m 1 í£íl® -c'1 [y í'- i. IL ■iff,-ï,^. - ié " í$\ '■ OUVRAGE PUBLIÉ SOUS LE HAUT PATRONAGE DE L'ADMINISTRATION DES BEAUX-AR'IS ET HONORÉ DES SOUSCRIPTIONS DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA VILLE DE PARIS, DES CHAMBRES DE COMMERCE ETC. DE PARIS, LYON, MARSEILLE, LES ARTS DE L'AMEUBLEMENT LA VERRERIE PAR HENRY HAVARD ¡mpecteiir des Beaux-Aris Membre du Conseil supérieur C ent trente I llustrations par B. MÉLIN PARIS LIBRAIRIE CHARLES DELAGRAVE '5) RUE SOUFFLOT, I y 1 OUS droits réservés 6K5 Il été imprimé 100 exemplaires de cet ouvrage sur japon a des manufactures impériales, numérotés et signés. I 11 LA VERRERIE PREMIÈRE PARTIE FABRICATION 1 Fig. 4. — Un atelier de verrerie en Egypte, d'après les peintures de Beni-Hassan. I le verre. son extreme utiuxé et ses nombreux services 'art de fabriquer le verre n'est pas seule- ment un des arts les plus utiles et les plus merveilleux que l'homme ait pratiqués ; il est aussi fort ancien. Gomme celle de la Gé- ramique^, son origine se perd dans la nuit des temps, et dès lors il devient singulière- ment difficile de déterminer, non pas d'une manière certaine, mais simplement d'une fa- çon probable, comment la découverte de cette belle et pré- cieuse matière vint enrichir le patrimoine de l'Humanité. Soit qu'on en attribue l'invention à Tubalcaïn, comme le fait Haudicquer de Blancourt dans son précieux livre en s'appuyant sur ce fait, assez contestable du reste, qu'étant le premier « chimiste qui ait trouvé le moyen de fondre les métaux », il n'a pu éviter de réduire quelques minerais à l'état de verre, — soit qu'avec quelques savants on fasse découler la connaissance de cette matière, de l'action des 1. Voir CÉRAMIQUE, t. I""" et II, chap. i"". 2. De l'Art de la Verreriej Paris, chez Jean Jomhert, 1697,'p. 12. 4 LA VERRERIE feux souteri'ains, dont les mystérieuses opérations enfantent des vitrifications plus ou moins parfaites, et subséquem- ment des essais réitérés auxquels on ne manqua pas de se livrer pour produire, au moyen du feu, des masses trans- parentes identiques —soit qu'on pense, avec Batissier^, que « l'art de la vitrification a pris naissance en même temps que l'on a su cuire four les bifiques et les poteries », — au soit, enfin, qu'on admette, avec les historiens, que des mar- chauds de nitre, longeant les rives d'un fleuve phénicien, le Bélus, aient employé quelques pains de leur marchan- dise pour caler leurs marmites et que, sous l'action du feu, ce nitre, s'alliant avec le sable de la rive, se soit trans- formé en une lave ti'ansparente, promptement rendue solide par le contact de l'air®, — soit enfin qu'on donne la préfé- rence à tout autre l'écit plus ou moins sujet à caution, encore est-il bien malaisé, sinon impossible, d'établir par quelle suite de merveilleuses expériences les générations succès- 1. Bastenaire-Daudenart, VArt delà vitrification" discours préli- minaire, vu. 2. Histoire du verre et des vitraux peints, publiée dans le Cabinet de I ramateur, t. Il, p. 52. 3. Cette explication, dont Pline l'Ancien s'est fait l'éditeur dans son Histoire naturelle (lib. XXXVl), et qui trouva crédit auprès de Strabon, fut reprise par l'auteur des Merveilles de nature, avee cette variante ce n'est plus sur les rives du Bélus, mais au pied du que mont Carmel qu'aurait eu lieu cette première fabrication accidentelle du verre. « Le limon du lac Cendevia, au pied du mont Carmel, fut le premier qui servit au verre ; car les mariniers descendus à la plage, ne trouvant de quoy faire un trippié à leur marmite, prindrent du Nilre dont estoit chargée leur nau avee du sable de la plage, et en faisant feu sous la marmite virent couler à gros brandon une noble liqueur, comme cristal glissant, ou pierreries fondîtes, ou argent liquéfié, d'où ils apprindrent à faire le Verre de sable et nitre mesléz ensemble. » [Essay des merveilles de nature, chap, xliii .) Nous croyons inutile d'insister sur le peu de confiance que méritent ces récits di- détails essen- vers dans leurs prémisses, mais conformes dans leurs tiels et dans leurs conclusions. La vitrification d'une masse composée de sable et de nitre réclame une température de 1,000° au moins, et il n'est guère admissible qu'un feu de soupe, allumé en plein air, ait pu dégager une pareille chaleur. LA VERRERIE 5 sives sont parvenues à transformer ces vitrifications, in- formes au début, en vases, en bouteilles, en lames transpa- rentes, et en tant d'autres objets qui devaient, par la suite, rendre à la civilisation un si grand nombre de services et de si précieux. Il est peu de produits de l'industrie humaine, en effet, qui aient davantage émerveillé nos ancêtres, et avec plus de raison. Cardan, qui, cependant, n'est pas très facile à émouvoir, traite le verre de « grande merveille et œuvre d'artifice tel que sont les pierres précieuses naturelles '■ ». Le prédicateur René se demande avec admiration : « Qui est allé cacher dans le sein du sable et du gravier cette liqueur si esclatante, et ce beau thrésor de glace qui faict que dans l'eau gelée on boit le vin qui rit en se voyant en- fermé dans le sein miraculeux de son ennemie mortelle ® ?... » L'habitude, le constant usage, émoussent notre curiosité et nous font regarder comme des choses simples et natu- relies la plupart des découvertes que nous avons héritées. Une coupable indifférence nous empêche d'admirer le ré- sultat de longs et patients efforts, poursuivis pendant des siècles. En outre, les merveilleuses inventions qui seront la gloire du xix® siècle, la télégraphie, la téléphonie, ainsi que les diverses applications de la vapeur et de l'électri- cité, nous rendent insensibles aux dons des âges antérieurs. Mais, comme le remarque avec tant de sens et de raison iNI. Augustin Cochin®, « puisque l'homme était contraint par les rigueurs de la nature de s'enfermer dans des mai- sons de pierre et de bois, quelle invention que celle d'une vitre mince, résistante et claire, qui laisse passer le jour en arrêtant le froid ou la chaleur, et semble ne nous garantir 1. Les Livres de Uierosme Cardanus, médecin milannois, intitulés de la Subtilité et des subtiles inventions, traduits du latin en français par Richard Le Blanc (Paris, 1556), p. 150^. 2. Essay des merveilles de nature et des plus nobles artifices, par René François, prédicateur du Roy (Rouen, 1622), ch. xliii, p. 374. 3. La Manufacture des glaces de Saint-Gobain, p. 11. 6 LA VERRERIE de l'aii^ que par une portion de cet air lui-même condensé et devenu solide ? Et puisque l'homme était organisé de manière à tout voir sans se voir lui-même, quel présent que cette feuille de verre sur une feuille de métal, qui ne fixe pas seulement, comme la plaque du photographe, l'image humaine immobile et grisâtre, mais la lui rend aussi bien que celle de la nature, avec la couleur, le mouvement, la changeante expression, l'ombre, la lumière, la perspective, aussi souvent qu'elle se présente ! » Mais ce n'est pas uniquement sous forme de vitre ou de miroir que le verre rend à l'humanité d'inappréciables ser- vices, en pai'ticipant à la décoration architecturale des pa- lais, et en permettant à la plus humble mansarde d'avoir son rayon de soleil et son éclat de gaieté. Cette joie qu'il laisse filtrer dans la plus modeste demeure, se répercute jusque sur nos tables. Transformé en vases de toutes dimensions et de tout aspect, le verre y occupe une place d'honneur, et si bien justifiée, que son nom est devenu depuis des siècles synonyme du vase où l'on boit. Et ce n'est point tout. A cette merveilleuse transpa- rence qui nous laisse contempler les reflets ambrés ou ru- tilants de nos chers vins de France, à cette propreté, à cette imperméabilité qui permettent de l'employer pour contenir et conserver tous nos aliments solides ou liquides, s'ajoute la propifiété de venir en aide à presque toutes les sciences qui, sans lui, n'auraient pu accomplir les admi- rabies progrès que nous constatons. L'Astronomie, la Physique, l'Optique, la Navigation, en un mot la plupart des connaissances abstraites et fécondes, grâce auxquelles nous avons pu décupler le champ de nos obsei^vations et pénétrer les mystérieux secrets que la Na- ture .dérobait à nos sens, sont redevables au verre d'une partie de leurs moyens d'action. C'est lui qui a fourni à Jansen le microscope, à Newton le prisme, à Herschell le télescope, à Lavoisier l'éprouvette. C'est lui qui a permis LA VERRERIE 7 de construii'e les premiers baromètres, les thermomètres et les machines pneumatiques, sans lesquels la physique n'aurait pu résoudre tant de problèmes surprenants. Sans lui il eût été impossible de i^ecueillir et de conserver ces gaz impalpables et le plus souvent invisibles, ces acides corro- dants et auxquels seuls il sait résister. Enfin il a même accompli des miracles, rendant l'usage de leurs yeux à ceux qui avaient presque cessé de voir. Aussi la littérature et la poésie ont-elles prodigué à cette matière merveilleuse leurs constants hommages, et lui ont assigné, dans le langage des métaphores, une place tout exceptionnelle, que les grains de sable, les flots de la mer ou les étoiles du ciel peuvent seuls lui disputer. Depuis Salomon jusqu'à Corneille et Bossuet, en passant par saint Jean et par saint Paul, parle Dante et par Clément Marot, le verre a donné naissance à toute une série d'apophtegmes devenus classiques. Il n'est pas jusqu'au plus fâcheux de ses défauts qui n'ait fourni au poète de brillantes images. C'est Publius Syrus qui, le premier, écrivit : Fortuna vitrea est^ turn cum splendet frangítur • ce que Godeau, et après lui Corneille, parlant eux aussi de la Fortune, ont traduit par ce distique si connu : Et comme elle a l'éclat du verre, Elle en a la fragilité. Nous aurons occasion, dans la seconde partie de ce manuel, de reparler des origines obscures de cette pré- cieuse substance. Pour le moment, l'important est moins de rechercher d'où nous vient la découverte du verre, que d'expliquer la manière dont il est fabriqué. f-e—egaes»-) LA VERRERIE SOUS L ANCIEN REGIME. LES GENTILSHOM- MES VERRIERS. LEURS DEVOIRS ET LEURS PRIVILÈGES Si les origines de l'art qui nous occupe sont restées mystérieuses, son existence et ses procédés de fabrication, jDcndant tout le Moyen Age et jusqu'à une époque relative- ment voisine de nous, semblent avoir été considérés par les gouvernements comme une sorte de secret d'Etat, dont la divulgation était regardée comme un malheur public. De II là un luxe incroyable de précautions pour empêcher qu'au- cun des aflîdés, en possession du fameux mystère, l'allât porter au dehors, et tout un arsenal de peines d'une rare sévérité, pour frapper le dépositaii^e fugitif ou infidèle. Quelques exemples vont montrer le caractère inexorable de cette législation draconienne. De toutes les nations modernes qui pratiquèrent l'art de la verrerie, aucune n'acquit une réputation plus considé- rabie, plus universelle et surtout plus durable, que la Répu- blique de Venise. Formée par l'exode de quelques pécheurs du littoral fuyant devant l'invasion, les premiers habitants de ces îlots incertains et mouvants, obligés d'emprunter au dehors tout ce qui était indispensable à leur subsis- tance, devinrent marins pour pouvoir vivre, commerçants parce qu'ils étaient marins, manufacturiers pour alimenter leur commerce; et pour protéger contre la concurrence ces manufactures indispensables à leur grandeur, ils n'hésité- rent pas à édicter toute une suite de lois et de règlements impitoyables. Contraints de tirer leurs sables de Dalmatie, leurs bois des forêts de l'Albanie et de la Carinlhie, leurs ouvriers de Turquie ou de Grèce, en un mot prenant tout au dehors. LA VERRERIE 9 les Vénitiens prétendaient ne rien rendre de ce qu'ils avaient empi'unté. Dès 1285, iin arrêt du Grand Conseil prohibait la sortie des matières premières importées sur le sol de la République. Dix ans plus tard, cet arrêt était complété par une disposition nouvelle interdisant aux ou- vriers de quitter la ville, sous peine de l'amende, du ban- nissement, de la mort. « Si quelque ouvrier ou artiste se transporte au dehors, dit l'article XXVI des statuts de VInquisition d'État, il lui sera envoyé l'ordre de revenir. S'il n'obéit pas, on se saisira des personnes qui lui touchent de près... Si, malgré l'emprisonnement de ses parents, il s'obstine à vouloir demeurer à l'étranger, on chargera quelque émissaire de le faire mourir h » Des notes de dé- penses retrouvées dans les papiers des inquisiteurs, mon- trent que ces menaces n'étaient pas vaines ^. Bien mieux, dès l'année 1291 toute l'industrie verrière s'était vue relé- guée, par une loi spéciale, dans l'île de Murano. Le pré- texte de cette relégation était la crainte des incendies et la salubrité de la ville; le motif réel, une facilité plus grande pour exercer sur les ouvriers une surveillance de tous les instants, et mieux assurer la conservation des secrets, dont la divulgation était officiellement qualifiée de « scandaleuse et damnable ». Hâtons-nous d'ajouter qu'en France, à certaines épo- ques, les agissements de l'autoiùté ne furent guère moins 1. Daru, Histoire de la république de Venise^ p. 90. 2. On a relevé dans les papiers des inquisiteurs d'Etat une pièce datée de 1754 et ainsi conçue : « Pris la résolution d'enlever du inonde idi togiiere dal mundo) Pietro de Vetor, fugitif, qui est à Vienne, et Antonio Vistosi, qui est à Florence. En conséquence, ordre est donné à Messer-Grande de trouver deux hommes propres à ce des- sein {atie a taie effetto), et on lui a remis deux doses de poison. — 7 du même mois : étant trouvés par Messer les deux hommes dont il s'agit, à celui qui doit aller à Florence furent donnés pour son voyage, son séjour et son retour 80 sequins, à celui qui doit aller à Vienne 50. On a promis à l'un et à l'autre 100 sequins une fois la chose faite [air opera fatta), et à chacun fut donnée la chose propre à enlever du monde lesdits hommes. » 10 LA VERRERIE tyranniques. A peine Colbert eut-il fondé, avec le con- cours d'ouvriers vénitiens, débauchés au péril de leur vie, sa fameuse Compagnie royale des glaces, que, pour retenir ces nouveaux collaborateurs, il employa les mêmes moyens. Effrayés par les menaces des inquisiteurs d'Etat et par les conséquences terribles qu'elles pouvaient avoir, ces mal- heureux, désertent, reprennent le chemin de Venise. Mais ils sont rejoints à Lyon, arrêtés, enfermés au fort de Pierre-Scize (octobre 1665), et un arrêt leur renouvelle la défense de quitter la Manufacture sans un congé écrit et demandé deux ans avant l'époque où l'ouvider prétend sor- tir. Cet arrêt interdit, en outre, aux maîtres verriers de recevoir les fugitifs, et ordonne, si on les a reçus, de les restituer, sous peine de 2,000 livres d'amende. En 1713, un sieur de La Pommeraye détourne de Saint- Gobain un ouvrier habile nommé Claude Saaz, l'associe au sieur Mathieu de Vauchaux, propriétaire de la verrerie de la Boue, en Nivernais, et fonde avec eux une fabrique. La Compagnie a connaissance du fait, le dénonce; La Pomme- raye, sa femme et Mathieu de Vauchaux, sont arrêtés et enfermés à la Bastille. Saaz est conduit au fort l'Evêque. On leur intente un procès. En 1716, c'est-à-dire après trois années de détention, un arrêt intervient qui condamne La Pommeraye à 3,000 livres de dommages-intérêts et 300 li- vres d'amende, de Vauchaux à 100 livres, et Claude Saaz à 1,000 livres de dommages-intérêts et 1,000 livres d'amende. Ajoutons que ce même La Pommeraye, vingt années plus , tôt, étant directeur de Saint-Gobain, demandait que ses ouvriers fugitifs fussent condamnés aux galères. En 1775, plusieurs ouvriers de Toui'-la-Ville ayant été débauchés par la verrerie de Fère-en-Tardenois, ces ou- vriers sont signalés par le slejur Deslandes à l'intendant Pelletier, qui, malgré le désaveu de Turgot, prend sur lui de faire enlever les déserteurs, et les fait enfermer dans les pri- sons de Soissons, où ils demeurent pendant plus d'une année. LA VERRERIE 11 En 1781, le comte de Vergennes, apprenant qu'un gen- tilhomme verrier, Le Vaillant de Piémont, a formé le projet de passer à l'étranger et a déterminé plusieurs autres gentilshommes à le suivre, le fait arrêter à Arras, et fait incarcérer avec lui Le Vaillant de Beauchay, son frère, Brossard de Saint-Germain et Louis Cossa. Plus tard, le principal coupable est transféré à Eu, et ensuite écroué au Mont-Saint-Michel '. Enfin, à la veille de la Révolution, le 22 avril 1785, sur le rapport de M. de Galonné, le Conseil d'Etat faisait « très expresses inhibitions et défenses à tous ouvriers, servi- teurs, domestiques et autres employés dans les établisse- ments de Saint-Gobain en Picardie, de Tour-la-Ville en Normandie, et dans le faubourg Saint-Antoine de la ville de Paris, sous peine d'amende, même de punition corpo- relie, de quitter leur sei'vice, sans congé écrit des intéres- sés... lequel congé ils seront tenus de demander deux ans avant leur sortie; leur fait défense Sa Majesté de s'éloigner de plus d'une lieue desdits établissements sans la permis- sion de leurs commettants; à tous maîtres de verreries et autres de les recevoir à leur service, et dans le cas où ils les y eussent reçus, ordonne qu'ils seront tenus de les rendre à première réquisition, à peine de 3,000 livres d'amende et de tous despens, dommages et intérêts, même d'être pro- cédé extraordinairement tant contre ceux qui auront quitté lesdites manufactures que contre ceux qui les auroient su bornés ou embauchés^... » Ne croirait-on pas relire un passage de la loi américaine relative aux esclaves fugitifs? Eh bien ! ce n'est pas tout. Pour préserver ces trop fa- meux secrets de toute divulgation, pour retenir les ouvriers à leur poste, pour empêcher les condamnables désertions, 1. Le Vaillant de La FieiFe, les Verreries de la Normandie, les Gen- tilshomincs et Artistes verriers normands, p. 476. 2. La Manufacture des glaces de Saint-Gobain, pai' Augustin Go- oliin ; pièces justificatives, p. 145 et suiv. 12 LA VERRERIE on ne s'était pas borné à forger tout un arsenal de lois redoutables et de règlements coercitifs; — on avait en- core gratifié ceux qui pratiquaient ce rude métier de père en fils, de piûvilèges exceptionnels et singulièrement en- viables. Le plus important de ces privilèges était de pouvoir, étant noble, exercer la profession de verrier sans déroger. « Les ouvriers qui travaillent à ce bel et noble Art, écrit Haudicquer de BlancourtL sont tous Gentilshommes, et ils n'en reçoivent aucuns, qu'ils ne connoissent pour tels. Ils ont obtenu de grands et beaux Privilèges au sujet de cet Art, mais le principal est celui de faire travailler et tra- vailler eux-mêmes sans déroger à leur Noblesse. » C'est ce privilège qui faisait dire avec raison à M. Guilmeth^ : « 11 n'existe vraisemblablement pas en France d'illustration commerciale plus ancienne que celle des gentilshommes verriers. » 11 ne faut pas croire, toutefois, comme on l'a dit et répété, « que les verriers étaient nobles en vertu de leur art ». La vérité est que l'exercice de cette industrie ne fai- sait pas déroger à la noblesse de race bien et dûment jus- tifiée®. Ainsi, les familles normandes qui pratiquèrent la verrerie « étaient nobles avant que d'être attachées à cette profession^ », et le privilège qu'elles exploitaient, s'il n'a- vait pas la puissance de transformer les roturiers en gen- tilshommes, présentait, par contre, l'avantage de centra- liser et de monopoliser entre les mains d'un très petit 1. L'Art de la verrerie ,• 1697, p. 41 et suiv. 2. Histoire de l'arrondissement de Neufchâtel. 3. « C'est donc un préjugé et une erreur de croire, comme on l'en- tend encore répéter quelquefois, que, jusqu'à la Révolution de 1789, la concession d'un privilège de verrerie avait pour conséquence d'à- noblir celui qui l'avait obtenu... Avant la fin du xvi° siècle, l'anoblis- sement professionnel n'était plus reconnu par les parlements. » [Nou- velle Etude sur la verrerie de Rouen, par A. de Girancourt, p. 48.) 4. Dietionnaire analytique de la coutume de Normandie, t. Ill, p. 351. LA VERRERIE 13 nombre de familles, rexploitation d'un métier particulière- ment rémunérateur^. Indépendamment des avantages pécuniaires que le ver- rier trouvait dans l'exercice de sa profession, sa parenté plus ou moins éloignée avec le directeur de la verrerie et son titre de gentilhomme lui procuraient certaines autres douceurs. D'abord il était nourri et logé. Il avait ensuite le cidre à discrétion, et la quantité qu'il en absorbait dans son rude travail ne constituait pas une mince dépense. Toutes les heures, les petits tiseurs qui servaient les verriers criaient : « A boire pour ces Messieurs. » A souper, le gentilhomme verrier s'asseyait à la table du patron, qui le ti'aitait plutôt en collaborateur qu'en subalteime. Pour ces soupers comme pour ses promenades du dimanche, notre gentilhomme re- vêtait un costume indiquant sa qualité; il portait le chapeau brodé ou galonné d'or, ceignait l'épée et faisait ses visites à cheval. Son directeur, qui était tenu de le blanchir, devait aussi nourrir son cheval et son chien, qui étaient soignés par les domestiques de la maison. Enfin, il partageait presque toujoùrs avec le chef de l'exploitation le privi- lège de pouvoir chasser dans les forêts qui entouraient la vexmerie. Etant données les mœurs du temps, c'étaient là des pré- rogatives rares et singulièrement recherchées. Nous avons 1. M. Le Vaillant de La Fieffe, descendant d'une des quatre familles privilégiées qui exploitèrent la verrerie en Normandie, a retrouvé le Journal d'un gentilhomme verrier, Le Vaillant de Charny. Ce Jour- nal à tra- nous apprend que lorsque le sieur de Charny.commença vailler, à l'âge de dix-sept ans et demi, il gagna de suite 40 sols par jour comme « cueilleur » ; qu'à dix-huit ans et quatre mois, étant devenu « bossier », son salaire s'éleva à 50 sols; qu'en 1748 (il avait par conséquent vingt-trois ans) il fut taxé à 3 livres 10 sols, à 4 livres en 1750, et à 4 livres 10 sols en 1751 ; enfin qu'à trente ans, étant devenu ouvrier, il toucha 6 livres par jour, plus 200 livres par an pour son vin, sans compter les autres avantages et prérogatives. Ramenées au pouvoir actuel de l'argent, ces diverses rétributions devraient être au moins quintuplées. 14 LA VERRERIE VU qu'elles ne suffisaient pas toujours à fixer les verriers ou à les retenir, et que parfois, pour prévenir leur désertion, on était obligé d'employer des moyens d'un autre ordre. Il semble donc qu'on sei^ait en droit de conclure de ces avantages, aussi bien que des moyens coercitifs énoncés plus haut, que l'art de la verrerie constituait un de ces secrets inestimables, que l'on devait craindre, atout instant, de voir s'oublier et se perdre. Il n'en était rien. Dès l'Antiquité, Pline avait pris soin de révéler — et d'une façon suffisamment précise pour gui- der les curieux dans leurs recherches — la nature du verre et les principaux procédés employés pour sa fabrication. Grâce à lui, nous savons que de son temps on connaissait l'art de colorer le verre, de le souffler, de le travailler au tour et de le graverb Au xi® siècle suivant les uns, suivant d'autres au xii® siècle, un religieux, le moine Théophile, dans un livre extrêmement remarquable^, décrit cette même fabrication avec une netteté et une abondance de détails donnant à penser que, lui-même, il avait, comme on dit vulgairement, « mis la main à la pâte ». Vers la même épo- que, un poète, Eraclius, célèbre les procédés de peinture et de doimre sur verre, employés par les Grecs et les Ro- mains pour décorer leurs vases de prix ^ ; au xvi® siècle Georges Agrícola'", au xvii® et au xviii® l'Italien Néri®, — commenté par l'Anglais Merret®, complété et traduit en allemand par HunckeP et en français par d'Holbach®; — 1. Ilist. nat., lib. XXXVI, c. xxv. 2. Theophili presbyteri et monachi libri III, seu diuersarum artiam schedula, publiés par le comte Charles de L'Escalopier ; Paris, 1843. 3. De Coloribus et artibus Ronianorum, publié par Raspe dans son Critical Essay on oil painting. 4. De Re nietallicâ j Bâle, 1546. 5. IJ Arte vitraria distinta in libri selle j Florence, 1612. 6. Londres, 1662. 7. Ars vitraria experimentalis oder Volkominene Glasniacher Kunst Francfort et Leipzig, 1679. 8. Art de la verrerie de Néri, Merret et Ilunchel: Paris, 1752. LA VERRERIE 15 ^ Ilaudicquer de Blancourt et surtout Le Vieil ^ avaient achevé de faire la lumière sur cet art si cuineux. Ajoutons qu'à défaut même de ces ouvrages si détaillés, et précieux à tant de titres, le grand nombre de verreries ({ui ont couvert notre pays, aurait pu enlever toute crainte le secret de ce bel art vînt à se perdre. On a donc que quelque mal à comprendre ce luxe de précautions diverses, et l'on ne peut guère l'expliquer que par un état d'âme spécial, et dont les raisons nous échappent. C'est en nous aidant des nombreuses publications que d'énumérer et de quelques autres nous venons plus ré- centes, mais d'un intérêt non moins grand, auxquelles les noms d'Alexandre Lenoir^, de Bastenaire-Daudenartde Brongniart de Batissier®, de Ferdinand de Lasteyrie", d'Augustin Cochin®, de Deville®, de Boudet^", de Gers- pach^L de Girancourt^®, etc., restent attachés, et en con- trôlant ces divers ouvrages par nos informations person- nelles, que nous allons essayer de décrire aussi clairement et aussi rapidement qu'il nous sera possible, la fabrication du verre et ses principales applications. 1. De l'art de la verrerie-, Paris, 1697. 2. L'Art de la peinture sur verre et de la vitrerie ^ Paris, 1774. 3. Traité de la peinture sur verre ,• Paris, s. d. 4. L'Art de la vitrification ^ Paris, 1825. 5. Mémoire sur la peinture sur verre j Paris, 1829. Histoire du et des vitraux peints ; Paris, 1843. 6. verre Histoire de la peinture sur verre ^ Paris, 1837. 7. 8. La Manufacture des glaces de Saint-Gobain. 1873. 9. Histoire de l'art de la verrerie dans l'antiquité^ y&vïs, Notice historique sur l'art de la verrerie né en 10. Egypte. 11. L'Art de la verreriej Paris, 1880. 1886. 12. Nouvelle Étude sur la verrerie de Rouen Rouen, Ill BES DIFFÉRENTES SOUTES DE VERRE ET DE LEUR COMPOSITION Dans son état de perfection, c'est-à-dire de pureté abso- lue, le verre est un corps transparent, incolore, insipide, d'une dureté exceptionnelle, susceptible d'un beau poli et d'une sonorité brillante et suffisamment agréable pour que l'on en ait fait des instruments de musique^. Son poids spécifique varie de 230 à 400, suivant la nature et la pro- portion des matières qui entrent dans sa composition. Peu de corps, par conséquent, offrent une densité moins fixe. Ses principales propriétés consistent à laisser passer com- plètement la lumière, à retenir en partie la cbaleur, à trans- mettre par réfraction les rayons lumineux, et à les réfiéchir très exactement lorsqu'une de ses surfaces est recouverte d'une lame métallique opaque et brillante. L'air ni les liqui- des n'exercent sur lui aucune action ; son imperméabilité le rend particulièrement propre à renfermer ces derniers, et permet qu'on l'emploie à recueillir et à conserver les gaz. Il résiste, en outre, à tous les acides, à l'exception de l'acide fluorhydrique. Légèrement frotté, il développe de l'électricité positive et attire à lui les corps légers. On voit que le verre se recommande par des qualités à la fois rares et nombreuses. Son principal défaut réside, nous l'avons dit, dans une 1. Les plus connus de ces instruments sont les harmonicas. On attribue généralement leur invention à Franklin (1760). Le passage suivant du livre De Suhtilitate de J. Cardan (1550) prouvé que des ins- truments de ce genre existaient déjà aux premières années du xvi" siè- de. « Du vitre, écrit notre auteur, sont faicts des instrumens de mu- sique d'un son fort doux, et qui monstrent par leur beauté la pompe superbe du royaume humain. » LA VERRERIE M extrême fragilité, depuis longtemps proverbiale. Un choc un peu violent suffit à le réduire en une quantité de frag- ments, dont la cassure très nette présente des angles extrêmement coupants. Encore n'est-il cassant qu'à froid. Porté au rouge, il devient non seulement malléable, mais d'une ductilité extraordinaire. Il suffit d'un souffle pour modifier sa forme et pour étendre sa surface. On peut, de plus, le tirer en fils d'une telle ténuité qu'on en peut, faire des aigrettes et même des tissus. La théorie de la fabrication du verre est, comme tous les secrets de la Nature, à la fois extrêmement simple et mer- veilleuse. Les matières qui servent à cette fabrication se rencontrent partout. La silice, élément principal de sa com- position, entre, presque en tous lieux, dans la constitution du sol. Le grès, le cristal de roche, les cailloux, le sable, sont de la silice. La chaux, qui joue également un rôle im- portant dans la composition du verre, est plus répandue encore. On la retrouve jusque dans nos os, et les substan- ces calcaires forment peut-être la moitié de l'enveloppe supérieure de la terre. La soude, enfin, qu'on a longtemps tirée de la combustion de certaines plantes marines, est, elle aussi, fort abondante, et s'obtient aujourd'hui par des moyens artificiels d'une grande simplicité. La potasse, c[ui peut tenir lieu de soude, n'est pas moins commune. On la rencontre dans toutes les cendres. Or, il suffit de faire fou- dre de la silice mélangée de potasse ou de soude, et de chaux pour obtenir le verre à vitres ou à glaces. S'il se trouve dans le mélange de l'oxyde de fer, on a du verre à bouteilles ; si l'oxyde de fer est remplacé par de l'oxyde de plomb, on a du cristal, et l'on peut produire de Vémail en substituant à l'oxyde de fer ou de plomb de l'oxyde d'étain. Telle est la théorie de la fabrication du verre, dans son admirable simplicité. Dans la pratique, toutefois, les opé- rations sont un peu plus compliquées. Tout d'abord les matières sur lesquelles on opère sont rarement pures. La 18 LA VERRERIE Nature ne les livre que mélangées ou combinées avec d'au- tres substances, et le traitement préalable qu'on est obligé de leur faire subir a pour but, non seulement de les débar- rasser des corps étrangers, mais encore d'obtenir ce ré- sultat au meilleur marché possible. Nous n'entrerons pas dans le détail de ces premières opérations, qui relèvent sur- tout de la chimie. Nous nous bornerons à résumer dans le tableau ci-contre, en regard des principales sortes de verres qui sont d'un usage courant, le dosage approximatif des matières qui forment leur composition^. VERRE VERRE 1. Les VERRE formules VERRE qui suivent résultent des analyses de M. Dumas. Il existe quantité d'autres formulÉesL FLINT- tiÉpeMu pErèsNsTemSblables , four- nies par d'autres chimistes à à éminents, à notamment par MM. Berthier, à CRISTAL Tassaert, Faraday, Peligot. On en trouvera le détail dans les livres GLASS. spéciaux, ' hjuteilles. vitres. glaces. gobeleterie Silice 53,55 69,65 73,85 69,40 56 » 42,50 Potasse 5,48 11,80 8,90 11,70 15,22 17,55 Soude » » )) » » )) )) » Chaux 29,22 13,31 5,60 9,20 2,60 0,50 Protoxyde de manganèse . .. » » » » » » » » » )) » » Alumine 6,01 1,82 3 » 9,60 )) )) 1,80 Oxyde de fer., , . 5,74 )) )) )) » » » » )) )) )) — de plomb. » » )) » )) » » )) 32,50 43,50 Pour que ces diverses matières arrivent à se combiner entre elles, et à constituer le verre, il faut qu'elles entrent en fusion. Lorsque cette fusion les a transformées en une LA VERRERIE 19 soi'te de lave transparente, le premier mélange (verre à bouteilles) forme un silicate de soude ou de potasse et de chauXj d'alumine et de fer ; Le second (verre à vitres), un silicate de potasse ou de soude et de chaux ; Le troisième (verre à glaces, connu aussi dans le com- merce sous le nom de verre de Bohême et de crown-glass), un silicate de potasse et de chaux ; Le quatrième (verre à gobeleterie), un silicate de potasse, de chaux et d'alumine ; Le cinquième (cristal ordinaire), un silicate de potasse et de plomb; Le sixième (flint-glass), un silicate de plomb plus riche en plomb que le précédent. Tous ces verres, sauf le premier, sont incolores ou lé- gèrement teintés de bleu verdâtre dans leur épaisseur. jMais on peut les teindre des couleurs les plus variées, soit en mélangeant dans leur masse, pendant qu'elle est en fu- sion, des silicates colorés ou des oxydes métalliques capa- bles de résister au feu de verrerie et qui s'incorporent avec elle^, soit en mêlant directement ces diverses matières, avant de les soumettre à l'action de la chaleur. Quant à la nuance si particulière du verre à bouteilles, qui, suivant sa composition, varie du vert foncé au marron, au roux et au noir, elle résulte de ce fait que, le prix de ces verres n'étant pas assez élevé pour qu'on puisse employer des alcalis à leur fabrication, on se sert de sables jaunes et ferrugineux, contenant, par conséquent, de l'oxyde de fer 1. La coloration blanche s'obtient à l'aide d'une petite quantité d'«- cide stannique ou à!arséniate de plomb • la bleue, avec Yoxyde de cohaii^ les pourpres, violets et carmins, avec le pourpre de Cassius, le pro- ioxyde de cuivre et le protoxyde de manganèse ; les rouges et les bruns, avec le sesquioxyde de fer j les verts, avec le deutoxyde de cui- vre et le sesquioxyde de chrome" les jaunes, avec Y oxyde d'urane et le chromate de plomb ,• les noirs et les gris, avec des oxydes de manganese, de cobalt et de fer, etc. 20 LA VERRERIE qui, avec les charries ou résidus du lessivage des soudes et des cendres, remplit le rôle de fondant. Voilà à quoi se réduit ce grand mystère qui a fait la répu- tation et la fortune de Venise, de la Bohême, de Baccarat et de Saint-Gobain. Ces verres délicats de Murano, ces glaces qui donnèrent leur nom à la grande galerie de Versailles, ces cristaux qu'on a taillés à l'instar des pierres les plus ])récieuses, sont obtenus par la combinaison, par la fusion des matières les plus vulgaires et les plus répandues dans la Nature. « Si vous vous regardez dans la glace, en vous chauffant les pieds, écrit M. Augustin Cochin, dites-vous qu'on peut fabriquer la glace qui décore votre cheminée à l'aide de cette cheminée : les pierres fournissent la silice, les cendres la potasse, le marbre la chaux, et le feu est le seul agent mystérieux nécessaire à la métamorphose. » Nous allons voir maintenant comment agit ce mystérieux collaborateur. Fig. G. — Armoiries de la corporaliori dos verriers parisiens. CONSTRUCTION DES FOURS S'il peut être considéré comme le grand collaborateur de l'homme dans la fabrication du verre, le feu, toutefois, ne fournit un concours vraiment efficace qu'à la condition d'être habilement conduit et gouverné avec une science par- ticulière. De là un soin tout spécial apporté dans la cons- truction des différents fours indispensables pour mener à bien les opérations successives par lesquelles passe la fa- IV brication du vexme. « On a vu, écritBastenaire-Daudenart*, des manufacturiers se donner toutes les peines possibles pour tâcher de tirer parti d'un fourneau mal construit; c'était en vain. Ils avaient beau faire du feu pendant des temps considérables, jamais ils ne pouvaient obtenir une vitrification complète; enfin, après bien des travaux et des peines de toute espèce, ils se trouvaient encore obligés d'abandonner le fourneau et de le reconstruire sur un nouveau plan. Aussi rien n'est plus urgent dans l'art de la veimerie que de bâtir les fours dans des proportions con- venables, afin d'éviter les désagréments de cette nature, qui, presque toujours, suffisent pour décourager un artiste, en lui faisant perdre ses capitaux. » Ajoutons que le problème dont Bastenaire-Daudenart, avec sa compétence et son expérience bien connues, si- guale l'importance, a, de tout temps, préoccupé les verriers. Dans le livre II de son précieux Essai des divers arts^, où il parle très longuement de la verreifie, le « prêtre et moine » Théophile, avant d'aborder toute autre question, commence par traiter de la construction du fourneau pour 1. L'Art de la vitrification, p. 52. 2. Diversarum artiuni schedula, p. 79. 22 LA VERRERIE faire le verre, de Constructione furni ad operandum vitriun. Et il ne se borne pas, dans ce premier chapitre, à fournir sur ce délicat sujet des notions générales. Il abonde en détails techniques sur les matéiûaux à employer, sur les dimensions que doit affecter la construction et sur les dis- positions intérieures les plus propres à obtenir le maximum de calorique avec la moindre dépense. Quatre siècles plus tard, le savant minéralogiste G. Agzdcola^ témoigne de préoccupations identiques, qu'on rencontre, au surplus, chez tous les auteurs anciens ou modernes qui ont traité de ce bel art de la veimerie. On comprendra que nous ne suivions pas à travers lés siècles les transformations et les progrès que l'expérience a réalisés ou qu'a dictés la science. Quelque intéressante qu'elle puisse paraître, une pareille étude sortirait du ca- dre étroit que nous nous sommes tracé. Nous nous bor- nerons à résumer d'une façon à la fois claire et succincte les diverses opérations auxquelles donne lieu la construe- tion d'un four ordinaire de fusion. La première chose à déterminer, quand on veut procé- der à une construction de ce genre, c'est la forme géné- raie du four. Dans le principe, on construisait ceux-ci carrés ou barlongs^, mais l'expérience a démontré qu'un tourbillon de flamme circule et séjourne plus longtemps dans une capacité circulaire que dans un espace rectangu- laire, où les angles tendent, pour ainsi dire, à l'absoi'ber. Cette remarque a fait adopter exclusivement les fourneaux d'une forme ronde, et l'on a pu constater qu'il résultait de cette adoption une sérieuse économie de combustible®. 1. Né en 1490, mort en 1566. — Voir son livre De Re metaUicâ. 2. Le moine Théophile assigne à son four parfait 15 pieds de long sur 10 pieds de large. 3. Les fours décrits par Agricola, ceux qu'on trouve en usage au commencement du xvn° siècle à Amsterdam, ainsi que « l'ancien fourneau à l'italienne », dont la représentation figure en tête de VArt de la verrerie de Néri, afTectent déjà la forme hémisphérique. LA VERRERIE 23 La seconde condition dont il faut se préoccuper est la grandeur du four. Celle-ci doit être proportionnée à l'im- ])ortance de la fabrication, mais sans dépasser, toutefois, certaines limites. Un grand fourneau, en effet, appelle la présence de vastes creusets qui, en raison même de leurs dimensions, contiennent une quantité considérable de ma- Fig. T, 8 et 9. — Modèles de fours d'après Meret (xvii» siècle). 24 LA VERRERIE tières vitrifiables. Or, au delà de certaines proportions, ces masses exigent, pour entrer en fusion, un degré très élevé de calorique, et le verrier ne parvient que très difficilement (surtout s'il s'agit de verres durs et alcalins) à obtenir une pâte suffisamment homogène pour produire du verre de bonne qualité. On a donc soin, suivant l'importance de la manufacture, de donner au four un diamètre variant de l'",30 à 2^,60. Cette dernière dimension, qui permet de pratiquer quatre ouvreaux sur chaque face et par conséquent de l'intérieur loger à du four huit creusets de 0™,65 de diamètre, a été jugée la plus favorable, parce que, grâce à elle, on jDeut obtenir, toutes proportions gardées, le plus de le calorique avec moins de combustible. Bastenaire-Daudenai't^ tend pré- même que la consommation d'un four de 2 mètres à 2™,25 est aussi considérable que celle d'un four de 2™,60. Un troisième point qui doit préoccuper également le verrier, concerne les matériaux à employer pour la cous- truction de son four; mais avant de traiter cette partie, il nous faut dire quelques mots de la disposition ordinaire- ment adoptée. Cette disposition, assez compliquée, com- porte plusieurs étages : en premier lieu, un étage souterrain bordé de murs épais de G™,75 à 0'",80 et faits de grès durs et réfractaires. Cette cave (c'est le nom qu'on lui donne s'étend sous le foyer ou tisarcl. Elle compte généralement 2'",50 à 3 mètres de haut. Elle est voûtée à sa partie supé- rieure,. en laissant, toutefois, dans le milieu du cintre, un espace libre occupé par les grilles. A ses extrémités, la muraille de la cave est percée d'où- vertures livrant passage à l'air chargé d'alimenter le foyer, faisant ainsi fonction de soufflet et permettant, en outre, au tiseur (chaque fois que la grille du foyer se trouve obs- truée) de la débarrasser des scories cj[ui la bouchent. 1. L'Art de la vitrification^ p. 54. 2. On l'appelle aussi cave d braise. LA VERRERIE 25 Au-dessus de la cave règne le foyer ou tisarcl. Celui-ci, en forme de couloir très allongé, plus étroit à ses extré- mités qu'à son centre, s'étend sous toute la longueur du foyer de fusion, jouant un peu dans la construction le rcMe de sous-sol. On l'établit, en effet, à 0™,40 ou 0'",45 en contre-bas, dans une direction parallèle à l'entrée de l'air dans la cave, afin que celui-ci, arrivant directement sous le foyer, active la combustion. On accède aux deux extrémités du tisarcl par deux talus ou chemins en pente aboutissant à des ouvertures par lesquelles le tiseur in- troduit le combustible, et la flamme, entraînée par le cou- l'ant d'air, s'en va sortir par un œil pratiqué au centre de la voûte qui couronne le tisard. C'est par là qu'elle pénè,tre dans le four de fusion. L'âtre du tisard est construit en grès très dur ou en bri- ques faites de très bonne argile, très réfractaire. Il en est de même de la voûte et des sièges qui garnissent l'aire du four proprement dit. Quant aux grilles ou cendriers, elles se composent de cinq ou six barres de fer forgé, mesurant de 0™,025 à 0™,030 de coté, placées transversalement, fixées dans la maçonnerie, — on les appelle à cause de cela barres de travers ou dormants, — et de barres mobiles disposées long. Quand on veut dégager la grille, c'est-à-dire faire en tomber les crayers^ qui s'attachent aux barreaux, on enlève ces dernières. Au-dessus du foyer, et à peu près au niveau de l'aire, se trouve le troisième étage, constituant le four proprement dit. Nous avons expliqué plus haut que son plan doit être circulaire ; sa forme est hémisphérique et rappelle celle d'une coupole. De chaque côté s'élèvent deux plates-formes 1. On donne le nom de crayer ou de mousse à des résidus de char- bon sorte de vitrifica- que la yiolence de la chaleur convertit en une tion forme de croûte. Cette croûte, s'attachant aux barreaux, fini- en rait, si on ne la faisait tomber, par obstruer la grille et, bouchant la prise d'air, empêcherait la combustion. 26 LA VERRERIE hautes d'environ 0"h65. Ces plates-formes, auxquelles on donne le nom de sièges, sont séparées par un entre-deux plus large à sa partie supérieure qu'à sa base, et au milieu duquel se trouve Vœil du foyer. C'est sur les sièges que sont déposés les pots ou creusets, et la flamme, pénétrant, comme nous l'avons dit, par Vœil du foyer, tourbillonne autour de ces derniers, et, avant de s'échapper avec la fumée par les ouvreaux et les liinet- tes, les enveloppe, lèche leurs parois et les amène à la tempéi'ature nécessaire pour maintenir les matières vitri- fiables en ébullition. Sous le nom de lunettes et àVouvreaux, on désigne des trous de dimensions variables, percés dans la calotte du four. Ces ouvertures ont une double utilité. Livrant une issue à la fumée et à la flamme, elles entretien- nent ainsi la combustion. En outre, les ouvreaux servent au verrier pour cueillir avec le bout de sa canne la matière en fusion dont il va se servir. On a donc soin de pratiquer ces dernières ouvertures de façon qu'elles coïncident avec la position occupée dans le four par les pots ou creusets, à 10 ou 15 centimètres au-dessus de ceux-ci. Ainsi, dans les verreries à bouteil- les, où les creusets mesurent ordinairement 0"b85 à G™,90 de haut, on perce les ouvreaux k 1 mètre ou l'",05 au-dessus des sièges. Quant à leur diamètre, il n'a rien de fixe. On le proportionne à la dimension des pièces qui sont de fabri- cation courante dans la verrerie. On en fait en outre de différentes tailles, de façon à permettre, suivant les besoins, d'exécuter de grands et de petits ouvrages. Toutefois, on les tient aussi étroits que possible, afin d'éviter le rayon- nement de la chaleur qui vient frapper la figure du verrier lorsqu'il cueille le verre au bout de sa canne. Dans le même but, on établit entre les divers ouvreaux de petits murs de séparation, qu'on prolonge par l'adjonction d'une feuille de tôle. Leur but est de garantir le souffleur, pendant son travail, de la chaleur et de l'éblouissement que ne man- LA VERRERIE 27 quentpas de lui causeries rayons obliques projetés par les ouvreaux voisins. Indépendamment des ouvreaux et des lunettes, le four est encore percé de portes par lesquelles on fait entrer et sor- tir les pots, et qui, au cours de l'ouvrage, sont hermétique- ment fermées, et même maçonnées, pour empêcher toute déperdition de calorique. Immédiatement au-dessus des ouvreaux commence la voûte du four, à laquelle on donne le nom de couronne. Cette voûte, dans un certain nombre de fours, se termine par une espèce de lanterneau appelé arche, oû s'emma- gasine une partie de la chaleur et où l'on met recuire les pièces achevées. Maintenant que nous voilà renseignés sur la structure du four de fusion, et sur la disposition de ses divers orga- nés, sans revenir sur la construction de sa cave, de son ti- sard, de ses sièges, dont nous avons déjà parlé, voyons un Fig. 10. — Four en usage à Amsterdam au xviii" siècle. 28 LA VERRERIE ' peu de quelle façon on s'y pi'end pour construire ses parois extérieures. Comme il importe que ce four présente la plus grande ré- sistance au feu, on a recours pour son édification à l'argile, et l'on choisit la terre la plus l'éfractaire que l'on puisse trouver, donnant la préférence aux argiles d'une couleur gris clair, couleur qui indique l'absence presque complète du ferC à celles surtout qui sont très lisses au toucher et deviennent brillantes lorsqu'on les frotte même légèrement. Les briques fabriquées dans la forme, l'épaisseur et les dimensions qui conviennent, avec cette terre mêlée de ci- ment dans certaines propox^tions, peuvent être employées de trois façons différentes, soit molles, soit séchées à l'air, soit cuites. On donne généralement la préférence aux bri- ques séchées à l'air, qu'on a soin de frotter les unes contre les autres pour les user, efpour rendre ainsi leur adhérence plus grande. On jointoyé ces briques à l'aide d'un coulis ou mortier obtenu avec la même tei're réduite en poudre très fine et délayée dans de l'eau. Lorsque les briques ont été bien frottées l'une contre l'autre, lorsque toutes leurs aspérités ont été usées, et qu'elles se joignent parfaitement, on verse le coulis entre elles, sur leurs grandes faces, et on les frappe avec le manche d'un marteau pour qu'étant extrêmement rappro- chées, le joint chargé de les relier soit aussi mince que possible. Une fois que la couronne a pris sa forme, on la revêt extérieurement d'une maçonnerie en briques communes; ensuite on applique à l'entour une couche de terre mélangée de sable de 0'",02 à 0™,03 d'épaisseur. C'est ce qu'on ap- pelle habiller le four. Enfin, pour consolider encore l'on- vrage, on maintient sa circonférence extérieure à l'aide de 1. Voir sur la composition des argiles notre volume sur la Cérami- que (fabrication, chap, ii.) LA VERRERIE 2D forts bandages en fer, et on affermit les fondations avec une armature de même métal. Le travail achevé, on abandonne le four à lui-même pen- dant quatre ou cinq mois, à moins qu'on ne soit pressé de s'en servir, auquel cas on a recours au séchage artificiel, opération rendue particulièrement délicate par ce fait que les murs mesurent de 0'",60 à 0™,75 d'épaisseur. Cette épaisseur est, en effet, indispensable pour retenir le calo- rique avec plus d'opiniâtreté, condition très importante, car le fourneau, conservant mieux sa chaleur, rend les manipulations plus faciles, en même temps qu'il absorbe une moindre quantité de combustible. Pour opérer le séchage artificiel, on commence par al- lumer un feu doux en dehors du four, à trois ou quatre mètres de distance et dans la direction des tisards. Puis on rapproche progressivement ce feu des foyers, par où on le fait entrer, peu à peu et avec beaucoup de prudence, dans l'intérieur. Cette première opération dure environ quinze jours. Quand on s'aperçoit, en touchant les parois extérieures, que celles-ci commencent à s'échauffer, alors on augmente le feu de façon que, pendant huit jours envi- ron, la flamme ne dépasse pas les sièges. ^Après ce temps on le pousse jusqu'à ce que la flamme sorte par les ou- vreaux, puis, graduellement, on fait monter la chaleur jus- qu'à sa plus haute intensité, c'est-à-dire jusqu'à douze mille degrés centigrades. Quand, après plusieurs jours de ce grand feu, on juge que la cuisson est parfaite, alors on laisse le four se refroidir. Cette suite d'opérations absorbe près de deux mois, et elle est si délicate, elle demande à être conduite avec tant de prudence pour éviter tous les accidents, que, une fois terminée, le plus fort de la beso- gne paraît accompli. Il semble que le reste doive venir tout seul. Le four de fusion dont nous venons d'expliquer la cons- truction est d'un modèle courant, ancien, classique en 30 LA VERRERIE quelque sorte. C'est celui encore en usage, avec quelques modifications ou quelques appropriations spéciales, dans les verreries à bouteilles et à vitres de médiocre impor- lance et chauffées au bois. Dans les verreries à houille, on substitue aux creusets ordinaires des pots couverts dont le col (appelé gueule en style technique) est pris dans une ma- çonnerie factice qui bouche en partie la baie des ouvreaiu:. De cette façon, la flamme ne pouvant plus sortir par ces ou- vertures, le travail de l'ouvrier devient beaucoup moins pé- nible. Comme la gueule du pot n'occupe qu'une partie de l'ouvreau, on ménage dans la maçonnerie factice qui garnit celui-ci un certain espace, où on loge des manchons en terre réfractaire nommés bocassins, qui servent à faire chauffer les cannes. Dans les verreries à glaces coulées, la construction et la disposition du four sont essentiellement différentes. La matière vitrifiable n'étant plus puisée au bout de la canne, il n'est pas besoin de pratiquer des ouvreaux dans l'en- veloppe extérieure. Les chambres de chauffe dans lesquel- les sont placés les creusets forment autant de compartí- ments isolés, et munis d'une porte qui livre passage au creuset quand on l'enlève afin d'opérer le coulage L Rappelons encore que le four premièrement déciût est un four à pivettes, c'est-à-dire chauffé au bois. Or, depuis plus de soixante années, les fours chauffés à la houille, inventés par Dartigues, ont été adoptés dans la plupart des verreries importantes. 11 en a été de même dans les fabri- ques de glaces. En 1829, on commença à Saint-Gobain à fondre à la houille ; mais on affinait au bois après tréjetage, c'est-à-dire après un transport rapide. En 1850, le tréjetage fut supprimé, et Louis Gay-Lussac substitua complète- ment la houille au bois. Aujourd'hui on ne se sert plus dans ce bel établissement que du four à gaz et ci chaleur 1. Voir chapitre XII. LA VERRERIE 31 régénérée, inventé par M. Siemens. Avec ce dernier sys- tèine, le combustible gazeux est produit en dehors du four. Il se charge de chaleur en traversant une chambre garnie de briques antérieurement chauffées, etil atteint sa plus haute température dans le four lui-même, où l'on amène l'air avec lequel il se combine et bxmle. Indépendamment des fours de fusion dont nous venons de parler, on a recours dans les verreries à d'autres fours pour fritter les matières vitrifîables, et pour recuire les pièces achevées. Mais ces derniers sont loin d'avoir la même importance et de nécessiter les mêmes complica- tions. Nous en parlerons dans notre prochain chapitre. DES POTS OU CREUSETS Si la construction des fours joue un rôle important, con- sidérable, dans la fabrication du verre, la bonne qualité des pots ou creusets n'offre pas moins d'intérêt. « Les creu- sets, ou mieux leur fabrication, écrivent avec raison MM. Ju- lia de Fontenelle et Malj)eyre^, sont une des bases fonda- mentales d'une verrerie. C'est, en effet, à leur bonté et à leur durée qu'est attachée en grande partie sa prospérité. » Il est donc indispensable que la terre dont ils sont faits soit V de la meilleure qualité possible^. Il faut, en outre, qu'ils soient travaillés avec infiniment de jjrécautions et de soins. Il existe plusieurs manières de fabriquer ces pots ou creusets. La plus ancienne consiste à les exécuter à la main, avec des colombins de terre qu'on applique l'un sur l'autre, dont on forme d'abord le fond et dont on monte ensuite progressivement la circonférence. Les pots ainsi façonnés, si nous en croyons M. Bastenaire-Daudenart®, sont parti- culièrement appréciables, parce que l'argile en est toujours 1. Nouveau Manuel complet du verrier^ t. 1°', p. 178. 2. Le choix de cette argile, qui préoccupe avec raison les verriers, a été de tout temps jugé si important, qu'en 1826 la Société d'encoura- gement pour l'industrie nationale proposa un prix pour la fabrication de créusets réfractaires. Le programme de ce concours renferme des détails intéressants sur les conditions que doivent remplir ces creu- sets. Nous nous bornerons à rappeler ici que, pour leur fabrication, on doit choisir des argiles où la silice et l'alumine ne prédominent pas, et qui contiennent aussi peu que possible de chaux et d'oxyde de fer. Règle générale, plus il faut d'alcali pour vitrifier une argile, et plus elle est réfractaire. Cbaptal désigne les argiles d'Abondant, de Forges-les-Eaux, de Tournai, de Saint-Yrieix, de Salavas (Ardècbe), etc., comme étant particulièrement propres à la fabrication des pots de verrerie. 3. L'Art de la vitrification^ p. 23. LA VERRERIE 33 plus compacte et plus serrée, et, comme conséquence, pré- sente très peu de pores et de petites parties d'air interpo- sées dans la masse, qualité très importante, qui les rend d'un usage meilleur et surtout plus dui'ables. Cette pratique est généralement adoptée dans les établis- sements considérables, et notamment dans les manufactu- res de glaces, où l'on emploie de très grands creusets. Mais Fig. 12. — Ouvriers montant un pot ou creuset, d'après VEncyclopédie. on n'a pas toujours à sa disposition dés ouvriers capables de monter à la main ces sortes de pots. Alors on a recours à des moules. On exécute un cylindre en bois dont la ca- pacité intérieure corresponde à la circonférence extérieure du creuset. On garnit l'intérieur de ce cylindre avec une toile mouillée, sur laquelle on applique des colombins d'ar- gile, que l'on joint ensemble, en les pétrissant et en les ap- puyant toujours fortement contre les parois du moule. Cela fait, on laisse reposer l'ouvrage pendant deux mois dans une pièce dite chambre à pots, dont la température, autant que possible, ne doit jamais descendre au-dessous de 10 à .3 34 LA VERRERIE 12 degrés, ni monter au-dessus de 15 à 18, condition es- sentielle et qui faisait dire à un écrivain du siècle dernier que « le printemps est la meilleure saison pour faire les pots de verrerie; car en hiver il faut les garantir de la ge- lée... et en été la trop grande chaleur est sujette à les faire fendre ou fêler^ ». Quand la terre a acquis une dureté suffisante pour qu'on puisse retourner le pot sans risquer de le déformer, on renverse le moule, on l'enlève, on ôte la toile, on répare à la main les manques et les traces de soudure des colombios, et l'on fait sortir les bulles d'air qui forment comme de pe- tites vessies à la surface du pot. Ensuite on enferme de nou- veau les creusets dans une chambre, dont la température doit être élevée de 30 à 35 degrés. On les conserve là jus- qu'au moment de les introduire dans les arches. D'autres procédés existent encore, mais sont moins usités. Nous citerons notamment la fabrication au tour et la fabri- cation à la presse. Dans la fabrication au tour, le moule est remplacé par une espèce de mandrin appelé noyau, en bois, qu'on a soin d'enduire d'une épaisse couche d'huile. Ce noyau est placé sur un rondeau de bois évidé en son cen- tre, qui lui-même est assis sur le tour. Ce dernier, mis en mouvement par une manivelle, marche avec une certaine lenteur, et l'ouvrier, prenant la terre à pleines mains, la projette avec force contre le noyau, en commençant toujours par le bas, c'est-à-dire par la partie qui, lorsque le pot sera retourné, formera le bord supérieur. Une fois le noyau entièrement recouvert, et dès que l'ar- gile a partout acquis l'épaisseur désirée, à l'aide d'un le- vieb, on enlève le rondeau et tout ce qu'il supporte, on le place sur une espèce d'échelle ou de civière à claire-voie, permettant à l'air dépasser entre ses barreaux; on le porte dans la chambre à pots, et on le laisse sécher pendant un 1. Encyclopédie, t. XVII, p. 105. LA VERRERIE 35 mois, au bout duquel on peut généralement ôter le creuset de dessus son noyau sans risquer de le déformer ou de le rompre. Enfin on fabrique encore des creusets ci la presse. C'est de tous les procédés le plus compliqué, mais il n'est pas certain que ce soit le meilleur. Pour former les pots par ce un en métal moyen, il faut d'abord établir noyau repré- sentant l'intérieur du creuset, ensuite une ehape, égale- ment en métal, figurant son périmètre extérieur, et en dernier lieu une machine à presser, suffisamment puissante pour faire pénétrer la terre dans l'espace demeuré libre entre le noyau et la chape, et pour lui donner une consistance telle que le creuset une fois formé puisse être enlevé et ren- versé sans danger sur une large bague. Nous n'entrerons pas dans le détail des divers appareils qui ont été imaginés pour obtenir ce résultat. Notre but, en effet, n'est pas d'enseigner à nos lecteurs à fabriquer des creusets, mais uniquement de les initier d'une façon géné- raie opérations préliminaires par lesquelles passe la aux fabrication du verre, parce que ces opérations exercent sur la bonne fabrication une influence considérable. Une fois le soin que les pots ont été façonnés avec tout désirable et conservés pendant un certain temps dans la chambre qui leur est spécialement destinée, et dont la tem- pérature, nous l'avons dit, doit être maintenue entre 30 et 35 degrés de chaleur, il s'agit d'achever de les rendre ])ropres à un service actif. Pour cela, on les transporte dans des fours particuliers ayant un foyer indépendant de celui du four de fusion, et auxquels on donne le nom d'ar- ches. On les dispose à une certaine distance les uns des autres, placés sur trois briques espacées de telle façon que la flamme puisse non seulement les envelopper, mais passer ])ar-dessous et bien caresser le fond, qui, étant la partie la dIus épaisse, se trouve généralement dans un état de des- ¡ siccation moins avancé que le reste. En outre, cette posi- 36 LA VERRERIE tion permet de les dégager plus facilement quand on veut les reprendre. Les pots étant mis à la place qu'ils doivent occuper, on commence à chauffer progressivement, non sans avoir eu le soin, toutefois, de maçonner la porte par où on les a fait entrer, en ne ménageant qu'un vide de0™,20 àO'",25 carré, destiné à laisser passer la fumée et à s'assurer de la façon dont les creusets se comportent. Mais comme, durant cette opération, que l'on nomme attrempage, il peut arriver qu'un ou plusieurs pots se fracturent, on a soin d'en enfouimer toujours un nombre supérieur aux besoins immédiats. Quand on juge que l'opération a assez duré, on ferme la bouche du foyer qui livrait passage aux jets de la flamme, et on laisse refroidir XarcJie, sans que la température des pots descende, cependant, au-dessous de celle qu'ils vont trouver dans le four de fusion. Puis on enlève les creusets avec des outils appropriés à cette opération et, pendant leur trajet pour les porter au four de fusion, on les frappe avec un outil de fer nommé corcleline, dans le but de s'assu- rer qu'ils ne sont pas fêlés. Les tintements dénoncent-ils une fêlure, il faut s'abstenir de faire usage du pot endom- magé. La perte qui, au cours du travail de la vitidfîcation, poui'rait résulter de son emploi serait, en effet, très supé- rieure à celle occasionnée par sa destruction immédiate. Ses débris, au sui'plus, ne sont pas perdus; ils seront uti- Usés. Pulvérisés avec soin, ils entrent dans les mélanges de terre qui servent à la confection des autres pots. Quelque temps avant d'enfourner les creusets, on a soin de laisser tomber la chaleur du four de fusion. Cela fait, on détruit la maçonnerie qui bouchait la porte, et pendant que certains ouvriers enlèvent ce qui reste des pots hors de service, d'autres mettent les nouveaux creusets à la place qu'ils doivent occuper à portée des ouvreaux. Puis, quand les pots sont bien affermis sur les sièges, on referme le four et l'on recommence à donner de la chaleur, d'abord avec 38 LA VERRERIE beaucoup de ménagement, puis en augmentant graduelle- ment, au point qu'après sept ou huit heures d'un feu con- tinu, les pots sont amenés à la plus grande incandescence. C'est alors qu'on les remplit de matières vitrifîables. Pour commencer, on ne leur confie que des cassons de verre ou du calcin, c'est-à-dire des débris de vitrification antérieure, réduits en poudre plus ou moins fine. De cette façon on enverre les creusets, et l'on empêche que leurs rois pa- ne soient attaquées par les sels alcalins et les oxydes métalliques employés comme fondants. Ces sels ou ces oxydes — sans cette précaution — ne manqueraient pas de dissoudre une certaine quantité d'argile, qui, mêlée à la masse du verre, troublerait sa transparence et atténuerait sa beauté. Ces diverses opérations comptent au nombre des plus pénibles qui soient dans le travail des verreries, à cause de l'intensité de la chaleur à laquelle les ouvriers sont Aussi exposés. s'efforce-t-on de les rendre aussi i^apides que ble, mais possi- sans qu'aucune négligence soit permise. C'est, en effet, de l'exacte observation des degrés de calorique que présentent les différents lieux où les pots sont placés suc- cessivement, que dépendent, en grande partie, leur réussite et leur long usage. Avant d'en terminer avec cette partie de notre sujet qui regarde plus spécialement la technique générale du verre, il nous faut dire un mot des différentes sortes de fours an- nexées au four de fusion, et qui servent soit à calciner les matières premières, soit à recuire le verre lorsqu'il est achevé. — Ces fours, généralement désignés sous le nom ^arches, reçoivent parfois leur chaleur par des lunettes ou- vrant sur le four principal. Suivant l'usage auquel on les destine, ils sont désignés sous les noms Marches cenclrières, arehes de cuisson, de recuisson, arches à refendre, etc. Les arches de cuisson et de recuisson étaient autrefois placées à la LA VERRERIE 39 partie supérieure du fourneau, tandis que les autres étaient toujours latérales. Ces dernières, dans les verreries presque à bouteillès et à vitres communes, servent aussi à l'opéra- tion du frittage^. Cette manipulation consiste à faire subir aux diverses matières qui sont employées dans la confection du verre, une calcination préparatoire, ou mieux à amener ces matières à un même point de calcination. L'importance du frittage se comprend aisément, surtout quand on utilise des substances de qualité grossière. Grâce à lui, les débris charbonneux qui se trouvent mélangés à la soude et qui ont échappé à l'incinération, se brûlent et se convertissent en cendres ; une partie des substances hétérogènes alliées aux matières vitrifiables, se trouvent volatilisées, et le mélange intime et parfait de ces matières commence à se produire. En outre, si l'on ne prenait cette précaution, et qu'on plaçât dans les pots — pour en opérer directement la fusion les matières mélangées, mais non frittées, l'alcali ne man- — querait pas de sç séparer du sable, se liquéfierait et monte- rait, étant plus léger, à la surface du pot, sans effectuer la dissolution de la silice. Il attaquerait les creusets, en cor- roderait la surface intérieure. Pour arriver à rétablir le mélange, il faudrait recourir à une opération qui s'appelle le brassage du verre, et qui consiste à remuer vigoureuse- ment le contenu des creusets et à faire revenir à la surface les matières tombées "au fond. Or, le brassage présente deux grands inconvénients : celui de former des défauts et des nœuds dans le verre, et celui de lui faire prendre des tein- tes plus ou moins foncées, par suite des parcelles de fer ou cuivre des outils avec lesquels on exécute de provenant cette manipulation. 1. Les arches à fritter ne peuvent être contigües au four de fusion et prendre leur chaleur par des lunettes que lorsque ce four est bois. Lorsque le combustible employé est de la chauffé bouille, au comme la fumée dont la flamme est accompagnée ne manquerait pas de produire un fâcheux effet, pour opérer un bon frittage on construit un fourneau particulier, alimenté avec du bois. 40 LA VERRERIE Mais si l'on est en droit d'attendre les meilleurs résultats d'un bon frittage, celui-ci ne laisse pas que de réclamer une attention toute spéciale. Il faut, en effet, empêcher les ma- tières qu'on expose au feu d'entrer en fusion, et pour cela on doit les retourner continuellement avec le ringard, dre pren- soin, en les retournant, que toutes leurs parties soient alternativement léchées par la flamme, et que la masse en- tière soit soumise également à l'action de la chaleur. Quant aux arches de recuisson et à refendre, comme les services c[u'elles sont appelées à rendre concernent unique- ment le verre ayant déjà revêtu sa forme définitive, leur description trouvera sa place au chapitre VIII, et nous allons de suite aborder les différentes manières de travailler cette intéressante matière. Fig. 14. — Aiguière en verre soufflé (xvn» siècle). LES VERRES A VITRES Si l'on a pu qualifier avec raison de merveilleuse, la dé- couverte de cette lave transparente qui, solidifiée, prend tant de formes et rend à l'homme civilisé de si nombreux et de si grands services, que dire de la façon dont cette lave est mise en œuvre ? Car tout tient du prestige et de la magie dans cette fabification. Ne manquez pas de solliciter la permission de pénétrer dans une verrerie ; le spectacle le plus surprenant vous y VI attend. Après avoir traversé de grandes cours encombrées des objets les plus divers, vous pénétrez dans un immense hangar occupé par une suite de fourneaux circulaires dont la botte crève la toiture (voir fig. 13). Les fours sont en pleine marche ; la flamme s'élève en tourbillons cares- sant les creusets, venant lécher les parois de la couronne, et ^SiV\es ouvreaux s'échappe un rayonnement éblouissant, dont le brûlant éclat se fait sentir à dix mètres de distance. Les ouvriers sont groupés autour de cette fournaise, qui semble devoir tout calciner, tout détruire, et qui va don- ner naissance aux objets les plus délicats et les plus fra- giles. Un jeune homme, souvent un enfant, qui porte, dans les verreries, le nom à la fois traditionnel et caractéris- tique de gamin, et dans les cristalleries celui de chauffeur de tube de canne, s'approche des ouvreaux muni d'un long fer creux. Dès cette canne est chaude, un autre ouvrier que plus âgé, nommé le grand garçon'^, cueille avec son extré- mité une petite quantité de la matière en fusion que ren- 1. Dans les verreries à bouteilles, cet ouvrier porte le nom de grand gamin. 42 LA VERRERIE ferment les creusets ; il la; tourne et la retourne sur une table de fonte^ polie que l'on appelle le marbre^. Il l'ar- rondit ainsi par un mouvement lent et circulaire, et, quand il lui a donné la forme convenable, la reporte à l'ouvreau. Cette opération préliminaire ne dure qu'un instant, car le verre, pour subir ces diverses transformations, doit conserver une malléabilité à laquelle le refroidissement met fin. Dès qu'elle est achevée, l'ouvrier par excellence, le souffleur, entre en scène. Il saisit à son tour la canne, approche l'extrémité libre de ses lèvres, et souffle d'abord légèrement, en laissant le poids du verre étirer la masse incandescente de façon à lui donner la forme d'une poire (voir fig. 15). Puis il balance sa canne et souffle de plus en plus fort, sans cesser d'imprimer au globe incandescent un mouvement de va-et-vient qui ressemble au balance- ment d'un pendule. Et sous l'action combinée de ce souffle et de ces oscillations, la poire s'enfle, grossit, s'allonge et revêt l'apparence d'un cylindre [ibid. 16 et 17). Alors l'on- vrier relève vivement l'extrémité de sa canne, lui imprimant au-dessus de sa tête un mouvement de rotation rapide, qui, par la vertu de la force centrifuge, allonge ce cylindre en même temps qu'il en régularise l'épaisseur [ibid. 18). Rien ne peut donner une idée, quand on ne l'a pas vue, de cette manœuvre à la fois étonnante de simplicité et d'une ingéniosité incomparable, où chaque mouvement de l'ouvrier est combiné pour produire son effet, et qui, mal- gré la ponctualité en quelque sorte mathématique de ses évolutions successives, ne manque ni de plasticité ni même d'une certaine grâce. Tout cela est encore l'affaire d'un instant. Mais, si ra- pide qu'ait été l'opération, elle a duré assez longtemps 1. Pour certaines fabrications, celle des bouteilles notamment, le marbre est en fer. 2. On appelle marbrer le verre, l'action dele rouler sur cette pla- que de fonte polie pour régulariser sa forme cylindrique. ' LA VERRERIE 43 pour que la masse soit refroidie. Pour lui rendre le degré de calorique indispensable, le souffleur la reporte à l'on- l'extré- vreau, la présente au feu de manière à en ramollir mité, puis, quand la température est redevenue suffisante, il perce ce fond avec une pointe de fer, forme ainsi une ouver- ture, qui s'agrandit sous l'action du balancement et qu'on AÍ 1 1Aî 21 Fig. 15 à 21 Développement successif du cylindre destiné à produire une vitre. pare ensuite avec une planchette de bois, désignée dans cer- taines verreries sous le nom générique de fer, écartant les bords de façon que la calotte qui terminait le cylindre se trouve effacée [ihid. 19). Celui-ci, du reste, ne tarde pas à devenir rigide. On le pose alors sur un chevalet ; on détache avec un fer froid le nez de la canne ; on enlève la calotte restante, et l'on se trouve en possession d'un manchon ou- vert à ses deux bouts [ihid. 20), qu'on fend dans le sens de la 44 LA VERRERIE longueur, en se servant d'une règle en bois et d'une pointe de diamant longuement emmanchée. Puis, cela fait, il ne reste plus qu'à rabattre les parois du cylindre, à les aplatir sur un plan bien horizontal, pour avoir une de ces belles vitres transparentes qui, laissant passer la lumière, tout en nous préservant du froid, sont devenues une des conditions indispensables de notre existence sociale^ [ibid. 21). l'ig. 22. Jadis les plats de verre destinés à faire des vitres se fa- briquaient d'une façon très différente. Après avoir roulé sur le marbre la masse de verre attachée au bout de sa canne, et lui avoir donné l'aspect d'une sorte de melon d'eau ou de calebasse (fig. 22), au lieu de s'efforcer de for- mer un cylindre, le souffleur s'appliquait à produire une sphère aussi volumineuse que possible. Puis, ce premier résultat obtenu, il soudait une autre canne au côté opposé de la sphère, détachait celle-ci de façon à former une ou- 1. Cet aplatissage du cylindre s'opère dans un four spécial, nommé four à étendre, où le verre ramolli par la chaleur est amené au degré de planimétrie convenable, soit par des perches ou des rabots de bois manœuvrés par des ouvriers spéciaux, soit mécaniquement à l'aide de pierres tournantes, dont l'action produit un effet analogue. LA VERRERIE 45 verture, et, à l'aide d'un mouvement de rotation secondé il ])ar l'action d'un fer présenté par un jeune garçon, agrandissait progressivement cette ouverture et arrivait à l'ormer cône tronqué, assez semblable à une cloche à un fromage (fîg. 23). Pendant cette opération, le verre s'était naturellement durci. Le souffleur le repoi'tait dans l'on- vreau, et, après l'avoir réchauffé fortement, il soumettait mouvement cfu'il exécutait soit à bout de bras, soit en ap- puyant sa canne sur une barre de fer disposée horizonta- lement et portant le nom de harhelle. Sous l'action de ce mouvement rotatoire et par l'effet de la force centrifuge, la cloche s'ouvrait de plus en plus, s'aplatissait peu à peu, et finissait par former un large disque dont toutes les par- ties étaient d'une épaisseur à peu près égale (fig. 24). Tout en continuant de tourner sa canne, pour prévenir l'affais- sement de la matière encore malléable, le souffleur dépo- sait horizontalement sa feuille de verre sur une aire plate, couverte de cendres chaudes, la détachait, par un choc lé- ger, de la canne demeurée adhérente, puis, quand elle avait acquis la consistance voulue, à l'aide d'une sorte de four- che, il la plaçait verticalement dans le four à recuire. 46 LA VERRERIE Il n'est pas besoin d'insister sur le résultat de ces deux manières de procéder, pour comprendre les avantages que le système nouveau présente sur l'ancien. Le milieu du plat de verre se trouvant gratifié d'un noyau très épais, appelé autrefois boudiné, était inutilisable^ Il fallait donc débiter les vitres dans la partie comprise entre le centre et la circonférence, c'est-à-dire tailler des parallélogram- mes dans une surface circulaire. On voit de suite à quels déchets on était condamné ; sans compter que l'étendue des vitres se trouvait ainsi limitée, et que les plats les plus larges ne pouvaient guère fournir des carreaux mesurant plus de 0'",30 sur 0®,40 de côtés. 1. Par suite des ridicules préférences que quelques-uns de nos con- temporains témoignent, dans les Arts de Vameublement^ tout ce qui pour paraît archaïque, un certain nombre de vitriers ont été amenés à utiliser de nos jours, et pour la plus grande des faux amateurs et des joie badauds, des boudinés faites exprès, et en ont confectionné des vitraux assez coûteux. 11 est difficile de pousser plus loin le snobisme. LA YERRERIE 47 La substitution du cylindre ouvert au ballon aplati con- stitue donc une améliox'ation considérable. Ce n'est pas la seule qu'on ait réalisée dans ce genre de travail. Une des plus importantes, au moins en théorie, c'est le remplace- ment des poumons humains, par des machines destinées à souffler le verre. Ces machines (voir fig. 25) sont surtout employées pour la fabrication des pièces de très vastes dimensions, et qui exigent, par conséquent, un grand déploiement de souffle. La profession de souffleur étant une des plus pénibles qui soient dans nos Arts de Vameublement, on ne saurait se montrer trop reconnaissant à l'égard des industriels qui n'hésitent pas à faire la dépense de machines souvent fort compliquées, et toujours fort coûteuses, pour éviter à leurs modestes collaborateurs une peine ou une fatigue. Toutefois, il convient d'observer que, dans les verreries, ce qui rend surtout le métier rude, c'est la très haute tem- pérature à laquelle les ouvriers sont soumis. Cette cuisson constante de l'homme exposé au rayonnement des ouvreaux, est plus cruelle encore que la dépense de souffle à laquelle il est condamné. L'émission de celui-ci ne réclame pas, en eflet, un aussi grand effort qu'on pourrait le croire. Elle doit, au contraire, être conduite avec beaucoup de pru- dence ; car toute parcelle d'air envoyée par la canne se di- laie avec une rapidité singulière, et triple de volume en pé- nétrant dans la masse incandescente. En respirant un peu fort, on risquerait de faire tout éclater. Aussi le souffleur a-t-il soin de ménager l'envoi de l'air, et, sauf pour les pièces qui, comme les bonbonnes, comportent une grande épaisseur de verre en même temps que des dimensions considérables, l'effort des poumons est à peu près nul. Encore, pour ces dernières, le souffleur a-t-il souvent re- cours à un petit subterfuge. Il prend un peu d'eau dans sa bouche, la projette par sa canne à l'intérieur de la masse vitreuse, et cette eau, instantanément transformée en va- 48 LA VERRERIE peur, l'aide singulièrement à obtenir, sans grande dépense de force, la pression qu'il souhaite d'avoir. Ce qui fatigue le verrier, nous l'avons dit, ce qui l'é- puise, c'est la chaleur extrême des fours ; c'est aussi l'ex- traordinaire attention que réclame la confection de ces objets fragiles, dont l'exécution, quelque compliquée qu'elle soit, doit, par suite de l'état de la matière employée, être menée à bien en un temps strictement limité et avec une' sûreté d'œil et une habileté de main d'autant plus grandes, que toute hésitation se traduit par une malfaçon irrépa- rabie. Fig. 25. LA GOBELETERIE. BOUTEILLES. — FLACONS. VERBES A PIED. Si nous avons commencé par décrire la fabrication de la verrerie à vitres, ce n'est pas que les opérations auxquelles elle donne lieu soient plus compliquées et plus difficiles que la plupart de celles auxquelles procède le souffleur; mais elles sont de celles qui surprennent le plus le visiteur étranger aux travaux de cette belle industrie, et qui font VII pénétrer le plus profondément dans son esprit cette impres- sion de merveilleux qui s'attache à la fabrication du verre. N'est-ce pas quelque chose de magique, en effet, de féerique, d'inattendu, que de voir sortir de la fournaise une boule de matière incandescente, et cette boule s'enfler sous le souffle d'un homme, grossir et s'allonger suivant les balancements rythmés de son corps, jusqu'à l'instant où elle finit par prendre une forme propice, qui lui permet de se transformer ensuite en une vitre brillante? Et cette action elle-même du soufflage, si répandue ({u'on la retrouve dans tous les pays, si vieille que les plus anciens documents qu'on possède nous montrent déjà les verriers armés de leur canne comme d'une baguette ma- gique (voir fig. 4), ce soufflage n'a-t-il pas quelque chose d'incompréhensible, de troublant? Comment l'idée d'une opération pareille a-t-elle pu germer dans un cerveau bu- main? Et l'audacieuse action d'approcher de ses lèvres un tube dont l'autre extrémité porte une masse de lave incan- descente, n'a-t-elle pas quelque chose de tellement génial qu'elle paraît surpasser la moyenne des conceptions bu- maines ? C'est surtout en présence de ces découvertes difficile- k 50 LA VERRERIE ment explicables, dont l'application première semble, par son caractère insolite , extraordinaire, sortir des limites de notre entendement, que l'on comprend pourquoi les Anciens ont assigné à ces grandes inventions une origine surhumaine, et leur ont attribué le caractère d'une révéla- lion divine. Si de la confection d'une vitre nous passons à celle d'une bouteille ou d'un flacon ^, nous verrons que le travail, dans les deux cas, présente de grandes analogies, et dans ses lignes principales reste à peu près le même. Pour ac- tiver la fabrication des bouteil- les et pour rendre l'opération plus rapide, les ouvriers sont divisés en trois catégories, qui portent, comme dans les ver- reries à vitres, les noms à la - fois étranges et caractéristiques • 26. VTTerrier M de l·ig. — souiilan^t une g^ amins,^ de go rands ogarç6ons bouteille dans la 7?ia¿7¿oc/te. et de maîtres ouvriers ou souf- fleurs. C'est le gamin qui commence. Il fait chauffer la canne. Quand elle est chaude, le grand garçon la saisit, l'approche de l'ouvreau et cueille, ordinairement en deux fois, la quan- tité de matière nécessaire. C'est ce qu'on appelle parer la canne ; le premier cueillage prend le nom de poste, et le second celui de paraison. \¡d,paraison faite, le grand gar- con roule le verre en fusion sur le marbre, l'arrondit en soufflant, de façon à lui donner la forme d'un œuf, aplatit le 1. Autrefois on distinguait la bouteille du flacon, en ce que la pre- mière se fermait avec un bouchon, le second avec une vis. C'est, du inoins, la distinction que Rabelais et Tabouret des Accords font entre ces deux récipients. Aujourd'hui le mot flacon est employé générale- ment pour désigner toutes sortes de bouteilles de petites dimensions, faites en verre blanc ou de qualité supérieure. LA VERRERIE 51 fond et ébauche le goulot en tirant doucement à lui la canne. Durant cette action, quelque rapide qu'elle puisse être, le veime ne laisse pas que de s'être refroidi. Pour le ramollir, le grand garçon le présente de nouveau à la chaleur du four, et quand la matière est suffisamment réchauffée, il passe le tout au maître ouvrier, qui rectifie, en soufflant, ce que l'ébauche peut avoir d'irrégulier, l'amène progressive- ment à la taille et aux proportions convenables, l'intro- duit dans un moule ouvert à sa partie supérieure (fig. 26), et souffle en tournant jusqu'à ce que la matière ait exacte- ment rempli la cavité intéiûeure et qu'elle en ait épousé la forme. A peine ce résultat est-il obtenu, que la bouteille est re- tirée du moule, renversée le goulot en bas. Le maître ou- vrier, à l'aide d'un outil de bois nommé molette, en creuse le fond, la roule sur le marbre pour en bien régulariser la panse, et, après l'avoir détachée de la canne, l'emboîte dans un appareil appelé sabot, présente le goulot à l'ouverture de Vouvreau et, prenant de la main droite, avec un crochet de fer nommé cordeline, un peu de verre en fusion, il forme la bague qui garnit l'extrémité supérieure du col. Cette bague est ensuite terminée avec la pince d'enveloppe. Telles sont, résumées et réduites à leurs points essen- tiels, les opérations principales qu'occasionne la fabrica- tion d'une bouteille. La confection de tous les récipients du même genre est, en théorie au moins, à peu près iden- tique. Ajoutons que pour les bouteilles de calibre spécial et de forme caractéristique, comme celles à madère, à rhum, etc., on a recours à des moules plus compliqués, qui non seulement forment la panse de la bouteille, mais encore le dôme et le goulot. Ces moules perfectionnés s'ou- vrent et se ferment avec une pédale, et permettent à l'on- vrier de conduire son travail avec une rapidité telle qu'il peut en une heure faire cent bouteilles et plus (fig. 27). Enfin, comme pour le verre à vitre, on a construit, dans 52 LA VERRERIE certaines verreries à bouteilles, des appareils d'insufflation qui débarrassent le maître ouvrier de la fatigue du soufflage*. Malheureusement, il existe encore beaucoup de verre- ries où ces appai^eils perfectionnés, mais toujours fort coûteux, ne sont point en usage. Dans ces établissements, l'ouvrier travaille encore comme aux siècles derniers, fa- çonnant son ouvrage au jugé, le roulant sur le marbre, n'ayant pour se guider que ses calibres, et sa mailloche pour arrondir la panse^. Cela ne l'empêche pas, toutefois, de fabriquer des pièces assez régulières de forme, de ca- pacité identique et d'excellente qualité. Pendant bien des siècles, les champenoises destinées à recevoir les vins mous- seux d'Ay et de Sillery n'ont pas été faites autrement; et pour résister à une pression de vingt ou trente atmos- phères, il ne suffit pas que ces récipients soient très épais, il faut encore que le souffleur donne à leurs diverses pa- rois une égalité parfaite, de façon qu'aucune partie faible ne cède sous la pression du liquide et des gaz®. Les moules en métal, toujours coûteux à établir, ne sont indispensables, en effet, que pour les récipients, bouteilles, flacons ou carafes, présentant un galbe irrégulier, c'est-à- dire qui sont moulurés, godronnés, côtelés, ondulés, tur- binés, décorés d'inscriptions ou de reliefs, ou pour ceux 1. On estime qu'en France, annuellement, on fabrique près de cent millions de bouteilles, dont le quart est destiné à l'exportation. La Champagne, à elle seule, exporte de dix à douze millions de bou- teilles. 2. On donne, d'une façon générale, le nom de mailloche à un cube de bois évidé d'une façon hémisphérique, qui permet au verrier d'ar- rondir son ouvrage en le tournant à l'intérieur pendant qu'il le souffle. C'est ce qu'on appelle 77¿aiY¿oc/¿e7'une pièce. 3. Malgré tout le soin qu'on apporte à la fabrication des bouteilles destinées à renfermer des vins mousseux, les accidents sont encore assez fréquents. Il est bien rare que lorsqu'on parcourt les caves d'un grand fabricant de vin de Champagne, on n'entende pas des détona- tions caractéristiques, indiquant qu'une ou plusieurs bouteilles vien- nent d'éclater. On comprend quelle perte ces explosions entraînent à leur suite. LA VERRERIE 53 dont la forme n'est ni cylindrique, ni ovoïde, ni sphérique. Encore dans beaucoup de cas se contente-t-on, pour l'exé- cution de ces pièces aux formes particulières, de moules en bois dont l'établissement nécessite peu de frais. Pour tous les autres et pour les plus délicats et les ouvrages, plus compliqués, tels que gobelets, verres à pied, coupes, etc., l'ouvrier (même dans les cristalleries les plus importantes) les exécute directe- ment à la main et uni- quement au jugé. Rien n'est intéres- sant comme de suivre la fabrication d'un go- belet ou d'un verre. Le verrier installé à son banc, bordé de deux barres de fer dispo- sées horizontalement et désignées sous le nom de barbelles, ayant Fig. 27. — Verrier exécutant une bouteille à sa portée son mar- au moule. bre, ses ciseaux et ses pinces (pince simple, pince à fleurs, pince ir pointe, pince à coquille, etc.), ainsi que quelques autres outils qu'il ap- pelle ses fers, quoiqu'ils soient souvent de bois^; le ver- rier, disons-nous, après avoir cueilli et paré la quantité de matière qui lui est nécessaire, la souffle, la marbre légère- ment, en carre le fond avec un de ses fers, et, ayant donné à la pièce sa hauteur et son diamètre, la détache d'un coup sec et en coupe l'extrémité supérieure avec ses ciseaux. Tout cela avec une sûreté si grande que l'opéi'ation dure à 1. Ceux-ci sont qualifiés fers à lames de bois. 54 LA VERRERIE peine quarante secondes, et qu'en une heure un ouvrier expérimenté exécute une centaine de gobelets. Au lieu d'un gobelet, est-ce un verre à pied que l'on entend fabriquer, l'ouvrier commencera par en exécuter le corps ou calice, absolument comme il vient de confectionner un gobelet, en ayant soin, toutefois, de donner à ce corps un galbe légèrement conique ; puis, lorsque le calice a reçu sa forme définitive, un jeune ouvrier qui porte le nom de tendeur de pontil, présente à l'extrémité d'une longue barre de fer^ une petite partie de matière, qu'il soude au fond du calice. Le maître ouvrier, qui a soin de tenir celui-ci relevé de façon que la matière ne ccfule pas de côté, déta- cbe avec des ciseaux la quantité qui lui est nécessaire pour former la jambe du verre. Puis, plaçant sa canne sur les bardelles, il lui imprime un rapide mouvement de rota- tion, et pendant que la canne et le calice qu'elle porte tournent vivement, il saisit avec ses fers la matière encore molle et flexible, la soutient et la modèle en même temps, façonnant ainsi les moulures et pimfils qu'elle doit présen- ter. En un mot, il donne à la pièce sa forme générale, que la taille, si c'est un verre de prix, viendra plus tard per- fectionner. Une fois que la jambe terminée a pris, par le refroidis- sement, une consistance suffisante, le tendeur de pontil ap- porte une nouvelle quantité de matière, qu'il soude de la jnéme façon à l'extrémité inférieure de la jambe, et, à l'aide d'une manœuvre analogue à celle que nous venons de dé- crire, le verrier, imprimant de sa main gauche un mouve- ment actif de va-et-vient à sa canne, aplatit de son autre main, armée d'un fer à lame de bois, la matière en fusion, et forme ainsi le pied qui complète son verre. Il demeure entendu que tout autre appendice —• anse, goulot, poignée, etc. — peut être greffé de la même manière 1. C'est cette barre de fer qui porte le nom de pontil. LA VERRERIE 55 sur le corps d'un vase. Ces curieuses et fragiles ailettes (fig.30) qui donnent aux anciens verres de Venise un aspect si étrangement pittoresque, parfois même fantastique, et qui les rendent si délicatement incommodes, ont dû être pour la plupart annexées au calice, à la jambe et au pied du verre par ce même procédé, et façonnées à la pince et à main levée par un verrier d'une habileté prodigieuse. 11 arrive aussi, fort souvent, que ces parties complémen- taires sont exécutées à part, puis présentées à l'ouvreau et Fig. 28. — Verrier façonnant la jambe d'un verre à boire. ensuite soudées au corps principal de la pièce. Les ou- vragesde prix sont ordinairement obtenus de la sorte. Cela est indispensable surtout pour certaines aiguières légères, dont les anses doivent être creuses, afin de ne pas trop charger le corps du vase, qui est d'une extrême ténuité. Ces parties creuses sont elles-mêmes façonnées à l'aide de tubes préalablement préparés ; et comme la confection des tubes en verre constitue une des opérations les plus curieuses auxquelles on procède dans les verreries, nous allons la décrire en quelques mots. Là encore le travail débute, comme pour les divers objets le au que nous venons de passer en revue, par cueillage bout d'une canne, d'une poste, c'est-à-dire d'une masse plus ou moins grosse de matière en fusion. L'ouvrier, en souf- 56 LA VERRERIE fiant, donne à cette matière la figure d'un ballon moins fort; plus ou puis il la marbre, et le ballon s'allonge en forme de cylindre. Le maître retourne alors àl'ouvreau, recharge ce cylindre d'une paraison de nouvelle matière, qu'il roule également sur le marbre. Cela fait, un petit garçon arrive, armé d'un pontil qu'il a formé en le chargeant à sa partie su- périeure d'une petite partie de matière en fusion. Il présente son pontil en le tenant droit ; le maître pose verticalement sur le pontil la base de son cylindre, et les deux pièces se trouvent ainsi soudées. Alors le petit garçon, inclinant son pontil sans secousse, com- menee à marcher à reculons; puis, dès qu'il a fait trois ou quatre pas, se retourne, place le pontil sur son épaule et s'éloigne. Grâce à l'incomparable duc- tilité du verre, déjà refroidi, mais encore malléable, le cy- Fig. 29. — Verrier achevant un verre à boire. lindre, obéissant à la traction qu'il subit, s'allonge progres- sivement, et finit par constituer un tube de quinze ou vingt mètres de long, ne présentant que quelques millimètres de diamètre. Et, particularité curieuse, ee tube conserve à l'intérieur une cavité continue, qui jamais ne se bouche et reste toujours proportionnelle à son diamètre L 1. Cette faculté merveilleuse de s'allonger indéfiniment sans cesser de rester percé à l'intérieur ne connaît pour ainsi dire pas de limr- tes. « Quand on étire un tube de verre creux, le trou se conserve, quelle que soit la finesse du fl. M. Deuchar a pris un morceau de tube de thermomètre dont le diamètre intérieur était très tiré fils la petit et l'a en ; roue dont il s'est servi avait 3 pieds de circonfé- rence ; et comme elle faisait cinq cents tours par minute, on obtenait 30,000 mètres de fil par beure ; en sorte que le fil était d'une finesse extrême et que son diamètre intérieur était à calculable. Ce fil était peine creux ; car, étant coupé par morceaux d'un pouce et demi de Ion- gueur et placé sous le récipient d'une machine pneumatique, un bout LA VERRERIE 57 L'énorme développement du cylindre primitif, produit par cet allongement invraisemblable d'une matière si fra- gile, est posé doucement sur des lames de bois ou sur des pivetteSj, espacées de loin en loin; puis il est coupé et divisé en morceaux de longueur con- venable qui sont mis à recuire dans l'arche. Cette fabrication, d'une si précieuse utilité, —car ce sont les tubes de verre qui ont per- mis de construire d'une façon normale et peu coûteuse les baromètres et les thermomè- Ires, — n'est pas la seule appli- cation qu'on ait faite de cette sui'prenante ductilité. Dès le XVI® siècle on l'avait utilisée pour décorer, à l'aide du verre filé, c'est-à-dire réduit à l'état de fil, les vases à boire, cou- pes, calices, aiguières, etc. Venise excella dans ce genre de produits singulièrement dé- licats et médiocrement prati- ques, et ces sortes de décora- tions étaient si prisées, que le Fig. 30. — Ven-e à ailettes façon- célèbre banquier Fugger, nees a la re- pmce. (Fabrication ve- '· nitieiine, xvi» siecle.) _ cevant Charles-Quint à Augs- bourg, ne crut pas pouvoir faire à son illustre visiteur un cadeau plus agréable, qu'une petite nef ornée en verre filé et tordu. en dedans, l'autre en dehors, il laissa passer le mercure en petits filets brillants lorsqu'on fit le vide. » [Dictionnaire technologique des arts, t. XXII, p. 216.) 58 LA YERRERIE Le verre filé qui servait à décorer ces menus était ouvrages obtenu dans le principe à l'aide d'un outillage bien ru- dimentaire, qui consistait en une petite lampe d'émailleur donnant un long jet de flamme, activé par un soufflet mi- nuscule ou simplement par les poumons du fileiir. Celui-ci présentait à l'action de la flamme l'extrémité d'un tube de veime blanc ou coloré. Dès que ce verre commençait à se ramollir, il le saisissait à l'aide d'une petite pince et, écar- tant les bras, il obtenait ainsi un fil d'une brassée de Ion- gueur. De nos jours, cet attirail s'est un peu compliqué. Pouri que la longueur du fil ne fût pas limitée à l'espace compris entre les bras étendus, on a fixé la pince à une roue de tôle. Chauffé au feu de la lampe et progressivement avancé pour qu'il continue de fournir la quantité de verre nécessaire, le tube cède peu à peu sa matière à la traction exercée la par roue, et le fil s'enroulant sur celle-ci n'a d'autres limites que la quantité de matière dont se compose le tube. On a fait de nombreuses applications du verre filé, mais presque toujours plus curieuses qu'utiles et plus amusan- tes qu'artistiques. Pendant une cinquantaine d'années on a produit de la sorte une multitude de jouets et de bibelots d'étagère. Dès 1713 Réaumur prévoyait qu'on pourrait tis- ser des étoffes en fil de verre, et on l'a fait depuis. On en a aussi confectionné de bxfillantes aigrettes. Au conservatoire des arts et métiers, on peut voir, dans la salle consacrée à la verreifie, un lion dont le pelage et la ciûnière sont en verre filé. Mais ces expériences pour singulières qu'elles soient, ne sauraient nous retenir, et nous nous réservons de signaler, dans un prochain chapitre, d'autres lions applica- plus artistiques que l'on a faites de l'étonnante ducti- lité des verres blancs et de couleur I VÍII DE LA TAILLE DÛ VEllRE ET DU CRISTAL Avant de quitter la fabrication de la gobeleterie, il con- vient de dire quelques mots des divers systèmes d'orne- mentation par lesquels on perfectionne la forme et la déco- ration des ouvrages qu'elle comporte. Le plus usité actuellement est la taille. Nous racontons dans la seconde partie de ce livre comment, au xvii® siècle, ce genre de travail fut substitué en Bohême à la peinture trouvera sur verre, si en honneur au siècle précédent. On à cette place (page 207) les noms des principaux artistes cette graveurs ou venders auxquels revient l'honneur de révolution, qui transforma l'aspect et par suite l'esthéti- que, si l'on peut dire ainsi, de la verrerie de table. Il ne faudrait pas conclure toutefois, de cette constata- tion, qu'avant les premières années du xvii® siècle on n'a- vait jamais taillé le verre. Le merveilleux Vase de Portland dont on admire, au British Museum, les débris restau- rés avec beaucoup d'art et d'habileté^, suffirait à prouver le contraire. Ce vase fut trouvé vers le milieu du xvi® siè- 1. Lorsque levase dit de Portland fut découvert, il était intact. Con- servé d'abord au palais Barberini, où il se trouvait encore en 1770, il fut, cette année-là, acheté par un marchand anglais, qui le vendit à un grand collectionneur, sir William Hamilton, lequel le rétrocéda à la duchesse de Portland 1,800 guiñees. Ce beau vase fut, en pour 1810, donné par les héritiers de la duchesse au Musée britannique. Il était exposé dans ce musée sous un globe de verre quand, le 7 février 1845, espèce de fou nommé William Lloyd brisa méchamment le vase une et son enveloppe à l'aide d'une pierre qu'il avait apportée. Lloyd, arrêté, fut traduit devant les tribunaux anglais, qui le condamnèrent à 3 livres (75 fr.) de dommages-intérêts vis-à-vis des trustees du mu- séum pour le bris du globe. Quant au vase, propriété de l'Etat, faute de précédents, on ne trouva pas de peine à appliquer au délinquant. 60 LA VERRERIE de, à trois kilomètres de Rome, dans un sarcophage de marbre, qu'on a cru être celui de Septime Sévère, et était qui enfoui au Monte del Grano, sur la route de Frascati. Il atteste non seulement que les Anciens connaissaient la taille du verre, mais encore qu'ils ont atteint, dans ce de genre travail, à une perfection qui, nous le verrons bientôt, n'a pas été dépassée depuis. Il aurait été exti'aordinaire, au surplus, que les graveurs romains, dont l'habileté dans le domaine de la glyptique est plus que prouvée par cette multitude de camées et d'in- tailles qui ornent nos collections publiques et privées, ne se fussent pas exercés à la décoration du verre. Pendant tout le Moyen Age, en outre, la taille du cristal de roche demeura Irès en honneur chez nous, et constitua la principale occu- pation des cristalUers, dont l'importante corporation re- monte au moins au règne de saint Louis k On sait encore que, jusqu'à la fin du xvn® siècle, la taille du cristal de roche continua d'être très régulièrement pratiquée dans toute l'Europe, non seulement pour la confection des de vitrine pièces ou de vases à boire, mais pour les lustres pendeloques de et de girandoles, qui, à partir du règne de Louis XIV, devinrent extrêmement à la mode. On en peut donc conclure que l'innovation introduite par la Bohême, à la fois dans la décoration de la verrerie de table et dans la vitrerie"^, trouva de suite, dans les riches pays de l'Europe et en France notamment, une foule d'ar- tistes capables d'en tirer tout le parti désirable. Mais il 1. Voir le Livre des mestiers d'Etienne Boileau. Le titre ooncerne cette XXX, profession, qui commence ainsi : « Gest titre des Cristeliers et des Pierriers de parole pierres nateureus. » Ce laisse dernier croire qu'on adjectif gravait aussi à cette époque des les, pierres artificiel- c'est-à-dire du verre. 2. Un des plus grands luxes que Marie de Médicis se soit fut de faire vitrer le palais du permis, Luxembourg avec des verres de Bo- hème, taillés en biseau et sertis dans des voir plombs à d'argent. On encore Versailles, dans la peut galerie des Glaces, un de vitres nombre qui sont grand également taillées en biseau. LA VERRERIE Cl nous faut laisser de côté ce qui regarde l'histoire de la taille du cristal, pour parler uniquement ici des opérations qu'elle nécessite et des phases successives qu'elle traverse La taille du verre et du cristal comporte trois opéra- tions distinctes : Xébaucha- ainsi que la matière varient passe dans les autres bran- De la correction de l'é- bauche dépendent la régu- Fig. 31. — Vaso antique en verre taillü. larité et la beauté du travail, et pour obtenir cette correction, une main exceptionnelle- ment sûre et un œil particulièrement exercé sont d'autant plus indispensables, que le plus ordinairement les tailles sont exécutées au jugé. Pour les pièces de grand luxe, pour les objets de haut prix, ou encore pour ceux qui exigent dans la confection de certaines de leurs parties une régularité en quelque sorte mathématique, l'ébaucheur, il est vrai, recourt à son 62 LA VERRERIE compas. Après en avoir enduit les pointes avec du il minium, compassé ses distances et indique ses sions. principales divi- Mais pour les ouvrages courants, il s'en rapporte à l'appréciation de son œil, et l'on voit les ouvriers habiles tailler sur la roue, sans la moindre hésitation, les tables vingt- quatre qui transformeront un cube de cristal en ]>endeloque de lustre, ou les cent cinquante facettes donneront qui à un bouchon de carafe l'aspect d'un gros dia- mant. Et ce travail singulièrement délicat, sans établissement attaqué préalable de points de repère, se continue jusqu'à la fin de l'ébauche, c'est-à-dire jusqu'à ce que la pièce ait revêtu sa forme définitive, sans autre la guide que précision du coup d'œil et la rectitude d'estimation donne que une longue habitude. Voilà pourquoi, dans chaque équipe, l'ébaucbeur est tou- jours le chef de place^. C'est en présentant successivement les diverses faces de la pièce qu'il décore à la roue disposée devant lui, et en usant ces faces à leur contact, que cet artisan entame le verre et taille ses facettes. La roue dont on fait usage pour ce genre de travail est en acier ou en fonte. Elle est con- tinuellement humectée par une coulée d'eau de sable. Sa chargée largeur est proportionnée à l'étendue de la à tailler; elle pièce varie de 0™,50 à 0™,01. Quand le chef de place a terminé son travail et a fait tomber les qu'il parties appelées à dispai^aître, il pièce passe la au second ouvrier, qui perfectionne l'ébauche, laiñse les tailles, régu- avive les arêtes, enlève le grain laissé la meule par d'acier, et donne un premier poli, qui ramène la ti'ansparence. La roue dont se sert le nouvel opérateur 1. On donne le nom de place au de vaillent groupe trois ouvriers ensemble tra- à l'exécution qui d'une et de rapidité dans pièce. Pour plus de l'ouvrage, régularité ces ouvriers toujours les sont, autant mêmes, et leur que possible, subordination à mise l'ébaucbeur n'est en discussion. jamais LA VERRERIE 63 est en grès lisse; elle est également humectée d'eau, mais cette fois limpide et sans poussière. Quand cette partie du travail est terminée, le polisseur n'a plus qu'à rendre au verre ou au cristal son éclat caractéristique, ce c[u'il fait en passant l'objet d'abord sur une meule de bois char- gée de pierre ponce, et ensuite sur une meule de liège chargée de potée d'étain. Ce mode de décoration, surtout quand il présente cer taines complications (comme dans les verreries à très noin- breuses et très saillantes facettes taillées en étoiles, dont le genre fut en honneur au commencement de ce siècle) (voir fig. 32), ne laisse pas que d'exiger une dépense con- sidérable de soins, de temps et subséquemment d'ai'gent. Aussi s'est-on appliqué à faciliter le travail des chefs de place, et à le rendre à la fois moins fatigant et plus rapide. Autrefois les divers tours dont les tailleurs font usage, étaient construits à pédales. Ils étaient par conséquent mis en mouvement par l'ouvrier lui-même, qui, assis sur un banc élevé et le pied droit posé sur la pédale, ajoutait à la fatigue de ses mains celle de sa jambe continuellement agitée. Les verriers de Bohême songèrent les premiers à utiliser la force motiûce de leurs chutes d'eau, pour déli- vrer leurs tailleurs de cette pénible sujétion. Chez nous, dans les cristalleries importantes, c'est la vapeur qui, au- jourd'hui, fait touimer les roues du chef de place et de ses subordonnés. Ce n'est point, au surplus, la seule amélioration qu'on ait apportée dans la taille du cristal. Dans quelques ver- reries étrangères, en Saxe, à Chemnitz notamment, pour l'ébauche des pièces importantes, on a substitué aux roues ordinaires des disques d'acier anglais très fortement trempé, mesurant de 0™,015 à 0^,025 de diamètre et dont la tranche, couverte de poussière de diamant, entame le cristal au lieu de l'user, et permet d'activer le ti^avail d'une façon singulière. 64 LA VERRERIE Mais que l'ébauche soit faite à la meule humectée de ou à l'aide de grès, disques enduits de poussière de la quantité de diamant, matière à enlever reste la même, et dans cer- tains ouvrages elle est considérable. Aussi pour les articles qu'on tient à produire à bon marché et à établir commer- cialement, s'eflbrce-t-on de donner de suite aux pièces une forme se rappro- chant, autant que possible, de celle qu'elles sont appelées à revêtir une fois taillées. Cette pi'éparation s'obtient à l'aide de moules en cuivre, dans lesquels la matièi'e est comprimée par une pompe à pression qui, du nom de son inven- teur, a pris le nom de pompe Robinet'^. On confectionne ainsi des pièces ébau- chées, sur les diverses faces il desquelles suffit de revenir par une taille ra- pide, qui coimige les profils demeurés trop mous, avive les arêtes, enlève les bavures et donne aux surfaces leur poli final. Fig. 32. Dans la — Vase en cristal verrerie très com- taillé à facettes, exposé mune, pour éviter toute nou- par M""® Désarnaud dépense en 1819. velle, on laisse même les facettes tel- les que le moule les a formées. Enfin, depuis une vingtaine d'années, un mécanicien érninent, M. Jaubert, s'est efforcé de substituer au travail direct du tailleur de verres et de cristaux, des machines automatiques remplissant le même rôle. Ces machines, reçurent qui l'approbation du jury de la clase XIX à l'Expo- 1. Cet appareil fut imaginé en 1821 M. cristallerie de par Robinet, Baccarat, à employé de la qui l'Académie des sciences prix de décerna en 1832 un 8,000 fr. Le modèle de cet est vatoire des appareil au arts Conser- et métiers. C'est exposé l'invention de MM. Robinet à Appert, de Clieby, l'idée qui inspira en ter l'air d'appliquer, 1883, qui a remplacé, dans l'appareil à certaines injec- usines, le soufflage direct. LA VERRERIE 65 sition de 1878', peuvent assurément rendre de réels ser- vices à l'industrie verrière, quand il s'agit uniquement de tailles simples, de celles qu'on appelle côtes plates. Mais pour les pièces soignées ou pour les ouvrages de forme exceptionnelle, elles ne sauraient remplacer le tailleur Fig. 33. — Toilette dite de la reine d'Espagne, en cristal taillé. habile, qui souvent se double d'un artiste très méritant. A l'aide de la taille on a exécuté, en effet, en ce siècle, des ouvrages d'une indiscutable beauté et, qui plus est, d'une importance considérable et assurément exagérée. Indépendamment du débordement de cristal taillé qui fut si fort à la mode sous la Restauration et le règne de Louis- Philippe (car à cette époque on prodigua un peu partout les vases hérissés de facettes), on alla jusqu'à fabriquer Rapport du jury international^ groupe III, cl. xix, les Cristaux et la Verrerie, par MM. Didron et GIcmandot, p. 24. 5 66 LA YERRERIE dans cette fragile matière des candélabres, des pendules, des sièges et des tables de toilette ^ Bien mieux, en 1878, Baccarat exposa un petit temple en cristal taillé, soutenu par un double rang de colonnes. Mais ces tours de force, quelque curieux, quelque surprenants même qu'ils puissent paraître, n'offrent qu'un intérêt secondaire. L'art de la ver- rerie doit se garder de ces excès. C'est toujours mal em- ployer une matière que de la faire servir à des usages qui, en aucun cas, ne saui-aient lui convenir. Les cristaux taillés dont nous devons paider ici sont de dimensions plus pratiques. Dans la note commerciale, ils sont représentés par ces vases à boire ou de décoration, dont les vei'riers de Bohême ont continué de couvrir les panses à couches diversement colorées, de compositions souvent compliquées et touffues. Dans la note artistique, ils ont pour expression la plus élevée, ces imitations exé- entées en Angleterre du célèbre vase de Portland, imita- tions qui, par la difficulté du travail et le prix de la main- d'œuvre, égalent les ouvrages les plus recherchés de la glyptique, sans présenter toutefois les grandes qualités décoi'atives qu'on était en droit d'espérer de productions aussi coûteuses^. Les verres de Bohême, en effet, par la netteté et la sé- cheresse de leurs tailles, par la coloration trop montée des chemises i^ouges ou bleues dans lesquelles les orne- ments sont incisés, ne laissent pas que de produire un effet assez triste, une impression dure et dépourvue de 1. A l'exposition de 1819, Désarnaud, propriétaire du magasin à l'enseigne de VEscalier de cristal, indépendamment d'un certain nom- brede pendules, de candélabres, etc., exposa un lavabo destiné àlaprin- cesse d'Étrurie, la toilette de la feue reine d'Espagne, payée 16,000 fr. (voir fig. 33), un grand vase jaugeant 24 litres (fig. 32), etc., le tout en cristal taillé provenant de Saint-Gobain. 2. Une de ces belles imitations du vase de Portland, exposée en 1878, représentait déjà une dépense de 62,500 francs, bien qu'elle de- mandât encore pour être achevée, plusieurs années de travail. LA VERRERIE 67 Fig. 34. — Vase d'Orphée, exécuté en taille-gravure, par M. Gallé, de Nancy. 68 LA VERRERIE charme. Quant aux chefs-d'œuvre des verriers anglais , la froide perfection de leurs belles copies de l'Antique en rend aussi l'aspect médiocrement agréable, sans compter c{ue ce travail de bas-reliefs, exécuté par la taille sur des couches opaques superposées, a pour effet de faire res- sembler ces vases de verre à des vases de porcelaine. Ré- sultat fâcheux à tous égards; car « le déguisement de la matière, ainsi que l'écrivait fort bien M. Didron% est un principe détestable, que ne parvient même pas à justifier la perfection à peu près absolue de l'œuvre de l'artiste ». Nos artistes français ont été mieux inspirés. M. Rous- seau, de Paxfis, et après lui M. Réveillé, son successeur, et surtout M. Gallé, de Nancy, ont, dans ces dernières années, produit des vases de vitrine, des porte-bouquets, des gobe- lets d'un charme surprenant, qui présentent des fleurs, des arbrisseaux, des poissons, voire des personnages taillés et gravés ^ dans des couches superposées, et s'enlevant en de puissants reliefs de couleurs différentes. Mais, avec beau- coup de sagesse et un rare sentiment décoratif, les artistes dont nous venons de tracer les noms, ont eu soin de faire reparaître en dernier ressort le cristal transparent. Ajoutons qu'imitant les Chinois non seulement dans l'imprévu de leurs décorations, mais aussi dans leurs pro- cédés d'exécution, ils ont su transformer des imperfections analogues aux craquelures et aux flammés céramiques^, en éléments de variété et de beauté. C'est ainsi c[u'ils utilisent, et provoquent même au besoin, la formation intérieure de huiles, de cordes, de nœuds, de stries, qui donnent à leurs verres un aspect de gemme ou de cristal de roche, et font en quelque sorte tressaillir la matière. Mais ces défauts 1. Exposition universelle de 1818. — Rapport de la classe XIX, p. 13. 2. Le travail très compliqué à l'aide duquel ces verres sont exécu- tés prend le nom de taille-gravure. 3. Voir Céramique, t. 1°'', Fabrication, p. 129. LA VERRERIE 69 voulus, non plus que les irisations ou les colorations légères partielles auxquelles ils ont recours, ne déguisent pas la et masse vitreuse au point de faire oublier par quelle classe d'artistes ces beaux ouvrages ont été conçus, et à l'aide de quels procédés ils ont été exécutés. Ces pièces si particulières ne sauraient toutefois être considérées que comme des œuvres exceptionnelles, d'un art supéreur, et qui relèvent de la glyptique au moins au- tant que de la Verrerie. Fig. 35. — Verre de lîohème taillé et gravé (xviil» siècle). la gravure De la taille qui clécoi'e la cristallerie en multipliant les plans et les surfaces, il faut rapprocher la gravure, qui, se bornant à égratigner ce qu'on pourrait appeler l'épi- ^ derme du verre, produit une ornementation plus variée, ])lus délicate, mais aussi plus maigre, et qui rentre moins dans l'esprit de la verrerie; car, entamant ces parois si fra giles, elle semble en amoindrir la solidité. IX La gravure sur verre s'exécute de trois façons différen- tes : au touret, à la pointe de diamant, à Vacide. Gravure au touret — . Le touret, ainsi que son nom l'indique , consiste en un petit disque d'acier fortement trempé, monté sur un tour et animé d'un mouvement de rotation extrêmement rapide. L'artiste, après avoir décal- qué son calque sur la surface qu'il veut décorer, ou après avoir collé ce dessin de l'autre côté de son verre, présente celui-ci à la roue, qui l'entame, en suivant le tracé indiqué sur son calque, et en prenant bien garde que les entailles produites par son touret ne soient pas trop profondes. Elles ne doivent jamais dépasser, en effet, le tiers ou le quart de l'épaisseur de la matière. De la sorte, on peut exécuter une foule de décorations agréables et orner le verre de chiffres, de fleurons, de car touches, de semis d'étoiles, de chutes de feuillages ou de fleurs, de guirlandes, d'attributs, de couronnes héral diques, d'emblèmes de toute nature et de tout caractère. L'action du touret sur le verre a pour effet de dépolir celui-ci et par conséquent de le matir. Quand on veut rendre à l'ornement gravé ou à cei'taines de ses parties, la trans- parence et l'éclat qui leur ont été enlevés, on les polit de, nouveau, et l'on varie ainsi les effets obtenus. LA VLRRERIE 71 Gravure a la pointe de diamant — . Ce genre de usité gravure est très peu aujourd'hui. Au xvii® et au xvm® siècle, il était fort en honneur, surtout en Hol- lande. Ses traits étant forcément égaux, les effets obtenus sont moins variés que ceux de la gravure au touret. Il s'exécute, comme son nom l'indique, avec une pointe de diamant très acéi'ée , . ^ ' montée f sur un manche ^ de 15 à 20 centimètres, qu'on manie comme un porte-crayon et qu'on \ ¿/^ appuie légèrement à la \ surface du verre. Toute f. / personne sachant des- siner peut rapidement exécuter des décora- tions de ce genre. Mais ■ ce travail si fin, si dé- ■ ' faut, le . l >. licat, qu'il pour bien distinguer, une at- \ tention soutenue, ne laisse pas que d'être un ]ieu monotone comme aspect, et n est appié- pig. 3g la _ taillé à . Verro hollandais pointe de diamant. ciable que lorsqu'on le considère de très près. Ces deux raisons expliquent pourquoi on a généralement serait délaissé cette sorte de travail; et la gravure au touret à excellente peu près seule en usage, si, pour la confec- tion des petits ornements et la décoration de surfaces limi- fort coûteuse tées, elle ne laissait pas que de devenir quand il s'agit de décorer de grands espaces. Aussi, dans ce cas, a-t-on recours à des procédés économiques, au premier rang desquels figure la gravure à l'acide. anté- Gravure a l'acide —■ Comme pour les . procédés 72 LA VERRERIE rieurement décrits, on commence par décalquer le dessin sur le verre qu'on veut décoller ; puis on fait chauffer celui- ci; on l'enduit d'une couche de cire; et quand cette couche, par suite du refroidissement, a retrouvé sa consistance or- dinaire, on l'entame, à l'aide d'une pointe, en suivant le dessin préalablement décalqué, en ayant soin que la pointe andve jusqu'à l'épiderme du verre et le mette bien à nu. Cela fait, on baigne la pièce dans l'acide sulfurique, et au sortir du bain on la saupoudre de fluate de chaux. Ce der- nier, au contact de l'acide, se décompose et produit de l'a- cide fluorique, qui attaque la silice entrant dans la compo- sition du verre, si bien que l'objet ou la surface, étant de nouveau chauffé pour enlever la cire, montre toutes les ])arties que la pointe avait mises à nu dépolies par les mor- sures de l'acide. On se sert surtout de ce procédé pour les vitrages, pour les clôtures, les glaces de devanture de certains établisse- ments publics; et comme dans ce genre de travail le prix de revient joue, à cause de l'étendue des surfaces, un rôle très important, on s'est si bien appliqué à perfectionner les moyens de production que nous venons de décrire, que les verres gravés à l'acide peuvent être utilisés pour les babi- tations les plus modestes. Deux industriels très habiles l'un et l'autre ont attaché leurs noms aux progrès réalisés dans ce sens. C'est à M. Kessler que l'on doit les procédés économiques permet- tant de décalquer par le papier les dessins qu'on veut re- produire, et d'établir rapidement les réserves obtenues grâce aux enduits préservateurs. C'est M. Bitterlin qui est parvenu à nuancer les différents genres de mat fouimis par cette sox'te de gravure, de façon à produire des mode- lés qui varient les dessins, et leur donnent à la fois plus de relief apparent et plus de consistance. Si l'on peut, lorsqu'il s'agit de grandes surfaces, obtenir avec la gravure à l'acide des effets très décoratifs, il faut LA VERRERIE 73 n'en faire qu'un usage beaucoup plus sobre pour tout ce qui regarde la cristallerie de service et la gobeleterie. Un chiffre, des armoiries, un emblème, une légère guirlande soulignant le bord du verre ou en cerclant le pied, à la rigueur un semis très discret de perles ou de fleurons, sont les seules ornementations c[ui puissent être approuvées. Le décorateur; ce genre d'ouvrages, ne doit pour jamais jierdre de vue la nature de la matière qu'il a mission d'orner. Or la qualité essentielle du verre, sa condition dis- tinclive, c'est d'être transparent. Tout ce qui atténue celle transparence va donc à l'encontre de sa propriété caracté- ristique par excellence, et par conséquent doit être rejeté. Un autre écueil à redouter lorsque cette transparence n'est atténuée que sur un petit nombre de parties, c'est dans la plupart des récipients, dans un que gobelet, dans un flacon travers le dessin par exemple, on aperçoit à qui décore la paroi la plus proche de l'œil, le motif c[ui orne la paroi opposée. De telle façon que les lignes des deux images, se mêlant et s'enchevêtrant, arrivent à produire confusion en quelque sorte inextricable, qui enlève aux une contours du décor toute signification. On voit par là avec quel tact et avec quelle discrétion on doit procéder, dans la cristallerie de table, à l'emploi des trois pi'océdés de gravure que nous venons de décrire. Fig. 37. — Jeton do la corporation dos verriers. AUTRES MANIÈRES DE DECORER LA GOBELETERIE : LA PEIN- TURE, LA DORURE, LES EMAUX, LES VERRES FILIGRANES,, LA CRAQUELURE, ETC. Indépendamment de la taille et de la gravure, divers au- tres procédés de décoration sont encore appliqués avec succès à l'ornementation du verre. Les plus emplojms de ces procédés sont la peinture en émail et la dorure. On donne, d'une façon générale, le nom d'émail à toute matière vitreuse, colorée dans sa masse ou incolore, X opaque ou translucide, qui, mélangée ou non à un fondant entre en fusion à une température relativement peu élevée. Cette pâte vitreuse est réduite en poudre très fine, puis délayée dans de l'eau gommée et appliquée au pinceau sur la pièce à décorer, comme on procède pour la gouache, et de la même manière, du reste, dont en usent les peintres sur porcelaine ou les émailleurs sur métal. La pièce, une fois recouverte de son ornementation, est soumise à un feu de moufle qui, grâce à l'action du fondant, fixe la couche d'émail à la matière qui la porte. Si la décoration, compli- quée, nécessite l'application d'émaux fondant à des tempé- ratures sensiblement différentes, on a recours à plusieurs cuissons successives, en ayant soin de commencer ton- jours par l'application de l'émail qui réclame la tempéra- ture la plus élevée. On peut conclure de ce qui précède que l'artiste en pos- 1. Les manuels spéciaux donnent la bre de composition d'un grand nom- ces fondants chargés de précipiter la fusion des émaux. Les plus employés sont formés par un mélange de borax calciné, de mi- nium et de sable, auxquels on ajoute, suivant le cas, du de soude, du chlorure phosphate d'argent, du sel marin, etc. LA VERRERIE 75 session des émaux qui lui sont nécessaires n'éprouve guère (si ce n'est quant aux changements de tonalités que produit la cuisson) de difficultés bien spéciales à pratiquer ce genre de décoration. Or aujourd'hui les émaux les plus variés sont couramment fabriqués et offerts au commerce par un certain nombre de spé- cialistes expérimentés^. Rien n'est donc plus fa- cile que de se procurer les nuances que l'on dé- sire. Jadis il n'en allait cation constituait, ainsi que le remarque M. Pe- ligot, un secret précieux que l'on se transmettait dans cei'taines famil- les. Aussi la fabrication des verres colorés, nous l'avons constaté dans i¡^^m un précédent chapitre, a-t-elle de tout temps beaucoup préoccupé les £~§ -- fabricants de verrerie, ^:£:=s=^— , non seulement à cause ~ Verre a boire émaillé et doré. du grand parti décoratif (Fabrication vénitienne, xvi" siècle.) . , . qu'ils pouvaient tirer de leur application, mais parce qu'ils se flattaient de produire ainsi des matières assez belles et assez pures pour pouvoir les pierres précieuses^. Les admirables ver- remplacer 1. MM. Appert, de Cliehy, et Guilbert-Martin, de Saint-Denis, ont tellement perfectionné cette fabrication chez nous, que l'étranger, dont nous étions autrefois tributaires, vient maintenant chercher ses émaux en France. Voir dans l'^r^ de la verrerie de Néri le titre du livre IV : « On 2. de donne dans ce livre la manière... d'avoir la couleur d'Emeraude, 76 LA VERRERIE rières qui nous ont été conservées, aussi bien que l'hom- mage rendu par le moine Théophile^ à nos ancêtres, mon- trent que dès le xi® siècle on a obtenu en France, sans trop d'efforts, des verres colorés d'une façon assez par- faite, pour que leur franchise de ton et leur éclat n'aient point été surpassés depuis. Mais tous ces verres colorés, aussi bien ceux des vi- traux que les imitations de pierres précieuses, sont trans- parents. Pour obtenir des émaux capables de masquer la surface qu'ils recouvrent, il importe de leur enlever ou tout au moins de diminuer leur translucidité, ce qu'on obtient en les mélangeant avec des matières qui, formant un préci- pité blanc laiteux ou jaunâtre, communiquent au verre co- loré, sans dénaturer sa couleur, l'opacité nécessaire. Ce résultat est obtenu à l'aide d'un certain nombre de substances, parmi lesquelles on peut citer l'acide antimo- nique, le chlorure d'argent, mais surtout le phosphate de chaux, produit par la calcination des os, et le peroxyde d'étain ou acide stannique, qui sont les plus employés. Lors- que le verre, malgré sa couleur laiteuse ou opaline, doit rester translucide, — comme cela est nécessaire par exemple pour les globes de lampe ou les abat-jour, — on donne la préférence aux os calcinés. Quand, au contraire, l'émail doit être tout à fait opaque et dérober l'excipient qu'il recouvre, comme cela se produit dans l'émaillerie sur cuivre, sur tôle ou sur lave, et dans la décoration de certains objets de verrerie, on emploie le peroxyde d'étain Topase, de Bleu-Céleste, d'Aigue-Marine, du Grenat, le Jaune d'or, le Saphire, le avec moyen de donner au Cristal de Roche une couleur durable de Rubis balais, de Topase, dPpal, et autres teintures d'Héliotrope fort belles. » De même dans l'ouvrage si curieux d'Haudic- quer de Blancourt, tout un livre (le livre Y) est consacré à la contre- façon des pierres précieuses. 1. Op. cit., préface, p. 9. 2. Dans son beau livre sur la Chimie aux arts Il, p. 629), M. appliquée Dumas (t. a très clairement décrit la fabrication du stannate de plomb ou calcine^ qui, mélangé avec du sable siliceux et du carbo- LA VERRERIE 77 Si, lieu d'une décoration en couleur, on veut au simple- la gobeleterie de quelques fdets ou dessins en ment orner de l'or à peu près fin ; on le fait dissoudre or, on prend une dans de l'eau régale, que l'on précipite ensuite par de adjonction de potasse caustique ou de sulfate protoxyde de fer. On recueille le précipité sur un filtre; on le lave; et on le fait sécher; on le mélange avec du borax pulvérisé avec un peu d'essence de térébenthine, formant du tout sur- une bouillie épaisse, qu'on applique au pinceau sur la face du verre et suivant le dessin qu'on veut figurer. On expose ensuite la pièce à un feu de moufle assez fort pour volatiliser la térébenthine et pour vitrifier le borax. Et de la sorte, l'or se trouve fixé à la surface du verre. Pour achever le travail il ne reste plus qu'à lui donner le bruni. On a écrit, dans ces derniers temps, que ces diverses pratiques avaient constitué jadis un secret, et que ce secret s'était perdu, et l'on a fait gloire à quelques-uns de nos verriers contemporains d'avoir retrouvé des procédés qu'on croyait oubliés pour toujours. La vérité est que la dorure et l'émaillage du verre, s'ils sont extrêmement anciens, n'ont jamais cessé d'être pratiqués à Venise, en Allemagne et même en France. Le moine Théophile, dans son livre si précieux^, donne une description fort détaillée des tours de main employés de son temps pour ce genre de travail, et cette explication, qui remonte au xi® siècle, est trop curieuse pour que le lec- teur n'éprouve pas quelque plaisir à l'avoir sous les yeux. et d'ar- Des coupes de verre que les Grecs ornent d'or Les Grecs, écrit notre moine, font avec les mêmes gent. — pierres de saphir ^ des coupes précieuses pour boire. Voici ils les ornent d'or. Prenant de la feuille d'or dont nous comment nate de potasse, fournit la fritte qui sei-t de base à la plupart des émaux opaques. 1. Op. cit., p. 95. 2. C'est-à-dire avec du verre coloré en bleu foncé. 78 LA VERRERIE avons parlé plus haut, ils en fabriquent des images d'hommes, d'oiseaux, d'animaux ou de feuillages, et ils les posent avec de l'eau sur la coupe partout où ils veulent. Cette feuille doit être un peu épaisse. Ensuite ils prennent du verre très clair comme du cristal, qu'ils composent eux-mêmes et qui, en sentant la chaleur du feu, se dissout. Ils le broient soigneusement sur une pierre de porphyre avec de l'eau et en appliquent avec le pinceau une couche très fine sur toute la feuille; lorsque cela est sec, ils le placent dans le fourneau dans lequel se cuit le verre pour les vitraux peints, dont nous parlerons par la suite, et mettent dessous du feu avec des bois de hêtre séchés à la parfaitement fumée. Quand ils voient la flamme pénétrer la au point coupe qu'elle prenne une légère rougeur, aussitôt, enlevant le bois, ils bouchent le fourneau jusqu'à ce qu'il soit refroidi, et l'or ne se détachera jamais. Mè.me sujet. Autre procédé — . Ils emploient aussi un autre moyen. Prenant de l'or moulu dans un moulin dont on se sert pour les livres 1, ils l'étendent d'eau ; de même Ils en font pour l'argent. des ronds, et dans ces ronds des images, des animaux ou des oiseaux d'un travail varié ; ils les enduisent du verre très brillant dont nous avons parlé. Ensuite, prenant du verre blanc, du rouge et du vert, eu usage dans les incrustations, ils broient sur une pierre de porphyre chacun de ces verres à part avec de l'eau ; ils en peignent de petites fleurs, des nœuds et autres petits ornements, à leur choix, avec un travail de différentes couleurs entre les ronds et les nœuds et la broderie autour du bord, et cela d'une épaisseur le cuisant ensuite moyenne, dans le fourneau d'après les procédés déjà Ils font aussi indiqués. des coupes de pourpre ou de des saphir fioles léger, et à col médiocrement allongé, les entourant de fils faits avec du verre blanc et y plaçant des anses du même verre. Ils- ornent encore à volonté leurs divers travaux d'autres couleurs. Les admii^ables peintures sur verre exécutées chez nous pendant tout le Moyen Age, les merveilleuses lampes de mosquée faites dans tout l'Orient, les incomparables ver- 1. C'est-à-dire de l'or en coquille, manuserits. employé pour enluminer les LA VERRERIE 7» reries de table, éraaillées et dorées, fabriquées à Venise au et à devises XV® et au XVI® siècle, nos verres à personnages joyeuses de ce même temps, la gobeleterie si caractéris- tique chargée d'armoiries et d'emblèmes, que produisit l'Allemagne jusqu'au milieu du xviii® siècle, montrent assez que de tout temps, et jusqu'à une époque très voisine de nous, ces façons de décorer le verre sont demeu- rées en honneur. Les procédés que nous ve- nous de décrire n'ont donc pu être retrou- vés, puisqu'ils n'ont jamais été réellement perdus. Par contre, il s'est rencontré, en notre temps, des artistes de premier mérite, com- me M. Brocard, qui, débutant par la copie Lampe de mosquée en verre émaillé orienta- ~ des verreries et doré. les, par la reproduc- de mosquée les plus fameuses, des bassins tion des lampes arabes ou persans les plus précieux, s'inspirant ensuite de l'atten- la Renaissance italienne et française, ont rappelé tion sur ces ouvrages un peu trop oubliés, et donné un renouveau à cet art délicat. Sur un verre blanc, ou, ce qui vaut mieux, légèrement teinté, ils ont disposé, avec un goût charmant, des traits d'or mêlés d'émaux translucides ou opaques; et ces belles pièces témoignent non seulement d'une louable érudition, qui les a fait confondre parfois avec des produits fort an- 80 LA VERRERIE ciens, mais d'un sentiment décoratif extrêmement remar- quable, et assez élevé pour qu'on leur ait ouvert les portes de nos musées. On en peut dire autant de la restitution de ces verres chrétiens dont l'apparition à l'Exposition de 1878 fît si grand bruit, et dont M. Salviati, de Murano, tira profit et honneur. Ces calices, ces coupes qui nous montrent des dessins émaillés sur une feuille d'or, enfermés dans l'épaisseur de la matière vitreuse, témoignent, ainsi que le reconnaissait justement M. Didron d'une habileté surprenante. Mais le procédé par lequel ces décorations sont obtenues, consigné dans le livre du moine Théophile, avait été, depuis trente ans, décrit à nouveau par M. Pelouze avec toute la clarté désii'able Qu'il s'agisse d'une peinture ou d'une dorure à insérer dans l'intérieur d'une masse vitreuse, on opère, en effet, de la même façon. On peint le sujet qu'on veut représenter sur une feuille de verre et, la peinture achevée, on place cette feuille sur une brique bien polie, lorsque c'est une surface plane, ou sur un mandrin en terre réfractaire, si c'est un vase creux que l'on entend décorer. Puis on ap- plique sur ce verre peint un autre verre qui recouvre exac- tement le premier, et on le charge de briquettes destinées à maintenir le contact. Ces dispositions prises, on place le tout dans un fourneau; on donne une chauffe en surveil- lant très exactement le ramollissement progressif du Aberre et en arrêtant celui-ci dès qu'une chaleur assez intense a pu souder les deux surfaces. Après le refroidissement, celles-ci, faisant corps ensem- ble, ne constituent plus qu'un seul morceau, et le dessin placé à l'intérieur paraît faire partie de la masse vitreuse, surtout lorsqu'on a repoli celle-ci; car l'épiderme du verre, 1. Rapport du jury international, 1878, p. 17. 2. Voir Nouveau Manueldu verrier, par Julia de Fontanelle et F. Mal- peyre, t. 11, p. 39. I LA YERRERJE 81 en passant par le fourneau, perd toujours de son éclat pri- mitif. Si ces intéressantes restitutions ne peuvent être consi- dérées comme de réelles découvertes, il n'en est pas de même de Vaventurine factice et des cerres filígrane's. La fa- brication de l'aventurine par grandes masses constitua. Fig. 40. — Coupe en verre filigrane. (Fabrication vénitienne, xvi" siècle.) au XVI® siècle, un véritable secret, qui enrichit un petit nombre de verriers de Murano. Ce secret, n'ayant jamais été divulgué au dehors, se perdit quand les verreries véni- tiennes éteignirent successivement leurs fours. Aussi a-t-il fallu les curieuses analyses de MM. Wœhler et Barreswil, les essais de laboratoire de MM. Frémy et Glémandot, pour déterminer la natui'e de cette curieuse composition, et l'expérience ainsi que le profond savoir de M. Monot pour que celui-ci pût, dans son usine de Pantin, fabriquer par grandes masses cette riche matière. 6 82 LA VERRERIE De même, la façon dont les verres filigranés sont fabri- qués était tout à fait oubliée quand un verrier non moins expérimenté, M. Bontemps, de Choisy-le-Roi, arriva, à force d'essais, de tâtonnements, et ajoutons d'ingéniosité, à l'estituer ces délicats ouvrages, qui constituent peut-être ce que l'industrie verrière a produit de plus étonnant. M. Bon- temps fît mieux encore. Il livra généreusement au public le résultat de ses recherches ^ Personne n'ignore qu'on désigne sous ce nom de verres fîligi'anés, desvex'res à l'intérieur desquels une multitude de filets alternativement incolores ou colorés, transparents ou opaques, s'enlacent en traçant des dessins plus ou moins réguliers, mais toujours agréables. Ces filets sont formés d'une façon singulière. Ils sont composés à l'aide de ba- guettes de couleur ou d'opacité différentes, fabriquées sé- parément, ensuite juxtaposées, puis réunies par la chaleur du four de travail, et soufflées comme une masse de verre unique. Pour cela on les dispose, suivant le dessin qu'on veut obtenir, dans un moule cylindrique (voir fig. 41 et 42), de manière qu'elles en garnissent la paroi circulaire; puis on les passe au four, non pas jusqu'à les ramollir, mais de manière qu'elles puissent être impunément ton- chées par le verre chaud. Cela fait, avec une canne on enlève une petite cueillée de cristal transparent et incolore, et, après lui avoir donné à peu près la forme du moule, on la chauffe fortement; on l'introduit dans le moule et l'on souffle de façon à presser la matière incandescente contre les baguettes. Celles-ci, sous l'action de la chaleur, se sou- dent à la masse, de telle sorte que lorsque le verrier retire sa canne, ces baguettes font corps avec la partie vitreuse c[u'il a introduite dans le moule. Ce premier point acquis, on fait chaufferie tout de manière 1. Cette publication fut faite dans le Bulletin de la Société d eneou- ragement, t. XLIY, 183. On trouvera également une p. longue descrip- tion des procédés retrouvés par M. Bontemps dans le beau livre de M. Labarte, les Arts industriels au moyen âge. LA VERRERIE 83 à rendre l'adhérence complète; on marbre pour unifier la masse, et on travaille ensuite cette paraison comme une poste ordinaire, lui donnant la forme que l'on désire par le soufflage et par les autres moyens que nous avons décrits plus haut. Le résultat de cette opération assez compliquée est à la fois singulier et charmant. Les baguettes aplaties exté- rieurement et intérieurement forment des dessins filigranés régulièrement parallèles. Si l'on a étiré le verre tout droit, Fig. 41 et 42. — Baguettes disposées pour le filigrane. les lignes, conservant la disposition occupée par les ba- guettes, restent longitudinales. Si, une fois les baguettes soudées à la masse, on imprime à celle-ci un mouvement de rotation, en ayant soin de retenir l'extrémité inférieure avec les fers, les lignes, obéissant à ce mouvement de torsion, forment des spirales plus ou moins accentuées, dont les combinaisons peuvent vaifier à l'infini, et qui communi- quent, à la pièce achevée par les moyens ordinaires, un aspect à la fois étrange et charmant. 11 nous reste maintenant à expliquer comment on fabri- que les baguettes qui sei^vent à faire les verres filigranés. On commence par faire un filet simple de verre opaque ou coloré. Pour cela, le verrier cueille au bout de sa canne environ 200 gr. de matière; il marbre ce verre et lui donne 84 LA VERRERIE ainsi une forme cylindrique; il le laisse un peu refroidir, puis il le plonge dans un creuset contenant du verre inco- lore en fusion, et l'habille ainsi d'une chemise d'environ un demi-centimètre d'épaisseur. Il égalise le tout en marbrant de nouveau, puis, après une forte chaulTe, il applique un pontll garni de verre chaud à l'extrémité opposée de la canne, et, comme nous l'avons vu faire pour les tubes, il élire le verre jusqu'à ce que la colonne ainsi formée soit arrivée au diamètre voulu, lequel comporte généralement de 0™,004 à 0'",006. Ensuite il divise cette tirée en portions de longueur convenable pour l'usage qu'il veut en faire, et c'est ainsi que les baguettes simples sont obtenues; car nous devons ajouter que le verrier, amoureux des diffîcul- tés et des tours de force, peut compliquer singulièrement cette fabrication déjà fort délicate. > Au lieu de nuancer son travail avec des baguettes pré- sentant un fdet droit, il peut se servir, en effet, de baguet- tes dont le filet décrit une spirale et même une double spirale qui, plus tard, aplaties par le marhrage, formeront dans l'épaisseur du verre un réseau de losanges plus ou moins serrés. Pour cela, il suffit de placer dans un petit moule des ba- guettes à filet droit, alternant avec des baguettes incolores ; puis, comme nous l'avons indiqué, de former avec ces ba- guettes et du verre en fusion un cylindre qui, chauffé, marbré et chauffé de nouveau, est, au lieu d'être soufflé, étiré avec des pinces pendant que la canne posée sur les barclelles est animée d'un mouvement de rotation. De la sorte, les fils intérieurs forment les spirales voulues, et ce travail très cuideux peut, suivant les caprices et la fantaisie de l'artiste qui l'exécute, donner naissance aux combinai- sons les plus surprenantes et les plus variées. Toutes ces opérations, pour ingénieuses qu'elles soient, n'dnt et ne peuvent avoir qu'un caractère exceptionnel. Ce sont de véritables tours de force. Dans ce même genre. LA VERRERIE 85 toutefois, d'autres ouvrages, d'une application plus courante, sont également dignes d'intérêt. Nous voulons parler de la fabrication de ces pièces formées de couches superposées et diversement colorées, dont les verreries de Bohême offrent le type sinon le plus remarquable, du moins le plus connu. Il n'est aucun de nos lecteurs qui n'ait vu et même tenu en ses mains quelqu'un de ces objets en cristal taillé, dont il a été fait mention dans un précédent chapitre, et dont la matière, blanche à l'intérieur et colorée extérieurement en un rouge grenat ou en un bleu saphir d'une richesse un peu Fig. 43 à 45. — Baguettes filigranées en spirales et en losanges. sombre, a été incisée de dessins représentant des animaux, des chasseurs, des arbres, etc. Après ce que nous venons de dire, il n'est pas très difficile de démêler comment cette superposition de couches diversement colorées est obtenue. Le verrier charge sa canne d'une quantité de verre in- colore correspondant comme poids à la taille de l'ouvrage qu'il veut exécuter. Après l'avoir légèrement soufflée et marbrée, afin qu'elle prenne par le refroidissement une certaine consistance, il plonge cette poste dans un creuset contenant du verre coloré. Quand il juge qu'une épaisseur suffisante de ce dernier s'est attachée à la masse primitive, illa retire, souffle de nouveau, façonne, achève son travail, et possède ainsi une pièce qui intérieurement est en 86 LA VERRERIE verre incolore et extérieurement en verre coloré. Si, au lieu d'un verre coloré d'un seul côté, il voulait obtenir une pièce de deux couleurs, comme cela se fait pour certains abat- jour qui, blancs ou opalins à l'intérieur, sont extérieure- ment bleus, rouges, jaunes ou vert céladon, il procéderait de même, mais en ayant recours à deux potées de verres de teintes différentes. Ajoutons que dans les grandes verreries où la fabrica- tion de ces articles est courante, pour faciliter le ti-avail on prépare d'avance et on emmagasine un certain nombre de petits- cylindres de matière, appelés boulots. Ces boulots correspondent comme volume aux dimensions que revêtira la couche intérieure de la pièce. Quand on veut exécuter quelques-unes de celles-ci, on prend au magasin la quan- tité de boulots nécessaires, puis le verrier les fixe successi- vement à l'extrémité de sa canne, les approche de l'ouvreau, les ramollit à la chaleur du four, les plonge ensuite dans une potée de verre autrement coloré, les charge ainsi d'une chemise, et conduit le reste de son travail comme il a été dit plus haut. Mais pour que ces diverses opérations puissent s'accom- plir sans accident, une condition essentielle est à remplir. 11 est indispensable que les deux verres cordent, — exprès- sion adoptée par les gens du métier pour signifier que les deux masses vitreuses, destinées à s'habiller réciproque- ment, doivent être de môme composition, ou du moins qu'au double point de Ame de la dilatation et de la rétraction elles doivent s'accorder exactement. — Sans cette condition très difficile à remplir, et qui exige, dans la composition des différents verres, des soins exceptionnels et une expérience consommée, il se pimduirait des malfaçons analogues,à ce que dans la Céramique on nomme des tressaillures h Et même ces sortes d'accidents, ici, seraient plus graves, parce 1. Voir Céramique^ t. I""-, p. 47. LA VERRERIE 87 que les fêlures, ne s'arrétant pas à la couverte, traverse- raient la paroi dans toute son épaisseur. Fig. 46. — Petite eoupeea verre liligrané. (Fabrication vénitienne, xvi° siècle.) Constatation intéressante, et qui montre combien les di- vers Arts de l'Ameublement présentent de concordance dans leurs procédés de décoration : à l'instar de ce qui s'est produit dans la fabrication des porcelaines, les verriers 88 LA VERRERIE ont eu l'idée, eux aussi, d'utiliser ces défauts qu'on appelle des craquelures. On a confectionné, en effet, dans ces années dernières, des brocs à eau et surtout des carafes à rafraî- chir, en cristal assez épais qui, plongé brusquement et alors qu'il est à peine solidifié, dans l'eau froide, se con- tracte si rapidement qu'il se fendille et présente, grâce à ces craquelures, une demi-opacité. L'aspect très particulier que revêtent les pièces ainsi fa- çonnées peut s'obtenir aussi, et d'une façon plus régulière, par un autre procédé. On réduit en une infinité de petits fragments des déchets de cristal, soit en les passant au pilon, soit par tout autre moyen, et quand la pièce qu'on exécute est à peu près achevée, — mais avant qu'elle soit refroidie et alors que la surface du verre est encore malléable, — on en saupoudre le corps avec ces fragments, qui se collent sur les parois, s'y fixent, y adhèrent, et qui, repassés au feu, perdent, grâce à une forte recuisson, le tranchant de leurs arêtes, mais conservent le gi^enu de leurs cassures, lequel forme à leur surface comme un nuage giûs et opaque. Ce procédé, faut-il l'ajouter, est, comme tous les autres, sujet à perfection, et l'on a pu admirer à l'Exposition de 1878 des cracquelés métallisés obtenus par des flammes ré- ductrices, qui faisaient le plus grand honneur à l'ingénio- sité et à l'habileté de MM. Monot et Stumpf, les directeurs de la cristallerie de Pantin. Telles sont, décrites aussi sommairement que possible, les diverses façons généralement employées pour décorer le verre, et notamment la gobeleterie. LA RECUISSON DU VERRE. LES LARMES BATAVIQUES. LES ARCHES A RECUIRE. LE VERRE TREMPE. Le verre, nous l'avons constaté dès les premières pages de cette étude, est, par sa nature même, si facile à rompre, que depuis deux mille ans il i est considéré comme l'em- blême au par excellence de la fragilité. Mais lorsque, lieu de le laisser se refroidir lentement et progressivement, on précipite son refroidissement, il devient alors tellement XI cassant qu'il ne peut plus servir à aucun usage. La démons- tration de cette particularité peut être établie d'une façon péremptoire par une amusante expérience. Nous voulons parler de la confection des larmes bataviques. On donne le nom de larmes bataviques ou gouttes du prince Robert^ (d'après le nom de leur prétendu inventeur) à des parcelles de verre en fusion qu'on laisse tomber dans , de l'eiiu très froide. Ces parcelles prennent, en traversant le liquide, l'aspect de grosses larmes se terminant en pointe. Et quand elles sont retirées de l'eau, il suffit de rompre cette pointe pour que la lai^me, éclatant avec une violence très caractéristique, se trouve réduite en poussière. Cette singularité a été expliquée d'une façon plausible divers savants, et notamment par M. Beudant^. Elle par résulte de ce fait la partie extérieure d'une masse vi- que treuse, lorsqu'elle se refroidit trop brusquement, se modèle, en se solidifiant, sur le développement que présentent les parties intérieures de cette masse. Or ces parties, étant 1. On les a nommées aussi Larmes de Hollande. Un sieur Hubin s'é- lait fait, xvii" siècle, xme certaine réputation pour la fabrication de au larmes. Spon en parle en 1673. Voir aussi le Livre commode de 1692. ces 2. Nouveau Manuel du verrier, p. 220. 90 LA VERRERIE encore molles et très dilatées au moment où s'opère la so- lidification extérieure, tiennent une place sensiblement plus grande que l'espace qu'elles occuperaient normalement, si un refroidissement progressif, pénétrant leurs molécules intérieures, avait permis à celles-ci de diminuer régulière- ment de volume. Aussi, lorsque le refroidissement les gagne à leur tour, se trouvant immobilisées par la croûte solide qui les enveloppe et qui détermine l'espace qu'elles doi- vent remplir, elles ne peuvent se resserrer comme il fan- drait. Il se produit alors dans la masse une désagréga- tion qui ne manque pas de se manifester au dehors dès que, pour une cause quelconque, l'enveloppe extérieure cesse de maintenir les molécules. Une autre expérience plus récente, moins célèbre, mais non moins curieuse, va nous fournir une nouvelle démons- tration de cette singulière propriété du verre vivement re- froidi. Nous demandons à un verrier d'exécuter sous nos yeux un gobelet et d'en tenir le fond aussi épais que pos- sible. A peine ce gobelet a-t-il reçu sa forme, que nous plongeons brusquement son fond dans l'eau froide. Eh bien ! pour le réduire en poudre, il suffira de laisser tom- ber sur le fond de ce gobelet un caillou pointu ou un mor- ceau de verre. Mais si, au lieu de procéder à ces expériences destruc- tives, nous faisons recuire ce gobelet, et que nous le lais- sions refroidir lentement, sa contexture vitreuse rede- viendra homogène, et il ne sera pas plus cassant que le verre ordinaire. Cette constatation démontre la nécessité de donner au verre une recuisson raisonnée, et de ne jamais le soumettre qu'à un refroidissement progressif. La recuisson a lieu dans un four spécial, voûté en forme de tunnel très allongé, et qui porte le nom à'arche. Jadis Varche était une dépendance, une annexe du fourneau de cuisson. On utilisait pour la chauffer l'excédent de calo- rique que ce fourneau laisse sans emploi. Mais ce mode de LA VERRERIE 91 chauffage, s'il était économique, manquait de régularité, et dès lors, le refroidissement n'étant pas toujours convena- blement gradué, le retrait s'opérait sans peimaettre aux molécules de prendre l'arrangement qui leur est pimpre. De là venait cette extrême fragilité de certains verres, qu'un Fig. 47. — L'arche de rocuissoii. changement de température suffisait pour faire tomber en morceaux, et qui volaient en éclats dès qu'on voulait les graver au touret ou les tailler à la meule. Aujourd'hui, dans les grandes verreiûes et dans les cris- talleries importantes, les arches de recuisson constituent des fours séparés, munis de leur mode de chauffage propre. Elles consistent en un très long couloir, qu'un petit train de wagonnets en tôle épaisse traverse dans toute sa Ion- gueur. Aussitôt la pièce sortie des mains de l'ouvrier, un gamin, qu'on désigne sous le nom de porteur cc l'arche, in- troduit dans son goulot soit une baguette de bois, soit une 92 LA VERRERIE tringle de fer, et, la portant au bout de sa tringle ou de sa baguette, va déposer sa pièce dans le wagonnet le plus voisin de la bouche du four. Lorsque ce wagonnet est plein, on le pousse ; un autre le remplace, et le train avance de la sorte, soumis à une chaleur d'autant moins élevée qu'il s'é- loigne davantage, et qui, pai^tant de 300 à 400 degrés, ne présente plus à l'autre extrémité de l'arche qu'une tempé- rature de 25 à 30 degrés. Quand le chargement est par- venu à destination, le wagonnet est vidé. Les pièces qu'on en tire sont logées dans des paniers et portées au magasin, et le wagonnet va reprendre sa place à la queue du train, qui continue toujours d'avancer dans le tunnel de l'arche L L'amélioration qu'on obtient dans la solidification du verre par une recuisson intelligente n'est pas telle, ce- ¡rendant, que cette matière puisse supporter des secousses bien fortes ; aussi s'est-on appliqué à donner aux matières vitreuses un surcroît de dureté et de résistance, soit en opérant leur refroidissement sous pression (procédé Sic- mens), soit par le trempage (procédé de La Bastie). Cette dernière découverte, bien qu'elle n'ait pas encore donné tous les résultats qu'on est en droit d'en attendre, fait d'autantplus d'honneur à l'industrie française que l'applica- tion en est facile et finira — surtout pour la gobeleterie — par se généraliser. Le bain de trempe imaginé par M. de La Bastie est obtenu par la fonte de graisses de boucherie épu rées et maintenues à une température qui varie entre 60 et 100 degrés. Les pièces achevées sont présentées à l'ouvreau, soumises à une forte chauffe, puis apportées au-dessus du bain et, par un coup sec, détachées de la canne. La pièce tombe alors dans la graisse, où elle plonge en sifilant; une autre lui succède, et l'immersion continue ainsi 1. Pour les pièces de très grandes dimensions, cette recuisson serait insuffisante; aussi les enferme-t-on dans des arches fixes, qu'on chaufTe fortement, qu'on ferme dès qu'elles sont garnies, et qu'on laisse refroidir ensuite lentement, comme les fours de céramique. LA YEURERIL 93 jusqu'à ce que la cuve soit remplie. Lorsqu'un temps suffi- sant s'est écoulé, on vide le bain; on fait égoutter les pièces; on les porte dans une étuve, dont la chaleur fait disparaître en partie l'enveloppe graisseuse qui les recou- vre ; puis on les passe dans un bain de soude caustique, et un idnçage à l'eau tiède achève de les nettoyer. Trempés par ce procédé si simple, et d'une application si facile, les objets de verre et de cristal deviennent d'une solidité et d'une dureté qui leur permettent de résister à des secousses violentes. Alors qu'une feuille de verre à vitre ordinaire de 0™,006 d'épaisseur est brisée par le choc que produit un poids de 100 gr. tombant d'une hauteur de 0'",80, une feuille de verre trempé de 0"',003 résiste au choc de ce même poids tombant de 5 mètres de hauteur. En outre, un gobelet à pied, une carafe, un flacon en cristal convenablement trempés, jetés brusquement sur le sol, ne se brisent pàs. Ils rebondissent en produisant un son métallique. Enfin ce verre peut être exposé à de grandes variations de température. Le seul inconvénient que le cristal ainsi trempé présente, c'est qu'il ne peut être taillé. Il supporte seulement une gravure très légère. Dès qu'on entame fortement son épiderme, le charme est rompu ; il éclate à la façon des larmes hataviques, et tombe en mor- ceaux. LE COULAGE DES GLACES « Je ne crois pas qu'il existe dans l'ensemble merveilleux de tous les procédés industriels une opération plus éton- nante, » écrit M. Augustin Cochin, en parlant du coulage des glaces C Nous demeurons d'accord avec le savant écri- vain que nulle opération ne réclame à la fois plus de force, d'adresse, de courage, et nous ajouterons de décision; mais le mot étonnant n'est point ici à sa place ; c'est imprès- síonnant qu'il faut dire. XII L'idée seule du soufflage du verre, dont nous avons dé- crit, dans nos précédents chapitres, les multiples applica- tions, est autrement faite pour surprendre et pour étonner, que le coulage des glaces de miroir, auquel on peut trouver plus d'un point de ressemblance avec la fonte des métaux. Le soufflage, par contre, est loin de produire une impides- sion aussi grandiose, aussi terrifiante, et qui laisse de la puissance de l'homme un sentiment aussi élevé. Lorsqu'on pénètre dans les vastes ateliers d'une de nos grandes manufactures de glaces, — ceux de Saint-Gohain par exemple, où l'on a réalisé en moins d'un siècle la plu- part des progrès qui ont jiorté si haut cette noble industrie, — on est de suite frappé par l'aspect majestueux de ces halls noirs, enfumés, où le jour pénètre timidement et dont le silence serait absolu sans un sourd ronflement de fournaise, qu'entretient jour et nuit un feu violent, mais captif. Les ouvriers demi-nus qu'on aperçoit immobiles, muets et diversement groupés, ont l'air de soldats qui se reposent dans l'attente d'une bataille décisive, et dès 1. La Manufacture des glaces de Saint-Gobain, p. 72. LA VERRERIE 95 l'abord, on a comme un pressentiment des choses extraor- dinaires qui vont s'accomplir. Mais le contremaître qui surveille les fours a constaté, par le pigeonnier ^ entr'ouvei't, que le mélange contenu dans les creusets est en pleine fusion. Un coup de sifflet strident traverse le hall. En un clin d'œil vingt hommes vigoureux, aux épaules robustes, aux bras solidement mus- clés, ont occupé la place qui leur est assignée, etlamanœu- vre commence avec une rapidité et une sûreté d'exécution incomparables. Un fourneau est ouvert. Le pot rempli de lave en fusion et incandescent lui-même est tiré dehors. Saisi par les pinces d'un énorme levier, il est placé sur un chariot ou enlevé en l'air, et suspendu à une voie aérienne que sou- tient la charpente du hall. Il est ainsi entraîné à l'au- tre bout de la pièce, et conduit, avec une effrayante rapi- dité, au-dessus de la table de fonte qui doit recevoir son contenu. A peine arrivé à destination, un nouveau signal retentit. Le creuset s'incline ; la lave brûlante, éblouissante de clarté,-faisant rayonner autour d'elle une chaleur intense, s'échappe du vase, tombe en cascade sur la dalle de fonte, oû, souple et ductile, elle s'étend comme une vague aveu- glante. Aussitôt qu'elle a couvert la table, un énorme rouleau se met en marche, écrasant la matière, la refoulant devant lui jusqu'aux extrémités de la vaste dalle, lui donnant par- tout une épaisseur égale, pendant que, d'une main alerte, le regarcleur écréme, avec une extraordinaire hardiesse, les parties mal liquéfiées qui pourraient produire des défauts. Puis, arrivé au bout de sa course, le rouleau s'élève. La glace qui, au contact de l'air tiède, a pris une certaine con- 1. On donne ce nom ù une ouverture qui permet de voir ù l'intc- rieur des fours. 96 LA VERRERIE sistance, commence à présentei' une surface suffisamment rigide pour pouvoir être maniée. Les vingt ouvriers, munis de longues pelles, la soulèvent doucement et la poussent avec précaution dans une fournaise nouvelle, la carcaise, où une recuisson destinée à la rendre moins cassante sera suivie d'un refroidissement lent et pi'ogressif. La carcaise refermée, l'équipe ne perd pas une minute. Elle retourne aux fourneaux, saisit un nouveau creuset, et recommence l'opération autant de fois qu'il y a de potées préparées. Puis, quand toute la matière en fusion a été employée, les creusets sont regarnis. On les replace dans les fours, dont on clôt les portes. Le grand hall, un instant auparavant éclairé par des lueurs infernales, redevient noir et sombre; et le silence se refait, troublé seulement par le ronflement sourd et continu de la fournaise. Les glaces passent environ trois jours dans la carcaise. Quand elles sont complètement refroidies, on procède au défournement. Celui-ci s'opère avec une tranquillité et des précautions qui contrastent singulièrement avec l'activité très méthodique, mais passablement enfiévrée, qui avait présidé au coulage. Sans s'aider d'autres appareils que de coui-roies, une dizaine d'ouvriers tirent de la carcaise et dressent ces énormes surfaces d'une fragilité proverbiale. Puis, marchant d'un pas cadencé, ils les portent jusqu'à un grand chevalet nommé le pupitre, qui, monté sur des rails, les conduira à l'atelier d'équarrissage. Là elles seront sévè- rement examinées, distribuées, équarries, coupées en mor- ceaux de taille courante; après quoi ces morceaux, classés d'après leurs dimensions et leur netteté, seront répartis en- tre les différents ateliers chargés d'achevei' le travail. Il faut, en effet, pour que la glace réponde à toutes les exigences, que son cristal devienne d'une transparence irré- procbable; car, devant réfléchir la lumière, il importe que les rayons de celle-ci ne soient arrêtés ou dispersés par LA VERRERIE 97 aucun défaut extérieui" ou intéiûeur. Il est indispensable, en outre, pour que les images apparaissent avec toute la netteté désii^able et sans déformations, que la planimétrie soit d'une rectitude mathématique, et que le poli soit parfait. Pour obtenir ces multiples résultats, on commence par dégrossir les deux surfaces avec une ferrasse munie de sable. Puis on les reprend l'une après l'autre à l'émeri, et on les doucit en les frottant contre une autre glace fixe. Après quoi, on les savonne et finalement on les polit en les frottant avec des feutres garnis de potée. Jadis ces diverses opérations s'exécutaient à la main, et nous verrons dans la partie histoxdque de ce manuel ^ que cette condition en limitait singulièrement l'étendue. Aujour- d'hui elles ont lieu à l'aide d'appareils assez compliqués, mis en mouvement par la vapeur ou par une force hydrau- lique. Grâce à eux on peut non seulement lever la glace, l'examiner, la réparer, la travailler, l'achever, la revoir à nouveau et la conduire, quand elle a atteint son point de perfection, au magasin où elle attendra qu'on la prenne pour être étamée et livrée au commerce, mais ils permettent en- core d'exécuter des miroirs d'une étendue en quelque sorte illimitée et d'un prix dérisoire, si on le compare à ce que coûtaient les anciennes glaces, si défectueuses à tant d'é- gards. Pour achever de donner aux miroirs leur pouvoir réflec- teur, on les étame. Cet étamage s'obtenait jadis de la façon suivante : « Sur une table inclinée et entourée de rigoles, on étalait la feuille d'étain bien nettoyée, sur laquelle on versait le mercure. Poussée bien droit par une main légère et rapide, la glace chassait elle-même l'excès de métal, et le mercure pris entre deux s'étendait, adhérait et s'amal- gamait en quelques minutes. Mais pendant près de huit jours il fallait que la glace séchât sous des poids lourds I. Voii- chap. YIII delà seconde partie. 98 LA YERRERIE qui achevaient de fixer le tain, et cette perte de temps cons- tituait un inconvénient^. » Ce n'était pas le seul, au surplus, que présentait ce pro- cédé, dont le principal avantage résidait dans la remar- quable simplicité de son application. Tout d'abord il était fort coûteux. Le mercure, en effet, est d'un prix élevé, et la préparation de l'étain, qu'il faut battre et laminer, est longue et difficile; mais, défaut plus grave, les vapeurs mercurielles qui se dégagent au cours de l'opération sont éminemment toxiques et particulièrement dangereuses pour la santé des ouvriers. Aussi les recherches des savants se sont-elles portées de ce côté, et, grâce à plusieurs décou- vertes assez récentes, on a recours, de nos jours, à des procédés moins nocifs. La première, comme date, de ces découvertes est celle de Liebeg, qui, en 1835, parvint, en échauffant de l'aldéhyde^ avec de l'oxyde d'argent, à recouvrir d'une couche métal- lique et brillante une lame de verre. Mais l'aldéhyde est assez difficile à obtenir et revient également à un prix élevé. Aussi dut-on chercher un moyen moins coûteux, par l'em- ploi de matières réductrices moins chères. A la suite de longues expériences poursuivies dans ce but, M. Petitjean découvrit, en 1855, que l'étamage des glaces pouvait être ob- tenu en plaçant en présence de l'acide tartrique, du nitrate d'argent et de l'ammoniaque. Rien de plus curieux que la mise en œuvre de ce nouveau pi'océdé, aujourd'hui couram- ment employé. Deux liquides limpides et absolument inco- lores, qu'on prendrait pour de l'eau pure, sont versés sur la glace que l'on veut étamer, et quelques minutes se sont à peine écoulées, que l'argent apparaît et forme une couche qui recouvre bientôt toute la surface. Ajoutons que ce nou- vel étamage, en usage dans les plus grandes manufactures 1. Augustin Cochin, la Manufacture des glaces de Saíni -GobaiUy p. 81. 2. rs'oni donné à l'alcool déshydrogéné. LA VERRERIE 99 de glaces, offre le double avantage, non seulement d'être exempt de tout danger dans son application, mais encore d'être fort rapide^. On pourrait donc le déclarer parfait, s'il ne présentait un inconvénient assez grave. Le tain ainsi obtenu est sujet à s'oxyder et à se couvrir de taches : ce qui n'existait pas avec l'ancien étamage, non plus qu'avec l'amalgame de mer- cure et d'argent plus récemment mis en pratique par M. Lenoir. Pour les piûx de revient des glaces et des miroirs, aussi bien que pour tout ce qui regarde l'importance actuelle de leur fabrication, nous prions le lecteur de vouloir bien consulter le chapitre VIII de notre seconde partie, spé- cialement consacrée à VJiistoire de la verrerie, dont nous allons essayer, dès que nous aurons parlé de la peinture sur verre et de la mise en plomb des vitraux, de retracer au moins les grandes lignes. 1. « Quand on argentera les glaces, écrivait il y a vingt ans M. Au- gustin Cochin, elles pourront être entièrement fabriquées et livrées au bout de_six jovirs et demi, au lieu de dix-liuit jours et un quart. » LES VITRAUX. LA PEINTURE SUR VERRE Une des professions les plus artistiques qui mettent le verre en œuvre est celle des fabricants de vitraux. Bien que cet art et la peinture sur verre, qui en est le complément naturel, sortent un peu du cadre que nous nous sommes tracé, nous croyons bien faire cependant en leur consacrant ce dernier chapitre. 11 suffit d'avoir contemplé avec soin une verrière ^ pour se rendre un compte assez exact de la façon dont ces sortes XIII de clôtures transparentes sont ordinairement confection- nées. Elles se composent de fragments de vitres de dimen- sions variées, diversement colorées, découpées suivant un dessin préalablement arrêté, et de manière que les pièces s'emboîtent exactement les unes dans les autres. Puis ces morceaux, réunis comme on pourrait faire pour un jeu de patience, sont fixés, au moyen d'un sertissage, dans un ré- seau formé par des bandes de plomb à double rainure. Ce genre de travail, on le voit, n'est pas sans offrir quelques traits de ressemblance avec la mosaïque; et à ses débuts, alors qu'il était encore à l'état rudimentaire, le vitrail a été comparé par quelques écrivains spéciaux à une véritable mosaïque de verre. Par la suite, au lieu de se bor- ner à exécuter une brillante marqueterie, les verriers se sontavisés de représenter les sujets les plus variés et même des scènes très compliquées, mettant en action un nombre 1. Du xvi" au xvii' siècle, le mot verrière, que nous emploierons souvent au cours de cet article, a été à peu près uniquement en usage nou seulement pour désigner les fenêtres vitrées, mais aussi avec la signification de vitrail, seul terme dont on se serve aujourd'hui pour caractériser les oeuvres du peintre verrier. LA VERRERIE 101 assez considérable de personnages, et alors on a pu dire des verrières qu'elles étaient « des tapisseries transparentes ^ ». Mais, comme ces personnages et les accessoires dont ils sont entourés exigent un certain modelé, on fut naturelle- ment amené à nuancer les teintes plates des verres. Ce ré- sultat fut obtenu à l'aide d'émaux translucides, appliqués sous forme de traits ou de hachures, puis incorporés par un feu doux à la surface de la vitre. Plus tard, ce genre de peinture prenant un développement inattendu, on en vint, par suite des progrès de l'industrie, à exécuter sur des glaces d'un seul morceau des tableaux véritables, répon- dant, comme les ouvrages à l'huile, aux lois du clair-obscur. Si nous avons rappelé à cette place ces successives trans- formations, ce n'est pas pour retracer même succinctement l'histoire du vitrail : ce serait faire double emploi avec le chapitre que nous consacrons à cette histoire dans la se- conde partie de ce livre ; c'est uniquement pour mieux faire comprendre ce qui va suivre, et permettre à nos jeunes lec- teurs de se faire une idée plus exacte des obligations avec lesquelles les dessinateurs de cartons et les peintres verriers sont tenus de compter, dans l'exécution de leurs œuvres. L'ar-t du vitrail, en effet, est, au point de vue du dessin et de la composition, un art tout spécial, soumis à des règles et comportant une esthétique qui lui sont absolument per- sonnelles. Aussi exige-t-il sinon une éducation partien- lière, du moins des études approfondies, un certain entrai- nement et une connaissance des traditions que la plupart des dessinateurs industriels, et même bien des peintres d'histoire, ne possèdent pas d'une façon suffisante. Le fabricant de vitraux, il est vrai, demande générale- ment deux maquettes à l'artiste qui lui fournit son modèle : 1. « On peut assimiler une verrière rigoureusement décorative à un tapis d'Orient, comme on doit ranger le vitrail de style moins ar- chaïque dans la famille des grandes tapisseries d'origine flamande. » (D idron, Rapport du jury international de 1878, p. 60.) 102 LA VERRERIE l'une à grandeur d'exécution, traitée en grisaille, la seconde beaucoup plus petite, avec des indications de couleurs. Grâce à cette dualité d'épurns, il jouit d'une certaine liberté d'interprétation. Cependant il n'est qu'un traducteur, et dès lors il importe que le sujet qu'on lui donne à trans- porter sur verre, ne soit pas intraduisible. Or, pour que ce résultat soit obtenu, il est indispensable que le peintre se trouve exactement renseigné sur les exigences et les con- ditions du travail dont il va devenir l'inspirateur. La plus lourde erreur que l'artiste puisse commettre, en effet, c'est d'exiger que le peintre verrier reproduise, comme on l'a fait dans la première moitié de ce siècle, un tableau peint à l'huile L II existe entre le tableau et le vitrail un abîme qui ne peut être impunément franchi. Comme l'a fort bien fait remarquer M. Didron^, le pre- mier est ordinairement exécuté pour être placé près de l'œil du spectateur, l'autre pour être contemplé à une dis- tance toujours assez grande. Dans un tableau, l'intérêt doit se concentrer presque entièrement sur un point, et le pein- tre d'histoire ou d'intérieur, afin d'obtenir ce résultat, use, sans hésitation, de divers artifices de composition et de dégradation de la lumière, que le peintre verrier ne peut, en aucun cas, se permettre. Les conditions d'éclairage du tableau, en effet, éléments essentiels de sa beauté, consti- tuent, une fois traduites par la peinture sur verre, autant 1. A diiTérentes reprises on a pu voir dans nos Expositions de ces fâcheux tours de force. Il nous souvient notamment de portraits de Rubens et de Rembrandt exécutés par Maréchal, de Metz, en un clair- obscur très foncé, et dont le modelé, se détachant sur un fond presque noir, comblait de joie les amateurs inexpérimentés. Bien mieux, il y a cinquante ans, lorsqu'on installa à Sèvres un atelier de vitraux, on eut la malencontreuse idée de faire exécuter par des peintres de la Manufacture, divers tableaux conçus dans ces données illogiques, et notamment une Assomption de la Vierge d'après Prudbon. Cette der- nière tentative, malgré le talent dépensé, ne fit que mieux établir l'é- normité de l'erreur commise. 2. Rapport du jury international à l'Exposition universelle. LA VERRERIE 103 de contresens criants. Enfin l'éclairage de la pièce, cjui, en tout état, doit rester une des préoccupations principales du peintre vender, se trouve ainsi subordonné à la dose de clair-obscur que celui-ci répand dans sa composition, ce qui est contraii^e aux règles imprescriptibles de l'art déco- ratif. Une toile, en outre, peut comporter parfois de grands espaces vides. Une verrière, comme une tapisserie, exige, au contraire, que toute sa surface soit également remplie, sans qu'on ait à craindre que le manque d'air et une éga- lité d'intérêt (condamnables dans une peinture oz^dinaire) viennent troubler ici l'œil du spectateur. En second lieu, il impoi'te de ne jamais oublier que, dans une veiudère, la couleur joue un rôle prépondérant. Un 104 LA YERRERIE peintre peut nous intéresser à la beauté, à la pureté d'une forme par quelques lignes et indépendamment de toute co- loration, c'est-à-dire par la plus simple expression de ses qualités intrinsèques. Pareille chose n'est pas au pouvoir du peintre verrier. Gomme le dit excellemment M. Che- vreul, « la variété des couleurs dans les vitraux est si né- cessaire, pour qu'ils produisent le plus grand effet possible, que ceux qui représentent des figures entièrement nues, des édifices, en un mot des objets étendus d'une seule couleur ou peu nuancée, quelle que soit d'ailleurs la perfection de leur exécution sous le rapport du fini et de la vérité de l'imitation, seront d'un effet inférieur à celui des vitraux composés de pièces de couleurs variées et heureusement opposées^. » Un troisième point, qu'il ne faut pas non plus perdre de vue, c'est que l'heureux effet d'une vexuûère ne dépend pas uniquement du bon choix des couleurs et de leur ingénieux rapprochement. L'intensité de la lumière, les conditions dans lesquelles celle-ci vient frapper le vitrail, sont d'une importance capitale. S'agit-il de garnir une large haie ou- verte à la naissance d'une voûte, etdonnant vue directement sur le ciel, le problème est tout autre que s'il s'agit d'une fenêtre ouvrant sur une ruelle obscure ou sur une cour bornée par de hautes bâtisses, qu'on a intérêt à masquer. Le vitrail est donc essentiellement dépendant de la place qu'il doit occuper. C'est cette place qui doit commander, qui doit déterminer ses qualités d'opacité relative ou de transparence. Pour des raisons analogues, il faut toujours se souvenir que les vitraux, étant exécutés généralement pour de très grandes pièces, sont exposés à être considérés (suivant la place occupée par le visiteur) sous des angles très variés. Dès lors, les compositions dont ils sont meublés, quelque Be la Loi du contraste simultané des couleurs, p. 278. LA VERRERIE 105 compliquées qu'elles puissent être, doivent être ramenées, autant que possible, à une unité de plan supprimant les effets de perspective. Et, en effet, du moment que le sujet comporte une perspective un peu compliquée, la parallaxe visuelle risque de produire dans cette perspective des dé- formations assurément imprévues, mais fort désagréables. Au XVI® et au xvii® siècle, certains peintres de vitraux et même des plus réputés, les frères Wouter et Dick Crabetli notamment, auteurs justement admii*és des belles verrières de Gouda, en Hollande, n'ont pas reculé devant ces com- plications dangereuses. Malgré le talent déployé par ces artistes éminents, le résultat obtenu ne laisse pas que d'être médiocrement heureux; et il suffit de comparer les grandes 106 LA VERRERIE ' compositions de Gouda aux vitraux de Sainte-Gudule de Bruxelles, peints par Jean Haeck, ou à ceux de la chapelle de Vincennes, œuvre de J. Cousin , qui, les uns et les au- tres, conservent, dans leurs parties essentielles, une unité de plan remarquable, pour constater la supériorité de ces derniers, — démonstration non équivoque des inconvé- nients que présente l'abus de la perspective. Mais si les scènes compliquées, comportant un grand nombre de plans, ne conviennent pas aux vastes nefs, par contre on peut les utiliser pour les pièces de petites di- mensions, parce qu'elles y sont situées toujours près du regard et à la hauteur de l'œil. Les déformations, dans ce cas, ne sont jdIus à craindre. On peut voir à Saint-Etienne du Mont des vitraux de ce genre exécutés aux premié- res années du xvii® siècle, et qui produisent un agréable effet. Une dernière erreur, enfin, dont il faut se garder avec soin, c'est de simuler dans des vitraux une architecture se raccordant avec celle de l'édifice. L'architecture, en effet, sous peine de ne pas exister, doit être solide. C'est une de ses conditions essentielles. Or comment demander de la solidité à une chose transparente ? sans compter que ces saillies de pieime, représentées généralement en grisaille avec des demi-tons orangés, produisent, ordinairement, une impression triste et monotone. En conséquence, si le des- sinateur se voit obligé — soit par la nature de son sujet, soit pour décorer ses fonds et remplir agréablement les vides qui peuvent exister entre ses personnages— de faire intervenir des parties d'architecture sous forme de mo- numents complets, de façades, de palais, de châteaux, de villes entières, ou même sous l'apparence plus modeste d'arcs, de colonnes, de piliers, etc., il faut que ces parties d'architecture restent clairement indépendantes des gran- des lignes de l'édifice, et que, n'ayant rien de commun avec les encadrements ou les meneaux de pierre qui limitent le 108 LA VERRERIE vitrail, elles conservent un aspect bien franchement con- ventionnel. Quant à l'architecture véritable, aux pieds-droits, aux meneaux, aux formettesqui limitent l'ouvrage et l'encadrent, ou qui le partagent en un certain nombre de panneaux juxtaposés, le dessinateur peut en tirer un excellent parti. D'une part, en effet, ils lui servent de repoussoirs et don- nent par leurs lignes opaques plus de clarté à ses verres peints, et d'autre part, ils lui permettent de diviser sa composition. Or une verrière, à cause de sa fragilité même, demande à n'être pas trop vaste. Dès que sa super- ficie dépasse certaines limites, sous le poids des carreaux et des plombs, elle tend à se déformer, et pour l'empêcher de gauchir il la faut soutenir par une armature de fer. Cette armature, toutefois, est d'autant moins capable de rassurer le spectateur, qu'on s'applique davantage à la dissimuler; aussi son œil et son esprit s'inquiètent-ils for- cément, en présence d'une trop grande étendue de verre que rien ne vient consolider et maintenir. Ajoutons que le sujet gagne, lui aussi, à être morcelé. Comme le remarque fort bien M. de LasteyrieC « une des qualités les plus essentielles de la peinture sur vei-re est la clarté. Il faut que chacun y puisse lire sans peine, et pour cela l'artiste doit par-dessus tout éviter la confusion^. » Il est indispensable, en effet, que, du premier coup d'œil, on soit renseigné sur le sujet traité par le peintre, et sur le ]>arti qu'il a voulu en tirer. Car il est à peu près impos- sible de contempler longtemps un vitrail avec une attention soutenue. La nappe lumineuse qui le traverse, se transmet à notre œil par une série de vibrations qui tendent — sur- 1. Quelques Blots sur la théorie de la peinture sur verre, p. 33. 2. Chevreul s'exprime presque dans les mêmes termes : « Il faut que les vitraux, écrit-il, présentent un dessin très simple, dont les diverses parties, bien circonscrites, peuvent être vues sans confusion à une grande distance. » [Ibid., p. 279.) LA VERRERIE - 109 tout lorsque le spectateur est placé à une certaine distance — à produire une confusion entre les parties voisines. Nous aurons, au surplus, occasion de nous occuper de de cette particularité, quand nous parlerons des nouveau plombs qui sertissent les verres. Étant bien entendu à que le dessinateur doit consei'ver l'œuvre qu'il exécute son caractère propre, et se garder surtout de ces efforts de virtuosité qui consistent à tra- duire péniblement en verrières des tableaux d'un genre qui ne saurait convenir, le choix de son sujet, quand il ne lui est pas imposé par l'architecte ou par le propriétaire, n'en demeure pas moins d'une grande importance. Ce choix est presque toujours déterminé par une cause particulière. Suivant que le vitrail est destiné à un inonu- ment religieux ou à un édifice civil, suivant qu'il doit pren- dre place dans un bâtiment public ou dans une habitation ])rivée, suivant qu'il est isolé ou fait partie d'un ensemble, le motif de décoration varie, naturellement, et aussi la façon de le traduire et de l'interpréter. Mais, quel que soit le sujet choisi, il faut éviter de le présenter sous une forme douloureuse, cruelle, lamen- table. L'art du vitrail, comme celui de la tapisserie^, est, avant tout, un art somptuaire, par conséquent il s'accorde mal avec l'austérité. Surtout dans les habitations privées, les merveilleuses colorations des verrières, les gammes vibrantes de tons brillants qui filtrent à travers ces vitres richement colorées, doivent constituer une joie pour l'œil, avec laquelle détonnerait forcément tout ce qui rappelle nos humaines misères. Pour ces derniers, au surplus, —j'entends pour les vitraux de nos appartements, — les motifs ne man- quent pas. Les armoiries, les chiffres, devises, emblèmes, se détachant sur un jeu de fond; de gracieux et pittores- ques personnages, dans le goût de ces lansquenets et de ces 1. Voir notre volume sur la Tapisserie, p. 48. 110 LA VERRERIE nobles dames, qui meublent les vitraux suisses, de petites scènes formant un cartouche central entouré d'arabesques en grisaille, des vases de fleurs, des guirlandes, des oiseaux aux plumages éclatants, etc., sont autant de motifs dont un dessinateur habile peut tirer un heureux pai'ti. Pour les édifices publics, où les vitraux sont considérés de loin, l'intervention des grandes figures se trouve tout indi- quée. Mais les lois générales que nous venons d'esquisser, ne perdent rien de leur opportunité et de leur valeur. Là encore la somptuosité, la splendeur de ces verres transpa- rents qui prennent, au passage des rayons du soleil, l'éclat du rubis, de la topaze, de l'améthyste, du saphir, qui rap- pellent, en un mot, les gemmes les plus merveilleuses, cette somptuosité , cette splendeur, doivent trouver leur emploi dans la magnificence de la scène représentée et dans son caractère grandiose. A moins de cas tout spéciaux, le sujet choisi doit, encore là, être empreint d'une luxueuse sérénité. Toutefois, cette sérénité, cette joie des yeux, cette somp- tuosité, ne sauraient aller jusqu'à inciter le peintre à don- ner un embonpoint exagéré aux personnages qu'il repré- sente. Ceux-ci au contraire doivent toujours conserver un aspect élancé, voire une certaine maigreur, et cela pour deux raisons : la première, c'est que ces figures sont géné- ralement contemplées en raccourci, et par conséquent ont une tendance à paraître plus trapues qu'elles ne sont en réalité ; la seconde, c'est qu'il semble assez inconvenant que des personnages diaphanes, translucides, jouissent d'un embonpoint par trop matériel. Cette lumière qui les traverse a quelque chose de trop conventionnel pour qu'on songe à leur donner un aspect de réalité trop évidente. Des. formes légèrement éthérées conviennent seules à des figures que l'on voit flotter, en quelque sorte, dans la baie d'une fenêtre. Pour la même raison, il faut se dispenser d'accentuer le LA VERRERIE 111 modelé par l'exagération des ombres. Du reste, ce cpii importe le plus, c'est d'avoir un dessin bien lisible, des gestes simples, de la sobriété dans la façon dont est coupé le costume. Les tons qui plaisent dans un vitrail sont toujours les tons francs. Au contraire, les demi-teintes, les colorations rompues, les nuances intermédiaires, pro- Fig. 52. — Peinture sur verre représentant l'écu de France. duisent généralement un médiocre effet. En outre, il convient d'observer que dans la plupart des vitraux, et surtout dans ceux qui doivent être considérés avec un certain recul, le précieux du modelé, loin de constituer une qualité, nuit à l'effet général. A la distance où se trouve placé le spectateur, non seulement le fini des dé- tails disparaît tout à fait, mais, en se brouillant, il i^end la vision d'ensemble moins distincte. Or, comme le remar- que foiù judicieusement Chevreul, « la première condition que doit remplir tout objet d'art destiné à parler aux yeux. 112 LA VERRERIE est qu'il s'y présente sans confusion et le plus distincte- ment possible^ ». La seule façon logique d'interpréter un sujet, c'est d'en- trer carrément dans la convention. Chercher à créer l'illu- sion, c'est perdre inutilement son temps. A qui fera-t-on croire que ces personnages, ces attributs, ces vases, ces fleurs translucides, sont autre chose qu'une gracieuse et brillante fiction? Enfin, il est encore un point qui doit préoccuper le des- sinateur. Nous voulons parler de la taille de ses person- nages. Cette taille doit être calculée de façon qu'elle fasse valoir les dimensions de la pièce dans laquelle le vitrail se trouve. Et, en effet, ces figures, dont la contemplation s'impose en quelque sorte au visiteur dès son entrée, sont de suite acceptées par lui comme échelle^. Si elles sont trop grandes, la fenêtre paraît relativement petite, et, par la comparaison qui s'établit, les proportions de la pièce se trouvent amoindries. Aussi lorsque la baie qu'on se propose de décorer est très vaste, plutôt que de la meubler défigurés d'une taille exagérée, qui tendraient à diminuer le reste, il ne faut pas hésiter : à l'instar des maîtres ver- riers du xii® et du xiii® siècle, on doit diviser cette baie en un certain nombre de compartiments, comportant des per- sonnages de taille réduite (voirfîg. 53). Pour les verrière^ placées à grande distance du regard, il importe que les figures se détachent bien et prennent toute leur valeur. Pour cela, il est indispensable que les fonds soient d'une certaine simplicité. Les plus beaux vi- traux, comme effet, sont ceux où les personnages s'enlè- vent en couleurs brillantes sur un fond rouge ou bleu très foncé. Ces mosaïques rudirnentaires présentent un éclat incomparable. Parfois, quand le champ occupe une vaste étendue, pour éviter la pauvreté on le damasse ou on le 1. Loco cit., p. 277. , 2. Voir notre volume sur la Décoration, prop. XLIII. LA VERRERIE 113 chai'ge d'un semis de fleurons formant jeu de fond. Cette ornementation, toutefois, ne convient guère 'que pour des figures isolées. Pour celles, au contraire, qui sont reliées par une action commune, on est fata- lement amené à caractériser et à localiser la scène qu'on repré- sente par un fond de décor, vue de ville, paysage, etc. ; mais, dans ce cas, il faut rompre carrément avec les lois de la perspective courante, placer la ligne d'hori- zon très haut, et, en faisant ainsi plafonner la décoration, ne pas hésiter, comme nous l'avons déjà recommandé, à éparpiller Fatten- tion du spectateur par une égalité d'éclat et de valeurs qui, dans la peinture ordinaire, ne serait certainement pas à sa place. L'observation de ces principes offre ce grand avantage de ren- dre moins choquantes les défor- mations dont nous parlons plus haut et qui sont, nous l'avons dit, la conséquence inévitable des différences de point de vue. Du reste, une règle essentielle de la peintui^e sur verre, c'est que les lois générales de la dé- coration dans l'exécu- Fig. 53. — Vitrail de la cathé- trouvent drale de Chartres (xni° siè- tion des vitraux leur application cle) représentant l'Histoire de méthodique. Ainsi, toute surface l'Enfant prodigue. ornée appelle dans son voisinage une surface tranquille qui forme repos. Par conséquent, si les personnages sont revê- 8 114 LA VERRERIE tus de riches costumes damassés, parés de joyaux, chargés de broderies, les fonds doivent être, de préférence, unis et simples. Si les vêtements, au contraire, sont simples et unis, les fonds peuvent, sans trop d'inconvénient, présen- ter une cei'taine richesse. Rarement, en procédant autre- ment, on obtient d'heureux résultats^. En tout état, soit qu'on damasse, soit qu'on enrichisse de brodeides les tissus représentés, encore faut-il que le tout soit fait avec une certaine discrétion. Non seulement on doit éviter de se servir de plombs pour accentuer les contours d'un jeu de fond ou le dessin d'un damas ou d'une brodeide, ce qui donnerait la sensation de trous pratiqués dans l'é- toffe, mais il faut bien se garder de l'échampir ces dessins à l'aide d'une couleur différente, et même d'abuser deshachu- res, des pointillés, dont le fini, inappréciable à la distance où se trouve le spectateur, nuit à la vision distincte de l'ensemble. Si l'emploi des plombs est néfaste quand il s'agit de dé- tacher des motifs ornementaux, leur intervention, indispen- sable pour assurer la solidité du vitrail, est, au contraire, du meilleur effet pour bien marquer la forme d'un objet et le contour d'un personnage, ou les cassures d'une étoffe. Le serti de plomb qui entoure une figure, a pour résultat de bien caractériser la forme de cette figure, d'en accentuer et d'en faire ressortir la silhouette, et, en arrêtant net la lumière, d'empêcher que, sous l'action d'un rayon intense 1. Je sais qu'on peut invoquer un certain nombre d'exemples fameux, qui semblent contredire à cette règle. On citera entre autres les admirables verrières de Brou, qui datent d'une excellente époque et qui se trouvent dans ce cas. Mais il n'en demeure pas moins certain que ce sont là des tours de force dangereux et qui, souvent, portent malheur à ceux qui s'en inspirent. Les fonds unis, nous l'avons déjà dit, ont été d'une pratique constante aux plus bel- les époques ; et quant aux vêtements unis, les plis, les complications si variées des draperies, ajoutés au modelé du corps qu'elles recou- vrcnt et que l'artiste habile laisse toujours deviner, suffisent à rom- pre la monotonie et l'uniformité qu'on redoute. LA VERRERIE 115 de soleil, les contours ne s'embrouillent et ne se perdent dans les surfaces voisines. Les plombs ajoutent donc à la clarté du dessin, et nous avons assez expliqué plus haut, qu'un des premiers mérites des vitraux est que leur dessin soit fermement écrit et facilement visible. L'intervention des plombs dans le vitrail a, en outre, cet heureux effet — la gamme du peintre verrier étant forcé- ment limitée — d'enlever aux tons juxtaposés leur crudité et d'empêcher certains rapprochements d'être aussi désagréa- bles. La juxtaposition de deux couleurs primitives, un rouge et un bleu, qui, placés à côté l'un de l'autre, ne man- queraient pas de produire une sensation dure et par con- séquent déplaisante, gagne à cette séparation de n'être plus, à beaucoup près, aussi choquante. Mais l'emploi de ces sertissures en plomb demande à être réglé avec beaucoup d'intelligence et de soin. En premier lieu, on ne peut faire un utile usage de ces plombs que quand la tonalité générale du vitrail est suffisamment montée. On comprend aisément que des traits noirs se détachant brutalement sur un fond très transparent, pres- ' que diaphane, produiraient une désastreuse impression. En second lieu, le^ plombs doivent souligner la forme sans jamais la contrarier. Il est facile de se rendre compte, par exemple, qu'une bande obscure venant couper un vi- sage et le diviser en deux parties, donnerait naissance à une sensation désagréable. Enfin, il faut que le réseau formé par ces plombs dans l'épaisseur de la verrière, cons- titue, autant que possible, un dessin agréable et plaisant à l'œil. C'est le propre, au surplus, des artistes d'une réelle va- leur de faire servir les nécessités mêmes de leur art à sa ])erfection, et de transformer les obstacles avec lesquels ils doivent compter, en moyens de décoration qui concourent à la beauté de l'ouvrage. Rien ne prouve mieux la vérité de cet axiome que l'emploi des plombs dans le vitrail. 116 LA VERRERIE On sait, en effet, que c'est uniquement à la difficulté de se pi'ocurer de grandes surfaces de verre, qu'il faut attri- buer la fragmentation des verrières anciennes. Il est du moins probable que si les peintres verriers du xii® et du XIII® siècle avaient eu à leur disposition des glaces comme celles couramment obtenues de nos jours, ils n'auraient pas eu l'idée du morcellement, et se seraient efforcés de repré- senter sur des verres d'un seul morceau les scènes dont ils décoraient leurs vitraux. Toutefois, se trouvant dans l'im- possibilité de se procurer de grandes surfaces, ils durent recourir, non seulement pour leurs verrières les plus belles, mais même pour la garniture en verre uni des plus modes- tes fenêtres, à la composition de véritables mosaïques. Et ces mosaïques furent combinées d'une façon tellement in- génieuse, qu'aujourd'hui où les grandes lames de verre sont devenues extrêmement communes, nos vitriers ont encore recours, pour la décoration de certaines baies, audécou- page du verre en fragments réduits et aux combinaisons imaginées par ces grands artistes. Tous les motifs de verrières que nous donnons dans nos figures 54 à 77, empruntés au précieux ouvrage de Le Vieil lapièce carrée, le losange, la borne simple en pièces carrées, la borne simple couchée, le dez ci la table d'attente, le guil- lotin, la façon ci la reine, le chénon debout, le chénon ren- versé, etc., aussi bien que ceux dont est composée la double rose du vitrier, tous ces motifs, vieux de plusieurs siècles, sont devenus classiques et, sous leurs anciens noms ou sous d'autres appellations, sont demeurés d'un constant usage. Dans l'exécution des vitraux peints, le rôle joué par les plombs n'est pas moins important; et, de nécessité techni- que qu'ils étaient dans le principe, ils sont devenus une nécessité artistique en quelque sorte, si bien qu'il semble malaisé de pouvoir s'en passer. Non seulement, quand ils 1. L'Art de la peinture sur verre et de la vitrerie ] Paris, 1754. LA VERRERIE 117 Fig. 54 à 65. — Modèles do mise eu plomb. ÜV, pièces carrées; 35, losanges; 3G, bornes simples; 37, bornes doubles; 38, bornes simples couchées ; 39, bornes doubles couchées; GO, dés à table d'attente; 61, dou- bies bornes et tranchoirs pointus; 62, dés simples ; 63, guillotins; 64, façon de la reine; 63, roses de Lyon. 118 LA VERRERIE sont habilement disposés, ils rendent le dessin plus clair et plus lisible, mais encore, ne. craignons pas de nous ré- péter et d'insister sur ce point, ils empêchent que les vi- brations de la nappe de lumière qui traverse le vitrail et en transmet à notre œil les couleurs, ne mêle ces couleurs de façon à confondre les teintes voisines. Un exemple fera mieux comprendre l'importance de ce dernier avantage. Il y a quelque quarante ans, lorsqu'on répara les vitraux de la collégiale de Saint-Denis, on eut à reproduir'e l'écu de France, d'azur aux fleurs de lis d'or (voir fîg. 52). Dans les vitraux anciens, les fleurs de lis sont faites de verre jaune réchampi de noir et insérées dans un verre bleu, où elles sont maintenues par un serti de plomb. Le verrier chargé du travail de restauration crut bien fame en employant une pièce de verre bleu doublé, dont il enleva la couleur aux places que devaient occuper les fleurs de lis, et qu'il réchampit à ces mêmes places, avec un émail jaune. De près, l'effet était agréable. Mais lorsque le vitrail fut mis à une certaine hauteur, il se produisit ce ])hénomène bizarre que le jaune et le bleu, mélangés sur leurs bords par les vibx^ations lumineuses, donnaient à l'œil la sensation d'un vert assez intense pour que la partie cen- traie prît une teinte rose, couleur complémentaire du vert L Ajoutons que cette intervention des plombs, imposée dans le principe par des exigences purement techniques, offre encore un autre avantage, dont les verriers du xii® et du XIII® siècle surent tirer un parti merveilleux. Elle per- met d'employer dans un même vitrail des verres d'épais- seurs très différentes. Or les tons francs qu'on remarque dans les anciennes verrières, proviennent engrande partie de cette différence d'épaisseur; alors que leur éclat vibrant est parfois le résultat des imperfections mêmes de la fabri- cation ancienne, que nos verres actuels, mieux faits, traités 1. Voir ce que nous disons dans notre volume de la Décoration, prop. LXVlll sur les couleurs complémentaires. LA VERRERIE 119 Fig. CG à 77. — Modèles do mise en plomb. ce, bornes couchées au tranchoir pointu ; G7, bornes couchées à tranchoir et table (l'attente; 68, bâton rompu au tranchoir à liuit pans; 69, chénon debout; 70, ciié- non en losange ; 71, tranchoirs à table d',attente ; 72, bâtons rompus ; 73, tranchoirs à doubles tringlette; 7t, molettes d'éperons; 75, moulinets à tranchoirs évidés; 76, moulinets <á tranclioirs pointus ; 77, moulinets au tranchoir à huit pans. 120 LA VERRERIE avec plus de soin, d'une exécution plus régulière, ne sau- raient remplacer. Ainsi, la perfection même de la production contempo- raine est un obstacle avec lequel nos peintres verriers sont tenus de compter; tant il est vrai que, dans les Arts de Vameublement, la beauté du résultat n'est nullement en rapport avec les progrès réalisés par l'industrie. Si les tons francs, précis, vigoureux, conviennent aux vitraux de grandes dimensions et placés loin du regard, il n'en est pas de même pour ceux qui décorent nos pièces d'habitation et doivent être considérés de près. La percep- tion de puissantes hai-monies réclame, en effet, un recul assez grand. Pour les vitraux proches de l'œil, la finesse d'exécution, la précision et la grâce du détail doivent rem- placer l'ampleur d'aspect. Cela est si vrai que les grisailles, dont l'effet dans les grandes verrières est presque toujours fâcheux, sont employées avec beaucoup de bonheur dans les vitraux d'appartement. La Renaissance nous en fournit la preuve dans cette suite de gracieuses arabesques qui ornaient autrefois les châteaux d'Ecouen et de Chantilly L et dans ces curieuses petites verrières qu'on désigne sous le nom générique de vitraux suisses. Ces vitraux, dont la décoration consiste en d'ingénieux entrelacs ou en lacis combinés d'une façon symétrique, et dont le contour est souligné par un trait noir ou par le plomb lui-même, peuvent être heureusement associés à des cartouches enveloppant de petites scènes, des personna- ges, des armoiries de couleurs vaifiées, dont l'exécution réclame un soin d'autant plus grand que, par suite de leur position en pleine lumière, aucun de leurs détails n'échappe à la vue. Pour atténuer un peu ce que le jour qui les traverse a de trop intense, il importe que le verre sur lequel ces vi- 1. Actuellement au musée de Cluny et au château de Chantilly. LA VERRERIE 121 traux d'appai'tement sont peints ne soit jamais trop blanc. Une teinte verdâtre, réduisant l'éclat trop vif de la lumière^, produit généralement un bon effet. Parfois même un glacis, une légère couverte, peuvent être jugés nécessaires. Pour adoucir la transition du noir et du blanc, on peut aussi rompre le ton qui sert à exécuter la grisaille en le mélan- géant de brun et de roux; sans compter que, dans les par- ties d'ornement, quelques rehauts dejaune font un excellent effet, et, variant l'aspect, donnent aux reliefs apparents une agréable souplesse. Cette introduction de couleurs mixtes permet, en outre, d'obtenir un certain modelé sans trop recourir aux hachures, qu'il ne faut employer dans ces petits ouvrages qu'avec ménagement. La disposition des plombs, elle aussi, réclame dans les grisailles une intelligence spéciale. Le peintre qui compose le carton doit bien se pénétrer des difficultés que présente toujours la mise en plomb de contours compliqués. Les pièces où se trouvent de nombreuses anfractuosités sont particulièrement difficiles à monter; et quoiqu'on soit par- venu à exécuter, de tout temps, de véritables tours deforce en ce genre, encore le travail, quelque habilement traité qu'il soit, est-il dans ce cas beaucoup plus dispendieux et surtout moins solide. L'artiste doit donc réduire l'intervention de ses plombs au strict nécessaire. Il doit, en outre, leur faire suivre les contours de l'ornementation dans les parties où l'ombre porte, et qui par conséquent sont les plus obscures. Son habileté consiste à atténuer le contx^aste de ces traits opa- la et la ques et durs avec la pâleur relative de grisaille transparence du verre. Si les plombs jouent un rôle important dans la disposi- tion générale des vitraux, l'armature, bien qu'elle doive rentrer plutôt dans la spécialité du serrurier que dans celle du peintre verrier, a aussi son irnpoiùance. Et à notre épo- que cette importance est même d'autant plus grande, que 122 LA VERRERIE nos fenêtres modernes, ne comportant qu'une seule baie, réclament un travail de consolidation capable de remplacer les meneaux anciens. Cette fonction est remplie par des tringles de fer qui, liées aux plombs par de petites attaches, servent à mainte- nir l'ouvrage. 11 n'est pas besoin de beaucoup insister pour faire comprendre que ces tringles, formant autant de traits noirs qui coupent la composition horizontalement, peu- vent produire un détestable effet. On conçoit qu'une ligne sombre traversant un visage à la hauteur des yeux ou de la bouche en dénature l'expression. Par suite, le peintre doit apporter la plus grande attention au placement de ses tringles de fer. 11 doit prévoir à l'avance les exigences que présentera la construction du cadre dans lequel il se pro- pose de faire tenir sa composition ; et, quand la nécessité l'oblige, pour la solidité de son travail, à faire passer une barre en une place où elle produirait une impression fâ- cheuse, il doit la faire contourner au-dessus ou au-dessous de la figure qu'il tient à ménager. Enfin il est une dernière condition dont tout décoi'ateur expérimenté ne manquera pas de tenir grand compte : c'est la coloration que les rayons colorés traversant des vitraux produisent sur les meubles et les tentures. Il est clair qu'une tapisserie de haute lice recevant directement la lu- mièred'une verrière perd toute l'harmonie de ses couleurs. C'est ce qui faisait dire à Chevreul que lorsqu'il s'agit de mettre des vitraux à une fenêtre, « il est convenable, non seulement d'avoir égard à leur beauté, mais encore à l'effet que les lumières colorées qu'ils transmettent au- ront sur les objets qu'ils doivent éclairer ». l'-aCKjl» )- Fis Une ancienne verrerie, d'après une estampe de Radel. LA VERUERIE EN EGYPTE, EN GRÈCE ET A ROME eus avons dit, aux premières pages de ce li- vre, que les origines extrêmement anciennes de la Verrerie se perdent dans les ténèbres de l'histoire. Les textes les plus anciens où l'on croit découvrir la mention de cette pré- cieuse matière, ne sont rien moins qu'afïir- matifs. Ils ont fourni aux exégètes l'occasion de discussions assurément magistrales, mais fort peu con- cluantes. La substance dont il est parlé au chapitre XXVIII du ZiVre de Job, comme pouvant seule, avec l'or, donner une idée du prix qu'il faut attacher à la sagesse, est-elle, ainsi que l'ont pensé certains commentateurs, le verre ob- tenu par la fusion du sable et de l'argile? Faut-il, au con- traire, voir dans le mot hébreu l'équivalent du cristal de roche, de l'hyacinthe, du diamant, comme l'ont cru d'autres 126 LA VERREHIE savants ? C'est là un problème dont nous abandonnons la solution à de plus erudits C Que les Hébreux aient connu et apprécié le vexme, il ne faut pas s'en montrer surpris. Durant leur captivité en Egypte et plus tard par suite de leurs rapports avec les Phéniciens, ils se trouvèrent en relations directes avec les deux nations auxquelles on attribue la découverte de cette merveilleuse matière. Pline vante l'habileté des verriers de Sidon. Hérodote parle avec admiration d'une colonne de verre qui ornait à Tyr le temple d'Hercule, et dont l'é- clat égalait celui de l'émeraude. Quant aux Égyptiens, si l'on en croit d'autres auteurs^, ils étaient, comme verriers, très supérieurs aux Sidoniens, et la première fabrique de verre par ordre chronologique aurait été établie à Dios- polis, capitale de la Thébaïde. Le certain, c'est que, suivant la remarque fort juste de M. Gei'spach®, « aucun témoignage ne peut être opposé jusqu'à présent aux souffleurs de veime des hypogées de Beni-Hassan ». Ces artisans, saisis sur le vif, reproduits dans l'exercice de leurs fonctions, sont, en effet, le plus ancien document graphique qu'on possède sur la fabrication qui nous occupe. S'il fallait ajouter foi à certaines affirmations, ces primitifs verriers auraient même confectionné de très grands ouvrages, et notamment des sarcophages de veime. Le VieiP, du moins, prétend, d'après Suétone et Strabon, qu'Auguste, « étant en Égypte, se fit 1. L'Anglais Christophe Merret, qui paraît avoir été un moins aussi linguiste au distingué qu'un hahile chimiste, dans le de préambule qu'il plaça en tète l'ouvrage de Néri (voir l'Art de la verrerie] Pa- ris, 1752, p. xxvi), passe en revue tous les textes qui peuvent éclai- rer cette question très controversée. Les lecteurs curieux trouveront dans cette savante dissertation des éléments d'information très com- plets, mais qui, par leur étendue même et leur cadre complexité, sortent du que nous nous sommes tracé. 2. Voir notamment : de Paw, Recherches l'Art philosophiques, p. 304, et Boudet, de la verrerie né en Egypte] Paris, 1825. 3. L'Art de la verrerie^ p. 14. 4. Art de la peinture sur vcrrq, p. 4. LA VERRERIE 127 présenter le corps d'Alexandre le Grand dans une châsse de verre, dans laquelle Séleucus Eubiosactes l'avait placé ». La part qui revient à la vérité, dans ces vénérables récits, est assez difficile à établir; l'exagération y tient ti'op sou- vent une place considérable, surtout quand il s'agit de subs- tances précieuses, rares ou seulement peu connues. Mais le seul fait que le verre soit mentionné à ces époques si lointaines, prouve qu'il existait, et, pour ce qui est au moins des Egyptiens, nous avons mieux que des récits. Nous possédons un certain nombre de vases de sacrifice en verre, découverts dans les fouilles du temple de Kai'- nac à Tbèbes, et l'on peut voir au Cabinet des médailles plusieurs pièces donnant une idée très favorable de l'ba- bileté avec laquelle les riverains du Nil surent combiner les pâtes de verre et les émaux de couleurs, alors que le joli flacon en forme de lotus que possède le Louvre, et les nombreux grains de collier que l'on voit dans les collec- tions publiques et privées, montrent que ces habiles ar- tistes savaient fondre les verres de couleur et les souder de façon à former des vases, aux nuances diaprées. Enfin, n'oublions pas qu'on a retrouvé en Egypte des fours de verrerie, ensevelis sous les sables qui depuis plu- sieurs milliers d'années recouvrent l'ancienne vallée des Lacs. Par conséquent, ily a cinq mille ans, sur la terre des 128 LA VERRERIE Pharaons cette noble industrie était en pleine activité^. Bien mieux,le soufflage du verre y était pratiqué, et la canne, l'instrument fondamental du travail des verriers, trans- mise d'âge en âge sans modifications, était déjà d'usage à cette époque reculée, ainsi que l'attestent les peintures des hypogées de Beni-Hassan^ ». D'Egypte et de Phénicie, l'art de la vitrification passa en Grèce. Malheureusement, c'est à quelques citations d'A- ristophane et d'Aristote, que se borne ce que nous savons de la verrerie grecque avant l'ère chrétienne. Mais lorsque de Grèce cette belle industrie fut importée en Italie, elle était déjà en possession de la plupart de ses formules et maîtresse de ses principaux secrets. Depuis plusieurs siè- des, en effet, on savait, en Europe, non seulement souffler le verre, en former des flacons, des coupes, des vases de toutes sortes, mais le teindre en pâte, le colorer et imiter ainsi les pierres précieuses, le couler en masses assez épaisses pour faire des colonnes, le peindre et le décorer avec des émaux translucides, et réunir par l'action du feu des couches superposées dans lesquelles on pouvait tailler de , véritables bas-reliefs, rappelant les camées de pierres dures. Les historiens, toutefois, prétendent que cette importa- tion dans la péninsule fut assez tardive. Selon eux, il la fau- drait placer à l'époque de Cicéron, c'est-à-dire à la suite des grandes conquêtes asiatiques qui firent affluer à Bome tant d'artistes et d'ouvriers d'art. A ce compte, on devrait por- ter à l'actif de l'importation phénicienne les verres assez nombreux trouvés dans les sépultures étrusques. Toujours est-il que, sous les empereurs, la fabrication du verre avait pris un tel essor que cette matière put être employée dans la décoration architecturale. Pline cite l'amphithéâtre de Scaurus, comme un des premiers monuments où le verre 1. Boudct, Notice historique sur l'art de la verrerie en Egypte. 2. A. de Girancourt, Nouvelle Etude sur la verrerie, p. 14. LA VERRERIE 129 figura sur une grande échelle. Sénèque dit que de son temps un citoyen se regardait comme bien pauvre, si le plafond de sa maison n'était pas décoré de plaques de verre. Les pâtes vitrifiées, teintes de diverses couleurs et divisées en petits cubes, étaient, en outre, adaptées sous forme de mosaïque à l'ornementation des édifices. Plusieurs fontaines découvertes à Pompéï, la voûte d'un crypto-portique de la villa Adriana, etc., suffiraient pour attester que la mise en œuvre du verre dans la décoration murale était en usage jusque chez les particuliers, alors même que Suétone, Vopiscus et Stace n'auraient pas pris soin de nous infor- mer que la chambre à coucher d'Horace, la maison de Fir- mus et les bains d'Etruscus étaient enrichis de revêtements en verre peint, remplaçant les revêtements de marbre. Quant à la fabrication des vases, à ce que nous appe- Ions la gobeleterie, dès le règne de Gallien, elle était si répandue, ses produits étaient devenus si communs, que 9 130 LA YEllllERIE Trebellius Pollion, dans la Vie de ce prince, dit que l'em- pereur s'en dégoûta comme d'une matière trop abjecte, et ne voulut plus boire que dans des vases d'or. Vers cette époque, s'il faut en croire M. Raoul Rochette, les vitrarii auraient constitué une sorte de corporation, et Le Vieil constate qu'à partir de l'avènement de Constantin ces ax'ti- sans — faveur insigne — furent exemptés de toutes charges Fig. 83. — Vase antique eu verre jaspé. et impôts publics, « exemple qui fut suivi, ajoute-t-il, par Théodose le Grand et par tous ses successeurs, et même par nosi'ois, qui y ajoutèrent les plus grands privilèges. » Quels étaient les principaux ouvrages de ces habiles ar- tistes ? A quel procédé avaient-ils recours pour la décora- tion de leurs vases? C'est ce qu'il nous est assez facile de savoir, car les spécimens de verrerie datant de ce temps lointain sont relativement abondants. Les plus nombreux proviennent de tombeaux. Ce sont des vases funéraires à col étroit, destinés à recevoir les pleurs des survivants, et qu'on nommait à cause de cela lacrymatoria. Puis vien- lient des urnes, où l'on conservait les ossements et les cendres ; des perles, des cabochons ayant servi à la parure. On possède en outre un nombre assez considérable de fioles, de flacons, de bouteilles. Il faut mentionner aussi quelques LA VERRERIE 131 verres à boire très variés de formes et de décor, et surtout ces coupes montées sur un pied, et si fragiles qu'on les qualifiait calices audaces, « verres audacieux ». A coté de ces échantillons de la gobeleterie antique, transparents, incolores, et que les siècles ont habillés d'une gracieuse enveloppe irisée, on fabriquait des verres teints en pâte, imitant l'hyacinthe et le saphir. Tels étaient peut- être ces vases murrhins^ dont la renommée est de- meurée presque fabu- leuse. Tels étaient cer- tainement les pièces d'é- chiquier en verre fondu, les dés à jouer dont par- lent les poètes, et ces coupes qu'on jurerait tail- lées dans une agate (fig. 83). Telles étaient encore . . . Fig. 84.—Urne antique décorée en relief. ces pierres fausses, parfois si bien imitées que les impératrices elles-mêmes, si nous en croyons Pétrone et T rebellius Pollion, s'y laissaient tromper. D'autres fois la pièce était revêtue de dessins plus ou moins compliqués à l'aide d'émaux porphyrisés, c'est-à-dire réduits en poudre impalpable, mêlés à des fondants, puis appliqués au pinceau et amalgamés ensuite au verre par un feu violent. Mais les ouvrages les plus extraordinaires que l'Antiquité nous ait légués sont peut-être ces coupes, ces aiguières, ces tasses orbiculaires, retrouvées en grand nombre dans les catacombes, et dont le fond présente cette particularité, qu'il est décoré de feuilles d'or insérées dans l'intérieur de la masse et ornées de gravures incisées à la 1. On ne sait au juste quelle était la composition de ces vases, qui atteignirent à Rome des prix invraisemblables. On a pensé qu'ils pouvaient être de porcelaine, k. ce propos, nous parlons d'eux dans celui de nos petits volumes qui traite de YHistoire de la céramique. 132 LA VERRERIE pointe (fig. 82). Ces pièces, dont la fabrication est demeurée pendant des siècles une sorte de mystère, n'ont été repro- duites qu'en ces dernières années, à Mui'ano, sous le nom de vases chrétiens, et l'on n'a pas oublié le vif succès qu'elles obtinrent à l'Exposition de 1878. Si, au point de vue purement décoratif, elles attestent bien plus la dévotion de leurs auteurs qu'une éducation artistique supérieure, elles prouvent du moins que les verriers, à cette époque, étaient mai- tres de leur art, alors que certains objets taillés dans la masse, comme le merveilleux vase de Portland dont nous parlons dans no- tre première partie (page 39) et dont nous donnons ici même une reproduction, démon- trent qu'ils ne reçu- laient devant aucune difficulté. Ils n'hési- talent pas, en effet, à se servir de la roue Fig. 85. Vase dit de Portland. tOUl et — pOUr tail- 1er le verre, avec le môme soin et la même habileté qu'ils apportaient à creuser leurs inlailles et à inciser leurs camées de pierres dures. Un seul point, concernant l'existence de cette brillante industrie durant la période romaine, reste controversé. Les Anciens appliquèrent-ils le verre à la clôture des baies ? En firent-ils usage en tant que vitres? Si l'on ne, consul- tait que les probabilités, on serait tenté de conclure pour l'affirmative. Des patriciens si amoureux du luxe et du con- LA VERRERIE 133 fort, des hommes si outx'ageusement'riches, si fastueux, si |)rodigues et si follement dépensiers que le furent quelques personnages consulaires et certains empereurs, durent cei'tainement deviner le parti merveilleux qu'on pouvait tirer de ces lames transparentes, et ne pas reculer devant les sacrifices que cette nouveauté pouvait nécessiter. Ce- pendant aucun texte irréfutable, aucune preuve absolument certaine n'est venue mettre d'accord les savants qui se .sont occupés de cette intéressante question ; et l'on a vu récem- ment, à propos de la Theodora de M. Sai'dou, cette dispute, vieille d'un siècle et demi, reprendre avec d'autant plus d'âpreté, qu'aucun des arguments produits ne pouvait pa- raître décisif. Fig. 86. — Lacnjmatorium. LA VERUERIE EN GAULE Pline nous apprend que de son temps l'art de la vexu'e- rie était déjà en honneur dans les Gaules; et le grand nombre de spécimens de verres antiques découverts dans les tombeaux gallo-romains, aussi bien que les multiples fragments recueillis sur l'emplacement de villas détruites au II® et au m® siècle de notre ère, établissent que cette belle industrie était répandue sur toute l'étendue de notre territoire. Il s'est II trouvé même, contrairement à ce qui se produit généralement, que des fouilles exécutées dans cer- taines localités ont livré des débris de verrerie plus abon- dants que les fragments de céramique ; ce qui semblerait établir qu'il était plus facile alors de se procurer des réci- pients de verre, que des ustensiles de poterie. Une des plus amples moissons de ce genre provient d'un tombeau de femme découvert dans le Poitou, à Saint- Médard-des-Prés. Ce tombeau, datant du m® siècle, ren- fermait près de quatre-vingts objets en verre, dont notre ami regretté, M. Benjamin Fillon, a donné la description détaillée C Nombre d'autres sépultures, contemporaines des Antonins, sans être aussi abondamment pourvues, ont fourni non seulement une quantité considérable de spéci- mens variés de l'industrie verrière dans l'ancienne Gaule, mais encore des échantillons qui, au point de vue de l'art, présentent une valeur exceptionnelle. Parmi ces ouvrages particulièrement précieux, une men- tion spéciale est due au beau vase de Strasbourg. Ce vase porte en lettres érnaillées le nom de Maximianus Augustus, 1. \o\v Poitou et Vendée, art. Fontenat-le- C omte. LA VERRERIE 135 insciñption qui, selon M. Schweighauser^ doit clésignei* l'empereur Maximilien Hercule, né en Pannonie vers l'an 250, mort à Marseille en 310, et qui séjourna longtemps dans les Gaules. Ce vase est ce que nous appelons réticulé. Il est enve- loppé d'un réseau en verre rouge du travail le plus dé- licat. Un autre vase non moins curieux, gobelet de forme cylindrique en verre, d'un beau jaune clair, a été découvert au Cormier, village de la commune de Chavagnes-en-Pailler (Ven- dée), dans la tombe d'un gladia- teur. Ce gobelet, entouré d'une frise où se déroule un combat (voir fîg. 88 à 90), ne montre p:!s moins de huit personnages, avec leurs noms en relief au dessus de chacun d'eux. Des gobelets du même genre ont été trou- vés près de Chambéry, à Au- tun, à Trouville-en-Caux, etc. Les scènes qui les ornent sont généralement empruntées aux jeux du cirque, et rappellent les hauts faits de gladiateurs et d'Automédons chers au public, ou célèbres par leur adresse ou leur courage. Ces curieuses verreries, qui remontent du i®'' au n° siè- de de notre ère, ont-elles été fabriquées dans les lieux mêmes où elles ont été découvex'tes ? Doit-on au contraire les ranger parmi ces ai^ticles d'importation, parmi ces ou- de valeur que les riches Romains faisaient venir vrages d'Italie ? Les deux hypothèses ont trouvé des partisans, et 1. Notice sur quelques monuments gallo-romains du département du Bas-Rhin, dans les Mémoires de la Société des antiquaires de France (t. XVI, p 99) LA VI'URERIE nous laissons à de plus savants le soin de trancher ce grave dcdjat. Pour d'autres vases également moulés, et qui offrent (le curieux reliefs ou présentent une forme singulière, comme le petit vase se terminant en tête d'enfant que pos- sède le musée de Niort, ou encore le vase figurant une grappe de raisin du musée de Poitiers, il ne saurait y avoir- de doute. Leur fa])rication est bien gallo-romaine. A plus forte raison en est-il de même pour les verreries plus coin- munes. Leur abondance même et la multiplicité des formes (Qu'elles revêtent, prouvent les nombreux usages auxquels elles servaient, et subsidiairement leur peu de valeur. Or, à défaut de tout autre indice, leur lias prix suffirait à at- tester leur fabrication autochtone. Les verreries établies sur notre sol ne cessèrent pas de produire après l'invasion des Francs. Nous avons dit plus haut que les vitrarii figuraient au nombre des trente-cinq professions qu'une loi de Constantin I®'', édictée en l'an 337, exemptait de toutes charges publiques. Grâce à cette loi qui créait, entre les artisans exerçant un même métier, une sorte de solidarité, beaucoup d'ouvriers des villes par- LA VERRERIE 137 vinrent à se soustraire au servage. C'est grâce à elle, et sur- tout, comme le remarque très bien M. Benjamin Fillon^, à leur isolement au fond des bois, que les verriers purent conserver à travers huit siècles d'invasions étrangères leur qualité à'ingenus, c'est-à-dire d'hommes libres, et se trou- SPlCVlMCOLV/îAW,KmMIVSHÛILISS' 1 Fig. 89 et 90. — Développement du précédent gobelet. vèrent ensuite faire partie de la classe noble, parce qu'ils en avaient déjà les immunités. Si elle perdit de son importance sous les Mérovingiens, la fabrication du verre, cependant, ne fut jamais abandon- née. Elle paraît même, au vi® et au vu® siècle, avoir repris une activité relative, et les nombreux spécimens que ren- ferment les cimetières de cette époque, aussi bien dans les régions de l'Ile-de-France que dans l'Anjou, la Nor- mandie et le Poitou, attestent non seulement l'abondante 1. L'Arl de terre chez les Poitevins, p. 188 13S LA VERRERIE production de celte utile industrie, mais encore la réelle habileté de ceux qui l'exerçaient. Les échantillons recueillis dans les sépultures franques viendraient à nous manquer toutefois, qu'on pourrait invo- quer d'autres preuves de cette fabrication féconde : d'abord la quantité de lieux désignés de toute antiquité dans les chartes sous les noms de Verreria, Vitreria, Vitrina, qui depuis ont été appelés Verrières, Yoirières, Veimeries, Voirée, etc., et dont l'appellation indique la présence de verreries; ensuite plusieurs textes suffisamment précis, où il est fait mention d'ustensiles de verre, employés couram- ment pour le service de la table. C'est ainsi que dans une lettre écrite par l'évêque Fortunat à la reine Radegonde, femme de Clotaire I®'^, il est dit qu'en ces temps bax'bares les viandes, dans les repas fastueux, étaient servies sur des plats d'argent, et les volailles sur des plats de verre. Mais nous devons à Fortunat une autre révélation, plus précieuse encore. L'évêque de Poitiers, décrivant Notre- Dame de Paris, construite par Cbildebert, vante, en vers latins, l'effet magique produit sur les murailles et les voû- tes par la lumière du matin, qui se colorait en passant à tra- vers les verrières des fenêtres. Fortunat célèbre aussi les vitraux qui ornaient les basiliques de Saint-Martin à Tours et de la Sainte-Vierge à Bordeaux. D'autre part, Grégoire de Tours, contemporain de Fortunat, rapporte qu'en 521 des soldats brisèrent les verrières de Saint-Julien de Brioude. Enfin, dans la Vie de saint Éloi par saint Ouen, il est également fait mention de vitraux. Et partout il est spé- cifié que ce sont bien là des ouvrages autochtones, sortis non pas de mains romaines, mais de mains franques, « ar- tificwn nostrorum », écrit avec oi'gueil Grégoire de Tours S de mains barbares, comme le dit Fortunat^. 1. Grég. de Tours, Ilist. ceci, des Francs, liv. X, chap. xvi. 2. Quod nullus veniens Romana gente fabrivit Hoc vis bai'barica probe peregil opus. LA VERRERIE 139 Ainsi un fait très controversé relativement à l'Antiquité, la question de savoir si les vitres furent connues à Rome et usitées à Byzance, se trouve résolue chez nous pour la période mérovingienne. En quoi consistaient ces premières clôtures vitrées ? Sans doute en des compartiments de vei're, colorés diver- sement, enchâssés dans premiers essais de vi- ■ iJ ' t'o- — Aiguiùre en verro soufflé provo- trerie. E est a 1 époque naut des sépultures do Caranda. des Carolingiens, qui, cependant, marque une certaine accalmie dans la produc- tion des verreries françaises, qu'on attribue cette grande et belle découverte. Ce serait, en effet, sous le règne de Charles le Chauve, si nous nous en rapportons à Emeric David, les premiers vitraux peints auraient été mis que en place. « L'historien du monastère de Saint-Bénigne, qui écrivait vers 1052, assure qu'il existait encore de son temps, dans l'église de ce monastère, un très ancien vitrail représentant le martyre de sainte Paschasie, et que cette peinture avait été retirée de la vieille église restau- rée par Charles le Chauve II faut croire, par conséquent. 140 LA VERRERIE conclut Emeric David, que ce monument antique et élé- gant, suivant les expressions de la Chronique, datait au moins du règne de l'empereur ; mais il ne saurait remonter beaucoup au delàC » Et, en effet, si la peinture sur verre eût été pratiquée plus tôt, l'empereur Charlemagne et les ])apes Adrien I®'" et Léon 111, ces princes magnifiques, n'aïu'aient certes pas manqué d'en faire usage pour la dé- coration des églises ou des palais élevés par leur ordre, et nous en saurions quelque chose. Quoi qu'il en soit, on peut conclure des divers textes que nous venons de citer et des quelques spécimens dont nous accompagnons cet article, que Loysel- a eu grand tort de prétendre que l'origine de nos veimexfies nationales re- monte tout au plus aux croisades, et que, jusqu'au xvii® siè- de, on a uniquement fabriqué chez nous de la gobeleterie commune, des bouteilles et des verres à vitres. 1. Histoire de la peinture au moyen âge, p. 79. 2. Essai sur l'art de la verrerie - Vavís , an YlII. Fig. 92. — Vase apode eu verre soufilc provenant des sépultures de Caranda. Ill LA VERKERIE AU MOYEN AGE Un argument qui pourrait, clans une certaine mesure, justifier aux yeux^des archéologues l'opinion peu patrioti- cjue dont Loysel s'est fait imprudemment l'éditeur, c'est c[ue l'on ne rencontre pas au Moyen Age de corporations de verriers. Aussi MM. Lespinasse et Bonnardot, dans le préambule dont ils ont accompagné leur publication du livre d'Etienne Boileau^, n'ont-ils pas manqué de révéler cette absence et de s'en montrer surpris. Les verriers, ce- pendant, étaient assez nombreux à Paris dès le xiii® siècle. Les Registres de la taille de 1292 ne mentionnent pas moins de cj[uatorze industriels exerçant cette profession dans la capitale, c{ui déjà possédait une rue de la Verrerie. Comment expliquer la lacune signalée par MM. Lespinasse et Bonnardot? Par une constatation bien simple. Si les verriers ne sont pas inscrits dans le Livre des mestiers, c'est cjue les peintres sur verre se trouvaient englobés dans la Communauté des « Peintres Imagiers^ », et rpie dans les grandes villes, — à Paifis notamment, — les mar- chands de verreries étaient corporativement confondus avec 1. Le Livre des mestiers (Paris, Impr. nationale, 1879). 2. Un certain nombre de doeuments oiEçiels attestent la confií- sion voulue des deux professions. Pour ne citer qu'un exemple, les patentes données à Lyon en 1496 et confirmant les statuts des peiii- tres de cette ville, portent : « Art. 31. ... Pourront lesdiz paintres besongner de painture, de verrerie ensemble, quand bon leur sem- blera ; » et parmi les peintres qui faisaient à cette époque partie delà corporation lyonnaise et pouvaient peindre sur verre figuraient le célèbre Jean Perréal, dit Jean de Paris, Jehan Prévost, autre peintre du roi, Jehan de la Paix, dit d'Aubenaz, etc., c'est-à-dire des artistes de premier ordre. 142 LA VERRERIE les marchands de vaisselle de terre, c'est-à-dire avec les potiers. Quant aux verriers fabricants de verre, ils n'avaient garde d'habiter les villes, où il leur aurait été assez ma- laisé d'exercer leur industrie. Les nécessités de la fabrica- tion localisaient leur installation dans certaines contrées retirées, à proximité des forêts, et presque tous jouissaient de privilèges spéciaux, qui, les plaçant en dehors de toute réglementation, les exemptaient de la surveillance des ma- gistrats ordinaires. Un autre argument en faveur de l'opinion de Loysel, argument qu'il importe également de ne pas laisser sub- sister, pourrait être tiré de ce fait qu'au Moyen Age les objets en verre décrits dans la plupart des Inventaires des princes et des rois sont qualifiés a à la façon de Damas » et doivent être tenus dès lors comme étant d'origine orien- taie. C'est ainsi que, dans \Inventaire du duc Louis d'Anjou (1360), on rencontre : « Deus flascons de voirre, ouvréz d'azur, à plusieurs diverses choses, de l'ouvrage de Damas. — Un autre flascon de voirre ouvré d'azur de l'ouvrage de Damas ». De même dans VInventaire de Charles V (1380) nous relevons : « Ung grant voirre, ouvré en la façon de Damas. — Ung autre petit voirre ouvré par dehors à yma- ges, en la façon de Damas. — Une lampe de voirre ouvrée en façon de Damas, » etc. L Ces mêmes indications se re- trouvent dans les Inventaires du Louvre, du Château de Vincennes, de la Bastille Saint-Antoine, dressés sous le règne suivant. Vers le même temps, aux verreries orientales se mêlent les veimeries de Venise. Un mandement de Philippe le Hardi daté du 6 juillet 1394, ordonne le payement de quatre francs pour seize verres et une écuelle « des voii'res que les galées de Venise ont apportéz en nostre pays des Flan- 1. Jules Labarte, Inventaire de Charles F, n"' 2190, 2191, 2197. LA VERRERIE 143 cires ^ et nous voyons figurer parmi les joyaux du roi René d'Anjou « Deux potetz (petits pots) à pied et à anee de verre de Venise. — Deux grandes coupes à jiié de verre de Venise. — Ung petit potet à un pié de verre de Venise, dont l'anse est rompue », a cju'on pourrait corroborer ■ de nombreuses citations M ^umême^^ ^ de service courant. A côté ^ tionnelles, en effet, et aux- naît une valeur cie curiosité on faisait jouimellement usage, dans les résidences princières et même dans les habitations bourgeoi- — soufflé . d1 e vaisse1lle11 Fiff. 93. Aiguière en verre " ses, de verre si¿cie). fabriquée dans le pays. On doit à Legrand d'Aussy® la révélation d'une charte de 1338 par laquelle Humbert II, dauphin du Viennois, accorda à un verrier nommé Guionet, le privilège de l'exploitation d'une partie de la forêt de Ghamborant, à condition cju'on 1. De Laborde, ¿es Ducs de Bourgogne, t. II, n° 3992. 2. Lecoy de La Marche, Comptes et Mémoriaux du roi René, p. 263 et suiv. 3. Histoire de la vie privée des François ^ Paris, 1782, t. III, p. 185. 144 LA VERRERIE lui fournît chaque annnée 240 verres à boire, en forme de coupe ou de hanap, 144 amphores, 132 vases de nuit, 144 grandes écuelles, 72 plats, 72 plats sans bords (sans doute destinés à être employés comme verre à vitre), 144 pots, 144 aiguières, 60 gotteffles, 12 salières, 240 lampes, 72 chandeliers, 12 tasses, 12 petits barils, 6 grandes bottes pour le vin, 1 grande nef, etc. Ces chiffres ont une élo- quence particulière. Une fouxmiture aussi considérable, livrée annuellement à la petite cour d'un très petit prince, nous révèle assez quelle consommation on faisait, à cette époque, d'objets en verre de toutes sortes, et la modeste valeur qu'avaient déjà ces ustensiles de ménage singulière- ment fragiles, dont le renouvellement périodique atteste, au surplus, le manque de durée. Un amusant passage des Mémoires de Jouiville prouve, 'du reste, le peu de conséquence qu'on attachait alors aux objets de verrerie. Le vieux chroniqueur nous montre le comte d'Eu, frère de saint Louis, s'amusant à l'aide d'une petite catapulte de son invention, à briser les aiguières et les verres dont se servaient, pendant leur repas, les che- valiers au service du roiL Cette absence de valeur explique, en outre, comment on ne rencontre dans les grands inven- taires de ces lointaines époques, qu'un très petit nombre de pièces de verrerie. Reléguées à l'oifice et à la cuisine, elles ne paraissaient pas dignes de figurer à la suite des beaux vases d'or, d'argent et de cristal, qui ornaient les dressoirs et la table des princes et des rois. Bien mieux, sous le règne de Louis XI, les ustensiles de verre étaient devenus si communs, que les marchands un peu riches dédaignaient d'en faire usage. Ils avaient coutume de boire dans des hanaps et des coupes d'argent ou de vermeil ; et pour que la verrerie reparût sur la table des bourgeois, il fallut que le très dévot roi mît à contri- 1. Mémoires, t. II, p. 335. LA VERRERIE 145 bution la vaisselle de ses sujets, et leur empruntât leur ar- genterie, afin de la convertir en une grille qui devait en- tourer la châsse de saint Martin de Tours ^ Ces textes si précis suffisent, croyons-nous, à faire la lumière sur ce point controversé. Ils expliquent, en outre, la plainte singulière que Bernard Palissy devait faire en- tendre un siècle plus tard : « Je te prie, considère un peu les verres qui, pour avoir esté trop communs entre les hom- mes, sont devenus à un prix si vil, que la plupart de ceux qui les font, vivent plus mechaniquement que ne font les crocheteurs de Paris..., et ces verres sont vendus et criéz par les villages par ceux-mêmes qui crient les vieux cha- peaux et les vieilles ferrailles. » A ces documents suffisamment probants, semhle-t-il, on en peut ajouter d'autres non moins décisifs. Le plus im- ])ortant de ces autres textes est, sans contredit, le second livre de l'Essai sur divers arts du moine Théophile^. Dans ce précieux manuel, où le savant religieux traite de la fahri- cation du verre à vitre, des vitraux peints, des vases à boire, de la mosaïque du veiu'e, etc., il est, en effet, deux passages auxquels les commentateurs ne nous paraissent pas avoir attribué tout l'intérêt qu'ils méritent. Cependant ils nous touchent d'une façon particulière. Dans sa préface, Théo- phile, s'adressant au lecteur, lui dit : cc Si tu approfondis attentivement cet Essai, tu y trouveras tout ce que connaît la Grèce sur les espèces et mélanges des diverses couleurs ; toute la science de la Toscane relativement aux incrus- tations et à la variété des nielles ; tout ce qui distingue l'Arabie, quant à la fonte et à la ciselure des métaux; l'art avec lequel l'Italie décore les différentes espèces de vases, soit au moyen de l'or et de l'argent, soit avec l'ivoire et les gemmes, tout ce que la France apporte de recherche à 1. Voir la Chronique scandaleuse dans les Mém. pour servir à l'his- toire de France, t. XIII, p. 390. 2. Diversarum artiuin schedula, lib. II. 10 146 LA VERRERIE varier d'une façon précieuse les vitraux des fenêtres, » etc. à l'époque où écrivait le moine Théophile, c'est-à- Ainsi, dire au x® ou au xi® siècle, la France excellait entre toutes les nations dans la peinture sur verre, et dépassait dans cet art les autres peuples de l'Europe^. Plus loin notre auteur complète cette déclaration et ajoute que nos com- patriotes étaient les plus habiles [in hoc opere perítlssírni) dans l'art de colorer les verres Aux précieuses révélations du moine Théophile viennent se joindre, pour attester l'activité de notre industrie ver- rière au Moyen Age, toute une suite de pièces d'Archives qui nous révèlent l'existence d'un nombre considérable de verreries, réparties sur toute l'étendue de notre territoire. La plus ancienne de ces pièces est un diplôme de l'an 825 de qui mentionne le port de la Verrerie, dépendant l'abbaye de Saint-Mesmin. Après cela, deux autres textes signalent la présence, en 1088, d'un verrier nommé Robert, occupé sur le territoire de l'abbaye de Maillezais, et vers la même date un marché passé par le peintre verrier Fulcon avec l'abbé Girard de Saint-Aubin, d'Angers. Puis à partir du xiii® siècle, les documents se font plus nombreux, et l'on peut citer, entre 1207 et 1497, plus de vingt-cinq fabriques : de verre en pleine activité sur notre territoire. Ce sont 1207. Verrerie de la Rocbe-sur-Yon, exploitée par Guil- laume Géraud et Simon de Joui. indiscutée au 1. Il faut croire, au surplus, que cette renommée et avait temps du moine Théophile remontait à plusieurs siècles, déjà « Nous en effet, à cette époque reçu la consécration du temps. lisons, en dans la Vie de saint Benoît Bissope, abbé d'un monastère Angle- en France chercher terre, qu'après avoir bâti son couvent il vint des ouvriers... pour lui clore en vitres son église, son réfectoire et son cloître. Car cette dernière sorte de manufacture n'était pas con- Britannicis cate- nue dans la Grande-Bretagne. Vitri factores artifices nus incognitos. Les ouvriers qu'amena Benoît enseignèrent leur art vie. des Fran- aux Anglais. » (Legraxd d'Aussy, Histoire de la privée {•ois, t. 111, p. 184.) 2. Caput XII, De diversis vitri coloribus. LA VERRERIE 147 1249. Verrerie des Moustiers (Deux-Sèvres), exploitée par Guillaume Gaudiu. 1290. Verrerie de Quiquengrogne. 1300. Verrerie de Vendôme. 1300. Verrerie d'Aubigny. 1300. Verrerie de Montpellier. 1300. Verrerie de Moulchamp (Vendée), dotée plus tard de privilèges spéciaux par Charles VI (1399). 1302. Verrerie de la Haye, dans la forêt de Lions-la-Fo- rêt, exploitée par messire Gobert, et à j)artir de 1330 par Philippe de Cacqueray. 1313. Verrerie du bois Mallet. 1331. Verrerie d'Aulnay, dans la forêt de Mervent (Foi- ton), exploitée par André Basge, dit Calot. 1338. Verrexde de Chamborant, en Dauphiné, exploitée par Guionet. 1383. Verrerie de la forêt d'Othe, près de Sens, exploitée par Guillaume et Jehan « le Voirrier ». 1383. Verrerie de la forêt de Chevreuse. 1442. Verrerie de Bichat (Vienne), exploitée par Colin Boryeu, Pierre Musset et Catherine Chauvigné. 1456. Verrerie de la Roche-sur-Yon, exploitée par Lu- cas Billet, Jehan Bertrand et Pierre Maigret. 1459. Verrerie d'Apt (Vaucluse), exploitée par Ferré. 1463. Verrerie de Courlac (Vienne), exploitée par Musset. 1468. Verrerie de la Puye, en la forêt de Gatine (Vienne), exploitée par Philippon et Jean Boissière. 1469. Veimerie de Jehan Brysonale, en la forêt de Darney (Lorraine), exploitée par Pierre Brysonale, fils de Jehan. 1469. Veimerie des Aufans, en la forêt de Darney (Lor- raine), exploitée par Henry. 1469. Verrerie de Jean Hendel, forêt de Darney, exploitée plus tard par Jacob, Guillaume du Tyson et son fils. 1469. Verrerie Jacob, forêt de Darney, exploitée plus tard par Nicolas IMengin. 148 LA VERRERIE 148G. Verrerie de Rorteau (Vendée), fondée par Jacques Bertrand, seigneur de la Vrignonnière. 1497. Verrerie de Caudel, etc. Malheureusement, de tant d'ouvrages sortis de ces nom- breuses fabriques, ouvrages dont quelques-uns furent assu- rément remarquables, et qu'en tout cas nous seiûons si beu- reux de connaître, il ne nous est presque rien demeuré ; et seuls les vitraux, dont nous allons parler au prochain chapitre, peuvent donner une idée du savoir et du goût des verriers finançais à cette lointaine époque. Fig. 94. — Gobelet décoré de mascarons, verrerie française (xyo siècle). LA PEINTURE SUR VERRE De très bonne heure, les prélats chrétiens, évéques ou ahhés, avaient pris soin d'orner et d'embellir leurs sane- tuaires. Eglises, basiliques, chapelles, avaient été recou- vertes de peintures ou de mosaïques, racontant aux yeux des fidèles les saintes légendes et les grands drames de la Foi. En maints endroits, les historiens monastiques célè- brent la multiplicité et la magnificence des tentures dont on parait les nombreux sanctuaires. Ces tentures redisaient, IV elles aussi, la vie et les actes des saints, et le synode d'Ar- ras, tenu en 1205, appelait, non sans raison, ces draperies et ces peintures des églises : le livre des illettrés. 11 était donc naturel que l'on cherchât à continuer, sur les vitres qui garnissaient les baies, ce pieux récit destiné à l'édification des fidèles ; et cette recherche devint presque une nécessité, cjuand une révolution dans la manière de bâtir eut mouvementé les parties solides de la construction — lesquelles avaient jusque-là présenté de grandes surfaces jilanes — et substitué aux murailles unies, où pouvaient se dérouler les dévotes histoires, de hautes et larges fenê- tres, qu'il impoi^tait, pour la beauté et la richesse du lieu, de ne pas laisser sans décoration. On peut dire que les peintres verriers chargés par le clergé, alors riche et puissant, de cette oimementation nou- velle des sanctuaires, atteignirent, du premier coup, à la perfection de leur art. Ce n'est pas, toutefois, que les vitraux du xii® siècle — les plus anciens qui soient par-venus jusqu'à nous, et les premiers sur lesquels, par conséquent, il nous soit permis de raisonner — soient au-dessus de toute critique. En gé- 150 LA VERRERIE néral, ces venñéres, assemblage d'une quantité de pièces de rapport de très petites dimensions, se rapprochent encore trop des vitrages primitifs dont nous parlons dans un pré- cèdent chapitre. Les figures sont, en outre, de taille très réduite, trapues avec des gestes un peu gauches, un dessin raide et plein d'incorrections. Les sujets eux-mêmes, em- pruntés à l'Ancien et au Nouveau Testament ou aux lé- gendes chrétiennes, enseimés dans des cartouches circu- laires, elliptiques ou lobés, ordinairement disposés en sautoir, se détachant le plus souvent sur un fond bleu réti- culé, sont également de dimensions modestes. Mais en les contemplant on peut se convaincre que jamais, à aucune autre époque, on n'a mieux compris le rôle de la peinture sur verre, et rien n'est à la fois plus agréable à l'œil, plus magnifique et plus riche, c|ue ces mosaïques translucides dont les compartiments, colorant les rayons du soleil des teintes les plus vives, laissent filtrer dans l'intérieur de nos vieilles basiliques, ce jour atténué et « dévotieux » qui agit si fort sur nos imaginations. J'ai dit que les vitraux du xn® siècle étaient les plus an- ciens qui nous aient été conservés. Encore ne sont-ils pas très nombreux. Parmi les plus remarquables nous citerons ceux qu'on admire dans l'église de la Trinité à Vendôme, dans celles de Saint-Père à Chartres, de Saint-Serges à Ano-ersetau chevet de l'église abbatiale de Saint-Denis. On O O sait que ces derniers furent exécutés sur l'ordre de Suger. Au XIII® siècle, la France se couvrit d'édifices religieux de la plus grande magnificence. Tous furent décorés de vi- traux. Ne soyons donc pas surpris d'être plus favorisés pour ce siècle que pour la période précédente, et qu'un nombre assez considérable de spécimens de la peinture sur verre, à ce moment, soient parvenus jusqu'à nous. Parmi les églises qui renferment des verrières remontant à cette époque, on doit mentionner Sainte-Radegonde de Poitiers, la sainte Chapelle et Notre-Dame de Paris, dont la rose du i LA VERRERIE 151 I transept méridional, la plus belle que l'on connaisse, ne II compte à pas moins de quatre-vingt-cinq médaillons sujet 1; Citons encore les églises de Bourges, de Sens et du Mans, f les cathédrales de Rouen, de Strasbourg, d'Angers, de ! Reims, de Clermont-Ferrand, de Chartres, de Tours, etc. Quelques-unes de ces églises renferment même des en- ; sembles imposants. C'est ainsi que la cathédrale de Tours ; ne possède pas moins de quinze belles verrières, la cathé- I • drale d'Angers seize, celle de Strasbourg vingt-neuf; mais toutes ces suites n'égalent pas la collection de vitraux qui décorent la cathédrale de Chartres. Ceux-ci gaimissent cent quarante-six fenêtres enrichies de treize cent cinquante- Í itti Fig. i)5. — Grande rose de Notrt-ûaïue do Paris. 152 LA VERRERIE neuf sujets. On voit que, pour juger la peinture sur verre à cette époque, ce ne sont pas les documents qui font défaut. Tous ces vitraux, en outre, sont remarquables, et montrent qu'au xiii® siècle la peinture sur verre, conti- nuant de conserver son caractère de mosaïque et d'éblouir les yeux par l'étalage des couleurs les plus vives et les mieux appareillées, ne s'éloi- gne pas encore de sa destination ori- ginelle. Cependant la plupart de ses compositions sont mieux ordonnées, et, malgré le grand nombre de frag- ments dont chaque sujet est formé, elles ne présentent aucune confu- sion. La disposition en cartouches, se détachant sur un fond réticulé et encadrés dans des bordures en lacis, ou avec enroulements de feuillages, persiste. Toutefois, dans les maî- tresses fenêtres de la nef, on voit apparaître des personnages aux pro- portions gigantesques, — saints pa- trons, prophètes ou patriarches, — énormes figures longues, droites et roides, sans indications de raccour- cis, drapées à plis serrés et qui, du reste, ne s'éloignent pas, comme goût et comme agencement, de celles qu'on voit peintes ou sculptées sur la plu- Fig. 96. — Vitrail repré- ,. . , sentant viiistoire de part des mouumeuts religieux de ce Charlemagne. — C,a.l\\ò- temos. drale de Chartres. Il n'en est plus de même au siècle suivant. Une véritable révolution se produit. Comme la peinture murale, la décoration des verrières progresse, et LA VERRERIE 153 dans le même sens. Le dessin se fait plus correct, l'artiste cherche davantage à se rapprocher de la nature, qu'il copie avec plus de vérité. En outre, il commence à se préoccuper des con- ditions du clair-obscur. La disposi- tion des sujets change également d'une façon complète. Aux médail- Ions légendaires, systématiquement répartis dans la hauteur des longues croisées en ogive, on substitue de véritables scènes religieuses ayant pour acteurs des personnages de haute taille ; et lorsqu'on ne renonce pas aux saintes figures isolées, on prend soin de les agenouiller sur une console en grisaille richement décorée, ou de les abriter sous un dais pyramidal, comme ceux qu'on voit aux portes des églises, hérissés de clochetons, de pinacles et d'arcs- boutants. Ces giûsailles trop importantes li- vrent passage à une quantité de lu- mière qui affadit l'ensemble et nuit à l'effet général. Nous avons dit, au demeurant, dans notre première par- tie, quels autres dangers présen- talent ces simulations architecturales d'une utilité au moins douteuse. On est donc amené à reconnaître avec . Fig. 97. — Vitrail repro- Batissier^ que, « considérées comme sentant viustoirc de des ouvrages d'ar, isolés, les ver- S:rSSuT.'""- rières du xiv® siècle sont supérieures à celles du siècle précédent. Leur exécution est plus savante 1. Loco cit., p. 98. 154 LA VERRERIE sans être moins sincère comme expression; mais au point de vue de la décollation monumentale la peinture sur verre semble déjà dégénérer. » Les verrières de cette époque, véritables tableaux, produisent, en effet, une impression moins saisissante que les mosaïques transparentes des deux siècles précédents. Au XIV® siècle, non seulement nos peintres verriers ne cessèrent pas de décorer et d'embellir les églises de France et d'Angleterre', mais, grâce à leur activité, les vitraux prirent aussi dans les édifices civils une place importante. Les palais, les châteaux, les hôtels, furent amplement pour- vus de ces belles décorations translucides. Les Comptes des œuvres du bailliage de Rouen (1338) et ceux des tra- vaux exécutés au château de Caen (même année) mention- nent l'exécution de verrières importantes, qu'on pourrait, à cause de leur emplacement et de leurs sujets, qualifier de civiles^. Paris, sous ce rapport, ne pouvait être en retard sur les villes normandes. Sauvai nous apprend que le Lou- vre était orné de vitraux magnifiques représentant une suite de saints assis sous des dais somptueux. Par lui nous sa- vous également cjue le duc Jean de Berry fit reconstruire le château de Bicêtre, « et pour dernier embellissement y ajouta des vitres en verre, qui ne faisoient en ce temps-là que de commencer à orner l'architecture des palais ». Froissart, racontant les fêtes célébrées à Paris pour l'Entrée- solennelle d'Isabeau de Bavière, rapporte qu'au banquet donné dans la grande salle du Palais, « la reine de France 1. Ce sont des fabricants de Rouen qui, en 1310, 1316 et 1318, four- nirent les vitraux de la cathédrale d'Exeter (voir Ducarel, Antiqui- tes anglo-normandesj et A. de Girancourt, iVoMce/Ze Etude sur la verre- rie de Rouen). Plusieurs voies, du reste, portèrent à Rouen les noms de rue du Voirre, rue aux Voirriers, grande rue aux Yoirriers, etc., attestant l'importance de cette industrie rouennaise (De Beaurepaire, Bulletin de la Commission des antiquités ¡ Périaux, Dictionnaire indi- catear des rues de Rouen, etc.). 2. Actes normands de la Chambre des comptes, p 171 et 177. LA VERRERIE 155 fust SUI' le poinct d'estre mesaisée et convint une verrière rompre, qui estoit derrière li, pour avoir vent et air^ ». On Fig. 98. — Détail de Vllistoirc de saint Jacques. possède une quittance de Claude Le Leu, « voerrier demon- rant à Paris et datée de l'année 1405, relative à la restau- », ration des verrières qui décoraient à Chaillot l'hôtel du duc 1. Chroniques., t. XII, p. "21 156 LA VERRERIE Louis d'Orléans, frère de Charles VIL Enfin Guillebert de I Metz cite « l'hostel de sire Mille Baillet, trésorier du roi (Charles VI), auquel hostel y avoit des voirrières autant qu'il [y] a de jours en l'an^ », ce qui, sans doute, était une , façon de parler pour dire qu'elles étaient fort nombreuses. Pour la décoration de ces verrières laïques, on n'eut pas recours, comme pour celles dont étaient ornés les édi- fices religieux, à l'exclusive traduction des légendes sacrées. On donna la préférence aux sujets historiques ou guerriers, aux aventures héroïques ou fabuleuses. On fit aussi appel à la peinture héraldique, alors fort à la mode et très fé- coude en combinaisons ingénieuses et chai-mantes. Un grand nombre de ces verrières furent donc ornées d'ai'- moiries avec des chevaliers ou des animaux pour supports, se détachant sur un fond de feuillage, et encadrées de ban- deroles ou de philactères portant de gracieuses devises. Parmi les contrats conservés aux Archives du département du Nord, on relève la mention de verrières exécutées en 1395, 1397 et 1409 à l'hôtel de la Cour-le-Comte à Arras, « armoiées de trois escus, de Monsieur, de Madame et de Monsieur le Comte », c'est-à-dire décorées des armoiries du duc de Bourgogne, de la duchesse et du comte de Ne- vers®. A la fin du xv® siècle nous trouvons à Lyon le célè- bre peintre verrier Pierre d'Aubenas chargé d'embellir, à l'aide des « escussons » des échevins et magistrats, les verrières de l'hôtel de ville Au xvii®, Christin Balais, Jean Ricard et François Nicolet étaient occupés à exécu- ter, dans ce même hôtel de ville, quatre-vingt-une armoiries « du Roy ou de la Ville peinctes sur autant de panneaux... aux vitres de la chapelle ». Ainsi, pendant plus de trois 1. Archives nationales, KK 267, fol. 128. 2. Description de Paris, p. 69. 3. Archives du Nord, série B, 1859, 1861, 1887. 4. Archives communales de Lyon, Actes consulaires, série BB, reg. 24 et 211. LA VERRERIE 157 siècles, ces figurations héraldiques demeurèrent en hon- neur, et cette coutume s'explique. Ces témoignages de noblesse mis en belle place étaient bien faits pour flatter la vanité des familles. Ils devaient même, par la suite, tenir lieu, dans nombre de cas, des parchemins disparus. Et, en effet, quand, au xvii® siècle, pour des raisons fiscales, on procéda à l'examen des titres de noblesse, il arriva que certaines familles produisirent de ces verrières pour attester l'ancienneté de leur origine et la solidité de leurs pré.tentions. C'est ce qui faisait dire à Boursault, dans une de ses pièces de théâtre^ : Si pour votre noblesse il vous manque des titres, Il faudra recourir à quelques vieilles vitres, Où nous ferons entrer d'une adroite façon Une devise antique avec votre écusson. Vingt douteuses maisons, qui sont dans la province. Pour se mettre à l'abri des recberches du prince. Avec cette industrie ont trouvé le moyen De prouver leur noblesse admirablement bien. On pourrait conclure de ce qui précède que, l'emploi des vitraux s'étant généralisé au xiv® siècle, les spécimens par- venus jusqu'à nous sont beaucoup plus nombreux que ceux du siècle précédent. Malheureusement il n'en est rien. Les verrières des édifices civils ont presque toutes disparu, et pour celles des monuments religieux, on en a en quelque sorte épuisé la liste quand on a cité les cathédrales de Chartres, de Limoges, d'Evreux, les églises de Saint-Tbo- mas à Strasbourg et de Saint-Nazaire à Carcassonne, etc. Jamais, cependant, les vitres peintes ne furent plus en honneur qu'à cette époque ; et si les privilèges dont les ver- l'iers se montrèrent par la suite si fiers remontent beau- — coup plus haut, nous avons vu qu'ils dataient de l'em- — pereur Constantin, par contre, c'est à ce moment que, grâce à la sanction royale, ils prirent leur forme définitive. 1. Esope à la cour (acte III, se. v). 158 LA VERRERIE Charles V et Charles VI, en effet, déclarèrent Lettres patentes les verriers « francs, quittes et exempts de toutes tailles, aides et subsides, garde de porte, guet, arrière- guet et autres subventions quelconc[ues ». Plus tard \ sur la requête de Henri Mellein, peintre verrier demeurant à Bourges, Charles VII confirma ces privilèges, tant pour ledit Mellein que pour «tous autres de sa condition, tant en ladite ville de Bourges qu'autres lieux de son Royaume^ ». Mais la faveur et les 2:)rivilèges ne peuvent rien contre Fin- iluence des milieux et la transformation des mœurs, et c'est à partir du xv° siècle que la décadence de la peinture sur verre —■ dans ses applications grandioses et monumentales tout au moins — commence à se faire sentir. « Dans la seconde moitié du xv° siècle, écrit avec beau- coup de sens M. Thévenot le champ des vitraux se garnit de portiques en grisaille chargés de figurines, de fabriques, d'ar])res et de lointains quelquefois assez heureusement imités, mais faits pour être vus de très près. Cette innova- tion fut portée à son point de perfection dans le xvi® siècle... Ce système servit plutôt à faire bïdller le talent du peintre <[u'à rendre l'expression fidèle de la nature. Plusieurs causes s'y opposèrent toujours. La distance énorme à laquelle le spectateur se trouve de ces tableaux en ôte le principal mérite, sans compter que les couleurs dans un ta- bleau peint à l'huile sont vues par réflexion, et dans une verrière par transmission, ce qui s'oppose à la reproduc- tion des effets de clair-obscur de la peinture à l'huile. » On ne ¡^eut mieux dire. Ainsi, c'est en grande partie à la confusion des genres, que la peinture sur veiu'e dut la dé- •1. En 1451. '2. Ces lettres patentes furent confirmées par Henri II en 1552 et par Charles IX en 1563. (Voir Collection des Statuts, Ordonnances et Règlements de la Communauté des maîtres de l'art de peinture, seul- pture, etc., de la ville et faubourgs de Paris, 1672.) 3. Essai hist, sur le vitrail [Annales scient., lilt., etc., de l'Auvergne, sept, et oct. 1837, p. 424). LA VERRERIE 159 cadence rapide dont elle fut atteinte. Les peintres verriers alors les plus en renom ne commirent pas une faute légère en demandant — comme le firent Enguerand Le Prince, de Beau- vais, et quelcfues autres verriers non moins connus — les cartons de leurs verrières aux plus illustres jieintres de leur temps, à Albert Diirer, à Jules Romain et même à Raphaël. S'il est vrai, comme le remarque Le Vieil, que les rnodè- les fournis par ces célèbres artis- tes (c se recommandent par l'élé- vation du style, la pureté du des- sin et le charme de la composi- tion », encore ne constituent-ils, au point de vue spécial où il con- vient de se placer, que des œu- vres d'une beauté relative; car chaque art a ses exigences parti- culières qu'il n'est pas permis de méconnaître, ses lois spéciales ([u'on ne saurait transgresser irn- punément. Ajoutons que tout semble s'être réuni, à cette époque, pour préci- piterce mouvement de décadence. La découverte de l'imprimerie, en Fig-, 99. — Vitrail represen- tant saint — Cathé- contribuant à répandre l'instruc- Georges. dralo de Chartres. tion dans toutes les classes de la société et en généralisant l'usage, à l'église, des livres de prière, imposa au peintre verrier l'obligation de laisser pénétrer dans les hautes nefs et dans les bas côtés une lumière plus intense. La perfection glus grande du dessin, en rendant nécessaire un modelé plus accentué et mieux 160 LA VERRERIE ressenti, contraignit en quelque sorte les peintres à subs- tituer, clans les draperies et les costumes, les verres sim- plement émaillés aux verres teints dans la masse, dont les tonalités plus vigoureuses et plus brillantes ne pouvaient donner c[ue des à plat. Pour les tons clairs et les carnations, on remplaça les anciens procédés par la peinture par apprêt, qui permettait les dégradations délicates. Le verre em- ])loyé, plus parfait de fabrication, moins grenu par consé- quent, non plus gondolé, mais bien plan et cessant de contenir des bulles d'air, donna au vitrail un aspect plus propre , mais enleva aux panneaux ce caractère vibrant c{ui ajoutait à leur charme. Enfin, au lieu d'accuser vigoureusement, par la mise en plomb, les principales lignes de la composition — comme on avait fait au xiii® et au xiv® siècle — et d'accentuer ainsi les traits essentiels du dessin, les peintres verriers cher- cbèrent, pour se mieux conformer aux modèles qui leur étaient fournis, à perdre les lignes noires de leurs plombs dans les plis des étoffes, et s'appliquèrent à assembler leurs plaques de verre carrément et en échiquier, — ce qui, à un certain point de vue, peut constituer un progrès, mais nuit considérablement à l'effet général produit par le vitrail. Ainsi les perfectionnements techniques eux-mêmes coucou- rurent, dans une large mesure, à précipiter une décadence en quelque sorte fatale. Et cependant cette période de l'histoire de la peinture sur verre est singulièrement féconde en noms illustres. Nous avons pu, au cours de nos recherches, relever ceux de quelques peintres verriers qui, au xv® siècle, fuirent chargés d'importants travaux. Nous citerons notamment Claude Le Leu, qui travailla, nous l'avons dit, pour le duc d'Orléans; Thierry Esparion, qui exécuta dans l'église des Chartreux de Dijon un vitx'ail représentant le portrait en ]ûed de Jean sans Peur (1420) ; Robin André, qui garnit de verrières le château d'Angers (1430); Jean Appar, de LA VERRERIE 161 Bayonne, et Guillaume Pinguet, d'Orthez, qui enrichirent d'« estories et personnaiges » la chapelle dont Jehan de Grailly, vicomte de Béarn, gratifia le couvent de Morlaas (1421-1444) ; Jehan de Juys, qui décora de verrières l'hôtel de ville de Lyon (1464) ; Nicolas L'Atargié, qui refit les vi- traux de la Salle du Conseil à Amiens (1475); Gilles Jour- dain et Nicolas Mesnagier, qui travaillaient pour Louis XI (1478-1481) ; Jean Flernyn, « voirrier à Paris », à qui la . prieuse de l'Hôtel-Dieu, Jehanne Lasseline, commanda un vitrail « ouquel est la resurrexion de Ladre », etc.L Mais tous ces noms pâlissent singulièrement à côté de ceux que nous offre le xvi® siècle. Au premier rang des artistes français qui alors excellèrent dans cet art, il faut citer le célèbre Guillaume de Marcillat, né à la Châtre, que Jules II appela en Italie pour décorer, d'après les cartons de Raphaël, la chapelle du Vatican, et qui 2:)eignit non seulement les verrières, mais encore les fresques du dôme d'Arezzo; l'illustre Jean Cousin, auquel on doit ce qui reste des vitraux de la chapelle de Vincennes, les verrières du chœurde Saint-Gervais, etquiexécuta avec Désaugives le Sacrifice cl'Elle, la Plide de la manne, le Lave- ment des pieds qu'on voit à Saint-Etienne du Mont dans la chapelle de Sainte-Geneviève; Jehan Prévost et Jehan Per- réal, qui travaillèrent tous deux pour le roi Charles YIII, et comptèrent parmi les artistes fameux de leur temps ; Ber- nard Palissy, plus célèbre encore, mais à d'autres titres ; Arnaut de Moles, qui signa les vitraux de la cathédrale d'Auch ; Alexandre Duboys, Louis Coueffai'd, Jehan Le Vieil, Anthoine Chenesson et Jehan Barbe, employés parle cardinal d'Amboise à la décoration de Gaillon; le fameux 1. Archives de la Côte-d'Or, série B, t. V ; Comptes et Mémoriaux du roi René, p. 23 ; Archives des Basses-Pyrénées, série E, t. IV ; Ar- chives communales de Lyon, série BB, reg. 7 ; Nouvelles Archives de l'art français, année 1878, p. 229 ; Comptes de l'hôtel des rois de France, p. 270 et 357 ; Collection des documents pour servir à l'his- toire des hôpitaux de Paris, t. III, p. 84, etc. 11 162 LA VERRERIE Robert Pinaigrier, dont on peut voir deux belles verrières dans l'église Saint-Hilaire de Chartres; P. Anquetil, Mi- chel et Jean Besoche, maîtres verriers de Saint-Maclou à Rouen; Linard, Gontier, Madrainet Cochin, qui décorèrent la collégiale et la cathédrale de Troyes; Héron, qui travailla à Saint-Merry à Paris ; Germain Michel, qui peignit les vi- traux du portail neuf d'Auxerre; Claude et Isi*aël Henriot, 'qui se signalèrent à Châlons-sur-Marne, et cent autres, parmi lesquels il convient de ne pas oublier Dirck et Wouter Crabeth, les auteurs justement appréciés des vitraux de Gouda; Willem Thibout, auquel on doit les verrières de Sainte-Ursule à Delft; Jacques de Vriendt, qui enrichit Sainte-Gudule, à Bruxelles, de lâches compositions; Claes Romboutz et Jehan Hofhnus, tous deux de Bruxelles, four- nisseurs ordinaires de Marguerite d'Autriche et de Philippe le BeauC , En dépit de l'habileté dépensée par ces illustres artistes, on ne saurait prétendre qu'ils aient dépassé ni môme atteint à la magistrale ampleur de leurs devanciers. Malgré la science qu'ils déployèrent à préparer les émaux colorants de façon à rendre le ton propre et naturel des objets qu'ils ■ voulaient reproduire; malgré la présence de figures re- marquablernent dessinées ; malgré la somptuosité des ajus- lements, la splendeur des étoffes, l'éclat des pierreries ; malgré un débordement de guirlandes de fleurs et de fruits exécutés au naturel, ils n'atteignirent pas, à beaucoup près, à cette puissance d'effet qui caractérise les vitraux du xii® et du xni® siècle. Les seuls ouvrages où les peintres verriers du xvi® siè- de aient soutenu leur vieille réputation, sont les vitraux d'appartement, peints en grisaille et décorés d'arabesques avec un sujet central, représentant quelque petite scène biblique ou la figuration héraldique d'armoiries. Dans ces 1. Voir Archives du Nord, série B, n"' 2230, 2251, 2339. LA VERRERIE 163 panneaux placés à portée de l'œil, ils arrivent, à force de finesse, d'ingéniosité et de goût, à créer des modèles dignes de tous éloges. Chantilly, Ecouen, le Louvre, Chambord, Fig. 100 et 101. — vitraux provenant du chiiteau d'Écouen. possédèrent, dans ce genre, des ouvrages excellents, dont quelques spécimens nous ont été conservés. Les peintres de l'Allemagne et de la Suisse se créèrent, eux aussi, dans cette spécialité une réputation justement méritée. 164 LA VERRERIE Au XVII® siècle, la décadence s'accentue. C'est à peine si l'on peut citer quelques artistes de valeur, comme Nicolas Pinaigxùer, petit-fils de l'illustre Robert, qui. peignit les fe- nêtres du Charnier de Saint-Etienne du Mont; Jacques de Paroys, Jean Nogare et Chamu, auxquels on doitles derniers vitraux peints pour Saint-Merry; Martial Cherpin, « mai- tre peintre verrier de la reine » Anne d'Autriche ; Lorget et Bathet, qui exécutèrent les vitraux du Val-de-Grâce, etc. ; et quelques verrières — comme VAssomption de la cathé- drale de Bayeux — qui rappellent les vitraux du xvi® siè- de. Dans les rares sujets religieux qu'on interprète encore, la grisaille prend une importance exagérée ; on ne se sert plus de verres teints dans la masse, et les panneaux cessent de recevoir une configuration appropriée aux divers objets qu'ils doivent figurer. Au xviii® siècle, non seulement on ne confectionne plus, en fait de verres peints, que quelques bordures ornées de rinceaux de feuillage, mais, pour laisser pénétrer le jour, on détruit systématiquement dans les vieilles basiliques les beaux vitraux des siècles passés. Les seuls essais sérieux pour remonter ce courant désastreux, qui soient alors ten- tés en Europe, ont lieu en Angleterre, et l'on peut dire que l'effet n'en est guère heureux. Quant à la France, malgré le beau livre où Le Vieil avait pris soin d'enregistrer, pour l'instruction de ses contemporains, les procédés en usage aux siècles précédents, il semble que le secret de la pein- ture sur verre y soit si bien oublié, que trois artistes étran- gers, l'Allemand Danneker en 1764, l'Anglais Robert Scott Godfrey en 1769, enfin un Belge, J.-B. Plumeau Le Petit, ne craignirent pas de solliciter des subsides du gouverne- ment, pour venir nous en révéler les secrets, qu'ils préten- daient avoir retrouvés à grand'peine. A cette prétention, sur laquelle on lui demande son avis. Cochin répond qu'à la vérité on ne fait plus usage de la peinture sur verre, « parce que ni dans les appartements. LA VERRERIE ni même dans les églises, on ne veut plus rien qui puisse diminuer la lumière » ; que le secret dont on parle n'a pas cessé d'être connu, mais « que quand il seroit bien I ])rouvé qu'il eût été perdu et qu'on l'eût retrouvé, on ne sçauroit qu'en faire ». L'événement, au surplus, justifia le pronostic de Co- chin. Le peu d'encourage- ment qu'on lui témoigna n'empêcha pas l'Anglais Godfrey de venir s'installer en France. Pour stimuler l'attention du public, il re- courut à un moyen alors nouveau : il se fit faire des réclames dans les gazettes en vogue L Mais le succès ne couronna pas ses efforts^ Il espérait faire fortune ; « il ne trouva pas même à four- nir un carreau de vitre » Enfin, en notre siècle, un certain nombre de tentati- ves auxquelles des hommes de talent comme Dihl, Mor- telègue, Leclair, Maréchal 102. — Vitrail de la chapelle Thibaut Théve- du roi à Versailles. de Metz, et not de Clermont-Ferrand, Lamy de Toulouse, Oudinot, 1. Voir \Avant-Coureur du 29 mai, le Mercure de juillet 1769 et la Correspondance secrète de mai 1777. 2. Archives de l'art français^ t. lY, p. 199, et Nouvelles Archives de l'art français, 3® série, t. IV, p. 229 et 234. 166 LA VERRERIE Cliampigneules, Gaudin, Jacques Galland, ont attaché leurs noms, se sont produites, mais sans donner les résultats heureux qu'on était en droit d'attendre de tant de bonne volonté et de si persistants efforts. La protection, du reste, de l'État et l'établissement d'un atelier de peinture sur verre à Sèvres ne furent pas davantage capables de rendre à ce bel art son antique splendeur. C'est à peine si quel- ques copies adroites et quelques ingénieuses restitutions, en permettant de compléter des ensembles mutilés, ont montré que dans l'art de la vitrerie nos artistes étaient encore en état de réparer certains désastres, et d'exécuter des reproductions intelligentes ; mais chaque fois qu'aban- donnés à eux-mêmes ils ont dû faire acte de créateurs, la réussite n'a qu'exceptionnellement couronné leurs efforts; moins toutefois par ignorance du dessin, par manque de goût ou par impéritie, que par oubli ou méconnaissance volontaire des règles et des exigences qui gouvernent l'art de la peinture sur verre. Fig. 10.3. — Módaillou proveunut de l'Abbaye de Saint-Denis. LA VERRERIE A VENISE Après avoir retracé aussi brièvement que possible This- toire du vitrail en France depuis le xii® siècle jusqu'à nos jours, il nous faut revenir à la verrerie de service connue dans le commerce sous le nom de gobeleterie. Nous croyons avoir établi dans notre avant-dernier cha- pitre — d'une façon suffisante pour n'y point revenir ■— qu'en dépit des affirmations de Loysel et de Labai'te, cette V fabrication n'avait jamais été abandonnée en France, et que sa production même fut toujours importante. Mais si aucun doute ne peut subsister sur ce point, il n'en va pas de même quand, au lieu d'envisager la verrerie de table ordinaire, on s'occupe de la verrerie de grand luxe, de celle qui, exécutée en verre blanc ou coloré dans la masse, était rehaussée de peintures en émail et de do- rures. En vain peut-on objecter — les admirables vitraux de nos cathédrales en font la preuve — que les verriers français ont toujours excellé à teindre le verre; en vain VI peut-on invoquer les récompenses accordées jiar Charles aux verriers Jehan et Guillaume, admis à présenter au roi, dans lè Louvre même, certains de leurs ouvrages ; en vain peut-on rappeler la visite que ce prince fit à la verrerie de la forêt de Chevreuse, où il « estoit allé voir faire les voir- res^ », et s'appuyer sur cette présomption que le roi ne se 1. Les Comptes royaux (Bibl. Nat., ms.ii" 2705, f° 189) portent : « A Guillaume le voirrier, lequel avoit présenté au roy voirres, pour don à luy fait, le au Louvre, i.xiiii s. p. — A Jehan le voirrier de la roy forêt Dotte (d'Hote), lequel avoit présenté au roy voirres par plusieurs fois, pour don à luy fait, lxiiii s . p. —A M. Jehan de Montagu, se- crettaire, de la forest de pour don fait par lui aux voirriers, près 168 LA VERRERIE serait pas dérangé pour voir façonner des gobelets ordi- naires et grossiers. II faut bien reconnaître qu'aucun do- cument certain ne vient prouver que la verrerie de luxe ait été fabriquée chez nous durant le xiii® et le xiv® siècle, et si l'on rencontre dans un inventaire royal la description d'un verre de prix, cette description est presque toujours accompagnée d'une mention constatant sa provenance exo- tique. Enfin il ne faut pas oublier que dans son résumé des* procédés usités de son temps, pour décorer d'or et d'émail les coupes de verre, le moine Théophile indique ces pro- cédés comme étant exclusivement en usage chez les Grecs. Son chapitre XII, en effet, intitulé des Coupes de verre que les Grecs ornext d'or et d'argent , commence par ces mots ; « Les Grecs font également, avec les mêmes pâtes teintes en couleurs de saphir, des coupes précieuses pour boire, et voici comment ils les ornentL.. » Or, les Grecs dont parle Théophile ne sont autres que les sujets de l'empereur de Constantinople, que les habitants de Byzance, qui possédait, on le sait, une porte de la Ver- rerie, et dont les productions, confondues plus tard avec celles de la Syrie et de l'Egypte et désignées sous le nom générique « d'œuvres de Damas », jouirent, durant tout le Moyen Age, d'une notoriété exceptionnelle. Les Vénitiens furent pendant longtemps les seuls im- portateurs en Occident de ces précieuses verreries. Cette importation leur permit même de vendre, conjointement avec les belles pièces rapportées par eux d'Asie Mineure ou de Thessalonique, beaucoup de leurs propres ouvrages exécutés à Murano et copiés sur les modèles oiûentaux; en Chexreuze, où le roy estoit alléz voir faire les voirres, etc., vu liv. iiii sols. » 1. Caput xiii, De vitreis scypiiis, quos Gríeci auro et argexto decoraxt : « Grxci vero faciunt ex eisdem saphireis lapidibus, pre- ciosos scyphos ad potandum, » etc. LA VERRERIE 169 même temps qu'en Orient ils répandaient à pleins navires d'autres verroteries — perles, pierres fausses et môme bi- jeux de verre — connues dès le xiii® siècle, dans tout le Levant, sous le nom de conterie. Puis, après l'invasion de l'empire d'Orient par les Turcs, ils profitèrent de l'émigration des artistes et des artisans qui Suivit la prise de Constantinople(1453), pour offrir aux trans- fuges un asile d'autant plus apprécié par eux que, dès lexiv® siècle, l'art de la verrerie avait cessé d'être cou- sidéré à Venise comme une industrie pui'e- ment m e r c a n t i 1 e L Bientôt même, grâce à cet exode, les ver- riers vénitiens, initiés par les nouveaux arri- vants à tous les pro- cédés usités en Asie etàByzance pour colo- Fig.l04. — Ven-eémaillé. (Fabncalionvéuiticuuc, fin du xvi» , , siècle.) rer, dorer et emailler le verre, produisirent à leur tour cette multitude de beaux ouvrages qui devaient porter si haut et si loin la juste re- nommée de leur verrerie. Et rien n'était plus légitime; car 1. Un décret du sénat du 15 mars 1383, relatif aux verreries de Mu- rano, se termine par ces mots : « Ut ars tam nobilis semper stet et permaneat in loco Murani. » (Fakello, Faggio storico di Murano, p. 29 et 30.) Les principaux verriers de Murano étaient alliés aux famil- les patriciennes de Venise, et la petite île possédait, elle aussi, son Lii're d'or. 170 LA VERREIUE ce développement 'de l'industrie de Murano, coïncidant avec le grand mouvement artistique imprimé par la Renais- sanee à toutes les productions italiennes, donna le jour à des verreries absolument supérieures, et qui justifient am- Fig. 105 et 106. — Verres blancs à ailettes. (Venise, xvi« siècle.) plement, par leur richesse et leur élégance, leur réputation universelle. Ces beaux ouvrages peuvent être divisés en quatre caté- gories principales : 1° Les VASES EN vEiuiE BLANC, c'est-à-dire transparent et incolore, qu'ils parvinrent à faire d'une finesse, d'une ténuité, d'une légèreté invraisemblables, et qu'ils décorèrent de godrons soufflés dans un moule, de rosaces et de fils de LA VERRERIE 171 verre également transparent et incolore, rapportés pen- dant la fabrication, et enfin de pieds, d'anses tordues et d'ailettes étranges, qui paraissent au premier abord desti- nées à en rendre l'usage impossible. Il semble, en effet. Fig. 107 et 108. — Verres de couleur à sujet émaillé. (Venise, xvi" siècle.) tant elles sont délicates, qu'on ne puisse toucher ces belles verreries sans qu'elles se rompent. 2° Les VASES FABRIQUÉS EN VERRE TEINT DANS LA MASSE, qui peuvent bien remonter, à Venise, aux premières an- nées du xiv® siècle, y furent également portés à la perfec- lion. Ils eurent pour point de départ l'imitation, on jiour- rait même dire la contrefaçon des pierres précieuses, qui joua un rôle important dans ces ouvrages de conterie dont 172 LA VERRERIE nous parlions à l'instant. Grâce à un mélange de safre (co- bait), les verriers de Murano avaient simulé le saphir; avec une légère addition de manganèse, ils contrefirent l'amé- thyste ; les oxydes de cuivre leur fournirent de fausses éme- raudes; avec l'oxyde d'argent ils obtinrent de fausses to- pazes, et de fausses perles en employant l'oxyde d'étain, qui leur permettait aussi de fabriquer ce verre « blanc de lait » [latticinio] dont ils firent un si grand usage dans la verreifie de table. Par la suite, à l'aide de mélanges de pâtes de verre, ils parvinrent à imiter l'agate, la sar- doine, le jaspe et à renouveler tous les tours de force des verriers de l'Antiquité, et plus tard encore à contrefaire l'aventurine. C'est à Angelo Beroviero, verrier de Murano, qu'on fait généralement honneur des grands progrès réalisés au XV® siècle dans la coloration des pâtes de verre. Toutefois il convient de remarquer, avec M. Labarte^, que les per- fectionnements attribués à ce verrier célèbre coïncident, comme date, avec la prise de Constantinople, et par consé- quent avec l'émigration des artistes grecs en Italie. 3° Les VASES DOUÉS ET ÉMAiLLÉs. On Comprend ai- sèment que ces belles pâtes imitant les pierres les plus précieuses — quand elles n'étaient pas mélangées de fa- çon à former des jaspures ou à simuler les veines de l'o- nyx — ap])elaient un supplément de décoration soit en or, soit en couleurs vitriiiables, appliqués au pinceau et fixés à l'aide d'une recuisson. Les Vénitiens furent, pour ce genre de produits , les imitateurs des Grecs, qu'ils rem- placèrent à la chute de l'empire d'Orient. Mais ils appor- tèrent dans ce travail des éléments nouveaux d'oimemen- tation. 1. ^Inventaire du duc d'Anjou (1360) décrit : « Un pichier de voirre vermeil semblable à jaspe;» celui de Charles le Téméraire : « Ung hanap de jaspre garny d'or, à œuvre de Venise. » 2. Histoire des arts industriels, t. Ill, p. 385. LA VERRERIE Fig. 109. — Gourde en verre émaillé et doré. Travail vénitien du xvi® siècle, ( musée du louviie.) LA VERRERIE Les scènes gracieuses, les portraits délicats, les petits personnages agréablement dessinés, chevaliers avec leurs cottes d'armes, gentilles dames aux longues nattes dépas- sant la ceintux^e, jeunes cavaliers aux vêtements qui souli- gnent leurs formes. Amours, génies, chérubins, dieux du paganisme ou pieux personnages encadrés et reliés par des guir- landes, des philactères et des banderoles char- gées d'inscriptions, for- ment le fond de cette décoration charmante ,i qui se développe entre de légères frises for- mées de grecques ou d'imbrications d'or , bordées de perles. Ce qu'étaient de pa- reils ouvrages, nos gra- vureS ne peuvent en donner qu'une idée très incomplète. L 'effet Fig. 110. — Coupe en verre de couleur qu'ils était émaillé. (Venise, produisaient xvi« siècle.) ., sans pareil, et quand on a pu tenir dans ses mains quelques échantillons de cette superbe industrie , on partage l'enthousiasme du frère Felice Fabro, d'Ulm, qui s'écriait en 1484^ : « On ne voit nulle part au monde des verreries aussi précieuses que celles qui se fabriquent à Murano chaque jour, et il n'existe pas ailleurs d'artistes capables de faire, avec une matière si fragile, des vases d'une élégance et d'une beauté telles qu'ils l'emporteraient sur les vases d'or et d'argent, et 1. F/', f. Fabri Euagatorium in terree sanciœ Arabise et JEgypti pere- grinationem ; Stuttgart, 18Í3-1849. LA VERRERIE 175 même sur ceux qui sont ornés de pierreries, s'ils étaient aussi solides que ceux de métal. » Cette dernière phrase évoque le souvenir d'une anecdote curieuse advenue quelques années plus tôt (1468). L'ein- pereur Frédéric III se trouvant à Venise, le Doge et le Sé- nat lui offrirent un de ces verres merveilleux. L'empereur s'extasia comme il convenait sur la beauté du cadeau et sur le mérite de l'artiste. Mais tout à coup, comme par mé- garde, il laissa tomber le précieuxvase, qui se brisa en mille morceaux. Alors, feignant d'être désespéré, il en ramassa les débris en s'écriant : « Voilà poux^tant en quoi les vases d'or et d'ax'gent valent mieux que les vases de verre : c'est que les morceaux mêmes en sont bons. » Le Doge et le Sé- nat comprirent la signification de cette plaisantexfie tudes- que. A partir de ce jour, on ne servit plus l'empereur que dans des vases d'ai^gent et de vei'meil, qu'il se garda bien de laisser tomber. 4° Les VASES FILIGRANES excitèrent encore, s'il est pos- sible, plus de curiosité, d'étonnement et d'admiration que les vases émaillés et dorés. L'extrême complication de ce travail, que nous expliquons autre part, l'impossibilité de pénétrer, par l'examen seul de l'objet, le mystère de sa fa- brication, portèrent au plus haut point la renommée des verriers vénitiens. Enfin, comme si tous ces mérites éminemment artisti- ques n'étaient pas suffisants pour leur assurer la suprématie dans une industrie où ils avaient produit tant de chefs-d'œu- vre, les verriers de Murano avaient accrédité cette croyance que leurs verres se brisaient quand on y versait du poison. Ce préjugé, généralement admis au Moyen Age, persista même fort longtemps, car le docteur Christophe Merret n'hésita pas à le rééditer en plein xvii® siècle. Ayant indi- qué la cause de rupture de certains verres, il ajoute : « C'est apparemment par la même cause que le verre de Venise se casse, à ce qu'on dit, lorsqu'on y met du poison, ce qui, 176 LA VERRERIE pourrait être vrai de certains poisons tirés des minéraux, mais non de ceux qui viennent des végétaux^. » A tous ces beaux produits qui justifiaient amplement l'extension et la prospérité de leurs verreries, les Vénitiens ajoutèrent, à partir duxv® siècle, une autre spécialité, qui devait accroître encore singulièrement la renommée de leurs fabriques et le chiffre de leurs transactions. Nous voulons parler des miroirs dont, pendant près de deux siè- des, ils eurent le monopole. Une si triomphante réussite n'avait pas été, on le con- çoit, sans exciter au plus haut point la jalousie et l'envie des rois de France. Tous bxmlaient du désir d'exonérer leur royaume du tribut qu'il devait payer à Venise, pour ses expéditions de verres cristallins ; car c'était sous ce nom, destiné à bien caractériser leur pureté et leur éclat, que les produits de Murano étaient dès lors désignés. Aussi, à partir du xvi® siècle, de nombreuses tentatives furent- elles faites pour débaucher des ouvriers vénitiens, et les amener à transporter chez nous leur précieuse industrie. En 1508, la municipalité de Lyon accordait un subside à Mathieu de Carpel [alias di Capello) pour l'aider à déve- lopper la manufacture de « voirres de cristallin » qu'il venait de fonder dans cette ville Quarante ans plus tard, Henri II attirait en France le Vénitien Théséo Mutio et l'établissait dans le château même de Saint-Germain, pour qu'il pût exercer son métier de verrier en toute franchise ; et en 1560, dans VInventaire dressé à la suite de la mort de Henri H, on remarque quelques pièces qui semblent sortiès de cette première manufacture royale. Nous citerons dans le nombre ; « Ung voere d'esmail blanc sur fond vio- let; — Ung petit vaze de cristallin blanc; — Deux autres vazes de voere retirans à agathe... » Avec \Inventaire de Catherine de Médicis, pas d'erreur possible. On relève, 1. L'Art de la verrerie de Nerri, Merret et Kunckel, p. xxii. 2. Actes consulaires de la ville de Lyon, série BB, reg. 28. LA VERRERIE 177 en effet, dans ce document « treize pièces de verres, façon de Saint-Germain-en-Laye ». On sait, du reste, que cette manufacture survécut au prince qui l'avait établie. Charles IX anoblit Théséo Mutio, et en admettant môme, comme le prétend Mézeray, que les guerres civiles aient temporairement obligé les verriers qui l'exploitaient à éteindre leurs fourneaux, encore la fa- brique recommença-t-elle de travailler, une fois le calme revenu. Car nous savons par Héroard que Louis XIII en- fant, étant à Saint-Germain, aimait à « aller voir faire ver- res au fourneau fait sous une des arcades de la terrasse^ ». Bien mieux, en 1641, il éri- geait cet atelier en Manufac- ture Royale. Ajoutons que Henri IV avait, lui aussi, cherché à at- tirer des verriers vénitiens en France. Il avait même favorisé l'établissement de deux fa- briques, l'une à Paris, près de l'église Saint-Germain des Prés, et l'autre àNevers. Cet exemple, en outre, fut suivi par plusieurs princes étrangers. Des verriers vénitiens furent appelés en Allemagne, et une Ordonnance des archi- ducs Albert et Isabelle nous apprend qu'un privilège pour fabriquer des verres cristallins « contrefaits à la façon de Venise » avait été attribué en 1600 à Philippe Gridolphi^. Tous ces efforts, au surplus, allaient bientôt porter leurs fruits, et Venise ne devait pas tarder à voir décliner cette 1. Journal de Jean Héroard à la date du 16 septembre 1606. 2. Archives du Nord, série B, n" 1836. 12 178 LA VERRERIE belle industrie de Murano, qui acheva de péricliter lorsqu'on eut découvert en France le coulage des glaces à miroir, et quand, en Europe, on eut pris l'habitude de préférer les so- lides profils des cristaux taillés de Bohême, aux délicieuses fantaisies du verre soufflé, émaillé, doré, filigrané, etc. C'est de nos jours seulement, c'est-à-dire depuis une trentaine d'années, que des efforts sérieux ont été faits pour rendre aux ateliers de Murano, sinon l'ancienne pros- périté qui, au xvi® siècle, en faisait un objet d'envie pour tous les peuples de l'Europe, du moins une productive im- portance. Grâce au goût d'archaïsme qui distingue notre temps, un certain nombre de verriers d'une habileté rare, à la tête desquels il faut placer MM. Salviati, Radi, Busso- lini, Weber])eck et les directeurs de la grande compagnie Murano-Venise, ont pu renouveler la plupart destours de force exécutés par leurs devanciers. On a vu d'eux, à Paris, en 1878, « des pièces d'une difficulté inouïe de fabrication », dont la « diversité de formes, les combinaisons de couleurs, de création presque fantastique », excitèrent l'admiration la plus viveE Malheureusement certaines de ces belles ver- reries atteignaient une valeur de 5,000 à 6,000 fr. C'est assez dire qu'on les doit regarder comme des pièces de collection, et non comme des objets d'usage. Les verriers de Murano ont également trouvé dans la fabrication du smalt, ou verre de couleur destiné aux mo- saïques, un élément de transactions impoiûantes. Mais s'ils ont prouvé que la science moderne permet aujourd'hui de refaire tout ce qui parut merveilleux au temps passé, par contre, il ne semble pas que les artistes dont ils utilisent la collaboration aient déployé une puissance créatrice ni même un talent d'exécution capables de faire oublier leurs prédécesseurs des grandes époques. 1. Rapports du jury international : les Cristaux, la Verrerie, les Vi- traux, par MM. Didron et Clémandot, p. 48. LA VERRERIE FRANÇAISE AU XVI® ET AU XVII® SIÈCLE Si, pendant tout le xv® et le xvi® siècle, la verreiûe véni- tienne jouit dans le monde entier d'une réputation sans rivale, il ne faudrait pas conclure, toutefois, de l'excès môme de cette réputation, que dans les autres régions de l'Europe, et en France notamment, la production verrière, pendant cette même période, puisse être considérée comme une quantité négligeable. VI Nous avons démontré, dans un précédent chapitre, que, durant tout le Moyen Age et sur toute l'étendue du terri- toire français, la fabrication était tellement active que, par suite de la concurrence, le prix des verres — comme le constate Bernard Palissy — avait été en s'avilissant au point de tomber à presque rien; et cette abondance de pro- duction est encore attestée par la curieuse vignette que nous reproduisons sur notre titre, et surtout parle cri si parti- culier à l'aide duquel, dès le Moyen Age, les colporteurs annonçaient leur fragile marchandise : Gentils verres, verres jolis, A deux liards les verres de bière i ! Enfin les diverses tentatives que nous avons signalées pour acclimater en France l'industrie de Murano n'étaient pas demeurées absolument infructueuses. A partir du XVI® siècle, les verres de grand luxe, peints, dorés, émaillés, devinrent également de fabrication assez courante dans certaines de nos provinces, et les échantillons qui en sont parvenus jusqu'à nous, montrent que nos gentilshommes 1. Voir Farce des cris de Paris, ancien théâtre françoys, t. II, p. 311; Paris ridicule et burlesque au dix-septième siècle, p. 310. 180 LA VERRERIE verriers et nos peintres sur verre savaient, eux aussi, ap- porter dans leurs ouvi'ages leur contingent d'habileté, d'ingéniosité et de talent. « Sans s'égarer, à la suite de leurs confrères de Murano, dans la recherche de ces formes légè- res à l'excès et compliquées à plaisir, sans sortir de ces données de simplicité élé- gante où l'esprit français se meut toujours à l'aise, ils surent enfanter de char- mants modèles qui, au mé- rite de rester pi'atiques, joignent, pour le plaisir de nos yeux, celui de se parer d'une décoration délicate et charmante^. » On peut voir dans ce genre, au musée de Cluny, des échantillons exquis du savoir-faire de nos veimiers. La jolie coupe qui porte sur son pied les armes émaillées de Louis XII et d'Anne de Fig. 112. — Verre français émaiiié Bretagne ; le verre où sont à portraits (xvi® siècle). , . , ™ les portraits de rierre 1 a- Ion et de sa femme ; celui qui, avec trois hallebardiers, étale cette devise : ex la sueur de ton visage tu man- geras le pain, sout, daus uu esprit différent, des ouvrages de premier ordre. Au Louvre on admire un verre émaillé à portrait, provenant de la collection du baron Davillier, qui ne le cède en rien à ces œuvres si remarquables. Un certain nombre de pièces possédées jadis par M. d'Huyvetter, de Gand, un verre très curieux de fiançail- les prêté par M. Slade à la grande exposition de Manches- 1. Dictionnaire de VAmeublement et de la Décoration, 1'® éd., t. IV, col. 1564. ' LA VERRERIE 181 ter, représentant un gentilhomme, en costume du temps de Henri II, offrant un bouquet à une dame, avec la devise ie svis a vovs, lehan bgvcan et antoinette bovc ; d'autreS verres où l'esprit enjoué et la galanterie traditionnelle de nos ancêtres se traduisent par des inscriptions pleines de vaillante humeur : mon cveu avez, ou encore a bon vin favlt point enseigne; toutes ces plèces, trop rares spéci- mens parvenus jus- qu'à nous d'usten- siles qui furent as- surément fort nom- breux, prouvent que dans la verrerie, non plus que dans les autres Arts de l'A- meublement, l'esprit et le goût français n'abdiquèrentjamais leurs droits. Les guerres civi- les qui m'arquèrent la fin du xvi® siècle Fig. 113. — Verre français cinaillé à portraits ne manquèrent pas (xvi° siècle). d'être funestes à la fabrication verrière, comme, du reste, à toutes nos autres industries d'art. Henri IV, qui avait à cœur de vivifier les diverses branches de notre activité nationale, ne se con- tenta pas de relever de ses ruines la manufacture de Saint- Germain. Il établit à grands frais, nous l'avons dit au pré- oédent chapitre, deux autres verreries, l'une à Nevers, l'autre à Paris S au faubourg Saint-Germain-des-Prés. Au mois de janvier 1598, il concéda à deux Italiens originaires d'Altare, Vincent Bussoni et Tbomassin Bartbolus, le pri- 1. Legrand d'Aussy, Histoire de la de privée des François, t. III, p.186. LA YERRERIE vilège de construire une verrerie à Rouen ou dans ses faubourgs. Enfin, sept ans plus tard (1605), cette même ville se voyait dotée d'une verrerie, fabriquant du cristal, dirigée par François Garsonnet^ Si l'on veut se rappeler qu'à la même époque l'Italien Sarode, appelé à Paris par Henri IV, avait fondé avec un de ses compatriotes, Horatio Ponte, à Lyon, à Melun, puis à Nantes, des manufactures de cristal, on ne manquera pas de reconnaître que ce prince avait imprimé à cette belle industrie une l'exemple de ses devan- ciers. Nous avons signalé l'intérêt tout spécial que Ilenri II avait témoigné à l'art de la verrerie. Fran- —-y . moins bienveillants à l'é- Fig. 114. — Verre français émaillé il per- ward deS gentilshommes sonuages et inscriptions (xvi" siècle). . verriers de leur temies. Fn 1533, Etienne Brossard, « maître verryer de la ver- rerye nommée Charles Fontayne, paroisse [de] Saint-Go- bain, près La Fère », ayant vu son établissement détruit par le feu, s'adressa à François 1®% qui lui fit remettre 400 livres « en don et aumosne pour luy aider à réédiffier sa maison ». Fn 1538, ce même prince autorisait Antoine de Gaultier, « maistre de la verrerie de Grisolles », à faire enlever « telle quantité de boys mort versé par terre, qu'il pourra prendre et lever en la forest de Rye, et ce durant ung ans, pour lad. 1. A. de Girancoiirt, Nouvelle Etude sur la verrerie de Rouen, p. 66. LA VERRERIE 183 quantité de bois convertir et employer à l'entretènement et chauiFaige de lad. verrerie, à quelque valeur et estimation que led. bois puisse monter, et sans ce qu'il en soit tenu payer aucune chose ». En 1563, par Lettres patentes don- nées à Melun, Charles IX confirma et étendit les privilèges accordés aux verriers parles rois Charles VÍ et Cliaides Vil. Henri IV, on le voit, ne faisait que se conformer à d'au- gustes précédents. Ces heureuses traditions persistèrent. Au xvii® siècle, le médecin Héimard rapporte que le jeune Louis XIII, cha- que fois qu'on le conduisait chez la reine Marguerite, se faisait mener à la verrerie établie près de Saint-Germain des Prés, et qu'on exécutait sous ses yeux « des verres, des paniers, des cornets, etc. », et autres « petites beso- gnes^ ». Nous savons également, qu'étant enfant, ce prince s'amusait « de petits chiens de verre et autres animaux faits à Nevers^ ». Malheureusement il ne nous reste que bien-peu d'où- vrages authentiques des manufactures françaises de ce temps. Ne manquons pas de citer, toutefois, deux pièces de verre opalin, enrichies de peintures en couleur d'émail et décrites par M. Labarte^. Sur la panse de l'aiguière on voyait un boulanger devant son ])étrin avec cette inscrip- tion : VIVE LA BELLE QUE MON COEVR AISME, inscription enthousiaste qui se trouvait reproduite sur le bassin avec la date 1625. Mais s'il ne nous a été conservé que de très rares spéci- mens de cette fabrication à l'aurore du xvii® siècle, nous connaissons, par le curieux ouvrage du prédicateur René^, les diverses espèces de verre qu'on fabriquait à cette épo- 1. Journal de Jean Iléroard^ t. I'"', p. 190, 380, et t. II, p. 64, 78, 95. 2. Ibid., t. I", p. 150. 3. Histoire des arts industriels, t. III, p. 397. 4. Essay des merveilles de nature', Paris, 1622, p. 373, 374. 184 LA VERRERIE que, et les formes vaxûées qu'on leur faisait revêtir. « On en fait, éciût-il, qui ont un beau jour, d'autre qui ne porte point de jour, d'autre à jour sanguin et rougeâtre, de cou- leur de ciel, et toutes les pierreries se voyent imitées en la verrerie, qui est comme l'apprentissage de Nature, quand elle minutoit de renfermer l'esclat de sa Majesté dans ces joyaux qui sont les estoilles de la terre. » Et plus loin, plai- santant sur l'aspect passa- blernent excentrique dont étaient gratifiés alors les ver- res à boire : « On boit, ajou- tait-il, un navire de vin, une gondole, un boulevart tout entier. On avale une pyra- mide d'hypocras, un clocher, un tonneau. On boyt un oy- seau, une baleine, un lion, toutes sortes de bestes pota- bles et non potables ; le vin se void tout estonné prenant tant de figures, voire tant de couleurs, car ès verres jaunes le vin clairet s'y fait tout d'or, Eig.llo.—Verre français emaille a per- ¡g blaUC Se teint en escar- sonnages et inscriptions (xvi® siècle). latte dans un verre rouge ». On a accusé Louis XIV d'avoir dédaigné l'industrie ver- rière. a Colbert, que trop souvent le génie de Louis XIV tourna plus vers les choses brillantes que vers les choses utiles, écrit Legrand d'Aussy, Colbert créa des manufac- tures de glaces et s'occupa peu des objets de verreries qui n'étaient pas luxeL » C'est là une erreur qu'il importe de rectifier. Colbert ne marchanda pas les -subsides royaux à nos principales verreries, et notamment à celle de Saint- 1. Ilistbirc de la de privée des François, t. III, p. 186. LA VERRERIE 185 Germain-des-Prés. Enoutre, à soninstigation, Louis XIV, à l'instar de son père et de son aïeul, honora les verreries pa- risiennes de ses augustes et solennelles visites. La Gazette de France du 23 octobre 1666 nous apprend que « le 14 de ce mois. Sa Majesté visita la verrerie royale du faubourg Saint-Antoine, où elle veid travailler, avec beaucoup de satisfaction, le sieur de La Gi^ange, qui en est le maître, et d'autres gentilshommes, à quantité de vases des plus rares; puis Elle entra au Cabinet où sont les pièces curieuses, dont Elle choisit grand nombre pour son chasteau de Ver- sailles ». Nous savons par le Mercure qu'en 1686 les am- bassadeurs siamois qui se rendaient près du Gi'and Roi s'arrêtèrent à la verrerie d'Orléans, où le sieur Perrot leur fit les honneurs de sa manufacture. Le propriétaire de cette importante vei^rerie avait obtenu, par Lettres patentes des 13 juillet 1662, 7 décembre 1668 et 28 février 1672, le privilège « d'y fabriquer ou faire fabriquer, avec tels asso- ciés et par tels ouvriers que bon lui semblera, pendant le temps de vingt années, toutes sortes d'ouvrages de cristal, de verre commun, de verre teint et d'émail et autres sortes de verrerie, en telles figures, fassons, manières et grandeur qu'il conviendra pour la commodité publique ». Abraham du PradeP, de son côté, nous apprend que la verrerie d'Orléans, sous l'habile direction de Perrot, con- irefaisait l'agate et les gemmes, imitait avec du verre émaillé la porcelaine de Chine, etjetait le verre en moules de façon à obtenir des bas-reliefs ou d'autres oimements. Du Pradel parle également avec éloge du sieur Massolat, maître de la verrerie de Rizaucourt, qui imitait avec le plus grand succès le cristal taillé de Rohême. Il n'est donc pas exact de prétendre, comme l'ont fait certains écrivains, que la verrerie française, au xvi® et au xvii® siècle, objet d'un in- juste dédain, ne produisit que des œuvres médiocres, ou 1. Livre commode j éd. de 1691, p. 30, 31. I 186 LA VERRERIE d'affirmer, avec M*"® de Genlis, que la qualité de gentils- hommes, conservée aux maîtres verriers, leur venait de ce que « tout ce qui avait quelque rapport au vin était parti- culièrement respecté en France ». La vérité c'est qu'on produisit alors beaucoup de bel- les verreiûes. Ce seul fait, du reste, que le verre avait accès sur la table royale, dit assez quelle importance on attachait à sa fabrication. Mais cette fabrication, à cause même du bas prix auquel elle livrait ses produits, préoc- cupa peu les historiens; et les effoids des maîtres verriers, leur ingéniosité, leurs talents, se trouvèrent relégués au second plan et comme éclipsés par la découverte du cou- lage des glaces, qui devait révolutionner la verrerie au XVII® siècle. V,ÍI LES GLACES COULEES Jusqu'en 1650, l'Europe entière était restée, pour les mi- roirs, tributaire de Murano, et les « glaces de Venise », im- portées à grands frais, donnaient matière à des transactions considérables. En 1665, Colbert renouvela la tentative ébauchée déjà, mais sans succès, par Henri II et Henri lY. Il envoya des émissaires sur les bords de l'Adriatique, fit enrôler secaré- tement quelques verriers habiles, les fit conduire à Paris, et confia à un Français, le sieur Dunoyer, la mission d'éta- blir au faubourg Saint-Antoine une manufacture de gobe- leterie de luxe et de miroirs. Des subsides importants furent, dans ce but, attribués au nouveau directeur, et dès l'année suivante la fabrique fonctionna. 11 s'agissait de faire connaître ses produits. Pour leur donner une sorte de consécration officielle. Col- bert obtint du roi qu'il visitât l'établissement, et Louis XIV, toujours magnifique, fit distribuer aux ouvriers cent cin- quante doubles louis, en même temps qu'il remettait au contremaître Antonio de la Rivetta, « Vénitien, ouviûer en glaces et miroirs, venu par ordre de S. M., pour establir, en un ou plusieurs endroits de son Royaume, des manufac- tures des dictes glaces et miroirs », un brevet de douze cents livres de pension L Colbert, au surplus, n'épargna rien pour assurer la réussite de ce premier établissement. Non seulement les Comptes des Bâtiments mentionnent de nombreux verse- 1. La copie de ce brevet a été retrouvée à Venise dans les papiers des Inquisiteurs. 188 LA VERRERIE ments d'espèces, faits aux entrepreneurs pour leur per- mettre de rémunérer convenablement leurs ouvriers et d'acquérir les terrains et bâtiments qui leur étaient né- cessaires. Ils nous apprennent encore que, sur l'ordre du roi, le sieur Castelan, directeur de la verrerie de Nevers, envoya son gendre à Venise pour embaucher d'autres ou- vriers et faire de nouvelles recrues. Rien, toutefois, pour assurer la réussite d'une entreprise industrielle, ne vaut l'initiative privée. Aussi, pendant que Colbert fondait à gi'ands frais la manufacture du fau- bourg Saint-Antoine, il s'en établissait une autre à Tour- la-Ville, près de Cherbourg, qui bientôt surpassa sa rivale de Paris, si bien que cette dernière, au bout de quelques années, se vit réduite à polir et à étarner les glaces fabri- quées en Normandie. Cette transformation acheva de s'ac- complir quand on eut substitué au soufflage des glaces, usité à Venise, les procédés de coulage découverts chez nous, et les seuls qui, depuis lors, soient demeurés en usage. Nous avons constaté plus haut que cette heureuse inno- vation, dont personne, en Europe, ne nous dispute la prio- rité, et qui fait le plus grand honneur à l'industrie fran- çaise, avait eu un tel retentissement au xvii® siècle, que l'histoire de la verrerie de service s'en était trouvée relé- guée au second plan et en quelque sorte éclipsée. Le eu- rieux, c'est qu'on ne sait pas au juste quel fut l'heureux auteur de cette belle découverte. Longtemps on l'a attribuée à Nicolas de Nehou, le di- recteur de la manufacture de Tour-la-Ville. Puis on en a revendiqué la gloire pour Thévart, qui, aux environs de 1G80, aurait fait au faubourg Saint-Antoine les premiers essais de coulage. Enfin, dans ces derniers temps, on a produit divers documents établissant que, dès 1672, Ber- nard Perrot, directeur de la verrerie d'Orléans, était déjà en possession « de la nouvelle invention qu'il a trouvée de LA VERRERIE 189 faire couler le cristal en table comme des métaux^ ». Ce serait donc à cet habile verrier, dont nous avons déjà con- 1. Voir Dictionnaire de l'Ameublement et de la Décoration, seconde édition, t. II, col. 1103. Fig. 117. — Miroir de Marie de Médicis. (.vusiîe du louvre.) 190 LA VERRERIE staté les mérites, que reviendrait l'honneur de cette inven- tien si importante. Ce qui donne un poids singulier à" cette attribution, c'est qu'à partir de l'année même où Bernard Perrot se vit confirmé dans le privilège dont nous parlons, nous voyons, dans les fournitures faites à Versailles, les glaces fran- raises remplacer brusquement les glaces de Venise, qui, seules jusque-là, avaient été employées. En 1671, le sieur Béraudier touchait 21,948 livres 9 sols 4 den. « pour gla- de Venise qu'il a fournies et posées dans les Maisons ces Royalles », et à partir de 1672, c'est à Hervé de Guimont, commis de la Manufacture des glaces, ou aux directeurs de cette manufacture, que l'on s'adresse exclusivement pour des commandes qui varient annuellement entre 400 et 800 miroirs. Nous croyons inutile d'ajouter que l'exemple du Grand Roi fut suivi par tous ceux qui, à la Ville aussi bien qu'à la Cour, se piquaient de luxe et de confort. Ce fut un engoue- de ment sans pareil. Tous les Mémoires du temps paxdent ces belles glaces. M®® de Sévigné, M™® d'Aulnoy, M™® de La Fayette, célèbrent avec enthousiasme cette coûteuse nouveauté. Le Mercure d'avril 1695, racontant le mariage du duc de Saint-Simon, vante les « grandes arcades de glace » qui ornaient le salon du duc de Lorges, beau-père du marié. Germain Brice, dans sa Description de Paris, signale à l'attention des étrangers l'hôtel de Tbévenin, dont la décoration consistait principalement a en glaces d'une extraordinaire grandeur ». Et Louis XV, voulant se conci- lier l'amitié du sultan, ne trouvait pas de plus beau pré- sent à lui faire, que de lui envoyer un miroir sortant de la Manufacture royale. On voit, par ces quelques exemples, de quelle faveur jouissaient alors les glaces coulées. Un coup d'œil jeté sur leur prix de revient, à cette épo- était la valeur mar- que, fera compi'endre, au surplus, quelle chande de pareilles décorations et de semblables cadeaux. LA VERRERIE 191 Les glaces de 14 pouces de hauteur valaient 10 livres le pied. Celles de 28 en coûtaient 60 ; Celles de 37 230; Celles de'40 425; en sorte qu'une glace couvrant un mètre carré (soit 36 pou- ces sur 40) était payée 1,275 livres. En 1802, une pareille glace aurait coûté 205 livres. Actuellement son prix est de 30f^23L Si V on veut tenir compte du pouvoir de l'ar- gent à ces trois époques, et de la dépréciation qu'a subie le numéraire depuis le xvii® siècle, on se rendra compte de l'énorme dépense qu'exigeaient des décorations comme celles de la Galerie de Versailles ou d'habitations moins somptueuses, comme l'hôtel de Lorges et la maison du sieur Thévenin. Malgré ce prix relativement très élevé, jamais les mi- roirs et les glaces ne furent plus recherchés qu'à la fin du XVII® et au commencement du xviii® siècle. De l'usage on tomba dans l'abus. C'est de cette époque que date la mode de ces « cabinets de glace », dont la vogue se perpé- tua jusque dans les premières années de notre siècle. En 1668, le miroitier Jousset fournissait 144 glaces pour garnir le grand cabinet de M"® de La Yallière. Nous savons par une quittance de l'architecte Bricard qu'une pièce du même genre existait au Palais-Royal; et deux reçus de C.-L. Au- dran nous apprennent que l'hôtel de Bouillon en possédait une également. En outre, par Bachaumont, nous avons la description du cabinet de glaces de Bagatelle ^ et par Cail- lot celle du boudoir de M"® d'Hervieu, dont « les côtés, le 1. Voir Tarif des glaces de la manufacture G. Chevillard, royale, 1722 ; la publié par Manufacture des glaces de Au- gustin Cochin, 1865 Saint-Gobain, ; et Notice par sur les produits de la des glaces de Saint-Gohain, 1889. manufacture 2. Mémoires secrets, t. XV, p. 188. 192 LA VERRERIE plafond et le pai'quet étaient garnis de glaces entre les- quelles il n'existait aucun intervalle^. » Ce luxe très coûteux n'était pas à la portée.des simples bourgeois, mais, dans des proportions moindres, ceux-ci ne manquèrent pas cependant d'en prendre leur ¡lart ; sur- tout quand l'architecte Robert de Cotte eut fait contracter à ses contemporains l'habitude de surmonter d'une glace plus ou moins vaste la tablette de la cheminée. C'est alors qu'on vit apparaître dans les avis de location cette mention : « Appartement orné de glaces, » qui commença d'être usi- tée au milieu du xviii® siècle, et qu'on remarquait encore il y a vingt ans sur la plupart des écriteaux. Puis, des tablettes de cheminée les glaces passèrent aux meubles. Dans l'enivrement que causait cette nouveauté, on fourra des miroirs partout. On en garnit le ciel des lits, on en tapissa les alcôves; les bureaux de femme en furent et donnèrent naissance à ces jolis secrétaires pourvus ap- pelés « bonheur du jour » ; on en décora les bas d'armoi- res, les consoles, les étagères, on en fit des psychés; elles formèrent les plateaux des surtouts, etc. Le plus curieux, c'est que les glaces, encore à cette épo- que, étaient non seulement d'un prix élevé, mais relative- ment de petites dimensions. Aussi, pour couvrir des surfa- ces un peu vastes, était-on obligé de juxtaposer plusieurs glaces, ce qui faisait un très singulier et très fâcheux effet. Pour ne citer qu'un exemple, en 1766, le frère portier de l'oratoire Saint-Honoré faisait annoncer dans les journaux qu'il avait à vendre « une glace de cheminée propre pour un appartement fort élevé, en deux parties de 37 pouces de large : la première, ayant 54 pouces de haut, 299 livres, et la deuxième, 44 pouces, 214 livres 10 sols. Le tein des deux glaces, sculpture, dorure et parquet, 70 livres, en tout 583 livres 10 sols ». Actuellement personne ne voudrait 1. Vie publique des François, t. II, p. 99. LA VERRERIE 103 plus d'une glace pareille, divisée en deux tronçons. Son prix, cependant, bien qu'il fût inférieur de 30 pour 100 à ceux du Tarif, ne laisse pas que de paraître très élevé, car une glace de mêmes dimensions et d'un seul morceau coû- terait aujourd'hui 130 francs à peine. Et, en effet, depuis un siècle et demi, on ne s'est pas borné à réaliser des économies considérables sur le prix de fabrication des glaces. On a augmenté dans des propor- tions invraisemblables leurs dimensions courantes. Piara- O niol, dans sa Nouvelle Description de la France^, parlant de la manufacture de Saint-Gobain, écrit : « Le volume des glaces qu'on fait est borné par la difficulté du poli ; car il est impossible qu'un ouvrier puisse polir des glaces qui 1. Voir t. III, p. 187. 13 194 LA VERRERIE auroient plus de 60 pouces de large. » Les plus grandes mentionnées dans le Tarif officiel que nous citions à glaces l'instant, ne mesurent pas, en efíet, une largeur plus grande ni une hauteur supérieure à 100 pouces. Ces miroirs, qui couvraient 6 mètres superficiels et qui alors passaient pour énormes, valaient 3,000 livres. En 1884, Saint-Gobain livrait des glaces dépareillés dimensions, et beaucoup plus régulières et plus belles, pour 365 francs. Aujourd'hui elles coûteraient un tiers de moins que ce dernier prix. C'est, effet, sur les grandes glaces surtout que la diminution en fait le plus vivement sentir. Ainsi une glace de 10 mè- se carrés, qui en 1875 valait 1,200 francs, n'était tres plus facturée que 467 francs en 1889. Ces chiffres se passent de commentaires. Cet abaissement continuel des prix de vente, malgré la élévation des salaires, qui ont quintuplé en un constante demi, s'explique par des causes multiples. Grâce siècle et à la réduction opérée sur les prix de revient des produits chimiques L qui jouent un rôle capital dans la fabxûcation de la verrerie ; grâce aux étonnants progrès réalisés dans la main-d'œuvre; grâce aux améliorations introduites dans les transports^, on est arrivé à produire cette belle ma- tière à si bas prix, qu'on a pu appliquer les glaces coulées à une foule d'usages nouveaux : vitrages, devantures de couvertures. En outre, il semble magasins, pavements, que les fabricants de glaces ne connaissent plus d'obstacles et qu'ils se fassent un jeu de produire des glaces de dimen- aient été sions invraisemblables. Parmi les plus vastes qui de men- fabriquées en ces dexmières années, il convient 1. En 1783 le sulfate de soude valait 26 fr. 75 les 100 livres ; en 1865, il revenait à 13 fr. 30 les 100 kilog. 2. Au xviii" siècle les glaces se transportaient de Chauny à Paris par bateau, et le trajet durait huit jours. Aujourd'hui il dure quatre lleures. Résultat : sur soixante-douze glaces expédiées, soixante arri- Actuellement le déchet vaient sinon en morceaux, du moins abîmées. est presque nul. LA VERRERIE 195 lionner : celles du foyer de l'Opéra, qui mesurent 6"*, 51 sur 3 m.; de l'hôtel de ville de Paris, 5",73 sur 2°»,43; du Casino de Monaco, 6'",2i sur 3'",54; de l'hôtel Continental, 5°',07 sur 3'",48. Enfin, en 1878, Saint-Gobain exposait au Champ-de-Mars une glace sans tain de 27 mètres carrés, « du verre le plus pur et le plus transparent, offrant une planimétrie abso- lue^ ». On peut se demander, après cela, quelles surprises nous réserve l'Exposition qui doit clôturer notre dix-neu- vième siècle. 1. Rapport sur les cristaux, la verrerie, les vitraux MM. Didron (gToupelII, cl. ix), par et Glemandot, p. 37. YIII LA VERRERIE ALLEMANDE Nous avons expliqué dans un précédent chapitre qu'au XVII® siècle, la vogue sans pareille dont avaient joui jusque- là les produits vénitiens, fit brusquement place à l'engoue- ment qui accueillit la gobeleterie de Bohême. Ces beaux verres taillés, enrichis de gravures au touret, rappelant par la noblesse un peu massive de leurs formes et leur lim- pide transparence les vases de cristal de roche, si recher- chés à toutes les époques, devaient séduire une société amoureuse de luxe solide, et dont les allures somptueuses, reflet de la majesté royale, contrastaient un peu trop avec les sveltes et fragiles verreries de Murano. Sauf à de rem- pour les miroirs, la Bohême, partir 1620, plaça donc dans nos importations sa rivale italienne. Elle nous fournit un grand nombre de pièces de gobeleterie taillées et gravées. Elle nous expédia même des glaces biseautées pour les fenêtres, et ce ne fut pas un des moin- dres luxes de Marie de Médicis, que de faire garnir les croi- sées de son palais du Luxembourg, de verres de Bohême « mis en plomb », ou, pour parler plus exactement, sertis dans une armature d'argent. Ilâtons-nous d'ajouter que longtemps, très longtemps avant cette prise de possession de notre marché par les fabriques de Bohême, la veiu'erie avait jeté en Allemagne un certain éclat. On prétend même que, dès l'aurore du Moyen Age, — au vu® siècle, — ce noble art fut pratiqué dans les environs de Mayence. On cite, au xii® siècle, les noms de deux artisans de Cologne qu'on croit avoir été des verriers. Ces prétentions, au surplus, à faire remon- ter l'origine de la verrerie allemande à une époque si LA VERRERIE 197 lointaine n'ont rien d'insoutenable; et si, comme l'affirment certains commentateurs, le moine Théophile, dont, à plu- sieurs reprises, nous avons eu occasion de signaler le eu- rieux ouvrage, habita le couvent de Helmershausen en Westphalie, il sei-ait bien invraisemblable que ses compa- triotes eussent ignoré une profession dont il parle avec tant d'autorité et d'expérience. Toutefois, il convient de remarquer avec M. Gerspach* que, (c dans rénumération des ouvrages qu'honore l'indus- trieuse Germanie », Théophile cite l'or, l'argent, le cuivre, le fer, le bois, la pierre, mais que le verre n'est pas men- tionné, ce que le moine n'eût pas manqué de faire, si réelle- ment cette fabrication avait eu quelque importance. Il est donc présumable que l'industrie verrière fut, durant tout le Moyen Age, assez peu florissante en Allemagne ; et quand les écrivains allemands nous affirment qu'en 1420, un de leurs compatriotes se rendit à Venise, exprès pour révéler aux verriers de Murano un procédé permettant de doubler le verre avec des feuilles métalliques, — procédé connu, du reste, et px'atiqué dans l'Antiquité, — quand on ajoute qu'un autre Allemand enseigna auxVénitiens, cinquante ans plus tard, à faire le cristal, on ne peut se défendre de pen- ser que les Allemands, en fait de verrerie, avaient bien plus de secrets à emprunter à la reine de l'Adriatique que de procédés à lui dévoiler. Nous savons, du reste, que jus- qu'à la fin du xvi® siècle l'importation de verrerie vénitienn e fut considérable en Allemagne et dans les Flandres, et qu'à la foire de Nuremberg elle formait un élément important de transactions. Nous allons voir, en outre, qu'on ne se bor- nait pas à demander à Venise ses produits, mais qu'on dé- bauchait encore ses ouvriers pour les attirer en Autriche et en Souabe. Avec le xvi® siècle, la lumière commence à se faire sur * 1. L'Art de la verrerie^ p. 248. 198 LA VERRERIE ces débuts obscurs. Les noms d'un certain nombre d'ar- tistes verriers ont été recueillis, surtout ceux de peintres et de graveurs sur verre, dont les œuvres décèlent une ha- bileté et une originalité indiscutables. Au premier rang de - ,, ces artistes doit 1||... I I pren- dre place, à Nurem- berg, la tribu des Hirschvogel, quipra- tiqua cette noble pro- fession pendant plus d'un siècle, de 1480 à 1589. Jusqu'à leur apparition la gob ele- terie allemande avait été assez grossière- ment traitée. Ce qui nous en a été con- servé consiste en vi- drecomes et en gobe- lets, d'une pâte ver- (iâtre et commune, d'une forme lourde et sans grâce, ornés de l)outons, de cornes, de torsades soudés à Fig. 120. — Gobelet en verre peint et émaillé. chaud SUr le COrp" S (Fabrication allemande, xvi° siècle.) même du vase au cours de la fabrication. Avec la collaboration des peintres verriers, cette gobeleterie, sans renoncer à ses formes lourdes et à sa couleur verdâtre très caractéristique, change brusquement d'aspect, et, grâce à une palette chargée d'é- maux variés et brillants, la matière, quoique restant corn- mune, s'embellit de décorations d'une allure fière et hardie, et vraiment très remarquables. Comme cela était naturel, les verriers de Nurembex'g LA VERRERIE 199 cherchèrent à améliorer la matière sur laquelle ils travail- laient. Dès le xv® siècle, au surplus, pour obtenir ce même résultat, des ouvriers vénitiens avaient été embauchés et attirés en Allemagne. En 1428, on rencontre à Vienne un verrier de Murano nommé Onofrius de Blondio. Plus tard, nous trouvons en Souabe, protégé par Guillaume V, un au- tre verrier vénitien appelé Scarpoggialo, etc. Hirschvogel, voulant encore épu- rer et blanchir la pâte des verreries aile- mandes, se rendit lui- même én Italie. Mais il ne paraît pas que ces tentatives aient porté les fruits qu'on en attendait. Le verre blanc, en effet, offrait un champ moins riche, moins vibrant que celui fourni par lu pâte primitive, dont les 121. Bocal en verre peint et émaillé (xvii° siècle). teintes sourdes et verdâtres servaient de repoussoir aux émaux richement colorés, et c'est ainsi que peu à peu la peinture sur verre se vit délaissée et fît place à la gravure pratiquée à Prague par Gustave Lehmann, à Nuremberg par Georges Schwan- hard et Hermann Sclnvinger, à Vienne par Struden, etc., gravure à la roue, au touret, à la pointe de diamant, travail 200 LA VERRERIE de lapidaire plutôt que de veiuûer, qui continua d'être en honneur dans tout l'Empire, en Flandre et en Hollande, jusqu'au jour où Henri Schwanhard, ayant laissé par ha- sard tomber une goutte d'acide fluorhydrique sur ses lu- nettes, remarqua que cet acide attaquait le verre, et se servit de cette découverte non seulement pour graver sans effort, mais pour créer ces fonds mats, dont on a fait depuis un si grand usage. Cette curieuse ap- plication, qui devait, semble-t-il, généra- liser l'emploi comme décoration de la gra- vure sur verre, pa- raît, au contraire, lui avoir été funeste. Jusque-là on avait fabriqué une quanti- té invraisemblable de de Fig. 122. — Aiguière en verre de Bohême taillé gobelets, coupes , , . et gravé {xyii° siècle). ^ COUVercleS , d ai- guières gravées d'ar- moiries, de grotesques, de scènes allégoric|ues ou guer- rières. Dès qu'on fut en possession de ce procédé expé- ditif, ces jolis ornements cessèrent peu à peu de décorer les panses des vases, et la taille, avec ses grands plans et ses multiples facettes, remplaça progressivement les déli- cats entrelacs incisés par le graveur. Nous venons de nommer Gaspard Lebmann, de Prague, chez qui Georges Scbwanbai"d vint apprendre son métier de graveur sur verre. Si l'on en croit les écrivains spé- LA VERRERIE 201 ciaux, c'est dans l'atelier de ce maître, repris ensuite par son élève, qu'auraient été tentés les premiers essais de la taille, ce nouveau mode de décoration qui allait révolution- ner la gobeleterie. Admirablement servie par l'étendue de ses forêts, qui fournissaient à ses verriers le combustible et la soude; par le nombre de ses cours d'eau, qui, outre la force motrice nécessaire aux opérations de la taille, formaient autant de routes toutes tracées qui facilitaient l'exportation, peuplée par une race industrieuse, sobre, énergique, laboideuse, la Bohême vit bientôt de nombreuses verreries s'élever un peu partout sur son territoire. Mais, la taille nécessitant une plus grande épaisseur de matière, toute une révolution se produisit non seulement dans la forme, mais encore dans la nature même de la pâte. Celle-ci, épurée, raffinée, devint étonnamment blanche et transparente, et se rapprocha mieux qu'aucune autre subs- tance du cristal de roche, ce type idéal poursuivi par les verriers de tous les temps. Grâce à ces rares qualités et aussi, nous l'avons dit, parce que ses formes plus robustes, mieux comprises, correspondaient davantage aux besoins, aux exigences, aux convenances de cette société nouvelle qui était éclose en Europe avec le xvii® siècle, la verrerie de Bohême fut adoptée en France, en Allemagne, dans les Pays-Bas. Son commerce s'étendit jusqu'en Espagne et en Portugal. Elle éclipsa même la verrerie de Murano au point qu'en 1730 un Vénitien, Giuseppe Briati, vint en Bohême pour y apprendre les nouveaux procédés de fabri- cation^, et finalement sa production jouit d'une vogue in- contestée jusqu'au jour où le cristal anglais, beaucoup plus pur, beaucoup plus beau, plus sonore surtout, et se prêtant mieux aux nécessités de la taille à facettes, remplaça dans la faveur générale le verre de Bohême, comme celui-ci avait remplacé les produits de Murano. 1. Gerspach, VArt de la verrerie, p. 280. 202 LA VERRERIE Destituées du service des tables et forcées de renoncer à leur exportation de gobeleterie de luxe, les manufactures de Bohême essayèrent de reconquérir une partie de leur ancien prestige, en créant une verrerie de déco- ration qui leur est res- tée bien personnelle. Un illustre chimiste allemand, Hunckel ^, avait trouvé le moyen de produire à des prix abordables des verres bleus et rouges, d'une intensité admirable de coloration et d'éclat. Les Bohémiens, ne re- nonçant pas à la gra- vure qui avait fait leur réputation et leur for- tune, eurent l'idée de fabriquer des vases à deux couches, bleus ou l'ouges au dehors, blancs à l'intérieur, et à'intailler dans la cou- che extérieure des su- Fiff. 123. — Flûte en verre de Bohême taillé • . , i , et gravé (xviii® siècle). cliaSSe pluS OU moins compliqués. Tout le monde a pu voir de ces verreiûes originales, malheureusement un peu lourdes de formes, d'une déco- ration à la fois précieuse et naïve, froides d'aspect en dé- 1. Celui-là même qui a traduit en allemand et annoté VArt de la verrerie de Néri. LA VERRERIE 203 pit de leurs vives colorations, et dont le caractère artisti- que, beaucoup trop bourgeois, ne saurait faire oublier les chefs-d'œuvre des époques antérieures. Considérés comme des articles d'étagère et des objets de curiosité, ces verres furent fort à la mode en France sous le règne de Louis- Philippe. Depuis lors, la verrerie bohémienne s'est fait apprécier chez nous par d'autres productions. En 1855 et en 1867 Paris admira sans réserve les beaux lustres exposés par la section autrichienne. On n'a pas oublié non plus les séries de vases, enrichis d'émaux, et surtout les verres irisés, envoyés en 1878 par M. Lob- ineyr, et les décors en or formant relief exécutés dans les aleliers de M. Moser. Toutes ces précieuses verreides, se recommandant par la somptuosité d'une ornementation un peu prolixe, par la finesse de la taillç, et aussi par leur ])rix accessible, attestent l'activité persistante des fabriques de Bohême. Et tout porte à croire que leur production au- rait reconquis chez nous son ancienne faveur, si la cidstal- lerie française n'était désormais en état de satisfaire à tous nos besoins,^ et de la façon lapins complète. LE CRISTAL « Les Anglais, écrit M. Peligot^, ont les premiers fabri- qué cette belle matière, plus éclatante et plus blanche que le cristal de roche, qu'ils appellent flint-glass et à laquelle nous avons donné le nom de cristal. » A quelle époque les Anglais firent-ils cette précieuse découverte? Vraisembla- blement dans les premières années du xvii® siècle. Goris- tatation singulière ! on prétend qu'elle fut imposée en IX quelque sorte aux verriers de la Grande-Bretagne, par l'obligation où ceux-ci se trouvaient de n'employer que de la houille. A cause des fumées excessives du charbon de tex're, la fusion des matières vitrifiables ne pouvait se pro- (luire utilement qu'en des pots couverts, et par suite moins accessibles à l'action directe du feu. De là, nécessité de recourir à un fondant particulier facilitant la fusion, ad- jonction d'une certaine quantité de plomb, et, comme con- séquence, production du cristal. Cette découveiùe, toutefois, ne donna pas immédiate- ment tous les résultats qu'on était en droit d'en attendre, et la verrerie anglaise, qui avait jusque-là mené une existence assez obscure, continua de végéter encore pendant près d'un siècle et demi. Les sables employés par les premiers fabricants, et qu'ils tiraient du sol même de l'Angleterre, n'étaient pas assez purs. Bien qu'on s'efforçât de corriger par le manganèse la coloration rougeâtre produite par l'oxyde de fer dont ils étaient saturés, leur teinte demeu- rait sombre. Il fallut, pour arriver à produire des cristaux d'une admirable transparence, que les fabricants se déci- dassent à importer des sables étrangers. 1. Rapport du jury international de l'Exposition de ISGl, t. III, p. 65. LA VERRERIE 205 Nous dit quelle vogue accueillit, vers le milieu du avons siècle dernier, le flint-glass ainsi transformé, et comment son importation remplaça celle du verre de Bohême. Ce dernier continua encore d'être utilisé pour les pende- loques taillées servant aux lustres et aux girandoles, et surtout pour les vitrages de prix; et l'on relève dans les journaux de la seconde moitié du siècle dernier, nom])re d'offres de location où il est fait mention, comme d'un luxe recherché, de fenêtres garnies de verre de Bohême^. Mais la gobeleterie, le flint-glass richement taillé à pour facettes, arrêtant et décomposant la lumière, jetant sur les tables mille feux vivement colorés, obtint partout un succès com- plet. Bien sa taille même, poussée à l'excès, alourdît que ses formes et dénaturât le galbe des pièces, il fut adopté dans tous les pays et régna en maître chez nous, jusqu'au à du jour où nos vei'riers se mirent à leur tour fabriquer cristal. C'est seulement en 1782 que, pour la première fois, à la manufacture de Saint-Louis, on parvint à produire cette superbe matière. Notre verrerie venait, au reste, de tra- verser une crise redoutable. Nous avons expliqué dans un précédent chapitre que, sous la haute protection de Colbert, ce bel art avait reçu de Louis XIV, au temps heureux de de puissants encouragements. Mais quand la for- son règne, tune commença de se montrer sévère pour celui qui se faisait appeler le Grand Roi, le gouvernement abandonna aux hasards souvent périlleux de leur destinée les divers établissements qu'il avait fondés, et la verrerie, réduite à ses seules forces, 'vit décroître progressivement, avec la qualité de ses produits, le chiffre de ses transactions. 1. Le nom de verre de Bohême, employé pour désigner le verre à vitre, était encore, au commencement de ce siècle, si couramment em- ployé, que les Annales de l'industrie, rendant compte de l'exposition de 1819, informent le public que la manufacture de Saint-Quirin (Meurthe) avait envoyé à cette e.xposition « des verres à vitre blancs ^ dits de Bohème ». 206 LA VERRERIE Ajoutons que, par un préjugé singulier et qui nous est signalé par Savary des Bruslons^, l'industrie française était en outre portée à ne plus faire que des verres communs. On était, paraît-il, convaincu, dans le peuple et dans la boui-geoisie, que les « verres de fougère^ » donnaient au vin un goût meilleur. Quant aux tables inches, nous avons- dit qu'elles s'approvisionnaient de gobeleterie en Bohême- et en Angleterre. Enfin, la situation de notre production verrière était si critique, qu'en 1760 l'Académie des scien- ces mit au concours la question suivante : « Indiquer les moyens les plus propres à porter l'économie et la perfec- tion dans les verreries de France. » Ce fut Bosc d'Antic qui remporta le prix. Son mémoire, qui, après avoir passé en revue les différents centres de fabrication de l'Eu- rope et étudié leurs procédés, établissait, d'une façon pé- rernptoire, que notre infériorité résultait surtout de la qua- lité fâcheuse de nos matières premières et de l'ignorance de nos maîtres verriers, produisit un excellent effet. Il marqua le point de départ d'une renaissance de la verrerie française, et quelques années s'étaient à peine écoulées qu'on voyait s'élever et grandir les établissements qui allaient devenir, en ce siècle, l'honneur de notre industrie et l'exem- pie du monde entier. En 1765, en effet. Baccarat était fondé, sous le nom de verrerie de Sainte-Anne, par l'évêque de Metz et par An- toine Renault, avocat au parlement, receveur des domaines à Nancy, qui en fut le premier directeur. En 1767, les sieurs de La Salle, Olivier, Anthoine et Joly créaient à leur tour la manufacture de Saint-Louis, où l'on devait, quinze ans plus tard, ai'river à produire des cristaux dignes, comme pureté et comme éclat, d'être comparés à ceux de l'Angle- 1. Dictionnaire universel de commerce, t. 1°'', col. 1208. 2. On appelait « verres de fougère » ou sirnplement fougère, et par corruption feugère, les verres communs faits par les verriers à l'aide des cendres de fougère. LA VERRERIE terre ^ On sait quel développement prirent par la suite ces deux établissements réunis sous une même direction, et comment notre pays se trouva enfin délivré du tribut qu'il payait à l'im- portation étrangère. Bientôt même on tomba dans l'excès, et du service de ta- ble, cette brillante matière, passant à la confection du mo- bilier, trouva son emploi jusque dans l'architecture. Une exposition récente nous a permis de revoir un fauteuil et une toilette entiè- rement en cristal taillé, remontant comme fabrication au Premier Empire. (Voir plus haut, page 73.) Cette ap- plication dispro- portionnée — ne cons- Fig. 125. Flacon émaillé, copié sur un modèle oriental du xvi" siècle. titue pas un fait unique. En 1819, la veuve Désarnaud-Charpentier, pro- priétaire du magasin justement célèbre situé au Palais- Royal, et auquel son escalier de cristal servait d'enseigne, exposait au Louvre un mobilier complet de ce genre. 1. L'Académie des sciences consacra ce beau succès, en chargeant le célèbre chimiste Macquer et Fougeroux de Bondaroy de lui adres- rapport sur les résultats obtenus par M. de ser un Beaufort, alors directeur de cet établissement. 208 LA VERRERIE « Elle exécute en cristal, écrit un contemporain, tous íes meubles sans exception, pendules, vases, tables, toilettes, candélabres, etc. E » Ces cidstaux provenaient de Bacca- rat, où ils étaient taillés d'après des modèles envoyés de Paris. Nous avons, du reste, constaté, dans la première partie de ce livre, que ces tours de force se répétèrent d'une façon en quelque sorte périodique. En 1867, les compagnies réunies de Baccarat et de Saint-Louis prouvèrent, la pre- ruière en exposant une fontaine de 7™,30 de hauteur et des vases Médicis de l'",60, la seconde par ses grands candé- labres et sa vaste coupe à médaillons, non seulement « qu'il n'est aucune sorte de pièces d'ornementation et d'ameuble- ment, de quelque dimension que ce soit, qu'on ne puisse faire en cristal », mais encore que ces deux établissements « possédaient dès cette époque une puissance de fabrica- tion qui ne se rencontrait dans aucun autre pays^ ». Enfin en 1878 Baccarat, nous l'avons déjà dit, édifiait au Champ- de-Mars un petit temple de cristal, dont les colonnes étaient surmontées par un dôme. Ilâtons-nous d'ajouter que, fort heureusement, nos gran- des manufactures ne bornèrent pas leurs efforts à produire de ces ouvrages gigantesques, et d'une utilité douteuse. Une multitude de pièces, appartenant au service de table, sont venues attester, par leur limpidité incomparable, par l'élégance de leur galbe et la franchise de leur exécution, que désormais les verriers français savent atteindre comme blancheur et comme éclat à la même perfection que leurs concurrents anglais, alors que, « sous le rapport de la va- riété et le bon goût des formes », nos produits surpassent assurément ceux de l'Angleterre. Constatons encore que cette belle victoire n'est pas uni- Annales de l'industrie, exposition de 1819 ; t. III, p. 77. 2. Pelig-ot et Bontemps, Rapports du jury international de VExposi- tion de 1861, t. III, p. 71 et 72. LA VERRERIE 209 quement due aux deux établissements que nous venons de citer. A côté de Baccarat et de Saint-Louis, il y aurait tice à injus- ne pas mentionner les cristalleries de de Pantin, Clichy, du Bourget et de Sèvres, dont les aussi produits, eux très remarquables, ont singulièrement aidé à assurer à notre fabrication une réputation européenne. En outre, il ne nous est pas permis de passer sous silence les très nom- breuses créations, adaptations ou restitutions qui ont renou- velé en partie la production verrière et qui constitueront dans son histoire l'apport du xix® siècle. C'est ainsi qu'après avoir longuement parlé des cristaux taillés et de leurs multiples applications, il faut dire quel- ques mots du verre mousseline, résurrection de la démoci^atique vex^rerie vénitienne, susceptible de tant de délicates et charmantes adaptations. De même il faut citer l'emploi du spath fluor poxxv obtenir ces verres opalins qui ont rendu de si grands services à la verrerie d'éclairage ; le secret des verres filigranés et millefiori, retrouvé par M. Bon- temps, et la reconstitution de Vaventurine, « cette pierre philosophale de la verrerie », comme l'appelait M. Peli- got, opérée _en grande masse et pour la première fois MM. Monot par et Stumpf. Les émaux de toutes sortes, en ba- guettes et en pains, scientifiquement obtenus par MM. Pa- ris. Appert, Guilbert et MaxMn ; le trempage du vexTe, découvex't par M. de La Bastie; les machines à tailler fectionnées pex'- par M. Jaubert; enfin l'adaptation des fours Siemens, le soufflage xnécanique, et nombre d'autres innova- tions dont nous avons expliqué plus haut les mex^veilleux résultats et les précieux avantages, sont à ne pas oublier. Mais ces belles découvex'tes, qui, pour la plupart, ont eu plus d'effet sur la production industrielle que sur le déve- loppement ax^tistique de lavex'rexfie, nous touchent moins peut-être que les généreuses recherches d'un certain noxnbre d'ax'tistes qui se sont effoxxés de rendre à cette belle matière la place d'honneur qu'elle avait tenue, durant l'Antiquité et 14 210 LA VERRERIE ])endant le Moyen Age, dans nos habitations princières et parmi nos objets de prix. Au premier rang de ces artistes de mérite, il convient de placer M. Brocard, qui, dans ses imitations de la verrerie orientale, est arrivé à une perfection telle, que l'illusion est permise, et qu'on a vu certains critiques d'art pren- dre ses copies de lampes mo- resques pour des œuvres remontant aux plus belles époques de l'art musulman. On peut dire, au surplus, que jamais l'entente de la couleur et du sentiment décoratif n'a été poussée plus loin, et bien que M. Brocard se soitpareil- lement exercé à reproduire des chefs-d'œuvre de la Re- naissance italienne, c'est sur- tout par ses vases ai'abes ou persans qu'il marquera parmi nos verriers contemporains. C'est également à l'Orient, mais à l'extrême Orient, que Fig 12G. — Porto-bouquet en cristal RoUSSeaU et a^près lui taille et grrave, execute par M. Galle. M. Gallé, de Nancy, ont demandé le renouveau de leur art. R semble que la vue des sur eux une in- jades rapportés du Palais d'Été aient exercé Tous deux se sont efforcés, avec des mé- fluence suggestive. rites divers, de donner à la matière même qu'ils mettaient ou enfu- en œuvre, la valeur des cristaux de roche blancs inés l'accent des gemmes. Ils ont voulu que son aspect et fiM intrinsèque, en dehors de toute forme et de tout décor, T LA VERRERIE 211 capable d'éveiller l'intérêt et même la passion des ama- teurs. Ils y ont réussi; et soit qu'ils aient jaspé leur pâte par l'introduction de sels métalliques, dont l'action modifiée par des vapeurs réductrices présente les résultats les plus inattendus; soit qu'à l'aide d'une projection d'eau froide entre deux feux, ils aient strié la matière, la criblant de fines et étincelantes craquelures; soit que, superposant plusieurs couches, ils opposent les teintes opalines aux" couleurs transparentes; soit enfin qu'ajoutant des larmes de verre coloré ils entaillent ces masses contrastantes, de façon à obtenir des vases étranges, aux formes insolites et rares, aux plans multiples et imprévus, on peut dire qu'ils ont aidé singulièrement à rendre à une matière mer- veilleuse et injustement dédaignée, une partie de son pres- tige ancien. A ce titre leur tentative originale et hardie , comptera certainement dans l'histoire de la verrerie. PREMIÈRE PARTIE FABRICATION I. — Du verre. — Son e.xtrème utilité et ses nombreux ser- vices 3 II. — La Verrerie sous l'Ancien Régime. — Les gentilshom- mes verriers. — Leurs devoirs et leurs privilèges.. 8 III. Des différentes sortes de verre et de leur composition. 16 IV. Construction des fours 21 V. Des pots ou creusets 32 vr. Les verres à vitres 41 VII. La gobeleterie. —• Verres à pied. — Flacons. — Bou- teilles 49 YIII. De la taille du verre et du cristal 59 IX. La gravure 70 X. Autres manières de décorer la gobeleterie. — La jiein- ture; la dorure, les émaux, les verres filigranés, la craquelure, etc 74 XI. La recuisson du verre. — Les larmes bataviques. — Les arches à recuire. — Le verre trempé 89 XII. Le coulage des glaces 94 XIII. Les vitraux. — La peinture sur verre 100 214 TABLE DES MATIÈRES DEUXIÈME PARTIE HISTOIRE J. La Verrerie en Egypte, en Grèce et à Rome 125 — II. — La Verrerie en Gaule III. — La Verrerie au Moyen Age 1 /iQ IV. — La peinture sur verre V. — La Verrerie à Venise VI. La Verrerie française au xvi° et au xvii" siècle 179 _ 1 S7 VII. — Les glaces coulées VIII. — La Verrerie allemande IX. — Le cristal IMPRIMÉ POUR M. CH. DELAGRAYE PAR LA SOCIÉTÉ ANONYME D'IMPRIMERIE DE VILLEERANCHE-DE-ROUERGUE JULES BARDOUX, DIRECTEUR COL·LEGI D'ARQUITECTES DE CATALUNYA Biblioteca 3330169334 ®^OT£CA - /iL LA VERRERIE 95 l'abord, on a comme un pressentiment des choses extraor- dinaires qui vont s'accomplir. XII Mais le contremaître qui surveille les fours a constaté, par le pigeonnier ^ entr'ouvert, que le mélange contenu LE COULAGE DES GLACES dans les creusets est en pleine fusion. Un coup de sifflet strident traverse le hall. En un clin d'œil vingt hommes « Je ne crois pas qu'il existe dans l'ensemble merveilleux vigoureux, aux épaules robustes, aux bras solidement mus- de tous les procédés industriels une opération plus éton- clés, ont occupé la place qui leur est assignée, etlamanœu- nante, » écrit M. Augustin Cochin, en parlant du coulage vre commence avec une rapidité et une sûreté d'exécution des glaci vain qu( d'adress ■i·i·i ri-É-iiT -ifr • i le mot sionnant L'idéi crit, dar tions, e^ que le cd plus d'u| Le souff] sion aus V puissauíl "il Lorsí grandes! 1 par exei part des — on es halls n( dont le fournaisi captif, muets e1 reposen] 1. La A