Grand Roi meubla, enrichit, décora le palais de Versailles et ses autres cc maisons royales ». Jamais, dans les temps modernes, semblable profusion ne s'était ren­ contrée. Jamais on n'en devait revoir de pareille. Bran­ cards d'argent portant des girandoles, caisses d'argent des­ tinées à recevoir les orangers, et posées sur des bases de même métal, torchères en vermeil surmontées d'énormes chandeliers d'argent, grands vases qu'on ne pouvait mou­ voir qu'à l'aide de brancards, foyers d'argent de deux pieds de haut, .guéridons de six pieds, tables, garnitures de che­ minée, lustres, encadrements, plaques, candélabres, etc., le palais de Versailles, dont la description détaillée nous est fournie par le Mercure d'avriI1681, possédait en métal pré-. L'ORFÈVRERIE 1�9 cieux: un mobilier presque complet, sujet d'admiration et d'envie pour tous les souverains de l'Europe. La plupart des pièces de réception regorgeaient de ces meubles superbes; mais c'était surtout l'appartement parti-· culier du roi, celui où il résidait d'une façon constante, qui en était orné. Dans la salle du trône, on admirait un fau­ teuil d'orfèvrerie de huit pieds de haut, accompagné de scabelons,d'argènt portant des carreaux dè velours, et des girandoles de même métal, hautes de plus de six pieds. Dans Ia chambre à coucher, le lit était entouré d'une balustrade d'argent de deux pieds et demi de haut, sur laquelle étaient disposés huit superbes chandeliers d'orfèvrerie. Dans les angles, sur des escabeaux: d'argent, étaient placées des cas­ solettes également d'argent, mesurant cinq pieds de hauteur. Les chenets en argent n'avaient pas moins de quatre pieds, et les cadres de miroir, aussi en argent, en comptaient neuf de haut ... On n'en finirait pas si l'on voulait énumérer ces richesses fantastiques, ·oÙ l'art le disputait comme prix à la matière. « IIn'y a point de morceau d'argenterie qui ne soit historié, ajoute le recueil contemporain auquel nous em­ pruntons ces détails. Des chandeliers représentent les douze mois de l'année. On a fait les saisons sur d'autres, et les travaux: d'Hercule en composent une autre douzaine. Il en est de même du reste' de l'argenterie. Tout a esté fait aux Gobelins et exécuté sur les dessins de M. le Brun. )) Ici le_Jl1ercure commet une erreur qu'il importe de rec­ tifier. La plupart des meubles incomparables qu'il décrit avaient bien été confectionnés d'après les croquis de le Brun, ou tout au moins sous son inspiration directe; mais nous savons les noms des orfèvres qui les exécutèrent, et le plus grand nombre d' entre eux ne dépendaient pas des Gobelins. L'illustre Claude Ballin, que Voltaire n'hésite pas . à comprendre parmi les artistes les plus célèbres de ce temps, et qui travailla avec Marcadé à ce que les Comptes des bastimens appellent les « grands ouvrages », Claude 150 L'ORFÈVRERIE Ballin était logé au Louvre. C'est au Louvre également que demeuraient Gravet , auquel Louis XIV demanda sa belle nef d'or, et Thomas Merlin, qui livra à Versailles la plupart des bassins, des brancards et des vases dont on décora Ia. grande galerie. Viaucourt, Gér-ard Debonnaire, du Teil, Guillaume Loir, René Cousinet, Verbeck, ancien fournis­ seur de Gaston d'Orléans, et après lui sa ve;'ve, furent ré­ gulièrement employés aux travaux de Versailles et des mai- . sons royales, et tous tenaient boutique au cœur même de' Paris. Ces illustres artistes, dont les noms méritent d'être retenus, prirent à la décoration des appartements de Louis XIV une part au moins égale à celle que peuvent re-· vendiquer Alexis Loir et de Vilers, qui seuls, à cette épo­ que, avaient leurs ateliers sur les bords de la Bièvre. Par la belle tapisserie intitulée la Visite du roi cl la ma­ nuf'acture des meubles de la couronne, nous avons, au sur­ plus, la représentation des principaux morceaux d'orfè­ vrerie qui virent.le jour dans cet établissement célèbre, et aussi les portraits des habiles artistes que Colbert avait réunis dans cette enceinte privilégiée (voir fig. 6 et 7). Par la suite des NIaisons royales, par celle de l'Histoire du raï et par l'Entrée d'Alexandre cl Babylone, nous possédons également l'image d'un certain nombre de belles argenteries qui furent exécutées sur les dessins mêmes de le Brun. Les superbes gravures de Bérain et de Lepautre, ainsi qu'une collection précieuse de dessins, conservée au Cabi­ net des estampes dans le foncls de Robert de Cotte, achèvent. de nous initier au caractère plus fastueux qu' élégant de ces vastes ouvrages. Malheureusement c'est tout ce qui nous. en est resté, et l'on ne sait vraiment s'il faut amèrement regretter la disparition de ce luxe exagéré, empreint assu­ rément d'une indiscutable solennité et d'une -certaine gran­ deur, mais manquant de mesure, disproportionné dans ses effets comme dans ses moyens, et qui semble comme im­ prégné, même dans son meilleur temps, de cette redon- L'ORFÈVRERIE 151 Fig 117. - .. Cafetièr-e, écuelle à or-oilles et sucr-ier en argent repoussé et ciselé. Orfèvr-erie do la fin du XVIIe siècle et du XVIIIe. 152 L'ORFÈVRERIE dance et de cette emphase espagnoles, qui avaient en quel­ que sorte présidé à sa naissance. On sait que Louis XIV dut, en 1689, se séparer de ces trésors. On sait également que I'infortuné prince éprouva de grands déboires à leur refonte. Il s'étonna - nous l'a­ vons dit plus haut - que les six millions employés à meu­ u bler Versailles ne lui rendissent que la moitié de l'argent qu'il y avait dépensé. Il n'avait pas fait figurer dans son compte le prix des façons. Cette omission lui parut pénible. Elle ne le rendit pas toutefois moins rigoureux à l'égard de ses fidèles sujets. Dès le 14 novembre 1689, en effet, une Ordonnance royale avait enjoint aux particuliers de se con­ former à l'auguste exemple donné par le maître, et d'en­ voyer leur orfèvrerie à la Monnaie. En dépit de ses décep­ tions personnelles, le roi ne se relâcha pas de cette cruelle exigence, et ses ministres tinrent sévèrement la main à son exécution. Par cette fatale Ordonnance nous avons la no­ menclature de Ia plupart des objets mobiliers qu'on fabri­ quait alors en métal précieux. La liste' mérite qu'on s'y arrête. Nous relevons dans le nombre des meubles prohi­ bés, les balustres, bois de chaises, cabinets, tables, bu­ reaux, guéridons, chenets, grilles, garnitures de feux et de Ir: cheminées, chandeliers à branches, torchères, girandoles, bras, plaques, cassolettes, corbeilles, paniers, caisses d'o­ rangers, pots à fleurs, urnes, vases, carrés de toilette, pe­ lotes, buires, seaux, cuvettes, carafons, tourtières, cassero­ les, etc. Elle montre assez que les respectueux courtisans du Grand Roi s'étaient fait un devoir de copier le luxe dé­ bordant de leur prince et seigneur. Ajoutons qu'ils s'em­ pressèrent également de se conformer à son invitation, et le 24 janvier 1690 Dangeau pouvait écrire: « On porte tant d'argent à la Monnoie, que l'on n'a pu, dans le mois de jan­ vier, fondre tout ce que l'on y portoit. ) Ce désintéressement, toutefois, ne fut pas de longue - - _. -- " L'ORFÈVRERIE 153 _ duré e. La haute société de ce temps ne pouvait guère se passer de vaisselle plate et montée. En dépit des Edits royaux, la belle argenterie resta la marque distinctive des bonnes et vieilles maisons. Aussi, l'orage une fois éloigné, se remit-on de toutes parts à commander et à acheter de pesantes orfèvreries. Et c'est à cette hâte de se remonter en argenterie courante - au moins autant qu'au renché­ rissement de la main-d'œuvre - qu'il faut attribuer l' em­ ploi des procédés à la fois économiques et rapides, qui se généralisèrent alors dans Ia confection de la vaisselle de service. Le mouton et le tour dont nous parlons dans notre première partie prirent, en effet, à partir de cette époque, une importance décisive dans la fahrication de ce qu'on ap­ pelait « la grosserie ». C'est grâce à ces machines expéditives qu'on put en quel­ ques années remeubler les appartements royaux, décorer les hôtels princiers et garnir à nouveau les tables des grands seigneurs et même celles de la finance et de la riche bourgeoisie, si bien qu'en 1709, lorsque Louis XIV crut devoir renouveler l' épreuve désastreuse à laquelle il avait soumis, vingt ans plus tôt, le dévouement de ses sujets, la quantité d'argenterie portée à la Monnaie fut presque aussi considérable que lors de la première refonte. Cette fois du encore, la France entière se conforma aux exigences trésor réduit aux abois. Puis, quand on eut épuisé Ia 'somme des sacrifices qu'on était en droit d'attendre de l'abnégation volontaire, les recherches fiscales commencè­ rent. Des perquisitions furent ordonnées et des saisies pra­ tiquées chez tous les orfèvres.' Jamais destruction ne fut conduite avec une méthode plus rigoureuse et une plus im­ placable sévérité. C'est ainsi qu'achevèrent de disparaître non seulement toutes les belles œuvres qui avaient illustré les noms de Claude Ballin, de Delaunay, de du Teil, de Cousinet, de Verbeck, de Viaucourt, de Gravet, de Merlin, de Van Clèves, de Germain, de Loir, de Laurent de Mon- 1 154 L'ORFÈVRERIE \ tai-sv, etc., mais encore les précieux ouvrages des siècles' antérieurs, qu'un zèle pieux avait pu sauver des crises pré­ cédentes, si bien qu'on a lieu de s'étonner que quelques très rares pièces, datant de ces temps lointains, soient par­ venues jusqu'à nous. Hâtons-nous d'ajouter que les rarissimes écuelles, plats, bassins et chandeliers datant du XVIIe siècle, qui furent exceptionnellement dérobés à cette destruction en quelque sorte systématique, nous font doublement déplorer les me­ sures de rigueur édictées par le Grand Roi. Si la plupart de ces objets d'une allure plus modeste, d'une tenue moins emphatique que les grandes argenteries de Versailles, con­ servent une certaine lourdeur de formes qui interdit toute comparaison, comme élégance, avec les chefs-d'œuvre du XVIe siècle, on retrouve, par contre, dans leur ornementa­ tion, l'arrangement délicat de ces motifs rayonnants ou la�­ brequinés qui caractérisent Sl bien le'style Louis XIV et qui, appliqués avec goût aux ouvrages d'ameublement, produi­ sent un effet à la fois riche, agréable et varié. Aussi la plu­ part de ces pièces sont-elles considérées, par nos orfèvres contemporains, comme des modèles à suivre, et on les re­ copie encore aujourd'hui, à cause de leur belle tenue et de leur aspect un peu grave, mais très décoratif. Fig. 118. - Bassin en al'gent d'après un dessin de le Brull. \ I VI ·1., , LE XVIIIe ET LE XIXe SIÈCLE Les dernières années du règne de Louis XIV furent trop moroses pour que l'orfèvrenie civile pût, en ces temps désolés, prendre un nouvel essor. Il n'en fut pas de même pour l'orfèvrerie religieuse. La dévotion inquiète du vieux roi se reflétant directement sur un entourage désireux de se conformer à ses moindres exemples, rayonnait au dehors. , C'était faire adroitement sa cour que de renchérir sur le zèle pieux du monarque. Aussi de cette sombre période les seuls grands travaux d' orfèvrerie dont le souvenir soit parvenu jusqu'à nous, consistent-ils en objets consacrés au culte. Tel est le soleil-ostensoir offert en 1708 par le cha­ noine de la Porte au chapitre de Notre-Dame de Paris, pièce justement célèbre, qui, dessinée par Robert de Cotte et modelée par le sculpteur Bertrand, avait été orfévrée par le jeune Ballin, neveu de l'illustre Claude; tels sont lá • grande croix et les chandeliers de Saint-Jean de Lyon, exécutés par le même orfèvre; le calice d'or ciselé par " ,Thomas Germain pour l'électeur de Cologne; celui que le ,i, cardinal de Noailles commanda, et dont le pied était orné de figures d'anges portant les instruments de la Passion. On peut citer encore un autre soleil, offert en 1709 par Mlle de la Rochefoucauld de Marsillac à l'abbaye de Saint­ Germain des Prés, etc. Tous ces beaux ouvrages, quoi­ que d'un dessin emphatique et d'une exécution maniérée, se rattachent encore par leur majestueuse ampleur et leur magnificence au siècle précédent. Leurs auteurs, au s'ur­ plus, avaient été élevés à la fière école de ce long règne, et se posaient en héritiers naturels de ses grandes traditions. Nicolas Delaunay, le vieux Delaunay, comme on l'appelait, ,.!C. 156 L'ORFÈVRERIE fatigué par I'âge , mais riche à millions et doublement con­ sidéré, tenait toujours bon. Claude Ballin, le neveu, formé par son oncle, s'était pénétré de ses exemples et de ses le­ çons; enfin Thomas Germain avait à soutenir la gloire de son illustre père. Mais dès que Louis XIV eut fermé les yeux, la mode triompha de ces dernières résistances. A une royauté nouvelle il fallait, sinon un art, du moins un style nouveau. Remarque curieuse, ce style nouveau, regardé avec rai­ son comme l'un des plus exclusivement français qui aient jamais existé, dut son développement à deux étrangers. Un Hollandais, Gilles-lVlarie Oppenord, le favori du Régent et le décorateur du Palais-Royal, et un Piémontais, Juste­ Aurèle Meissonnier, dessinateur ordinaire de la chambre du roi, en furent les protagonistes. Architectes l'un et l'autre, ils généralisèrent dans nos arts décoratifs le mé­ pris de l'architecture. Ils élevèrent le dédain de'la cons­ truction logique et de l'aplomb des masses portantes à Ia hauteur d'un dogme, et les théories dont ils se firent les apôtres parurent si charmantes à tout ce monde léger, pimpant, coquet, inconséquent, que, bon gré mal gré, l'or­ fèvrerie française dut abdiquer la solennité de ses formes, renoncer à la symétrie de sa décoration et se conformer , jusque dans la vaisselle d'usage, - qui acheva, elle aussi, de se contourner - , aux préceptes de ces maîtres quelque peu incohérents et à'leurs troublants exemples. Les plus grands, les plus illustres, les plus entêtés parmi les orfèvres en renom, furent obligés de se plier à la ty­ rannie du goût nouveau. Thomas Germain lui-même, qui avait fait le voyage d'Italie, étudié la peinture sous Bon Boulogne et la sculpture avec Legros, Thomas Germain dut suivre le torrent, et le magnifique service qu'il exécuta pour le roi de Portugal, atteste qu'il n'osa pas jusqu'au bout se montrer rebelle aux théories des novateurs. De même Ballin, qui mourut en 1754, âgé de quatre -vingt- L'ORFÈVRERIE 15Î treize chargé de gloire et d'années, n'hésita ans, pas il créer dans le dernier quart de sa vie une foule dœuvres it la fois compliquées et baroques. Quant à Besnier, à Roet­ tiers gendre, à Lempereur, à "Marteau, à Pierre Ger­ son main dit le Romain, qui nous a laissé, en une suite de d'un certain nombre gravures appréciées, la reproduction des modèles alors en honneur, on peut dire qu'ils étaient Fig. 119. - Pot à oille dessiné par Meissonnier. là dans leur élément. Comment, du reste, aurait-il pu en être autrement? Le style nouveau ne charmait pas seule­ ment la France; il avait séduit aussi l'étranger, et les or­ fèvres parisiens, devenus ses interprètes attitrés, étaient acceptés comme les arbitres du gOla en Europe. A l' exception des garnitures de toilette de Marie Lec­ zinska et de la Dauphine, considérées comme d'indiscuta­ bles chefs - d'œuvre," presql,le tous les grands ouvrages qui sortirent à cette époque des ateliers parisiens, étaient 158 L'ORFÈVRERIE destinés à passer la frontière. Nous venons de citer parmi les clients de nos orfèvres le roi de Portugal; il faut men­ tionner aussi le roi de Danemark, l'électeur de Cologne, le roi et la reine de Naples, I'impératí-ice de Russie, la princesse du Brésil, et le fameux marquis de la Enseñada, dont le service tout en or remplit de sa renommée les jour­ naux du temps et fit courir tout Paris. Durant cette longue période, les cours étrangères regorgèrent d'argenterie française. Cette haute faveur s'explique, au reste. Ces beaux va­ ses, ces surtouts compliqués et qui défient toute descrip­ tion, ces garnitures de toilette dans lesquelles la verve intarissable des orfèvres faisait intervenir les' quatre élé­ ments, les saisons, les mois de l'année et toutes les di­ vinités de l'Olympe; ces canclélabres charmants où l'art de contourner le métal est poussé à ses limites extrêmes, ne se recommandaient pas seulement par l'originalité du sujet et l'inattendu cle la forme. Une des causes principales de leur incroyable succès résidait clans leur parfaite exé­ cution, et surtout dans l'exquise finesse cle leur ciselure. Cet art précieux, qui joue un rôle si considérable dans l'achèvement de la belle orfèvrerie, avait été amené par les Edits, même du règne précédent, à un point de perfection inconnu jusque-là. Empêchés par les lois somptuaires cl'a­ chever' des guériclons, des torchères, des chenets en ar­ gent, les ciseleurs se virent chargés cle suppléer par le précieux d'u travail à la vulgarité de la matière qu'ils étaient obligés de traiter désormais. C'est ainsi que dès la fin du XVIIe siècle il se forma à Paris une école d'artistes émérites qui, au siècle suivant, prêtèrent leur concours aux orfèvres pour l' exécution des magnifiques ouvrages dont nous ve­ nons de parier. Plus tard, quand cle nouvelles catastrophes eurent amené une troisième refonte générale cle l'argente­ rie, ces mêmes ciseleurs enrichirent l'orfèvrerie plaquée et fourrée, cle façons extrêmement soignées, et donnèrent aux 'L'ORFÈVRERIE 159 Fig. 120. - Pot à eau en argent repoussé ct ciselé, exécuté pal' Erançois-Thomas Germain (XVIIIe siècle). 160 L'ORI<'ÈVRERIE montunes de bronze doré une finesse, une beauté, une per­ fection telles, que les amateurs les plus raffinés de ce temps, le duc d'Aumont, M. Randon de Boisset, M. de Jullienne, la duchesse de Mazarin, la reine Marie-Antoinette, n'hési­ tèrent pas à leur ouvrir les portes de leurs cabinets, et à les ranger au nombre de leurs curiosités les plus pré­ creuses. C'est en 1759 que Louis XV, se conformant aux déplora­ bles exemples de son illustl�e aïeul, envoya l'argenterie royale à la Monnaie, et fit à son tour appel à Ia générosité de ses sujets. Cette refonte générale amena, une fois encore, la dispar-ition d'une quantité de chefs-d'œuvre et réduisit à un bien petit nombre de spécimens toute cette orfèvrerie si originalement' déséquilibrée et si curieusement baroque, qui avait demandé tant d'ingéniosité à composer et tant de talent à embellir. Un brusque revirement dans le goût, acheva de la faire disparaître, car à toutes les époques, ainsi que le remarque fort judicieusement M. Labarte, le culte destructeur de la mode a, plus encore que toutes les misères, provoqué l'anéantissement des beaux objets en métal précieux. Mercier, témoin de la capricieuse incons­ tance de ce temps, s'écriait: cc Faut-il donc que l'on re­ fonde tous les î ans son argenterie » Et, en effet, lorsque, après cette nouvelle secousse, on se reprit à fabriquer de la vaisselle pour Ia cour et pour la ville, le goût avait brusquement changé. Grimm constatait ,en'1763 qu'aux contours cc arbitraires bizarres et absur­ des )) on avait substitué partout la recherche des formes cc belles, nobles, agréables ». cc Tout se fait aujourd'hui à la grecque, )) écrivait-il. Cette transformation radicale, sti­ mulée par un engouement encore plus vif peut-être que celui dont Ia, période précédente avait été férue, amena la production d'une argenterie offrant un caractère tout à fait différent, dans laquelle les réminiscences classiques pré- L'ORFÈVRERIE 161 tendaientjouer un rôle prépondérant, alors que l'admirable main-d'œuvre dont nous parlions à l'instant gratifiait les , , Fig. '121. - Soupière en argent (style Louis XVI). ouvrages les plus vastes d'un fini, d'un précieux, qui con­ trastaient avec leur importance même. Fait curieux, cette révolution radicale dans le goût n'at- 11 162 L'ORFÈVRERIE ténua en aucune façon l'autorité dont nos orfèvres jouis­ saient au delà de nos frontières. C'est à ces vaillants ar­ tistes que toutes les cours européennes continuèrent de s'adresser. Fayolle, de la Fresnaye et Auber, auquel on de­ manda les cadeaux de mariage du dauphin et du comte d'Artois, comptèrent avec François Germain parmi les four­ nisseurs de Catherine II. Ménièr-e confectionna les pré­ sents d'argenterie offerts au sultan. Auguste fut chargé d'exécuter la toilette de l'infante de Portugal, et la foule se pressa pendant tout un mois chez 130ullier afin d'admirer le service de table en argent qu'il venait d'achever pour « une cour étrangère ». Ainsi, jusqu'à la veille de la Révolution, les orfèvres parisiens demeurèrent le_s fournisseurs des princes et des rois, les pourvoyeurs de l'aristocratie européenne. NoQ. pas à revêtir que les fournitures d'orfèvrerie eussent continué l'ampleur et la débordante magnificence qu'elles présen­ taient au siècle précédent. Il ne s'agissait plus, à cette épo­ de ni que, de brancards, de. caisses d'orangers, guéridons de torchères. Les modèles dessinés par Lalonde, par de Lafosse, les or­ par Pineau, par Babel, dont s'inspirèrent fèvres pendant les dernières années de l'ancien régime, ne nous montrent, en fait de grandes pièces, que quelques surtouts, des soupières et des pots à oille. Mais le dessin de tous ces objets est d'une élégance ingénieuse, raffinée, et leurs formes toujours gracieuses, que complète et souligne une ciselure extrêmement poussée, expliquent la vogue qui demeura fidèle aux orfèvres français. C'est, en effet, par le précieux du travail que se recom­ mandent les grandes orfèvreries de ce temps, et aussi la quantité de boîtes, de tabatières, de trousses, d'encriers, de chaînes, de cachets, de breloques, de pommes de canne et autres menus objets coquets, gracieux, gentils et délicats, - mignonnes futilités qui, par une de ces contradictions L'ORFÈVRERIE 163 étranges dont l'humanité est coutumière, furent la passion de cette génération troublée, en parturition de la plus terrible révolution qu'on ait jamais vue. - Il est inutile, croyons-nous, de rappeler que la plupart de ces jolis ou­ vrages disparurent à leur tour dans la grande tourmente où s'engloutirent les institutions qui pendant plus de huit siè­ cles avaient gouverné notre pays. Quand les ateliers se rou­ vrirent et qu'on se reprit à tra­ vailler les métaux précieux, le même phénomène qu'on avait pu constater quarante années plus tôt ne manqua pas de se reproduire. Le goût, une fois de plus, avait changé, et l'Em­ pire avait substitué sa froideur un peu sèche, sa raideur un peu grêle, aux formes plus souples et à l'ornementation plus grasse et mieux ordonnée du régime précédent. Seule l' extrême habileté des ciseleurs survécut à ce naufrage général. C'est elle qui continua de donner à l'argenterie une re­ lative valeur d'art. A ce moment, Fig. 122. - Le vase de ta Paix, en effet, la fantaisie était ciselé enré­ par Vechte. gimentée et le caprice hanni. David, devenu le grand ins­ pirateur du temps, avait imposé à l'ameublement une livrée froide et guindée, dont les éléments décoratifs étaient em­ pruntés à l'antiquité classique. Percier et Fontaine, ses deux prophètes, dessinateurs érudits, décorateurs ingé­ nieux, capables de construire et d'orner les plus vastes palais, et de tracer du même crayon un modèle de soupière 164 L'ORFÈVRERIE ou de candélabre, Percier et Fontaine peuplèrent le monde­ de projets de toutes sortes. L'orfèvrerie ne leur fut poins éti'angère, et ses plus célèbres interprètes, Auguste fils, Odiot père, Thomire et Biennais, loin de manifester la moindre tentative d'indépendance, appliquèrent tout leur zèle et le talent de leurs ciseleurs il rendre ce que le style nouveau avait de régulier et d e sec. Jamais conscience plus absolue ne fut mise au service d'un art plus gl'acialement irréprochable. Enfin, c'est de ce temps que date l'adapta­ tion de la molette et du balancier à la décoration de la vaisselle. L'incessante répétition des mêmes motifs, de feuilles d'eau, de perles, de palmettes, amena fatalem�nt l'emploi de moyens économiques, reproduisant cette orne-· mentation courante avec plus de régularité encore que la main. Puis, par une de. ces fluctuations du goút, par un de ces. I�evirements soudains dont nous avons constaté Ia réappa­ rition en quelque sorte régulière, la fantaisie reprit une fois de plus son empire. Le style classique) dans l'orfèvrerie comme dans les autres arts, fit place au style romantique, qui, rompant brusquement avec les traditions impériales, tenta un retour vers le passé et prétendit s'abreuver à des sources purement nationales. .Le moyen úge et la Renais­ sance, mal connus, insuffisamment étudiés et peu com­ • pris, furent les inspirateurs de cette période. « C'est SUl' les avis de Chenavard, écrit M. Faliz e fils, que Fauconnier tenta ses premiers essais de style Renaissance. )) Froment­ Meur-ice remonta plus loin dans le passé, et le grand succès de Notre-Dame de Paris lui permit de composer une quan­ tité de bijoux gothiques. Tous, au surplus, ardents et pas­ sionnés pour leur art, rivalisèrent de zèle et d'entrain, fai­ sant appel aux statuaires les plus expérimentés pour donner à leurs productions un caractère d'art véritable. C'est chez Fauconnier que Barye enfanta ses premiers chefs-d'œuvre; Wagner employa Liennard, Ganneron et Geoffroy de Chau- L'O'RFÈVRERIE 165 Fig. 123. - Plat couvert et réchaud Cil cuivre ciselé ot argenté , provenant du grand ser-vice do Napoléon nr, composé pal' Gilbert et exécuté par la maison Christoflc. ----_---- -------------------------------------- 166 L'ORFÈVRERIE mes; Duponchel demanda des maquettes à Justin et à N é­ vilé, et Frome'nt-lVleurice s'aida du talent de Pradier, de Cavelier, de Préault et de Schœnwerk. De pareilles colla­ borations ne pouvaient manquer de produire des ouvrages méritants. Tous, assurément, ne furent pas irréprocha­ bles, et parfois leur ardeur irréfléchie entraîna ces géné­ reux artistes à" de singulières exagérations; mais on ne peut leur refuser beaucoup d'audace, une large indépendance et un véritable esprit d'invention. 0'1' ce sont là des qualités qui doivent nous semhler d'autant plus estimables, que depuis lors elles sont devenues presque rares. C'est, en effet, en s'inspirant rr: suivant leurs besoins de la Renaissancé, du XVIIe et du XVIIIe siècle; c'est en se pénétrant du style de ces époques bien comprises, étudiées , avec un soin et une compétence rares, que nos artistes sont parvenus à soutenir, depuis quarante ans, la vieille renommée de J'orfèvrerie française. Les belles restitutions que certains d'entre eux ont effectuées d'ouvrages qualifiés ininíitables, ont clairement démontré que la main-d'œuvre est redevenue, en notre temps, aussi parfaite qu'à aucun autre moment de notre histoire. En outre, s'aidant, comme leurs prédécesseurs, du concours des plus habiles sta­ tuaires,' nos orfèvres ont mis au jour une suite de grandes pièces qui répondent trop à-nos préoccupations courantes pour qu'il ne semble pas difficile de les juger au point de vue du goùt, mais dont la supériorité comme exécution ne nous paraît pas discutable. Le magnifique surtout composé par Barye pour le duc d'Orléans, le fameux service de Napoléon III modelé par Gilbert pour là maison Christofle, et qui comptait plus de cent modèles variés; le service du duc de Santoni a exécuté par cette même maison avec le concours de MM.' Mathu­ rin Moreau, Hiolle, Gautherin et Lafrance; les prix de course commandés par MM. Odiat et Froment-lVleurice à L'ORFÈ VRERIE 167 MM. Car-lier et Récipon ; ceux qui portèrent si haut la ré­ putation des frères Fannière, les milieux de table ainsi (lue les délicieuses salières, modelés, fondus et ciselés par . ces derniers artistes; la suite de curieuses' et charmantes plaquettes exécutées par M. Falize fils pour le comte de -Béam ; la jolie nef modelée par M. Chapu et le grand vase dessiné par M. Sédille qu'exposait en 1889 M. Froment­ Meurice; tous ces beaux, tous ces magnifiques ouvrages montrent que notre époque continue de suivre les glo­ rieuses traditions auxquelles, depuis le moyen âge, l'orfè­ vrerie française est demeurée fidèle. Le seul reproche qu'on ait pu lui adresser en ces der- -nières années, c'est de manquer d'originalité. Mais c'est là une qualité dont les contemporains sont toujours mauvais juges. Encore faut-il reconnaître que depuis vingt ans, par de nouveaux et curieux procédés, par l'emploi du marte­ lage notamment, par l'application de dorures partielles et légères, par l'invention de certaines patines, on a essayé, en modifiant l'aspect de l'épiderme du métal, de sortir des sentiers battus. Pour que l'émancipation fût complète, il faudrait qu'un certain nombre d'esprits judicieux se rendissent un compte suffisamment exact du rôle que l'orfèvrerie doit jouer, des conditions de stabilité et de forme qu_e ses produc­ tions comportent, de l'importance et du caractère' qui conviennent à sa décoration. Alors on pourrait espérer de voir se produire des œuvres à la fois raisonnées et gra­ cieuses. Le-dessinateur, émancipé des formules antérieures auxquelles il s'efforce un peu trop de demeurer fidèle, pourrait donner libre cours à son imagination, et le pu­ blic, juge en dernier ressort des conditions de beauté .auxquelles l'argenterie doit satisfaire, serait moins tenté .de s'en référer constamment à des modèles consacrés par le temps: Des établissements nombreux ont été créés, dans ces 'L'ORFÈVRERIE dernières années, avec l'intention de remédier à ce défaut d'originalité qu'on nous reproche si fort.Indépendamment ·de l'Ecole nationale des arts décoratifs, qui fournit à nos orfèvres un nombre assez considérable de dessinateurs ha­ :� biles, une autre école plus spéciale et non. moins féconde a été fondée par la Chambre syndicale, où des professeurs expérimentés enseignent à des jeunes gens. choisis, le mo­ delage, le des-sin. et toutes les connnaissances indispensa- . .bles à la pratique de l'orfèvrerie. Une de nos plus impor­ tantes maisons a en outre établi un pensionnat, dans lequel vingt-quatre apprentis reçoivent une instructien générale et professionnelle de premier ordre. Enfin des publications extrêmement soignées ont été. éditées avec luxe pour géné­ raliser la connaissance de ce bel art, et c'est beaucoup pour atteindre ce but que nous avons écrit. ce petit livre. Fig. 12!l, - Petite salière en argent fondu et ciselé, composée par MM. Fannière frères. • :� PREMIÈRE PARTIE I. Définition de l'orfèvrerie; l'or et son emploi. .. . . • . . . . . 3 - II. L'argent. Alliages divers. Aloi du métal - employé les orfèvres. . 9 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .par . . . . . - III. Différentes manières de travailler l'or et l'argent. La prise dans la masse et dans Ia pièce. - La fonte. . . . . 15 de ciselure fondu. - Des différentes sortes sur Les ou- IV. tils du ciseleur. . . . . . . . 23 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • V. _ Du travail au marteau et des avantages qu'il présente. 29 VI. Les procédés économiques et rapides de fabrication. - Division des pièces en fragments séparés et réunion de ces fragments par la soudure. . . . 37 . . . . . . . . . . . . . . . . VII. _Le coquillé. - L'emboutissage et l'estampage au mou- !t8 ton.............................................. VIII. L'emboutissage et l'estampage au balancier. . . . . . . . . . 53 . - IX. - La fabrication de la vaisselle au tour. . . . . . . . . . . . . . . . 60 X. les métaux sont _ Des emplois pour lesquels précieux spécialement réservés, et des règles qae doivent plus observer les orfèvres dans le choix et la disposition des formes à donner à leurs ouvrages. . . . . . . . . . . . . . . 69 XI. De Ia décoration des pièces d'orfèvrerie, et de quelques r.ègles à observer dans l'ornementation de ces ou- .. .. . . . . . . . . .. 86 , . . . . . . .. . . . . . . vrages XII. L'achèvement des pièces d'orfèvrerie. - La reprise au ciselet. - _ La recingle. - Le guillochage. Le polis- sage et le brunissage. - Le poli gras. • • . • 9l¡, . . . . . . . • . .. TABLE DEUXIÈME PAR TIE I. Antiquité et période barbare . 105 II. - Les temps mérovingiens et carlovingiens. - La période romano-byzantine." � . 113 HI. La période ogivale . 124 IV. La Renaissance . 136 V. Le XVIIC siècle ' . 145 VI. Le XVIIIe et le XIX· siècle . 155 " ... . , l., '", . ... , 't , � �, .' j .. 80 L'ORFÈVRERIE L'ORFÈVRERIE 81 les coupes à boire d'up. galbe tout différent, et qu' elles four­ des d'orfèvrerie ne rÍissent Mais aussi dépend pas un résultat satisfaisant l'aplomb pièces lorsqu'il s'agit d'ai­ de leur structure Il être guières ou de gobelets. Si, au lieu d'un vase élancé, uniquement nous géné�al�. peut difié dans 1 adjonction de par�o­ une mesure, ties avions à déterminer le , d'un large par pied vase trapu, le problème La des vases un cer­ s'établirait de même et sa solution ne serait plupart pas différente. complémentaires. compor�ent. tain nombre de membres utiles, même indispensa­ Comme conclusion de parfois ce qui précède, on peut donc déclarer bIes, viennent se sur le la hase d'un corps principal, et dont que vase, pour satisfaire aux lois de qui greffer l'aplomb les formes, les de la dimensions, et et solidité, doit comporter comme largeur les deux la sont tiers au moins du plus grand diamètre de jusqu'à place, réglées par ce vase. le besoin ou Dans Il demeure entendu par l'usage. que cette proportion n'est, qu'un .ce cas l' œil doit montrer minimum. Si, '. comme còntrôle, quel­ nous mesurons un certain condescendance pour ces nombre de vases anciens ou modernes, que qu'on peut avec de car raison considérer construction, comme des types d' élégance et de bonne exigences l'utilité dans les dont on construction, pièces nous verrons que cette relation des 2/3, in­ se sert diquée journellement, ne peut par nos précédentes figures, est presque toujours être entièrement subordonnée à dépassée. Reduisant, pour plus de commodité, nos men­ du surations à un coefficient l'agrement. L'œil, reste, commun, nous trouverons que l'admirable aiguière de Briot possède musée du 'quand leur nécessité est bien que notre son Louvre com orte les ro or-tions 84 démontrée, 108· le 'oli prend assez ue ot à vit� eaud