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JDARMI les Beaux-Arts, la peinture est, par excellence, l'art des temps modernes. L'Antiquité et le moyen âge excitèrent notre admiration par les chefs-d'œuvre de l'architecture; chez les Grecs et les Romains la Statuaire fut portée à l'apogée de la perfection. Durant les siècles qui précédèrent le XV® la peinture ne produisit que des œuvres de peu de valeur. Aux premiers siècles qui suivirent la naissance du Christ, les catacombes et ensuite les églises chrétiennes de l'Orient comme de l'Occident turent ornées de fresques. Ce qui nous en est parvenu a* teste qu'à ces époques l'art ne s'était pas encore affranchi de traditions tenues alors pour immuables, et de formes conventionnelles étouffant toute fantaisie créatrice et condamnant toute conception personnelle. Seuls les miniaturistes qui ornaient les manuscrits de petites scènes vivement et brillamment coloriées s'affranchirent de ce servage avant l'an 1400 et, quoiqu'ils ne célébrèrent leur plus éclatant triomphe qu'après cette année, ils devancèrent les peintres de tableaux sur le terrain où ceux-ci devaient exceller. C'est en Italie aux XIII® et XIV® siècles que parurent les premiers peintres. Cimabue (Florence 1240—1302) encore entravé par les liens de fer des traditions byzantines; Duccio (Sienne, à la même époque) qui conquit une certaine liberté dans le mouvement et à qui l'on dut un commencement de réalisme dans l'expression ; Giotto (Florence, 1266—1337), l'observateur et l'interprète de la vérité et de la beauté dans la vie qui doit être considéré, en raison de ces mérites, comme le véritable fondateur de l'École italienne, mais dépourvu encore du charme suprême de la couleur et de la lumière auquel l'art du siècle suivant devra son prestige. Un grand nombre de maîtres fleurirent encore à Florence et à Sienne : André Orcagna, Simon Martini, les peintres inconnus des plus anciennes fresques du Campo Santo à Pise et maint artiste dont le nom ne parvint point jusqu'à nous, mais tous, autant qu'ils sont, ne représentent que des précurseurs ; ce n'est qu'à l'aube du XV® siècle que l'on verra poindre les vrais maîtres et que l'art parvenu à maturité créera ses premières merveilles. A partir de ces temps jusqu'à nos jours la peinture a poursuivi sa carrière en ne cessant de créer un radieux univers de lumière et de couleur. Cet art a subi l'influence des temps et des milieux ;• florissant de préférence sur certains sols, mais étendan'^continueUe- ment son empire et finissant peu à peu par soumettre tout le monde civilisé à la puissance de sa magie. Un grand pas vers cette perfection fut fait au commencement du XV® siècle en Flandre, soit que, comme on l'a longtemps prétendu, on y inventa la peinture à l'huüe, soit que, comme il est généralement admis aujourd'hui sur la foi de preuves certaines, cette peinture, connue de bonne heure mais peu répandue jusque-là, y eut été perfectionnée et appliquée avec plus de succès qu'aüleurs. Une véritable révolution s'accomplit à cette époque dans la peinture et dans l'art en général, conjointement avec la renaissance qui se produisait dans la pensée et dans la science humaiaes. Chaque artiste se mit à regarder la nature environnante par ses propres yeux, se libéra du joug de la tradition et prit la vérité matérielle et tangible pour modèle. L'art nouveau refléta à la fois le monde extérieur avec ce que la nature et les œuvres II Introduction. des hommes présentent de plus pittoresque, et le monde intérieur avec toul ce qui se passe" dans l'esprit des habitants du ciel et de la terre. La peinture célébra ces spectacles et ces visions par les prestiges d'une couleur avivée et affinée et elle prit, à la tête des manifes- tations de notre imaginative, la place d'honneur qu'elle ne devait plus abandonner. Les Pays-Bas. — Nous avons vu comment dès les XIIP et XIV® siècles la peinture moderne avait déjà produit des œuvres importantes en Italie et comment dans ce pays sa floraison définitive fut précédée d'une efflorescence et d'un épanouissement graduels dont les preuves existent encore et qui permettent de suivre le progrès de dégré en degré. Il en alla autrement dans les Pays-Bas. Là l'ère de la peinture s'ouvre par une œuvre s'élevant d'emblée comme par un miracle aux plus hauts sommets de l'art ; à telle enseigne qu'on a pu, sans être taxé d'exagération, appeler cette œuvre le tableau le plus remarquable de tous ceux qui furent produits. Certes ceux qui la créèrent n'avaient pas inventé leur art tout d'une pièce et ne l'avaient pas porté d'emblée à cette perfection; ils furent évidem- ment les élèves de quelqu'un ; mais on ignore de qui. On ne connaît avec certitude que leur nom et leur œuvre. On ne sait presque rien des peintres venus avant eux ; on ne peut considérer comme leurs dignes précurseurs que les miniaturistes ou les enlumineurs. Ils étaient frères et s'appe- laient Hubert (vers 1370—1426) et Jean van Eyck (vers 1390—1440) ; ils venaient de Maeseyck, vil- lage de la vallée de la Meuse et travaillèrent à Bruges et à Gand. C'est dans cette dernière ville qu'ils créèrent le chef-d'œuvre en question ; le tableau d'autel de l'église Saint-Bavon. Hubert, l'aîné des deux frères, mourut a vant l'achè- Petrus Christus. — Portrait d'homme. (Londres, Collection Salting). vement de leur œuvre grandiose. Jean la termina et produisit encore nombre d'autres tableaux, portraits ou scènes religieuses. Avec ces deux frères commence l'école si renommée des Primitifs Flamands, qui, après avoir pris naissance dans le comté de Flandre, devait s'étendre par la suite dans les autres contrées des Pays-Bas. Ses maîtres principaux furent Pierre Christ (Petrus Christus) qui travailla à Bruges ; Hugo van der Goes, qui vivait à Gand ; Rogier van der Weyden (ou Rogelet de la Pasture) qui s'établit à Bruxelles ; Thierry Bouts, né à Haarlem, qui travailla à Louvain ; Albert van Ouwater et Geertje van Haarlem à la fois hollandais par leur naissance et par leur art ; Hans Memlinc, originaire des environs de Mayence, qui passa son existence d'artiste à Bruges et qui fut le Introduction. Ill plus grand maître de l'école après les Van Eyck; Gérard David qui travailla également à Bruges ; Quentin Massys, né à Louvain, passa sa vie à Anvers où il mourut. Avec Quentin Massys finit l'école des Primitifs proprement dits, école dans laquelle domine le mysticisme mais sans préjudice du réalisme, et d'une tendance à représenter les objets sous leur aspect matériel. Ce que l'esprit s'efforçait de découvrir par l'extase et la fer- veur et ce que les yeux observaient ici-bas fut rendu par une peinture savoureuse et éclatante. A cet art essentiellement néerlandais se rattachent les réalistes du XVP siècle; Jérôme Bosch de Bois-le-Duc ; Lucas de Leide ; Pierre Breughel le Vieux, qui vint à Anvers du Brabant Septentrional et qui se fixa plus tard à Bruxelles ; Pierre Breughel le Jeune ; Pierre Aertsen et d'autres encore qui demeurèrent fidèles aux traditions primordiales. Tandis que ceux-ci perpétuaient le renom de leur école, un courant tout à fait nouveau s'était produit dans les Pays-Bas. Il provenait d'un engouement pour l'art italien, de l'envie d'imiter les méridionaux et de subordonner l'interprétation fidèle de la nature et l'opulence de lu couleur aux compositions grandioses, aux formes séduisantes et au dessin parfait. Dès les premières années du XVI® siècle il fut de mode aux Pays-Bas et ailleurs, d.'aller se perfectionner dans l'art de l'autre côté des Alpes. Gossaert de Mabuse, Bernard van Orley, Schooreel, Martin van Heemskerck d-onnèrent le branle ; Antoine Moro, Frans Floris, Otto Vénius, des centaines d'autres subirent leurs pas. Leur plus ardent souhait et leur but suprême à tous était de dépouiller autant que possible leur caractère néerlandais original pour adopter celui de l'étranger. Un élève d'OttoVénius réagit triomphalement contre ce mouvement néfaste ; il s'appelait Pierre- Paul Rubens et possédait assez de dons naturels et supérieurs pour préserver son originale nature flamande en dépit de l'étude à fond qu'il avait faite de l'art italien ; il régénéra, il créa même à nouveau l'Ecole flamande et jusqu'à Rubens. — 1 r- 1 • -1 Hélène V t -I Fourment et ses enfants ia nn du XVlIi® ■. siecle il demeura son plus (Paris, Louvre). illustre représentant et son chef incontesté. Ses collaborateurs Jean Breughel I, Frans Snijders ; ses disciples Antoine van Dyck; Gérard Zegers, Corneille Schut, Théodore van Thulden, ses concitoyens et compatriotes qui ne fréquentèrent point son atelier : Jacques Jordaens, David Deniers, bien d'autres encore, subirent son influence et adoptèrent sa conception de l'art. Au XVIII® siècle l'Ecole flamande ne produisit plus d'artiste pouvant soutenir la comparaison avec les grands maîtres du XVII® siècle et l'école s'éteignit en même temps que le siècle. A partir de la séparation des deux Pays-Bas s'ouvrit pour la partie septentrionale une cre de prospérité qui vit éclore aussi des merveilles dans le domaine de l'art. Les Hollandais peignirent le monde avec ce qu'il contient, avec ce qu'ils y remarquaient : hommes, paysages, animaux, fleurs, objets inanimées, sans se préoccuper des choses surnaturelles, ou s'il leur IV Introduction. arriva de traiter des sujets de la Bible ou de la Fable, ils n'y virent, volontairement ou malgré eux, que des scènes profanes d'un âge reculé ou de contrées lointaines qu'ils transportaient à leur propre époque et dans leur propre müieu. Ils furent des portraitistes d'une valeur incomparable, Frans Hais, Thomas de Keyser, Michel Mierevelt, Bartholomé van der Helst, Rembrandt, Jac. Adrien Bakker, Govaert Flinck, Ferdinand Bol, Nicolas Macs, Gérard ter Borch. La peinture de portraits devient de la peinture d'histoire dans leurs grands tableaux de Serments armés ou de Régents municipaux et leur peinture d'histoire se transforme tout naturellement en peinture de genre. Tel est le cas pour les œuvres du plus grand d'entre eux et en même temps d'un des plus grands de tous les peintres de l'univers : Rembrandt, qui trouva dans toute chose matière à peinture, qui renouvela et recréa pour ainsi dire toute la création sous les formes que, penseur visionnaire et puis- sant thaumaturge, il avait appelées à la vie. Là où les Hollandais s'affirmaient peintres de genre proprement dits, ils voyaient tantôt le monde sous ses aspects les plus graves, tels Nicolas Macs et Govaert Flinck ; tantôt sous un jour plus familier, avec son train-train habituel et bourgeois, tels Gérard Dou, Jean Vermeer, Pieter de Hooch, les Metsu, les Mieris,lesNetscher,ou bien ils l'envisageaient sous ses côtés burlesques, tels Jan Steen, Adnen Brouwer, Adrien van Ostade. Ils Rembrandt. - Vieille femme (Vienne, Mnsée impérial.) peignirent le paysage avec ou sans figures, comme Jacob et Salomon van Ruisdael, Hobbema, Isaac van Ostade, Aert van der Neer, Andries van de Velde, Albert Cuyp, Claes Berchem, ou bien ils traitèrent les étendues maritimes et les nappes fluviales avec leurs navigateurs et leurs riverains ; tels Jan van Goyen, Jan van de Capeile, Willem van de Velde, Ludolf Backhuyzen ; ou ils se consa- crèrent à la peinture des animaux, comme Paul Potter, Philippe Wouwermans, Melchior Hondecoeter ; ou ils excellèrent dans la nature morte, à l'exemple des De Heem, Heda, Abraham van Beyeren. Tous ont ceci de commun qu'ils sont peintres de la réalité, mais tous diffèrent l'un de l'autre dans la manière d'interpréter ce qu'ils voient ; tous sont adorateurs de la lumière et de la couleur, mais leur interprétation des choses observées varie à l'infini. Italie. — Le XV® siècle fut une époque de magnifique floraison pour la peinture, non seulement pour la Flandre mais aussi pour l'Italie. De l'autre côté des Alpes, la culture générale avait fait un pas de géant et le génie humain était entré dans une voie toi te nouvelle. On y avait fait connaissance avec les écrits des Grecs et des Romains et on y avait appris à voir l'univers sous un tout autre aspect que celui sous lequel on l'envisageait au moyen âge. Le goût s'épura et s'affina, l'homme fut rendu à la pleine conscience de sa valeur et de sa force. La connaissance de la littérature des Anciens eut pour conséquence un intérêt plus actif accordé à ce qu'ils avaient produit dans le domaine de l'art. Introduction. V Florence lut la cité élue d'où parti" ce mouvement, et où il se concentra durant des siècles. A cette époque Florence était, plus que Rome et plus que n'importe quelle autre ville, la capitale de la civilisation italienne et l'on peut même dire de la civilisation, européenne. C'est là, nous l'avons déjà vu, que travaillaient les peintres antérieurs au XV® siècle, les Primitifs italiens. C'est encore là, après 1400, que vécurent les grande maîtres à qui l'Ecole Italienne a dû sa renommée et son prestige. Ils étaient nom- breux, généreusement doués et de tendances diverses. Au début leurs figures sont encore un peu raides et le milieu dans lequel ils les placent demeure conventionnel; mais bientôt triomphent les qualités qui caractériseront l'art italien futur, voire même l'art en général : la vérité et le naturel dans le rendu de la figure et de l'action humaines. Masolino (1383?—1447?) et Masaccio (1401—1428?) ouvrent la série des peintres floren- tins de la première école ; avec Filippo Lippi, élève de Masaccio, ils couvrirent les parois de la chapelle Brancacci, dans l'église del Carmine à Florence, de fresques que ncus admirons toujours comme une épreuve éclatante de l'esprit vivace et élevé qui avait renouvelé l'art. Leur contemporain Fra Giovanni da Fiesole (1387—1455) exprime plus intime- ment que n'importe quel autre peintre le mysticisme dont était imprégné l'art primitif en Italie, même après que l'influence de la Renaissance eut commencé à se faire sentir. Les panneaux de Filippo Lippi, les premiers parmi les tableaux d'autel et en général par- mi les illustrations de scènes religieuses, respirent encore cette ferveur ^mystique. Avec Sandro Botticelli (1444 ou 1445—1510) l'art se dégage de cette religiosité naïve et se réveille de ses rêves gothiques ; et comme sous l'empire de l'enthou- siasme et de l'ivresse d'un premier amour il exprime son admiration pour la beauté de l'homme et de la nature, il exalte les aspects enchanteurs de l'univers. Après ce grand maître, poé- tique et original entre tous, se déroule la série de ceux qui s'efforcent de con- oilier la beauté et la vérité, d'opérer la fusion du ciel et de la terre. Benozzo Gozzoli (1420—1498), Antonio (1429— 1498) et Piero (1443—1489), Pollaiolo, Filippino Lippi (1457—1504), Lorenzo di Credi (1459—1537), Domenico Ghir- landajo (1449—^49^), Léonard de Vinci (1452—1519). Avec ceux-ci se ferma le XV® siècle et la peinture florentine trouva sa plus haute expression. Si l'école tenait à vivre et à fleurir encore, il lui fal- ^ lait se mouvoir et se transformer. C'est ce que Léonard de Vinci 'avait senti : il J®^'^ stcen. Femme ivre, adopta les anciennes traditions et s'y conforma dans la mesure où son propre génie l'autorisait à obéir à d'autres lois que celles qu'il s'était dictées lui-même ; mais il marqua toutes ses créations du sceau de sa haute per- sonnalité et il en fit plutôt ses propres oeuvres que celles de son école. A ses côtés se dresse un autre superbe artiste : Michel-Ange (1475—1564), plus pexsonnel encore que Léonard de Vinci.. VI Introduction. Il rompt plus délibérément avec les conceptions de ses prédécesseurs. Ni la vérité séduisante ni la gracieuse harmonie n'exercent d'attraction sur lui, mais ses piédilections vont à la force et à la puissance gigantesques, il contemple et il admire l'homme pour lui-même, il l'exalte et il l'emporte avec lui au-dessus de la terre, il en fait l'être tout-puissant. Les deux plus illustres enfants de Florence abandonnèrent leur berceau et allèrent vivre et travailler ailleurs : Léonard à Milan et en France, Michel-Ange à Rome. L'art florentin devint l'art de l'Italie. Quelques artistes de valeur demeurèrent pourtant fidèles aux rives de l'Arno; Fra Bartolomeo (1475—1517), André del Sarto (i486—1531), d'autres encore, mais après ceux-ci apparurent les premiers symptômes d'une décadence qui fut de plus en plus rapide et finit par une chute totale. Entre temps d'autres écoles avaient surgi: toute l'Italie septentrionale représentait une terre fertile restée en jachère durant des siècles et qui, cultivée à présent avec ardeur et intelligence, produisait à profusion les fruits les plus variés et les plus savoureux. Aux environs de Florence, dans l'antique Ombrie, nous rencontions dès le début, du XV® siècle des peintres d'une valeur extraordinaire : Gentile de Fabriano, Piero degh Franceschi, Melozzo da Forli (1438-1494), Luca Signo- relli (1441-1523), Pérugin (1446-1524), Pin- turichio (1454-1513). Tous ceux-ci se dis- tinguent par une ferveur religieuse qui les différencie des Florentins plutôt profanes. Cette école trouva son expression suprême en Raphaël (1483-1520). Né à Urbin, élève de Pérugin, ayant passé quelques années de sa courte vie à Florence il s'était rendu ensuite à Rome où il fonda son école. Il appa- raît comme une synthèse de l'art italien et comme le représentant le plus complet de cet art. Il réunit le mysticisme rêveur et contem- platif des. époques antérieures aux préoccu- pations plus réelles et plus humaines de son temps; il joint aux admirables formes de ses personnages, l'art de les grouper harmonieuse- ment et de lerrr prêter une vie radieuse. A Padoue naquit une école qui trouva en Mantegna (1431-1506) son plus grand maître et aussi un des plus grands maîtres de l'Italie ; un peintre qiri s'assimila surtout l'art de l'antiqirité et qui transporta dans l'art moderne les plus nobles qualités des chefs-d'œuvre du paganisme. A Ferrare et à Bologne travaillait un groupe de peintres dont quelques-uns tels que Francia (1450-1517), Lorenzo Costa (1460-1535), Timoteo Viti (1467-1523) conqui- rent une renommée justifiée. A Milan Léonard de Vinci introduisit une vie nouvelle dans l'art. Parmi ses disciples nous mettrons hors de pair Bernardino Luini, le peintre de fresques, qui exprima ses conceptions nobles et délicates en des formes souverainement séduisantes. L'école que Michel-Ange et Raphaël fondèrent à Rome, produisit Daniel da Volterra (1509- 1560) comme le disciple le plus remarquable du premier, et Jules Romain, élève du second. Parme nous donna le Corrège (1494-1534), le magicien de la lumière. Dans d'autres villes il y eut aussi des peintres, mais en si grand nombre qu'il faut renoncer à les énumérer. Venise mérite une description spéciale, vu la grande place qu'elle occupe dans l'art itahen par son originahté. Tandis que les autres écoles étaient pour ainsi dire Introduction. vu des écoles de peintres dessinateurs, les Vénitiens-étaient avant tout des coloristes. De 1440 à 1490 l'art vénitien prélude avec les frères Jean, Antoine et Barthélémy Vivarini de Murano ; ils sont suivis par quelques peintres de style encore primitif mais bien touchant et bien émouvant : Carlo> Crivelli, les frères Jean et Gentil Bellini, tous deux exquis, quoique fort différents l'un de l'autre, le premier, un peintre de Madones rêveuses et d'une beauté suave, vraimient idéale, le second, traitant des scènes réalistes prises dans la vie des Saints ; Victor Carpaccio, qui suivit Gentil Bellini dans ses fidèles interprétations de la vie réelle ; Cima da Conegliano, Mario Basaita qui florissaient dans la dernière moitié du ' XV® siècle et dans le pre- ; . mier quart du XVP. C'est au XVI® siècle que l'Ecole vénitienne arrive à son com- plet épanouissement. Dans la cité des lagunes travaillent successivement : Giorgione (1478-1511), Palma le Vieux (1480-1528), Lorenzo Lotto le Titien (1477-1576), le plus grand de tous, Paris Bordone (1500-1571), Pordenone (1483-1539), Moretto (1498- 1555)> Morone, les Bassano, le Tintoret (1519-1594) et Paul Véronèse (1528-1588) qui rivalisaient de couleurs opulentes et de tons délicats. Après ces deux derniers, les deux plus grands après le Titien, l'école tombe en désuétude pour jeter un der- nier éclat au XVIII® siècle avec le spirituel peintre de figures Tiepolo (1692-1769) et avec le radieux peintre de vues de ville Canaletto (1697-1780). La grande période de la peinture italienne ex- pira avec le XVI® siècle ; la décadence avait déjà Raphaël. — Madone dans un paysage (Vienne, Musée impérial), commencé, quand de sérieux efforts pour la cornbattre furent tentés dans une ville demeurée jusque-là à l'arrière-plan des manifestations artistiques. C'était Bologne. Des hommes de bonne volonté et de grande énergie, doués d'ailleurs de facultés remarquables, s'imaginèrent pouvoir sauver l'art national en étudiant consciencieusement les grands maîtres, en s'efforçant de les égaler sur le terrain où ils avaient excellé et à arriver à la perfection en réunissant toutes les qualités portées respectivement à leur comble par chacun de leurs illustres prédécesseurs. Ils fondèrent l'art académique par excellence, l'art que l'on apprend à l'école d'après des VIH Introduction. modèles conventionnels et des règles immuables. Les fonda- teurs et les maîtres les plus célèbres de l'École bolonaise furent les frères Louis {i555~ 1619), Augustin (i557-i6o2)et Annibal Carrache (1560-1609). Ils furent suivis et souvent dépassés par le Guide (1575- 1642), le plus méritant de tous, et par le Dominiquin (1581- i64i )etleGuerchin (1591-1666). Une autre tentative pour le renouvellement et la régénération de l'art italien fut faite par le Caravage (1569- 1609) qui fonda l'école natura- liste du noir. Cette tendance Boucher. - Diane après le bain à (Louvre, Paris). f^t adoptée et Suivie NapleS par l'Espagnol Ribera (1588- 1609), Salvator Rosa, le fougueux peintre de paysages et de bandits, sans qu'il s'ensuivit une véritable renaissance. France. ■ — Durant le moyen âge la France se trouvait à la tête des pays de l'Europe occidentale sur les terrains de l'architecture et de la littérature ; ses miniaturistes aussi avaient produit des chefs-d'œuvre ; mais pour la peinture elle se montrait inférieure à l'Italie, à la Flandre et à l'Allemagne. L'histoire des époques les plus reculées de l'Ecole française est peu connue et elle le demeure en dépit des efforts très louables faits en ces derniers temps pour répandre plus de lurnière sur ses origines. Dans le courant du XV® siècle apparaissent les premiers maîtres qui nous apportent un style original et des œuvres intéressantes. Parmi ceux-ci figurent Jean Fouquet, Enguerrand Charanton, Nicolas Froment, Jean Perréal, le Maître de Moulins. Subissant à la fois l'influence de la Flandre au Nord et de l'Italie au Midi, ces maîtres n'affirmèrent jamais une personnalité absolue. Leurs efforts tendirent à rendre fidèlement la réalité dans ses formes extérieures et en exprimant leur émotion intime. Ce n'est qu'au XVII® siècle que l'art français acquiert une certaine importance en Europe. Néanmoins il se trouve toujours sous l'influence étrangère. Les frères Lenain, Antoine (né en 1588), Louis (1593), Mathieu (1607) cherchent et trouvent leur propre voie entre les Italiens et les Flamands et demeurent indépendants par la conception et aussi par l'exécution de leurs scènes bourgeoises ; Valentin (i59i?-i634) se range sous la bannière du Caravage, le réaliste broyeur de noir ; mais tous les autres prennent pour modèles les Ita- liens de la décadence et surtout les Bolonais. Simon Vouet (1590-1649), Nicolas Poussin (1594-1665), Gaspard Dughet (1613-1675) ; Philippe de Champagne (1602-1674), un Bruxel- lois de naissance, Sébastien Bourdon (1616-1671), Claude Lorrain (1600-1682), Pierre Mignon (1619-1695), Charles Le Brun (1619-1690), Fustache Le Sueur (1616-1655), Jean Jouvenet (1644-1717), Nie. de Largillière (1656-1746), Hyacinthe Rigaud (1659-1743) sont les principaux. L'art qu'ils pratiquent est essentiellement académique de forme, rhétorique d'expression, de ligne et de couleur tempérées ; ils se sont formés à l'école et à force d'étude ils sont devenus des artistes raisonnables, ennemis de toute exagération, mais hostiles aussi à toute audace et à toute franche personnalité. Nicolas Poussin avec ses scènes noblement Introduction. IX senties et harmonieusement rendues, avec ses paysages classiquement idéalisés ; Claude Lorrain avec ses paysages d'apothéoses, sont les plus célèbres et les plus justement renommés. Charles Le Brun fournit l'échantillon le plus réussi de la manière rhétorico-épique ; Eustache Le Sueur rend avec beaucoup de talent l'esprit monacal ; Pierre Mignon, Nie. de Largillière, Hvacinthe Rigaud se distinguent comme de corrects portraitistes de la très distinguée noblesse française et du monde des hauts fonctionnaires. Au XVIIP siècle l'Ecole française subit une importante métamorphose. De rhétorique et classique elle devieni idyllique, tantôt moralisante, tantôt éprise de sen- sualisme, mais toujours soucieuse de formes séduisantes et de sentiments raffinés. Jean- Baptiste-Siméon Chardin (1699-1779) se distingue des autres par son caractère réaliste bourgeois et familier ; Jean Baptiste Greuze (1725-1805) par ses scènes de famille mélodra- matiques ; Claude Joseph Vernet (1712-1789) par ses paysages décoratifs et artificiels ; François Boucher (1703-1770), Antoine Watteau (1684-1721), Nicolas Lancret (1690-1743), Jean Baptiste Joseph Faber (1696-1736), Jean Honoré Fragonard (1732-1806) se font les interprètes attitrés de la haute société si frivole, mais si séduisante aussi, si raffinée, si adorable de leur époque. Grâce à ces maîtres la France s'éleva au premier rang de l'art à une époque où la peinture subissait une décadence complète dans toute l'Europe. Et après avoir été longtemps vassale elle imposa sa suprématie artistique à toute notre civilisation. Allemagne. — A l'époque où la peinture flamande connaissait sa première floraison, elle trouva ses premiers disci- pies dans les contrées voisines de l'Allemagne. Les plus anciens et les plus importants des peintres allemands tra- vaillaient à Cologne où ils créaient des œuvres on ne peut plus remarquables. La célèbre Adoration des Mages de la cathédrale de Cologne fut peinte vers 1426 par maître Etienne Lochener. Dans l'Allemagne occiden- taie et méridionale d'autres peintres moins doués pour- suivaient leur œuvre vers la même époque et se succé- datent jusqu'à la fin du XV® siècle. Le seizième siècle est l'âge d'or de l'art allemand ; à la rigueur ses représentants étaient plutôt des dessina- teurs et des graveurs que des peintres proprement dits, mais ils montrèrent des qua- li tés si originales et si ca rac- téristiques, qu'ils comptent parmi les plus grandsmaîtres Gainsborough. — Miss Linley et son frère. X Introduction. Les plus, célèbres sont Albert Altdorfer (11538) ; Albert Dürer (1471-1528), H?ns Baldung Grien (1475 ?-i545), Hans Burck- mair (1473-1531), Bartel Beham (1502- 1540), Lucas Granach (1515-1586), Hans Holbein (1497-1543), Barthel Bruyn (1493- 1553?)- Les plus glorieux entre ces maîtres, sont Albert Diirer et Hans Holbein. Le premier est un créateur intarissable, un observateur profond et aigu, un technicien, excellent camme dessinateur et comme gra\eur, aussi grandiose que séduisant, aussi dramatique que sensible ; le second est doué de radieuse et opulente fantaisie, en outre pénétrant observateur de la nature, plus peintre que Diirer et un des plus grands portraitistes qui aitnt jamais existé. Dans le courant du XVID siècle nous ne rencontrons qu'un seul maître allemand de quelque signification : Adam Elsheimer (1578-1620), \rai peintre de la couleur et de la lumière, qui exécute ses délicieux petits tableaux avec autant de ciânerie que de charme. Au XVIIP siècle l'École allemande ne produit aucun artiste digne de compter parmi les grands maîtres. Espagne. — L'histoire de l'École de peinture espagnole ne mentionne que quel- ques maîtres de très haut rang, mais dans ce petit nombre certains se rangent parmi les princes de l'art universel. Jusqu'au XV® siècle l'Espagne appartenait à des princes mahométans ou luttait contre eux pour la conquête de son territoire et lorsque le pavs eut recouvre son indépendance il n'avait pas encore trouvé l'occasion de s'appliquer aux œuvres de la paix. Aussi longtemps que l'Espagne fut une puis- sanee florissante elle fut tributaire de l'art étranger ; par contre, au XVII® siècle, quand eut sonné l'heure de son déclin politique et se fut même consommée sa déchéance, l'art national jeta un grand éclat dans tous les domaines aussi bien dans les lettres que dans la sculpture et la peinture. Les peintres appartenant à cette Alb. Dürer. Lucas Paumgartner Saint Eustache période de généreuse floraison, sont Frances- — en (Munich, Pinacothèque). CO Herrera le Vieux (1576-1656), Francesco Introduction. XI Zurbaran (1598-1662), Alonzo Cano (1601~ 1667) etd'autres encore. Toutes leurs œuvres accusentprofondément les traits du caractère espagnol: une dévotion austère et presque lugubre alliée à un amour de la vérité tombant dans l'exagération des détails familiers, et combinée avec une puissance coloriste friande des tons sombres et accusés. Api ès ces premiers peintres nationaux appa- raît le plus grand des maîtres espagnols Die- go Velasquez (1599-1660). II est un des plus prodigieux coloristes qui aient émerveillé l'univers : à la fois sobre et affiné, il a le respect de la réalité et il rend celle-ci le plus fidèlement possible, mais en même temps il prête à ses personnages un caractère émi- nemment personnel qu'il exprime avec au- tant de vérité que de profondeur. Il est natu- rabste comme tous ses compatriotes, même le plus radical d'entre eux, mais il n'a rien de leur dureté et aucune de leurs exagérations de couleur ou de dessin. Au second rang s'impose Bartholomée Esteban Murillo (1618-1682). Lui aussi se livra sans timidité et sans contrainte à la peinture des rudes scènes de la vie populaire; lui aussi interpré- ta la dévotion intense et farouche de son peuple, mais il célébra surtout les extases de- vaut les splendeurs célestes ; croyant naïf il exprima les choses surnaturelles avec un charme attendri. Ses couleurs rivalisent de séduction avec la grâce de ses \dsions ; il est par excellence le mj'stique aimable et radieux. Il l'emporte de beaucoup sur Jos. Ribera (1588-1656) qui, a3*ant passé une partie de sa vie en Itahe, y adopta les procédés et les tendances des peintres de noir de son temps, mais en exagérant encore cette manière sombre par les côtés farouches inhérents au caractère espagnol. Il porta le souci de la vérité jusqu'à la rudesse et la force dramatique jusqu'à la violence barbare. Les trois grands chefs de leur école produisirent de nombreux élèves et disciples dont aucun ne s'éleva assez haut pour être cité parmi les noms illustres. Au XVIII® siècle c'étaient plutôt des peintres étrangers Alb. Dürer. — Stephan Paumgartner en Saint Georges que des indigènes, qui travaillaient en (Vlunich, Pinacothèque). XII Introduction. Espagne. Un seul nom est à retenir pour cette époque, celui de Francesco Goya y Lucientes (1746-1828) un des peintres les plus déconcertants et les plus fantasques qui existèrent jamais. Il envisage le monde comme un grand spectacle, vibrant et frémissant -de vie. Ses portraits éclatant de couleur et de lumière, rendent la réalité d'une façon si il avec une implacable l'on ne sait s'il est sérieux ou s'il que plaisante ; peint stupéfiante Jégèreté qui dégénère parfois en licence, en somme il représente le seul artiste original à une époque de décadence ou d'imitation servile. Angleterre. — L'Angleterre qui s'était assuré de bonne heure un rang prééminent dans toutes les manifestations de l'intelligence humaine, demeura durant des siècles à la •suite des autres pays de l'Europe dans le domaine de la peinture. Ce ne fut qu'au XVIIP siècle, quand l'Angleterre se fut développée solidement dans toutes les directions et fut devenue une des nations les plus puissantes tant au point de vue matériel qu'au point de vue moral, qu'elle conquit aussi une place originale et considé- le rabie dans le royaume de l'art. Alors parurent William Hogarth (1697-1764), peintre -et dessinateur teinté de littérature, l'imagier fantastique, l'âpre moraliste ; Richard Wilson ■(1714-1782) le plus ancien des paysagistes anglais, qui importa de l'Italie dans sa patrie un rameau de cet art qui devait y fleurir si généreusement par la suite ; Sir Joshua Reynolds se (1723-1792) l'artiste teinté de classicisme, l'esprit vigoureusement développé qui trouve à la tète de cette brillante série de portraitistes anglais ayant puisé leur et ayant acquis une remarquable technique dans l'étude des maîtres haute originalité •du passé ; Thomas Gainsborough (1727-1788), son émule et certes le second, après intime lui, parmi les portraitistes, qui alliait une élégance native au rendu saisissant de la vie •et à un coloris éclatant, et qui se distingua aussi comme paysagiste. Avec ces maîtres du XVIIP siècle s'inaugura l'Ecole anglaise qui devait fournir une suite ininterrompue d'artistes de talents remarquables et de dons variés. Au dix-huitième ■siècle encore parurent George Romney (1734-1802), Sir Henry Raeburn (1756-1823), John Hoppner (1758-1810), Sir Thomas Lawrence (1769-1830), tous portraitistes de grand mérite, •dont quelques-uns en même temps peintres d'histoire de talent ; Benjamin West (1738-1820), peintre d'histoire né en Amérique ; John Crome (1768-1821), fondateur de l'Ecole anglaise •de ; James Ward (1769-1859), paysagiste et animalier ; William Turner paysage (1775-1851), le grand paysagiste fantastique, le poète thaumaturge et visionnaire, le prestigieux lyrique, qui se vantait de surpasser Claude Lorrain et qui y était parvenu effectivement ; John •Constable (1776-1837), le vigoureux peintre du véritable paysage anglais, tous illustres pionniers qui frayèrent les voies à l'art anglais du siècle suivant. Nous nous sommes proposé de faire admirer tous ces maîtres dans la reproduc- tion de leur chefs-d'œuvre. Dans notre choix nous avons dû tenir compte de l'histoire de l'art -et il nous fallait montrer le développement et les évolutions de la peinture à diverses époques •et dans divers si ces pays par les productions les plus caractéristiques, même productions sont parfois inférieures à des chefs-d'œuvre que nous n'avons pu reproduire. Mais telle •qu'elle a été composée cette longue série nous permettra d'admirer ce que la peinture a produit de plus remarquable dans le cours de cinq siècles ; elle fera défiler à nos yeux, comme ■dans immense cortège, ce les grands créateurs d'art enfantèrent de mieux, les ta- un que bleaux sublimes qui furent acclamés à leur apparition, et qui procurèrent à des millions de nos ancêtres la plus pure des jouissances en remplissant leurs yeux de l'éclat de la couleur «et de la lumière, et leur cœur de la plus noble des émotions. ^larie. Dieu le Père. Saint Jean Baptiste. I—3. Hubert et Jean van Eyck. L'Adoration de l'Agneau (Gand, Eglise Saint-Bavon). LES CHEFS-D'ŒUVRE DE LA PEINTURE. L'ÉCOLE NÉERLANDAISE. Les Primitifs flamands ft néerlandais. LES origines et l'apparition de l'Ecole néerlandaise sont obscures et tout ce que nous en savons devient encore plus mystérieux et plus énigmatique en raison de Ja clarté éblouissante que projettent subitement les premiers chefs-d'œuvre que cette école a produits. Les créateurs de ces chefs-d'œuvres furent les frères Hubert et Jean van Eyck, nés selon toute probabilité à Maeseyck, dans le Limbourg belge, le premier vers 1370, le second vers 1390. Dans le premier quart du XV® siècle, ils vinrent en Elandre où, sous les ducs de Bourgogne, régnait la plus grande activité artistique et où ils moururent, à Bruges, l'aîné en 1426, le cadet en 1461. La plus importante de leurs œuvres et la seule à laquelle il soit certain que Hubert ait collaboré est L'Adoration de VAgneau (N°® 1—5), dont la description suit : Le sujet de ce chef-d'œuvre de l'art néerlandais primitif est emprunté au texte de l'Apocalypse (Chap. VIT) où Jean dit ,,Ensuite je vis une immense légion que nul n'aurait su dénombrer, embrassant tous les peuples, toutes des races et toutes les langues, qui se tenait devant le trône et en face de l'Agneau, tous vêtus de longues robes blanches, des palmes à la main et ils clamaient à haute voix, disant : ,,Louanges à notre Dieu, assis sur le trône avec l'Agneau". Ce chapitre appartient au texte lu dans l'église à la Toussaint. Les légendes ecclé- siastiques rapportent, sur l'origine de cette fête,-qu'un gardien de la basilique Saint-Pierre Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 2 s'étant endormfune nuit dans l'église eut un rêve où il vit le Roi des Rois, assis sur de Rome une un trône et ayant à ses côtés les phalanges angèliques ; à sa droite était assise Marie, à Saint couronne étincelante sur la tête, gauche Jean Baptiste, en sayon de poil de chameau. vêtements sacerdotaux s avançaient Une multitude innombrable de vierges et de vieillards en de toute sorte de peuple. Alors survint vers le trône et derrière eux affluait une masse compacte fête en l'honneur Saint Pierre qui chargea le gardien d'ordonner au Pape d'instituer une ce dénombrent les groupes de tous les Saints. Les prières et les hymnes de la liturgie de jour adorer l'Agneau et appartenant à l'armée des Saints : les anges, les patriarches et venus pour Saint Pierre et les autres apôtres, la milice prophètes, les pères de l'Eglise, les juges. Saint Jean, van triomphante des martyrs, les confesseurs, les vierges. Les peintres Hubert et Jean Eyck,qui l'apothéose de la Rédemption, la mission subli- représentèrent cette vision l'ont conçue comme un de l'Agneau deDieu descendu sur terrepour nous racheter du péché originel. C'est hymne me remportée le Bien sur le Mal, par le Ciel sur l'Enfer. grandiose en l'honneur de la victoire par 4. Hubert et Jean van Eyck. — L'Adoration de l'Agneau (Gand, Eglise Saint-Bavon). La composition primitive comporte un tableau d'autel avec deux volets. Elle repré- sente douze tableaux sur deux rangées ; sept dans la rangée supérieure et cinq dans celle de est dessous. Dans celle du haut on voit Dieu le Père, le tout-puissant (N° 1) à qui tout soumis,, le qui dispose des destinées du ciel et de la terre, aimant ses créatures, plus clément, le plus tendre et le plus généreux des bienfaiteurs. A sa droite est assise Marie (N° 2), la plus proche de Dieu, notre grande médiatrice auprès de Lui, comme il est dit dans l'inscription entourant son visage. A gauche de Dieu le Père est Saint Jean Baptiste (N° 3). ^ ^ Dans le haut du volet de gauche figurent des anges chantant leur chœur éternel (N° 5). A côté d'eux, à gauche Adam, à droite Eve, le premier couple par qui le Péché vint dans le monde. Au-dessus de ceux-ci le Sacrifice de Caïn et d'Abel et le Meurtre d'Abel par Caïn. La rangée inférieure de devant compte cinq tableaux. Au milieu sur un trône l'Agneau de Dieu, effaçant les Péchés du monde (N° 4). Les anges sont agenouillés autour de l'autel. Devant comme l'autel, sur lequel repose l'Agneau, jaillit la fontaine des eaux vives, brillantes Les Primitifs flamands et néerlandais. 3 le cristal, provenant du trône de Dieu, où l'Agneau conduira l'humanité. A gauche de la iontaine sont agenouillés les prophètes et derrière eux une phalange de docteurs et de philosophes ; à droite se prosternent les apôtres et les pontifes ; plus haut on voit s'avancer dans le paysage, à gauche les bienheureux, à droite les saintes femmes. Sur l'un des tableaux à gauche du panneau du milieu sont représentés les chevaliers du Christ, sur l'autre les juges Equitables. A droite on voit sur le premier panneau les saints Ermites, sur le second les saints Pèlerins, marchant tous vers l'Agneau pour l'adorer. Les derrières des volets sont divisés en trois rangées de panneaux superposés, La 5. Hubert et Jean van Eyck. — L'Adoration de l'Agneau. Les anges chantant et jouant de divers instruments (Berlin, Musée Kaiser Friedrich). rangée du bas comprend quatre figures ; Saint Jean Baptiste et Saint Jean en détrempe, l'Evangéliste peints les portraits des donateurs Judocus Vijd et son épouse Isabella Borluut la du milieu ; rangée représente en quatre panneaux, VAnnonciation. La rangée du haut des grisailles comprend, dans basses et semi-circulaires, le prophète Zacharie qui prédit le mystère de l'Incar- nation, le prophète Micha et les sybilles de Cumes et Le d'Erythrée qui prédirent le même mystère. peintre y a ajouté le texte des divers oracles prédisant la venue du Christ. Le tableau d'autel V Adoration de V Agneau fut commandé aux frères Van Eyck vers Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 4 l'an Cette année Judocus Vijd, fils d'un ,,receveur" de Flandre et seigneur de diverses 1420. communes acheta une chapelle dans l'église Saint-Bavon, dédiée alors à Saint Jean, pour y faire construire son tombeau et celui de sa femme Isabella Borluut, issue de la famille la plus illustre de Gand. Il fit décorer somptueusement cette chapelle et placer sur l'autel le tableau en question. Sur le cadre on lit l'inscription suivante, le document le plus important con- avant cernant l'origine de l'œuvre : ,,Le peintre Hubert van Eyck, plus grand que tout autre lui, commença cette œuvre, que son frère Jean, le second dans l'art, acheva à la demande de Judocus Vijd. Cette inscription nous apprend que ceci se passa le six Mai (1432)." (Pictor) Hubertus e Eyck, major quo nemo repertus Ingerit pondusque Johannes arte secundes (Prater perf)ecit Judoci Vijd prece fretus Versus seXta MaI Vos CoLocat tVeri. D'après cette inscription Hubert, l'aîné des deux frères Van Eyck aurait commencé l'ouvrage et Jean, son cadet, l'aurait achevé. Nous ignorons quelle partie du polyptyque fut peinte par l'un et laquelle par l'autre des deux frères ; il n'y a même rien dans la peinture qui indique le travail de deux mains différentes. D'Hubert van Eyck nous ne connaissons pas seconde œuvre avec quelque certitude ; de Jean nous en connaissons plusieurs et celles-ci une concordent bien avec la œianière du tableau d'autel de Gand. N'était l'inscription précitée personne ne douterait que l'œuvre entière ne fût de Jean van Eyck, et même cette inscription n'exclut point l'hypothèse que Jean van Eyck peignit entièrement le tableau et que son frère aîné ne fit que le préparer. L'Adoration de VAgneau fut placée comme nous l'avons dit sur l'autel de la chaj.elle Vijd en 1432 ; aux époques troublées du XVP siècle, le 15 Août 1566, le tableau fut trans- porté dans la Citadelle Espagnole de Gand et de là à l'Hôtel de Ville et en Septembre 1584^ lorsque la ville eut été pacifiée, il fut remis à sa place primitive. En 1785, lors d'une visite de l'empereur Joseph II, ce prince estima que les figures nues d'Adam et d'Eve étaient déplacées dans une église ; en conséquence on les détacha de l'autel et on les relégua dans-le grenier de l'église. En 1794, les panneaux fixes furent transférés à Paris, m.ais les volets mobiles demeu- rèrent dans l'église. En 1815, les parties enlevées furent restituées à Gand et le 10 Mai 1816 elles furent replacées sur l'autel. Mais peu après les volets, comprenant les six panneaux ; les anges faisant de la musique, les anges en train de chanter, lesjuges Equitables,les Chevaliers du Christ, les Pèlerins et les Ermites furent vendus à un marchand de tableaux, Nieuwenhuys, pour la somme de deux mille francs. Celui-ci les céda pour cent mille francs à Solly, un Anglais, qui les abandonna à son tour au roi de Prusse pour la somme de quatre cent mille thalers Entre ; ils se trouvent actuellement au ,,Kaiser Eriedrich Museum" à Berlin. temps les volets avec Adam et Eve étaient demeurés dans les greniers de l'église Saint-Bavon ; en 1861, les marguilliers les cédèrent à l'Etat Belge qui en dota le Musée de Bruxelles et qui, outre la somme d'argent payée à la fabrique d'église céda encore à celle ci les volets peints par Michel Coxcie en 1559 pour Philippe II et dont la partie fixe (Dieu le Père et l'Adoration de l'Agneau) se trouve au Musée Kaiser Eriedrich de Berlin et (Marie et Jean Baptiste) à la Pinacothèque de Munich. Les tableaux suivants portant le nom de Van Eyck sont l'œuvre du seul Jean van Eyck. Ce sont des tableaux religieux avec les portraits des donateurs, ou de simples portraits. L'effort pour rendre la réalité s'y manifeste bien plus clairement que dans le grand tableau d'autel de Saint-Bavon ; l'éclat de la couleur, la vie intense des personnages, les accessoires traités comme autant de bijoux, la suprême perfection de cet art sont vraiment au-dessus de toute louange. Le plus important des tableaux religieux avec portrait du donateur est La Madone van der Paele (N° 6). Les Primitifs flamands et néerlandais. 7 Le tableau représente Marie avec l'Enfant Jésus sur'ses genoux, assise sur un trône placé au fond du chœur d'une église romane. La Mère tient des fleurs, l'Enfant un perroquet. A gauche, revêtu de ses habits sacerdotaux, est Saint Donat, patron de la Cathédrale de Bruges ; d'une main il tient la crosse, de l'autre une roue à cinq cierges, son attribut ; à droite est agenouillé le donateur George van der Paele, chanoine de: Saint-Donat en surplis, tenant son livre d'heures et ses lunettes ; derrière lui Saint Georges, armé de pied en cap rele- 7. Jean van Eyck. — La Madone du chancelier Rolin (Paris, Louvre). vant son casque d'une main et présentant de l'autre, avec un geste de recommandation, son protégé à la Mère de Dieu. En dessous sur le cadre on lit l'inscription : Hoc opus fecit fieri magister Georgius de Pala, hujus ecclesiae canonicus per lohannem de Eyck pictorem Et fundavit ■ hic duas capellanias de gremio chori domini M CCCCC XXX 1111° Completum anno 1436°. (Georges van de Paele, chanoine de cette église fit faire cet ouvrage par le peintre Jean van EycE; il fonda deux places de chapelain dans le chœur en 1434- Le tableau fut achevé en 8 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 1436). Le Musée d'Anvers'possède une ancienne et excellente copie de ce tableau, provenant de l'église de Watervliet près d'Eecloo. Une deuxième œuvre du même genre mais bien plus petite, est la Madone de Rolin (No. 7), remarquable par la saisissante vérité du portrait, par la linesse presque ,,miniaturale" du paysage à l'arrière-plan. Le chancelier Rolin est agenouillé sur un prie-Dieu, un livre ouvert devant lui ; les coudes reposent sur le coussin couvrant le banc, les mains se joignent dans l'attitude de la prière. Il contemple la Vierge, assise à droite. L'Enfant Jésus, sur les genoux de sa mère,, tient le globe terrestre d'une main et lève l'autre main pour bénir le donateur. Derrière Marie plane un ange, tenant une riche couronne au-dessus de sa tête. Au fond de la salle où se passe la scène régnent trois arcades par les ouvertures desquelles on a vue sur une ville traversée par un fleuve ; la perspective est bornée par une chaîne de montagnes. Ce tableau fut commandé à Jean van Eyck par Nicolas Rolin, né en 1376 à Autun, qui fut nommé en 1422 chancelier de Bourgogne par le duc Philippe le Bon ; il mourut le 28 Janvier à Autun où il fut enterré. Il fit don à l'église d'Autun du tableau dont, nous nous occupons ici, et qui fut peint probablement vers 1426, vu que Rolin avait environ cinquante ans lorsque Van Eyck le représenta en adoration devant la Vierge. Il s'agit donc d'une des œuvres les plus anciennes de Jean van Eyck. Un des meilleurs por- traits peints et signés par Jean van Eyck, est celui représentant un couple de mariés en souvenir de leurs noces: les Arnolfini (N° S). Ce 9. Jean van Eyck.—■ La femme du peintre (Musée de Bruges). • , tabiileau t se distingue par une grande minutie dans le rendu de tous les traits, même des moins intéressants, des deux personnages, et dans les détails de leur costume. Ce coin s'accorde avec une gravité élevant cette scène de la simple vie bourgeoise à la hauteur d'une imposante solennité. Jean Arnolfini et sa femme se trouvent dans leur chambre nuptiale, le mari tenant la main droite de son épouse dans sa main gauche ; à l'avant-plan un petit chien, symbole de la fidélité. Un lustre à plusieurs branches, mais dont un seul flambeau est allumé, est suspendu au plafond ; au fond se dresse le lit symbolisant l'union contractée par les deux personnages. Au mur s'accroche un miroir reflétant les deux figures présentes dans la chambre. Le long du cadre du miroir courent dix petits médaillons dans lesquels sont peintes autant de scènes de la passion du Christ. Au-dessus du cadre on lit : Johannes de Eyck fuit hic 1434.. Les Primitifs flamands et néerlandais. (Jean van Eyck fut ici, 1434), ce qui attesterait que le peintre s'est trouvé dans cette chambre, probablement en qualité de témoin du mariage et qu'il peignit ce double portrait en 1434. Jean Arnolfini était un marchand de Lucques, qui résidait à Bruges où il épousa Jeanne de Chenony. Van Mander raconte que Marie de Hongrie, sœur de l'empereur Charles- Quint, découvrit ce tableau chez un barbier de Bruges et lui en donna un emploi qui rapportait cent florins l'an. En 1556 l'Œuvre lui appartenait encore. Puis le tableau disparut sans laisser de traces. En 1815, il fut retrouvé par le major général anglais Hay à Bruxelles, qui l'acheta et en fit don en 1842 au gouvernement de son pays. Le meilleur des portraits de femmes peints par Jean van Eyck est celui de sa propre épouse (N° 9). Il l'a peinte avec tant de soin, on dirait presque avec tant de ferveur, que son art est parvenu à aristocratiser et même à rendre touchante une physionomie plutôt vulgaire. ■ Il l'a représentée vêtue d'une robe de dessus en drap rouge bordée de fourrure et ceinte de soie verte. Elle est coiffée d'un bonnet de toile blanche bordé d'un tissus froncé de la même nature. Elle tient les mains jointes sur son giron. Le tableau a gardé son cadre primitif portant cette inscription : Conjux meiis Johannes me complevit anno 1439, 17 Junii (Mon époux Jean m'acheva le 17 Juin de l'an 1439) et plus bas Mtas mea triginta trium annorum Als ikh kan (Mon âge était de trente-trois ans. Comme je puis). Ces trois derniers mots étaient la devise de Jean van Eyck. Le tableau appartenait primitivement à la „gilde" ou corporation des peintres et selliers et se trouvait dans leur chapelle dédiée aux Saints Luc et Eloi dans la rue du Sable à Bruges. M. Pierre van Lede le trouva en 1809 au Marché au Poisson,l'acheta et le donna au Musée de Bruges. Un des portraits les plus remarquables de Jean van Eyck est celui d'un inconnu, l'Homme ¿ « aux œillets, que possède le Musée Kaiser Friedrich à Berlin. Il est 1 tourné à gauche et regarde le 10. Roger" van der Weyden. — La Descente de Croix (Escurial). 12 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. il robe bordée de fourrure et un bonnet de fourrure. Sur la poitrine une spectateur ; porte une croix de la confrérie de Saint-Antoine est suspendue à une chaîne tordue en argent. Dans la main droite, il tient trois œillets, un blanc et deux rouges. (Reproduction en couleur I). Un contemporain de Jean van Eyck et, parmi les anciens peintres néerlandais, celui qui se rapprochait le plus de lui est Roger van der Weyden, ou Roger de la Pasture, né à Tournai vers 1400. En 1436 il était peintre de la ville de Bruxelles et il y travailla en cette qualité jusqu'à sa mort survenue en 1464. Sa tendance est plus narrative et ,,dramar tisante" que celle de Jean van Eyck ; il représente des épisodes de l'histoire Sainte, comme des scènes de la vie familière. Son ouvrage le plus célèbre est la Descente de Croix, à l'Escurial (N° 10), saisissante par le sentiment de ferveur intense des personnages. Au milieu du tableau une croix se dresse perpendiculairement, son sommet et ses bras se prolongeant au delà de la hauteur générale du panneau. Un des amis du Christ, Simon de Cyrène, monté sur une échelle appuyée derrière la croix, tient le corps du Sauveur par un bras ; un autre, Joseph d'Arimathie, demeuré au pied de la croix, soutient le corps sous les bras ; un troisième, Nicodème, le prend par les jambes. A gauche, on aperçoit Marie, à qui la douleur a fait perdre connaissance et que soutiennent l'apôtre Jean et une jeune femme, Marie Salomé derrière celle-ci est une vieille éplorée. A droite un vieillard muni d'un vase de ; baume, et une autre femme éplorée, Marie- ' Le tableau fut ^ ■wpPiiPiWi^lP^ peint vers 1435 pour l'église de Notre-Dame | P i extra muros kCowvdÀn. Il en existe plusieurs ,| ^ v anciennes reproduc- tions. Philippe II en '| í fit exécuter une par Michel Coxcie, qu'il .| -SW i envoj^a à Louvain. L'église Saint-Pierre |l M H1 ' millésime possède une autre !§ W- ; Kij! '!B ! revêtue du • au Musée - 1443} une troisième if. ■■ l'iB^ appartient II. Roger van der Weyden. — Les Sept Sacrements (Triptyque, Musée d'Anvers). Les Primitifs flamands et néerlandais. 13 •de Madrid, une quatrième avec le millésime 1488 se trouve au Kaiser Friedrich Museum à Berlin. Un autre tableau important de Roger van der Weyden traite les Sept SacrementsÇS°\\), dans lequel il a représenté quantité de scènes de la vie journalière associées à l'exercice du culte. Le panneau central nous montre la nef centrale et le chœur d'une église gothique au maître-autel de laquelle on célèbre le sacrifice de la messe ; sur le devant se dénoue le drama sanglant de la Passion. Jésus, expiré, est suspendu à la croix ; à gauche, l'apôtre Jean soutient la Vierge évanouie et Marie Salomé presse la main de celle-ci ; à droite, sont agenouillées Marie-Madeleine et Marie, épouse d'Alphée. Cette partie de l'œuvre célèbre le sacrement de l'Euchariste. Le volet de gauche traite du Baptême, de la Confirmation et de la Pénitence ; celui de droite représente l'Ordre, le Mariage et l'Extrême-Onction. Les scènes illustrant les deux volets se passent dans les bas-côtés de l'église. Au-dessus de chacun des six groupes reproduisant les divers rites sacramentaux, plane un ange les ailes déployées. Sur le cadre sont répétées trois fois les armoiries du diocèse de Tournai et autant de fois celles de Jean Chevrot, évêque de Tournai, le berceau de Van der Weyden, de 1437 à 1460. Le tableau fut donc peint à cette époque pour le prélat susnommé. Le baron van Ertborn l'acheta en 1826 à Dijon, aux héritiers de M. Pirard, .président du Parlement de Bourgogne et l'acquéreur en fit don avec toute sa collection de tableaux au Musée d'Anvers. La Elandre et le Brabant, provinces de la 1. f. AlÜfMB Belgique actuelle, furent les foyers principaux de l'art néerlandais primitif, mais beaucoup, et nous dirons même la plupart des artistes de valeur, 3^ étaient venus des autres contrées des Pa\'s-Bas ; les Van Eyck du Limbourg, Van der Weyden de Tournai, d'autres de la Hollande. Le plus illustre de ces derniers fut Thierry Bouts né à Harlem vers 1415. S éta- ^ ^ ■ ijt. l-ci-xé a LT ouvain avant o i-1l 1 12. Bouts. — 1448 Le ^ y demeura Thierry Tug;ement injuste de l'Empereur Othon (Musée de Bruxelles). et travailla jusqu'à sa mort survenue en 1475. Comme artiste il ne procède ni de Jean van Eyck, ni de Van der We}'den, mais bien de l'Ecole hollandaise qui se forma à Harlem et à Amsterdam. Son coloris est sa lumière opulent, radieuse, il interprète fidèlement les sentiments simples et les actions humaines, quoique dans celles-ci il se montre encore gauche et raide et qu'il exagère la longueur et la gracilité de ses personnages. Deux de ses œuvres les plus importantes sont le Jugement injuste de V Othon Empereur (12) et la Réparation de l'Injustice. Pendant une absence de l'empereur Othon HI sa femme s'était éprise d'un homme gentil- de sa cour, marié lui-même et fidèle à sa femme. En vain l'impératrice essaya-t-elle de le séduire ; voulant se venger de l'échec de ses tentatives coupables, elle accusa le vertueux seigneur d'avoir voulu lui faire commettre un adultère. L'empereur la crut Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. H et fit décapiter l'aGcusé. La veuve de l'innocent appela de son propre jugement auprès de l'empereur et offrit de se soumettre à l'épreuve du feu pour établir l'innocence de son époux. Sa requête ayant été accueillie elle tint dans la main, durant une heure, sans se brûler, une barre rougie. Convaincu d'avoir rendu un jugement inique, l'empereur consentit à accorder à la veuve la réparation qu'elle demanderait : elle exigea le châtiment de la calomniatrice qui fut brûlée vive. En 1468, la municipalité de Louvain chargea Thierry Bouts de représenter les épisodes de cette légende en deux grands panneaux destinés à orner la salle du conseil de l'hôtel du ville. Ces tableaux demeurèrent à leur place jusqu'à ce que le roi Guillaume les eut achetés en 1827 pour en faire don à son fils le prince d'Orange, qui les transféra dans son palais de Bruxelles. Ils y restèrent jusqu'en 1839, c'est-à-dire jusqu'au moment où Guillaume II les fit expédier à la Haye où ils enrichirent sa galerie. En 1905, lors de la vente de celle-ci, les deux panneaux de Thierry Bouts furent acquis par la Reine Mère. M. Nieuvvenhuys, le marchand de tableaux, les lui reprit pour les céder au Musée de Bruxelles, qui les paya 30,000 fr. Sur le premier des deux panneaux reproduit ci-dessus, figure la décolla- tion du gentilhomme injustement accusé. A l'avant-plan le bourreau ayant exécuté la sentence remet à la veuve la tête de son mari, qu'elle recueille à genoux dans un linge blanc. Le corps gît non loin de là. A droite et à gauche des dignitaires, témoins du supplice. L'empereur et l'im- pératrice assistent au spectacle du haut de leur burg. A gauche, et un peu en arrière de l'action principale, est représen- té un autre épisode de l'aventure : le pein- tre nous montre le patient conduit au lieu du supplice. Le second panneau appartenant aussi au Musée de Bruxelles, représente à l'avant-plan la veuve de l'innocent 13. Thierry Bouts. - La Cène (Louvain, Eglise Saint-Pierre). Subissant l'épreuve du feU, à l'arrière- plan l'impératrice sur le bûcher. Une autre œuvre capitale de Bouts, peut-être son chef-d'œuvre, est la Cène de l'église Saint-Pierre à Louvain (N° 13), conçue en toute simplicité, pour ainsi dire sans art» et pourtant émouvante par la solennité auguste régnant dans l'étroite chambre où le Sauveur a réuni ses disciples pour la dernière fois. La table autour de laquelle sont assis le Christ et les apôtres, se dresse au milieu d'une salle avec porte et cheminée au fond, deux fenêtres à gauche, deux arcades à droite. Le Sauveur il la occupe le milieu de la table, d'une main il tient l'hostie, de l'autre consacre. Saint Pierre est à sa droite. Saint Jean à sa gauche. A droite se tient l'hôte; dans l'encadrement d'une fenêtre dont on a abaissé le volet, se montrent deux jeunes gens. On croit que le peintre s'est représenté lui-même sous les traits de l'hôte et que les deux jeunes gens sont ses fils. Les Primitifs flamands et néerlandais. 15 Le tableau fut commandé par la Confrérie du Saint-Sacrement en 1468. Petrus Christus naquit à Baerle, hameau de Tronchiennes, dans le comté de Flandre ; en 1444 il y -avait acquis ses droits de cité {poorterrecht) et il y mourut en 1472. Son art accuse déjà une certaine décadence, l'habileté remplace la ferveur de la conception et la facture vraiment artistique. Son œuvre principale est la Légende de Sainte Godeherte appartenant au baron A. Oppenheim à'Cologne (N° 14). La scène se passe dans la boutique d'un orfèvre et montre Saint Eloi derrière son 14. Petrus Christus. — La Légende de Sainte Godeberte (Collection du Baron A. Oppenheim à Cologne). comptoir. D'une main il tient une bague, de l'autre une balance. A gauche un personnage une main à la garde de son épée, l'autre posée sur l'épaule d'une femme. Sainte Godeberte. Sur le comptoir un miroir réfléchit deux personnages ainsi que les maisons de l 'autre côté de la rue. Au mur l'étalage d'un bijoutier. Sur le devant du comptoir l'Inscription : M. Petrus Christus me fecit anno 1449 (rnaître Pierre Christus m'a fait en l'an 1449)* ^ l'origine le tableau appartenait à la Gilde des Orfèvres d'Anvers. D'après la légende en question les parents^de la Sainte voulaient lui faire contracter Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. un riche"*mariage. Godeberte qui désirait entrer au couvent se rendit auprès de Saint Eloi pour lui exposer sa situation. Celui-ci usant de son droit episcopal de vouer les religieuses au Seigneur passa son anneau au doigt de la vierge en disant: ,Je t'unis à Jésus Christ". Le milieu où se passe la scène s'explique par le fait qu'avant de devenir prêtre Saint Eloi avait exercé la profession d'orfèvre. Hugo vax der Goes, l'artiste qui se trouve à la tête d'une nouvelle lignée des Primitifs néerlandais était venu de Ter Goes, c'est-à-dire de la Flandre Zélandaise, dans 15. Hugo van der Goes L'Adoration des Bergers (Florence, Musée des Offices, panneau central du triptyque). la Elandre proprement dite où il travailla de 1465 à 1476, à Gand et à Bruges. Plus tard il entra comme frère lai dans le couvent des Augustins de Rouge-Cloître près de Bruxelles, où il peignit encore mais où sa raison sombra dans des attaques de mélancholie et de démence. Il mourut en 1482. Avec lui l'école poursuit sa voie en donnant comme but à l'art la reproduction de la simple humanité et de la nature réelle. Van der Goes modèle vigoureusement ses figures et il les détaille avec soin. Longtemps on ne put lui attribuer en toute certitude,qu'un seul tableau, L'adoration des Bergers (N° 15) actuellement au Musée des Offices, à Florence. Les Primitifs flamands et néerlandais. 17 Marie occupe le milieu de la scène, adorant, agenouillée et les mains jointes, l'Enfant Jésus gisant tout nu devant elle. A l'avant-plan et derrière elle les anges adorent aussi le divin Messie. A droite. Saint Joseph, à gauche, les bergers contemplant et invoquant l'Enfant-Dieu. Le tableau fut commandé vers 1476, au peintre qui résidait alors à Bruges, par Thomas Portinari, chargé d'affaires des Médicis dans cette ville, pour la chapelle de l'Hôpital Santa Maria Nuova, à Florence. Il y demeura jusqu'à son transfert aux Uffizi il y a quelques nnnées. En ces derniers temps on découvrit une seconde. Adoration des Bergers (N° 16), que la plupart des experts tiennent pour une œuvre de Hugo van der Goes, mais que d'autres attribuent à un de ses successeurs. Au milieu du tableau, le Sauveur nouveau-né repose dans une crèche tendue d'un linge blanc. Saint Joseph et Marie sont agenouillés à côté, des anges sont en prière derrière la crèche ou planent dans les airs en chantant les louanges de l'Enfant-Dieu. Du côté gauche s'approchent les bergers qui viennent le contempler et l'adorer. Aux extrémités du tableau deux personnages imposants et vénérables écartent les pans du rideau derrière lequel la scène est censée s'être passée. Ce tableau se trouvait il y a quelques années encore en Espagne où il fut acheté pour le Kaiser Friedrich Museum de Berlin à la succession de l'Infante Marie-Christine de Bourbon. Le plus grand artiste de cette seconde génération est Hans Memling, né à Memlingen près de Metz vers 1430. Il vint à Bruges en 1466 ou 1467, y travailla de longues années et y mourut le 11 août 1494. Il se dépouilla de l'emphase de ses prédécesseurs et de leur raideur gourmée ; il se distingue par la délicatesse et l'agrément de la forme, la finesse du sentiment €t de la couleur. Le sentiment dramatique fait place à l'idylle ; la grâce succède à la force. Un de ses tableaux, le plus parfait et le plus connu, est son triptyque de l'autel Saint-Jean (Hôpital Saint-Jean (N° 17). La Sainte Vierge est assise sur un trône drapé d'une riche tenture accrochée à un baldaquin. Deux anges planent et suspendent une couronne au-dessus de la tête de la Reine du Ciel. Sur le sol, à côté d'elle, sont agenouillés deux grands anges dont l'un joue du psaltérion et l'autre tient le livre de la Sagesse que feuillette Marie. L'Enfant Jésus sur les genoux de sa Mère passe un anneau au doigt de Sainte Catherine qu'il élit 16. Hugo van der Goes. — L'Adoration des Bergers (Kaiser Friedrich Museum, Berlin). Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. donc ainsi pour sa fiancée ; aux pieds de la sainte est déposé son attribut, une roue. Sainto elle lit; Barbe assise de l'autre côté, à droite, tient des deux mains un livre.dans lequel derrière elle se dresse la tour, son attribut. A l'arrière-plan les patrons de l'hôpital, à gauche Saint Jean Baptiste avec son agneau, à droite Saint Jean l'Evangéliste, faisant le signe l'autre main et à il boira de la croix sur la coupe empoisonnée qu'il tient dans laquelle impunément. La scène se passe dans une salle entourée d'un portique, entre les arcades duquel sont représentées, à gauche, des scènes de la vie du Précurseur, notamment sa décollation. vin avec un coin A l'extrême droite on voit un frère hospitalier et le jaugeur de communal, de la ville de Bruges ; plus loin se déroulent dans la paysage divers épisodes de la vie de Saint Jean l'Evangéliste. Le volet de droite représente Saint Jean à Pathmos contemplant plusieurs scènes de l'Apocalypse. 17. Hans Memling. — Panneau de milieu du triptyque de l'autel Saint-Jean (Hôpital Saint-Jean, à Bruges). Les Primitifs flamands et néerlandais. 19 18. Hans Memling. — L'Adoration des Mages (IMilieu du triptyque de l'hôpital Saint-Jean, à Bruges). Ce tableau d'autel fut probablement commandé à Alemling par un frère de l'hôpitai Saint-Jean, Antoine Ligters, qui mourut en 1475. Il fut achevé en 1479 et placé sur l'autel de la chapelle de l'hôpital. Sur le cadre du panneau central on lit Opus Joannes MeMling anno MCCCCLXXIX (Ouvrage de Hans Memling en l'an 1479), (N° 18). La Vierge assise au milieu du tableau tient l'Enfant sur ses genoux. Le plus âgé des trois mages, agenouillé à droite, porte d'une main le pied du Sauveur à sa bouche et le baise. Le second mage s'agenouille à gauche et offre un vase précieux au Messie qui se tourne vers lui en souriant. Le troisième roi, le nègre, s'approche à son tour avec son offrande. Le donateur Jean Floreins est agenouillé tout à gauche derrière un petit mm délabré dont une des pierres arbore le nombre 36, l'âge de ce donateur. Derrière lui son frère cadet, A Jacques. l'arrière-plan l'âne et le bœuf, et par une ouverture on aperçoit dans la perspective une rue avec la suite des mages à cheval ou portée sur des chameaux. Le haut du cadre est orné des armoiries des Floreins et des Silly. Les deux côtés portent les initiales J. F. ; au-dessous court l'inscription : Dit werck dede maken hroeder Jan Floreins, alias van der Rust, hroeder profess van de hospitale van Sint Jan en Anno Brugge MCCCCLXXIX. Opus Joannes Menilinc (Cet ouvrage fit faire Jean Floreins, alias van der Riist, frère profès de l'hôpital Saint-Jean à Bruges. Anno MccccLxxIx. Jean Ouvrage de Memlinc). 20 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Jean Floreins qui fit exécuter ce tableau était un moine né en 1443, il prit le froc en 1472 et mourut en 1504. Memling se distingua aussi comme portraitiste. Ses portraits unissent une minutie du rendu des traits à une vivacité de l'expression qui n'existent point chez ses prédécesseurs. Parmi les plus remarquables on compte ceux de Nicolas Spinelli (N° 19) et de Martin van Nieuwenhoven (N° 20). Le premier est vu en buste ; il se tourne vers la droite, est vêtu d'un pourpoint noir, d'un col blanc et d'un petit bonnet noir. De luxuriantes boucles foncées s'échappent de dessous le bonnet. Il tient une médaille à l'effigie de l'empereur Néron avec l'inscription : Nero Claudius Cœsar Atig{ustus) Geron (anicus) tr{ihunicia) T{stepate) Imper{ator). Au fond, un paysage. Nicolas Spinelli ou Nicolo di Forzore Spinelli, surnommé Nicolo Fiorentino, était un graveur de médailles florentin, né en 1430, fils de l'orfèvre Forzore Spinelli. En 1468 il était au service du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, en qualité de graveur de sceaux, et il travaillait en Flandre. Il retourna à Florence en 1474 ; en 1493 il alla se fixer à Lyon où il mourut en 1499. Le tableau qui ne fut reconnu qu'en ces dernières années, mais presque avec certitude, pour le portrait de Nicolas Spinelli, aura par conséquent été peint en 1468 et peut être considéré comme le plus ancien ouvrage connu de Memling. Il faisait partie de la collection Van Ertborn entièrement léguée au Musée d'Anvers. Le baron van Ertborn l'avait acheté à Paris en 1826 à la vente du baron Vivant Denon qui lui-même l'avait trouvé à Lyon. Le portrait de Martin van Nieu- wenhoven est le volet de droite d'un diptyque. Sur le volet de gauche on voit la Madone avec l'Enfant à qui elle tend une pomme. Le donateur, les mains levées, s'agenouille sur un prie- Dieu soutenant un livre d'heures ouvert. Derrière le personnage on voit deux fenêtres. Dans le haut de l'une de celles-ci un vitrail montre Saint Martin partageant son manteau avec un pauvre ; le bas est ouvert sur une échappée. Ce tableau fut commandé par Martin van Nieuwenhoven, appartenant à une famille noble de Bruges, né le 11 Novembre 1463, élu membre du conseil communal en 1492 et bourgmestre en 1497. L'œuvre fut achevée en 1487. Gérard David né à , Oudewater en Hollande vers 1450, fut un élève de Memling. Avant de se rendre à Bruges en 1483 pour aller se placer sous la direction de ce maître il avait subi l'influence des peintres de l'école de Harlem. Sa touche devint plus souple, mais plus molle, sa composition plus animée, mais sa cou- • leur son moins 19. Hans 3lemTling. — Portra-i.tu dj e Aicol,as o ^plus faible, expression Spinelli ... (Musée d 'Anvers). ressentie. Parmi ses œuvres principales Les Primitifs flamands et néerlandais. 23 •t)n classe sa Madone, entourée d'Anges et de Saints, à Rouen (N° 21), et son Baptême du Christ,, à Bruges (N° 22). Dans la première de ces deux œuvres, Marie est assise au milieu du tableau ; l'Enfant Jésus sur ses genoux prend dans sa main une grappe de raisins qu'elle lui tend. De chaque côté se tient un ange, les ailes déployées ; celui de droite joue du violon, •celui de gauche de la mandoline. Parmi les anges figurent : à droite Sainte Fausta tenant une petite scie et Sainte Apolline une paire de tenailles; devant siègent quatre autres saintes : Sainte Godelive lisant dans un livre. Sainte Barbe, et un peu en arrière Sainte Cécile et Sainte Lucie. Derrière celles-ci, tout à fait à l'arrière-plan on reconnaît la femme du peintre, Cornélie Gnoop. A gauche : un Saint sans attribut ; puis Sainte Agnès, Sainte Catherine et Sainte Dorothée. Tout au fond, l'artiste s'est représenté lui-même. Gérard David fit don de H ce tableau en 1509 au couvent des Carmélites à Bruges. Il fut vendu en 1785 à Bruxelles avec les biens des couvents fermés et se trouva plus tard au Louvre. Lu 1803, il fut donné au Musée de Rouen. Dans le Baptême du Christ de Gérard David, le Messie, nu et seulement ceint d'un linge, se tient jusqu'aux genoux dans le Jourdain. Saint Jean Baptiste, agenouillé sur le bord de la rivière, verse sur la tête du Sauveur l'eau qu'il a puisée dans sa main. Dans les nues Dieu le Père et, sous lui, le Saint Esprit. A l'arrière-plan un paysage rocheux avec des arbres et des fabriques. A gauche et à droite la foule accourue pour se faire baptiser. 23. Hans volet de Memlinc. le — Portrait de Martin van Nieuwenhoven gauche (Hôpital Saint-Jean, Bruges). donateur Jean des Trompes, son patron Saint Jean et son filsPhilippe; sur le volet de droite : la première femme de Jean des Trompes, Elisabeth van der Meersch avec ses quatre filles et sa patronne. A l'extérieur des volets : Notre-Dame et la seconde femme du donateur, Madeleine Cordier, avec sa fille Cornélie et sa patronne Sainte Marie Madeleine. Jean des Trompes était écuyer, trésorier de la ville de Bruges en 1498, maître de la police en 1501, échevin en 1512. Il mourut le 15 octobre 1516. Le triptyque fut exécuté vers 1506 et donné en 1520 par les héritiers de Jean des Trompes et ceux de ses deux premières femmes aux clercs jurés du tribunal {vierschaar, les Ouatre-Bancs) de Bruges pour être placé sur l'autel de leur chapelle dans l'église Saint-Basile où il demeura Jusqu'en 1794. ^ 24 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 22. Gérard David. — Le Baptême du Christ (Panneau de milieu d'un triptyque. Musée Communal, Bruges). Avec Gérard David se ferme l'ère des Néerlandais primitifs. Quintin Massys- représente la transition de ceux-ci à l'école nouvelle. Il possède encore maints traits com- Les Primitifs flamands et néerlandais. 25 muns à ses prédécesseurs : la couleur éclatante, la facture minutieuse des détails, la raideur des attitudes, mais c'est la vie humaine, ses occupa- tions multiples, ses aspects variés, avec ses tableaux dramatiques ou comiques, avec ses actions ou ses pensées tantôt nobles tantôt viles qui devient le sujet de ses études et de ses tableaux. Il naquit à Louvain vers 1466, fut reçu maître libre dans la gilde de Saint Luc à Anvers, où il mourut en 1530. Son œuvre capitale est le tryptique La Descente de Croix du Musée d'Anvers (N°^ 23, 24, 25). L'arrière-plan montre les trois croix dressées au sommet d'un rocher. Les deux larrons y sont encore Quintin Massys. —■ La Mise au Tombeau du accrochés. Christ Le corps du Christ vient (Musée d'Anvers). d'en être descendu et sur le devant du tableau on se met en devoir de l'ensevelir. Derrière le corps se rassemblent neuf personnages grandeur nature : quatre hommes du côté de la tête, cinq femmes du côté des jambes et des pieds. A droite une cavité régulière a été creusée dans la roche ; un homme et une femme y préparent le sépulcre à la clarté d'une chandelle. Le premier des personnages assem- blés autonr du Sauveur est un vieillard d'un certain rang, il soutient la tête du défunt et débarbouille les cheveux du sang qui s'y est figé. A côté de lui un autre notable à longue barbe soutient le corps sous les bras. Le troisième, debout, tient la couronne d'épines. Puis s'approche l'apôtre Jean, soute- nant la Vierge éplorée et sur le point de défaillir. Derrière elle s'avancent trois jeunes femmes qui vont pro- céder à l'embaumement. ' Une vaste chaudière de cuivre occupe le milieu du 24. Quintin panneau Massys. - Saint Jean 25. Quintin Massys. - Le Festin dans de droite. l'huile VoLt Le patient s'y tient bouillante. debout. Le d'Hérode. Le volet de gauche de droite de la Mise au tombeáu.s de la Mise Un tombeau feu est allumé dessous. au Deux (Musée d'Anvers). (Musée d'Anvers). vigoureux chauffeurs sont en train 20 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. et d'autorités à d'attiser ce feu. Derrière la cuve se presse une masse compacte de peuple pied et à cheval. A l'arrière-plan se dresse un arbre d'où un jeune garçon juché dans les branches contemple la scène. Au fond de la perspective, les murs d'une ville fortifiée, des futaies et l'azur du ciel. de gauche montre Hérode assis avec Hérodiade derrière la table sur Le panneau déposé le plateau contenant la tête du Précurseur. La maîtresse du roi enfonce laquelle est la pointe d'un couteau dans le visage du mort. Devant la table sont la fille d'Hérode, 3-plan quatre musiciens jouent tribune. Par une arcade on aperçoit dans la perspective le bourreau reiuettant la tête de Jean à la fille d'Hérode. Ce triptyque fut com- mandé en 1508 au peintre par la corporation des menuisiers d'Anvers pour leur autel dans l'égliseNotre-Dame, Philippe II en offrit des sommes considé- rabies sans parvenir à décider les menuisiers à s'en défaire. Martin de Vos persuada le Magistrat d'Anvers d'acquérir lui-même le chef-d'œuvre qui fut alors placé sur l'autel de la Sainte Circoncision dans l'église Notre-Dame. En 1798 il fut transféré dans la galerie de l'Ecole départementale de Dessin, aujourd'hui Musée des Beaux-Arts. A peu près à l'époque où il exécuta l'œuvre précitée Quintin Massys peignit aussi seCOnd triptyque tres 26. Quintin Massys. Anne — Panneau central de la Légende de Sainte sa ville (Musée de Bruxelles). important pour natale, La Légende de Sainte Anne traitant sujet plus religieux et plus contemplatif que dramatique. Cette œuvre (N° 26), un a malheureusement trop souffert pour être appréciée à sa juste valeur. La scène se passe sous un portique par les trois arcades duquel on aperçoit la marbre orné de campagne ; la voûte du milieu s'arrondit en coupole. Un banc de sculptures règne sous le portique. Marie occupe le milieu du banc ; elle tient sur ses genoux l'Enfant Jésus à qui Sainte Anne, assise à côté d'elle, offre une grappe de raisins. A gauche, Marie Cléophas entourée de ses enfants : Saint Jacques Mineur, Saint Simon, Saint Thaddée et Saint Joseph le Juste ; derrière elle se tiennent Saint Joseph et Alphus, l'époux de Marie Cléophas. A droite du groupe central, Marie Salomé avec ses deux fils : Saint Jacques Majeur et Saint Jean l'Evangéliste ; derrière elle Joachim et Zébédée, le mari de Marie Salomé. L'intérieur du volet de gauche représente Saint Joachim en prière et l'ange lui annon- çant que sa prière a été exaucée et que sa femme enfantera la vierge Marie ; le volet de droite Les Primitifs flamands et néerlandais. 27 représente la Mort de Sainte Anne. L'extérieur des volets nous montre à droite L'Offrande de Saint Joachim refusée, à gauche L'Offrande de Saint Joachim agréée. Sur ne dernier panneau une plaque eneas- trée dans la façade d'un temple porte cette inscription : Quinte Metsys screef dit Ao. 1509. (Quin- tin Massys peignit ceci en 1509). La confrérie de Sainte Anne commanda en 1508 à Quintin Massys, qui habitait déj à Anvers, ce triptyque pour l'autel de sa chapelle dans la grande nef de l'église Saint-Pierre à Lou- vain. L'œuvre fut achevée en 1509 et placée sur l'autel en question ; un siècle après elle fut transférée dans l1a c1 . hapelle ^ 27. Ouintin de Saint- - Massvs. — Portrait d'un ecclésiastique (Vienne, Galerie ,3,, Corneille, Lichtenstein). dans !^le pourtour du chœur, et cédée à la confrérie. En 1816 elle fut replacée dans l'église Saint- Pierre. En 1879 elle fut acquise par l'Etat belge et donnée au Musée de Bruxelles. Outre ses grands tableaux religieux, Quintin Massys peignit encore divers tableaux traitant des scènes de la vie populaire, ainsi que quelques portraits. Ces derniers accusent dans leurs physionomies une vigueur différant notablement des figures plus délicates de ses tableaux religieux. Un des plus saisissants est celui d'un la ecclésiastique qui se trouve dans Galerie Lichtenstein à Vienne (N° 27). Un chanoine, vu à mi-corps, vêtu d'une soutane noire garnie de martre et d'un surplis tuyauté, porte son aumusse sur le bras gauche et il est coiffé du bonnet à branches. D'une quatre main il tient un livre, de l'autre son lorgnon. Au fond s'étend un paysage deux montagneujc avec arbres. Parmi les peintres néerlandais qui se rendirent en Italie et qui en revinrent épris 2 8 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. pour l'art méridional d'une passion qui leur fit répudier les anciennes traditions natio- nales, un des premieis fut Jean Gossaert de Mabuse, ainsi appelé d'après Maubeuge son berceau, où il naquit vers 1470. En 1503 il partit pour Anvers et en 1508 pour l'Italie. Revenu à Anvers, il y mourut en 1541. Il peignit pour la plupart des scènes de la vie de la Vierge et d'autres épisodes bibliques ainsi que des sujets mythologiques auxquels il 28. Gossaert de Mabuse. — Portrait d'Homme et de (Londres, National Gallery). donna, après son retour d'Italie, des fonds richement ornés de motifs empruntés au style Renaissance. Il se distingua aussi comme peintre de portraits. Celui que nous reproduisons appartient à la National Gallery de Londres. Il représente un personnage vêtu d'un habit de velours bordé de fourrure, coiffé d'un bonnet de fourrure, une canne à la main, et sa femme la tête couverte d'une étoffe blanche (N° 28). Lucas Jacobs, plus connu sous le nom de Lucas de Leyde, subit bien plus fortement encore que Gossaert l'influence de l'art méri- dional. Il naquit à Leyde en 1494 et y mourut en 1533. Il était avant tout graveur sur cuivre et les burins d'après ses propres composi- tions comptent parmi les créations les plus originales du genre. Ses peintures, parmi les- quelles son Jugement Dernier (N° 29) occupe le premier rang, se rattachent, surtout à cause du dessin des figures, bien plus à l'art de la Renaissance que ses gravures, qui demeu- rent plus fidèles au mode réaliste des Primitifs nationaux. Le Christ siégeant sur l'arc-en-ciel prononce le jugement suprême. Des légions d'anges l'environnent dans les nuées. Le Saint- Esprit plane au-dessus de lui et au plus haut du tableau le nom de Jéhovah resplendit dans une — auréole. A Dieu Bosch. L'Adoration des l'origine le Père 30. figurait à cette Jérôme Mages (Musée de Madrid). Les Primitifs flamands et néerlandais. 29 place ; les austères Calvinistes lui firent substituer son simple nom. Les apôtres siègent dans les nues aux deux côtés et aux pieds du Fils de l'Homme. Sous eux plane de chaque côté un ange sonnant de la trompe pour ressusciter les morts. A gauche, à l'avant-plan, un homme et une femme, sans doute les donateurs, sont menés au ciel par un ange. Du même côté affluent les ressuscités attendant le Jugement. A droite, les diables entraînent déjà leurs proies vers l'enfer. Ce tableau fut commandé le 6 Août 1526 à Lucas de Leyde en souvenir du négociant en bois Claes Dirckz, échevin et conseiller de la ville de Leyde ; il fut payé 35 livres de Flandre ou 180 florins et placé dans l'église Saint-Pierre. Pendant la tourmente iconoclaste il fut acheté aux briseurs d'images par l'un des bourgmestres et donné à l'hôpital Saint-Jacques ; en 1577, il fut placé dans l'hôtel de ville où il demeura jusqu'en i86g, d'où il fut transféré au Musée Communal. Nombre de peintres néerlandais demeurèrent cependant réfractaires à la séduction exercée sur leurs confrères et ' compatriotes par l'Art tran- salpin. Ils restèrent fidèles aux tendances réalistes de leurs n i n ancêtres. D'aucuns exagéré- rent même ce sentiment et tombèrent dans la charge et la caricature ; ils travestirent en grotesques les formes et les gestes humains et affichèrent leur prédilection pour les monstres et les diableries. Le . plus ancien et l'un des plus illustres de ceux-ci fut Jérôme Bosch, né à Bois-le-Duc entre les années 1460 et 1464, et décédé en 1516. Nous reproduisons ici son Adoration des Mages (N° 30) où, par un caprice humoristique, il fait grimper les paysans des environs sur les .toits de l'étable afin d'épier par les fentes ce qui se passe à l'intérieur. Jérôme Bosch eut entre autres disciples Pierre Breughel le Vieux, né vers 1520 à Breughel près de Bréda dans le Brabant septentrional. En 1551 il fut reçu dans la Glide de Saint Luc à Anvers, en 1533 (?) il se trouvait à Rome, ensuite il revint dans son pays et mourut à Bruxelles en ^q. Lucas de Leyde. — Le Jugement Dernier (Leyde, Musée Communal). 30 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 31. Pierre Breughel le Vieux. — Le iVIassacre des Innocents (Vienne, Musée Impérial). 1569. Tout comme Jérôme Bosch il se complut à peindre des figures monstrueuses et; grotesques, mais il possédait aussi au plus haut degré le don d'observation de la vie il réelle choisissait ; de préférence les rustres et les humbles pour sujets de ses études il fut le premier ; qui rendit le paysage tel que nous le montre la nature dans toute sa réalité et sa simplicité. Il occupe un très haut rang comme coloriste à la fois vigoureux et délicat. Il peignit à l'huile et à la détrempe. Le Musée impérial de Vienne possède plusieurs de ses œuvres les plus importantes. Nous en repro- duisons trois : Le Massacre des. Innocents, les Noces villageoises et un Paysage montagneux à l'automne^ Le Massacre des Innocents (N-- 31) se passe dans un village flamand. C'est l'hiver ; le sol et les toits sont couverts de neige.. Les maisons et les figures se détachent en vigoureux tons bruns et jaunes sur cette blancheur. Une troupe de cavaliers débouche 52. Pierre Breughel le ^ ieux. — Les Xoces dans la villageoisés grande rue du village. (Vienne, iMusée . Impérial). A 1 avaut-garde ces soudards ont. Les Primitifs flamands et néerlandais. 31 déjà commencé leur besogne de bourreaux. L'action drama- tique présente un côté familier et presque comique par les scènes qui se passent entre les falotes figures de patauds et de pataudes et les farouches soldats. Au commencement du dix-septième siècle ce tableau appartenait à l'empereur Ro- dolphe II et il ornait sa galerie à Prague ; en 1748 il fut trans- féré à Vienne avec les autres œuvres appartenant à la maison impériale. Des répliques de ce tableau se trouvent dans diverses collections. Les Noces villageoises Breughel le Vieux. - Paysage montagneux à l'automne (^ N° 32 Les noces de rustres '). (Vienne, Musée Impérial). sont un des sujets que Breughel affectionnait tout particulière- ment. Dans le tableau de Vienne la toute jeune épousée est assise derrière la table,, coiffée d'une couronne ; une étoffe verte est tendue derrière elle ; les convives sont attablés autour de la mariée ; tous portent les vêtements de couleurs tapageuses chères aux paysans. Deux individus apportent les mets sur un plateau. A gauche sont les musiciens. Un enfant, assis sur le sol, se régale déjà. Ce tableau se trouve depuis le XVIII® siècle dans la galerie impériale. Paysage montagneux à l'automne (N° 33). Une scène de la vie rurale se déroule dans un site montagneux. Un fleuve serpente entre des collines et des bois. Sur l'une des lives s'élève un ' vignoble ; à gauche, à l'avant-plan, deux pasteurs, armés de longues gaules, mènent un troupeau de ■ vaches. Trois autres rustres, armés de la même façon, escortent un cavalier chevauchant derrière le troupeau. A gauche et à droite, des arbres dépouillés de leurs feuilles ; c'est sans doute un des cinq tableaux de Pierre Breughel rap- portés des Pays-Bas à Vienne en 1656 par l'archiduc Léopold Guil- laume et décrits dans l'inventaire de sa collection dressé en 1659. Le Louvre possède de Breu- ghel un tableautin original repré- .34- Pierre Breughel le Vieux. — Groupe de mendiants (Paris, Louvre). sentant Un groupe de meudiauts. 32 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Groupe de mendiants (N° 34). Cette œuvre fournit un échantillon des bancals et des éclopés qui tiennent avec d'autres grotesques une si grande place dans l'œuvre de Breughel. Devant l'entrée d'un édifice sont rassemblées cinq figures affreusement mutilées ou estropiées, vêtues de pittoresques guenilles et s'appuyant sur des béquilles ou des jambes de bois. Paul Mantz, l'historien et critique d'art bien connu, fit don de ce tableau au Louvre. Un des peintres du XVP siècle, demeurés fidèles à la tradition nationale primitive, est Pierre Aertszen , surnommé ,,Lange Peer" (Pierrot le Long), né à Amsterdam en 1517 et décédé en cette ville en 1575. Nous reproduisons sa Danse des Œufs du Rijksmuseum d'Amsterdam (N° 35). 35. Pierre Aertszen. — Danse des Œufs (Rijksmuseum, Amsterdam). Des paysans sont réunis dans une chambre-chez l'un d'eux pour y assister aux exer- çices d'un danseur. Sur le sol, au milieu d'un cercle tracé à la craie, sont disposés un œuf, une jatte de bois et divers autres objets, parmi lesquels le baladin sautille sans les toucher et sans sortir du cercle. Dans la nombreuse assistance on remarque un joueur de cornemuse. A l'avant- plan à gauche, un luron soulève son pot de bière au-dessus de sa tête, en battant un joyeux entrechat. Au-dessus de la cheminée on lit le millésime 1557. Ce tableau fut acheté en 1839 au Colonel von Schefeler, à Aix-la-Chapelle. p. p. RUBENS. Portrait du peintre. fA Ibertina, Vienne). h Les Maîtres flamands du XVIP siècle. fut au milieu du XVP siècle que les peintres néerlandais abandonnèrent les tradi- tions de leurs maîtres primitifs pour imiter la manière des artistes italiens. Gossaert de Mabuse fut un des premiers qui entrèrent dans cette voie; Bernard van de Bruxelles, Orley François Floris (De Vriendt) et Martin de Vos d'Anvers, Otto II. Venins de Leyde et bien d'autres encore adoptèrent la nouvelle direction. L'art dégénéra lamentable- ment à cette epoque et ne produisit guere d œuvres de valeur. Il faut attendre le commencement du X\II® siècle pour voir surgir le Titan qui rénovera toute l'école. 36. Pierre-Paul Rubens. — Le Crucifiement (Eglise 37. Pierre-Paul Rubens. — La Descente de Croix Notre-Dame, Anvers). (Notre-Dame d'Anvers). non seulement par son talent sans rival, mais par la force irrésistible avec laquelle il entraînera ses confrères sur ses traces. Ce colosse était Pierre Paul Rubens né en 1577 à Siegen, de parents anversois, et mort à Anvers en 1640. De 1600 à 1608 il séjourna en Italie où il étudia les antiques et les grands maîtres ; revenu à Anvers, il y fournit une carrière d'un éclat unique dans l'histoire de l'art. Il traita tous les genres, mais principalement le genre religieux. Il peignit les principaux épisodes de l'Fvangile et de nombreuses scènes de l'Ancien Testament ; en outre il puisa plus d'un sujet dans la vie des Saints. Nous reproduisons ci-dessous quelques-uns de ces tableaux. Le Crucifiement (N° 36). La scène se passe sur le plateau rocheux au sommet du Golgotha. Les bourreaux déploient de violents efforts pour dresser la croix du Christ ; deux tirent sur le pied du gibet ; un troisième s'arc-boute en manière de levier vivant ; quatre autres ont saisi le bois d'infamie plus haut ; un huitième s'est attelé à une 3 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. corde passée à l'intersection du tronc et des bras ; enfin un dernier manœuvre au sommet. La croix, lentement redressée, décrit une oblique. La douleur, la résignation et l'angoisse, qui se lisent à la fois sur le visage du Christ concourent à l'expression la plus dramatique que l'art ait jamais rendue. Ce tableau évoque d'une' façon crispante la force brutale s'acharnant sur l'innocence pour complaire à la haine aveugle. Il ne nous charme point par la couleur opulente, il nous frappe par sa tonalité ardente et brune se détachant sur un fond sombre. Il appartient à l'époque où Rubens exagérait encore sa prédilection invariable pour les personnages démesurés. Ce tableau fut peint pour le maître-autel de l'église Sainte-Walburge plus haut de douze marches que le sol de l'église. Il formait le panneau central d'un triptyque. La scène du Cruci- fiement est complétée sur les deux volets où l'on voit d'un côté les soldats romains, de l'autre les spec- tateurs. Saint Eloi et Sainte Wal- burge sont représentés au revers du volet de gauche. Sainte Cathe- rine et Saint Amand derrière celui de droite. Au-dessus du triptyque un panneau détaché montrait Dieu le Père avec deux anges; les Prédelles représentaient au milieu Le Christ en croix, le Corps de Sainte Catherine enlevé par les anges d'un côté, et le Miracle de Sainte Walburge de l'autre. Rubens se mit à l'œuvre au mois de juin 1610. Ce tableau fut payé 2600 florins. Jusqu'en 1734 il demeura intact, mais à cette époque la reconstruction de l'autel entraîna la suppression du panneau qui le couronnait ainsi que celle des Prédelles. Ces compléments du trip- tyque furent vendus. En 1794 lu triptyque fut transféré à Paris. Rendu en 1815 au roi des Pays- Bas, celui-ci en dota la cathédrale- 38. P.-P. Rubens. — L'Adoration des Mages (Musée d'Anvers). d'Anvers. La Descente de Croix. (N° 37) Le corps du Sauveur détaché de la croix est étendu sur un linceul au milieu du tableau. Quatre échelles ont été appliquées contre la croix. Deux ouvriers sont juchés sur les bras ; tandis que Joseph d'Arimathie et Nicodème, montés sur les échelles à mi-hauteur du gibet,. Marie et Jean debout, Marie-Madeleine et Marie-Cléophas agenouillées au pied de la croix, rivalisent de ferveur et de sollicitude pour descendre la dépouille du Sauveur. Ils se groupent symétriquement deux par deux, depuis le bas jusqu'au sommet de la croix. Une action pieuse et un sentiment d'adoration communs les rapprochent. De même que le Crucifiement représente une œuvre de haine et de furie homicide, la Descente de Croix célèbre Les Maîtres flamands du XVIP siècle. 35 la dévotion et l'amour pour le Dieu martyr. D'une ordonnance admirable ce tableau présente en outre un ton plus clair et une couleur plus opulente que l'autre. Il appar- tient à la seconde manière de Rubens, celle où il avait renoncé à ses teintes fauves et à ses formes par trop gigantesques pour retourner à des figures moins tourmentées et à un coloris plus flamand. L'œuvre fut exécutée pour l'autel de la confrérie des Arquebusiers dans l'église Notre-Dame à Anvers. Transportée à Paris en 1794 elle fut restituée aux Anversois en 1815. Outre le panneau principal elle comporte deux volets dont celui de droite figure la Présentation au Temple et celui de gauche la Visitation. Au revers de ces volets on voit Saint Christophe portant VEnjant-Dieu, et un Ermite muni d'une lanterne. Rubens choisit ces divers sujets en considération du patron des Arquebusiers Saint Christophe dont le nom Christo phorus, signifie porteur du Christ. Le triptyque lui fut commandé le 7 septembre 1611 pour un prix de 2400 florins. Le panneau central fut déjà placé le 12 septembre 1612 ; les volets y furent ajoutés le 18 février et le 6 mars de l'année suivante. L'Adoration des Mages, du Musée d'Anvers (N° 38) est un autre des chefs-d'œuvre tirés par Rubens du Nouveau Testament. Il a traité plusieurs fois ce sujet mais jamais dans des proportions aussi imposantes que celles du tableau en question. La Sainte Vierge ayant retiré l'Enfant de sa crèche le présente à l'adoration du plus âgé des mages. Celui-ci vêtu d'un blanc surplis, s'agenouille devant le Messie en tenant à la main les chaînes d'un encensoir. Le roi nègre, une main à la hanche, porte de l'autre un vase d'or rempli de myrrhe. Il est coiffé d'un turban aux riches couleurs et ses regards s'arrêtent avec une admiration naïve sur la Vierge. Le troisième visiteur, drapé dans un ample manteau écarlate richement brodé, s'avance avec un calice d'or plein de monnaies précieuses. La suite des mages, à cheval ou à dos de chameau, se presse derrière eux, et le bœuf avance la tête pour prendre sa part du spectacle. Ce tableau commandé à Rubens pour le maître- autel de l'église abbatiale de Saint-Michel à Anvers, 39. P.-P. Rubens. - La dernière Communion coûta la somme de 1500 florins dont la première moitié fut de Saint François d'Assise payée le 23 décembre 1624 et la seconde le 2g août 1626. (Musée d'Anvers). C'est le premier tableau de la troisième manière de Rubens ; celle qui se distingue par une facture plus ample et plus de fantaisie dans la couleur et la lumière. Le roi nègre est vêtu de la robe orientale rapportée de Palestine par un ami de Rubens, Nicolas Respani, qui la porte aussi dans son portrait du Musée de Cassel. Parmi les tableaux traitant des sujets de la vie des Saints on admire surtout la Dernière Communion de Saint François d'Assise (N° 39), du Musée d'Anvers et V Autel de Saint Ildefonse (N° 40), du Musée Impérial de Vienne. C'est incontestablement dans le premier que Rubens a mis le plus de sentiment religieux. La scène se passe dans une église au pied d'un autel. Saint François agenouillé, soutenu par deux moines, va recevoir l'hostie des mains d'un prêtre vêtu d'une chasuble aux couleurs opulentes. D'autres frères entourent le „Petit Pauvre" ; deux d'entre eux portent 36 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. des cierges aux côtés du prêtre. Tous les visages expriment en même temps que la tristesse une profonde vénération pour le Saint-Sacrement administré au mourant. Les traits de celui-ci surtout respirent une ferveur doublée d'une impatience touchante. Dans son corps épuisé couvent encore les ardeurs de l'exaltation religieuse. La peinture présente une tonalité d'un brun intense assez rare chez Rubens, mais merveilleuse de transparence et de finesse. La composition rappelle celle d'Agostino Carraci sur le même sujet et que Rubens avait vue en Italie. Domenico Zampieri (Il Domenichino) traita le même épisode après que Rubens eut quitté l'Italie. Les trois œuvres présentent beaucoup d'analogie entre elles ; ce sont autant de chefs-d'œuvre, mais la plus belle est pourtant celle du maître flamand. Rubens la peignit en 1619 pour Gaspard Charles, qui en orna l'autel de Saint-François dans l'église des Récollets 40. p.-P. Rubens. — L'autel de Saint Ildefonse (Musée Impérial, Vienne). à Anvers. En 1794 elle fut expédiée à Paris. A son retour en 1815 elle enrichit le Musée d'Anvers. Le triptyque du Miracle de Saint Ildefonse (N° 40) est une des plus superbes créations des pinceaux du maître. Le panneau du milieu représente le miracle. La Légende Dorée rapporte que Saint Ildefonse, un des plus ardents champions de l'Immaculée- Conception, pénétrant certain matin dans la cathédrale de Tolède accompagné d'un diacre, d'un sous-diacre et d'enfants de chœur, fut frappé par une lumière céleste dont ses yeux et ceux de ses compagnons ne purent même supporter l'éclat. A l'exception du Saint tous se sauvèrent et coururent rapporter le prodige à d'autres clercs ; ils rentrèrent en Les Maîtres flamands du XVIP siècle. 37 nombre dans l'église où ils furent témoins d'un merveilleux spectacle. Ils aperçoivent Saint Ildefonse qui s'est approché de l'autel de la Sainte Vierge tandis que celle-ci ayant pris place sur le siège du Saint, tend à son fidèle défenseur une chasuble brodée de ses mains en lui disant: „Combats pour ma gloire, vaillant serviteur et accepte ce présent que j'ai puisé pour toi dans le trésor de mon Fils". Telle est la scène peinte par Rubens. Dans le haut planent trois anges tenant une couronne et une gerbe de roses. De chaque côté de Notre Dame sont Sainte Barbe et Sainte Catherine à droite, Agnès et Rosalie à gauche. Dans les volets figurent l'infante Isabelle et l'archiduc Albert, son époux, tous deux en costume d'apparat et accom- pagués chacun de son patron. Si le panneau principal s'illumine d'une splendeur céleste les deux autres sont éblouissants de magnificence profane. Au revers des volets on voit une Sainte Famille dite ,,Notre Dame sous le Pommier". Ce tableau fut peint en 1631 pour l'autel de la confrérie de Saint Ildefonse dont faisaient partie' les officiers et les dignitaires de la maison des Archiducs à Bruxelles. En 1641 le triptyque fut suspendu au mur de la chapelle et remplacé sur l'autel par une image de la Sainte Vierge. En 1777 l'impératrice Marie- Thérèse l'acheta et le transféra à Vienne. Dans l'esquisse que le Musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg possède de ce chef-d'œuvre les troD panneaux n'en forment qu'un. Entre les années 1615 et 1618 Rubens traita plusieurs fois la Chute des Anges et le Juge^nent Dernier. Ce qui le séduisait surtout dans ces sujets c'était d'une part la chute de Lucifer et de ses partisans foudroyés par l'archange Michel, et 41. P.-P. Rubens. — Le Petit Jugement Dernier d'autre part celle des. damnés pré- (Pinacothèque, Munich). cipités dans les abîmes infernaux par le Juge Suprême, au dernier jour du monde. La culbute des réprouvés lancés par leur propre poids à travers l'espace ou entraînés dans la fournaise éternelle par les démons, devait tenter Rubens autant par ce qu'elle comportait de déploiements musculaires que par son caractère terrifiant. En 1620 il peignit la Chute des Anges qui se trouve aujourd'hui à la Pinacothèque de Munich et en 1618 le Jugement Dernier appartenant au même Musée et dont l'esquisse est au Musée de Dresde. De 1615 à 1618 il brossa la Chute des Dmnnés également à la Pinacothèque de Munich et dont on voit une réplique de moindre format au Musée 38 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Suermondt à Aix-la-Chapelle; les Bienheureux montant au Ciel et He Petit Jugement Dernier sont tous deux aussi à Munich (N° 41). Ce dernier tableau est le plus remarquable de ceux consacrés à cette scène émou- vante. L'archange Michel armé de la foudre et du bou- cher arborant le nom de Jéhovah, occupe le milieu de la composition. Sous lui se pressent et combattent les milices célestes, et les diables entraînent les damnés vers les enfers que l'on voit flamber au bas du tableau dans le 42. P.-P. Rubens. — Le Jugement de Pâris (National Gallery, Londres). coin de droite. Le Juge Céleste trône dans une gloire. A sa gauche, plutôt esquissés peints, les Justes montent au paradis. Rubens s'est que représenté lui-même en bas et à droite sous les traits d'un réprouvé. Durant toute sa vie le grand maître peignit aussi des scènes de la Fable ; on peut même dire que les méta- morphoses d'Ovide lui étaient aussi familières que la Bible et l'Evangile. Il puisait volontiers dans la mythologie des épisodes qui lui offraient l'occasion d'étaler la splendide nudité des jeunes déesses, par exemple les Trois Grâces, le Jugement de Pâris, Diane et ses Nymphes. Un des chefs-d'œuvre dans ce genre est le Jugement de Pâris de la National Gallery à Londres (N° 42). Pâris assis au pied d'un arbre, tient la pomme dans sa main tendue. Mercure est à ses côtés. A gauche se groupent Junon, Vénus et Minerve. La première est vue de dos, la seconde de profil, la troisième de face. Cupidon, accroupi aux pieds de Vénus, s'accroche à la draperie tombant des épaules de sa mère. Junon est accompagnée de son paon et le hibou de Minerve perche dans un arbre au-dessus de sa tête. La scène se p .p_ R^bens. — La Naissance de Louis XIII passe par un beau crépuscule d'été et le (Louvre, Paris). Les Maîtres flamands du XVIP siècle. 39 magicien par excellence de la lumière et de la couleur y a prodigué des effets de chaude ■clarté dorée qui en font une de ses plus prestigieuses créations. C'est une de ses dernières œuvres ; elle date d'environ 1636. A la fin du XVIIP siècle elle faisait partie de l'opulente ■collection du duc d'Orléans. Rubens ne peignit relativement que peu de tableaux d'histoire, mais parmi ceux-ci figurent diverses séries comptant parmi ce qu'il exécuta de plus remarquable : l'Histoire du Decius Mus, l'Histoire de l'Empereur Constantin, le Règne de Jacques la , Joyeuse Entrée du Cardinal Infant, l'Histoire de Marie de Médicis. La dernière est la plus importante de toutes ces séries et même de toute l'œuvre du maître. Elle fut peinte pour la reine de ce nom, veuve de Henri IV, roi de France, et destinée à la décoration d'une des galeries du nouveau palais, que cette princesse s'était fait construire de 1613 à 1621. La série entière comporte 24 tableaux dont 21 scènes historiques et 3 portraits. Le tout fut commandé à Rubens en janvier 1622. En mai 1623 lui-même vint placer les neufs premiers tableaux ; en février 1625 il apporta 44. P,-P. Rubens. — Le couronnement de Marie de Médicis (Louvre, Paris). les derniers à Paris. La galerie fut inaugurée au mois de mai de la même année à l'occasion du mariage d'Henriette, fille de Henri IV, avec Charles d'Angleterre. Dans cette œuvre l'Histoire se mêle à la Fable qui lui prête ses brillants personnages pour rehausser de leurs allégories et magnifier les vertus et les actions de l'héroïne. Cet alliage de vérité et de fantaisie déconcerte un peu notre moderne conception de l'histoire, mais il fournissait à Rubens un merveilleux cortège de figures plastiques et brillantes, qui ne contribuent pas peu à faire de cette histoire de Marie de Médicis l'œuvre la plus décorative du plus décoratif des peintres. Nous reproduisons deux des épisodes les plus réussis de la série : la Naissance de Louis XIII (N° 43) et le Couronnement de Marie de Médicis (N° 44). Le premier nous montre la reine, la tête soutenue par le bras de la Fortune, con- templant le prince nouveau-né avec une touchante ferveur maternelle. A droite l'Equité confie l'enfant au Génie de la Santé ; à gauche la Fécondité évoque dans sa corne d'abondance 40 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. les cinq autres enfants, que la reine engendrera encore. Dans les airs le char de Phaéton repré- sente l'Aurore. Dans le Couronnement de Marie de Médicis (N° 44) la Reine est agenouillée sur les degrés du maître-autel de l'église abbatiale de Saint-Denis. Le cardinal de Joyeuse va la coiffer de la couronne ; les cardinaux de Gondy et de Sourdy se tiennent derrière elle assistés d'un quatrième cardinal et de quatre évêques la mitre en tête. Le dauphin et sa sœur aînée sont aux côtés de leur mère. Henri IV contemple la scène du haut d'une tribune. Marguerite de Valois, la première épouse de Henri IV, accom- pagne la reine avec une suite d'autres princesses ; la princesse de Conti et la duchesse de Mon- pensier portent la traîne du manteau royal ; MM. de Souvré, de Béthune et le duc d'Anjou en tiennent les cordons. Dans les airs planent deux génies, dont l'un apporte la palme de la paix et dont 45. p.-P. Rubens. — Rubens et Isabelle Brant (Pinacothèque, Munich). l'autre répand des fleurs et des pièces d'or. Rubens fut aussi un portraitiste de premier ordre. Il ne traita aucun de ses modèles avec autant de soin, de perfection et de charme que ses deux femmes, Isabelle Brant et Hélène Fourment. Il se représenta une première fois lui-même avec Isabelle Brant dans un tableau appartenant à la Pinacothèque de Munich (N° 45). Le jeune couple est assis dans une gloriette tapissée de chèvrefeuille printanier. Eux aussi sont jeunes et beaux et leur amour concerte avec le renou- veau de la nature. L'attitude du peintre est élégante et dégagée. La jeune épouse presse doucement sa main avec une tendresse non exempte de fierté, et toute sa physionomie respire une sereine confiance en l'avenir. Ce tableau fut peint peu de temps après le mariage qui avait eu lieu le 3 Octobre 1609, dans la manière nouvelle du maître caractérisée par un ton ferme et une couleur opulente et solide. Rubens était né le 28 Juin 1577, Isabelle Brant le 19 octobre 1591 ; quand il exécuta ce double portrait ils étaient âgés elle de dix-huit et lui d'environ trente-deux ans. Elle mourut prématurément le 20 juin 1626. Rubens se remaria le 6 décembre 1630. Il 47. P.-P. Rubens. — Hélène Fourment à la. avait déjà 53 ans et son épouse, Hélène Fourmeni, fourrure (Musée Impérial, Vienne). Les Maîtres flamands du XVIP siècle. 43 née le 31 mars 1664, comptait à peine seize printemps. C'était une délicieuse petite Flamande, mignonne et potelée, dont Rubens raffolait et qu'il ne se lassa point de „pourtraire", Il la représenta dans toutes les poses et sous tous les costumes ; tantôt seule, tantôt avec son époux, tantôt avec ses enfants, et autant de portraits, autant de chefs-d'œuvre. Il s'en trouve un au Musée Royal de La Haye (N° 46). Hélène Fourment porte une robe de soie bleue aux manches à crevés, doublées de soie blanche, et un mantelet noir à collet en fourrure. Une blanche plume d'autruche orne son petit chapeau. Elle tient une gerbe de roses. Elle a une vingtaine d'années, de sorte que le portrait date d'environ 1634. Le plus remarquable des portraits d'Hélène Four- ment est celui du Musée de Vienne, sur lequel elle ne porte qu'une fourrure pour tout vêtement (N° 47). Ses [pieds foulent un tapis cramoisi et sa blanche et caressante nudité se détache avec éclat sur un fond sombre. Un manteau de velours noir doublé de fourrure est jeté sur les épaules de la jeune femme et elle en ramène les bords vers ses hanches. Elle est coiffée d'un petit bonnet attaché sur le front par un ruban blanc. La poitrine, les jambes et les bras sont nus. Le modèle respire la fraîcheur de la première j eunesse. Rubens peignit ce portrait vers 1630 et il le laissa par testament à sa veuve. En dehors de ceux des membres de sa famille un des meilleurs portraits de Rubens est certes celui du docteur 48. P.-P. Rubens.—Le Dr. Théodore van Thulden (Pinacothèque, Munich). Théodore van Thulden, de la Pinacothèque de Munich (N° 48). Théodore van Thulden était professeur de droit à l'Université de Louvain. Rubens fit sans doute son portrait vers 1620. Il nous le montre revêtu de sa toge, assis dans un fauteuil, tenant un gros livre dans la main gauche. C'est un homme bien portant, aux cheveux châtain clair, au teint fleuri, aux yeux pleins de vie. Ce tableau fut transporté de Dusseldorf à Munich avec la collection du prince électeur dont il faisait partie. Rubens cultiva tous les genres et excella dans tous. Nul ne le surpassa comme animalier. Il traita même les animaux comme nul ne l'avait fait avant ou ne devait le faire après lui, c'est-à-dire aux en les m.êlant à une action dramatique, en les montrant prises avec les hommes. Rien de plus pathétique que ces combats livrés par des chasseurs aux 44 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. bêtes féroces, que ces corps à corps désespérés, que ces mêlées furieuses. Il nous représente tour à tour des chasses au lion et au tigre, au renard et au loup, au sanglier, voire à l'hippopotame, et au crocodile. La Chasse au Lion de la Pinacothèque de Munich (N° 49) compte parmi les meilleurs de ces tableaux. Le lion et sa lionne sont harcelés par sept chasseurs dont quatre cavaliers. Le lion a plongé les griffes et les crocs dans la chair d'un de ceux-ci et il l'arrache de son cheval. Les autres chasseurs se pressent au secours de leur compagnon. De son côté la lionne a terrassé un autre de ses persécuteurs ; celui-ci se défend de son mieux en attendant qu'on vienne à la rescousse. Le cadavre d'un des chasseurs gît déjà sur le sol. Ce tableau fut peint au plus tard au commencement de l'année 1612 pour le duc,, par la suite grand électeur de Bavière. Plusieurs élèves du maître collaborèrent à cette œuvre ; Van Dyck, entre autres, quî peignit les chevaux. Rubens se distingua aussi comme paysagiste. Il peignit la nature telle qu'elle était dans la réalité et sans chercher à la parer ou à l'embellir, s'arrêtant même de préférence aux sites les plus simples. Il répudia les scènes tourmen- tées, les entassements de rochers et de montagnes chers à ses prédécesseurs et peignit la plupart du temps les champs et les bois qu'il voyait autour de lui et au lieu de les étoffer de person- nages de la Bible ou de la Fable il y faisait mouvoir ou vaquer à leurs travaux les pasteurs et les cultivateurs indigènes. Pour ses paysages il eut recours à des collabora- teurs plus souvent encore que pour ses autres tableaux. 49. P.-P. Rubens. — Chasse au Lion (Pinacothèque, Munich). Lucas van Uden fut le priu- cipal de ces aides. Nous con- naissons environ une quarantaine de ces paysages. Le Paysage avec un berger (N° 50) reproduit ci-contre se trouve dans la collection de Lord Carlisle à Londres. Il représente un berger appuyé sur sa houlette, au bord d'une rivière, au coucher du soleil. Un petit pont est jeté sur ce cours d'eau aux rives bordées d'arbres. Un chasseur erre avec ses chiens dans le bois. L'artiste a merveilleusement compris et rendu le pittoresque un peu sévère de ce site. Il le peignit sans doute comme la plupart de ses paysages entre les années 1635 et 1640, époque à laquelle il passe l'été dans son château d'Elewijt. Rubens domina son siècle et son pays et tous les artistes furent plus ou moins direc- tement ses disciples. Parmi ses élèves proprement dits Antoine van Dyck s'éleva bien au- dessus des autres. Il naquit à Anvers en 1599 et mourut à Londres en 1641. Dès sa ving- tième année cet artiste précoce et doué, s'il, en fut, peignit des tableaux que l'on distingue difficilement de ceux de son maître. Durant une courte carrière il produisit des centaines de tableaux remarquables, mais il doit surtout à ses portraits une renommée universelle et presque sans rivale. Sa vie se divise en quatre périodes : il passe la première (1616—1623)' Les Maîtres flamands du XVIP siècle. 47 à Anvers sous la direction et l'influence de son maître ; la seconde est celle de ses années d'études et de voyages en Italie (1623—1627) ; la troisième s'écoule à Anvers au retour du Midi (1628—1632) ; enfin la quatrième va de son départ pour Londres jusqu'à sa mort (1632—1641). Le plus connu des tableaux de sa première époque et le plus justement apprécié est le Saint Martin partageant son manteau avec un pauvre qui se trouve à l'église deSaventhem^ village des environs de Bruxelles (N° 51). Le saint monte un cheval blanc ou plutôt bleu-gris ; il porte une cuirasse d'acier et un chapeau noir à long panache. Un écuyer monté sur un cheval brun l'accom- pagne. Un mendiant accroupi sur le sol montre son dos nu au spectateur. Avec son épée le jeune saint divise son manteau d'un rouge 51. Antoine van Dyck. — Saint Martin partageant son feu en deux pièces, dont il tend l'une au manteau avec un pauvre (Eglise de Saventhem). misérable. A côté de celui-ci un paralytique s'appuie sur une béquille. Cette œuvre aussi séduisante de composition que de couleur chante le printemps de l'artiste. Une légende répandue dans le monde entier veut qu'en se rendant en Italie le peintre se soit arrêté à Saventhem, retenu par les beaux yeux de la fille du seigneur de l'endroit. Rubens craignant que l'amour ne détournât le jeune homme de ses études et de son art, s'en fut le relancer et le détermina à poursuivre son voyage. Pour son jeune saint Van Dyck s'inspira d'un dessin d'après une figure du Titien, dessin que nous retrouvons dans un de ses albums. Il se serait donc déjà trouvé de l'autre côté des Alpes avant de peindre ce tableau. Comme l'œuvre est, cer- tainement antérieure à son dernier retour de la péninsule, nous pouvons affirmer qu'il visita deux fois l'Italie : une première fois en 1621 une seconde en 1623, après la mort de son père auprès de qui il avait été rappelé en 1622 pour lui fermer les yeux. En Italie Van Dyck séjourna à Gênes, à Venise, à Rome et à Palerme. C'est dans la première de ces villes qu'il se fixa le plus longtemps. Il y fit les portraits de nombre de 52. Antoine van Dyck. — La marquise Paola Adorno grands et de patriciens : les Balbi, les Brignole Brignole Sale (Duchesse d'Abercorn, Londres). 48 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Sale, les Doria, les Pallavicini, les Impériale, les Cataneo et bien d'autres encore. La seule famille Brignole Sale lui commanda plusieurs portraits. Un des plus réussis est celui de la Marquise Paola Adorno Brignole Sale appartenant au duc d'Aber- corn à Londres (N° 52). La marquise est vue en pied dans un intérieur opulent. Elle porte une robe de satin blanc; elle est coiffée d'un filet de perles en manière de bonnet ; elle tient une main à la ceinture, de l'autre elle se trousse légèrement. Dans tout le tableau règne cette chaude tonalité dorée adoptée par Van Dyck à la suite du Titien et de Giorgione. Il a complètement abandonné la couleur fraîche et solide ainsi que la manière réaliste de Rubens pour adopter une conception élégante et aristo- cratique de la figure. Cette jeune femme repré- sente vraiment un modèle de distinction et de grâce et sa toilette d'un suprême bon goût rehausse encore son idéale beauté. Elle était fille de Giam- battista Adorno, sénateur et gouverneur de Gênes en 1621 et 1632 et de Paola di Giacomo Spinola première femme de ce magnifique. Elle épousa Antoine Julien di Gianfrancisco Brignole. Une 53. Antoine van Dyck. — Saint Augustin en extase (Eglise Saint-Augustin, Anvers). réplique de son portrait et une autre de celui de son mari ornent le Palazzo Rossi, donné, en 1874, en cadeau à la ville de Gênes par la marquise Brignole Sale, duchesse de Eerrara di Galliera. A son retour à Anvers, en 1627, "^9-^ Dyck peignit la plupart de ses tableaux religieux pour les églises de son berceau et d'autres villes. Les commandes de ce genre lui vinrent surtout de 1628 à 1630 époque où des missions diplo- matiques éloignaient fréquemment Rubens du théâtre de son activité artistique. Arrêtons-nous à quelques-unes de ces toiles : C'est d'abord Saint Augustin en extase devant la Sainte Trinité qui se trouve dans l'église des Augustins à Anvers (N° 53). •— Le Saint méditait sur le Antoine van Le en avec mystère de la 54. Dyck. Christ croix Saint Dominique et Sainte Catherine de Sienne Sainte Trinité quand celle-ci lui apparut tout- (Musée d'Anvers). Les Maîtres flamands du XVIP siècle. 49 à-coup dans une gloire. Ce prodige l'a tellement saisi qu'il défaillerait si deux anges n'étaient là pour le soutenir. Monique, sa mère, et Saint Nicolas de Tolentin, agenouillés à ses côtés, partagent son émoi. Le coloris est incomparablement vigoureux et d'un ton éclatant, mais les lumiières sourdes quoique ardentes répandues sur le visage du saint et sur les autres rappellent visiblement figures ces teintes roussâtres que le peintre avait adoptées en Italie. Comme dans d'autres tableaux encore Van Dyck a prêté ses propres traits aux anges. Les attitudes et les expressions respirent la poésie rêveuse idéalisant tous les personnages du plus aristocrate des maîtres. Le tableau fut peint en 1628 et placé sur l'autel de la nef gauclie de l'église précitée qui venait d'être construite. La même année Rubens avait fourni une Vierge entorirée de saints pour le maître-autel et Jordaens un Mar- .tyre de Sainte Appolline pour l'autel de la nef droite de la même église. Une autre toile capitale de Van Dyck dans le genre religieux et d'environ la même époque est le Christ en Croix avec Saint Domi- nique et Sainte Catherine de Sienne, appartenant au Musée d'Anvers i. -, r- Dresde. Rembrandt se trouve dans nlevement de Ganymede. la période la plus heureuse de sa vie et il a incarné en cette œuvre toute sa joie de vivre. Assis sur une chaise, le peintre élève en l'air un verre de forme allongée rempli d'un vin écumant ; son autre main serre la taille de Saskia, qu'il tient sur ses genoux. Il a revêtu un de ces déguisements qu'il affectionne ; l'uniforme d'un soudard : large béret à plumes blanches, pourpoint rouge brique à bandes brodées- d'or, baudrier d'or avec une longue rapière au côté. Sa grosse gaîté participe plutôt de l'ivresse d'un lansquenet en train de faire bombance que de l'extase d'un amant attendri ; Saskia aussi a l'air heureux, mais sa félicité se traduit de façon moins intempestive et il semble s'y mêler une vague mélan- colle, comme le pressentiment des revers à attendre dans l'avenir. En somme l'intérêt capital se concentre en lui. La lumière qui le baigne rivalise d'éclat avec son rire. L'épouse s'efface •à 1 arrière-plan, dans une lumière plus mate et plus tempérée. L'âge d'or de l'École hollandaise. 8i Le Musée de Cassel possède une œuvre de la même époque que le tableau dont nous venons de parler : UEnlèvement de Cianymède (N° 89) portant le millésmie 1635. H s'agit d'une conception assez inattendue, d'un épisode mythologique ; comme de la trans- position en une prose gaillarde et un tantinet triviale d'une poétique légende de la radieuse Hellade. L'aigle de Jupiter a surpris le jeune Ganymède et l'a enlevé dans les airs. Le gamin serre encore dans ses menottes les cerises qu'il était en train de dérober aux arbres voisins. Non seulement le pauvret pleurniche et jette des cris à fendre l'âme, mais son eifarem.ent se traduit autrement encore que par de chaudes larmes. Il y a lieu de pardonner l'irrévérence avec 90. Rembrandt. —■ Samson terrassé par les Philistins (Musée de Francfort). laquelle le maître parodie les mythes de la Fable sacro-sainte en raison de la crânerie et de la vigueur qu'il déploie dans la mise en œuvre de cette charge anticipant sur les audaces cl Offenbach. Le gamin est un superbe enfant, traité avec un soin remarquable, et dont le relief s accuse en pleine lumière ; un véritable modèle d'anatomie. L'aigle a moins d'accent et semble n'avoir été traité que comme accessoire. Avec le Samson terrassé par les Philistins (N° 90), qui faisait partie jusqu en 1905 de la collection des comtes de Schoenborn et qui a été acquis, depuis, par le Musée de Franc- fort, Rembrandt passe à un tout autre ordre d'idées mais en déployant la même maîtrise. C'est 6 82 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. même la plus dramatique de ses œuvres, quoiqu'il s'y agisse moins de la tragédie qui se passe dans l'âme de la victime que du spectacle fourni par les bourreaux qui se livrent aux pires extrémités sur leur ancien vainqueur. Le héros terrassé se débat sanglant, un soldat lui rive une chaîne autour du poignet ; un autre lui crève un œil ; un troisième le menace de sa lance ; un quatrième lui a jeté les bras au cou et lui colle la tête contre la terre ; tandis que Dalila, à qui le peintre a prêté les traits de Saskia, une poignée de cheveux du héros à la main, s'échappe de cette atroce bagarre. Le martyr a les jambes, les pieds et le visage crispés par la torture il lutte désespéré contre ses persécuteurs, mais il a perdu ses forces. La lumière tombe en en plein sur lui de manière à faire ressortir toutes les péripéties de ce combat inégal. Ce- 91. Rembrandt. •— Le sacrifice de IManué (Musée de Dresde). tableau fut offert probablement en 1636 par Rembrandt à Constantin Huygens, secrétaire- du prince Frédéric Henri, en témoignage de reconnaissance pour ses bons offices. Un autre tableau inspiré de l'Ancien Testament, le Sacrifice de Manué (N° 91), qui se trouve au Musée de Dresde et datant de 1641, nous montre encore le talent du peintre- sous un tout autre jour. Autant le précédent est tumultueux et frénétique, autant celui-ci respire la ferveur et le sentiment. Les parents de Samson, Manué et son épouse étaient déjà âgés sans avoir eu d'enfants lorsqu'un ange apparut à la femme et lui annonça qu'elle enfanterait un fils qui accomplirait de grands exploits en faveur d'Israël. Tandis que les époux se trouvaient aux champs où le mari sacrifiait un bouc à Jéhovah, l'ange même du. L'âge d'or de l'École hollandaise. 83 r Seigneur apparut dans les flammes de l'autel et s'éleva avec elles vers les Cieux. Devant ce prodige Manué et son épouse se prosternèrent la face contre le sol. Le tableau de Rembrandt nous montre le miracle tel qu'il est raconté dans la Bible mais avec cette variante qu'au lieu d'être prosternés les époux sont agenouillés et prient avec ferveur dans une attitude plus favorable au pittoresque voulu par l'artiste. Dans cette illustration de l'Histoire Sainte l'artiste a été séduit précisément par ce que la scène surnaturelle présen- tait de naturel, de réalité, c'est-à-dire les personnages en prière, la femme pleine de ferveur, l'homme très ému, et encore l'effet de lumière sur ce couple, l'homme éclairé par la flamme 92. Rembrandt. —• La Ronde de Nuit (La compagnie de Franz Banningh Cock) (Rijksmuseum, Amsterdam). du sacrifice, la femme illuminée par le soleil. Le maître est en possession de tous ses Il moyens. ne pèche par aucun excès. Il traduit aussi .pieusement et aussi ingénument que le possible vœu d'un ménage privé d'enfants, vœu qui était aussi celui de Rembrandt et de Saskia, 3- ce moment où leurs trois premiers rejetons leur avaient été enlevés et où ils aspiraient aidemment à la naissance d'un quatrième héritier. L année d'après, Rembrandt brossa son célèbre chef-d'œuvre, la Corporation de Franz Banningh Cock, plus connu sous le titre de La Ronde de Xiiit (X° 92), datée de 1642 et qui .se trouve au Rijksmuseum d'Amsterdam. Comme l'indique son premier titre, il représente le 84 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. défilé de la compagnie du capitaine Franz Banningh Cock ; le second titre lui fut donné parce semblent de la nuit que les personnages principaux rayonnants de lumière dorée, surgir ténébreuse et cette merveille d'ardente clarté solaire paraissait plutôt sombre aux parce que des contemporains habitués à la tonalité ordinaire des tableaux de portraits antérieurs. yeux sur un ou moins Tandis que dans ces derniers les personnages sont disposés rang plus assis symétriquement autour d'une table, Rembrandt nous montre ses miliciens régulier ou civiques en plein mouvement, non pas toutefois le mouvement d'une troupe en marche, mais bien celui d'une compagnie sur le point de s'ébranler et de commencer sa patrouille. A l'avant et au centre paraît le une rctte se le avec une écharpe d'un blanc écla- hausse-col d'argent, ^ >sl tenant à la main une lance frangée ' de jaune et de blanc ; à l'avant-plan encore et de l'autre côté du capi- faine, une fillette éblouissante de fusion. Celle-ci J le lieutenant représentent se le en un homme en charge son mousquet à droite, '/^ derrière ces personnages, troupe maintenue dans obscur piqué de taches lumineuses. r~représente le triomphe toute-puissante, appelant nouvelle de la Rembrandt métamorphosé lui-même et tous 93. Rembrandt. — Elisabeth Bas (Rijksmuseum). ses procheS aveC lui en autant de personnages des Mille et une Nuits, étendit cette prestigieuse expérience à une simple et digne compagnie de la milice citoyenne. Si nous nous extasions aujourd'hui devant le prodige opéré par le magicien par excellence du monde des couleurs, nous comprendrons toutefois que ses contemporains ne se montrèrent pas aussi enthousiastes de la transfiguration qu'il leur avait fait subir. En effet, en dehors du capitaine, du lieutenant et du porte-étendard, tous les autres font un peu l'effet d'échappés du Carnaval. Chapeaux bossués, casques de tous les modèles, défroques de toutes les couleurs, de auxquels il fait ajouter un arsenal d'armes hétéroclites, et, renchérissant sur le tout, jeunes guerriers coiffés de le casques, la fillette au front ceint d'un diadème de pierreries, gamin couronné de laurier, tout l'ensemble se rapproche bien plus d'une mascarade fantastique L'âge d'or de l'École hollandaise. 85 que d'une ronde de graves soldats citoyens. Le tableau avait cependant été peint pour les dignes arbalétriers d'Amsterdam et il orna d'abord la grande salle de leurs réunions sise dans la rue du Singel. Plus tard le tableau fut transféré à l'hôtel de ville, aujourd'hui le Palais-Royal, dans la petite salle des conseils de guerre ; plus tard encore la ville d'Amsterdam, à laquelle il appartient, le logea dans la Maison aux Tripes, l'ancien Musée; enfin il a été installé dans le Rijksmuseum. Le Rijksmuseum possède aussi un admirable portrait de la même époque, celui d'Elisabeth ]acohsdochter Bas (N° 93), veuve de l'amiral Jochem Hendrikszoon Swartenhout. Ce portrait fait penser à celui de l'octogénaire de la National Gallery, plus haut. C'est même les toute- avec plus de bienveillance que chez vieille. L'art y rivalise Wj de avec le douceur la un ferme elle con- - une de tage présente un délicieux alliage de sacré et de profane, de réel et T de surnaturel, mais l'élément berceau de son Enfant, le petit mère vigilante empressée d'écarter rideau de la Joseph vaque sa besogne de ^ charpentier. Tout se passe comme dans l'intérieur de simples > T hollandais. Mêmes costumes, mêmes accessoires. Rien de mystérieux ou d'ineffable ; au contraire tout y est H|^B||||j|^^B^ ■ ■.. . L plus plus cordial. Le miracle, le merveilleux s'accom- plissent à proximité et au-dessus de 94- Rembrandt. — La Sainte Famille avec les Anges V cette , ,, . . , de Saint-Pétersbourg). scene, et la (Musée l'Ermitage, encore, si simple- ment, si naïvement, que nul n'y prête attention ; l'eut-on remarqué, on n'en serait pas surpris le moins du monde. Un groupe d'angelets est descendu du Ciel ; celui qui les guide ouvre les bras et les ailes en signe d'admiration pour le spectacle offert à sa vue ; d'autres anges là-haut ne se hasardent gue timidement à sortir de leur berceau de lumière. La peinture est de ton moelleux sans grand éclat, mais de chauds effluves de lumière saturent toute la toile. Le maître s'est épris du jeu des couleurs vives ; il fait valoir les tons rouge, jaune, blanc ; il ne cherche pas à jongler avec la lumière mais il la subordonne à une vigoureuse et touchante interprétation de la vérité. 86 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 11 s'en faut qu'il apporte toujours la même discrétion dans ses illustrations des faits miraculeux de l'Evangile. Il lui arrive de plonger en plein mystère et de s'exalter jusqu'aux régions du sublime. Un des tableaux les plus réussis dans ce mode, une véritable perle, nous est fourni par Les Disciples d'Eminaiis (N° 95) du Musée du Louvre. Le Christ est attablé avec deux disciples dans la modeste salle à manger d'une auberge de village. Ses compagnons appartien- lient à la classe la plus humble; il en est de même pour le valet qui les sert. Ils s'entretenaient familièrement du grand événement du jour: la mort de Jésus et sa résurrection, mais sans reconnaître celui-ci. ,,Or voilà- qu'à un moment il prit le pain, le rompit et le partagea entre eux. Et à ce geste leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent, 96. Rembrandt. — Paj-sage avec ruines sur la montagne (Alusée de Cassel). L'âge d'or de l'École hollandaise. 87 mais avait déjà disparu". Rembrandt |||||||M||M_|||M||||||MB|||g||||^__||g^^^^^ a voulu Sauveur ne se comme une un r Homme-Dieu en on feu le consume avec va flamber. Cette conception ennoblie du miracle, le peintre interprétée de la façon la plus ee merveilleux petit tableau d'un si délicat si prestigieuse le milieu de brandt se attiré par le paysage. ne le concevait pas comme les du genre, requis surtout par les lignes que un beau Le jeu de la lumière dans le ciel et sur la • ' ^ terre le séduisaient bien davantage. Il tenait 97- Rembrandt. — Hendrikje Stoffels (Louvre), à surprendre les métamorphoses que le soleil fait subir aux aspects de la terre en la faisant sourire, pleurer, se réjouir et rêver tour à tour. Le plus célèbre et le plus beau de ses essais dans ce genre est le Paysage avec le château en ruines sur la montagne du Musée de Cassel (N° 96). La scène est due en partie à la nature, en partie à l'homme ; le peintre en a vu la moitié, il en a imaginé l'autre. A l'avant-plan un pont est jeté sur un étroit canal. Un cava- lier s'engage dans un chemin longeant l'une des rives. L'autre rive présente des arbres, des maisons et un moulin à j vent. Au milieu s'élève une colline aboutissant à un rocher à pic sur lequel s'élève un château couronné d'une tour. Un ruisseau dévale de la colline, enjambé à un certain endroit par un pont à plusieurs arches. A l'arrière- 99- Rembrandt. .— La Fiancée Juive (Ruth et Booz) (Rijksmuseum). plan des montagnes se percent 88 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 98. Rembrandt. — Les S3nidics des drapiers (Rijksmuseum). dans la perspective. Les éléments romantiques abondent comme on voit ; heureusement ils s'har- monisent parfaitement et se confondent avec la nature. Le peintre a composé son-tableau plutôt comme il le sentait que comme il l'a vu ; paisible, solennel, majestueux; il en a fait un temple de la lumière où la clarté argentée et les rayons d'or du soleil se combattent et confondent leurs teintes variées en une splendeur sans égale. Rembrandt a célébré et immortalisé deux femmes qu'il aima. Nous avons déjà parlé de l'une d'elles, Saskia, son épouse ; l'autre fut Hendnkfc Siof/els (N° 97) sa fidèle compagne des mauvais jours. Le Louvre possède le meilleur portrait de celle-ci, probablement peint en 1652, quand elle avait 26 ans. Un superbe tableau ! La femme était de condition infime et sans doute peu intelligente, médiocrement jolie. Et pourtant Rembrandt en a fait une des plus sublimes figures qui aient jamais été peintes. X'était-elle pas la sienne, et, lui, n'était-il pas le magicien par excellence de la lumière et de la couleur? Elle 100. Backer. — Vieille femme est vêtue Jacob comme une princesse. Des perles fines (Musée d'Anvers). L âge d or de TKaole hollandaise. 91 aux oreilles, au corsage, auxpoignets; une toque de velours vert à ruban rouge ; un manteau de fourrures. Ajoutez à ces atours et à ces joyaux l'or de ses boucles opulentes et le prestige de sa plantureuse jeunesse. Le peintre s'est plu à la baigner dans une atmosplière d'or fluide qui fait rayonner tous les objets et les fait ressortir sur les ornières profondes. Aux approches de la vieil- lesse Rembrandt connut de dures épreuves et des jours pénibles. Le peintre ne perdit rien de ses moyens ; au contraire, jamais il ne fut plus maître de sa palette, de ses pinceaux, loi. Govaert Flinck. — Isaac bénissant Jacob (Rijksmuseum). métier. Il en fournit la preuve la plus saisissante dans ses Syndics (N° 98) du Rijksmuseum d'Amsterdam. Le»tableau représente les chefs de la cor- poration des drapiers d'Amsterdam et fut peint en 1661 ou 1662 pour la Halle aux Draps de cette ville. C'est le seul tableau de portraits que l'on doit à Rembrandt ; il brille au premier rang de ses œuvres avec la Ronde de Nuit. Il l'emporte même sur celui-ci par une 103. Ferdinand Bol. — Savant en méditation (Ermitage). 92 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. sobriété plus grande. La fantaisie et les effets prodigués à l'excès dans la Ronde ont été sacrifiés impitoyablement dans les Syndics. Les personnages portent leur costume habituel, ils sont attablés comme tous les jours dans la salle de leurs réunions, ils vivent tout simplement, tout naturellement ; mais la façon dont cette vie est exprimée, la variété qu'il y a dans leurs attitudes et leurs expressions et surtout cette tonalité si chaude de la peinture, concourent à faire de ce groupe de paisibles citoyens un monument dans lequel s'incarnent à la fois l'âme de la vieille Hollande et le génie de l'art de Rembrandt. Après cette période de maturité et de parfait équilibre de toutes ses facultés. Rem- brandt connut des années, les dernières de sa vie, durant lesquelles son art témoigne parfois r f 104. Ferdinand Bol. — Le.s Régents de la Léproserie (Rijksmuseum). d'un morne découragement pour se livrer ensuite à une véritable orgie de lumière, prodiguer les couleurs les plus vives et les nuances les plus délicates. A ces œuvres éblouissantes et prestigieuses appartient un tableau du Rijksmuseum d'Amsterdam, datant sans doute de 1668, donc de l'avant-dernière année de la vie du peintre, et connu sous le nom delà Fiancée Juive ou de Ruth et Booz (N° 99). Il représente un homme d'un âge mur, portant la main au corsage d'une jeune femme ; on le dirait vêtu et imprégné d'or de diverses teintes ; elle ne semble pas d'essence moins précieuse dans sa robe rouge à manches blanches, avec son riche collier et ses bracelets de prix, ions deux ont le visage baigné de reflets d'or ; ils fondent litté- ralement dans la couleur. On dirait une suprême évocation des immges à la fois éblouis- santes de lumière et de couleur qui hantèrent tout l'œuvre de l'artiste : le résumé, la synthèse L'âge d'or de l'École hollandaise. 93 même de sa peinture magique. C'est un poème en couleur où les personnages deviennent l'accessoire, perdent leur signification et jusqu'à leur identité, se dépouillent de leur vie propre pour s'évanouir dans l'apothéose de la couleur. Rembrandt domina son siècle et exerça une puissante influence sur les peintres qui le suivirent immédiatement ; les meilleurs de ceux-ci furent ses disciples. L'aîné d'entre eux et un des plus méritants, quoiqu'il soit moins connu, est Jacob Backer, ne à Harlingen en 1608 ou 1609, mort à Amsterdam en 1651, et qui n'a laissé que des portraits. Le Portrait de vieille (N° 100) du Musée d'Anvers est un des plus remarquables. Il s'agit d'une bonne et humble femme, aussi simple de mise que de mine, mais rendue magistralement dans un mode adéquat à sa per- sonne. Les détails du visage sont tracés d'une main ferme. Le teint est pour ainsi dire rayonnant de lumière, toutes caractéristiques indiquant que le disciple avait dignement profité des leçons de son maître. Govaert Flinck né à Dordrecht en 1616, décédé à Amsterdam en 1660, reflète peut-être encore plus com- plètement Rembrandt. Outre des portraits il peignit aussi des scènes de la Bible et de l'histoire. Le Rijksmuseum possède plusieurs de ses ceuvres principales. Nous en reproduisons deux. La pre- mière représente Isaac bénis- sant Jacob (N° 101). Le patri- arche devenu aveugle,redressé à moitié dans sa couche, et soutenu par son épouse Ré- t)0CC3,j bcmt) Son flÉ n'^cnomllé ^*^3* h^ikLcis Le bcncdicitc (mjksniuscuni). _ devant lui et presse tendre- ment la main dont le jeune homme a touché la sienne. Le souci des costumes d'apparat et des riches atours particulier à Rembrandt, se retrouve ici dans la pelisse rouge bordée de fourrures portée par Isaac et dans la tunique verte à liséré d'or de Jacob. Dans le vénérable visage du patriarche on retrouve aussi la prédilection de Rembrandt pour les expressives figures de vieillards. Les divers personnages de ce tableau rappellent la profonde psychologie du grand maître. Isaac, le débonnaire, est plein de confiance dans son entourage. Rébecca est bien l'ambitieuse et madrée créature qui abusera de cette confiance pour extorquer en quelque sorte en faveur de son propre fils la bénédiction paternelle destinée à l'enfant du premier lit. Jacob, le complice encore naïf de sa mère, ne se prête qu'avec répugnance à 94 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. cette supercherie et lève un regard peureux vers le vieillard abusé. Le tableau est daté de 1638, époque à laquelle le disciple imitait encore fidèlement son maître dans sa recherche de l'effet dramatique et dans sa prédilection pour la lumière et la couleur opulentes. Le tableau reproduit ici, représente la Compagnie du Capitaine Albert Bas et du Lieutenant Lucas Conijn (N° 102). Les officiers et les porte-drapeaux occupent les gradins d'une manière d'amphithéâtre au fond duquel s'élève une colonnade à arcades. Ceux d'en bas sont assis, les autres debout, dans des attitudes variées. Ce sont des personnages imposants, solidement bâtis, d'une expression vivante ; mais tous posent plus ou moins ; la façon théâtrale dont le peintre les a placés les uns au-dessus des autres contribue encore à cette impression défavorable. Cette composition date de 1645. Ferdinand Bol compte aussi, avec Niklaas Maes et Gérard Dou, parmi les plus • méritants élèves de Rembrandt. Il naquit à Dordrecht en 1616, se rendit avant 1640 à Amsterdam et y mourut en 1680. Imi aussi peignit des tableaux d'histoire et des portraits. Au commencement de sa carrière il imita Rembrandt d'assez près, recherchant des figures expressives et ren- forçant l'effet dramatique par la violence de l'éclairage. Un saisissant exemple de cette manière nous est fourni par le Savant en méditation (N° 103) de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg. C'est un vigoureux vieillard à la forte et longue barbe blanche ; il porte un bonnet fourré, une robe jaune, une pelisse noire. Assis dans un fauteuil, il écrit dans un vaste livre étalé devant lui ; son bras gauche s'accoude à la table, et, en réfléchissant, il se caresse la barbe. Une pleine mais tendre lumière lui éclaire le visage, la poitrine et le bras gauche. La scène comporte un mélange de réalité et de fantaisie, comme les affec- 106. Niklaas Maes. — Vieille femme assoupie tioiinait Rembrandt. Mais ce personnage, (Musee de Bruxelles). soigneusement peint d'ailleurs, n'ap- partient plus à la famille de ces profonds penseurs créés par le maître. Ce savant-ci est plutôt un amateur, un homme du monde frotté de science, agréable à voir, mais superficiel. Par la suite Bol se détourna de son maître et inclîna de plus en plus vers la peinture décorative devenue à la mode : 11 peignit des personnages de belle mine et vêtus avec apparat. Là-où le sujet l'empêche de trop sacrifier au goût du jour il demeure néanmoins un artiste de haute valeur ; par exemple dans ses tableaux de portraits et notamment dans ses Régents de la Léproserie à l'hôtel de ville d'Amsterdam (N° 104), datant de 1668. Quatre personnages sont réunis autour d'une table couverte d'un tapis d'Orient. A gauche un de leurs subordonnés leur présente un jeune garçon. L'attitude et le mouvement des notables sont réussis de naturel. Deux d'entre eux, dont l'un debout, prêtent l'oreille à ce que leur rapporte l'intro- ducteur du petit ; les deux autres avisent à ce qu'il convient de faire. Par crainte de tomber L'âge d'or de l'École hollandaise. 95 flans runiformité le peintre a versé dans une composition un pen décousue. Mais ces régents sont de probes et radieuses figures, de santé et de dignité éminemment hollandaises. Le tableau fut peint en 1668. Niklaas Maes, naquit à Dordrecht en 1632 et mourut en 1693 à Amsterdam où il s'était fixé dès 1673. Antérieurement à cette année il avait déjà passé à Amsterdam les années 1650 à 1654 durant lesquelles il fut l'élève de Rem.brandt. C'est pendant les années qui suivirent immédiatement son apprentissage qu'il peignit ses œuvres les plus belles et les plus originales. Il se trouvait alors sous l'inflaence immédiate du grand maître et ses tableaux se recommandaient par l'éclairage intense qui faisait ressortir les figures sur des ombres opaques. Il puisait ses sujets dans la vie des gens simples et de préférence dans celle des infirmes, peignant surtout des vieilles femmes. Plus tard il répudia sa première manière et devint un peintre à la mode, le por- traitiste des beaux messieurs et des nobles dames, qu'il représentait en des attitudes élégantes et vêtus d'étoffes diaprées. A sa première période appartiennent les deux tableaux reproduits ci-dessus : Le Bénédicité (N° 105) du Rijksmuseum d'Amsterdam et la Vieille femme assoupie (N° 106) du Musée de Bruxelles. Tous deux représentent de simples créatures dans leur milieu le plus humble. Leur seul ornement consiste dans la prestigieuse lumière qui les baigne et qui fait magm- ' fiquement valoir la blancheur de leur linge ou le rouge et le noir de leurs vêtements. La première vieille a joint les mains et fèrrné les yeux pour se recueillir devant son frugal repas ; l'autre a laissé • choir sur ses genoux et le livre qu'elle était en train de lire et le lorgnon qui suppléait à sa vue fatiguée. Elle s'est doucement assoupie le menton appuyé sur sa main. Sur la table voisine sont déposés un second livre et un carreau de den tel- lière. Ces objets jettent tache blanclic hydropique (Louvre). une dans les ombres de ce côté du tableau. La même cruche de grès figure parmi les accessoires dans chacune des deux œuvres. Dans 1 une elle garnit la table, dans la seconde elle orne une étagère. Le plus célèbre et un des plus méritants élèves de Rembrandt est Gerard Dou. A première vue il n'en est pas qui semble si loin de lui, en réalité il n'en existe aucun qui s'y rattache d aussi près et qui lui demeura aussi fidèle. On tient Rembrandt pour un fougueux brosseur de toiles, poussant l'audace jusqu'à la témérité, ne connaissant aucune mesure. Dou, par contre, est le plus prudent et le plus méticuleux des fignoleurs. Son précurseur recherche et trouve sa grandeur dans la profondeur des pensées, dans la violente opposition de la lumière et de 1 ombre, dans les jeux variés à l'inifni des nuances et des teintes ; le disciple polit soigneusement ses couleurs, n'use de la lumière qu'avec discrétion et ménagement, s'attache plutôt à l'exté- rieur qu'aux dessous des personnages, ignore les passions et les tragédies de l'existence, n'a 96 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. jamais raconté de douleurs autres que celles que cause la pince du dentiste ou l'indifférence et la coquetterie de l'amoureux. Et malgré ces énormes contrastes la parenté du maître avec le disciple est manifeste. Gérard Don vit le jour à Leyde en 1613 et entra de bonne heure dans l'atelier du jeune Rembrandt, qui vivait encore dans ladite ville ; il mourut en 1675. Lorsque l'élève se mit en apprentissage chez le maître, celui-ci n'était pas encore devenu le puissant souverain d'un empire sans limites ; lui-même cherchait encore sa voie et les œuvres qui faisaient prévoir le futur prestige du colosse n'étaient que des tableau- tins, éblouissants comme des joyaux et exécutés d'une main consciencieuse. Il pour- suivit sa voie triomphale, son coup de pinceau s'élargit, il étendit de plus en plus son empire sur la lumière et sur la couleur. Dou continua à reconnaître son maître tel qu'il l'avait connu en 1630. Il demeure fidèle à l'ancienne manière alors que Rembrandt en avait déjà adopté une nou- velle depuis longtemps. Et pourtant les mignons tableaux de Dou ne participent point des merveilleuses qualités du maître. Rembrandt possédait la double vue du poète ; dans ses tableautins brille et sein- tille une lumière qui n'est pas seulement" de ce monde, mais à laquelle se mêlent des étincelles occultes, de mysté- rieux reflets que le visionnaire rencontra ailleurs que dans la nature terrestre. Dou, par contre, est bien un artiste, plutôt un artiste bourgeois, 108. Gérard Dou. — L'école du soir (Rijksmuseum), professionnel, maniant le pin- ceau aussi bien que les plus adroits dans leur partie, mais dont l'esprit n'aspire ni vers les altitudes idéales ni vers les abîmes vertigineux ; un talent pondéré et sage qui demeure prudemment sur la terre ; qui sent et traduit on ne peut mieux la vie mais une vie ordinaire et médiocre ; un Hollandais invétéré, probe et doué s'il en fut, m.ais qui ne se risquera jamais à faire un pas hors du cercle étroit dans lequel on l'a fait naître et qu'il semble encore avoir rétréci à plaisir. La Femme Hydropique (N° 107) du Musée du Louvre est considérée comme le chef- d'œuvre de Gérard Dou. Il traite d'une manière dramatique un sujet qui prêta souvent à la verve des plaisantins et des vaudevillistes. La malade est assise dans un fauteuil. Le médecin L'âge d'or de l'École hollandaise. 99 expose au jour la fiole contenant le liquide particulier dont il lui faut examiner la nature. La garde-malade fait prendre un médicament à la patiente. La fille de celle-ci est agenouillée devant elle et lui baise la main. L'intervention d'un sentiment pathétique dans cette aventure plutôt risible n'est point la seule chose qui nous choque dans cette toile tant vantée. Le costume et le milieu aussi sont plutôt fâcheux. Le médecin est affublé comme un magister d'opéra comique ; la fille éplorée porte une toilette de bal ; la chambre de la malade est meublée et tapissée comme un boudoir. Mais le tout est peint avec un soin, un luxe de couleur, une souplesse de pinceau qui justifient parfaitement la réputation de ce virtuose. Sandrart raconte qu'avant de se mettre à peindre il attendait que la toile vierge eût été soigneusement époussetée et débarrassée du moindre brin de fil. C'est bien là l'effet que produit sa peinture : léchée et polie au suprême degré. Mais elle a des qualités que l'on ne rencontre chez aucun autre miniaturiste : il s'entend à combiner agréablement et vigoureusement les effets de lumière et d'ombre ; il a le goût des couleurs précieuses et il les triture si harmonieuse- ment que ses tableaux en con- tractent quelque chose de ,,joaillé" ; qu'il leur confère en quelque sorte cet orient, ce feu indicible qui diffé- rencie le diamant du strass. Le tableau porte cette inscrip- tion : 1663 G. Dou out 65 ans. D'après ces chiffres notre peintre serait né en 1598 ; or, comme d'après des documents irrécusables il naquit en 1613, l'âge que lui attribue cette inscription est absolument arbitraire. L'Ecole du soir (N° 108) du Rijksmuseum est une étude de lumière artificielle dans laquelle le peintre rend les divers degrés d'intensité Pieter de Hoogh. — La Mère et l'Enfant (Rijksmuseum). d'un éclairage aux chandelles. La scène se passe dans une chambre spacieuse. A l'avant-plan, sur le plancher, est déposée une lanterne munie d'une chandelle allumée. A gauche un jeune garçon griffonne sur une ardoise ; une fillette approche de lui une chandelle allumée pour qu'il y voie mieux. Au milieu le maître donne une leçon de lecture à une autre petite fille. D'autres écoliers sont massés autour d'une table éclairée de la même lumière. Voilà la lumière céleste et surnaturelle de Rembrandt convertie en un luminaire prosaïque et banal ; ses prestiges ravalés à des fonc- tions utiles et domestiques ! Mais cela n'empêche son successeur de déployer beaucoup de talent dans cette scène quotidienne. Les personnages se meuvent et vivent avec infiniment de naturel dans cet éclairage. La Jeune Mère (N° 109) du Musée Royal de La Haye nous introduit de nouveau dans un intérieur hollandais. La mère se livre à un travail de couture. La lumière pénétrant à flots par la fenêtre transforme en joyaux et en bijoux d'or et d'argent, non seulement les figures mais encore tous les ustensiles de ménage répandus dans la pièce. Ce tableau date de 1658. lOO Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. pieter de Hoogh n'est plus un élève qui fréquenta l'atelier du maître, mais bien un disciple, un successeur qui s'est formé d'après ses œuvres. Le magicien par excellence, le grand adorateur de la lumière lui apprit comment celle-ci prête un caractère partien- lier et une séduction toute spéciale aux objets les plus insignifiants en apparence. Rembrandt savait montrer le règne de la lumière dans le monde entier ; Pieter de Hoogh se borna à célébrer les prodiges opérés par les rayons du soleil dans la simple demeure des hommes. Gérard Dou savait déjà combien cette lumière enchante et embellit les plus humbles milieux et les plus infimes ménages ; de Hoogh peint la lumière même dans l'espace où elle vibre et se meut ; il oppose l'éclairage plus discret et plus tempéré d'un intérieur à la lumière éblouissante régnant au dehors, en plein air, et ce contraste ,11. Pieter de Hoogh. ^ Une cour d'Hospice (National Gallery). ment mieux ressortir l'une et l'autre. I] n'a certes pas été le seul Hollandais qui ait été frappé par ces splendeurs, mais il n'en est aucun qui les ait rendues avec cette ferveur et cet enthousiasme ; ses tableaux sont de véritables odes en l'honneur du soleil, le plus ancien des dieux, la plus légitime des de idoles. Pieter de Hoogh naquit à Rotterdam en 1629 et mourut à Amsterdam peu avec temps après 1677. Nous reproduisons deux de ses œuvres. La première est la Femme son enfant sur les genoux (N° 110) du Rijksmuseum d'Amsterdam. Elle a retiré son enfant les dalles. du berceau et l'a pris de sur ses genoux tandis qu'une servante est en train balayer Le soleil pénétrant à flots dans la chambre, marque par une chaude tache de lumière le carré mère de la fenêtre tandis la sur le mur. La servante est vue dans un jour crépusculaire, que et le bébé ressortent en pleine clarté. L'autre tableau, une cour d'Hospice (N° 111) appartient à la National Gallery à Londres. Il s'agit de l'entrée d'un établissement de bienfaisance comme l'indique une inscription gravée dans une pierre au-dessus de la porte. A droite est un escalier et une dépendance. Une mère avec son enfant descend l'escalier ; une femme traverse le corridor de l'hospice. A l'avant-plan formé par la cour un soleil aveuglant éclaire le dallage jaune clair, les briques rouges et blanches. A l'arrière-plan au bout du corridor règne encore un autre foyer d'intense lumière ; la femme se tient dans l'ombre du couloir ; la mère et l'enfant devant la dépendance; sont en pleine lumière. Quelles ténèbres dans la cage de l'escalier, quelle clarté sur tel pan de mur, quelle lumière radieuse encore dans le ciel ! Le peintre compose une véritable symphonie de lumière et d'ombre, chaude, moelleuse, veloutée, sans rudesse. L'âge d'or de l'École hollandaise. 103 sans âpreté, et, néanmoins, avec une intensité à laquelle nul autre n'atteignit jamais. Jean Vermeer, de Delft, né dans la ville de ce nom, en 1632, et qui y est décédé en 1675, se range aux côtés de Pieter de Hoogh, parmi les adorateurs de la lumière issus de Rem- brandt, mais il représente jusqu'à un certain point un antagoniste de son émule ; non pas parce qu'il se borne à peindre des intérieurs, des chambres n'ouvrant aucune échappée sur le dehors ou d'autreS' pièces de la maison, mais parce qu'il conçoit d'une toute autre façon le rôle de la couleur et de la lumière. Pieter de Hoogh peignait la chaude lumière dorée, Vermeer la fraîche clarté argentine ; le premier, l'été avec toute son ardeur, le second le printemps avec son sourire juvénile ; chez celui-là la couleur est étouffée par la lumière ; chez celui-ci l'une et l'autre se fondent en un délicieux accord. Dans certains tableaux de Vermeer le ton est très vigoureux, mais la plupart du temps il présente une douceur ineffable et les couleurs rivalisent de teintes rares et subtiles. Le peintre affectionne certain jaune citron dans lequel on discerne comme le reflet vert du fruit non ■encore arrivé à maturité. De mêlne son bleu n'a d'équivalent sur aucune autre palette ; c'est un bleu rajeuni, quasi vierge, atténué par l'air vaporeux et tirant parfois sur le vert transparant de la mer. Sa Vue de Delft du Musée de La Haye (N° 112) est un de ces tableaux de tonalité discrète. Der- rière un large canal on aperçoit les murs de Delft avec les portes de Schiedam et de Rotterdam, et un pont à une arche au delà duquel le •canal pénètre dans la ville. Les toits et les clochers dominent les remparts. Plusieurs chaloupes sont amarrées le long du quai, et sur la berge la plus rapprochée du spectateur sept figures sont — grou- us- Jean Vermeer. La Brodeuse (Musée de Louvre), pées près d'un chaland. Cette bande de terre, à l'avant-plan, forme un champ coloré et ensoleillé ; les ombres claires chatoient et miroitent sur la masse d'eau ; puis s'alignent les maisons et les monuments vus à contre jour, d'un ton ferme et presque sombre, dont quelques parties plus colorées ressortent en pleine lumière et introduisent un peu de jeu dans ce bloc de couleur. Ces édifices se détachent sur un ciel bleu clair parsemé de chaudes nuées blanches. C'est un tableau à la fois très poétique et très réel, dans lequel le peintre donne principalement cours à sa fantaisie de coloriste tout comme Jacob Maris procède encore aujourd'hui. La Brodeuse du Louvre (N° 113), par contre, est un tableau dans la manière ordi- naire de Vermeer. L'intéressante jeune femme vaque à sa besogne dans sa chambrette ; elle porte une robe jaune citron, un fichu bleu d'azur de teintes diverses, claires et foncées, et garni de rubans rouges. Le gris-bleu du tapis de table complète heureusement ce choix de I04 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 114. Jean \ermeer. — Le Peintre dans son atelier (Galerie Czernin, à Vienne). couleurs tendres. Le tout s'imprègne d'une fine lumière argentée que l'on croirait sur le poin de se figer mais qui n'a pas encore pris de consistance. Le sujet du Peintre dans son atelier (X° 114) de la collection Czernin à Vienne, est ui peu plus compliqué. Compliqué et pourtant simple. Un des élèves du maître est en train d( peindre dans son atelier. Il est vêtu d'un pourpoint blanc et noir, et d'une culotte rouge. I L'âge d'or de l'École hollandaise. 105 115. Van der Helst. ■— Le Banquet des Arquebusiers en 1648 (Rijksmuseum). tourne le dos au public. Le modèle, une jeune fille, devait figurer sans doute un ange dans un Jugement Dernier. Elle tient un gros livre et une trompette. Une carte géographique passa- blâment chiffonnée couvre la paroi du fond. Un épais rideau est suspendu à gauche. Des ustensiles de peintre s'éparpillent sur la table. Le tout est traité dans les couleurs chères à 116. Van der Helst. — Un portrait de famille. io6 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Vermeer : le modèle en robe bleu clair, le livre jaune citron, la draperie orange, le mur tout blanc, la carte grisâtre. Mais comment définir la splendeur des teintes, décrire la fusion de. la lumière et de la couleur ! Cet intérieur médiocre hanté par de simples mortels a été métamor- phosé par l'artiste en un séjour plus auguste que notre terre et visité par des êtres d'une essence supérieure. La fillette dans son accoutrement presque baroque s'élève au-dessus des anges de vrai il n'est tissu de soie et d'or capable de rivaliser avec cette dentelle pour ; fripée et déchirée. On ne songe plus à la réalité et à la terre ; on se trouve transporté en un monde merveilleux enfanté par l'ar- tiste ; sous l'empire de l'admi- ration et de l'extase on ne se demande pas s'il l'a jamais rencontré ailleurs que dans ses rêves. Nous avons déjà con- staté à plusieurs reprises la place importante que les tableaux de portraits, les groupes de syndics, de régents, d'officiers de milices, tiennent dans l'Ecole hollandaise. Ces tableaux perpétuent autant le souvenir de ces personnages que des institutions et des établissements utiles à la tête desquels ils étaient placés. Tous ces notables, autant du côté des femmes que de celui des hommes, s'enorgueillis- saient de la confiance de leurs concitoyens, et tenaient à témoigner devant la postérité de leur dévouement à la chose publique. Nous avons ren- contré maints groupes de cette nature parmi les œuvres de Franz Hais, de Rembrandt et de quelques autres, A ceux-ci il convient II8. Gérard Terburg. - Le Concert (Mnsée de Berlin). d'ajouter deux deS pluS célè- bres encore : Barthélémy van der Helst et Jean de Bray. Barthélémy van der Helst naquit à Haarlem en 1613 ; dès sa jeunesse il se transporta à Amsterdam où il mourut en 1670. Il travaillait en même temps et dans la même ville que Rembrandt, mais il se déroba toujours à son influence. Il ne peignit pour ainsi dire que des portraits de personnages isolés ou groupés avec leurs collègues et confrères. Dans ce dernier genre il est loin de déployer la richesse inven- tive, la noble puissance créatrice ou la magie coloriste de Rembrandt, ni même le naturel et l'entrain cordial de Franz Hais ; il s'est fait quelque peu bourgeois lui-même pour interpréter ces bourgeois renforcés. Il met chacun à son rang et le fait valoir selon son importance sociale L'âge d'or de l'École hollandaise. 109 La probité de sa couleur et de son dessin prête à ces personnages l'importance à laquelle ils prétendent, sans néanmoins les faire tomber dans la pose et dans la parade. On est loin aujourd'hui de le placer aussi haut que ses deux grands émules, mais nous nous expliquons fort bien l'estime toute particulière en laquelle le tenaient les Hollandais de son temps. Nul ne les comprenait mieux et ne les faisait mieux comprendre. Son œuvre capitale est le Banquet des Arquebusiers en 1648 (N° 115) du Rijksmuseum. Les milices citoyennes d'Amsterdam sont réunies le 18 juin de l'année susdite, en un grand festin qui a lieu dans la grande salle de la confrérie de Saint Georges, rue du Singel, pour 119. Gérard Terburg. — Le Congrès de Munster (Rijksmuseum, copie du tableau de la Xational Gallery). célébrer la conclusion de la paix de Munster. Le porte-drapeau occupe le milieu de la com- position à droite du capitaine Cornelis Jansz. Witsen, la coupe de Saint Georges posée sur son genou, et que complimente le lieutenant Oetgens van Waveren ; les autres officiers sont assis ou debout des deux côtés. Le tableau porte cette inscription : Bartholomeus van der Helst fecit Ao. 1648. Il se recommande par la variété du mouvement, l'entrain, l'élégance naturelle de tous ces personnages. Le porte-étendard du milieu est une figure monumentale, foncière- ment convaincue de.son rang et de son importance ; le groupe des convives qui se serrent les mains est plein de dignité ; le vétéran qui vient de porter la santé d'un cadet respire une bonhomie contagieuse. L'ensemble est fort décoratif, symétrique sans raideur, avec tout juste I lO Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. le décorum qu'il fallait. Et quels gaillards allègres, vigoureux et bien portants ! Quelle opulence de couleur aussi ! Témoin le porte-étendard avec son drapeau bleu, son écharpe de la même couleur, son uniforme noir, le panache blanc de son chapeau ; le jeune homme attablé à gauche ; le capitaine tout en noir, le lieutenant en gris foncé bordé d'or ; l'officier à l'extrême droite, vêtu d'un pourpoint jaune, de chausses verdâtres, de bas gris, d'un baudrier rouge, d'un chapeau à panache orange, blanc et bleu ; témoin encore les ustensiles de table et le grand tambour déposés sur le sol. Bref une scène haute en couleur, radieuse, avenante qui enchanta sans doute les acquéreurs de cette toile et aussi la Hollande toute entière. Voici un autre tableau de Van der Helst : un Portrait de famille, appartenant au Musée de l'Ermitage (N° 116). Le groupe se compose d'un homme d'âge mur, assis à droite et tenant une cánne à pomme d'ivoire. A côté de lui se trouve un jeune homme appuyé sur sa carabine. A gauche se tiennent trois dames. Deux sont assises ; l'une, vêtue d'une robe bleue, tient d'une main une fleur d'oranger, de l'autre une orange ; la seconde (plus jeune), en robe de satin blanc, joue avec un épagneul. Derrière elles, une dame plus âgée est debout, jouant du luth. Le fond représente une vue sur le jardin. Se fondant sur une vague ressemblance du père de famille avec le célèbre animalier, on a voulu voir dans ce groupe la famille du peintre Paul Potter. L'hypothèse n'a pas de fondement solide et sans aucun doute nous avons devant nous non la famille d'un artiste de condition modeste, mais celle d'un homme appartenant au grand monde. Jean de Bray, qui mourut à Haarlem en 1697, y recueillit la Succession de Franz Hals comme ..O, Gabriel_Meisu. - Une partie fine (Musée de Dresde). peintre de tableaux de portraits. Dès le vivant de son illustre prédé- cesseur il en avait livré plusieurs qui se trouvent encore au Musée de Haarlem. Nous reproduisons ses Régents de l'Hospice des Enfants Pauvres (N° 117) peint en 1633 : un ensemble de figures consciencieusement exécutées, uniformément vêtues de noir brillant avec du linge frais au cou et aux poignets, qui se détachent sur un fond d'un bleu-gris monochrome et qui semblent s'occuper bien plus du peintre et du spectateur que l'un de l'autre ou de leurs affaires professionnelles. Il n'y a pas à dire, l'art bourgeois, ou si vous aimez mieux, l'art civique a considérablement rétrogradé si on le compare à celui de Van der Helst. A la rigueur l'extérieur des personnages est minutieusement reproduit ; mais rien de leur vie morale n'a été communiqué à la toile ; et sous prétexte de vérité on est tombé dans une austère indigence. Si nous retournons aux nombreux petits maîtres, peintres de genre, miniaturistes, se L'âge d'or de l'École hollandaise. 111 rattachant à la grande école des coloristes hollandais, nous constaterons qu'ils ne se trouvent plus directement sous l'influence de Rembrandt. Mais comme ils subissent celle de Gérard Dou, disciple du grand maître, on peut dire qu'ils procèdent encore indirectement de celui-ci. Ceux dont nous allons parler peignirent d'autres gens et d'autres gestes que ceux célébrés par les grands peintres d'histoire et de portraits dont nous nous sommes occupés plus haut. Ceux-ci glorifiaient les Hollandais dont la bravoure et la sage politique avaient élevé la patrie au rang qu'elle occupa durant la seconde moitié du XVII® siècle, les héros à la fois robustes et intelligents. Les petits maîtres dont nous allons parler à présent représentèrent un monde plus préoccupé de jouissances que de combats et de victoires ; des viveurs et des mondains se pavanant dans de riches atours, habitant des palais meublés avec opulence, plus soucieux de se disputer les faveurs.des belles que les lauriers belliqueux à remporter sur lesi ennemis. Ils prirent leurs sujets dans la vie quotidienne et de préférence dans des scènes de salons et de boudoirs. A leur tête figure Gérard Ter- burg, né à Zwolle en 1617, décédé à Deventer en 1681. Il s'était assimilé les tons frais et francs de Franz Hais aussi bien que les couleurs opulentes et les chaudes lumières de Rembrandt. Il s'était inspiré de l'un autant que de l'autre de ces maîtres sans que l'on put dire qu'il appartînt à l'école de l'un des deux. Il excella par la finesse de la touche, par la transparence de ses teintes, les- quelles, jointes à la vigueur de ses tons, prêtèrent une suprême noblesse à toutes ses productions. Un de ses plus anciens tableaux est Le Concert (N° 118) du Musée de Berlin. L'œuvre date de sa bonne époque, de celle où il travaillait encore à Deventer. Le sujet est très simple. Deux dames sont en train de faire de la musique. L'une assise au fond et vue de face, joue du 121. Franz van Miéris. — La dame au Clavecin clavecin. L'autre, à l'avant-plan, tourne (Musée de Schwerin). le dos au spectateur et, l'archet à la main, va caresser les cordes du violoncelle. La splendeur de la toilette de cette dame, la finesse des touches, entrent certes pour beaucoup dans la valeur de cette peinture, mais néanmoins, l'œuvre a une portée bien plus grande que celle d'un simple exploit de virtuose : la poésie même de la musique semble l'avoir pénétrée. Tous les tableaux de Terburg ne représentent point des sujets aussi simples. Souvent il nous montre un couple d'amoureux. Ses portraits de petites dimensions sont aussi autant de chefs-d'œuvre. Il lui arriva même de s'attaquer au genre historique et de s'y mesurer triomphalement avec ses illustres prédécesseurs, quoique le tableau ne dépassât point l'échelle ordinaire de ses productions. Tel est le cas, par exemple, pour son fameux Congres de Munster (X° 119) datant de 1648. Deux ans auparavant il était allé se fixer dans la ville où les hommes d'Etat tenaient 112 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. leurs séances, et il a fait tenir dans une toute petite toile les soixante délégués à ce congrès. Ce tableau fut donné par Sir Richard Wallace à la National Gallery de Londres. C'est une œuvre de tout premier ordre. On ne sait lequel admirer le plus du soin avec lequel sont peintes toutes ces figurines ou du délicieux éclairage qui les fait ressortir ; et, comme toujours, chez Terburg, la minutie s'accorde ici avec une facture des plus crânes. Une copie du même tableau se trouve au Rijksmuseum. Gabriel Metsu se rattache davantage à l'école de Rèmbrandt que Terburg. Il naquit à Leyde en 1629 ou 1630 et mourut à Amsterdam en 1667. Il fut l'élève de Gérard Dou auquel il emprunta sa manière chaude et fignolée et aussi ses personnages éminemment bourgeois ; par la suite, à l'exemple de Terburg, il fut plutôt sollicité par les épisodes de la vie mondaine se passant dans des intérieurs somptueusement meublés et auxquels il prêtait les plus riches couleurs, le plus grand soin, un métier aguerri, mais -sans trouver la touche moelleuse de son devancier. A la fin de sa trop courte car- ri ère il peignit sa Partie Fine (N° 120) du Musée de Dresde, daté de 1661, Il s'agit d'une de ces scènes légère- ment égrillardes affectionnées des peintres hollandais de cette époque : un gentilhomme ou un officier se trouve en bonne fortune avec une aimable demoiselle appartenant à la clientèle des tavernes à la mode. Le cavalier semble déjà très lancé. Il brandit son verre de champagne d'une main et il passe l'autre main au cou de la belle ; celle-ci paraît plus réservée ou du moins affecte-t-elle un certain décorum pour se rendre plus désirable. La donzelle mange des fraises dans une assiette posée sur ses genoux. Elle 122. Gaspard Xetscher. — Portrait de dame est vêtue d'une robe rOUge et d'un (Musée de l'Ermitage). ^ fichu noir. Un plat de polsson et une cruche d'étain sont posés sur la table. A la cantonade on aperçoit l'hôtesse marquant la dépense à la craie sur un tableau noir. Cette galante anecdote est prestement contée du pinceau coquet et des tons aimables familiers à Metsu. Franz van Miéris, le Vieux, appartient à la même famille de petits maîtres raffinés et cordiaux. Lui aussi vit le jour à Leyde en 1635 et il y mourut en 1681. On l'appelle le Vieux [)arce qu'il eut deux fils, Jean et Willem, et un neveu Franz, tous trois peintres comme lui. Il fut aussi l'élève de Gérard Dou dont il Continua les traditions. Comme son maître et aussi ■comme Metsu il se tourna de préférence vers les épisodes de la vie élégante. L'habileté est toujours remarquable mais la conviction a faibli. Comme nous disons aujourd'hui l'œuvre semble plutôt peinte de chic. La facture en est moins originale, moins primesautière, et, partout, le tout possède moins de brio et d'accent. Nous reproduisons un des meilleurs L'âge d'or de l'École hollandaise. tableautins de Franz van Miéris, La Dame au Clavecin (N° 121). Debout, à l'avant-plan, elle représente le personnage principal non seulement par la beauté mais aussi par l'élégance de sa toilette de soie rose. D'une main elle effleure les touches du clavier et de l'autre elle tourne la page d'un cahier de musique. A côté du clavecin est assis l'inévitable damoiseau attiré au moins autant par les grâces de la musicienne que par le charme de la musique, quoique, les yeux fermés, il ne semble avoir d'attention que pour celle-ci. Un page apporte des rafraîchissements. Tout dans ce milieu décèle l'aisance et le luxe : le perroquet sur son perchoir, le chien de race, la chaise à coussin de velours bleu derrière la dame et tout le mobilier. Le tableau est daté de 1658 et appartient au Musée Grand Ducal de Schwerin. Gaspard Netscher est le dernier, dans l'ordre chronologique, de ces interprètes attitrés de la société hollandaise élégante au XVII® siècle. D'origine allemande, il naquit en 1639 i ^ accompagna, enfant, sa mère à Arnhem, devint l'élève de Gérard Terburg et se transporta plus tard à La Haye où il mourut en 1648. Comme Gérard Don il commença par puiser ses sujets dans la vie populaire ; mais plus tard il imita Terburg et peignit force portraits de gens de qualité et aussi des scènes de genre aristocratiques. Tout comme les mœurs et les modes de l'époque sa peinture s'effémine, s'affadit et se mignarde de jour en jour. Le bon goût disparaît pour faire place au maniérisme. Certes la facture demeure on ne peut plus soignée, mais elle dégén ère en fignolage ; elle devient trop glacée, trop vernie et fait concurrence à la porcelaine. Les meilleures œuvres de Netscher sont celles de ses débuts, de l'époque où il subissait encore l'influence de 123. j ean Steen. — Portrait du peintre par lui-même (collection Terburg. A la fin ' sa couleur devint ^® ^'orthbrook). plus froide et son art perdit tout accent. Longtemps il fut par excellence le peintre de la femme ; il en rendit toutes les séduc- fions ; celles qu'elle doit à la nature comme celles que lui assurent les artifices de la toilette. Le Portrait que nous reproduisons (N° 122) et qui appartient au Musée de l'Ermitage à St.-Pétersbourg compte parmi les plus beaux. La noble dame porte une mantille de couleur tirant sur le bronze, une jupe plus sombre et une robe de brocard. Ces tons opulents et graves font valoir encore la fraîcheur des chairs et de la carnation. Le cou, la naissance des épaulés et des seins, les bras, les mains sont autant de chefs-d'œuvre de la nature et de l'art, les mains surtout émergeant avec des délicatesses florales du large calice des manches. Lune de ces mains idéales tient une fleur. Un page, vêtu d'un gris discret, apporte un plat 8 114 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. de fruits. Derrière la dame règne l'ombre d'un épais bocage entre les branches duquel se dresse une statue. Au pays favori des Netscher, des Miéris et des Metsu les femmes régnent 124. Jean Steen. — En mauvaise compagnie (Louvre). sans partage et les élégants cavaliers, leurs adorateurs, ne prennent guère plus d'importance que les simples petits chasseurs attachés à leur service. A une toute autre catégorie appartient Jean Steen , un des plus grands maîtres de l'âge L'âge d'or de l'École hollandaise. 115 d'or de l'École hollandaise, en dépit du monde peu relevé et des milieux plutôt à incongrus dans lesquels, la différence des artistes raffinés dont il vient d'être question, il a l'habitude de nous conduire et de nous retenir avec lui. Il naquit à Leyde en 1626 et il y mourut en ; il avait vécu successivement 1679 à Utrecht, à La Haye et à Haarlem. Il est difficile de lui découvrir un maître. Il avait épousé la fille de Van Goyen et il est à présumer que son futur beau-père lui apprit les rudiments du métier ; mais à cela se borna toute l'influence du bonhomme. Steen n'imita Jean en rien sa manière. Il était généreusement doué sous tous les rapports ; sa fantaisie et sa verve inépuisables eurent à leur service les yeux les plus ouverts, la main la plus adroite, la palette la plus savoureuse. Il demeura le plus déluré des peintres hollandais et, pour la beauté et la richesse des tons, la finesse ou la bravoure du métier il peut rivaliser avec les plus grands. Ses dons et son talent se montrent avec on ne peut plus d'éclat dans son Portrait peint par tui-même appartenant au comte de Northbrook (N° 123). En veine d'exubérance, dans un de ses moments de belle humeur et d'effu- sion comme il devait en connaître beaucoup, il s'est représenté devant une table couverte d'une cruche de bière et de cahiers de musique, assis sur une chaise branlante, une jambe cavalièrement repliée sur l'autre, la tête et le torse rejetés en arrière, chantant à gorge déployée en s'ac- compagnant de la guitare. Il est vêtu d'un chapeau et d'un manteau rouges, d'une casaque vert jaunâtre, d'une culotte à reflets dorés. A gauche rideau sombre un mur gris clair. Le dans un ton gris, métallique ou plutôt chatoyant comme des ^ Jean steen. — Les Rhétoriciens pierreries. Rien d'assourdissant (collection Kleinberger, ni Paris), d aveuglant, mais le tout plein d harmonie et de caresse. L'expression du joyeux compère est vraiment irrésistible. Il vous semble l'entendre et pour un peu vous entonneriez le même refrain. Il s'en faut que notre peintre demeure la toujours dans les bornes de la saine et de plaisanterie gaîté décente. Il ne lui arrive que trop souvent de s'encanailler à plaisir et de nous transporter dans des coupe-gorge ou des mauvais lieux. Par exemple dans sa Mauvaise du Louvre compagnie (N° 124). Une demi-douzaine de personnes sont assemblées dans une taverne borgne : savoir un couple de belles peu farouches, deux clients de la la maison, un ménétrier et patronne. L'un des noceurs, un tout jeune homme, a tellement bu en qu'il s'est renversé le nez avant, sur les genoux d'une des demoiselles. L'autre commère profite de son état d'ivresse pour le soulager de son épée et de sa montre, qu'elle remet à la vieille entremetteuse. L'endroit 116 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. une est peint avec beaucoup de coiuplaisance et dans opulente ganime de couleur. Le jeune des culottes bleu claii, des bas blancs. Il est noble s il faut débauclié porte une jaquette rouge, talons La petite dame sur les genoux de qui il repose la tête, en croire son épée et ses rouges. est vêtue de bleu verdâtre ; celle qui le dépouille porte une robe jaune et vert foncé. grands tableaux Jean Steen déploie un coloris plein de goût qui lui est Dans ses tout spécial; dans toiles ou panneaux plus petits, tels que ceux dont nous venons de ses parler, la peinture est moins épaisse, mais plus éclatante, plus vive et plus nerveuse que jamais. Dans ses scènes de mœurs Steen est moraliste à sa façon. Certes il se plaît à célébrer les exploits des débauchés, des batailleurs et des piliers de tavernes ; son art immortalise semblables haut faits; il s'il ne nous les montre sous un jour bien répugnant, du moins ne fait-il rien pour les flatter; 126. Adrien van Ostade. — Le ménétrier (Musée de La Haye). L'âge d'or de l'École hollandaise. 117 fait la leçon, mais avec belle humeur et sans pédantisnie ; quelque indulgent et cordial que se montre le moraliste son enseignement n'en porte pas moins. Il lui arrive de se montrer critique plus féroce de nos travers ; par exemple dans ses Rhétoriciens. Le Musée de Bruxelles possède un tableau sur ce sujet. Un honnête bourgeois très entiché de ses méchants vers, donne lecture de sa dernière élucubration à quelques voi- sins. Naturellement la galerie s'en amuse beaucoup et l'un des gausseurs profite même de l'occasion pour conter fleurette à la femme du poétereau trop absorbé par ses rimailleries pour observer ce qui se passe autour de lui. Le tableau reproduit ici (N° 125) et qui appartient à M. Kleinberger de Paris, traite le même sujet. Le malencontreux métromane donne de nouveau à rire à ses dépens en lisant à haute voix son plus récent chef-d'œuvre. Au fond, dans l'ombre, il se passe entre la femme du grotesque et un gaillard entreprenant une scène que l'on ne distingue pas bien mais que l'on devine. Tout comme l'autre ce petit tableau est merveilleux d'humour, de vie et de métier. Toutes les conditions de l'huma- nité jouent un rôle dans les œuvres des petits maîtres hollandais. Nous avons rencontré les bons bourgeois dans celles de Niklaas Macs, Gérard Dou, Pieter de Hoogh, Jean Vermeer ; nous avons surpris les gens de qualité dans leurs occupations souvent peu édifiantes, chez Terburg, Metsu, Miéris, Netscher et Steen. Après les citadins ce sera le tour des paysans et nous les relancerons dans leur décor familier, dans leur chaumine enfumée ou au milieu de leurs champs, vaquant à leur occupations ordinaires. L'un des plus originaux et des plus anciens de ces peintres rustiques est Adrien van Ostade, né en 1610 à Haarlem et mort dans la même ville en 1685. Il apprit son métier chez Franz Hais où il se rencontra avec Adrien ^^7- Adrien van Ostade. — Le Boulanger (Ermitage). Brouwer. Il hérita certes d'une grande partie de la belle humeur de son maître. Comme lui aussi il représente le plus souvent des figures falotes et turbulentes. Mais à la différence de Hais il transporte ces scènes de cabaret en plein air. De plus ses rustres n'ont pas la grossièreté de ceux de Brouwer. Ils conservent une certain décence même en faisant ripaille. Ce sont de braves gens, de bons vivants, peints avec une saveur et une franchise dignes de leur personne, avec un talent qui leur fait tenir, à eux, ces simples marauds, ces petites gens, un rang des plus élevé dans le monde des arts. Nous reproduisons deux tableaux de Van Ostade. C'est d'abord le Ménétrier du Musée de La Haye (N° 126). Un violoneux racle les boyaux de son instrument devant une ferme pour le plus grand plaisir de toute la maisonnée. Le père est assis jambe deçà jambe delà sur un banc à la porte de la chaumine, un imposant pot de bière à la main et riant à gorge déployée. La mère est accoudée à la porte-chatière ; les enfants prennent leurs ébats devant la maison. 118 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. C'est une scène de naïve gaîté villageoise à laquelle la façade de la ferme tapissée d'une vigne forme un cadre pittoresque et original. Le tableau date de 1673. L'autre tableau représente un Boulanger (N° 127), qui paraît à sa fenêtre et qui souffle dans sa corne pour annoncer la cuisson du pain frais. Il appartient au Musée de l'Ermitage et sert d'illustration à des innombrables coutumes du bon vieux temps abolies une aujourd hui. Durant mon enfance elle subsistait encore dans nos villes flamandes, du moins par intermit- au de tences. Ainsi le samedi de l'Avent, à la chute du jour, le boulanger se montrait seuil sa boutique et sonnait de la corne pour informer la paroisse que certains petits pains, la friandise de la saison, venaient de sortir du four. Aussitôt la marmaille accourait, affriolée par ces gâteaux la maman beurrait d'ailleurs copieusement. Pas un bambin qui ne que reçut le demi 128. Salomon van Ruysdaël. •— La Halte devant l'auberge (Rijksmuseum). SOU que coûtait cette manne. Van Ostade a représenté un de ces amateurs tendant son obole au marchand. Le boulanger et son petit client sont empruntés à la vie, à la réalité même. Le digne homme est coiffé d'un bonnet rouge et sa chemise est plus blanche que la farine. La vigne encadrant la fenêtre ajoute encore un peu de poésie à cet épisode de sain réalisme. Nombre de peintres hollandais accordent la même importance aux trois éléments de tout tableau rustique : le paysan, le bétail et le pâturage. Le rustre en costume de travail ne prévaut point contre le bétail dont le poil bigarré réjouit les prairies des Pays-Bas, et celles- ci même étalent leur tapis luxuriant sous une lumière plus suggestive et dans un air plus subti- lement nuancé que dans n'importe quelle autre contrée d'Europe. C'est ainsi que Salomon van L'âge d'or de l'École hollandaise. 119 Ruysdaël, Isaac van Ostade, Adrien van den Velde et bien d'autres ont compris la nature de leur patrie. Salomon van Ruysdaël naquit à Haarlem vers 1600 et y mourut en 1670. Il peint surtout les sites champêtres ou villageois au bord d'une rivière ou d'un vaste étang, mais il représente aussi des sous-bois, des rues villages, des cours d'auberge, des champs de foire etc., etc. Au début sa couleur était un peu sombre et monochrome, mais peu à peu ses pinceaux s'animent, sa palette s'éclaircit et s'enrichit ; de plus il apporte plus de mouvement et de variété dans ses compositions. Un des tableaux les plus caractéristiques de sa bonne période est la Halte devant l'auberge (N° 128) du Rijksmuseum d'Am.sterdam. L'auberge villageoise entourée d'arbres s'élève sur la droite du tableau. Deux chariots couverts de leurs bannes, de nombreux voyageurs à pied et à cheval sont arrêtés devant la porte. A l'avant- plan des vaches sont en train de paître paisiblement dans la prairie ou s'abreuvent à la rivière dont le large ruban miroite et s'étale entre les pâturages. Le tout représente un tableau plein de charme et d'émotion de la vie à la campagne. La lumière radieuse et le coloris vigoureux forti- fient cette impression.- L'œuvre porte le mil- lésime 1660. Isaac van Os- tade, le frère d'Adrien, naquit à Haarlem en 1621 et y mourut en 1648. Il traite les mêmes sujets rustiques ou familiers que son frère, mais dans un tout autre mode de conception et de fac- ture. Il lui arrive de montrer ses rustres se réjouissant dans leur intérieur, mais il les transporte le plus souvent en plein air. Quelquefois il les accompagne sur la glace. Aussi le Musée d'Anvers possède de lui une Fête sur la glace (N° 129), datée de 1645. A droite, des habitations rustiques se groupent en un désordre pittoresque au-dessus d'un talus. A gauche, s'étale une vaste pièce d'eau gelée sur laquelle jeunes et vieux prennent leurs ébats. Les paysans vaquent à leurs occu- pations sur la berge. D'aucuns attellent leurs bêtes à des traîneaux pour se rendre au marché voisin ou à d'autres destinations. La couleur d'Isaac van Ostade se rapproche quelque peu de €elle de son frère, qui fut aussi son maître. Il chérît les tons chatoyants et nuancés, il les fait scintiller à plaisir ; sa peinture grenue semble inondée d'une pluie d'or. En général il préfère les teintes délicates et précieuses aux couleurs robustes et éclatantes. Un autre admirable Paysage d'Hiver (N° 130) d'Isaac van Ostade se trouve au Musée de l'Ermitage. A gauche s'étend le village avec ses fermes, son inévitable auberge, ses arbres dépouillés. Sur la glace et sur la berge des allées et venues de riverains, un aveugle et son 120 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. chien, gamin menant un cheval. Un seigneur et une dame s apprêtent a monter en traîneau. un noir elle est vêtue d une robe Lui rouge, porte un manteau jaune clair rejete sur son pourpoint , d'un manteau blanc, d'un col blanc. Le laquais coiffé d une casquette rouge et en liviée violette dispose les coussins. La facture de ce tableau est extrêmement legere et aisee, on est dirait la couleur soufflée sur la toile ; une vapeur diaphane, chaude et veloutee, répandue dans l'atmosphère. La glace reflète le ciel et semble le prolonger. Le peintre n a guere d la couleur ! deux petits chevaux blancs, une casquette rouge, deux lambeaux étoffé, prodigué aussi le col et le manteau blancs de la dame et c est tout. Le reste foi me une sym- rouges ; phonie de gris et de fauve. Rien de maussade ou d'âpre dans cette arrière-saison ; c'est l'hiver de radieux, frisquet et guilleret, incitant plutôt à la gaîté et à la la Hollande, joie de vivre. Le troisième de ce bon trio de peintres de mœurs rurales est Adrien van den Velde, 130. Isaac van Ostade. — Paysage d'Hiver (Ermitage). fils d'un des deux célèbres marinistes Willem van den Velde le Vieux et frère de l'autre, le Jeune. Né en 1636 à Amsterdam, il y mourut en 1672. Comme les deux petits maîtres dont nous venons de nous occuper Adrien van den Velde étoffe ses paysages avec des vaches, des fermes, des paysans et il ajoute le charme des étangs rêveurs et des rivières serpentines. Sa facture est soignée à l'extrême, même un peu ,,porcelaineuse", sa couleur discrète, de ton clair. Sa Ferme hollandaise {N° 131) du Musée Impérial de Berlin est un de ces paysages qui ont fait la réputation de l'Ecole hollandaise. Les arbres se dressent avec une véritable majesté. Les prés s'étendant à l'infini devant ces futaies complètent cette impression de grandeur paisible, dont les vaches et les chevaux en train de pâturer ne déparent point l'har- monie sereine ; et la ferme qui se dissimule modestement dans la verdure contribue aussi à ce sentiment de joie, de prospérité, de calme, évoquant les délices d'un Paradis terrestre, et admirablement rendu par tous les prestiges de la peinture. L'âge d'or de l'École hollandaise. 121 Il ne tiendrait qu'à nous de prolonger indéfiniment la liste de ces peintres de la vie rustique, mais nombre des maîtres hollandais les plus justement réputés ne se distinguent pas essentiellement de ceux que nous venons d'étudier, ou ils n'en diffèrent que par des nuances plus ou moins notables dans le choix des sujets. Ainsi, tout un groupe, au heu de traiter les scènes villageoises de leur pays s'en furent peindre les paysans et les paysages de l'Italie ; d'au- tres encore se confinèrent dans le portrait ; d'autres enfin peignirent des paysages étoffés de paysans, de bétail et de chevaux, mais en manifestant leur préférence pour les animaux. Quel- ques-uns excellèrent dans la représentation des vaches, des chevaux et des moutons. 131. Adrien van den Velde. — Ferme hollandaise (Vlusée Impérial de Berlin). Albert Cuyp nous fournit la transition des peintres de scènes agrestes aux anima- liers proprement dits. 11 vit le jour à Dordrecht, en 1620, et il y décéda en 1691. 11 était pour ainsi dire enfant de la balle ; son grand-père exerçait la profession de peintre verrier, son père peignait le portrait, l'histoire et les animaux ; un de ses oncles par alliance cultivait le genre biblique. Albert Cuyp peignit tous sujets et objets imaginables : l'eau douce et l'eau salée, des vaches au pâturage, des cavaliers, des effets de lune, des tableaux d'histoire, des combats d oiseaux de proie et bien d'autres choses encore ; mais ses modèles préférés étaient les vaches dans les prés. 11 partageait le culte de la plupart de ses compatriotes pour la bonne mère 122 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture, nourricière de l'agriculture nationale. Il appréciait la beauté, l'esthétique toute particulière de la placide créature ; la note claire et vigoureuse qu'elle ménage dans ses ambiances ; le foyer de lumière qu'elle absorbe dans sa robe luisante, le bariolage et les oppositions vives que présentent les couleurs de ce poil, l'éclat des cornes mignonnes, bref toute la variété et l'imprévu qu'un seul de ces ruminants apporte dans l'immensité verte, bleu et grisâtre de la plaine hol- 132. Albert Cuyp. •— Paysage avec vaches et bétail (Rijksmuseum). landaise. Xon seulement la généreuse laitière mérite la reconnaissance des Hollandais au point de vue économique et matériel, mais l'art des Pays-Bas lui doit aussi une profonde gratitude en raison de tous les chefs-d'œuvre quelle inspira. Si nous ne craignions de tomber dans l'hyperbole et de froisser la modestie de l'animal effacé par excellence, nous dirions qu'elle fut la véritable Muse de quantité d'artistes néerlandais. L'âge d'or de l'École hollandaise. 123 Voici deux tableaux d'Albert Cuyp. Le premier est le Paysage avec vaches et hétail (N° 132) du Rijksmuseum. Un bouvier et une vachère montés sur des ânes et accompagnés d'un autre petit pâtre à pied, poussent un troupeau de bétail devant eux, le long d'une rivière. A droite se dressent des arbres de diverses hauteurs. Sur l'autre rive au fond, s'élèvent des montagnes et des châteaux. Tout révèle la nature d'Italie. Le soleil levant inonde le ciel et la terre d'une clarté scintillante aux reflets ardents. Les pasteurs et leurs troupeaux forment une série de figures intéressantes se détachant on,^ne peut plus favorablement sur la rive opaque et l'atmosphère vibrante. Si ce tableau nous évoque féeriquement la lumineuse Italie où Albert Cuyp ne s'était pourtant jamais rendu, le second, le Pâturage en Hollande (N° 133) du Palais de Buckingham 133. Albert Cuyp. — Pâturage en Hollande (Palais de Buckingham, Londres). a Londres, est un tableau essentiellement néerlandais. Trois pâtres sont assis au bord d'une vaste pièce d'eau, leurs vaches baignent leurs pieds dans l'eau peu profonde ou ruminent, vautrées dans l'herbe. Ce sont bien des vaches de la bonne race hollandaise ; ce sont aussi des ustensiles de ménage hollandais qui gisent sur la berge ; c'est aussi la splendide et fraîche végétation septentrionale qui répand son ombre bienfaisante sur les bêtes et les gens ; enfin, impossible de confondre ce ciel d'une limpidité et d'un éclat argenté si particulier avec celui d'aucun autre pays. Ajoutons que nul autre qu'un pinceau hollandais trempé dans une palette hollandaise n'aurait pu rendre avec cette dévotion et cette vérité le caractère special, unique, sans équivalent de ce pays radieux, fertile et placide. Nicolas Berchem s'adonna à tous les genres de peinture : chasses, épisodes bibli- Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 124 ou mythologiques, entrées de rades et autres panoramas maritimes, mais plus encore que ques à en 1620, d un Albert Cuyp il peignit de préférence les animaux. Il naquit Haarlem, père- artiste peintre, comme lui, il voyagea en Italie avant 1650, se fixa après 1670 à Amster- Italie dam où il mourut en 1683. Il était de ceux qui crurent devoir émigrer en pour y de d'histoire trouver matière à tableaux. Heureusement, à la différence de tant peintres du Nord et du Sud, ils ne crurent point devoir s'assimiler la manière de peindre des Pays-Bas des Italiens, mais le pays et les populations méridionales leur plurent et les charmèrent à aux du natal. tel point qu'ils les préférèrent dans leurs tableaux aux rustres et pâturages pays la Les paysages accidentés avec leurs montagnes au bout de perspective, les roches se mon- trant partout à travers la mince couche de terre, les arbres dispersés^çà et là, les pâtres à dos mulets sentiers tous ces de poussant devant eux leurs troupeaux le long des escarpés, pay- pittoresques guenilles et à l'air vaguement farouche offraient un tel contraste avec sans aux — 134. Nic^Ls Berchem. Environs de Nice (Louvre). les vastes plaines monotones au bord de la mer, les robustes et placides villageois du Nord vêtus sans élégance, que cette antithèse même séduisait les artistes et aussi les acheteurs ils par son imprévu et son exotisme. D'ailleurs si les sujets et les modèles étaient étrangers étaient peints à la manière hollandaise, c'est-à-dire avec soin, avec une variété coloriste et une subtilité de lumière que nos artistes n'avaient pas observées là-bas, mais qu'ils avaient vues et observées dans leur propre pays. Un de ces paysages de l'Italie est le tableau du Louvre intitulé Environs de Nice (N° 134). Nous nous trouvons transportés pour ainsi dire à l'antipode des basses plaines natales. Un pâtre et une bergère accompagnés de leur troupeau et de leurs chiens s'engagent dans une route montueuse, qui serpente entre des bouquets d'arbres alternant avec des rochers. L'homme a des culottes courtes et un chapeau à larges bords ; la femme porte un fardeau sur la tête. A gauche un fleuve sur lequel vogue une barque déployant la haute voile L'âge d'or de l'École hollandaise. 125 latine. Sur l'autre rive un village accroche son clocher, son moulin et ses maisonnettes aux flancs d'une colline rocheuse. Tout au fond on aperçoit la côté bordée par les contreforts des Alpes. Rien de plus adorable que ces rives italiennes. Un ton délicat, onctueux, pour ainsi dire fondant, caresse amoureusement les édifi- ces, les eaux, les roches et les collines verdoyantes. lé'autre paysage est peut- être plus italien encore (N° 135). Il appartient au Musée de l'Er- mitage. Les arches imposantes d'un aqueduc en ruine surplom- 135- Nicolas Berchem. — Paysage en Italie (Ermitage), haut un large torrent nous évoquent immédiatement la campagne romaine. La statue qui se dresse sur le ciel radieux nous rappelle aussi que ces contrées furent un des berceaux de l'art. A, côté de ces vestiges d'une glorieuse civilisation déjà lointaine, la nature éternelle, la vie quotidienne et patriarcale ont également offert des séductions à l'artiste. Tous ces éléments se fondent en une harmonie exquise. Ce tableau porte la signature du maître et le millésime 1650. 136. Paul Potter. — Le Jeune Taureau (Musée de La Har^e). 120 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Le plus grand des animaliers hollandais est Paul Potter. Il naquit à Enkhuizen en 1625. Il était encore enfant quand il vint se fixer à Amsterdam où il demeura jusqu'en 1646. Depuis cette année jusqu'à 1648 il travailla à Delft. De 1649 à 1651 nous le retrouvons à Amster- daiUj où il mourut en 1654, donc à peine âgé de 28 ans. Il se consacra tout particulièrement à l'interprétation des animaux et surtout à celle du bétail. Il les a rendus dans tous leurs détails, avec la plus scrupuleuse exactitude. D'ordinaire il nous les montre dans la prairie où ils ne remplissent pas un rôle accessoire, mais bien celui du personnage principal. A la différence de plusieurs de ses confrères il ne les tenait pas seulement pour de savoureux foyers de lumière ou pour d'admirables réceptacles de couleurs variées et luisantes, mais il les aimait pour eux-mêmes, pour leur placide et pourtant majestueuse personne; il les peignait en des 137. Paul Potter. — La Ferme dans la Prairie (Ermitage). tons doux et caressants, dans une vive lumière, au milieu des tendres verdures du paysage. Un de ses tableaux les plus anciens et les plus célèbres sinon le plus remarquable est le Jeune Taureau du Musée de La Haye (N° 136). Le jeune taureau, d'un brun rougeâtre avec des taches blanches, est debout, et vu de profil dans une vaste prairie. Près de lui sont vautrés une vache jaune à tête blanche, un bélier, une brebis et un agneau, à l'ombre d'un saule auquel s'appuie un paysan chargé de la garde de ces animaux. Ce tableau doit sa réputation universelle à la minutie prodigieuse avec laquelle il est exécuté. Quoique de taille imposante le taureau, notamment, a été peint avec une finesse quasi ,,miniaturale" ; les autres animaux n'ont pas été traités avec une méticulosité moindre ; on pourrait presque compter les poils de leurs robes et les cils de leurs yeux ; on voit courir les mouches sur leur peau. Ils se détachent avec vigueur et relief sur le fond gris clair. Ce tableau représente certes l'étude L'âge d'or de l'École hollandaise. 127 la plus poussée, la reproduction la plus fidèle qui fut jamais faite de nos amis les animaux. Les meilleurs portraitistes n'interprétèrent pas plus dévotement l'homme. L'œuvre remonte à 1647 ; l'artiste avait à peine vingt-deux ans quand il la peignit. Deux ans plus tard, il peignit un autre de ses chefs-d'œuvre : la Ferme dans la Prairie (N° 137) du Musée de l'Ermitage. Il ne s'agit pas seulement d'une étude d'animaux, mais d'une scène où, bien que le bétail prenne la plus grande place, le paysage, les plantations, les bâtiments, les rustres concourent à nous donner une image de la vie rurale en Hollande. D'un côté, entrant en partie dans le cadre, se dresse la ferme peinte avec un soin pieux, pour ainsi dire brique par brique. Par la porte ouverte on avise une servante en train de coudre : la lumière pénétrant par la fenêtre éclaire vivement la couseuse et ménage au milieu de cet intérieur discret un coin de clarté vibrante rappelant la manière de Pieter de Hoogh. Le reste de la maisonnée travaille devant la porte. La ménagère fait sa lessive au bord de la margelle du puits, aidée de son fils ou d'un domestique. Non loin de là se produit un incident emprunté à une eau-forte de Rem- brandt. Le chien se précipite en jouant sur un bambin qui en a peur et qui jette les hauts cris ; le père accourt et chasse l'animal trop démonstratif. A l'avant-plan les poules picorent et prennent leurs ébats. Une couple d'arbres séparent ce coin cordial du reste du tableau. En peignant une scène de la vie des champs le peintre a réservé le rôle principal à ses favoris, les bêtes aumailles, les chevaux et les ouailles. C'est sur eux aussi qu'il répand le plus de lumière. Ils y sont tous. A droite un palefre- nier débarrasse un cheval de son harnais. Deux autres chevaux et 138. Philippe Wouwerman. — Le Cheval Blanc (Rijksmuseum). un âne couché sont près de là. Plus à gauche répandus dans le pré, on ne compte pas moins de sept vaches, un bœuf, dix moutons et deux chèvres. La grande vache à la tête blanche déjà vue dans Le Jeune Taureau, se retrouve ici dans la même attitude. Une autre qui lève la queue et qui se soulage, a valu au tableau un nom hollandais assez trivial [De pissende Koe). En somme cette œuvre est avant tout une apothéose de l'élève du bétail, un panthéon des animaux domestiques. Le ciel est ardent. Un calme religieux règne jusque dans les profondeurs infinies de la perspective. Le soleil couchant inonde le ciel d'un océan de lumière, i^ais pas d'éclats pourtant, pas d'embrasement, ni or, ni argent bordant les nuages ; rien que la teinte discrète, unie et suave de la calme lumière vespérale. La maison se détache vigou- reusement sur le ciel. Les arbres aussi baignent dans cette atmosphère lumineuse leurs grêles branchages ou leurs frondaisons dentelées; celles-ci teintées de vert du côté du spectateur Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. mais fauves et comme roussies vers le soleil. C'est au milieu de cette gloire que régnent nos animaux. A l'avant-plan le peintre les traite scrupuleusement. On a l'illusion complète du pelage rude et allongé des chèvres, de la toison frisée des moutons, de la robe onctueuse des vaches, et cela sans que le peintre vise à l'effet ou recoure à l'artifice. Loin de prodiguer l'éclat et le brillant il est même par trop sobre. Il n'entretient que le souci de la vérité. Aimant accessoire et factice. tout ce monde à quatre pattes pour lui-même il en a proscrit toute parure Philippe Wouwerman est par excellence le peintre des chevaux. On peut dire que rien de leur vie ne lui est inconnu ou n'a été interprété par lui. Il les montre aussi magistrale- ment au repos qu'au travail. Philippe Wouwerman naquit à Haarlem en 1619 et y mourut en 1668. Un des tableaux les plus simples et aussi les plus beaux de ce maître est le Cheval Blanc (N° 138) du Rijksmuseum. Ce cheval debout sur une éminence est vu de profil ; un garçon d'écurie le tient par la bride. D'un côté se dresse un arbre écimé ; de l'autre un individu vu à mi-corps, les jambes étant encore cachées derrière le talus. Mais c'est surtout le cheval qui importe ; vigou- reux et bien en forme, il se détache très nettement dans un éclairage avantageux ! Et la fine teinte de ses jambes ! Tout le reste n'est qu'accessoire. Il eut suffi du cheval seul pour que le tableau sortît tout son effet. Un de ses nombreux tableaux du Louvre, la Halte de Cavaliers devant une Auberge (N° 139) repré- sente un de ces agréables panneautîns qu'il fignola par centaines. Un cheval blanc broie son picotin dans une 139. Philippe Wouwerman. Halte devant une auberg®e. ^ ^ , , d i, creche a la porte d une auberge de village, étoffée de la façon la plus théâtralement pittoresque ; deux paons perchent sur le battant de la porte ouverte ; on monte à l'étage par une échelle extérieure ; une corbeille d'où débordent les vrilles d'une plante grasse est suspendue à la lucarne du grenier et sert d'enseigne à l'auberge. Un laquais tient près du cheval en train de manger. Une noble dame à cheval et un se autre domestique, à cheval comme elle, attendent devant l'hôtellerie. Trois chiens de chasse étoffent l'avant-plan. Bref un aimable échantillon de cet art très réel, mais affecté, qui s'impose pourtant par un coloris plein de goût ! La Hollande est la Terre Promise des paysagistes. La plupart des artistes dont nous venons de nous occuper ont décrit et célébré leur terroir, mais il n'en est point qui s'inspirèrent avec plus de ferveur des plaines ou des fleuves de leur pays que ceux dont il nous reste à parler. Ont-ils assez prestigieusement rendu ces perspectives s'éloignant à l'infini et dégradant, adoucissant leurs teintes jusqu'à perte de vue, jusqu'à l'extrême limite de l'horizon ! A-t-on BOTTICELLI. „La Vierge et l'Enfant." (Musée Poldi Pezzoli, Milan.) L'âge d'or de l'École hollandaise. 129 évoqué jamais avec plus de poésie et de tendresse ces hautes futaies couronnant des digues ou de discrètes collines, ces étangs, ces canaux, avec leurs lentes embarcations et les moulins à vent et les clochers qui se mirent dans leurs eaux dormantes? Et le ciel ne les séduisait pas moins que la terre et les ondes. Mais nous devons nous en tenir aux principaux •et aux plus originaux de ces paysagistes absolus. Jean van Goyen fut un des plus anciens. Il naquit à Leyde le 13 janvier 1596 ; il fit son apprentissage de peintre chez divers maîtres, entre autres, à Haarlem, chez le paysagiste Esaü van de Velde, et retourna ensuite dans sa ville natale où il demeura jusqu'à sa trente- •cinquième année. En 1631 il se rendit à la Haye où il travailla jusqu'à son dernier jour. 140. Jean van Goyen. — Paysage (collection de Sir George Donaldson, Londres). •c est-à-dire jusqu'à la fin d'avril 1656. Sa façon de peindre est éminemment personnelle. Comme Esaù van de Velde il commença par traiter toutes sortes de scènes populaires •en plein air ; mais, différent en cela de son maître, il n'affectionnait guère les couleurs vives, et avec les années il s'en tint de plus en plus à un ton brun monochrome. Sa facture devint vague et vaporeuse, et à la fin il se borna à rendre des effets d'atmosphère et de lumière, réduisant le paysage même à quelques pâles teintes vertes et bleues répandues sur le sol brun. Il ne détermine ni ne précise les objets dont il étoffe ses paysages. C'est tout au plus si, ça et là, quelque point attire l'œil du spectateur : un moulin, un clocher, une barque. Ce qu'il lui faut, ce qu'il excelle à rendre, c'est la perspective fuyante et infinie ; c'est la sereine splendeur des soirs d'été alors que le ciel a assourdi ses clartés intempestives et que ie soleil s'est couché dans un lit de pourpre veloutée. 9 I 30 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Un de ses tableaux les plus impressionnants en ce sens est le Paysage (N° 140) appar- illimitée ou du moins à peine bornée tenant à Sir George Donaldson à Londres. Une plaine étendue d autres acci- par la ligne légèrement sinueuse de l'horizon. Dans toute cette pas les méandres de quelque canal ou bras mort de rivière et dents quelques bandes de végé- que tations lacustres. C'est la véritable campagne des contrées septentrionales évoquée dans toute uniformité, mais aussi dans toute sa vérité. Van Goyen sentit et traduisit le premier la son grandeur de tout ce que les peintres antérieurs répudiaient comme nul ou insignifiant. Le en faire et premier il en comprit la beauté et, mieux encore, il sut le premier comprendre saisir le caractère impressionnant. A travers la terre ferme court une route que suivent équipage à quatre chevaux. Une petite voile fuit dans le lointain. Au quelques piétons et un — 141. Van der Neer. Paysage avec moulin au clair de lune (Musée de Berlin). fond, aussi, une haute tour d'église, quelques édifices moins imposants et quelques moulins a vent, et, comme dans tous les Van Goyen, au-dessus de cette plaine marécageuse l'immense étendue du ciel, l'atmosphère fluide et transparente, une lumière qui prête de la vie et du mouvement à cette perspective presque incolore. Van der Neer n'est pas moins personnel, mais il est tout à fait autre. Il naquit en 1603 ou 1604 à Amsterdam, sa première jeunesse s'écoula à Gorinchem où il prit des leçons chez Raphaël van Campenhuysen; vers 1640 il retourna dans sa ville natale où il mourut novembre 1677. Il tranche les autres paysagistes hollandais entichées de l'éclat le 9 sur du soleil, par son penchant pour les lumières plus étranges et plus rares. 'Sans doute trouvait-il la clarté ordinaire trop crue et trop banale. Il préférait le clair de lune aux reflets L'âge d'or de l'École hollandaise. 133 plus discrets, plus poétiques et non moins variés. Il affectionnait la nuit calme et mysté- rieuse, à l'heure où presque tout repose sur la terre et où la pâle voyageuse céleste est seule à veiller encore et à s'entretenir maternellement avec les artistes et les poètes. Il subissait aussi l'impression de la clarté rouge et pantelante des flammes d'un incendie qui se déclare subite- ment au milieu des ténèbres de la nuit et qui répand comme une ardente nappe de sang dans le ciel et sur la terre. D'autres fois il montrait sous un ciel opaque non point ,,cette obscure clarté qui tombe des étoiles" chantée par le vieux Corneille, mais cette clarté peut-être plus obscure et plus équivoque, plus livide encore qui monte d'un champ de glace sur lequel les patineurs et les paysans en liesse prennent des aspects de fantômes. 142. Jacob van Ruisdael. — La cataracte (Rijksmuseum). Mais ses effets de lune demeurent ses œuvres les plus caractéristiques et les plus méritoires. Nous reproduisons son Paysage avec moulin au clair de lune (N° 141) du Musée de Berlin. Une vaste pièce d'eau occupe le milieu du tableau ; à gauche se dressent d'imposants massifs d'arbres dérobant les flancs d'une colline. A droite un marinier à cheval haie son bateau. Plus loin un moulin à vent et un village. Ce simple site est d'une grandeur presque majestueuse. Dans l'eau et dans le ciel qui s'y reflète résident l'intérêt capital du tableau. Peints avec des transparences et des douceurs de touche vraiment suaves, ils symbolisent le repos de la nuit et l'infini de l'espace. Végétations et habitations n'interviennent que comme des jalons, des points de repère, permettant de mieux nous rendre compte de l'incommensura- bilité de l'espace et de l'empire du silence. Néanmoins les plus grands entre tous les paysagistes de la Hollande furent les Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 134 du plein jour, de la nature féconde, du véritable caractère de ces contrées. Ils adorateurs s'appellent Jacob van Ruisdael et Meindert Hobbema. Jacob van Ruisdael vit le jour à Haarlem, en 1628 ou 1629. Il apprit son métier chez Isaac, père, et chez son oncle Salomon. En 1648 il était reçu dans la son gilde des peintres de sa ville natale. En 1659 il était établi à Amsterdam où il avait même acquis le poortersrecJit ou droit de cité. Il y vécut jusqu'en 1681, année où il retourna à Haarlem, pour s'y faire admettre dans un hospice par le crédit de ses amis, où il s'éteignit l'année d'après. Il fut le paysagiste souvent aux très il par excellence et, comme il n'arriva que trop grands artistes, ne fut pas compris par ses contemporains. Ceux de Ruisdael ne trouvaient pas la simple nature, 144. Jacob van Ruisdael. — Le Château de Bentheim (Rijksmuseum). la nature prise en elle-même, assez intéressante et ils se seraient bien gardés d'échanger leurs beaux florins contre des tableaux dans lesquels on ne voyait ni hommes, ni bêtes. Cela ne découragea point notre peintre et il ne se lassa pas de produire des chefs-d'œuvre par douzaines. Il commença, à l'instar de son maître Allart van Everdingen, par peindre nombre de vues de Norvège avec de formidables rochers et des cataractes écumantes. Plus tard il s'en tint presque exclusivement à son propre pays ; il le peignit dans toute sa splendeur et toute sa vérité, avec ses rives si particulières, ses collines boisées, ses moulins, ses fermes, ses variétés d'aspects et de saisons. Dans ses cascades norvégiennes il sacrifie au théâtral, tandis que dans ses œuvres indigènes il demeure fidèle à la simple nature, mais tout en s'attachant L'âge d'or de I'Lcole hollandaise. 135 à la vérité il cherche et découvre sans effort la grandeur et même le pathétique. On rencontre ses chefs-d'œuvre dans tous les musées du monde. Nous en choisirons d'abord trois du Rijksmuseum. Le premier est le Paysage avec chute d'eau (N° 142). Les eaux se précipitent impétueusement entre des quartiers de roches barrant la rivière. Un tronc d'arbre a été renversé, un autre menace de s'abattre également. Un bouquet de superbes chênes ombrage le plateau qui s'étend derrière les rochers. La lumière se livre aux plus radieux caprices parmi les roches entassées, les frondaisons touffues et les ondes écumantes, et elle règne dans toute sa sereine splendeur au fond d'un ciel parsemé d'harmonieuses nuées. 145- Jacob van Ruisdael. — Paysage (Ermitage). Le Moulin de Wijck pris de Duurstede (N° 143) provient de la collection Van der Hoop. Le rnoulin trapu et massif, de tournure imposante s'élève sur sa butte, d'où il domine la maison du meunier et, un peu plus loin, le château épiscopal. A son pied, à l'avant-plan, s étend une sorte de crique ou de bras de mer sur laquelle voguent une couple de voiles. Ces simples éléments s'accordent dans une perspective grandiose. Le contraste entre le soir ayant déjà envahi la droite du tableau et la d'eau encore éclairée sur la gauche est vraiment nappe émouvant et rien de merveilleux comme la teinte rosée du moulin et la pourpre des toits. Le Château de Bentheini (N° 144) est un paysage plus mouvementé. Le château historique des comtes de Bentheim couronne une colline d'une hauteur considérable pour ce 136 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. pays de plaines. Aux flancs de cette colline s'accrochent des maisons et des arbres. A son pied bordé de rochers s'étend une large pièce d'eau. L'œuvre se recommande par l'abondance inusitée des motifs en même temps que par les caprices des teintes et des lumières. Un des nombreux paysages (N° 145) que possède le Palais de l'Ermitage à Saint- Pétersbourg et qui porte le numéro 1139 représente un coin de la fruste et sauvage contrée natale de l'artiste. A droite l'aride sablón au sol mouvant, mamelonné, creusé de profondes- ornières, mais sur lequel se sont pourtant élevées de pauvres masures. Un paysan, deux seaux, suspendus à la palanche, chemine péniblement dans le sable. A gauche quelques arbres et d'autres chaumières encore. Un clocher à l'horizon. Tel est bien l'aspect de la bruyère hol- landaise dont la solitude et la frustesse même dégagent une grandeur que l'artiste sentit. profondément et traduisit avec non moins d'intensité dans sa peinture. Plus rude encore, mais plus théâtrale aussi est la Cataracte devant le Slotber^ (N° 146) du Musée de Dresde. Le torrent se précipite en cascade écumante entre des rochers couronnés de sapins ; dans sa chute impétueuse il a entraîné des arbres entiers, et jusqu'à des quartiers de roc. Là-bas, sur la hauteur se dresse un farouche caste! médiéval. Cette fois le peintre s'est imaginé et nous a évoqué un site fantastique étoff t comme un décor d'opéra, mais empoignant, tout de même par la sincérité et la fougue de cette fantaisie. Jacob van Ruisdael n'eut vraiment, qu'un seul rival : Meindert Hobbema. Celui-ci naquit à Amsterdam en» 1638, suivit les leçons de Ruisdael et, comme^ son maître, mourut dans l'indigence, le 7 décembre 1709. Ce qui le distingue de son illustre prédécesseur, est son pen- chant à étoffer ses paysages de motifs pittoresques : une ferme, un moulin à eau, 146. Jacob van Ruisdael. — La cataracte devant le Slotberg une passerelle jetée SUr un foSSé; et aUSsi. Aiiisee de Dresde). amour des chaudes teintes dorées que le soleil répand sur la terre et sur l'eau. Toutefois il ne recourt pas invariablement à ces auxiliaires pour composer ses paysages. Quelques-unes de ses toiles les plus réputées ne représentent même que de simples pages du. livre de la nature, mais dans tous ses tableaux, entièrement peints d'après nature ou assemblés de motifs recueillis en divers endroits, il témoigne d'une incomparable technique et: d une suprême fraîcheur de touche. Sa facture est à la fois si ferme, si brillante et si serrée qu on la croirait le résultat d un long travail et d'un labeur concentré, alors qu'au contraire en y regardant de plus près on découvre le brio, la fougue et la spontanéité de la mise en œuvre. Un de ses tableaux du Rijksmuseum représente un Moulin à eau (N° 147). Il ne s'agit: pas d un des moulins qu il nous montre d'ordinaire, surplombant le cours d'un ruisseau, tombant d un côté de la roue et sortant de l'autre. Ici l'eau arrive impétueusement de derrière un. L'âge d'or de l'École hollandaise. 137 ■édifice et se précipite du haut d'un imposant barrage dans un étang prenant toute la largeur de l'avant-plan. A gauche une colline boisée, à droite le bâtiment qui aurait été une fabrique de papier dans l'Overyssel. Une commère se montre dans l'encadrement de la porte, un gamin travaille près d'un cuveau sur la berge. L'architecture imprévue du bâtiment nous attire ; le miroitement et la vie de l'eau ne nous séduisent pas moins, enfin les arbres et la maison s'imposent encore par la conscience avec laquelle ils sont rendus et la chaude lumière qui les enveloppe. Le plus célèbre des tableaux de Hobbema est l'Avenue de Middelharnis de la National Gallery (N° 148). Il s'écarte manifestement de ses autres œuvres. Tandis qu'il rassemble géné- ralement tous les éléments destinés à assurer au paysage de nombreuses oppositions de couleur 147. Meindert Hobbema. — Le moulin à eau (Rijksmuseum). et de lumière, ici tout est sobre et simple tant sous le rapport du coloris que de la lumière ; a telle enseigne que l'on dirait une œuvre de Jean van Goyen. Ce coin de nature aride, mais, originale aura impressionné notre peintre. Des deux côtés de la route s'élève une rangée d'arbres très élancés mais chichement feuillus, au point de ne représenter qu'autant de troncs grêles surmontés d'un bouquet de feuilles. Un chasseur chemine dans cette allée. Au fond un clocher de village, et quelques maisonnettes sur le côté. Ces grbres piteux usurpent manifestement la place d'honneur du tableau, et franchement le résultat'justifié leur audace. L'avenue à. laquelle ils ménagent une ombre dérisoire déroule vers le village un ruban de sable luisant creusé de profondes ornières. Le jour prêt à disparaître compatit à la détresse de ces maigres échalas ®t projette vers eux de caressantes lueurs sur lesquelles ils se détachent avec une certaine- 138 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. •crânerie. Une blanche nuée planant dans le ciel gris complète 1 etoffage du tableau, lequel aussi dégarni et indigent qu'il paraisse dégage une impression de vérité et de vaillance qui manque aux paysages les plus touffus et les plus opulents. les Hollandais, qui vivait autant sur l'eau que sur la Un peuple amphibie comme terre, et qui devait même au premier de ces éléments la majeure partie de sa puissance et de sa prospérité, devait naturellement subir le prestige des grandes étendues maritimes et aussi la séduction des bâtiments grands et petits naviguant sur les flots. La plupart des peintres interprétèrent les côtés les plus intimes et les plus discrets de ces spectacles. Ils ne s'écartèrent pas notablement de la terre ferme. Ils peignirent un bras de mer, un port, une embouchure Autre cliûse était •de fleuve avec leurs bateaux d'intérieur ou leurs chaloupes de pêche. pour- 148. Meindert Hobbema. — L'avenue de Middelharnis (National Gallery)o tant de s'attaquer au large, à l'immensité, aux énormes navires qui en affrontent les tempêtes. Quelques-uns représentèrent cependant les seules grandeurs du ciel et de l'eau avec, pour mieux en dire l'infini, un unique mais puissant vaisseau, une couple tout au plus déployant leur imposante voilure. Les plus célèbres de ces marinistes d'envergure rompant avec ce que l'on pourrait appeler la marine de cabotage, de vrais marinistes hauturiers ou au long cours, furent Guillaume van de Velde, dit le Jeune, et Jean van de Cappelle. Guillaume van de Velde appartenait à une famille de peintres ; son père, Guillaume le Vieux, était né à Leyde en 1611 ou 1612 et avait eu, lui, pour père, Jean van de Velde le calligraphe anversois. Guillaume le Vieux eut pour fils Guillaume le Jeune, le plus célèbre de cette dynastie des Van de Velde, et Adrien, un autre artiste méritant dont nous avons -déjà parlé plus haut. L'âge d'or de l'École hollandaise. 139 Guillaume le Vieux entra au service de l'amirauté à Amsterdam comme Kond- schapper (informateur ; nous dirions aujourd'hui reporter) et en cette qualité il accompagna les flottes de guerre. Il commença par ajouter des croquis et autres documents graphiques aux rapports qu'il envoyait à la suite de ses missions ; plus tard il exécuta de grands dessins très poussés d'après ces esquisses sommaires. Vers 1673 il se fixa à Londres et il entra au service de la marine anglaise. Son fils, Guillaume van de Velde le Jeune, naquit à Amsterdam en 1633 et reçut les premières leçons de son père, ensuite celles du très distingué mariniste Simon de Vlieger. Lorsque son père émigra en Angleterre il l'accompagna et ils travaillèrent ensemble à Londres, le père dessinant des navires de guerre, le fils peignant d'imposants trois- mâts et aussi des bateaux de moindre importance. Le père travaillait pour l'histoire, le fils plutôt pour la fantaisie. Le meilleur lot fut évidem- ment celui du second. I^e Rijksmuseum ne possède pas moins de seize toiles de Van de Velde le Jeune. Nous re- produisons celle intitulée le Coup de Canon (N° 149). Un grand navire de guerre, toutes voiles dehors et. vu du côté de la proue, vient de tirer un coup de canon. Des canots vont et viennent à force de rames. Plus loin est mouillé un trois-mâts. Quelques voiles fuient à l'horizon. Et c'est tout. Mais quelle im-. posante figure que ce géant des mers et combien ses voiles d'une éclatante blan- cheur se drapent avec grâce le long deson élégante mâture. Combien il se détache avec vigueur, aussi, sur le ciel saturé de fumée. Jean VAN DE Cappelle Guillaume van de Velde le Jeune. — Le Coupjde canon (Rijksmuseum). naquit à Amsterdam en 1624 ou 1625. A la profession paternelle, celle de teinturier qu'il exerça sa vie durant, il joignait celle de négociant en soieries. Il fait exception dans la légion des peintres faméliques et misérables de la Hollande. Il était riche, même richissime. A ses capitaux et à ses propriétés il joignait une fortune encore en curiosités de tous les genres et surtout en tableaux et en dessins de maîtres néerlandais. Il mourut à Amsterdam en 1679. Il n'eut pas de maître à proprement parler, mais des innombrables dessins laissés par Simon de Vlieger, on peut déduire que l'art de Jean van de Cappelle s'inspira de celui de ce De Vlieger. L'art de Jean van de Cappelle fut à la fois robuste et distingué. Il ne peignit pas comme Guillaume van de Velde des frégates impérieuses qui gouvernent l'Océan, mais des bâtiments de commerce, 140 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. grands et petits, qui parcourent les eaux d'une rade ou se croisent pacifiquement, prêtant ainsi à la masse des ondes l'agrément et le charme de l'activité humaine. Il ne néglige aucun élément d'intérêt ou de beauté dans ces scènes maritimes. Il s'entend à tirer parti des jeux de la lumière et des harmonies de la couleur comme les meilleurs maîtres hollandais dans d'autres genres. Il prodigue les teintes opulentes et les clartés magiques tout en restant fidèle à la vérité, cette grande inspiratrice de tout l'art de sa race et de son pays. Un de ses meilleurs tableaux représente des Bateaux sur le fleuve (N° 150) et se trouve à la National Gallery. Sur une vaste étendue d'eau, une manière de golfe ou d'estuaire, grouillent littéralement des chaloupes et des embarcations de toute sorte. D'autres bateaux 150. Jean van de Cappelle. —• Bateaux siir le fleuve (National Gallery). s'éloignent, voiles déployées. Deux canots à l'avant-plan sont chargés de passagers d'importance. Les formes élégantes de ces légers esquifs ou de ces bâtiments plus vastes se reflètent dans le miroir des ondes. Au bout de la perspective le ciel et l'eau tendent à se confondre dans le vague ; des nuages chaudement éclairés sont suspendus dans les hautes régions. La couleur n intervient guère dans la magie de ce tableau ; çà et là un pavillon ou un drapeau, plus loin les taches blanches des voiles, surtout le bleu du ciel. Tout y respire une vie frémissante : c est ce que 1 on pourrait appeler la marée haute de la lumière pénétrant, imprégnant toutes choses, mais c est aussi l'apogée de l'art participant de cette allégresse universelle et parve- nant encore à l'intensifier. L'ÉCOLE ITALIENNE. ^'EST en Italie que la peinture A'épanouit pour la première fois au milieu de l'Europe du moyen âge, et dans cette patrie de l'art c'est à Florence qu'elle fut portée à son apogée. Les précurseurs de l'art nouveau avaient paru dès le XIV® et même dès le XIII® siècle : Cimabue (1240—1302), encore raide et ligneux, soumis aux traditions des By- zantins, s'efforça toutefois de s'en affranchir et d'interpréter la vie; Giotto (1266?—1337) fit un pas de géant en animant ses personnages, en les dotant à la fois de mouvement et d'expression, en les groupant avec harmonie. On peut dire que l'art pour de vrai, l'art accompli, était né avec Giotto. L'aube du XV® siècle inaugure une nou- velle ère glorieuse pour la peinture en Italie. Ce pays jouissait à la fois d'une grande prospérité matérielle et d'une resplendissante floraison intel- lectuelle. Partout les esprits s'étaient affinés par l'étude de l'art et des lettres de Rome et de la Grèce ; la sculpture renaissait, la peinture atteignait à une perfection qu'elle n'avait jamais connue. Les premiers et les mieilleurs peintres parurent de nouveau à Florence. Sous le gouvernement des Médicis cette ville de\int le foyer d'une haute culture, un centre d'art tel qu'il n'en existait point de pareil au monde et d'où devaient rayonner les maîtres les plus illustres de la Renaissance. L'art y revêtit un caractère de suprême noblesse. Il com- mença par couvrir de fresques les parois des églises et des palais, et il puisa dans ces œuvres de vaste envergure et de conception idéale ce souci de beauté et cette pureté de sentiment qui en représentent la principale caractéristique. Les deux premiers représentants de cet art furent Masolino da Panicale (1383?—1447?) et Masaccio (1401—-1428?). Tous deux entreprirent la décoration des murs de la chapelle Brancacci, dans l'église de Santa Maria del Carmine à Florence, niais leur Masolino. — Adam et Eve dans le Paradis œuvre ne fut achevée que bien des années 151. Terrestre (Chapelle Brancacci, Santa Maria après par Filippino Lippi. Le fond de la chapelle et del Carmine, Florence). les deux parois latérales sont revêtues de ces pein- tures. Masolino avait commencé la tâche. Lorsqu'il partit vers 1425 pour la Hongrie, elle fut poursuivie par Masaccio. Masolino peignit entre autres Adam et Eve dans le Paradis terrestre (N° 151) sur le pilastre de droite; Masaccio est l'auteur du Denier de Saint Pierre (N° 152), 142 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. la principale composition ornant la paroi de gauche. Avec Masolino et surtout avec Masaccio l'art se réveille de sa léthargie gothique et renaît pour ainsi dire à la vie ; les corps reprennent leur forme, les mouvements retrouvent leur naturel ; l'attitude et l'expression recouvrent leur caractère humain. Giovanni da Fiesole ou Fra Angélico était un moine dominicain né en 1387, qui entra dès sa vingtième année au couvent de Fiesole près de Florence. Lorsque ce couvent fut fermé en 1409 il séjourna durant plusieurs années dans diverses cités, puis il revint à Florence en 1436. Une dizaine d'années après il fut appelé par le Pape à Rome où il demeura jusqu'à sa mort survenue en 1455- Partout où il a résidé il a laissé de ses œuvres ; mais la plupart se trouvent à Florence, notamment au couvent de Saint-Marc où il vécut quelque temps et dont il a décoré les corridors et les cellules de fresques délicieuses. Outre ces peintures murales et d'autres encore dont celles qui ornent deux chapelles du Vatican, il peignit aussi nombre de panneaux. Il est le peintre religieux par excellence, l'artiste innocent et ingénu, le doux visionnaire dont tout l'œuvre semble inspiré par une constante communion avec 152. Alasaccio. — Le Denier de Saint Pierre (Chapelle Brancacci, Santa IMaria del Carmine, Florence). les habitants du séjour céleste. Il les a vus et il les a interprétés avec plus de tendresse^^encore que d'adoration ; il les trouva encore meilleurs et plus beaux que majestueux ; il ne les a pas fait descendre sur la terre, mais il est allé les rejoindre au paradis dans leur atmosphère radieuse et leur éclat surnaturel. Aussi l'a-t-on appelé à juste titre 1'Angélico, le peintre angélique. Un de ses plus merveilleux panneaux est le Couronnement de Marie (N° 153) ayant appartenu au trésor de l'hôpital Santa Maria Novella d'où il fut transféré dans la Galerie des Offices. Le Christ et sa Mère apparaissent dans le ciel, soutenus par une légère bande de nuages d'où émergent des têtes de séraphins. Le Sauveur approche sa main du visage de Marie parée d'une riche couronne et entourée d'une radieuse auréole. Les deux person- nages divins dardent des rayons éblouissants vers le ciel et vers la terre. A droite et à gauche se pressent des anges musiciens dont quelques-uns embouchent des trompettes thébaines. Des deux côtés aussi défilent des saints et des saintes auréolés. Quatre anges agenouillés sur le sol balancent des encensoirs ou jouent du psaltérion. L'œuvre est datée d'avant le retour de 1 artiste à hlorence vers 1430 ; elle représente peut-être le plus achevé, le plus choyé de L'Ecole italienne. 143 ses délicats chefs-d'œuvre, la dernière expression, l'effusion suprême de cet art attendri. Jamais peintres n'ont paré les habitants du ciel de couleurs plus vives, d'ornements plus précieux, mais surtout de grâces plus touchantes, jamais candeur plus originale et modestie si immaculée ne furent empruntées au ciel. Le peintre traita plus d'une fois ce sujet. Le Louvre en possède aussi une adorable version. En 1435 les dominicains rentrèrent à Florence d'où ils avaient été bannis et réintégrèrent 1 année d'après dans leur vieux couvent de Saint-Marc démoli en majeure partie. En 1437 on en entreprit la reconstruction. On y travailla jusqu'en 1443. Avant qu'il fût complètement achevé 1 Angélico avait déjà commencé à l'orner de ses fresques. La plus importante de celles-ci est le Grand Crucifiement (N° 154), qui recouvre une des parois de la salle du chapitre et qui date de 1442 à 1443. Cette composition n'a jamais été achevée et elle a subi de fâcheuses 153. Fra Angélico. — Le Couronnement de la Vierge (Galerie des Offices, Florence). 144 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 154. Fra Angélico. —• Le grand Crucifiement (Couvent de Saint-Marc, Florence). restaurations, mais elle demeure néanmoins une des créations les plus belles et les plus saisis- sautes de l'Ecole italienne. Les trois croix se dressent à une grande hauteur sous le ciel ; le Sauveur est calme et résigné ; le bon larron le contemple avec sollicitude ; l'autre se détourne de lui. Au pied de la croix se tiennent la Vierge défaillante et soutenue par une sainte femme, Saint Jean et la Madeleine. A gauche figurent Saint Jean Baptiste, Saint Marc l'Evangéliste, vSaint Laurent, Cosme et Damiens, patrons des Médicis et protecteurs du couvent. A droite on voit Saint Dominique, les pères de l'Eglise, les fondateurs des principaux ordres religieux et d'autres saints. Dans le demi-cercle du cadre sont représentés les prophètes de l'Ancien Testament ; la bordure de dessous aligne les médaillons des plus célèbres dominicains. Le groupe- ment à la fois si naturel et si varié des personnages, la vérité de leur expression, leur profonde ferveur concourent à faire de cette peinture grandiose un chef-d'œuvre de piété mystique. Fra Filippo Lippi fut, quant à la vie et au caractère, l'antithèse absolue de Era Angélico. Il naquit à 1406 à Florence et dès son enfance il entra dans le couvent des Récollets. En 1456 il fut attaché comme aumônier à un couvent de religieuses. Il enleva l'une de ses ouailles, mais celle-ci fut forcée de retourner au bercail. S'étant sauvée une seconde fois elle fut autorisée à épouser son séducteur à qui elle avait donné déjà un fils, qui devait devenir le célèbre Filippino Lippi. Filippo mourut le 9 octobre 1469. Comme peintre il s'apparente beaucoup à l'Angelico. Lui aussi peignit de préférence les saints et la Madone ; la Vierge Immaculée ne compte même pas d'adorateur plus fervent que ce moine amoureux et défroqué. Mais dans les traits de Marie la beauté terrestre s'accorde avec la pureté céleste et le peintre rassemble autour d'elle des saints et des saintes dont il fait des parangons de beauté humaine en même temps qu'il leur prête l'expression des commensaux du paradis. Un des tableaux dans lesquels se manifeste le plus vivement l'influence de Fra Angélico est l Adoration de l'Enfant Jésus par Marie (N° 155) du Kaiser Friedrich Museum de Berlin. L Enfant gît tout nu sur le sol jonché de fleurs et de feuillage. La Vierge agenouillée devant L'Ecole italienne. 145 lui l'adore avec extase. Dieu le Père apparaît dans une gloire et le geste de ses bras étendus souligne encore son émoi paternel devant le spectacle de la faiblesse à son Fils s'est réduit laquelle pour l'amour des hommes. Saint Bernard contemple avec une profonde ferveur le Messie nouveau-né dont le petit Jean-Baptiste s'approche avec une charmante timidité. A la naïveté, au sentiment si intense et si ineffable qui règne dans toutes ces à la pureté qu'elles figures, respirent il faut ajouter la grâce et le charme du milieu et des accessoires : ce bocage taillé, semblerait-il, dans des pierreries, ces fleurs de couleurs encore vivantes et plus réjouies plus que dans la nature, cette vision dans le ciel s'ajoutant à la poésie qui s'exhale 155- Fra Filippo Lippi. — L'Adoration de l'Enfant Jésus par Marie (Kaiser Friedrich Museum, Berlin). 10 146 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. de la terre, autant d'éléments qui nous transportent dans un monde légendaire et surnaturel. le fait les person- Mais ce surnaturel, cet idéal se distingue de celui de Fra Angélico par que plus de l'humanité et de la vie réelle. Ce tableau Lippi participent provient nages de Filippo du palais Riccardi ou des Médicis à Florence. Le Musée de l'Académie de la de la chapelle ville en possède deux répliques. Le maître a traité le même sujet, mais d'une autre façon dans un tableau provenant Marie du palais de Cosme de Médicis et qui se trouve à présent aux Offices. Il a représenté adorant l'Enfant Jésus porté par des Les anges ont ces larges visages^ qui sont une des caractéristiques du peintre. La couleur pour ainsi dire monochrome fait presque songer à une grisaille. Mais rien de suave comme l'expression de la Mère et de l'Enfant, comme leurs traits noyés dans une indicible tendresse. Sandro Botticelli de son , vrai nom Alexandro Filipepi, naquit à Florence en 1446. Il entra d'abord en apprentissage chez un orfèvre. Dans la boutique de son maître il fit la connaissance de nombreux peintres, entre autres de Filippo Lippi, dont l'art exerça une vive attraction sur lui et chez qui il ne tarda pas à entrer comme élève. Lorsque son maître mourut, Sandro, âgé seulement de vingt-trois ans, était déjà un peintre renommé, que les églises et les particuliers comblaient de commandes. En 1481 le pape Sixte IV l'appela à Rome et le chargea d'orner les murs de la Chapelle Sixtine des fresques qu'on y admirç encore. Il y travailla sans doute durant trois ans, après quoi il retourna à Elorence où il mourut le 17 mai i5io- Marie adorant TFnfant Jésus porté Saudro Botticelli est uu artistç 156. Fra Filippo Lippi. — par des anges (Offices, Florence). prodigieux qui n'a été mis que depuis quelques années à son véritable rang parmi les créateurs d'art, mais dont la gloire proclamée par des admirateurs enthousiastes même éclipsé celle de plus d'un prince de la peinture exalté de tout temps. Et franche- aura ment ses mérites justifient ce culte et cet amour fanatique. Dans l'art de la Renaissance la peinture de Botticelli est à elle seule une floraison nouvelle. Elles nous paraît si fraîche, si primesautière, d'un sentiment si vif, d'une conception si originale, que le peintre se trouve un pour aussi dire symbolisé et résumé dans son chef-d'œuvre Le Printemps. Oui, c'est bien l'art. Comme renouveau, un printemps qu'il a fait sourire et chanter dans les domaines de L'École italienne. 147 ses contemporaines il a puisé ses sujets dans le monde surnaturel, il les a empruntés à la Bible mais aussi à l'humanité réelle qu'il se plaisait à symboliser, et encore à la Fable dont il retrouvait la begiuté hellénique et qu'il parvenait à rajeunir et à parer d'un charme nouveau. Il était Florentin, mais il subit aussi l'influence de Mantegna, le Padouan, le grand adorateur de l'antiquité classique. Chez lui le peintre se doublait d'un penseur. Il avait été l'ami de l'illustre Dante pour les poèmes de qui il exécuta une splendide série de dessins. • UAdoration des Mages (N° 157) que les Médicis lui commandèrent pour l'église de Santa Maria Novella et qui se trouve actuellement aux Offices, passe pour un de ses plus nobles 157. Sandro Botticelli. — L'Adoration des Mages (Offices, Florence). tableaux religieux. La scène est tout autrement conçue qu'à l'ordinaire. Ce ne sont plus seulement les trois rois qui s'avancent avec leur caravane de serviteurs à cheval ou à dos de chameaux, mais une affluence considérable de visiteurs se presse sur deux rangs et parmi eux on reconnaît plusieurs membres de la famille des Médicis. Ni leur attitude, ni leur physionomie n'accusent non plus une humble adoration devant l'Enfant-Dieu. Non, ils se sont empressés d'accourir pour assister à un spectacle pittoresque, dont les souverains exotiques aussi bien que les princes occidentaux aux corps bronzés et imposants et aux somptueux vetements font autant les frais que le Messie et sa Mère. L'ensemble et l'harmonie de ces couleurs chatoyantes est un véritable régal pour les yeux. La compositon aussi s'écarte de Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 148 à d'un vaste bâtiment en ruines toutes les versions connnues ; la Sainte Famille reléguée l'étage ne semble y jouer qu'un rôle accessoire. allégoriques et mythologiques qui témoignent du Mais ce sont surtout ses tableaux génie poétique de Botticelli. Parmi ceux-ci brille surtout la Naissance de Vénus (N° 158) sur une vaste vient d'aborder du Musée des Offices. La déesse de l'Amour, debout coquille, Une femme rivage. Deux aquilons ont poussé son esquif de leur souffle puissant. jeune au fleurs éclatantes, débouche en sautillant d'un buisson de lauriers en robe blanche brodée de brodée de fleurs. Une pluie de roses s'abat de toutes et tend à la déesse une tunique également la parts. Le sujet a beau être emprunté à poésie grecque et même l'image de Vénus à h sculpture antique, les formes élancées, la vie juvénile des personnages trahit une conception Ce tableau toute moderne, un sentiment de la beauté plus délicat que celui des Anciens. provient de la villa des Médicis à Castelló. Sandro Botticelli. — 158. La Naissance de Vénus (Offices, Florence). Mais la plus renommée des œuvres de Botticelli et peut-être parmi tous les tableaux de temps la sensation la plus profonde dans le monde célèbres, celle qui a produit notre artistique, celle qui a manifestement exercé la plus grande influence sur l'art moderne, est le Printemps (N° 159) appartenant à l'Académie de Florence et provenant aussi de la villa des Médicis à Castelló. Vieille de quatre siècles et demi cette œuvre demeure esthétiquement la plus jeune de toutes celles enfantées par la peinture. Le Printemps, une jeune femme douce- ment méditative et au geste discret, s'avance au milieu du tableau. Au-dessus de lui plane l'Amour dirigeant ses flèches vers la jeunesse personnifiée trois vierges vêtues de gaze trans- par et qui dansent en se tenant par la main. De l'autre côté se présente la vierge des parente fleurs dont les doigts répandent des roses et qui s'est gracieusement parée d'une partie de ses trésors embaumés. A gauche un jeune seigneur dépouille un oranger de ses fruits ; à droite L'École italienne. un esprit malin ravit une jeune fille. Toutes ces femmes exhalent la fraîcheur d'une aube printanière; le frisson de la joie de vivre les parcourt et elles demeurent pourtant ingénues et pures comme la lumière primordiale. Toutes ont la même taille élancée, le même visage, si particulièrent allongé, les grands yeux écartés, le même menton pointu. Leur cou se ploie avec une grâce provocante. La généreuse fantaisie de l'artiste ne se déploie pas seulement dans ces superbes formes féminines, maiâ elle règne aussi dans tout leur entourage. Ces bosquets d'orangers, ces pelouses fleuries chantent la joie de la vie nouvelle, les bienfaits de la luxuriante nature. Filippino Lippi, fils de Filippo Lippi, naquit à Prato en 1447. Il n'avait qu'un an à la mort de son père, de sorte que celui-ci ne put diriger ses études. En mourant Filippo recom- manda son fils à son ami et collaborateur Fra Dia- mante, qui se chargea de l'éducation de Tentant et lui servit de maître. Par la suite Filippino prit les œuvres de son père pour modèle, de sorte qu'il est plutôt ledisciple de Filippo que d'un autre artiste. Il travailla un certain temps à Rome et il avait 54 ans quand il mourut le 13 avril 1504 à Florence. II fut un des représentants les plus éminents de l'art florentin parvenu à sa maturité ; de cet art qui joignait la force créatrice à l'observation de la na- ture, qui étudiait sérieuse- ment l'homme dans sa forme et dans son moral, et qui représentait ses 160. Filippino Lippi. •—■ L'Adoration des Mages (Offices, Florence), gestes en des groupes harmonieux pleins de vérité et de vie dramatique. Son Adoration des Mages (N° 160) des Offices, peint en 1406 pour l'église de San Donato hegli Scopetani près de Florence, appartient aux meilleures productions de sa dernière manière. Marie, avec l'Enfant sur ses genoux, est assise sur une légère élévation. Saint Joseph se tient penché derrière elle, les rois mages s'agenouillent devant le Messie. Leur escorte se presse à droite et à gauche. A Tarrière-plan règne un site montagneux. L'étable est représentée par un auvent délabré, soutenu d'un côté par un tronc d'arbre, de l'autre par un pan de mur. La composition est plus animée que celle du tableau analogue de Botticelli, mais la conception est la même en grande partie. Dans la suite des rois on remarque aussi nombre de contemporains de distinction, entre autres Pierre Erançois de Médicis l'Ancien, déguisé 152 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. en astrologue. Le tableau porte cette inscription: Filippus me pinxit de Lipis Florenticius addi 29 marzo 1496 (Filippino Lippi de Florence me peignit aujourd'hui 29 Mars 1496). Lorsqu'on 1493 notre peintre s'en revint de Rome à Florence, il s'attela pour de bon à ses fresques de la chapelle des Strozzi, dans Santa Maria Novella, qui lui avaient été corn- mandées dès 1487, mais qu'il n'acheva qu'en 1502. L'une des parois est consacrée à la vie de Saint Jean l'Evangéliste, l'autre à celle de l'apôtre Saint Philippe. De la vie du premier le peintre a notamment traité l'épisode de Dnisiana (N° 161). Le groupe principal se recommande par un mélange de simplicité et de grandeur : le geste de l'apôtre respire la volonté et la foi, l'expression de la ressUscitée est partagée entre la surprise et la confiance. Mais ce qui concourt surtout à communiquer une vie saisissante à ce tableau ce sont les sentiments divers de la foule ; tandis que les femmes demeurent comme pétrifiées, ne parvenant pas à détacher leurs regards de ce prodige, la panique s'est emparée des hommes et les enfants terrifiés s'accrochent à leurs mères et se cachent derrière leurs jupes. Les personnages, surtout les femmes, témoignent du souci de beauté de l'ar- tiste ; les magnifiques architectures du fond attestent sa prédilection pour les milieux très décoratifs ; enfin l'abon- dance des motifs d'orne- ment sur ces édifices est le fruit des études d'après les antiques qu'il avait faites à Rome et son pen- chant pour les grotesques qu'il avait appris à con- naître dans la Ville 161. Filippino Lippi. — Saint Jean ressuscitant Drusiana (Chapelle Strozzi, Etemelle. Santa Maria Novella, Florence). BeNOZZO GoZ- zoLi. A côté de la grande voie suivie par l'Ecole florentine au cours de son développement, quelques artistes de solide valeur quoique non des plus grands, poursuivent leur propre chemin. Tel est Benozzo Gozzoli qui avait travaillé sous la direction de Fra Angélico et qui peut être consideré comme l'élève de ce maître. Il naquit en 1420 et mourut en 1498. Il exerça son art à Orvieto, puis à Montefalco, à Florence, à San Gimianno et à Pise, où il exécuta de nombreuses fresques et quelques peintures sur panneaux. Il hérita quelque peu de la ferveur, de la pureté, du mysticisme radieux de son maître ; il conserve encore la sérénité, la forme simple, la facture paisible de l'école précédente, qualités répudiées par les Florentins des générations suivantes. Dans le palais Riccardi, l'ancienne résidence des Médicis, construit sous Cosme l'Ancien par Michelozzo, Gozzoli a orné la chapelle de fresques représentant le Voyage des Rois Mages (N° 162) et un groupe d'anges. La première est une œuvre magnifique, peut-être la mieux conservée et une des plus belles fresques de l'Italie. Sous prétexte de nous représenter L'École italienne. i 5 3 162. Benozzo Gozzoli. — Le voyage des Rois Mages (Palais Riccardi, Florence). 163. Benozzo Gozzoli. — Les Vendanges ou l'Ivresse de Noé (Campo Santo, Pise). 154 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. les Rois mages et leur suite dans leur pèlerinage à Bethléem le peintre nous retrace une cavalcade de gentilshommes florentins parcourant les montagnes de la Toscane et suivant un chemin à lacets tracé à travers les roches, de manière à nous montrer ces cavaliers aux divers étages de ces montagnes. Il ne s'agit plus d'un groupe réduit de Monarques orientaux venant rendre leurs hommages à l'Enfant-Dieu, mais d'un cortège imposant de grands seigneurs partant pour la chasse ou toute autre partie de plaisir dans un équipage et avec un attirail des plus pompeux. Ils sont accompagnés de leurs pages en riche livrée, de leurs chevaux caparaçonnés, de leurs lévriers et de leurs faucons, voire de chariots lourdement chargés de vivres et, pour leur prêter un peu de couleur orientale, quelques chameaux se mêlent à la d'éléments caravane. Le tout se déroule joyeusement et forme un ravissant mélange mondains et religieux. C'est le triomphe de la fresque, une œuvre de jeunesse, de gaieté et de séduc- tion. Les fresques de Benozzo Gozzoli sur le mur du nord du Campo Santo de Pise comptent aussi parmi ses ouvrages capitaux. Exécutées de 1469 à 1485 elles comportent une vingtaine d'épi- sodes de l'Ancien Testament, traités sur une vaste échelle. La plus remarquable est peut-être les Vendanges ou l'Ivresse de Noé (N° 163). Elle représente trois actions différentes. A gauche se font les vendanges ; un garçon monté sur une échelle tend une corbeille de raisins qu'il vient de cueillir à une femme qui la reçoit les bras levés; une deuxième femme emporte la corbeille ; une troisième en verse le contenu dans le pres- soir où un homme est déjà en train de fouler le raisin. Noé assiste à la scène avec deux de ses petits- 164. Piero di Cosimo. — Marie avec six saints (Offices, Florence). fils. Au milieu le patriarche boit la délicieuse, mais perfide liqueur. A droite il gît ivre et tout nu sur le sol au grand scandale de sa progéniture. La scène se passe dans les jardins et les vignobles dépendant d'un somptueux palazzo. La luxuriance du les paysage et l'opulence de l'architecture révèlent de nouveau le goût du peintre pour milieux décoratifs. Les enfants effrayés par les aboiements d'un chien, témoignent d'autre part de son esprit d'observation et du réalisme qu'il apporte dans ses interprétations de la Bible. En outre les superbes figures du garçon faisant la cueillette et des femmes prenant et portant la corbeille, celles du vendangeur dans le pressoir et des enfants du patriarche révèlent aussi son amour des beaux corps et des nobles gestes. Piero di Lorenzo, plus connu sous le nom Piero di Cosimo d'après le nom de son maître Cosimo Rosselli, naquit en 1462 et mourut en 1521. Dans ses tableaux religieux il subit L'École italienne. l'influence de Filippino Lippi, mais son tempérament sensuel et enjoué le portait plus vers les scènes mythologiques dans lesquelles il donnait libre cours à son aimable et poétique fantaisie. On tient sa Marie avec six Saints (N° 164) du Musée des Offices pour son chef-d'œuvre. Marie se tient au milieu d.un paysage accidenté et fantastique, debout sur un piédestal orné d'un bas-relief représentant la Visitation. Elle lève les yeux en extase vers le Saint Esprit, qui descend sur elle. De chaque côté sont deux saints debout et une sainte agenouillée. L'exal- tation de la Vierge est admirablement rendue. Ce n'est pas seulement son esprit, mais son corps même qui s'exalte vers la divinité. Les deux femmes agenouillées et deux des saints contemplent la Vierge avec ferveur. Toute autre est l'expres- sion des deux autres saints qui paraissent se préoccuper beau- coup plus du spectateur que du prodige. Tous les personnages accusent d'ailleurs un caractère plus profane et plus matériel que dans les tableaux religieux anté- rieurs. La couleur y est plus vigoureuse et les ombres plus foncées. Les frères Antonio et PiERO Pollaj uolo dont le premier naquit à Elorence en 1429 et mourut à Rome en 1498, et dont le second naquit aussi à Elorence en 1433 et mourut en 1496 à Rome, se rattachent aussi aux peintres religieux, mais ils appor- tent dans ce genre une plus grande science anatomique et aussi plus de vérité. De Piero Pollajuolo le chœur de la collégiale de San Gimignano possède un Couronnement de la Vierge (N°165) d un style très original. La profondeur de sentiment des saints, les veux levés au ciel ' , . 165. Piero — Le Couronnement de la , 3- eint ^ Pollajuolo. Vierge (Eglise au pathétique, Le groupe collégiale de San Gimignano). principal n'exprime pas une ferveur moindre. Les anges musiciens qui se pressent des deux côtés de Marie et du Sauveur sont aussi fort intéressants de mouvements et de physionomie. La passion l'emporte encore sur la beauté. Un frisson dramatique parcourt l'ensemble et embrase tous les personnages. Lorenzo di Credi, né en 1459, décédé en 1537, élève d'André Verocchio, était un peintre délicieux qui rompit avec la ferveur des autres peintres religieux pour faire ressortir davantage les charmes physiques de ses habitants des Cieux. Dans sa Nativité (N° 166) de 1 Académie de Florence, les deux anges contemplant l'Enfant nouveau né avec une tendresse toute fraternelle, sont ravissants de jeunesse et de beauté. Saint Joseph agenouillé, lance un regard attendri au frêle nourrisson qui semble réclamer les soins de sa mère. Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Une petite scène de la vie réelle sans préjudice toute- fois d'un profond sentiment religieux. domenico ghirlax- daj o naquit en 1449 et mourut le II janvier 1494. Il ne vécut donc que 45 ans. La plus ancienne de ses œuvres con- nues date de 1480, c'est-à-dire de sa 31® année. Il n'est pas probable qu'il ait produit une œuvre d'importance avant cette époque. Il ne travailla donc que durant une quin- zaine d'années, mais elles lui suffirent pour se livrer à une production considérable. Ses fresques sont aussi nom- breuses que puissantes. Il en a orné le palais municipal et les églises de Florence, sa ville 166. Lorenzo di Credi. — La Nativité du Christ (Académie, Florence). natale ' Ognl Santi 1 Santa Croce, Santa Trinita, Santa Maria Novella ; la collégiale de San Gimignano, la chapelle 167. Domenico Ghirlandajo. — La Nativité de la Vierge (Santa Maria Novella, Florence). r L'Ecole italienne. Sixtine du Vatican. Certaines de ses fresques couvrent une chapelle entière. Ses peintures sur panneaux ne sont pas moins nombreuses. Avec lui l'école de peinture florentine arrive à sa pleine maturité. Il s'affirme le grand narrateur qui déroule toute la vie humaine dans ses épisodes de la Bible. Il nous montre une humanité radieuse et saine au milieu de campagnes florissantes et d'édifices imposants. Il étudie chaque figure prise en elle-même, il lui assure son caractère et sa grâce propres ; mais il s'entend admirablement aussi à grouper de nombreux personnages. Il prend plaisir à ordonner les mouvements et les attitudes d'une foule calme et imposante. Il chérit l'humanité et il la présente sous ses dehors aimables et sédui- sauts sans toutefois tomber dans l'exagéra- tion. Les fresques ont beaucoup" perdu de leur couleur, mais ses pan- neaux prodiguent encore les tons délicats et cha- toyants qui s'harmo- nisent merveilleusement avec les mouvements rythmiques de ses nobles figures. Les fresques les plus importantes et les plus renommées de Ghir- landajo sont celles du chœur de Santa Maria Novella. Elles lui furent commandées par Gio- vanni Tornabuoni. Il y travailla quatre ans et les termina en 1490. Chacune des parois de la chapelle comporte trois rangs de six pein- tures avec un septième sujet revêtant les ogives du haut. A gauche s'étale oire de Marie, a Domenico droite Ghirlandajo. — L'Adoration des Mages (Santa Maria celle de Saint Jean degli Innocenti, Florence). Baptiste. Nous reprodui- sons 1 un des épisodes de l'histoire de Marie : la Nativité de la Vierge (N° 167). L'événement se passe dans un palais d'une magnifique ornementation architectonique. Sainte Anne se relève a moitié dans son lit au fond de la salle. A l'avant-plan se joue la scène principale, qui ne diffère point de ce qui se produit dans la vie quotidienne. L'enfant nouveau-né repose dans le giron de la sage-femme ; une servante verse de l'eau dans un bassin pour le laver, un groupe de dames vient visiter l'accouchée ; tout cela à la fois très simple et très imposant. Ces femmes respirent une grâce majestueuse et pourtant naturelle ; une beauté 158 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. La peinture fut certainement exécutée en tons clairs, mais elle imposante. s'est assombrie, encrassée et effritée ; toutefois l'élégance et l'aristocratie en sont demeurées inaltérées. Un des plus importants panneaux de Ghirlandajo est l'Adoration des Mages (N° 168) peignit 1488 l'église de Santa Maria degli Innocenti à Florence, où il qu'il se en pour trouve encore. La scène se passe dans un pavillon ouvert à tous les vents dont le toit délabré est soutenu par quatre pilastres. Les anges descendus sur ce toit entonnent le ,,Gloria in Fxcelsis". Deux des mages sont agenouillés devant Marie, le troisième lui présente un calice. A côté des rois. Saint Jean-Baptiste et Saint Jean l'Fvangéliste agenouillés recommandent chacun un enfant innocent à la Vierge. Dans le fond on découvre la suite des rois et un paysage encaissé entre les montagnes où est représenté le massacre des Innocents. La scène est plus animée que dans 169. Gentile da Fabriano. — L'Adoration des Mages (Académie, Florence). la Nativité de Marie et dans les fresques en général, mais elle est marquée aussi à ce cachet de beauté sereine, de distinction souveraine, de formes irréprochables, qui caractérise tout l'œuvre du maître. Tandis que, durant la première moitié du XV® siècle, Florence voyait son art parvenir à sa maturité et s'enrichir continuellement d'œuvres de plus en plus parfaites, la pein- ture florissait aussi dans les autres contrées de l'Italie et elle y rencontrait des adeptes qui, sans procurer à leurs berceaux respectifs une renommée aussi resplendissante que celle de la cité des Médicis, se créèrent pourtant un nom fameux dans l'histoire de l'art. Ainsi à l'Est de Florence, l'Ombrie vit naître de bonne heure des maîtres de haute valeur. Le plus ancien. Gentile da Fabriano, né dans la ville de ce nom à une époque non L'École italienne. 159 encore précisée et dont on ne sait, non plus, quand il mourut, fut admis en 1422 dans la con- frérie des peintres de Florence, travailla en 1425 à Orvieto, fut appelé en 1426 à Rome par le pape Martin V pour y décorer de fresques l'église de Saint Jean de Zabran. On sait en outre qu'il travailla à Brescia, au Palais des Doges à Venise et à Sienne. Ses figures exhalent encore une naïveté puérile ; elles se pressent les unes contre les autres sans le moindre souci d'ordon- nance ; mais en revanche leurs physionomies expriment un sentiment intense et la simplicité même de leurs gestes ne manque point de séduction. Une de ses œuvres caracr téristiques est V Adoration des Mages (N° 169), qu'il peignit en 1423 pour l'église de la Trinité à Florence et qui lui fut commandé par Pablo Strozzi. Aujourd'hui cette œuvre se trouve à l'Aca- démie. Le tableau est divisé en trois arcs. Dans le haut on aper- çoit la suite des mmges dévalant des flancs montagneux. A l'avant- plan la Sainte Famille est groupée devant la masure dans laquelle Jésus vit le jour. Les trois mages portent des vêtements chargés d'une profusion d'ornements et d'un aspect fantastique. Leur escorte se presse derrière eux dans un certain désordre : officiers, serviteurs et chevaux confondus. Quelques détails de la scène sem- blent pris sur le vif ; par exemple l'action du domestique en train de dénouer la courroie des éperons de son maître. La vérité, le naturel et la liberté des mouvements se font déjà jour à travers la con- trainte des traditions. L'art se réveille et se fait plus humain. Toutefois rœuvre porte encore maintes traces d'une touchante naïveté. Ainsi le plus jeune des mages engoncé et étriqué dans un costume surchargé de broderies 170. Niccolo da Foligno. — L'Annonciation (Pinacothèque, Pérouse). rappelle les mannequins dessinés par des enfants. Le costume oriental des deux autres souverains évoque aussi les merveilles des Mille et une Nuits. Niccolo da Foligno illustra la même contrée que le précédent. On ignore la date de sa naissance, mais on a de lui des œuvres peintes en 1458 et on sait qu'il mourut en 1502. Il peignit surtout de grands tableaux d'autel divisés en plusieurs compartiments et conçus dans Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. le mode primitif, avec de l'or abondamment mélangé aux couleurs, notamment dans les théories de saints personnages. Ses figures encore gourmées valent par un sentiment intime. En 1466 il peignit un étendard pour la confrérie de l'Annunziata, œuvre d'art qui se trouve aujourd'hui dans la Pinacothèque de Pérouse et qui représente VAnnonciation (N° 170). L'étendard est partagé dans le haut en trois compartiments. Celui du milieu représente l'archange visitant la Vierge. En dessous les confrères sont présentés à Marie par Saint Erançois d'Assises et Sainte Claire. Dans le haut Dieu le Père entouré d'anges en adoration et le Saint-Esprit descendant vers la Vierge. La composition et la facture sont des plus simples mais encore une fois l'expression est intime et touchante, les anges d'une grâce ineffable. Melozzo da Eorli ou Melozzo degli Ambrosio de son nom de famille, naquit en 1438 et mourut en 1496 dans la ville susdite où s'écoula une grande partie de sa carrière. Il travailla aussi à Rome et à Montefeltre. Les tableaux qu'il peignit à Rome où il travailla durant des années pour Sixte IV sont les plus renommés, et le plus important de ceux-ci est V Aseen- sion que le cardinal Pietro Riario lui commanda pour la tribune de l'église des Saints Apôtres. Cette peinture murale fut malheureuse- ment détruite en 1711 lors de la reconstruction du chœur et il n'en demeure plus que quelques figures : le Christ transféré au Quirinal, trois têtes d'apôtres et les onze anges musiciens, peints en demi-figure de la sacristie de Saint Pierre. Ces anges comptent même parmi les plus délicieuses figures célestes de l'Ecole ita- lienne. Ces visages à jla ffois animés par le génie de la musique 171. ^lelozzo da Forli. — Un ange jouant du violon (Sacristie et par 1 adoratiou pOUr le Crea- de Saint-Pierre, Rome). teur, représentent des créations idéales. Le plus merveilleux de ces élus est peut-être l 'Ange jouant du violon (N° 171). Une autre de ses fresques, exécutée pour Sixte IV, fut transportée par la suite sur la toile et se trouve à présent dans la Pinacothèque du Vatican. Elle commémore l'édification de la Bibliothèque du Vatican et représente Sixte IV recevant le bibliothécaire Platuna (N° 172). Le souverain pontife siège dans une salle magnifique soutenue par des piliers ; le bibliothé- caire s'agenouille devant lui. Le Saint Père est flanqué de ses deux neveux les cardinaux Riario et Rovère. Girolamo Riario et Giovanni délia Rovero se tiennent derrière le bibliothécaire. L'action et la composition ne présentent rien de remarquable, mais les personnages sont pleins MANTEGNA. ,,Saint Sébastien." (Musée Impérial, Vienne.) L'École italienne. de vie et d'un dessin bien ressenti; le coloris est prestigieux et l'ensemble des plus imposant. Un des principaux artistes de l'Ecole de l'Ombrie, qui florissait dans la seconde moitié du XV® et au commencement du XVI® siècle, est Luca Signorelli qui naquit à Cortone en 1441 et y mourut en 1525. Comme Melozzo da Forli il était élève de Piero degli Franceschi, de Borgo San Sepolcro, petite ville voisine. Il fit son apprentissage à Florence où il subit l'influence des maîtres, ensuite il vécut à Rome, de 1482 à 1484, où il brossa une fresque pour la Chapelle Sixtine ; plus tard, en 1498, il peignit la légende de Saint Benoît pour le couvent de Mont'Oliveto et l'année d'après il mit la main à son grandiose Jugement Dernier, peint sur les murs de la chapelle de la Vierge dans l'église d'Orvieto, et auquel il travailla durant cinq années consécutives. Dans ces vastes œuvres il se révèle un créateur audacieux, un précur- seur de Michel-Ange en ce qui con- cerne la représentation des drames violents et le mouvement des corps humains dont il étudiait la nudité avec prédilection, qu'il montrait dans les attitudes les plus variées et engagés dans les actions les plus effrénées. La Madone entourée des Saints (N° 173) peinte pour l'église de la Trinité à Cortone, et qui se trouve aujourd'hui à l'Académie de Flo- rence, compte parmi ses meilleurs tableaux religieux. La Vierge trône au milieu avec l'Fnfant sur les genoux ; Saint Augustin et Saint Athanase sont assis à ses pieds. A ses côtés se tiennent les archanges Gabriel et Michel. Les deux pères de l'église, en somptueux costumes sacerdotaux, sont d'imposantes et nobles figures, tandis que les anges Melozzo da Forli. — Sixte IV recevont le bibliothécaire incarnent la beaute classique la plus Platuna (Musée du Vatican, Rome). pure et la plus idéale. Fn somme cest une œuvre d'un art à la fois puissant et délicat. Dans ses panneaux aussi il manifeste son penchant pour le nu ; par exemple dans son Pan parmi les Bergers du Musée de Berlin (N° 174). Pan, le Dieu de la Nature et l'inven- teur de la Musique, se tient debout, en plein air, sur un quartier de roc. Autour de lui divers personnages l'écoutent et prennent de lui une leçon de musique. Une jeune femme et un jeune homme s'appliquent même à jouer de la flûte comme lui ; un autre jeune homme etendu sur le sol embouche aussi son instrument. Parmi les auditeurs deux vieux bergers semblent pris sur le vif. Deux femmes encore se montrent dans le fond du tableau. Chaque figure prise à part est d'une beauté ravissante et le peintre semble avoir tenu 102 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. beauté qu'à une scène et un ensemble bien plutôt à faire ressortir cette composer ordonnés.. Ce tableau fut probablement peint pour Laurent de Médicis. dit le Perugin de Pérouse, clief-lieu de sa contrée Pietro Vanucci, natale, naquit , à Citta délia Pieve en 1446 et mourut à Fontignano, près de Pérouse, en 1523. Il fit ses- datant de études à Pérouse et à Florence. Les fresques du palais Municipal de Pérouse, I475^ murales, dans une chapelle à Cerqueto, sont ses plus anciennes œuvres et d'autres peintures connues. Il contribua ensuite à la décoration de la Chapelle Sixtine à Rome. En 1482 il orna de sa vie s'écoula dans une des salles du Palazzo Vecchio de Florence. La plus grande partie dernière ville, mais il visita nombre d'autres cités de l'Italie. En cette 1494 se trouvait à Venise, et à partir de cette époque il se voua principalement à la peinture sur panneaux. Il mais aussi fournit abondamment les églises, les couvents et les palais de tableaux religieux, de compositions allégoriques ou historiques. Il fut un artiste d'une haute valeur et d'une manière originale et person- Les saints plongés dans l'extase ou dans l'adoration semblent avoir été surpris au cours même de leurs médita- tions et de leurs rêveries, leur douceur et leur grâce rappel- lent celles des femmes et des,' enfants et ce sentiment est renforcé encore par la délica- tesse et la finesse du coloris ' Huelle.ainsi que par l'élégance et l'agrément des lignes. L'ab- sence de tous accessoires pro- fanes achève le plus souvent de leur prêter une essence vraiment céleste et visionnaire, une pureté et une sainteté toutes particulières. Deux des trois tableaux de la National Gallery à Lon- dres sont considérés comme des chefs-d'œuvre de sa pein- ture sur panneaux. Dans le premier, Marie avec deux Saints représentée debout sur un piédestal, tandis que deux anges suspendent une couronne au-dessus de sa tête. A droite gauche Saint Jérôme. Ce peintre en 1507 par une disposi- tion testamentaire de Giovanni 173. Luca Signorelli. — Madone entourée des Saints (Académie, Florence). Schiavone, maître charpentier L'École italienne. à Perouse, et exécuté ladite année, il fut placé sur l'autel de la chapelle de la famille à Santa Maria Nuova dei Servi. L'autre tableau est un triptyque dont le panneau central représente Notre Dame adorant l'Enfant, i le \'olet de droite VAr- change Gabriel et Tohie et celui de gauche V Ar- change Michel (N° 176). Cette œuvre fut peinte pour l'église de la Char- treuse de Pavie. Trois autres sujets décorent encore le maître autel 174. Luca Signorelli. — Pan parmi les bergers (Kaiser Friedrich Museum, Berlin). de ladite église ; Dieu le Père, l'Annonciation et l'Ar- change Gabriel. Le Pérugin compta plusieurs artistes fameux parmi ses élèves, à commencer par Raphaël dont nous parlerons longuement plus loin ; puis Lo Spagna et bien d'autres encore. Ptnturicchio qui s'appe- lait Bernardo Betti de son nom de famille et que l'on compte à tort parmi les élèves du Pérugin, naquit à Pérouse, probablement en 1454 et mourut à Sienne en 1513. Il exécuta de nombreuses œuvres pour les églises et le Vatican à Rome. De 1501 à 1508 il peignit son œuvre principale, ornant la libraría ou la bibliothèque de la cathédrale de Sienne. Entre temps il fournissait encore maints travaux à des élgises et des couvents d'autres villes de la Toscane et de l'Ombrie. Son talent est surtout d'essence déco- rative, aussi ce sont ses fresques qui lui ont valu le plus de célébrité. La. distinction et l'élégance un peu ï75- Le Pérugin. - Marie avec deux Saints (National Galler}-, Londres). recherchées de ses groupes rappellent 164 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. du Pérugin, mais il est moins religieux, voire moins profond, et il excelle dans la manière le faste et les compositions profanes dont il s'assimile le luxe brillant, l'apparat. Les grandes compositions qu'il exécuta pour la bibliothèque précitée, et qui comptent encore ceci de particulier parmi les fresques les plus remarquables de 1 Italie, présentent a 1 histoire qu'à la différence de la plupart des peintures de ce genre elles sont consacrées moderne. Elles lui furent commandées par le cardinal Francesco Piccolomini, plus tard le avait fait la connaissance à Rome. Le cardinal tenait à élever à l'illustre Pape Pie III, dont il Pie II, oncle, dans leur ville natale à tous deux, un monument digne de cette grande pape son l'artiste à il en confia l'exé- mémoire. Son projet fut aussi heureux que le choix de qui la cathédrale de Sienne un cution. En 1495 il fit ajouter au bas-côté de gauche de superbe Les de cette édifice destiné à recevoir les précieux antiphonaires de cette église. parois bibliothèque sont ornées de dix fresques représentant des scènes de la vie d Enee Sylvius 176. Le Pérugin. — Marie adorant l'Enfant Jésus (National Gallery, Londres). Piccolomini de Pienza, pape sous le nom. de Pie II ; la fresque reproduite ci-dessous figure le couronnement comme poète du futur pontife par l'empereur Frédéric III, qui se l'était attaché en qualité de secrétaire (N° 177). Ce sujet, comme d'ailleurs tous les autres de la série, a fourni au peintre l'occasion de grouper des personnages décoratifs et richement vêtus, rappelant les premières figures de Raphaël, dans un milieu non moins somptueux et imposant. Les dix fresques sont encadrées de délicieux ornements dits grotesques et reliées les autres de charmantes figures d'enfants. Raphaël enfant ou adolescent est unes aux par représenté dans plusieurs de ces compositions, et il est mêm.e fort probable que ses pinceaux y ont collaboré. Plus au Nord-Est de l'Italie fleurirent encore deux autres écoles; celle de Padoue et celle de Venise. La première compte un maître de la plus haute valeur: André Mantegna. Il naquit en 1431 ^ Vicence non loin de Padoue. Le peintre Francesco Squarcione l'adopta r L'Ecole italienne. et en fit son élève. Il n'avait que dix-sept ans lorsqu'il peignit pour l'église Sainte-Sophie à Padoue un tableau d autel qui n'a malheureusement pas été conservé. Peu de temps après il orna de six fresques une chapelle de l'église des Eremitani. Durant les dix années qu'il passa encore à Padoue il exécuta nombre de peintures sur panneaux. En 1459 il se rendit à l'invitation du marquis de Mantoue, Louis III de Gonzague, qui l'appelait à sa cour et il y resta jusqu'à sa mort arrivée en 1505. Il ne s'était absenté de la cour de son mécène que deux années, de 1488 à 1490, qu'il passa à Rome. Au nombre des principaux ouvrages qu'il exécuta pour son maître figu- rent huit cartons représentant ¡1^ le Triomphe de Jules César, i A Rome il décora de fresques &hSlg||^^ une chapelle du Vatican qui ~i û fut démolie par la suite. wU-\|e^l Mantegna était un grand ^ Ji admirateur de l'antiquité dont ^ il étudia l'art avec ferveur et yP|¡pyll^* dont il s'assimila l'observation exacte du corps humain, le goût des nobles attitudes et des compositions élégantespour fondre ces qualités avec ses propres mérites. Il se montra coloriste aussi raffiné que dessinateur impeccable. Parmi les œuvres exécu- tées pour la cour de Mantoue, citons encore un petit trip- tyque datant à peu près de 1464 et destiné à la chapelle du palais, un bijou caressé et détaillé comme une miniature, peut-être le plus merveilleux travail de ce genre que nous a laissé l'Ecole italienne. Il se trouve aujourd'hui au Musée des Offices à Elorence. Le panneau central représente ^'Adoration des Mages, les volets la Résurrection et la 176. Pinturicchio. — Enée Sylvius couronné comme poète par l'empereur Circoncision Celle-ci Frédéric m (Bibliothèque de la (N° cathédrale de 178) Sienne). surtout est remarquable : Marie se présente dans le Temple accompagnée de deux femmes et d'un enfant. Le Grand Prêtre 1 accueille avec un geste de sollicitude paternelle; le jeune garçon aux côtés du pontife présente un plateau aux visiteurs. Saint Joseph porte un petit panier contenant deux pigeons. Impossible d'imaginer plus nobles figures de caractères et d'âges variés, drapées avec plus de naturel, d'élégance et de correction; impossible aussi d'imaginer décor plus riche et plus imposant que les parois et les arcades de ce temple servant de fond à la scène. Une merveille unique au monde ! Une des plus nobles et des plus avenantes figures encore 166 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. dues aux pinceaux de Mantegna est le Saint Georges de l'Aca- démie de Venise (N° 179). Le héros chrétien a moins l'air d'un saint que d'un jeune homme d'une beauté idéale, le visage illuminé par de saintes et sublimes rêveries. La guir- lande de fruits flottant au- dessus de sa tête représente comme l'allégorie de ses char- mes naturels. Il tient encore sa lance brisée et le dragon vaincu gît à ses pieds. Mantegna peignit aussi pour la marquise de Mantoue, Isabelle d'Esté, deux tableaux qui décoraient l'appartement de cette princesse dans l'an- tique palais de Mantoue avec un tableau du Pérugin et deux autres de Lorenzo Costa, aujourd'hui au Louvre, comme ceux de Mantegna. L'un des tableaux de celui-ci représente la Sagesse triomphant des Vices, l'autre le Parnasse (N° 180) peint vers 1497. Mars et Vénus se tiennent tendrement rappro- chés au sommet d'une roche arrondie en arcade. Vulcain débouche d'une grotte voisine. A droite du tableau se trouve Mercure tenant le chevalPégase par la bride ; à gauche Apollon joue de la lyre et préside à la danse des Neuf Sœurs. C'est certes une illustration ravis- santé de la montagne sacrée des poètes, mais Mantegna y aura vu bien plutôt la synthèse de ce monde antique et païen qu'il vénérait à un haut degré. Les habitants de ce monde jouissent d'une jeunesse, d'une 178. André ^lantegna. — La Circoncision (Musée des Offices, Florence). beauté, d'un bonheur éternels ) la nature aussi en est constam- ment radieuse et fleurie et les demeures des immortels sont autant de merveilles. Toutes les L'Ecole italienne. œuvres de Mantegna et celle-ci encore plus que les autres respirent la nostaglie, le regret ■ exprimé par le poète, de ce temps .... ou le ciel sur la terre Marchait et respirait dans un peuple de dieux. Ce tableau n'offre point la délicatesse miniaturiste de la Circoncision, mais les figures n'y sont pas moins attrayantes et la composition et les gestes en sont adorables. L'École de Padoue atteignit son apogée avec André Mantegna; elle mourut même avec lui. L'École de Venise, par contre, disputa le premier rang à celle de Florence. Elle fut aussi féconde que celle-ci et aucune autre n'a pu se réjouir d'une aussi longue durée. Venise même prit en Italie une place toute spéciale. Si tous les autres Etats de quelque importance tombèrent rapidement entre les mains de quelque vaillant condottiere ou d'un politique astucieux dont les descendants régnèrent sur le pays conquis, Venise resta jusqu'au début des temps modernes une république gouvernée par des membres • de familles éminents, qui étaient en même temps marchands, généraux et hommes d'Etat. Tandis que • dans les autres villes il y avait à la cour princière des hom- mes amis des lettres et des arts, dans celle-ci les goûts des familles aristocratiques s'adressaient plutôt à la politique, au commerce et aux conquêtes. C'est ainsi que naquit à l'extrémité de l'Adriatique et au seuil de l'Orient, dans un groupe de petites îles qui s'élèvent à peine à la surface de l'eau, un Etat riche par le commerce et puissant par la guerre, dont les principaux citoyens régnaient sur le peuple comme autant de petits princes •et de tyrans. Ces aristocrates se construisirent, sur les rives des canaux, des églises et des palais qui égalaient et souvent surpassaient en éclat ce qui s'élevait partout ailleurs. Bâtis dès les premiers temps du moyen âge dans un style particulier, ces édifices conservèrent à travers les siècles une originalité qui donnait à la ville un charme sans second. Son école de peinture était aussi toute parti- ■culière. De même que son architecture, elle commença Mantegna, - Saint Georges par avoir quelque chose de vieux byzantin avec un (Académie. Venise), éclat plus ou moins barbare ; bientôt cependant sa rudesse s'atténua, les formes se firent plus gracieuses, les couleurs plus douces, au point qu'elle devint enfin l'école du coloris par excellence. De même que, au Nord-Ouest de l'Europe, les Pays-Bas produisirent les grands maîtres des couleurs brillantes et de la chaude lumière, là-bas sur les basses plages du Sud-Est, vivait une race de peintres qui étaient coloristes avant tout ; leurs créations baignent dans la lumière dorée du soleil et leurs figures et leurs paysages jettent des taches d'un ton chaud et de magnifiques teintes douces sur un fond bistré. Les peintres vénitiens ont encore ceci de commun avec ceux des Pays-Bas qu ils ont une grande prédilection pour la reproduction de la réalité. Tandis que partout ailleurs 168 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Italie prédomine l'idéalisme, la glorification du beau et du sublime, chez les Vénitiens en grande place est donnée à la reproduction du réel, de l'homme tel qu'il est et se une dans la vie journalière. A côte de visions supraterrestres, ils reproduisent volontiers comporte ce qu'ils voient autour d'eux, non seulement dans la pleine lumière du jour, mais aussi sous les formes de la vie quotidienne. Les premières productions de valeur de l'École de Venise remontent à la première moitié du XV® siècle. Elles ne furent pas créées à Venise même, mais dans Murano, l'île voisine de la cité des Doges, qui donna meme son nom aux deux maîtres les plus iSoV André Mantegna. — Le Parnasse (Louvre, Paris). anciens de l'École : Jean et Antoine Vivarini, dits de Murano. Ceux-ci travaillèrent ensemble de 1440 à 1450 ; puis l'un d'eux, appelé aussi Jean l'Allemand, vint à disparaître, et à partir de 1451 Antoine travailla avec Barthélémy son autre frère. Ce dernier peignit seul de 1459 à 1490. Les peintures de ces fondateurs de l'École vénitienne consistent en tableaux d'autel que caractérisent la majesté sévère des personnages et la profusion des accessoires décoratifs. L'influence des maîtres padouans primitifs sur les Vivarini est visible. L'œuvre la plus importante d'Antoine et Barthélémy de Murano est une manière de poliptyque: Vierge et les Pères de l'Eglise (N° 181) datant de 1446 et qui se trouve à l'Académie de Venise. La Vierge est assise avec l'Enfant-Dieu sur un trône aux bras L'Ecole italienne. 171 ornés de figures sculptées. A droite et à gauche, séparés du sujet principal et les uns des autres par des encadrements très ornés, sont deux pères de l'Eglise. D'autres figures présentées à mi-corps s'alignent encadrées de même au-dessous, des premières. Le tout respire un caractère religieux austère et rigide ; sensible surtout dans l'expression de la Vierge contem- plant l'Enfant-Dieu et dans l'attitude solennelle des saints en leur superbe costume sacerdotal. L'art de Carlo Crivelli, élevé aussi à Murano sous l'influence des maîtres padouans, l'emporte peut-être sur celui des Vivarini. Il peignait de 1468 à 1494. Il n'est pas moins fruste, austère, gourmé, hiératique jusqu'à en paraître farouche, il pèche aussi par l'exagération de l'action dramatique ; mais en revanche ses figures d'enfants de la accessoires et ornements- du meilleur goût. La plupart de ■ ses 'chefs- d'œuvre sont à la National Gallery. Voici, notamment, un autre polip- tyque : la Vierge sur un trône avec douze saints (N° 182). L'original peint en 1476 se trouvait dans l'église Saint-Dominique à Ascoli. La rangée supérieure de saints y fut ajoutée par le prince Anatole Demidoff à qui le tableau appartenait en 1852 et qui le dota du magnifique cadre dans lequel on l'admire encore aujourd'hui. ,La rangée inférieure comporte cinq sujets : au milieu la Vierge tenant l'Enfant endormi ; à gauche Saint Pierre et Saint Domi- nique. La rangée au-dessus de celle-ci montre, à gauche l'apôtre Saint André et Saint Erançois d'Assises à droite Saint Etienne et Saint Thomas d'Aquin. Enfin dans la troisième rangée, celle ajoutée au tableau primitif, on voit, au milieu, l'archange Saint Michel et Sainte Lucie, Saint Jérôme à gauche et Carlo Crivelli. — sur un trône avec douze saints Saint Vierge Pierre àlartyr à droite. (National Gallery, Londres). Mais la Madone entre quatre Saints (N° 183) qui se trouve à la Bréra de Milan, est peut-être plus caractéristique encore quant au style de Crivelli et quant à la candeur enfantine et touchante de sa piété. L'enfant joue avec un oiseau ; à gauche sont Saint Pierre coiffé de la tiare et tenant les clefs et la crosse, et Saint Dominique, à droite les Saints Géminien et Pierre Alartyr. Autant la Vierge est rêveuse et attendrie, autant Saint Pierre se montre rébarbatif et revêche et autant de nouveau la physionomie de Saint Géminien respire la sympathie et la bonne grâce juvénile. Les couleurs sont vives et opulentes, les étoffes diaprées. Avec cet artiste nous demeurons toujours voués aux tons plats et durs des primitifs, même en nous rappelant 172 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. ce que nous ont montré les peintres des villes voisines ; ici nous avons recule d un pas, mais dans quelques teintes et nuances plus tendres, dans des traits moins appuyés nous voyons poindre l'ère des merveilles que nous réservera l'art vénitien tant sous le rapport de la couleur que des formes. Une autre famille d'artistes célèbres florissait à Venise, en même temps que les Vivarini : les Bellini. Jacobo avait été l'élève de Gentile Fabriano à l'époque où celui-ci vivait à Venise, c'est-à-dire vers 1425. Ses deux fils Gentile et Giovanni devaient le surpasser de beaucoup. Gentile Bellini naquit à Venise vers 1427 et il y mourut en 1507- l'élève de son père et de Mantegna, son beau-frère. En 1479 la République de Venise l'envoya à Constantinople, à la demande du Sultan Mahomet II, qui lui fit faire son portrait et celui des grands de sa cour. A Venise notre artiste peignit maint sujet puisé dans l'histoire ou dans les légendes des saints, épisodes qu'il représenta comme des scènes de la vie réelle qui se seraient passées dans sa ville natale. La facture de ses composi- tions se distingue par un profond respect de la nature et une richesse de coloris qui font de lui le plus ancien des réalistes italiens. Le Musée de l'Académie à Venise possède trois composi- tions de Gentile Bellini, provenant de la Soucia de San Giovanni Evan- gelista et se rapportant à la relique de la Sainte 183. Carlo Crivelli. — Madone entre quatre Saints (Bréra, Milan). Croix conservée danS cette Scuola. L'une des trois représente une Procession sur la Place Saint-Marc (N° 184), à la suite de la découverte miraculeuse d'un morceau de la vraie croix, tombé dans le Grand Canal. On transporte la relique en pompe à l'Eglise Saint-Marc. Nous ne reproduisons qu'un fragment de ce vaste tableau : le groupe des prêtres portant le reliquaire et l'affluence des spectateurs. C'est une scène de la vie populaire où la dévotion se mêle à la curiosité. Au musée de la Bréra à Milan se trouve un tableau exécuté pour la Scuola di San Marco ; la Prédication de Saint Marc à Alexandrie (N° 185). Gentile mourut en 1507 avant d'avoir pu achever son œuvre et ce fut son frère Giovanni qui y mit la dernière main. L'évangéliste prêche sur la place du haut d'une sorte de tribune. La foule composée d'Euro- péens vêtus à la mode vénitienne et d'Orientaux drapés dans leurs amples manteaux L'École italienne. 173 185. Gentile Bellini. — La Prédication de Saint Marc à Alexandrie (Bréra, Milan). 184. Gentile Bellini. •— Procession sur la Place Saint-Marc (Académie, Venise). blancs, se presse alentour. A l'arrière-plan s'élèvent une église et des édifices de style arabe. Gentile ne fit que transporter sur la toile les impressions et les souvenirs rapportés •de Constantinople, et il se plut à étoffer ce décor oriental d'une foule composée en majeure 174 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. partie des patriciens et des seigneurs de son temps en opulents costumes, exemple que devait suivre Paul Véronèse dans ses banquets. Giovanni Bellini naquit à Venise vers 1428 et il y mourut en 1516. Comme son frère Gentile il fut élève de son père et de Mantegna. A Venise, où à l'exemple d'Antonello da Messina, il avait adopté le procédé de la peinture à l'huile, il peignit d'innombrables tableaux religieux. A l'encontre de son frère, observateur franchement réaliste, il s'affirma plutôt comme un idéaliste, doué d'une âme poétique et sentimentale, qui prêta à ses figures de Marie et des saints une beauté, un charme et une expression vraiment célestes. Ces personnages sont des êtres d'un monde plus noble que rattache nous par l'auguste bonté qui s'exhale de leurs corps irréprochables. La Vierge sur trône entourée des saints et des anges, faisant de la musique (N° 186) triptyque qui se trouve dans sacristie de l'église dei Frari à Venise, compte parmi ses plus beaux tableaux d'autel. C'est même, a-t-on justement proclamé, la plus noble, la plus gracieuse expression du style de Bellini. On ne sait lequel admirer le plus de la Vierge auguste et recueillie, des délicieux musiciens cou- ~ feuillage^ jou ' ' ^^^des 186. Giovanni Bellini. —' La^ ViergeAntourée des saints et des claire CCmme 1 anges émail, COnCOUrt (Eglise dei Frari, Venise). à la séduction indicible de Ce chef-d'œuvre. La Vierge avec Saint Paul et Saint Georges (N° 187) de l'Académie de Venise, a peut- être encore plus de portée. La nature humaine y apparaît idéalisée, mais sans préjudice de sa vigueur et de sa santé. Giovanni Bellini appliqua aussi au portrait ses dons et ses qualités si poétiques, tel est le portrait de Léonardo Lorédan (N° 188) de la National Gallery, qui fut doge de 1501 à 1521. Antonello de Messine , qui emprunta son nom à sa ville natale, s'était rendu vers le milieu du XV® siècle en Flandre où il avait appris à peindre à l'huile chez un disciple de r L'Ecole italienne. 175 Van Eyck. Etant retourné en Italie, il séjourna tour à tour à Messine et à Venise et.mourut dans sa ville natale en 1479. Coloriste vigoureux et brillant, il excella surtout dans le portrait. Le Portrait d'Homme (N° 189) daté de 1475, qui se trouve au Louvre, possède une rare puissance d'expression. Comme les Flamands il observe profondément la vie et il s'entend à la rendre dans toute sa vérité. Il ne néglige aucun accessoire, mais sans que cette minutie nuise à l'expression de l'ensemble. Peu de temps après qu'il fut allé s'initier au nouveau mode de peinture, son exemple ayant été suivi d'abord par les Bellini et d'autres Vénitiens, la couleur à l'huile ne tarda pas à être adoptée par tous les peintres de l'Italie, Les Bellini eurent de nombreux élèves et disciples. L'un des meilleurs est Luigi vivarini, qui descendait de cette célèbre famille de peintres originaires de Murano, 187. Giovanni Bellini. •— La Vierge avec Saint Panl et Saint Georges (Académie, Amnise). dont nous avons parlé plus haut. Sa vie s'écoula à Venise, où il travailla entre 1480 et 1501 et où il mourut en 1503 en laissant à un de ses confrères, Vlarco Basaïti le soin d'achever son dernier tableau. Il doit beaucoup aux premiers Vivarini, mais ses Vierges s'apparentent encore plus à celles de Giovanni Bellini. Ses saints, plus austères, semblent émaciés par les jeûnes et les mortifications. Sa Vierge avec les saints (N° 190), de l'Académie de Venise fournit un magnifique exemple de la profondeur de son sentiment et de sa facture consciencieuse. Marie, le visage exprimant une douleur poignante, semble faire part de ses angoisses aux saints personnages qui l'entourent et qui lui témoignent leur commisération. Il convient de rapprocher Vittore Carpaccio de Gentile Bellini, car il fut proba- Hement l'un des deux aides qui l'accompagnèrent à Constantinople. Tout comme son Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. prédécesseur, il se distingue par son réalisme, sa facture soignée, son coloris opulent et aussi sa prédilection pour les scènes puisées dans la vie des saints. Ses œuvres principales sont La Légende de Sainte Ursule, composée de neuf sujets, exécutée pour la Scuola de la dite Sainte à Venise, de 1490 à 1495, c'est-à-dire peu d'années après que Memlinc eut traité le même sujet sur la châsse conservée à l'Hôpital de Bruges ; la Légende des Saints Georges et Jérôme, peinte de 1502 à 1508 ; enfin la Légende de Saint Etienne (1501—1514)- Les panneaux de la première de ces séries occupent toute une salle de l'Académie à Venise. devant le roi Nous reproduisons le second épisode : Les envoyés de Conon roi en d'Angleterre Mauras (N° 191). Cet épisode com- porte trois scènes : Au milieu les ambassadeurs demandent à Maurus la main de sa fille pour le fils de leur souverain. A gauche leur suite les attend sous une colonnade. A droite est la chambre à coucher d'Ursule. Maurus est assis sur le lit de sa fille et elle lui expose les raisons pour lesquelles elle ne peut consentir à l'union proposée. Toutes ces scènes respirent la vie réelle rendue encore plus saisissante grâce aux prestiges de nobles form.es et de radieuses couleurs ; la vie réelle, mais celle des grands de ce monde et des saints du Paradis ; les attitudes et les gestes sont pleins de grâce et de naturel. Des ombres veloutées tempèrent mais rehaussent aussi la vivacité des couleurs. Les rayons d'un joyeux soleil baignent les personnages de plein air et se répandent aussi dans la chambre, de sorte que tout vibre et s'épanouit dans une harmonieuse lumière dorée. La Présentation au Temple (N° 192) traitée dans une toute autre manière qui rappelle celle de Giovanni Lorédan Bellini, datée de peinte 188. Giovanni Bellini. — Léonardo (National Gallery, Londres). pour l'église San Giobbe. Ce tableau se trouve aujourd'hui au Musée de l'Académie. Notre planche en reproduit la plus grande partie. Elle nous montre Marie se présentant au grand prêtre, suivie de deux saintes femmes dont l'une porte une couple de colombes. Nous retrouvons manifestement ici les formes humaines idéalisées et les visages d'une expression suave qui caractérisaient l'illustre prédécesseur de Carpaccio. Parmi les nombreux maîtres de cette première période de l'École vénitienne, brille Giovanni Battesta ou plutôt Cima de Conegliano, né dans la ville de ce nom. Lui aussi peignit avec prédilection la Vierge Marie entourée d'anges ou de saints. Ce sujet exerce une attraction irrésistible sur les peintres de ce temps ; ils ne se lassent pas de le traiter et y L'École italienne. 177 'j apportent une ferveur si sincère que chacun fait œuvre originale et pare la Mère, l'Enfant- Dieu et les autres personnages célestes d'une grâce, d'une beauté, d'une séduction nouvelle. Cima da Conegliano qui s'apparente à Giovanni Bellini et qui forme pour ainsi dire la transition de l'époque ancienne à une période nouvelle, reproduit peut-être au plus haut degré les qualités de son prédécesseur. C'est la même expression auguste, la même ineffable pureté, la même sérénité idéale mais avec des attitudes plus naturelles, un coloris plus riche et de fortes oppositions de lumière et d'ombre. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans la Vierge sur un trône entourée de six saints (N° 193). Le regard de la Vierge recueillie et pensive, d'une beauté vraiment céleste, vous laisse une impression inoubliable. Elle vit pour- tant, elle est femme, elle appartient encore à la ,3,. Antoneiio de Messine. - terre. Portrait Malgré leur d'homme extase les saints aussi sont (Louvre, Paris), animés d'une vie intense. De même les anges qui font de la musique au bas du tableau et la guirlande de têtes d'anges les hauteurs suspendue dans participent à la fois des splendeurs du paradis et des délices de la terre. La facture est un peu plus sèche que celle de Giovanni Bellini, mais la tonalité plus radieuse. Le Voyage du Jeune Tobie avec VAnge du m.ême Musée de l'Académie (N° 194) touche peut-être de plus près à la terre. En effet la scène se passe dans un paysage rocheux 1 artiste que a peint minutieusement. Le petit lève un regard interrogateur vers son céleste compagnon qui lui expose sans doute le but de leur voyage. Ce sont deux figures empruntées à la vie réelle. Les deux saints placés de chaque côté semblent n'être là que pour la parade et comme élément décoratif. La splendeur de leurs vêtements rehausse quelque peu le ton assez sobre du tableau. Marco Basaïti dont la car- rière s'étend de 1490 à 1521, appar- tient à la même école. Il acheva la dernière œuvre de Luigi Vivarini et sa facture procéda toujours quelque peu de celle de ce maître. Toutefois, par la suite, il subit aussi l'influence de Giovanni Bellini. Si l'on peut reprocher quelque froideur à son coloris et à l'expression de ses per- sonnages, il se recommande en re- 190. Luigi Vivarini. — Vierge avec des saints (Académie, Venise). vanche par la clarte de sa palette et Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. le roi Maurus 191. Vittore Carpaccio. — Les envoyés de Conon, roi d'Angleterre, devant (Académie, Venise). la perfection de ses formes. Sa Vierge adorant l'Enfant endormi (N° 195) de la National Gallery nous en fournit un saisissant exemple : L'expression extatique de la Vierge contraste avec la délicieuse insouciance de l'Enfant potelé et charnu à souhait, affranchi de toute préoccupation, l'image même du sommeil ingénu. Le paysage étoffé de personnages, d'animaux et de fabriques, le tout fort bien observé et rendu, contribue au touchant réalisme de cette scène. D'autres écoles encore virent le jour à Ferrare, à Bologne et à Milan. Durant la seconde moitié du XV® et au commencement du XVP siècle, Francesco Raibolini, dit le Francia, fut le peintre principal de Bologne où il était né vers 1450. Il avait débuté comme graveur de coins pour la Monnaie. Fn 1483 il remplissait les fonctions de doyen de la confrérie des orfèvres. Il ne se consacra que tardivement à la peinture et marcha sur les traces de Lorenzo da Costa, un peintre de Ferrare qui s'était transporté à Bologne. Sa facture d'abord rude et âpre, s'assouplit et s'affina graduellement tout en demeurant un peu anguleuse et brutale. Mais son coloris est chaud, ses figures sont intéressantes et expressives. Il peignit de nombreux tableaux d'autels et aussi quelques fresques. Son souci croissant des nobles et parfaites formes humaines donne à supposer que vers la fin de sa vie il subit l'influence de Raphaël. Il mourut en 1518. Marie avec Sainte Anne et quatre Saints (N° 196) de la National Gallery est une œuvre de sa jeunesse. La compo- sition est analogue à celle des nombreux tableaux traitant le même sujet. Marie tenant l'Fnfant Jésus est assise avec sa de à CÔté 192. Vittore Carpaccio. La Présentation du ^^^re SUr une temple espèce piédestal — (Académie, Venise). duquel Se tiennent, à droite Saint Laurent L'École italienne. 179 et Saint Roimiald ; à gauche, Saint Sébastien et Saint Paul. Le petit Saint Jean Baptiste accouru au pied du socle lève vers son divin compagnon de jeux un visage exprimant une naïve admiration. Les caractères de l'ancienne École vénitienne se retrouvent ici. C'est la même dévotion. Le tableau fut peint pour l'église San Frediano à Lucques. Il est encore signé Francea Aurifea (Francia, orfèvre). Nous reproduisons aussi un autre tableau de Francia : la Vierge et quatre Saints (N° 197) du Musée de Parme. Il représente Marie trônant avec l'Enfant Jésus entre les saints Benoît, Placide et les saintes Scholastique et Justine. Le petit Saint Jean Baptiste se trouve de nouveau au pied du socle. L'expres- sion de la Vierge est mélancolique et dolente ||^^_||||||||||||g^^||||g||^^—llll^l^ la des un peu en revanche le visage des femmes respire tendresse la sincères. Au un Avec Léonard de Vinci nous entrons dans l'âge d'or de l'Ecole italienne. Cette ère commence aux dernières années du XV® siècle et se prolonge durant toute la première moitié du XVI® siècle et même au delà. A cette époque privilégiée plusieurs contrées de la péninsule voient naître quelques artistes qui suivent chacun des voies différentes, mais dont chacun atteint aux plus hauts sommets de la perfection. Leur renommée grandit à mesure que mûrit leur talent, et de leur vivant même leur gloire se répand dans l'Italie toute entière. Les disciples affluent autour d'eux, et désormais, à l'exception de Venise, ce ne sera plus l'école de telle ou telle cité qui donnera de ton et imprimera sa direction au mouvement artistique, mais bien l'école de tel ou tel maître. Rome où la puissance des papes va atteindre son apogée et où ceux-ci font exécuter des œuvres grandioses devient de plus en plus le centre de la civilisation italienne et le foyer de son art. La renommée des princes de la peinture ne se répand pas seulement dans toutes les contrées de leur patrie, mais elle se propage au delà des frontières dans tous les 193. Lima da Conegliano. — La Vierge sur pays de la un chrétienté. De toutes parts aussi les trône, entourée de six saints (Académie, artistes Venise). affluent vers la Ville Eternelle pressés par leur envie de voir et d'étudier tant de chefs-d'œuvre qui y ont vu récemment le jour et aussi tant de merveilles de l'art antique deterrées ou retirées de dessous les ruines. A la tête de cette glorieuse légion d'artistes s'avance Leonardo da Vinci. Comme, son nom l'indique, il naquit en 1452 au village de Vinci sur le territoire florentin et fit son apprentissage à Florence chez André Verrochio aussi réputé comme sculpteur que comme graveur. Le jeune Léonard s'initia également aux deux arts dans lesquels excellait son maître. A partir de 1478 il peignit mainte œuvre à Florence. Peu après en 1480 il aurait quitté cette ville pour se rendre en Orient où il se serait mis comme ingénieur au service du Sultan 18o Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. du Caire. Quand il rentra vers 1485 en Europe il fut appelé à la cour de Ludovic le More, de Milan, auprès de qui il demeura jusqu'en 1499. A cette époque il exécuta la duc plupart de ses peu nombreuses peintures et la grande statue équestre de son maître. De 1499 à 1516 il mène vie fort vagabonde. On le trouve tour à tour à Venise, à Rome, à Florence et à une Milan. En 1507 il entre au service de Louis XII, sans toutefois quitter l'Italie, mais en 1516 il François I" en France d'où il ne devait plus retourner au pays. Il mourut accompagne château de Cloux près d'Amboise. Il se consacra simultanément à la 1519 au peinture en — 194. Cima da Conegliano. Le voyage du jeune Tobie avec l'ange (Académie, Venise). et à la sculpture, mais hélas ! aucune des œuvres dues à son ciseau n'est parvenue jusqu'à nous ! Le peintre nous a laissé des fresques et des tableaux à l'huile, il a peint des tableaux religieux, des tableaux d'histoire et des portraits. De ces tableaux aussi, malheureusement, plusieurs et des plus importants sont perdus. Quant à sa fameuse Cène qu'il peignit a l'huile sur une des parois du réfectoire du couvent de Santa Maria delle Grazie, on peut la considérer comme anéantie. Le Vinci était non seulement peintre et sculpteur, mais aussi in.génieur, astronome, naturaliste. On lui doit d'inventions dans le domaine de l'art militaire et de la quantité L'École italienne. 181 mécanique. C'est lui qui construisit la plupart des canaux de la Lombardie. Il écrivit nombre d'ouvrages sur toutes les matières auxquelles il avait consacré l'activité de son génie universel et dépassant prodigieusement la normale de l'intelligence humaine. Aussi les rares tableaux qui nous restent de cet homme unique représentent des chefs-d'œuvre de la plus haute valeur. Avec lui la peinture de la Renaissance arrive à sa pleine maturité. La beauté et la vérité se confondent harmonieusement, la couleur et la lumière acquièrent sur la palette du peintre cette opulence de teintes qui lui permettra de créer la nature à nouveau; le dessin repioduit si exactement les traits et surprend avec une telle subtilité les jeux les plus fugaces de la physionomie que les modèles revivent dans leur image. iq .t . Marco Basaïti. — La Vierge adorant l'Enfant endormi (National Gallery, Londres). Nous reproduisons les trois plus importantes des rares œuvres du maître. D'abord la Cène (N° 198). Elle fut peinte durant les dix dernières années du XV®" siecle. Elle subit les irréparables outrages du temps et aussi des hommes. Chose assez surprenante de la part d'un savant tel que lui, le procédé auquel avait recouru Léonard — de la peinture à l'huile sur de la chaux — devait fatalement compromettre l'existence prolongée de son œuvre. Il se flattait d'obtenir des teintes de couleur plus fines et de plus subtils jeux de lumière en employant la couleur à l'huile qu'en usant de la peinture à la détrempe. Mais avant que trois quarts de siècle se fussent écoulés la fresque semblait déjà tout à fait détériorée perdue. Le vandalisme de la postérité enchérit sur l'imprévoyance de l'auteur: Au XVII®- Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. siècle on tailla une porte dans le bas du tableau et on cloua un écusson dans la partie le clief-d oeuvre des supérieure. Ensuite on s'avisa de vouloir restaurer pai lepeints du couvent fut converti succès- grossiers et maladroits. Au temps de Napoléon le réfectoire sivement en écurie, en fenil et en prison. Une inondation mit le comble à l'œuvre de destruc- ce reste de tion. Et ne en dépit de ce concours de calamités, nous pouvons contempler qui la merveille sans être confondus et ses par la perfection du travail. Combien l'Homme-Dieu apôtres vivent et respirent encore ; comme ils sentent profondément, comme ils s'interprètent fidèlement, comme ils sont beaux et combien vrais, quel fluide suprême, quelle harmonie sublime s'exhalent de ces personnages si simplement assemblés et si naturels qu'après les avoir vus on ne parviendrait même plus à se les représenter autrement! Cette œuvre inaugurait nouvelle ère artistique ; un art jeune, robuste et sain venait de naître à côté une duquel l'art antérieur paraissait suranné. Le naturel de ce genre nouveau accusait les conventions de l'autre, et les perfections de celui-ci faisaient sauter aux yeux les défauts de celui-là. Le Portrait de Mona Lisa, femme de Erancesco del Giocondo, (N° 199), qui se trouve au Louvre, est un autre chef- d'œuvre. Cette immortelle et mystérieuse Joconde continue à poser aux siècles l'énigme de sa physionomie ambiguë. Ces grands yeux nous dévisagent et nous scrutent jusqu'au tréfonds de notre âme. Elle-même demeure impénétrable. Le sou- rire à la fois bienveillant et dédaigneux révèle un être que son essence supérieure rend indulgent pour nos faiblesses. La pose de ses mains croisées, les cheveux qui lui retombent comme un voile des deux côtés du visage, le paysage suggestif qui s'étend derrière elle, la couleur à la fois sévère et opulente de son vêtement, tout concourt à rehausser encore son capi- teux et troublant prestige et à incarner en fois adorable et Francia. — Marie avec Sainte Anne et quatre^saints Sphynx à la perfide (National Gallery, Londres). de la Renaissance. Un autre tableau de Léonard au Louvre, Marie avec Sainte Anne et l'Enfant Jésus (N° 200) date des dernières années du maître. La composition en est étrange et rompt ouvertement avec celle des versions anté- rieures du même sujet. Marie assise sur les genoux de sa mère se penche vers l'Enfant qui joue avec un agneau. Le tableau n'est pas achevé ; la couleur en est sombre et sourde, mais les figures possèdent cette originalité et cette séduction inséparables de toutes celles du Vinci ; et malgré leur imprévu, le groupement et les attitudes dégagent un charme irrésistible. Le Vinci vendit ce tableau à François P'. Plus tard il retourna en Italie d'où le Cardinal de Richelieu le rapporta en France en 1629 pour en faire cadeau à Louis XIII. On a pu dire très justement de Léonard de Vinci que si réduite que soit son œuvre il n'en est point qui frappe davantage. Par les principaux traits de son génie il est presque notre contemporain. Ce n'est pas la pure beauté qu'il cherche, c'est bien plutôt l'originalité individuelle. Il y a une personne morale dans ses figures. Ce n'est point la forme seule qui L'École italienne. l'occupe ; le dedans lui semble encore plus important que le dehors. Si l'on en excepte Rembrandt aucun peintre ne fit paraître avec cette intensité sur les visages les reflets de la lumière intérieure. „Sous ces dehors, a dit Taine dans son Voyage en Italie, vit une âme réelle mais supérieure, com- blée de facultés et de passions qui sommeillent encore, dont la puissance démesurée transpire au repos par la force du regard vierge, par la forme divine de la tête. Peut-être n'y a-t-il point au monde un exemple d'un génie si universel, si inventif, si inca- pable de se contenter, si avide d'infini, si naturellement raffiné, si lancé en avant, au delà de son siècle et des siècles suivants. Ses figures expri- ment une sensibilité et un esprit incroyable ; elle regorgent d'idées et de sensations inexprimées". Les vierges de Vinci, celles de ses dessins conservés à la Bréra et à la Biblio- thèque Ambrosienne de Milan, sen- tent et pensent par tous les traits de leur visage et de leur physionomie ; il faut un certain temps pour se mettre en conversation avec elles, ,. , , , soit 197. Francia. — La Viergoe eut quatre saints (Musée de Parme)/, non pas que leur sentiment trop Léonard de Vinci. — La Cène (Santa Maria della Grazie, Milan). 184 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. peu marqué, au contraire, il jaillit de l'enveloppe entière, mais il est trop delie, trop complique trop en dehors et au delà du commun, insondable et inexplicable. ,,Leur immobilité ou leur silence laissent deviner deux ou trois pensées superposées, et d'autres encore cachées derrière la plus lointaine ; on entrevoit confusément ce monde intime et secret, comme une délicate végétation inconnue sous la profondeur d'une eau transparente. Leur sourire mysté- lieux trouble et inquiète vaguement ; sceptiques, épicuriennes, licencieuses, délicieusement tendres, ardentes ou tristes, que de curiosités, d'aspirations, de découragements on y découvre encore ! Quelquefois, parmi de jeunes athlètes fiers comme des dieux grecs, on trouve un bel adolescent ambigu, au corps de femme, svelte et tordu avec une coquetterie voluptueuse, pareil aux androgynes de l'époque impériale, et qui sem- ble, comme eux, annoncer un art plus avancé, moins sain, presque maladif, tellement avide de perfection et insatia- ble de bonheur qu'il ne se con- tente pas de mettre la force dans la délicatesse dans femme, mais que, fondant et multipliant par un singulier la beauté des deux sexes, il se perd dans les les ses nous a noms de ses avec nombreux et 200. Léonard de Vinci. — îklarie avec Sainte Anne et l'Enfant Jésus quelques-uns (Louvre, Paris). firent preuve d'un très haut mérite. Nous ne nous occupe- rons que du plus important d'entre eux : Bernardino Luini. Il naquit entre les années 1475 et 1480 sur les rives du Lac Majeur dans une bourgade à laquelle il emprunta son nom. Il vécut et travailla à àlilan jusque vers 1533. Il passe à bon droit pour un des disciples du Vinci quoiqu'il possède une originalité très accusée. Dans ses nombreuses fresques il se fait le peintre par excellence du charme, de la grâce, mais d'une séduction qui ne dégénère pas en mièvrerie et qui demeure toujours noble et digne. Sa couleur s'accorde avec son dessin, elle est discrète, radieuse et chaude, infiniment délicate. Le Louvre possède six ■ fresques de Luini provenant de l'hôtel Litta à Milan et qui r L'Ecole italienne. furent transférées à Paris en 1867. Nous en reproduisons une : L'adomiion des Mages (N° 201). C'est un échantillon réussi de la manière suave et tendre de ce maître. La couleur en est aussi caressante que la composition. Le jaune pâle, les nuances les plus claires du vert et du bleu encore atténuées de légers reflets s'y accordent en une scène radieuse se détachant sur une perspective encore plus éthérée. Par places ces couleurs relevées d'un peu d'or présentent un éclat presque surnaturel. Non moins adorable et presque immatérielle, supraterrestre, est la Mise au tombeau de Sainte Catherine à la Bréra de Milan (N° 202) Les fresques qu'il exécuta en 1528 pour la petite église de Santa Maria degli Angeli à Lugano, sont bien autrement importantes. Nous en reproduisons le sujet principal, le Calvaire (N° 203), une scène dont les nombreux personnages et épisodes attestent que le peintre des concep- tions délicates et poétiques s'enten- dait aussi à l'occasion à brosser des tableaux vigoureux et dramatiques. Vingt-cinq ans après Léonard de Vinci apparut à Florence le grand maître qui domine encore plus que lui tout l'art de son temps et des siècles qui le suivirent; Michel-Ange Buonarroti. Il naquit en 1475, à Caprese, village de la Toscane ; en 1488 il se mit en apprentissage chez Domenico Ghirlandajo pour la pein- ture, l'année d'après il entrait dans l'atelier de Bertolde, un élève de Donatello, pour y apprendre la sculp- ture. Sa longue existence, laborieuse et féconde s'il en fut, s'écoula dans diverses villes de l'Italie ; d'abord à Florence, puis de 1496 à 1500 à Rome ; de 1500 à 1505 il travaille à Florence ; ensuite il retourne à Rome ou, de ^oi. Bernardino Lulni. —• L'adoration des Mages 1508 à 1512, il décore de ses fresques (Louvre, Paris), le plafond de la Chapelle Sixtine et ou il demeure jusqu'en 1516. Cette année il quitte de nouveau la Ville Eternelle et séjourne dans diverses villes jusqu'à son retour définitif à Rome, en 1534, où il peint le Jugement Dernier de la Chapelle Sixtine et où il meurt en 1563. Léonard de Vinci excella dans tous les arts et dans toutes les sciences. Michel-Ange triompha surtout dans le domaine des arts plastiques, quoiqu'il se soit distingué aussi comme poète. Il s'acquit un renom immortel comme architecte de la coupole de Saint-Pierre à Rome; comme sculpteur il créa de nombreux chefs-d'œuvre qui n'ont jamais été surpassés, comme peintre il s'éleva tout aussi haut, mais quand il maniait le pinceau il faisait de la i88 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 203. Bernardino Luini. — Le Calvaire (Santa Maria degli Angeli, Lugano). peinture de sculpteur. Il s'attache principalement à l'étude du corps humain et à l'interpré- tation des sentiments ou des émotions exprimés par des gestes et des attitudes. De même qu'il s'entend merveilleusement à modeler les muscles et les chairs, de même dans sa pein- 202. Bernardino Luiai. — La mise au tombeau de Sainte Catherine (Bréra, Milan). L'Ecole italienne. 189 ture le dessin primera la couleur. Mais qu'il peigne ou qu'il sculpte, toujours il vise au grandiose et il y atteint sans le moindre effort. Il est l'artiste puissant entre tous qui ne cherche jamais à plaire et à charmer ; il est le conquérant et le dompteur qui com- munique son âme formidable à des person- nages renouvelés de la race des Titans. Il n'est resté malheureusement que deux des rares tableaux qu'il peignit. L'un est la Sainte Famille du Musée des Offices (N° 204), exécuté vers 1502 pour Angeli Doni. Le peintre et le sculpteur des gestes audacieux a marqué ce tableau à son cachet. La pose de Marie est tout à fait différente de celle des innombrables Sainte-Famille peintes avant et après lui. Il la fait s'age- nouiller à l'avant-plan et prendre, un peu 204. Michel-Ange. — La Sainte Famille (Offices. Florence). penchée en arrière, l'Enfant-Jésus des bras de Saint Joseph assis sur un banc derrière elle. De petites figures étoffent le fond. Comme toujours l'artiste a été requis par le corps humain,par le mouvement, par l'effort et par la vigueur. Mais son œuvre capitale comme peintre, on peut même dire l'œuvre la plus grandiose et la plus puissante que la pein- ture ait jamais enfantée, est celle qu'il exécuta pour la Chapelle Sixtine au Vatican. Du vivant de Sixte IV, le pape qui fit construire cette chapelle, les parois en étaient déjà ornées de fresques par le Péru- gin et d'autres anciens maîtres de l'Ombrie et de la Toscane. Jules II décida en 1506 d'en faire aussi orner le plafond et son choix pour ce travail s'arrêta sur Michel- Ange. Celui-ci ne se mit à la besogne qu'en 1508 et il ne la termina qu'en 1512. Il divisa le plafond en un certain nombre de caissons postiches dans lesquels il répartit ses divers groupes et figures. Au milieu, sur la voûte longue de deux cents pieds, il peignit neuf sujets de la Genèse : la Création, la Chute d'Adam et d'Eve, le Déluge, l'Histoire de Noé. Dans les quatre panneaux des angles il représenta quatre scènes encore tirées des époques ultérieures de l'Ancien Testament. Autour de la voûte d'autres compartiments moins vastes con- tiennent des figures isolées ou de simples 205. Michel-Ange. — La Vierge (National Gallery, Londres). groupeS : douze SOnt pris par leS Prophètes I go Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. et les Sybilles qui prédirent la venue du Christ, les autres représentent les ancêtres du Sauveur. Ainsi sur ce vaste espace se déroule l'histoire des époques' antérieures au grand événement de la naissance du Messie, époques de force et de violence où Jéhovah régnait en souverain sévère et redoutable. Autant de personnages et de sujets pour tenter l'âme ora- geuse et frénétique de Michel- Ange. Nul mieux que lui ne devait sentir la détresse et l'hostilité de ces âges bibliques. ,,I1 y a des âmes où les impres- sions rejaillissent en foudres et les actions sont des 206. Michel-Ange. — La Création d'Eve (Chapelle Sixtine, Rome). dont toutes éclats ou des éclairs. Tels sont les personnages de Michel-Ange" a dit Hippolyte Taine. C'est toute une épopée qu'il chante sur ces voûtes, c'est tout un monde créé à son image, un reflet sombre, grandiose et tragique de sa propre âme tou- jours tendue ou crispée, c'est là son véritable élément, le milieu adéquat- à ses visions, autrement rude et grandiose que celui dans lequel son corps était retenu. Ce monde nous pénètre à la fois de crainte et • d'admiration. Au gré du critique que nous citions plus haut les vingt figures d'adolescents assises sur les corniches aux quatre coins de chaque peinture, véritables sculptures pein- tes, héros du temps d'Achille et d'Ajax, aussi fins de race, mais plus ardents et d'une énergie plus âpre, donnent peut-être mieux encore que les sujets principaux l'idée d'un monde supérieur et inconnu. La Vierge de la National Gallery (N° 205), non mentionnée par les biographes de Michel-Ange, représente aussi une œuvre de sa 207. ]\Iichel-Ange. — Le prophète Jérémie (Chapelle Sixtine, Rome). L'Ecole italienne. 191 première période. Elle est peinte à la détrernpe et demeurée inachevée. Marie trône drapée dans un manteau de couleur éclatante, un voile blanc posé sur ses cheveux noirs. A gauche se tiennent deux figures de jeunes gens ébauchées; à sa droite deux anges lisent sur un papier la musique qu'ils chantent. Le petit Jean-Baptiste et l'Enfant-Jésus sont près de la Vierge. Celui-ci veut s'emparer d'un livre que la mère ne se laisse pas prendre sans doute parce qu'elle y suit le chant des deux anges. Comme toutes les créations de Michel-Ange celle-ci est marquée au sceau de 1'origina- lité dans la composition et aussi dans l'expression sérieuse, altière et pour ainsi dire désabusée des visages. Les parties achevées de ce tableau sont merveilleusement modelées Vingt-deux ans plus tard Michel-Ange termina ses fresques de la Chapelle Sixtine ; de 1535 à 1541 il travailla à son Jugement Dernier qui orne l'autel devant le prie-Dieu du Pape. C'est bien le jour de deuil et le jour de vengeance prédit dans le Dies Irae. Le Christ apparaît dans les nuées ; il foudroie les damnés à sa gauche autant du regard que du geste, et on les voit culbuter dans les abîmes oû les démons s'apprêtent à les recevoir. Marie supplie son Fils courroucé ; les saints le considèrent avec épou- vante. Les archanges, exécuteurs de ses vengeances, se précipitent vers la terre où les éclats de leurs trompes proclament les sentences implacables, tandis qu'à la droite du Seigneur la légion des élus gravit lentement les marches du Ciel. Encore une œuvre unique et sublime que l'on a comparée justement à quelque fanfare épique sonnée à tout rompre par la poitrine et le souffle d''un vieux héros sur le point d'expirer. C'est un superbe déploie- ^^3 Uichel-Ange. - La Sibylle de Cumea ment de corps athlétiques, dont le (Chapelle Sixtine, Rome), peintre-sculpteur enfle les muscles et dont les raccourcis et les poses violentes évoquent encore une fois un monde de Titans. A la fin de son étude sur la Chapelle Sixtine, dans son Voyage en Italie, le grand critique dont nous reproduisions quelques passages plus haut exprime ce jugement d'ensemble : ,,Des personnages surhumains aussi malheureux que nous-mêmes, des corps de dieux raidis par des passions terrestres, un Olympe où s'entrechoquent les tragédies humaines, voilà la pensée qui descend de toutes les voûtes de la Chapelle Sixtine. Quelle injustice que de lui comparer les Sibylles et L'Isaïe de Raphaël ! Cet homme (Michel-Ange) est si grand, que les différences de temps et de nation ne sub- sistent pas devant lui. La difficulté n'est pas de subir son ascendant, mais de s'en expliquer 192 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. la puissance. Quand, après avoir livré ses oreilles à cette voix tonnante, on s'est retiré, reposé, mis à distance, de façon à ne plus en sentir que le retentissement, quand on a laissé la réflexion succéder aux sensations et qu'on cherche par quel secret il donne un accent si vibrant à sa parole, on arrive à se dire, qu'il avait l'âme de Dante et qu il passa sa vie à étudier le corps humain : ce sont ses deux origines. Le corps tel qu'il le fait est tout entier expressif, squelette, muscles, draperie, attitude et proportions, en sorte que le spectateur est ébranlé à la fois par toutes les parties du spectacle. Et ce corps exprime l'emportement, la fierté, l'audace, le désespoir, l'âpreté de la passion effrénée ou de la volonté héroïque, en sorte que le spectateur est ébranlé par les plus fortes des impressions. L'énergie morale transpire par tout le détail physique et corporellement d'un seul choc nous en sentons le contre- coup". Nous reproduisons quelques- unes des peintures du plafond de la Chapelle Sixtine, savoir la Création d'Eve, un des petits panneaux du centre de la voûte (N° 206), le Pro- phète Jérémie (N° 207), la Sibylle de Cumes (N° 208), et une des figures d'adolescents, celle qui tient une corne d'abondance remplie de feuil- lage (N° 209) et qui se trouve à droite au-dess-us du prophète Isaïe. Enfin nous reproduisons aussi le Jugement Dernier (N° 210), une œuvre qui a beaucoup souffert par les repeints, l'humidité et les émana- tions des cierges. Plus on contemple ces œuvres gigantesques, où tout concourt à la glorification des forces et des énergies tant morales que physiques, et plus il faut se reporter aux époques où elles furent conçues et exécutées. Ce n'est m.ême qu'en les situant 209. Michel-Ange. — Adolescent tenant une corne d'abondance dans leur milieu et dans leur temps (Chapelle Sixtine, Rome). qu'on en saisira toute la beauté et toute la signification. Il faut les prendre comme la plus haute ou du moins la plus vigoureuse expression de la Renaissance italienne, se rappeler les mœurs orageuses du temps, l'éducation athlétique des princes et des artistes, la vie impulsive et passionnée des contemporains de Michel-Ange ; les rivalités, les duels, les assassinats, les aventures brutales de tout genre dont les Mémoires de Benvenuto Cellini nous représentent peut-être, à travers quelques exagérations et vantardises tenant au caractère même du narrateur, le miroir le plus fidèle et le plus complet. Ces Mémoires et aussi la vie des peintres par Vasari nous offrent un commentaire éloquent de toutes les œuvres enfantées à cette époque, mais elles servent surtout de gloire à la sculpture et aux fresques de l'unique et tragique Buonarroti. r L'Ecole italienne. 195 L'influence de Michel-Ange sur l'art italien se fit encore plus sentir après sa mort que de son vivant ; mais cette influence fut plutôt funeste, car ceux qui s'avisèrent de suivre le grand maître le firent au prix de leur personnalité. Nous nous arrêterons à quelques-uns des artistes qui vécurent et qui travaillèrent avec lui. Sébastien Del Piombo, ou Veneziano, naquit vers 1485 à Venise. Il travailla d'abord dans sa ville natale où il reçut les leçons de Giovanni Bellini. Vers 1511 il vint à Rome, où il subit simultanément l'influence de Michel-Ange et de Raphaël. Il fut un médiocre peintre d'histoire, mais, par contre, un portraitiste de haute valeur. Il mourut en 1547. Son nom del Piombo (de plomb) lui vint de son emploi ; en effet, durant ses dernières années, le pape l'avait chargé du soin de revêtir ses bulles des sceaux de plomb. Le plus célèbre et le plus beau de ses portraits est celai des Offices, connu sous le nom de la Fornarina (N° 211) et dans lequel on se complut à voir la maîtresse de Raphaël, une boulangère (Fornarina). Ce portrait qu'on attribua autrefois aux pinceaux mêmes de Raphaël porte le millésime 1512 et date donc de l'époque où Sébastiano n'avait pas encore été initié à l'art de Michel-Ange. Délicate- ment modelé en ombres chaudes sur fond noir opaque, il représente une jeune femme au cou épais, à la gorge bien fournie, aux mains et aux bras potelés, une véritable beauté italienne, toute en velours, parlant très peu à l'esprit, mais dont les grands 3^eux et la chair opulente flattent et excitent la sensualité. Daniel da Volterra, ou Ricciarelli, naquit à Volterra vers 1509 et mourut à Rome en 1566. Il se créa une manière académique et correcte par l'étude de divers maîtres en tête desquels figurait Michei-Ange. Son œuvre capitale, la Descente de Croix (N° 212), se trouve dans l'église San Trinita da Monti à Rome. Plus encore que les autres du m.ême maître ce tableau révèle l'influence de Michel- Ange par la charpente athlétique des corps et la violence de leurs mouvements. Dans le haut du tableau les comparses de,cette scène tendent leurs muscles et rassemblent tous leurs efforts pour détacher sans accident le divin Crucifié de son bois d'infamie. En bas les saintes femmes se pressent, avec des gestes dramatiques, autour de Marie qui a perdu connaissance. Peinte à fresque cette scène a perdu une grande partie de sa couleur. Il est certain que Rubens contempla et admira souvent cette œuvre de Ricciarelli, car son chef-d'œuvre à lui, la Descente de Croix, universellement connue, rappelé par maints détails l'œuvre du maître italien, mais chez Rubens l'unité d'action et de composition est mieux observée : toute l'attention, tout l'intérêt des personnages se concentre sur le Sauveur, tandis que chez Volterra cet intérêt se partage, entre le Christ et sa Mère. Les deux plus grands peintres sortis de Florence, le Vinci et Michel-Ange, avaient 196 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. émigré et établi la supériorité de l'art toscan dans l'Italie entière, mais Florence produisit Ils nombre d'artistes de haute valeur qui ne quittèrent point leur berceau. perpé- encore tuèrent les traditions de l'art florentin qui absorba de plus en plus les autres écoles du pays siècle et au début du XVI® la et devint l'École italienne par excellence. A la lin du 'KV^ cité du Lys Rouge demeure toujours le foyer de l'art noble et raffiné ; les qualités personnelles tendent un à se fixer et à devenir conventionnelles chez les successeurs peu des très grands maîtres, mais néanmoins la période de déca- dence est encore loin. Parmi les artistes de premier ordre qui s'imposèrent après Vinci et toloméo et Andrea del Sarto. 1475 à Florence, ou du moins dans ses environs, fut un disciple du réformateur Savonarole et ■ ' cains en 1500 ; il travailla dans en 1517-^ C'est encore un peintre respirent cette ferveur intime ; les plis de leurs vêtements concou- de beauté et de vérité. rapproche son visage du sien. Daniel da Volterra. La Descente de Croix (Eglise vatioil, de naturel, partiupe 212. — San Trinita da Monti, Rome). encore plus de l'école realiste que de l'école mystique, il révèle des tendances plus naturalistes, plus universellement humaines. La couleur est très sobre; elle ne comporte que cinq ou six tons fondamentaux se détachant sur un fond neutre. Andrea del Sarto naquit à Florence en i486 et y mourut en 1531. Il est un des plus grands maîtres de l'École toscane et certes le plus grand de sa dernière période de splendeur. Il étudia les œuvres de ses illustres prédécesseurs sans s'assimiler la manière de l'un plutôt que de l'autre, mais il acquit ce métier sûr et cette technique assouplie qui fut comme la L'Ecole italienne. 197 dernière expression de l'école, comme sa perfection même avant la période de décadence, avant celle des peintres habiles, des pasticheurs et des virtuoses sans personnalité. Il prête à ses personnages une vie intense et bien individuelle ; ils contemplent le monde sous l'empire d'une sorte de vision et d'extase ; ils en sont par leur dépouille charnelle, mais ils s'en éloignent par leurs aspirations. Peut-être Andrea del Sarto est-il plus peintre que les Florentins antérieurs ; il combine les oppositions de jour et d'ombre avec les plus opulentes harmonies de couleurs ; son art possède toujours la noblesse et la pureté d'autrefois, mais en quelque sorte rajeunies et familiarisées. On ne saurait mieux apprécier sa facture aisée et brillante que dans son Annonciation 213. Fra Bartolomeo. — Pieta (Palais Pitti, Florence). (N° 214) du Palais Pitti. Marie s'est levée, un peu saisie par l'entrée de l'archange ; celui-ci semble la rassurer en lui présentant ses hommages. Deux autres anges accompagnent le messager celeste. Au fond s'élève un monument romain. Ce tableau peint pour l'église dei Frari Eremitani de Florence, fut transféré ensuite à San Jacopo tra Fossi et.enfin dans la chapelle du Palais Pitti. .... Le chef-d'œuvre d'Andréa del Sarto est peut-être Isir'Vierge avec les Saints Jean Baptiste et François d'Assise, dit la ,,Madonna delle Arpie" (N° 215) des Offices ; la Vierge siège sur une sorte de piédestal, elle porte l'Enfant sur un bras et tient un livre de l'autre main ; deux délicieux anges s'adossent au piédestal, les deux saints sont placés de 198 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. chaque côté. Le visage de la Vierge a cette expression particulière à la fois aimable et auguste que le peintre prête généralement à toutes ses madones. Les saints ont une allure et une phj^sionomie plus profanes que religieuses, mais toutes les figures sont vraiment créées par le peintre et elles vous séduisent par la beauté de leurs formes. Le tableau se recommande peut-être davan- tage par sa couleur et son éclairage : les tons chauds et d'une extrême richesse se fondent harmonieusement, une lumière radieuse en rehausse encore l'opulence. Cet art est à la fois tradi- tionnel et nouveau. Ce n'est plus la simplicité primitive, c'est une ferveur plus attendrie, plus humaine, c'est de la vie terrestre, mais bien touchante et bien poétique.. Ce tableau fut peint en Sarto. —L'Annonciation (Palais Pitti, Florence). 1577 pour le couvent des Franciscaines 214. Andrea del de la Via Pentolini à Florence. Le troisième des plus grands maîtres italiens est Raphaël Sax.zto ou Raphaëi, ) Santi da Urbino, Urbin étant son berceau. Il y naquit en 1473 et il y prit ses premières leçons de son père, un peintre de mérite, puis de Timoteo Viti, qui était venu se fixer à Urbin, et enfin du Pérugin chez qui il travailla de 1500 à 1504 à Péroiise. En 1504 il se rendit à Florence où il se perfectionna par l'étude de ses grands prédécesseurs Léonard de Vinci, Michel-Ange, Fra Barto- lomeo. En 1508 il fut appelé à Rome par le pape Jules II II exécuta de nombreuses œuvres pour ce pontife ainsi que pour son successeur, le grand protec- teur des arts, Léon X. Il passa même presque toute sa vie dans la Ville Eternelle et il y mourut en 1520. On lui doit la décoration et 215. Andrea del Sarto. —^^La Vierge avec Saint François d'Assise de^quatre grandes salles, d'une Saint Jean Baptiste (Offices, Florence). L'École italienne. 199 loggia et d'autres pièces du Vatican. Il laissa aussi une série de cartons destinés à des tapisseries représentant les A des des Apôtres. Il décora en outre de fresques la villa de la famille Chigi ; enfin il peignit de nombreux tableaux d'autel, représentant de préférence la Sainte Vierge et les Saints et un plus grand nombre encore de petites Madones ainsi qu'une profusion de portraits. De son vivant il fut le peintre le plus fêté et le plus admiré ; après sa mort sa gloire et son prestige se sont maintenus à travers les siècles, même jusqu'en ces temps où la «conception, les tendances et les procédés de l'art sont bien différents de ceux de son époque. L'art de Raphaël est certes moins original, moins absolument créé que celui de ses deux illustres émules ; ses premières œuvres portent visiblement la trace de l'influence de ses prédécesseurs ; il ya même jusqu'à les imiter et il emprunte surtout au Pérugin. Quant aux œuvres de sa maturité elles relèvent qu'il était venu après le Vinci et Michel-Ange, mais il manifeste de si hautes facultés personnelles que l'on ne songe guère à le déprécier en raison de ce qu'il puisa chez les autres, et qu'on l'admire sans réserve, au contraire, parce qu'il sut égaler d'emblée les deux créateurs d'art par excellence et s'élever bien au- dessus de tous les autres maîtres. 11 était doué d'une puissance créa- trice sans pareille. Durant sa courte existence il produisit d'innombrables chefs-d'œuvre et cela dans les genres les plus opposés. 11 fut l'adorateur le plus fervent de la beauté du corps humain unie à la noblesse de l'âme, le dessinateur impeccable, le coloriste sans disso- 216. Raphaël. .—- La Aherge avec Jésus et Saint Jean Baptiste nance. Ses enfants furent engendrés (Kaiser Friedrich Museum, Berlin), par des hommes, mais métamor- phosés par l'art en des anges ; ses saintes femmes sont les plus gracieuses des mortelles, mais la splendeur de leur âme les élève bien au-dessus des régions terrestres ; il a peint les créatures les plus pures et les plus éthérées comme s'il avait été par excellence le chantre de l'innocence et de la candeur, ce qui ne l'empêche pas de s'élever jusqu'à la poésie la plus héroïque et d'interpréter les mythes les plus profonds lorsqu'il évoque les grandes figures du passé et qu'il s'inspire aux sources mêmes de l'histoire. Ses portraits sont autant de merveilleux miroirs de la réalité ; ses allégories représentent l'incarnation m.ême de l'idéal. Sa main obéit avec tant de souplesse'et de docilité à sa pensée que son art irréprochable semble avoir été pour lui un simple délassement, une fonction, ou mieux, une émanation toute 200 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. naturelle comme le parfum qui s'exhale de la fleur. A l'époque où il travaillait chez le^Pérugin et probablement dans l'atelier de celui-ci, il peignit déjà plusieurs tableaux remarquables, dont un certain nombre de Madones. Parmi celles-ci figure la Madone avec l'Enfant Jésus et Saint Jean (N° 216) du Kaiser Friedrich Muséum. Le tableau appartenait d'abord à la famille Diotalevi de Rimini, et passait à cette époque pour une œuvre du Pérugin, mais il est bien du jeune élève du maître de Pérouse; Raphaël a emprunté à son maître l'expression tendre et sereine de la Vierge, son adorable simplicité, sa touchante sollicitude pour les enfants. Dans ce tableau de jeunesse, la Vierge n'a pourtant pas encore cette séduction des formes et cette ineffable exprès- sion de physionomie qui carac- térisèrent les Madones de Raphaël par la suite. Ici le visage est plus allongé, plus étroit que dans les œuvres postérieures, il n'a pas encore cette expression angé- lique qui élève cette touchante créature au-dessus des simples mortelles ; en revanche les enfants présentent déjà cette gentillesse, cet air mutin et éveillé insépa- rabies de tous les hainbini du divin Sanzio. En 1503 Raphaël fut appelé à Citta di Castelló par les seigneurs de cette ville, les Vitelli, qui lui commandèrent divers ouvrages : l'un de ceux-ci est le Mariage de la Vierge [Lo Spozalizio) {W 217) portant l'in- scription Raphaël Urbinas M. D. IV et qui appartient au Musée de la Bréra à Milan. Il fut peint pour l'église San Francesco de Citta di Castelló, où il est resté jusqu'en 1798. Aucun tableau ne trahit aussi visiblement l'influence 217. Raphaël. - Le mariage de la Vierge (Bréra, Milan). Pérugin, qui traita d'ailleurs le même sujet dans une œuvre peinte pour la cathédrale de Pérouse et qui se trouve aujourd'hui au Musée de Caen. Dans les deux tableaux le prêtre officiant se trouve à l'avant-plan, au milieu de la rangée des personnages et il unit les mains des époux. Marie et Joseph se tournent à demi vers le prêtre ; derrière la mariée sont les femmes, les hommes derrière l'époux. Dans les deux tableaux encore Joseph tient à la main un bâton d'où s'élance une fleur de lis ; tous deux montrent aussi le jeune homme, le prétendant éconduit, qui brise sa baguette sur son genou ; enfin L'École italienne. 20I le temple à l'arrière-plan, charmant présage des constructions du Bramante, est le même dans les deux toiles. Mais la différence est grande néanmoins entre les deux œuvres, et celle du jeune Raphaël s'élève déjà bien au-dessus de celle de son maître. Chez le Pérugin Marie et ses compagnes se trouvent à droite, Joseph et ses compagnons à gauche ; tandis que chez Raphaël les groupes sont intervertis. Mais la différence est bien plus grande quant à la valeur artistique des deux œuvres. Les figures de Raphaël sont de taille plus élancée, d'attitude et de geste plus gracieux, le grand prêtre du Pérugin est gauche et compassé, le mouvement de Marie n'est pas moins emprunté ; les groupes de jeunes gens et de jeunes filles se débandent et ne prennent aucune part à l'action. Chez Raphaël, au contraire, le pontife est une figure vénérable, très pénétrée de son rôle, Marie un modèle de grâce naturelle tant par son allure que par sa mise ; Joseph un être calme, plein de dignité ; le jeune prétendant évincé qui rompt sa baguette, un petit chef-d'œuvre d'observation et de rendu. Les groupes latéraux, surtout celui des femmes, se rattachent étroitement à celui du milieu. Il n'y a pas jusqu'au temple même, écrasant chez Pérugin les personnages de sa masse encombrante et disparate, qui ne revête chez Raphaël une légèreté de formes et une délicatesse de proportions con- courant à l'harmonie de l'ensemble. En somme c'est la même scène, mais extraordinairement ennoblie et animée d'un ton chaud et doré. Raphaël n'avait que vingt-et-un ans lorsqu'il peignit ce tableau, mais il s'y élève déjà bien au-dessus de son maître et il y déploie ses merveilleux dons naturels. En 1504 Raphaël quitta Pérouse et se rendit à Florence où il Raphaël. — MadoneavecSaint Jean Baptiste et Saint Xicolas. - devait Madone Ansidei - se perfectionner l'étude (National Gallery, Londres). par des grands maîtres, il y exécuta quantité de tableaux, surtout des Vierges, outre nombre de tableaux d'autel et de. petites etudes. Une de ses plus grandes Madones est celle qu'il peignit en 1506 pour la famille Ansidei et qui a conservé le nom de Madonna Ansidei (N° 218). La Vierge y est repré- sentée avec l'Enfant, les Saints Nicolas et Jean Baptiste. Ce tableau ornait à l'origine une chapelle de l'église Saint-Florent à Pérouse ; en 1764 il fut transporté en Angleterre où il appartint longtemps aux ducs de Marlborough ; en 1855 il fut acquis pour la National Gallery où il se trouve encore. La Vierge, assise sur un trône et tenant l'Enfant Jésus sur les genoux lui apprend à lire dans un livre. Saint Nicolas de Bari, en costume épiscopal, lit aussi dans un livre qu'il tient à deux mains ; Saint Jean Baptiste porte une croix. La. 202 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. manière du Pérugin est encore fort accusée dans ce tableau, notamment dans la figure de Saint Nicolas qui exprime la même ferveur que les Saints assistant la Vierge dans les tableaux du maître de Raphaël, mais ici le personnage est plus vigoureusement campé et drapé avec plus de noblesse. La Madone avec l'Enfant Jésus et Saint Jean Baptiste, connue sous le nom de la Belle Jardinière (N° 219) et qui se trouve au Musée du Louvre, remonte aussi à l'époque de son séjour à Florence. Ce tableau doit sans doute son nom populaire au paysage extrêmement soigné, même le plus complet que Raphaël ait peint, dans lequel se passe la scène. La Vierge est assise sur une petite yÊ éminence ; avec un mouvement de .1 la plus touchante sollicitude elle 1 ramène auprès d'elle le petit Jésus, debout, à ses côtés, et elle le cou- temple tendrement ; de son côté l'Enfant lève les yeux vers elle avec une ferveur doublée d'une sorte de vénération : ils ne vivent que l'un pour l'autre^ Le petit Jean Baptiste, agenouillé, adore naïvement son compagnon de jeux. Raphaël est entré en possession de tous ses moyens, il s'interprète sans effort ; la délicatesse de senti- ment va de pair avec la perfection des lignes et des formes et avec la maîtrise de la facture. Le tableau porte cette inscription Raphaëllo Urb. M. D. VII. En septembre 1508 Raphaël fut appelé à Rome par le pape Jules II qui le chargea immédiate- ment de la décoration des grandes chambres du Vatican, connues sous le nom de Stanza ou de chambres. — en 219. Raphaël.—^ Marie avec Jésus et Saint Jean Baptiste La belle Raphaël commença 1508 par Jardinière — (Louvre, Paris). première et la plus importante, la Stanza delia Segnatura (Chambre de la Signature), ainsi nommée parce que c'est la pièce où se signaient les brefs de grace, et il y travailla jusqu'en 1513. Les peintures à la fresque des quatre parois et des quatre compartiments du plafond représentent : la Théologie, la Philosophie, le Droit et la Poesie, De 1512 à 1514 Raphaël décora la Stanza d'Eliodoro (chambre d'Héliodore), qui tire son nom d'un des panneaux ; de 1514 à 1517 la Stanza del Incendio [chdaMúio. de l'Incendie) dont un des panneaux représente l'Incendie du Borgo ; enfin de 1523 à 1534 la Chambre de Constantin. Il travailla simultanément, du moins de 1516 à 1518, à la décoration d'un long portique -vitré courant le long d'un des étages du Vatican, et sur le plafond duquel il peignit L'École italienne. 203 220. Raphaël. — Le Triomphe de la Religion — La Dispute — (Vatican, Rome). cinquante-deux scènes bibliques, appelées les loges, somptueusement encadrées de grotesques. Les deux fresques les plus importantes de la chambre délia Segnatura sont la Dispute du Saint Sacrement (N° 220), et VEcole d'Athènes La première scène se passe sous les arceaux d'un vaste temple, dont la perspective s'élève et s'éloigne à perte de vue. Nous nous trouvons transportés au paradis mêm.e. Dieu le Père trône, isolé, dans les hauteurs suprêmes, ,,dans l'espace infini" comme a dit le poète Vondel. Un peu en dessous de lui Jésus-Christ entre Marie et Jean ; plus bas encore, le Saint-Esprit parmi des Anges portant des livres ouverts ; sur les nuées à gauche et à droite, des saints et des héros de l'Ancien et du Nouveau Testament. En bas, sur une eminence à laquelle conduisent de larges degrés, se dresse un autel sur lequel repose l'Ostensoir avec l'Hostie. De chaque côté de l'autel sont assis deux Pères de l'Eglise autour desquels se pres- sent de nombreux théologiens, papes, évêques, docteurs, poètes et artistes. C'est à tort que l'on a appelé cette fresque la Dispute. Elle ne représente pas en effet une discussion sur le dogme de la transsubstantiation le Saint Sacrement est seulement là pour préciser la nature de la scène ; il symbolise l'Eglise entière, il la résume, et le tout représente plutôt la plus belle, la plus grandiose Glorification de la Foi qui existe en peinture. La Dispute du Saint Sacrement est placée sous une figure représentant la 7 héologie ; de rnême sous une autre incarnant la Philosophie Raphaël a peint sa fameuse Ecole d Athènes (N° 221) à droite de la Dispute : la science humaine opposée à la science divine. Cette composition est peut-être la plus claire de toutes ; la scène se passe dans un temple antique, la. légion des philosophes, des poètes et des artistes de la Grèce, de Rome, et aussi de la Jeune Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 204 221. Raphaël. — L'Ecole d'Athènes (Vatican, Rome). Italie, se groupe harmonieusement sur une sorte de hauteur et sur les degrés qui mènent à celle-ci. iVu milieu du groupe supérieur, encadré dans l'arcade du fond, on remarque Platon et Aristote, ces deux oracles de l'Antiquité non moins vénérés par la Renaissance italienne, deux figures vraiment idéales dont la première contemple le ciel et la seconde regarde la terre. Quelques personnages isolés sont plongés dans la méditation. La musique d'Apollon, présent à cette apothéose, entouré du chœur des Muses, a inspiré Homère, une figure admirable aussi. Le vénérable aède se miet à chanter ; tout près de lui sont Virgile et Dante, ailleurs on rencontre Sapho, Pétrarque, Horace, Pindare. En somme on ne peut rêver réunion de figures plus nobles, compo.sition aussi lumineuse, aussi vibrante d'enthousiasme et de poésie. Les fresques des ,,chambres" se distinguent toutes par leur sage ordonnance, mais Raphaël donne parfois libre cours aussi à des rêves plus fougueux et à une fantaisie plus débridée. Tel est le cas pour sa Vision d'Ezéchiel (N° 222), qui se trouve au Palais Pitti de Florence. Mais, comme on l'a constaté, mêm.e dans la reproduction des types de Michel-Ange, Raphaël apporte un souci d'élégance, de correction et de mesure. La figure du prophète, en bas, dans le paysage, toute petite, a étg traitée comme une délicieuse rniniature. Le rayon de lumière surnaturelle qui l'éclairé ne la fait que mieux valoir. Dieu le père apparaît dans la nue, les bras ouverts et soutenu par des anges. Ce tableau, de proportions réduites, peut rivaliser par l'audace de la conception avec les créations les plus prestigieuses de Buonarotti. Il fut peint en 1510 pour le comte Ercolani de Bologne. Dès les premières années de son séjour à Rome Raphaël avait peint le portrait de Jules II (N° 223); il existe plusieurs exemplaires ou répliques de ce portrait, les plus L'École italienne. 20S estimées sont celles des Offices «t du Palais Pitti. Une figure impressionnante que celle de ce vieux pontife à barbe blanche, le politique se révèle dans ces traits accentués et ce regard profond, des plans grandioses hantent certes ce cerveau. Raphaël peignit aussi le portrait de Léon X (N° 224), cet autre pape glorieux, ami des arts, qui lui continua la faveur dont l'avait comblé son prédécesseur et qui lui fit achever la décoration du Vatican. Ce portrait de Léon X fut peint vers 1518 et il se trouve comme celui de Jules II au Palais Pitti. Le pape, assis dans un fauteuil, devant une table sur laquelle repose une sonnette, tient à la main une loupe avec laquelle il vient de déchiffrer un manuscrit. Les cardinaux Jules , de Médicis, son neveu, et Ludovico Rossi sont auprès de lui. Il ne -s'agit pas d'un portrait d'apparat : ies hauts dignitaires de l'Eglise sont représentés sous leurs dehors fa.mi- liers, ils ne posent pas, ils vivent, et leurs caractères respectifs se lisent parfaitement sur chaque physio- nomie. Ouoic[ue le peintre ne les montre point dans l'exercice de •leurs augustes fonctions, leurs traits respirent leur esprii raffiné, leur distinction naturelle, leur éducation supérieure. Le tableau se reconi- ■mande aussi par son coloris, présen- tant une alliance et une gradation harmonieuses de quatre sortes de rouges. Tout comme celui de Jules II, ce portrait de Léon X et de ses deux cardinaux constitue en même temps qu'une œuvre de grand art un document historique sur la véracité et l'exactitude duquel il n'est pas possible d'entretenir de doutes. Il est heureux que Raphaël ait été appelé à la cour de Rome ' sous les deux papes dont il a peint > les portraits et pour lesquels il a Raphaël. — La Vision d'Ezéchiel (Palais Pitti, Florence), travaillé : c'étaient deux hommes aux conceptions grandioses et d'un esprit tenace. Nous n'avons pas à parler d'eux, et il ne les considérait pas non plus comme chefs de l'Eglise, mais comnre princes et protecteurs des arts. Jules II était en effet un grand politique, il voulut établir les Etats de l'Eglise sur des bases solides et leur donner une influence prépondérante en Italie ; il voulut même délivrer la péninsule de la domination des étrangers et conquit ainsi, trois siècles et demi avant que la dernière armée étrangère traversât les Alpes, l'Italie pour les Italiens. Mais la patrie délivrée, il voulut confier au pape le pouvoir suprême et faire des Etats de 1 Eglise le plus puissant des États particuliers ; il conquit Bologne, Pérouse et d'autres villes ; il conclut une alliance, d'abord avec l'empereur d'Allemagne et le roi de- Erance 2 o6 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Venlse, puis avec Venise contre la ses vastes projets. n'était pas audacieux dans d'autres domaines ; Rome avait jusqu'alors joué un rôle inférieur dans les arts ; il entreprit de la mettre à la tête de toutes les villes de l'Italie ; il avait mis Bramante à l'œuvre comme architecte ; il en fit autant de Micliel-x\nge comme sculpteur et de ce dernier et de Raphaël comme peintres. vrai qu'il ne de ses gigantesque projets, pas plus qu'en politique, ^ grâce à lui qu'ils furent exécutés après sa mort. Raphaël le peignit comme s'il devinait l'avenir m et y voyait ses rêves réalisés. Léon X était d'une tout autre nature, V ■ grand lui aussi dans ce qui le distinguait, ^ X'\ c'était le plus magnifique des papes; ce que mB[ilBlki-L__ \ ^ Jules II avait projeté dans le domaine des arts il l'exécuta, ainsi que beaucoup d'autres choses, 223. Raphaël. — Portrait du pape Jules II était profondément convaiiicu de l'inestimable (Palais Pitti, Florence). . , ... , ,.. ., valeur des grands artistes qu il avait engages et voulut en obtenir tout ce que pouvait fournir leur force créatrice. II accabla en particulier Raphaël de commandes et d'emplois. Non content de lui faire couvrir de peintures les salles et les galeries du Vatican, il le nomma en outre en l'Eglise Saint-Pierre le des de antique lui demanda des projets de sculp- ture et des dessins pour toutes sortes d'où- vrages. Raphaël ne pouvait pas ce qui était demandé ; excès de commandes l'empêcha malheureusement d'y -' au mêmq tableaux, comme il le faisait auparavant. Cependant il accomplit des miracles .X- de fécondité, non seulement dans le Vatican, mais aussi hors du Vatican. Les fresques que Raphaël peignit pour autre de mécènes. Agostino Chigi, comptent aussi parm.i ses œuvres les plus importantes. Elles décorent le palais de opulent négociant romain, palais appelé Villa Farnesina ou Palais Earnèse, du nom de ® — famille Portrait du la princière à laquelle il appartint Pape Leon par cardinaux Ludovico Rossi et ,. Julien de Medicis la suite. Une sene de ces fresques exécutées (priais pitti. Florence). L'École italienne. 207 de 1516 à 1517 représente l'Histoire de Psyché, et une autre, peinte en 1513 ou 1514, le Triomphe de Galathée (N° 225), toutes deux comptent parmi les plus merveilleuses illustrations de la Fable ; c'est Vénus, la déesse même des Grâces et des Ris, que l'on, voit s'avancer avec son cortège de Nymphes emportées par des Tritons. De même Galathée répond et au delà à l'image que les poètes se faisaient de ce parangon de grâce et de beauté Cette fresque a bien souffert, mais la main de l^aphaël s'y reconnaît aux formes et au mouvement de la figure principale, au geste de tel petit amour qui déploie si harmo- nieusement ses membres, à l'invention si originale des dieux et des déesses marines, Raphaël se trouvait à l'aise dans tous les domaines : la Bible lui était aussi familière que la Fable ; il excellait dans l'allé- gorie comme dans le portrait, dans l'histoire comme dans la légende ; mais il revenait toujours à son sujet de prédilection, à celui qu'il avait caresse avec tant de bonheur ^ dès sa précoce jeunesse : la Madone, la femme belle et pure entre toutes, avec son Enfant, le plus adorable de ceux qui furent pétris de'chair terrestre. Si durant toute sa vie il créa des Vierges dignes de nous évoquer la Reine du Ciel, ce fut surtout vers le couronnement de sa carrière qu'il les revêtit de grâces et de perfections vraiment idéales, La Madone de Foligno (N° 226) est un de ces chefs- d'œuvre. Elle fut peinte en 1511 pour l'église Sainte Marie Ara Celi de Rome, on la retrouva plus tard dans une église à Foligno, d'où son nom, et elle orna enfin la galerie du Vatican. Marie trône dans les nuées avec le ,,bambino" sur ses genoux, sur le devant, à droite. Saint Jérôme recommande à la Vierge le secrétaire de Jules II, Sigismond Conti, le donataire, 225. Raphaël. — Le Triomphe de Galathée (Villa Famèse, Rome), agenouillé ; à gauche. Saint Jean Baptiste montre la Vierge à Saint François d'iàssise que cette vision ravit en extase. Au milieu de ces deux groupes un ange porte une table votive. Tout commande l'admiration dans ce tableau : l'adorable pose de la Vierge, l'attitude joueuse du bébé, avec cette tonsion qui soulève sa hanche molle et colle contre son ventre la chair enfantine de la cuisse, Texpres- sion de naïve adoration de l'ange, les quatre figures de saints, le fond représentant Foligno et une bombe qui vient y tomber, la facture magistrale de l'ensemble alliant la vigueur à la grâce. .Si .Raphaël n'avait créé des Madones plus nobles encore celle-ci compterait déjà parmi les chefs-d'œuvre incomparables. Mais la plus noble de toutes est la Madone de Saint-Sixte (N° 227), qui fut peinte entre 2o8 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. les années 1515 et 1519 pour l'église de San Sisto à Plaisance et achetée en 1753 ou 1754 la par l'Electeur de Saxe pour enrichir galerie princière, aujourd'hui le Musée de Dresde. Marie trône dans les nuées avec l'Enfant Jésus comme dans le tableau précédent. Elle est vêtue d'une robe mouchoir de rouge à reflets blancs, d'une tunique bleue, d'un gorge blanc et d'un voile gris. A gauche Saint Sixte, pape, agenouillé sur les nuages, est en surplis et en chasuble de drap d'or. Sainte Barbe, à droite, également agenouillée et les yeux baissés, porte robe bigarrée. Deux rideaux verts sont relevés dans les coins supérieurs du tableau. une Comme dans le précédent le ciel est rempli de nuages formés de têtes d'anges. Dans le bas, accoudés à la crête d'un mur, deux anges plongés dans l'extase et la méditation lèvent les yeux vers le ciel. C'est un des tableaux grands yeux'^eM^ s'est aussi transporté eii [ ■ des prés : elle semble une apparition céleste, soutenue et emportée par sa draperie flottante. C'est bien sous ce jour que la voit et que l'adore le saint pontife, un simple enfant des hommes, lui, une figure bien réelle de geste et de physionomie. Sainte Barbe, recueillie, baisse modestement les yeux devant la mère du Sauveur. Les petits anges, de délicieux lutins terrestres doublés d'enfants du Ciel, llÉfeiHk présentent cette harmonie éminemment raphaélienne de vérité et de beauté humaines combinées l'immortalité divine. Dans ^S||||H cette merveilleuse toile le maître semble 'r réuni et fondu à la fois ses aspirations idéales et ses observations de la nature ; cette fusion réalité profane ou de l'exaltation surnaturelle. 226. Raphaël. — La Madone de Foligno (Vatican, Rome). . - , i . , , I/œuvre est sortie tout aussi facilement de ' ses pinceaux que de son esprit ; la couleur discrète et amortie, vigoureuse quoique appliquée par couches légères, présente des dégra- dations délicates, ainsi avec quelques chatoiements au cou et au poignet de vSaint Sixte qu'au bras de Sainte Barbe. On a l'impression d'un moment de! vision et de sentiment supe- rieurs transportés d'emblée sur la toile. La Madonna delia Sedia (N° 228), la Vierge à la Chaise qui est au Palais Pitti et que Raphaël peignit en 1516 est toute différente quoique bien remarquable aussi. Il n'est plus question ici de vision surnaturelle et d'extase céleste. La tendresse de la mère pour son enfant y est seule exprimée ; Marie enferme étroitement dans ses bras et presse contre son sein le petit Jésus, un adorable enfant, qui, le visage tourné vers le spectateur et le regard L'École italienne. 2 I I un peu effaré, se blottit frileusement dans le sein maternel, le plus douillet de tous les nids. Jamais on n'a mieux rendu la grâce mutine et la sensualité naïve du bébé dans le giron maternel. L'expression du visage de la mère est d'une beauté ineffable aussi, et la physionomie du petit Saint Jean Baptiste exprime une admira- tion candide et touchante. En somme ce tableau demeure la représentation artistique la plus parfaite de l'amour maternel. On a célébré avec raison chez Raphaël ce goût naturel de la mesure, ces instincts affectueux qui le portèrent, comme Mozart, à peindre la bonté naïve ; cette délicatesse d'âme et d'organes qui lui fit rechercher partout les êtres nobles, doux, heureux, généreux et dignes de tendresse. Il eut cette fortune singulière 228. Raphaël. — La Vierge à la Chaise (Palais Pitti, Florence). d'incarner deux civilisations en ce qu'elles eurent de plus parfait, de traduire aussi bien l'innocence et la pureté chrétiennes que la force et la joie païennes, et surtout de marier la bonté de l'Evangile avec la beauté de la Fable. 229. Jules Romain. — Combat entre Grecs et Troyens (Palais du Té, Mantoue). 2 I 2 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. De nombreux élèves se pressèrent autour du divin Sanzio pour prêter leur concours à grands ouvrages. Le plus célèbre de ceux-ci et le seul qui ait fait preuve d'une haute ses personnalité est Jules Romain, dont le véritable nom était Giulio Pippi. Il naquit à Rome du Vatican en 1492, aida Raphaël à brosser les fresques des chambres et des loges et, après la mort de son maître, il demeura encore quelques années à Rome. En 1524, sur l'invitation où il décora de les de du duc Frédéric de Gonzague, il se rendit à Mantoue fresques palais ce prince et où il mourut en 1546. Outre ses peintures murales il peignit de nombreux panneaux. Par plus d'une face de son talent il représente l'antipode de maître. Il incline plutôt vers la violence que vers la douceur et il apporte dans conceptions plus de fougue et de frénésie que de mesure. C'est avant tout z/i âài créateur audacieux très épris de mouve- ment et de drame dans l'action. plupart des fresques exécutées à Mantoue se trouvent au palais du Té. Il y 3- peint des épisodes de la guerre de 1^1 Troie. Nous reproduisons un de ces Ce sont bien là les héros décoratifs et athlé- sur leurs de ou descendus pour combattre à pied. Les chevaux se cabrent, les cochers sont cul- butés et foulés sous les pieds des coursiers. SI les personnages mêmes font illusion, il y a lieu de critiquer les cos- tûmes. Troyens et Grecs sont vêtus de A- ^BBl^i^^^aE ^D^PGBl cuirasses et de casques romains. D'autre il part la composition manque d'unité. Mais 1^ peintre tenait surtout à nous sur- prendre et par l'audace de créations, parfois il n'y est arrivé qu'au prix du bon décadence, car il n'aura que trop de continuateurs qui enchériront sur Jules Romain. — Le Couronnement de Marie SCS défauts SauS 230. préserver eUCOre COlTUne (Vatican, Rome). qu'il devait aux sublimes exemples d'un Raphaël.^ Une de ses plus importantes peintures sur panneau est le Couronnement de Marie (N° 230) dans la Galerie du Vatican. Par la conception comme par la composition le tableau se divise en deux parties. En bas sont les apôtres dont plusieurs regardent avec suprise le tombeau d'où Marie est ressuscitée et en que remplissent à présent des plantes pleine Marie floraison. Les autres contemplent, les yeux levés, la scène qui se passe dans le ciel : réunie à son Fils qui lui tient une couronne au-dessus de la tête. Des anges délicieux a apportent des guirlandes de fleurs. On dirait deux moitiés d'un tableau peintes sont part et raccordées après coup, tant elles tiennent peu ensemble, mais toutes deux L'École italienne. 213 remarquables ; la moitié supérieure surtout qui rappelle la composition sereine et le style enchanteur de Raphaël ; l'autre moitié représente un bon échantillon de la manière violente et débridée du maître, la pantomime turbulente des apôtres s'explique par le prodige dont ils sont témoins. Toute l'œuvre se recommande par l'opulence et l'éclat du coloris. A cette florissante époque de la peinture italienne, nous ne rencontrons pas de peintres éminents que dans les grand foyers artistiques ; à "Sienne, par exemple, ber- ceau de l'art italien primitif, un maître de la plus haute valeur était venu se fixer au commencement du XVI® siècle: Giovanantonio Bazzi, plus connu sous le nom de SoDOMA. Il était né à Vercelli en 1477, il apprit son métier à Milan chez le Vinci, et, à l'exception de quelques années qu'il passa àRomeet dans d'autres villes, presque toute sa vie s'écoula à Sienne, où il mourut en 1549. Il 3- peint de nombreuses fresques et tout autant de tableaux religieux sur toile ou sur panneaux. Sodoma fut un peintre admirablement doué dont l'art s'éleva sou- vent très haut, mais pour retomber parfois dans le médiocre, peut-être à cause de sa trop grande facilité et d'une production si prolifique qu'elle devait fatalement engendrer des œuvres iné- gales. Mais lui aussi se rap- proche de Raphaël par la perfection et le charme deâ formes ; ses figures sont exquises et ses accessoires 231. Le Sodoma. •— Saint Sébastien (Offices, Florence), sont toujours peints avec une grande pureté technique, ses compositions" auraient gagné à être plus mûries, et souvent, quoique très fouillées, elles ne témoignent pas d'un sentiment bien profond. Ses plus belles fresques ornent le Palais Public et l'église Saint-Dominique à Sienne, ainsi que le couvent des Bénédictins de Monte Olivetto Maggiore près de cette ville. L'église Saint-Augustin, à Sienne, possède un tableau d'autel de Sodoma représentant l'Adoration des Mages, et offrant cette particularité que, par exception, l'un des trois rois s'incarne dans une charmante figure Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. juvénile. Mais le plus célèbre des tableaux de Bazzi, et peut-être une des plus belles figures de toute l'École italienne, est le Saint Sébastien (N° 231) des Offices. L'expression du jeune martyr oubliant les flèches qui le criblent pour s'élever déjà par l'extase et la ferveur jusqu'au séjour des beauté morale ce anges, est vraiment inoubliable et rehausse d'une suprême parangon de beauté physique. Ce tableau, peint pour la confrérie de Saint-Sébastien à Sienne, représente un des côtés de la bannière portée dans les processions par ladite confrérie, l'autre côté de cette bannière nous montre la Madone entre les Saints Roch et Sigismond. Antonio Allegri, universelle- ment connu sous le nom du CorrèCe, à cause de Correggio, où il naquit en 1494, compte parmi les maîtres les plus originaux de cette généreuseÉcole italienne. Il n'eut pas à proprement parler de maître, mais Francia semble l'avoir attiré sans pourtant avoir eu grande prise sur lui, et il suivit franchement sa propre voie. En 1514 il produisit sa première œuvre connue dans sa ville natale, en 1518 il se fixa à Parme, où il exécuta d'impor- tantes fresques pour la cathédrale et où il peignit la plupart de ses panneaux religieux et mythologiques, en 1530 il retourna dans sa ville natale, où il mourut en 1538. Le Corrège fut le premier peintre italien qui introduisit dans sa peinture les prestiges de la lumière. Toutefois il ne comprend pas cette lumière à la façon des peintres septentrionaux qui la font naître des rayons du soleil, ce grand dispensateur de la chaleur et de la vie ; chez lui la lumière est une clarté superficielle et frigide qui illumine et fait rayonner les êtres et les choses sans les réchauffer, cette lumière imprègne la couleur, elle en fait fondre la matière et la rend transparente, il en résulte pour ses dieux et ses. saints une beauté mer- 232. Le Corrège. — La IMadone à l'Ecuelle (Musée de Parme). ... • , 1 -, ¡ i. ' ^ veilleuse et lumineuse, rappelant ces héros de l'Iliade que les Olympiens illuminent d'auréoles, de nimbes et d'aigrettes éblouissantes; on les dirait taillés et modelés dans des pierres précieuses. Art magique s'il en fut, mais art par trop artificiel aussi et qui, en formant 1 antithèse même de la nature, n'ouvrait qu'une voie trop facile et trop séduisante à des faiseurs et à des virtuoses; cependant le Corrège n'eut aucun disciple ou imitateur digne de lui. Les fresques que le Corrège exécuta pour la cathédrale, l'église Saint-Jean-Baptiste et le couvent de Saint-Paul à Parme, sont trop détériorées pour nous édifier sur la valeur et les qualités de l'artiste, nous nous bornerons donc à reproduire quelques-uns de ses panneaux qui ont gardé tout leur éclat primitif. L'École italienne. Les musées de Parme et de Dresde sont les plus riches en œuvres de ce maître. Celui de la première de ces villes possède la Madonna delia Scodella (N° 232) ou la Madone à l'écuelle. Ce tableau fut peint en 1520 pour l'église du Saint-Sépulcre à Parme, il représente une halte de la Sainte Famille, pendant sa fuite en Egypte ; Jésus n'est plus le nourrisson emmail- loté dans ses langes, c'est déjà un bambin éveillé qui joue en riant sur les genoux de sa mère. Marie puise dans une écuelle l'eau de la fontaine qu'elle lui donnera à boire. Joseph abaisse d'une main la branche d'un dattier et de l'autre il tend à l'enfant un fruit qu'il vient de cueillir. Des anges planent dans les nues. Ce tableau respire la félicité domestique la plus parfaite. Marie est fière de son enfant, Joseph est aux petits soins pour lui et le petit se laisse dorloter par eux en se réjouissant de leur sollicitude. Des clartés traversent le ton brun ^ et nébuleux du fond sur lequel les figures se détachent avec éclat et précision. La lumière ^■||||||j|^^ se merveilleuse. Les les ombres, la lumière, ses se dans les moindres coins du tableau. Le évoque un de ces ciels profonds veloutés de sur lesquels se déploient des nuages féeriques, lumineux et colorés. La Madone et Saint Jérôme de Parme pour le du eni523, que quatre ou Jésus le Assis genoux de sa d'une beaux cheveux appuie contre sa livre que Saint Jérôme et un ange tiennent ouvert devant lui. Derrière 234- Le Corrège. — La Nativité (Musée de Dresde), la Madeleine un petit ange respire les parfums qui s'échappent d'une cassolette apportée par la pécheresse repentie. Les figures présentent cette joliesse et cette grâce spéciales au Corrège qui frisent la préciosité, le manié- usine sans jamais y verser. Madeleine est tout velours et tout baume; Saint Jérôme par contre est un colosse tout en angles. En dépit de ce que la composition offre d'un peu efféminé il y a beaucoup de charme dans cet ange assistant Saint Jérôme, dans la Vierge contemplant son Enfant, dans le mouvement de celui-ci, dans les caprices de la lumière folâtrant sur tous ces personnages. Quelle séduction surtout dans cette blonde Madeleine, vêtue d'une robe blanc et jaune, comme ensoleillée, mais peut-être plus radieuse encore de sentiment que de couleur l Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. La Nativité (N° 234) du Musée de Dresde est plus connue sous le nom de la Sainte Xuit. La douce lumière qui s'exhale de l'Enfant sur les bras de la Vierge suffit pour éclairer la scène entière. Elle est, pour ainsi dire, renvoyée d'un objet à l'autre. A la vue de phénomène une bergère recule effrayée ; une autre relève la tête et ce interroge du regard un pasteur qui se trouve derrière elle et à qui la surprise fait porter la main à son visage tandis qu'il ploie les jambes comme sur le point de s'écrouler. Joseph se tient au fond. Dans le haut planent des entre-mêlés, porteurs de la bonne nouvelle. La anges composition est présentée avec un art extrême, on est saisi par le contraste entre la délicieuse Madone et les bergers réalistes, par l'opposition entre la lumière qui s'exhale de l'Enfant et les ténèbres qui entourent la scène. Il s'agit bien d'une lumière surnaturelle, non point d'une clarté aveuglante qui darde des rayons, mais d'un éclat discret et cares- sant, pénétrant, pour ainsi dire insidieux et éthéré, qui fait transparaître jusqu'aux ombres et qui prête à l'ensemble une atmosphère vraiment miraculeuse. Ce tableau, commandé en 1522 par Alberto Protoneri, ne fut placé qu'en 1530 dans la chapelle des Protoneri dans l'église Sainte-Propère à Reggio. Le même Musée possède aussi la Madone entôurée de saints et d'anges connue sous le nom de Madone avec Saint ° Georges (N 235). Elle fut peinte entre 1530 et 1532 pour l'église Saint-Pierre ]\Iartyr à Modène. La Vierge à l'Enfant s'encadre dans une arcade ouvrant une perspective sur le ciel. Autour d'elle Saint Geminien reçoit des mains d'un ange la maquette de son église. Saint Jean Baptiste nu et beau comme un éphèbe grec, montre l'Enfant Jésus. On remarque encore Saint Pierre Martyr et Saint Georges foulant du pied la tête du dragon. A l'avant-plan les délicieux anges, insépa- . ^ ^ 235. Le Correge. — Aladone avec Saint Georges • ^ ^ 2. du (Musée de Dresde). rables de tout tableau Correge, jouent avec les pièces de l'armure du saint guerrier. Le tableau est tout à fait radieux, sans la moindre opposition d'ombre et de lumière. Le soleil éclaire et magnifie chaque figure prise à part. La gamme des tons n'est pas moins opulente: Saint Georges porte une cuirasse blanche à reflets d'or et une draperie rouge; Saint Jean étale la nudité d'un corps superbe ceint d'une étoffe rouge et bleu clair; Marie est vêtue d'un bleu et d'un rouge plus vifs encore. Le tout répand un éclat triomphal et pourtant délicat et caressant, une lumière comparable à l'aube d'un beau jour d'été. L'Ecole vénitienne inaugure son ère la plus glorieuse au commencement du XVP siècle. Divers artistes de premier ordre et qui s'apparentent les uns aux autres par une manière commune s'y produisent simultanément. C'est d'abord Giorgio Barbarelli , plus connu L'École italienne. sous le nom de Giorgione, né à Castelfranco en 1478, qui vint en 1505 à Venise où il décora de fresques nombre de palais et où il mourut en 1511 ; puis Palma Vecchio ou le V ieux, né à Sérinalta près de Bergame en 1480, dont la carrière s'écoula aussi à Venise et qui y mourut en 1528 ; et enfin Lorenzo Lotto, né à Trévise en 1480, séjourna dans diverses cités, mais le plus longtemps à Venise et alla mourir vers 1555 à Lorette. Tous trois étaient élèves ou disciples de Giovanni Bellini dont ils adoptèrent les tons chauds et vivaces comme aussi les figures séduisantes. Durant sa trop courte carrière Giorgione peignit, outre la décoration de façades monumentales, de nombreux tableaux dans lesquels le paysage joue un rôle important. Il se distingua par une conception prime-sautière des figures, un 236. Le Giorgione. — Le Concert champêtre (Louvre, Paris). talent de plus en plus remarquable pour la composition et une très chaude lumière. Palma le Vieux fut bien plus fécond, ses figures se recommandent par une beauté opulente et sensuelle, leurs attitudes fi ères et majestueuses, leur coloris harmonieux. Le style de Lorenzo Lotto est ondoyant et divers, tantôt particulièrement agréable et vivant, tantôt plus décousu et plus brutal ; tantôt morne et frigide, tantôt imprégné d'une ardente lumière. Les tableaux de Giorgione, peints sur panneaux, sont fort rares. Le Louvre en possède deux. Le Concert Champltre (N° 236) représente deux jeunes élégants, en costume du XVD siècle, et dont l'un joue de la mandoline, en face d'une femme nue, tenant une flûte dans la main. Une seconde femme, presque entièrement nue, remplit une cruche à l'eau 2 20 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. fontaine. A l'arrière-plan berger mène son troupeau. Comme toujours chez d'une un Giorgione la scène se passe dans un paysage qui constituerait à lui seul un chef-d'œuvre ; les femmes des formes aux possèdent la beauté traditionnelle des Vénitiennes de l'époque ; opulentes tons- les blonds et vaguement ambres ) elles sont a la fois sensuelles et dignes, jeunes cavaliers ont des cheveux noirs et le teint basané. Il faut voir dans cet assez bizarre assemblage de galants sorte en costume d'apparat et de femmes nues une d'allégorie de la conception que l'artiste faisait de l'existence idéale : se trouver dans un site enchanteur, par un coucher se 237. Palma le Vieux. — Saint Pierre sur son trône 238. Palma le Vieux. — Sainte Barbe (Eglise (Académie, Venise). de Santa Maria Formosa, Venise). de soleil féerique, en compagnie de merveilleuses formes féminines, et se délasser par de fines- causeries et une mélodieuse musique ! Ajoutons que cette vie était aussi le rêve, l'idéal de la plupart des artistes de son temps. De Palma Vecchio l'Académie de Venise possède chef-d'œuvre : Saint Pierre sur un un trône et six autres saints (N° 237), dont Saint Paul et Saint Jean Baptiste. Ces imposantes figures rompent avec la tradition des primitifs et les modèles de Giovanni Bellini, ces saints ne se confinent plus dans la rêverie et le recueillem.ent, ils sont prêts pour les actions énergiques. On admire aussi les tons bruns et chauds caractérisant les coloristes de la grande période. L'École italienne. 22 1 La Sainte Barbe (N° 238) de Santa Maria Formosa, à \"enise, passe à bon droit pour le chef-d'œuvre de Palma le Vieux. Elle forme le panneau principal d'un tableau à cinq compartiments décorant l'autel d'une chapelle latérale de ladite église. Peut-être est-ce la plus splendide femme créée par cette Ecole vénitienne où elles abondent cependant. C'est la martyre triomphante pdutôt que souffrante. Sa palme est un sceptre de victoire, sa couronne et sa robe de pourpre sont d'une reine, elle est bt^lc d'une beauté profaue et (piasi païenne ; c'est une souve- raine lern^stre, ou plutôt une déesse (le rOlynqK^ paréc^ d'mu> majesté (jU(> l'on piadiuait à Junou. l.(Un:N/o l.cviTO (^xeelle sou- vent dans la eomposiiiiui et la mise c\\ auiNiw lôd (^st le cas pcuir S(U\ lable.m. malheureusement fort end(Mumage. de Feglise dei Carmini à \ euise . rA potheose ùe X teoias \ 239h Le saint, vêtu de son costume sacerdotal, monte au ciel vers les splendeurs duquel il lève les yeux et tend les bras ; trois anges lui servent d'acolytes dans cette assomption : l'un porte sa crosse, le second sa mitre, le troisième déploie sa chape et tient aussi un plat de fruits que le patron favori des enfants emporte au ciel sans doute pour le partager de là-haut entre ses petits protégés. Sainte Lucie et Saint Jean Baptiste assistent avec ferveur à ce prodige. Tous les per- sonnages planent dans les nuées au- dessus d'une plage déserte dont les ténèbres et la solitude ne font ressortir que mieux la splendeur et l'essor triom.phal du groupe céleste. Tiziano Vecelli ou le Titien est le plus célèbre des peintres véni- tiens et il compte même parmi les quatre ou cinq plus grands artistes 239. Lorenzo Lotto. — L'apothéose de Saint Nicolas de toute l'Italie. Il dei naquit à Pieve dl Carmini, Venise). Cadore, Nord de Venise en 1477, et il arriva tout jeune dans la ville des Doges où, à part des absences temporaires, il passa toute sa vie jusqu'à sa mort survenue en 1576. Dans l'existence quasi séculaire qu'il mena on ne relève aucun événement en dehors de sa prodigieuse activité artistique. Comme tous ses confrères contemporains il subit l'influence de Giovanni Bellini, et aussi celle du Giorgione, avec 222 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. lequel il peignit son premier ouvrage. Les églises et les palais de Venise regorgent de tableaux du Titien. On en trouve dans tous les musées du monde. Sa fécondité, sa gloire et son prestige sont comparables à ceux de Rubens. Il fut le fournisseur attitré des têtes couronnées, le portraitiste des princes et des grands de son époque. Les ducs de Mantoue et de Ferrare, le pape Paul II, Chaiies-Quint, Philippe II, François le comblèrent de faveurs et de commandes. Il fut un génie éminent et un homme parfaitement heureux. L'Italie n'eut jamais plus merveilleux coloriste, et comme tel on ne lui connaît que de rares rivaux dans les autres écoles. Ses tons éclatants, fondus dans une lumière ardente, prêtent à ses toiles autant de puissance que de séduction. Il est aussi le peintre par excellence de la vie libre et radieuse. Ses sujets sont adéquats à sa manière. A la beauté des form.es naturelles il ajoute souvent la splendeur du vête- ment et des décors, tous les prestiges d'un luxe profane ou d'une félicité céleste ; il enchérit mênre sur les nobles spectacles qui se déroulèrent sous ses yeux, il leur a prêté une consécration définitive, une gloire suprême. Il a célébré ses contem- porains les plus haut placés et les plus illustres et ses contemporaines les plus belles, comme Van Dyck, devait immor- taliser les grands et les beautés de son époque. La plupart de ses portraits sont autant de chefs-d'œuvre, bref ce fut surtout un peintre à l'exemple des grands artistes néerlandais. Son Saint Marc et quatre autres Saints (N° 240) peint vers 1504 pour l'église du Saint-Esprit et qui se trouve aujourd'hui dans l'église Santa Maria délia Salute compte parmi les belles œuvres de sa jeunesse. Le saint patron de Venise trône entre les Saints Cosme et Le Titien. Saint Marc saints DamienS, a gauche, et leS Saints Roch et 240. — et quatre autres (Eglise Santa Maria délia Salute, Venise). Sébastien à droite. Les personnages sont merveilleux d'allure, d'élégance et de naturel, chacun a sa propre attitude et son propre mouvement. C'est la nature prise sur le vif mais à ses meilleurs, à ses plus beaux moments. Saint Marc seul révèle des préoccu- pations en dehors et au delà de ce monde : les yeux levés vers le ciel il semble en attendre conseil. Les autres continuent à vivre ici-bas. Saint Roch implore la guérison de sa blessure, mais Saint Sébastien, quoique percé de flèches, ne se préoccupe ni de ses plaies, ni des maux de son entourage. Lue lumière éblouissante achève d'aviver et d'embraser les éclatantes couleurs. Peu d'années après, mais toujours en pleine jeunesse, le Titien peignit le tableau célèbre de la Galerie Borghèse à Rome : L'amour sacré et l'amour profane (X° 241). Deux L'École italienne. 223 241. Le Titien. -— L'amour sacré et l'amour profane (Villa Borghèse, Rome). femmes, l'une presque entièrement nue, et l'autre non moins belle, mais somptueusement parée, se font vis-à-vis de chaque côté de la vasque d'une fontaine. La première s'adresse amicale- ment à sa compagne, mais celle-ci détourne légèrement la tête comme s'il lui répugnait d'en- gager la conversation. Sans doute a-t-on tiré le titre du tableau de l'expression de ces deux belles et y a-t-on vu la volupté tentant la pudeur. A l'arrière-plan un Cupidon penché sur la fontaine prend plaisir à remuer l'eau ; sur le devant, des roses jonchent le bord de la vasque. Alentour un paysage varié prodigue ses séductions. C'est un concours d'éléments enchanteurs ; la couleur merveilleuse, le ton doré, les formes idéales. Qu'importe ce que disent et ce que représentent celles-ci : Elles sont belles, divinement belles. Le Titien ne songea sans doute à aucun sujet déterminé en les peignant ; il ne fit que prêter le plus beau corps réel au plus noble de ses rêves. Jamais peintre n'in- venta autant de beauté-. D'ailleurs dans presque tous ses tableaux et à toutes les époques de sa vie le Titien célébra la beauté féminine. Une de ses œuvres les plus connues est la Flora (N° 242) des Offices, qu'il peignit vers 1515. On a vu en elle la déesse des fleurs à cause des roses qu'elle tient à la main, mais on pourrait aussi bien l'appeler Flora, parce qu'elle ressemble à la plus suave des fleurs. Elle en a la chair satinée, les contours moelleux, le radieux épanouissement, sa carnation est demeurée fraîche et appétissante malgré la patine du temps ; la chevelure défaite ondoie sur fes épaules, le mouvement des mains est a la fois naturel et gracieux, et Texpres- 242. Le Titien — Flora (Offices, Florence). 224 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. sion un peu rêveuse du jeune visage ajoute à l'ineffable séduction qui se dégage des moindres détails de ce tableau magistral. VAssomption (N° 243) la fameuse Assunta qui se trouve à l'Académie de Venise passe à bon droit le chef-d'œuvre du Titien et même pour celui de toute l'École vénitienne. Il pour fut achevé en 1518 pour le chœur de l'église des Franciscains. Le tableau est divisé en trois parties matériellement séparées l'une de l'autre, mais intimement reliées par la pensée et l'action. Dans la partie supé- rieure Dieu le Père plane dans une gloire, des collerettes d'anges tous plus délicieux l'un que l'autre lui forment une auréole, il arrive du fond de l'infini avec un mouve- ment d'aigle planant, accompagné d'un archange et d'un séraphin dont les mains soutiennent la couronne et le nimbre ; jamais le maître du ciel, à la fois véné- rabie et touchant, n'a été représenté plus dignement qu'en ce raccourci où la tête et le corps fuient horizontalement sous un flot de draperies volantes ouvertes comme des ailes. Le milieu du tableau est occupé par la Vierge Marie, vêtue d'une tunique rose et d'un manteau d'azur, que soulève ou qu'entoure une guirlande d'âmes bienheureuses et d'anges plus ravis- sauts et plus distincts encore que ceux du haut. La Vierge, une femme très vraie, très vivante, très réelle, d'une beauté solide comme toutes celles du Titien, n'a pas besoin d'ailes pour monter au ciel ; elle s'enlève par le jaillissement de sa foi robuste, par la pureté de son âme plus légère que l'éther le plus lumineux. Dieu le Père lui ouvre les bras, elle les tend vers lui, et leurs regards se conjurent mutuelle- ment, paternels ou éperdus d'adoration filiale. Sur la terre les apôtres se grou- peut en diverses attitudes de ravissement ou de surprise habilement contrastées. Deux ou trois petits anges descendus plus bas semblent leur expliquer le miracle 243. Le Titien. — L'Assomption (Académie, Venise). qui Se la passe. L'un tend leS mainS verS Vierge comme s'il voulait la retenir, un autre les joint dans l'attitude de la prière. Jean lui dit adieu avec un enthousiasme tem- péré de tristesse. Le tout représente une apothéose sans rivale, mais aussi un poème de couleur et de lumière, et surtout l'expression la plus glorieuse et la plus fervente de l'amour inspiré à ceux par la Mère du Sauveur aux habitants de la terre qu'elle abandonne comme du Ciel où elle est appelée pour devenir notre toute-puissante médiatrice. PALMA VECCHIO. ,.Violante." (Musée Impérial, Vienne.) L'École italienne. 225 La Madone de la famille Pesara (N° 244) qui se trouve dans l'église dei Frari à Venise, compte parmi les plus célèbres tableaux d'autel du Titien. En 1502 le pape Alexandre VI envoya une flotte contre les Turcs, flotte fournie en majeure partie par les Vénitiens et placée sous le commandement de Jacopo Pesaro ; cette expédition amena la conquête de l'île Santa Maura. Le Titien célébra aussitôt cette victoire par un tableau qui se trouve actuellement au Musée d'Anvers et qui représente Jacopo Pesaro recevant la bannière pontificale et implorant la protection de Saint Pierre. Une vingtaine d'années après, c'est-à-dire en 1526, une œuvre beaucoup plus importante fut consacrée à cette victoire, elle représente la Vierge avec l'Enfant assise sur un trône et entourée de saints. ,,Sortant du cadre modeste des tableaux votifs, a dit un critique, le Titien déploie ici toute la pompe religieuse à l'entrée d'un temple de vastes dimensions comme on n'en a pas encore peint avant lui. D'une simplicité frappante en comparaison de son entourage, la Vierge se penche avec bienveillance vers Jacques Pesaro, évêque de Paphos. Son voile blanc tombe de l'une de ses épaules, mais il est retenu sur l'autre par l'Enfant Jésus, qui regarde au travers avec un sourire ravissant". A côté d'elle Saint François d'Assises l'implore avec une ardeur extatique, sur le devant, Saint Pierre s'appuie sur le socle du trône, un livre ouvert sur ses genoux dans lequel sont consignés les exploits du vainqueur agenouillé. Un des com- pagnons de celui-ci, cuirassé, lève la bannière de l'Eglise aux armes des Borgia, et amène un général turc captif. A droite, dans le bas, quatre autres membres de la famille Pesaro, le vieux Benedetto à leur tête. Dans ce tableau le Titien est parvenu à la plus haute perfection, il réalise la plus 244. Le Titien. — La" Madone de la famille Pesaro noble alliance du recueillement et de Venise), la magnificence, de la magie du coloris nt de la majesté de la composition. C'est une œuvre triomphale dans toute l'acception du terme ; le drapeau flottant, les hautes colonnes s'enfonçant dans le ciel, la lumière répandue avec prodigalité, tout concourt à cette grandiose impression. La Présentation (N° 245) du Musée de l'Académie à Venise est une autre composition célèbre. L'histoire en est édifiante ; elle fut peinte vers 1538 pour la salle où elle se trouve encore, mais qui faisait alors partie de 1'Albergo delia Carita ; elle occupait toute une paroi au-dessus du lambris et de deux portes iut ménagées dans cette paroi. Lorsque le Musée installé dans la Carita on enleva le tableau du Titien pour le transporter dans une autre 15 2 26 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. salle après avoir suppléé par deux rallonges de toile peinte aux ouvertures que l'on y avait laissées à la place occupée du par les deux portes. Plus tard, quand on se fut rendu compte vanda- lisme commis, on replaça le tableau dans la salle de l'Albergo et on le rétablit dans son état primitif ; notre reproduction montre la Présentation avec les portes et le lambris qu'elle sur- monte et avec le plafond qui la domine. La composition est à la fois naïve et impression- nante ; le Titien a profité de ce sujet pour déployer un cortège de grands personnages de Jéru- salem., ou plutôt de Venise, qui escortent. Marie jusqu'au pied de l'escalier d'honneur menant au temple. La toute jeune fille gravit seule les nombreux degrés jusqu'au portique où l'attend le grand prêtre assisté d'un autre pontife ; Marie, vêtue de sa courte robe bleue et entourée d'une auréole, a monté les premiers degrés non sans se sentir un peu intimidée par les regards 245. Le Titien. — La Présentation (Académie, Venise). de tous ces nobles seigneurs qui la contemplent avec admiration. Un cadre architectonique aussi imposant que simple rehausse la grâce et la naïveté de la mise en scène, on croit réelle- ment assister à cet épisode de la vie de la Vierge. Dans cette maîtresse page le Titien a ajoute à l'opulence de sa facture et de son coloris le charme intime et familier, l'observation émue des Bellini et de Carpaccio. Le Titien fut aussi un des plus grands portraitistes de tous les temps et de toutes les écoles. Il nous a laissé d'innombrables portraits de ses contemporains notoires : papes, empereurs et rois, doges, princes et princesses, politiques, savants, artistes, nobles dames et gentilshommes. Ils représentent une galerie saisissante dans laquelle chaque personnage a son type, son caractère bien tranché ; où les hommes accusent leur énergie, leur volonté, leur L'École italienne. 227 noblesse, où les femmes dégagent une séduction irrésistible. Nous reproduisons deux de ses portraits célèbres : Charles-Quint à Muhlherg et Lavinia, la fille du Titien. Il peignit le portrait de Charles-Quint (N° 246) à Augsbourg où l'empereur l'avait fait appeler après la victoire remportée par lui, en 1547, à Muhlberg, sur l'Électeur de Saxe, Jean Frédéric, chef des protestants. Le tableau se trouve au Musée de Madrid, l'impression est saisissante : l'empereur, armé de pied en cap, la lance en arrêt, charge l'ennemi sans se départir de sa majesté sereine. Ce n'est pas le vainqueur, revenant du champ de bataille, mais bien le capitaine qui y conduit ses troupes, et dont l'œil perçant, l'allure héroïque sont pour ainsi dire garants du triomphe. Le Portrait de Lavinia (N° 248), la fille du Titien, qui se trouve au Kaiser Friedrich Museum de Berlin, témoigne d'un tout autre sentiment et d'aptitudes toutes différentes aussi. Lavinia était son enfant favorite et, jusqu'au moment où elle se maria, en 1555, elle avait la direction de son ménage. Il la peignit à différentes reprises. En elle il adorait, non seule- ment sa fille, mais il admirait aussi la jeune et fraîche beauté vénitienne et il la célébrait comme telle avec orgueil et enthousiasme ; il nous la repré- sente d'une façon bien originale : elle se penche légèrement en arrière, soulevant au-dessus de sa tête un plateau chargé de fruits ; mouvement à la fois gra- cieux et hardi, de nature à faire apprécier le corps souple et ondulé autant que la déli- cieuse physionomie de la jeune fille ; elle avait environ vingt ans et le portrait fut sans doute peint vers 1550 -4^- Titien. —■ Charles-Quint à Muhlberg (Musée de Madrid). Le Titien peignit aussi, surtout vers la fin de sa carrière, nombre de tableaux mythologiques dont plusieurs lui furent commandés par Philippe II d'Espagne. Au nombre de ces derniers figure Vénus et Adonis (N° 247) peint en 1554 et qui se trouve au Musée de Madrid. C'est un des groupes les plus adorables que l'on puisse imaginer. Adonis va partir pour cette fatale chasse au sanglier où il trouvera la mort ; d'une main il tient son épieu et de l'autre ses chiens en laisse. Vénus s efforce de retenir son amant car elle a le pressentiment de la catastrophe ; elle l'étreint dans ses bras, elle s'accroche à lui ; mais c'est en vain, l'infortuné, condamné par les Dieux, court à son trépas. Le groupe des amants est d'une conception aussi originale que gracieuse, du reste le peintre a traité plusieurs fois le même sujet. 228 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Le grand artiste conserva ses facultés jusqu'à la fin de sa longue carrière, mais, insen- siblement, le mode sombre et violent tient une plus grande place dans son œuvre que la note radieuse ou triomphale. Sa peinture devient plus lâchée, son coup de pinceau plus témé- raire ; l'opposition entre l'ombre et la lumière remplace l'éclat coloriste et lumineux d'autre- fois. Le Christ couronné d'épines (N° 249) du Musée du Louvre, peint vers 1560, témoigne de cette révolution survenue dans sa manière. Le Christ est assis devant le tribunal que domine le buste de l'empereur Tibère, trois soldats et deux bourreaux le flagellent ou lui enfoncent la couronne d'épines dans la tête. Le visage de l'Homme Dieu exprime l'infini de la souffrance et de la détresse, autour de lui les bourreaux se pressent avec des mouvements tumultueux; la musculature de ces athlètes, leurs gestes violents, leurs chairs illuminées de brun se déta- chant sur le fond sombre, tout contribue à renforcer encore l'impression tragique de cette œuvre et à prouver que l'artiste octogénaire se trouvait encore en pleine possession de ses moyens. x\u cours de sa longue et glorieuse carrière le Titien ne forma que peu d'élèves, cependant parmi ceux-ci on compte PâRis Bordone, né à Trévise en 1500. Il se rendit tout jeune à Venise, travailla sous la direction du Titien et séjourna ensuite dans d'autres villes de l'Italie; plus tard le roi François II l'appela en France, où il exécuta divers travaux pour ce monarque. De Paris il se rendit à Augsbourg, où il travailla pour le compte des Fugger, les richissimes banquiers, après quoi il retourna en Italie et séjourna dans diverses villes, notamment à Milan. Il passa les dernières années de sa vie à Venise où il mourut en 1571. Son œuvre comporte des tableaux reli- gieux, mythologiques et historiques, traités d'abord dans la manière du Titien, mais, par la suite, dans un 247. Le Titien. — Vénus et Adonis (Musée de Madrid). mode plus réaliste ; SeS compositions sont fort agréables, sa couleur bril- lante, sa lumière chaude. Il a excellé aussi comme portraitiste. On tient pour son chef-d'œuvre le Pêcheur rapportant l'anneau de Saint Marc au Doge (N° 250). La nuit, pendant une tempête effroyable qui s'était déchaînée en 1339 sur Venise, trois inconnus sautèrent dans la barque d'un gondolier, le réveillèrent et lui commandèrent de les conduire au Lido. Ces trois personnages se trouvèrent être les trois patrons de la ville : Saint Marc, Saint Théodore et Saint Georges. Ils étaient intervenus pour empêcher la ruine de leur protégée et ils livrèrent un combat victorieux aux démons et aux monstres ennemis. Pour finir Saint Marc dit au gondolier : ,,Tu as passé une rude nuit, or, comm.e toute peine mérite salaire, voici mon anneau, porte-le au Doge et raconte-lui ce que tu as vu. Il te donnera des sequins d'or plein ton bonnet". Le moment choisi par le peintre est celui où le gondolier s'age- nouille devant le Doge ; la composition de la scène est très pittoresque : on voit en perspec- tive une longue file de têtes de sénateurs brunes ou chenues, du caractère le plus magistral, des curieux s'étagent sur les marches et leurs groupes forment d'habiles contrastes, le beau L'École italienne. 231 costume vénitien s'étale là dans toute sa splendeur. Comme dans presque toutes les toiles de l'école vénitienne l'architecture tient ici une grande place. De beaux portiques dans le style de Palladio, animés de personnages qui vont et viennent, remplissent les derniers plans. Ajoutons que le tableau est éblouissant de lumière, le soleil en inonde et en fait chatoyer tous les coins. Les riches étoffes et les marbres en contractent un éclat presque féerique. A cette école se rattachent encore Pordenone, Moretto et Moroni. Giovanni Antonio da Pordenone s'appelait Sacchi de son nom de famille et il se fit aussi appeler le Corticelli, son. père étant né dans la ville de ce nom. Lui-même vint au monde à Pordenone en 1483, il aurait fait ses études à Udine, mais il se serait fixé plus tard dans sa ville natale. Depuis 1528 il travailla à Venise, en 1538 le duc de Ferrare l'appela dans cette Ville où il mourut l'année suivante. Il se distingua surtout comme peintre de fres- ques et comme narrateur dramatique non exempt de prolixité. Le coloriste est inégal. Le musée de Venise possède une de ses meilleures œuvres, don du grand sculpteur Canova. Elle date de 1526 et représente Notre Dame du Mont Carmel 'prenant ses adorateurs sous sa protection (N° 251). La Vierge plane dans une gloire, les bras ouverts et tendus vers ses proté- gés, quatre petits anges soutiennent les pans de son manteau sous les plis duquel se tiennent agenouillés ses principaux fidèles : le bienheureux Angelo le Carm.e, tenant une fleur de lis ; Sim.on Stock, qui reçut le scapulaire des mains de Marie ; d'autres encore. Au milieu des deux grou- pes formés par ces pieux personnages est représenté le moine qui comm.anda le tableau. Moretto, qui s'appelait Alessan- dro Buonvicino de son nom de famille, naquit en 1498 à Brescia, où il demeura presque toute sa vie et où il mourut en 1555 ; — 24g Le Titien. Le Christ couronné d'épines il peignit beaucoup de tableaux d'autel pour (Louvre, Paris), les églises de Brescia et aussi pour celles d'autres villes de l'Italie. Il se recommande par la fraîcheur de son coloris, la vie intime de ses figures, la grâce particulière de ses groupes. Comme portraitiste il compte aussi parmi les meilleurs maîtres italiens ; il s'est même surpassé dans ce grenre, il idéalise jusqu'à un certain point ses modèles par l'attitude qu'il leur prête et l'entourage dans lequel il nous les montre ; mais il les peint avec souplesse et ampleur, il leur donne la vie et il les montre sous une couleur sobre mais réelle. Voici, par exemple, son Gentilhomme Italien (N° 252) de la National Gallery : il est 232 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. accoudé à une table garnie de coussins, la tête appuyée sur sa main et porte un pourpoint de soie bleue, une large étole d'hermine et un bonnet noir à plum.e blanche. Sur une pièce d'étoffe cousue à son bonnet on lit ces mots en grec : ,,Hélas ! Je désirai trop !" Regret s'ac- cordant bien avec l'expression du visage. Ce personnage déçu et désabusé était le comte Sciarra Martinengo Cesaresco de Brescia. Giambattista Moroni, un élève de Moretto, naquit en 1525 à Bondio, en pays bergamasque, et mourut en 1578. Comme peintre de tableaux d'autel il marche sur les traces de son maître, mais sans l'égaler ; en revanche il le surpasse comme portraitiste. Ses " portraits sont saisissants à la fois de réalisme et d'élégance et ils se recommandent aussi par leurs délicieux tons argentés. La National Gallery possède une demi-douzaine de ces portraits. Celui connu sous le nom du Tailleur (N° 253) est un vrai chef-d'œuvre, il s'agit d'un homme jeune encore, vêtu d'une jaquette blanche et de chausses rouges ; debout devant son établi, sur lequel s'étale une pièce de drap, il tient les ci- seaux à la main, prêt à la tailler. Son visage avenant, respirant une certaine distinction et une vague m.élancolie, est traité avec tant de soin, un tel souci de l'ex- pression, le vêtement est d'un ton si radieux, tout le personnage pré- sente tant de vie et de naturel, les moindres détails en sont exécutés avec une perfection si rare, qu'il nous attire d'emblée, que nous nous sentons retenus sous le charme de ce regard pénétrant et que nous ne parvenons même pas à nous en détacher. Le Doge Lorenzo Loredano de Giovanni Bellini, qui se trouve dans le m.ême musée et qui compte 250. Pâris Bordone. — Le pêcheur rapportant l'anneau de Saint auSsi pOUr Une merveille de distinc- Marc au Doge (Académie, Venise). facture magistrale, ne nous impressionne pas plus profon- dément que ce simple artisan ; tous deux représentent deux des portraits les plus nobles et les plus réussis dus à l'École vénitienne. L'âge d'or de cette école dura bien plus longtemps que celui des autres villes de l'Italie. Tandis que cette floraison était déjà passée partout ailleurs au milieu du XVP siècle, elle se prolongea dans la ville des lagunes jusqu'aux approches du XVII® siècle ; il semblait que la luxuriance et la prodigalité des moyens que la couleur fournissait aux concitoyens du Titien les préservassent de la monotonie dans laquelle devaient tomber les adeptes exclusifs du dessin. Le plus grand maître de la dernière génération de la glorieuse École vénitienne est L'École italienne. 233 Jacopo Robusti, plus connu sous le nom de Tintoret. Il naquit à Venise en 1518, travailla dans l'atelier du Titien où il s'initia aux prestiges du coloris, mais il étudia en même temps le dessin et l'anatomie d'après les maîtres floren- tins, de manière à devenir un des artistes les plus puissants et les plus dramatiques de son pays ; comme la plupart des Vénitiens il peignit de nom- breux tableaux religieux et aussi de nombreuses compositions historiques. Il s'acquit aussi un grand renom de portraitiste à côté de son maître ; on lui doit d'innombrables peintures, la Scuola di San Rocco et le Palais des Doges renferment quantité de ses toiles recouvrant souvent des parois entières. 11 n'est pas une église ou un couvent de la reine de — l'Adriatique, qui 251. Pordenone. Notre Dame ne du ren- Mont Carmel et ses adorateurs (Académie, Venise). ferme au moins une ou deux toiles-i de ce maître puissant et fécond qui mourut en 1594. Son chef-d'œuvre, le Miracle- de Saint Març (N° 254), se trouve à l'Académie, à Venise, dans la même salle que l'A ssunta du Titien. Rien de comparable à cette toile dans- tout le domaine de la peinture. Ni Michel-Ange, ni Rubens ne tentèrent, composition aussi mouvementée. ,,Tintoret est le roi des violents, a dit Gautier. Il a une fougue de com.posi- tion, une furie de brosse, une audace de raccourcis incroyable". Un maître barbare faisait torturer son esclave à cause de l'obstinée dévotion que ce pauvre diable avait à Saint Marc. Le tyran finit par le condamner à la croix. Déjà la victime est étendue sur la croix et les bourreaux sont à leur sinistre besogne, mais voilà que le saint invoqué par le martyr se précipite du haut du ciel pour secou- rir son fidèle. Comme le dit le 252. Moretto. — Portrait de gentilhomme italien critique précité, le saint est repré (National Gallery, Londres). senté dans un des raccourcis les 234 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. plus violemment négligés que la peinture ait jamais risqués ; il pique littéralement une tête du ciel et fait un plongeon sur la terre. A son intervention les clous rebroussent, les cordes et les maillets se rompent, les haches volent en éclats, pour la confusion des tortion- naires et à la surprise des spectateurs. Les attitudes des personnages sont admirables de hardiesse ; ajoutez à cela une peinture montée de ton, aux brusques oppositions de noir et clair, absolument en rapport avec la puissance du dessin. Une lumière rousse et fauve embrase la scène et fait songer aux reflets d'une fournaise ou d'un immense incendie. Nous leur rêverie béate dans sommes loin déjà de l'époque où les saints immobiles poursuivaient les tableaux des primitifs et où leurs fidèles les contemplaient en ne bougeant non plus que les lèvres remuées par la prière ; ici, non seulement les personnages agissent, mais leur action est tumultueuse ; on ne nous les repré- plus seulement pour l'amour de leurs nobles formes, mais pour le plaisir de les surprendre dans le déploiement le plus fougueux de leurs muscles, dans la tension de tous leurs efforts. L'art participe au drame humain dans ce qu'il a de brutal, . comme Shakespeare y fera bientôt parti- asenteciper la poésie. La Scuola di San Rocco, la plus importante des confréries de bienfaisance de Venise, organisa en 1560 un concours dont le sujet imposé était un épisode de la vie de son saint patron. On n'avait demandé qu'une esquisse aux concurrents, mais avec sa fougue et son ardeur habi- tuelles leTintoret livra le tableau achevé, aussi fut-il chargé de la décoration de tout l'édifice de la Scuola : l'église et trois salles dont deux grandes et une petite. Il y travailla de 1560 à 1577, avec quelques intervalles, et brossa 56 tableaux pour les autels, les parois et les plafonds. La plus importante de ces peintures est le ■ ' ' Crucifiement (N° 255), qu'il peignit en 253. Moroni. — Le Tailleur^(National Gallery, Londres). pour la Salle dell'Albergo. ' Cette scène, ou plutôt dix scènes réunies en une seule, couvre un pan entier de la salle, un mur long de quarante pieds, haut à proportion ; imaginez quatre-vingts personnages espacés et groupés, un plateau bosselé de rocs au pied d'une montagne, des arbres, des tours, un pont, des cavaliers, des crêtes pierreuses, dans le lointain un immense horizon brunâtre. Au centre, le Christ est cloué à la croix dressee, et sa tête s'affaisse obscure dans le rayonnement fauve de son nimbe ; interprétation sublime dont Rubens s'inspira pour son Elévation de la Croix. Une échelle est derrière le bois d'infamie et des bourreaux grimpent, se tendant l'éponge ; au pied de la croix les disciples, les femmes, debout, ouvrent leurs bras, agenouillés, criant et pleurant, la Vierge s'évanouit. Au point de vue de la couleur, du moins à en juger par l'état actuel de la peinture, l'œuvre vaut moins, il n'y a de franchement éclairé que le Christ et Marie défaillante ; les côtés où .la fouille groule et se démène demeurent dans une demi-obscurité et ne valent que par L'Ecole italienne. 23s l'extraordinaire variété du dessin, que par les inépuisables conabinaisons de groupements et de gestes. Le palais des Doges est encore plus riche en tableaux du Tintoret, que la Scuola de Saint Roch ; de 1560 jusqu à la fin de sa vie survenue en 1594» il Y travailla presque sans discontinuer. Grâce à sa prodigieuse activité et aux ressources de son invention il parvint à suppléer dans la mesure du possible aux ravages de deux incendies, celui de 1574 et un autre ds 1577» 9.^1 avaient détruit des salles entières remplies de chefs-d'œuvre des générations précédentes. Il brossa le Paradis, le plus gigantesque tableau du monde, pour la salle du Grand Conseil et des plafonds pour la même salle ; il décora aussi les salles du Sénat, du Scrutin, du 254. Le Tintoret. — Le Miracle de Saint Marc (Académie, Venise). Collège et de l'Anti-Collège ; c'est dans cette dernière salle que se trouvent, notamment, quatre épisodes de la Fable dans lesquels le Tintoret a prouvé qu'il savait être aussi le plus gracieux des peintres tout en étant le plus puissant. Peu de compositions pourraient rivaliser en formes suaves et en visages délicieux avec son Ariane et Bacchus ; nous reproduisons un des grands panneaux de la salle du Collège : le Mariage de Sainte Catherine (N° 256). L'Enfant Jésus, sur les bras de sa mère, passe avec un mouvement d'une grâce infinie l'anneau nuptial au doigt de la sainte agenouillée devant le groupe céleste ; le doge Francesco Donno, Saint François, d'autres saints et un moine joignent leurs prières à celles de la sainte. Dans cette œuvre le Tintoret rivalise avec la grâce et la ferveur des meilleurs primitifs vénitiens. La famille Bassano tient un rang éminent et une place originale dans l'art vénitien et 236 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 255. Le Tintoret. — Le Crucifiement (Scuoia di San Rocco, Venise). aussi dans l'art italien en général. Elle descendait de Francesco de Ponte, qui prit le nom de Bassano, la ville où il s'était fixé, plutôt que celui de Vicenza ou Vicence, son berceau. Après lui ses descendants adoptèrent aussi le nom de Bassano. Son fils Jacopo Bassano inaugura le style qui caractérise toute la dynastie de ce nom ; il apprit son métier à Venise auprès du Titien et des Bonifazi, puis il se fixa dans la ville de ses débuts ; son style offre ceci de partien- lier qu'il mêle un élément réaliste et même contemporain aux scènes de la Bible. Jacopo Bassano conçoit celles-ci un peu à la façon des peintres religieux des Flandres, elles se passent comme dans la vie quotidienne et elles ont ponr héros des gens d'humble condition. Ajoutons à cette caractéristique une manière assez noire, à telle enseigne que, quoique sa peinture soit moins opaque que celle des peintres adonnés au noir de l'ère suivante, il passe cependant pour leur prédécesseur. Deux de ses fils le suivirent d'aussi près qu'ils pourraient passer pour ses copistes, les deux autres accusèrent plus de person- nalité. Il mourut en 1592. Les Noces de Cana du musée du Louvre (N° 257) comptent parmi ses meilleurs E épisodes empruntés à la Bible; le sujet est traité avec plus de désinvolture et avec plus de réalisme qu'on ne l'avait fait jusqu'à présent et qu'on ne le fit même après Bassano. A la demande de sa mère, le Christ, attablé au festin, bénit le vase contenant le vin ; à l'avant-plan se pressent les serviteurs, des accessoires de table, des instruments de mu- sique ; c'est la vie prise sous 256. Le Tintoret.—Le Mariage de Sainte Catherine (Palais des Doges, Venise). 'SeS aspectS quotidiens. Peut- L'École italienne. 237 être le mouvement est-il un peu forcé sous prétexte de nous donner une impression réelle. La tonalité de ce tableau est moins sombre que dans la plupart des œuvres du maître : le coloris présente des tons vigoureux et brillants; mais il y a cependant abus d'oppositions d'ombres et de clairs. Aux Vénitiens d'adoption, c'est-à-dire à ceux qui ne naquirent pas dans la ville même des Doges, mais sur son territoire, se rattache un des plus grands maîtres de l'école, Paul ,Caliari, né à Vérone, d'où son nom le plus familier de Paul Veronese. Né en 1528, il vint à Venise en I555> ^t il y travailla jusqu'à sa mort, arrivée en 1588 ; il fut appelé dans la ville des Doges pour y exécuter les peintures du plafond de l'église Saint-Sébastien, et après ce premier ouvrage il continua à exécuter une série de peintures pour la même église, si bien que celle-ci 257. Jacopo Bassano. — Les Noces de Cana (Louvre, Paris). représente, avec ses dépendances, un véritable musée Véronèse. Caliari peignit aussi tantes d'impor- compositions pour d'autres églises, mais, comme le Tintoret, il déploya surtout sa géniale activité et les trésors de sa fantaisie décorative dans le Palais Ducal ainsi que dans d autres palais de ,,magnifiques". Il avait commencé par peindre des fresques à Vérone etil en peignit aussi à Venise, mais toutes les œuvres de ce genre sont perdues. Toutefois, dans nombre d'immenses toiles qu'il nous a laissées, se retrouvent le large dessin et la du peinture souple peintre de fresques. Pour être venu d'une cité étrangère Véronèse n'est pas moins essen- tiellement Vénitien, nul n'a mieux rendu cette impression d'opulence et de faste dont la puis- santé République donnait le spectacle à son apogée et à l'approche de sa décadence; ses vastes illustrations des festins de la Bible les représentent plutôt des banquets d'apparat servis dans palais des patriciens de son temps. Ces tableaux et aussi ses ,,triomphes" de Venise dans 238 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. le Palais Ducal sont les derniers vestiges de la toute-puissance et de l'opulence presque insolente de l'oligarchie vénitienne. Dans ses tableaux d'autel et dans ses scènes de la Fable, Véronèse demeure par excellence le peintre de la vie radieuse et magnifique : ses personnages se remarquent toujours par leur souveraine distinction, ses couleurs sont imprégnées d'argent fluide ; ses hommes et ses femmes sont élus parmi les plus nobles et les plus beaux, et il parvient encore à raffiner sur leur noblesse et sur leur beauté. Nous avons dit le rôle capital que les festins bibliques tiennent dans son œuvre. Citons les Noces de Cana presque aussi nombreuses que les Banquet des Rois de Jordaëns, et dont l'exemplaire le plus grandiose se trouve au Louvre ; le repas de Jésus chez Simon le Pha- risien, celui chez Lévi, bien d'autres encore brossés pour des réfectoires de couvents ou des salles de palais. Une des plus remarquables de ces agapes bibliques est les Noces de Cana (N° 258) du Musée de Dresde; ce tableau fut peint pour la famille Cucina de Venise, d'où il passa dans la galerie ducale de Modène et ensuite, en 1746, dans celle de l'Électeur de Saxe ; à la prière de sa Mère, le Sauveur a converti l'eau en vin et les convives dégustent le 258. Véronèse. — Les Xoces de Cana (Musée de Dresde). breuvage miraculeux. Mais le peintre attache plus d'importance à l'apparat de ce banquet qu'au prodige même, ce qui importe surtout c'est le décor architectonique dans lequel se passe la fête, ce sont les imposants cavaliers et les opulentes dames, leurs attitudes élégantes, la richesse et la profusion des accessoires, le beau ciel et la radieuse lumière qui sourient à ces mortels privilégiés. Véronèse entreprit ses travaux dans l'église Saint-Sébastien en 1555 ; il commença par les peintures des plafonds de la sacristie, puis il continua par celles des voûtes de l'église ; ensuite il peignit le retable du maître autel, les fresques des parois latérales (1558), les portes du buffet d'orgue (1560), les fresques du chœur (1565) ; ces dernières représentent le Martyre de Saint Sébastien et le Martyre des Saints Marcel et Marcellin (N° 259). Nous reproduisons le côté droit de celle-ci, les deux saints quittent leur prison pour se rendre au champ du supplice ; en descendant les degrés ils rencontrent leur mère qui voudrait pour les sauver leur faire abjurer la foi nouvelle, elle les presse de la parole et du geste en réfutant Saint Sébastien qui les exhorte, au contraire, à- persévérer dans leur fidélité au Christ. Dans la L'Ecole italienne. 239 foule ameutée sur le passage des condamnés beaucoup joignent leurs instances à celles de la mère ; c'est une scène variée et animée qui se passe dans un décor ensoleillé et parmi des gens superbement vêtus, faisant plutôt croire à un cortège de fête qu'à une marche au supplice. Le Couronnement d'Esther (N° 260), un des panneaux décorant la nef principale de la même église, compte aussi parmi les compositions remarquables de Véronèse. Esther, assistée de deux vierges, gravit les marches du trône sur lequel est assis Assuérus entre deux dignitaires. Les courtisans se rangent à droite, à gauche on aperçoit le ciel. La reine et ses femmes se détachent en d'adorables teintes gris-perle sur la perspective montueuse ; les riches vêtements du roi et de son entourage, les tapisseries de l'escalier et du trône font de cette scène un régal pour les yeux. Mainte peinture exécutée par Véronèse pour le Palais Ducal fut emportée ou détruite 259. Véronèse. ■—• Martyre des Saints iMarcel et IMarcellin (Eglise Saint-Sébastien, Venise). du temps de la domination française, mais il en demeure pourtant de splendides aux murs et aux plafonds des diverses salles. Venise sur le globe terrestre avec la Justice et la Paix, dans la salle du Collège (N° 261), peinture exécutée à la détrempe, passe pour la plus belle de tous les plafonds du palais ; elle respire le triomphe dans ce qu'il a de plus éclatant. Venise, drapée dans un manteau de velours rouge bordé d'hermine et vêtue d'une robe de soie blanche à fleurs d'or, a érigé son trône tendu de velours rouge et jaune sur le globe terrestre m.ême. La Paix, tenant une branche d'olivier, porte une robe brune dont les cassures ont jauni, et un manteau vert à reflets roux ; la Justice portant le glaive et la balance a une robe rouge sur une autre de couleur jaune. Un ciel d'azur radieux parsemé de quelques chaudes nuées prend presque la moitié du tableau. Les superbes femmes à la blonde chevelure, revêtues d'atours princiers. 240 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. surtout Venise aux chairs moelleuses se détachant avec des ombres translucides sur la clarté du soleil, dégagent une grâce et une majesté indicibles. Un des plus merveilleux tableaux d'autel de Véronèse, La Madone et les Saints (N° 262), qui se trouve aujourd'hui à l'Académie, dans la même salle que l'Assunta du Titien et le Miracle de Saint Marc du Tintoret, fut peint pour la sacristie de l'église San Zaccaria. Marie est assise sur un trône tendu d'un riche tapis. Saint Joseph se tient auprès d'elle. Le petit Saint Jean Baptiste est debout sur un piédestal venant à mi-hauteur du trône, entouré des Saints Jérôme et François d'Assises et de Sainte Justine, autant de figures rivalisant de splendeur; Marie incarne la grâce et la vivacité vaguement impérieuses des Vénitiennes; les deux enfants sont d'adorables cupidons ; les saints on ne peut plus décoratifs ; Sainte Justine un parangon de la beauté du terroir. Mais quel décousu et disons même quelle incohérence dans la composition! Les per- sonnages ont été placés au petit bonheur ou mieux, le peintre les a distribués de la façon la plus arbitraire, comme à la suite d'une gageure ; l'œu- vre manque absolument d'en- semble, mais peu importait à l'artiste et peu importe à ses admirateurs ; la beauté des personnages, les prestiges de l'éclairage et de la couleur, la prodigalité et la variété des tons qui se brouillent ou se dégradent à l'infini, les jeux non moins variés et non moins subtils de la lumière, voilà ce qu'il faut admirer dans cette toile, et voilà ce qui en fait oublier, ce qui en efface même les défauts. En tant que peintre Véronèse, si prodigue de mer- veilles cependant, n'a jamais rien créé de plus magique. ^ 260. Véronèse. — Le Couronnement d'Esther (Eglise Saint-Sébastien, Venise). Comparant le Titien et Véronèse l'on a très bien dit que si le premier est le souverain et le dominateur de l'école, le second en est le régent ■et le vice-roi. Si le Titien a la force et la grandeur simple des fondateurs, Véronèse a le calme et le beau sourire des monarques incontestés et légitinies. Ce qu'il cherche et trouve ce n'est pas le sublime ou l'héroïque, la violence de la sainteté, la pureté ou la mollesse : tous ces états ne montrent la nature que par une face, et indiquent une épuration, un effort, un affaiblissement ou un raidissement ; ce qu'il aime, c'est la beauté épanouie, la fleur ouverte mais intacte, au moment où ses pétales roses se sont tous dépliés sans qu'aucun d'eux soit encore flétri. Hippolyte Taine lui prête ce discours à ses contemporains : .,,Nous sommes des créatures nobles, Vénitiens et grands seigneurs, d'une race privilégiée et supérieure. Ne retranchons et ne comprimons rien de nous-mêmes ; esprit, cœur et sens, tout en nous est digne de bonheur. Donnons du bonheur à nos instincts et à notre corps r L'Ecole italienne. 241 comme à notre pensée et à notre âme et faisons de la vie une fête où la félicité se confondra avec la beauté". Au moment où l'heure de la décadence avait sonné pour toutes les Écoles de l'Italie, un mouvement se produisit dans une ville qui n'avait montré jusqu'à présent que peu de vitalité artistique, et même un mouvement affirmant une fois de plus les dons artistiques naturels des Italiens comme aussi leur noble souci de les cultiver et de les mettre en haute valeur. Bologne fut le théâtre de ce phénomène extraordinaire ; c'est là que la glorieuse peinture italienne jeta un suprême éclat à son déclin. En dehors de Francia cette cité n'avait vu naître aucun peintre de renom ; elle n'était connue que comme siège d'une antique université, que comme un centre d'étude et de science ; ce fut aussi à force d'étude et de science que ses peintres parvinrent à se conquérir une légitime renommée durant la seconde moitié du XVI® siècle. Lodovico Carracci, ou le Carrache, né à Bologne en 1555, donna le signal de ce réveil. Il s'était adonné à la peinture dans sa ville natale, mais sans y faire de grands progrès, lorsqu'il s'avisa de parcourir l'Italie et d'étudier les œuvres des grands maîtres dans les villes où ils avaient vécu. En conséquence il se rendit à Florence, à Parme, à Mantoue, à Venise, pour s'assimiler ce que le style de ses immortels devanciers présentait de supérieur et afin de donner nais- sanee à un art parfait en lequel se fondraient et s'harmoniseraient toutes les caractéristiques de ces maîtres. Revenu à Bologne il y fonda l'Academia degli Incamminati (l'Académie des Acheminés) ou des peintres bien stylés et mis sur la bonne voie, qui servit de modèle à toutes les académies postérieures. Un sonnet d Augustin Carrache recom- 161. Véronèse. •— Venise trônant avec la Paix et la mande ,,le dessin de l'école romaine, le mouve- Justice (Palais des Doges, Venise), ment et les ombres des Vénitiens, le beau coloris de la Lombardie, le style terrible de Michel-Ange, la vérité et le naturel du Titien, le goût pur et souverain du Corrège". Lodovico s'adjoignit ses deux neveux Augustin et Annibal Carrache et à trois ils se mirent à exécuter une série de travaux, comme aussi à former nombre de disciples qui répandirent leur nom dans le monde entier, et qui imprimèrent pour une longue période sa direction au mouvement artistique, non seulement de l'Italie, mais de tous les pays de l'Europe. Lodovico et ses neveux commencèrent par orner de fresques divers palais de leur ville natale ; en 1592 il se rendit à Rome avec Annibal pour y décorer le palais du cardinal Earnèse de fresques inspirées de la Fable, il retourna vers 1600 à Bologne où il mourut après y avoir peint encore maintes fresques et panneaux ainsi qu'à Parme et à Plaisance. Augustin Carrache naquit à Bologne en 1557, il y travailla d'abord avec son oncle, 16 242 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. à le fondateur de l'École éclectique, comme nous venons de le voir, et il l'accompagna ensuite Rome où il resta même pour travailler au palais Farnèse, après que Lodovico fut rentré à de son Bologne. Ses fresques du palais Farnèse représentent même le plus important œuvre, et il ne produisit quelques panneaux, dont certains portraits paysages remarquables, que inventif le plus primesautier, le plus habile aussi, quant à la était et facture, des il le plus trois Carrache. Il mourut à Parme en 1602. Annibal Carrache naquit à Bo- logne en 1560 et il s'occupa à Bologne et à Rome aux mêmes travaux que son oncle et son frère. La décoration du palais Farnèse ayant été achevée en 1607 ou 1608, il peignit de nombreux tableaux d'autel et quantité de paysages qui exercèrent une grande influence sur le paysage décoratif dont le rôle fut si important aux XVII® et XVIII® siècles. Avec son oncle et son frère il contribua aussi à fonder l'École de l'éclectisme, mais, en étendant son étude du paysage aux faits et gestes des figures rustiques et populaires qui les étoffent, il collabora puissamment d'autre part à la propagation du réalisme, dont le règne prépondérant date du XVII® siècle. Annibal Carrache mourut à Rome en 1609. De Lodovico Carrache nous re- produisons la Madone avec des Saints (N° 263), un de ses nombreux tableaux à la Pinacothèque de Bologne. Marie, trô- liant sous un baldaquin, est couronnée par deux anges, la Madeleine lui offre un vase de baume. Saint François d'Assises et Saint Dominique l'implorent ; à droite les donateurs, membres de la famille Bargellini ; dans le fond et au-dessus, des anges faisant de la musique ou apportant des fruits. Ce tableau jouit autrefois d'une grande réputation et la composition en 262.. Véronèse. — La Madone et les Saints est en effet très agréable mais sans réunir (Académie, Venise), toutefois des mérites transcendants ; au surplus la couleur s'en est noircie. D'Augustin Carrache nous reproduisons le Tnam^phe de Galatée (N° 264), du Palais Farnèse. Des néréides, des tritons et des amours escortent la nymphe enlevée par Neptune, l'École de Bologne n'a jamais produit composition plus séduisante, elle rappelle le même- sujet traité par Raphaël, mais sans préjudice d'une conception éminemment personnelle et digne de louanges même après avoir admiré la Galatée de Raphaël. D'Annibal Carrache reproduisons un des tableaux les plus célèbres. Saint Roch nous distribuant des aumônes (N° 265), du Musée de Dresde. L'artiste le peignit pour la Confrérie i L'École italienne. 243 de Saint-Roch à Reggio ; les pauvres et les pestiférés entourent leur patron et invoquent son secours, un homme charrie un malade vers le saint, des femmes et des enfants comptent l'argent qu'il leur a donné et se réjouissent de ce soulagement à leur misère. C'est une composition im- posante, manquant un peu de cohésion, mais d'un mouvement varié et pleine de vie ; la couleur et la lumière font agréablement ressortir ce que la scène comporte de réalisme. Les Carrache avaient victorieuse- ment réalisé leur projet. Fondateurs d'une école, eux et leurs disciples auraient pu prendre pour devise : la pratique cul- tive la science et l'art. Ayant fourni les moyens à des talents innés de se déve- lopper et de s'affirmer ils eurent une légion d'adeptes ; parmi les élèves de leur Aca- démie on compta des hommes éminents, dont la gloire fut peut-être quelque peu surfaite de leur vivant, mais dont les mérites s'iuiposèrent néanmoins à l'ad- miration légitime de la postérité : Guido Reni ou le Guide, Albani ou l'Albane, le Dominiquin et le Guerchin, sont les plus fameux de ces Bolonais. Le Guide naquit' en 1575 ; il apprit 263. Lodovico Carrache. — Madone avec des Saints son métier chez les Carrache et débuta (Pinacothèque, par Bologne). 264. Augustin Carrache. — Le Triomphe de Galatée (Palais Farnèse, Rome). 244 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 265. Annibal Carracho. — Saint Roch distribuant des aumônes (Musée de Dresde). décorer de fresques divers palais de sa ville natale ; vers 1599 il se trouve à Rome où il exécute des travaux considérables dans nombre d'églises et de palais, entre autres dans celui du Ouirinal récemment édifié. Les dernières années de sa vie il mena une existence assez vagabonde ; il séjourna tour à tour à Rome, à Ravenne, à Naples et à Bologne, où il mourut en 1642. Comme la plupart des maîtres de son école il avait le travail très facile et son talent s'exerça dans tous les domaines. Ses compositions allégoriques et religieuses 266. Le Guide. — L'Aurore (Palais Rospigliosi, Rome). L'École italienne. 247 sont agréablement conçues ; ses figures ont du charme et du sentiment ; parfois même celui-ci tourne au sentimentalisme. Le chef-d'œuvre du Guide, et peut-être le chef-d'œuvre de toute l'École italienne au XVII® siècle, est l'Aurore (N° 266), décorant le plafond d'un pavillon du palais Rospigliosi à Rome, il fut exécuté à la fresque en 1609. L'Aurore semant des fleurs fend les nuages qu'elle colore de pourpre et prend son essor vers la mer dont elle réveille le bleu profond et la demi- obscurité ; derrière elle s avance Apollon, le dieu du jour, sur son char, entouré par le chœur des Heures dansantes et auquel le lever du soleil forme un nimbe d'or rougeoyant. Tout est adorable dans cette composition : la jeune déesse que son voile flottant enroule d'une sorte 268. L'Albane. — Ronde d'amours (Bréra, Milan). de guirlande, le dieu refrénant l'ardeur de ses coursiers, mais surtout la joie, l'ampleur toute païenne de ces Heures florissantes qui se tiennent par la main, accordant leurs pas aux ryth- mes d'une danse idéale. En regard de cette composition radieuse de santé et de jeunesse se range toute une série d'images de douleur ou de détresse :• la Madeleine pénitente, le repentir de Saint Pierre, le Christ aux outrages. Il excella d'ailleurs dans les Ecce Homo et l'un de ceux-ci passe pour le plus réussi du genre et a été reproduit à satiété. Le Christ couronné d'épines tient le plus souvent un roseau à la main. Le tableau que nous reproduisons (N° 267) appartient au Musée, de Dresde, on ne voit que la tête seule du Sauveur ; non seulement ce tableau représente 248 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. l'antithèse de VAurore, mais le Guide y rompt avec la tendance réaliste caractérisant toute l'École bolonaise. L'expression du Christ est vraiment poignante, la douleui n y recrimine point ; c'est bien la physionomie d'un dieu gardant, même au plus fort de la torture humaine, quelque chose de la sérénité et de la grandeur célestes, et cette ineffable détresse est, certes, plus morale que physique. I'A naquit à Bologne en 1578. Tout comme le Guide il l^rancesco Albani ou lbane d'abord par l'atelier de Denis Calvaert, un peintre flamand, qui s'était fixé à Bologne, passa avant d'entrer en apprentissage chez les Carrache ; après avoir débuté dans sa ville natale il se rendit à Rome où il peignit diverses fresques ; en 1616 il retourna à Bologne qu'il ne quitta plus qu'à de rares intervalles et où il mourut en 1660. Ses fresques et ses panneaux, qu'il s'agisse de compositions religieuses ou mythologiques, sont traités invariablement dans la manière des Carrache ; ils séduisent par la vivacité et l'éclat du coloris comme par la beauté des modèles. L'Albane est par excellence le peintre de la grâce et surtout du charme enfantin ; ses groupes d'enfants, ses rondes de cupidons, ses guirlandes et ses vols d'anges, lui ont acquis une gloire durable et universelle. La Ronde d'Amours (N° 268) du Musée de la Bréra à Milan est un de ses chefs-d'œuvre dans ce genre. Huit délicieux bambins étalant leur nudité potelée et pour- vus chacun d'une paire d'ailes, nouent une ronde folâtre autour d'un arbre dans un paysage de rêve ; d'autres cupidons se sont nichés dans les branches d'où ils assistent aux ébats de leurs camarades, dans les airs plane Vénus avec son fils, à gauche se commet le rapt de Proserpine. Nous sommes transportés en pleine Fable. D'ailleurs l'antique cité romaine fournissait de nombreux modèles gracieux à la fantaisie 269. Le Dominiquin. — La Dernière Communion de Saint Jg l'artiste Jérôme (Eglise de San Girolamo délia Carita, Rome). ^ / ^-o-r Domenicho Zampieri, ne en looi à Bologne, apprit aussi les élémxents de son métier chez Denis Calvaert et se rendit ensuite à l'Académie des Carrache, n'étant âgé que de le quatorze ans. Vu son jeune âge on le surnomma Domenichino, le petit Dominique ou D ominiquin, nom sous lequel il est universellement connu. Comme presque tous les élèves de l'École bolonaise, il travailla à Rome au palais Farnèse avec ses maîtres; il peignit aussi à Rome nombre de fresques et de tableaux d'autel, qui lui valurent une rapide célébrité. Depuis l'année 1617 il travailla dans différentes villes jusqu'à sa mort, qui arriva en 1641. C'est les encore un de ces grands Bolonais, de ces artistes robustes et féconds, qui traitèrent L'Ecole italienne. 249 sujets les plus variés en y conciliant la vérité de la vie réelle avec la fantaisie et l'intérêt dramatique. Les scènes se passent généralement dans des paysages plantureusement étoffés.. La Dernière Communion de Saint Jérôme (N° 269), son œuvre la plus célèbre, se: trouve dans l'église .San Girolamo délia Carita. Le saint, épuisé par la vieillesse et la maladie,, est soutenu par ses amis affligés tandis que le prêtre se prépare à lui administrer la sainte- communion. Deux acolytes assistent le prêtre ; quatre anges planent dans les nues, la porte ouverte de l'église ménage une perspective sur un jardin de plaisance. Augustin Carrache avait traité le même sujet à peu près de la même façon, mais le tableau du Dominiquin l'emporte de beaucoup sur celui de son maître, dont l'expression est décla-, matoire et le groupement décousu. Dans le tableau du Dominiquin l'action se dédouble,, mais chacune des parties constitue un groupe intéressant. Le prêtre qui se penche en avant et le saint qui s'affaisse sont deux figures saisissantes reliant très heureusement les deux parties ; l'ordonnance et l'équilibre sont donc parfaits, l'unité de l'ensemble est obtenue par l'intérêt capital qu'inspire le saint, la facture est. poussée avec autant de science que de goût et. de soin. Voilà certes un concours de remarquables qualités, toutefois celles-ci ne justifient point le dire populaire qui mit durant des siècles la Dernière Comiminion de Saint Jérôme sur le même rang que la Transfiguration de Raphaël, qui lui fait vis-à-vis dans une salle du Vati- can. En 1619, c'est-à-dire peu après l'exécution de ce tableau, Rubens choisit un suj et identique dans sa dernière communion de saint Fran- çois. Lui aussi avait vu le tableau du Carrache et il s'en inspira visible- ment, mais pour le surpasser et aussi celui du Dominiquin, non seule- ment comme coloriste,^mais encore par le sentiment profond qu'il prête a ses personnages. 270. Le Guerchin. —^ Sémiramis (Musée de Dresde), Guercino (le petit louche) ou le Guerchin, Giovanni Francesco Barbieri de son nom de famille, était né en 1590 à Cento, petite ville du territoire bolonais. S'il ne fréquenta point l'atelier des Carrache il, s'inspira du moins des œuvres de l'un d'eux, Fodovico; après avoir travaillé de longues années dans sa ville natale il fut appelé en 1621 à Rome par le pape, qui lui fit exécuter des travaux dans la villa Fudovici, sa résidence favorite. Fn 1623 il retourna à Cento où il demeura jusqu'en 1642, puis il se transporta à Bologne où il mourut en 1666. A Cento il avait fondé une école très fréquentée; à Bologne il remplaça le Guide à la tête de l'Aca- demie. Il est le dernier de la série des grands Bolonais et il apporte des modifications considérables dans les tendances de l'école; tandis que ses prédécesseurs attribuaient comme les Florentins la prépondérance au dessin et à la composition, le Guerchin procède plutôt des traditions vénitiennes dans lesquelles domine le coloris. A la différence des autres Bolonais il répudie les couleurs tendres pour en adopter de vigoureuses et il pratique les oppositions de couleurs, les contrastes entre les clairs et les ombres. Ses ombres sont opaques et serrées, il ouvre même la série des peintres dans la manière noire qui allaient donner longtemps le ton en Italie. Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Parmi les nombreux tableaux du Guerchin que possède le Musée de Dresde nous choisissons sa Sémiramis (N° 270). La reine d'Assyrie apprend le soulèvement de Babylone et la surprise lui fait lever les bras au ciel ; elle est assistée d'une camériste qui lui peignait les cheveux quand le messager a apporté la nouvelle. C'est un des meilleurs tableaux du maître, il ne présente ni les teintes douceâtres des premiers, ni l'opacité des derniers; la couleur est franche et vive, les ombres accusées. La reine porte un corsage à maAches jaunes richement brodé, une robe rouge et un voile blanc, un diadème repose sur sa chevelure dorée; sa suivante porte une robe bleue et j aune ; le messager a une casaque d'un vert foncé, il tient son bonnet rouge à la main. L'arrière-plan est sombre d'un côté et clair de l'autre. L'aspect général est riche sans être particu- lièrement distingué. Cette œuvre présente cette banalité de couleur et cette sagesse un peu timorée dans la composition communes à toute l'école et qui,en distinguent les productions des créations vraiment géniales et prime-sautières des Toscans et des Vénitiens de la grande époque. Tandis que l'École bolonaise fondait les diverses traditions de l'art italien primitif en une manière unique et assurait à cet art une dernière floraison, il était donné à un peintre de grand mérite et de réelle person- nalité de conjurer une toute dernière fois la décadence désorm.ais immi- nente et fatale de la peinture. Il s'appelait Michel-Ange Merisi, il était originaire de Caraggio d'où son nom Le Caravage. Il naquit en 1569, étudia à Milan, à Venise et à Rome et débuta dans cette dernière ville. Son caractère violent le força de fuir à Naples où il ne tarda pas à se rendre impossible aussi ; il retourna à Rome et il y mourut en 1609. Il ^ 271. Le Caravage. — La Mise au Tombeau (Vatican, Rome). , , . , dt ,. S efforça int,roduire dans t1 arjt. une nouvelle conception de la vie : de la vigueur au lieu de la mièvrerie, du réalisme pris sur le vif au lieu de la tradition et des copies. Il choisit ses sujets dans son miilieu et son entourage immédiats, observant de préférence les mœurs populaires, et introduisant dans les scènes religieuses ou allégoriques la saveur et le piquant de la vie réelle. Pour la couleur aussi il rechercha la justesse et la vigueur ; il avait commencé par des tons chauds et dorés, mais il se retrancha prompte- ment dans de violentes oppositions de clairs et d'ombres et dans une manière de plus en plus sombre qui devait faire de lui le peintre noir par excellence. Il exerça une grande r L'Ecole italienne. 251 influence sur les artistes de son temps tant en deçà qu'au delà des Alpes, sans avoir eu de disciples proprement dits. Il représente les épisodes de l'Évangile ou de la vie des Saints comme des événements de la vie courante dont les héros sont des gens de condition infime; il les fait agir le plus simplement, le plus naturellement, avec le plus de vérité possible ; sa Mise au tombeau (N° 271) de la Galerie du Vatican en est la preuve; deux disciples, deux femmes et la Vierge vont descendre le Sauveur dans son tombeau; le peintre n'hésite pas à mettre au premier plan le corps du Christ, en n'atténuant en rien ses teintes livides ou crues, en insistant sur la rigidité et l'inertie du bras, en laissant tomber piteusement la tête du mort en arrière, en rendant avec minutie toutes les apparences cadavériques. Les personnages s'acquittent de leurs fonctions avec un soin et un souci professionnels ; les femmes s'affligent et se désolent comme des êtres réels. La conception est simple, l'interprétation tout à fait conforme à la vérité ; le tout est profon- dément humain. En peignant les scènes de la vie quotidienne il s'attache de préférence à celles qui se passent dans le monde excen- trique, dans les tripots et les coupe-gorge, dont la httéra- ture faisait aussi une grande consommation au XVIE siècle. Il a souvent représenté des aigrefins et des Tricheurs. Le Musée de Dresde possède un tableau de ce genre (N° 272). Deux jeunes joueurs se font vis-à-vis à une table sur laquelle s'étalent des cartes et de la monnaie ; l'un consulte atten- tivement le jeu qu'il tient en main, tandis que l'autre inter- roge du regard un individu, lequel, drapé dans les plis de son manteau et assis derrière -7-- Le Caravage. — Les Tricheurs (Musée de Dresde), le premier joueur, lève deux doigts pour renseigner son complice sur le jeu de la partie adverse. Le tableau est maintenu dans une tonalité noire avec quelques taches de lumière qui font ressortir çà et là un bonnet ou une manche rouge. De ces tons clairs la lumière passe graduellement à l'obscurité la plus profonde ; les demi-teintes sont traitées avec de délicates nuances, ce réalisme com- porte infiniment d'art et la scène vous impressionne et vous subjugue, quelque répugnant que soit le sujet. D'ailleurs le mode ténébreux s'adapte parfaitement à la situation. Le Caravage passa quelques-unes des dernières années de sa carrière à Naples où sa manière réaliste et vigoureuse jusqu'à la brutalité rencontra encore plus de succès qu'ailleurs. Ribéra, le grand peintre espagnol, dont nous aurons à parler plus tard, qui passa la majeure partie de sa vie à Naples, devait y exercer une influence analogue. Naples n'avait guère pro- duit de peintres de talent, il ne se créa une école dans cette ville qu'après que ces deux grands maîtres y eurent acquis leur renommée ; toutefois cette école produisit quelques artistes de valeur. Nous nous bornerons à en citer un : Salvator Rosa . Il naquit en 1615 à Arenella, village des environs de Naples, et se fit d'abord connaître comme poète et comme musi- cien, puis il entra en apprentissage chez Ribéra et chez Falcone, le peintre de batailles. Plus 252 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. tard le grand-duc de Toscane l'appela à Florence, où il demeura de 1642 à 1652. Ensuite il retourna à Rome où il mourut en 1673. On lui attribue quantité d'œuvres qui ne sont pas de lui et on lui a fait aussi une réputation de peintre débridé, d'interprète des mœurs dissolues, qu'il n'a nullement méritée ; il peignit, il est vrai, de préférence, des scènes de la vie des soldats et des bandits; il chercha, en outre, à se distinguer par quelque chose de sombre et de farouche dans ses sujets et dans son interprétation, mais c'était pourtant la nature réelle qu'il observait et qu'il rendait sous ses aspects les plus sauvages ; ainsi que la plupart de ses contemporains il s'était résolument voué à la peinture réaliste et il peut être considéré, de plus, comme le plus grand paysagiste de son pays et une des plus remarquables personnalités d'artistes qui se soient jamais révélées ; il emprunta à Ribéra les violentes oppositions de clairs et d'ombres, procédé cadrant le mieux avec ses scènes de carnage et ses paysages désolés. D'ailleurs il ne se montra pas exclusivement le peintre brutal que nous venons de silhouetter ; dans ses tableaux religieux il adopte non seulement des tons clairs et radieux, mais il sait s'y montrer ému et sensible à souhait. Son Tobie avec VAnge, un tableautin du Lou- vre (N° 273), représente miême une perle dans ce genre : dans un de ces sites sauvages chers au maître, le jeune Tobie vient de retirer un poisson de l'eau et il se tourne vers l'ange, qui l'instruit de ce qu'il aura à faire de sa pêche. Le mouvement des deux personnages est aussi naturel et aussi gracieux que possible et de plus la tonalité et l'éclairage du tableau concourent à une impression aimable. Mais il peint le plus souvent des paysages accidentés dans lesquels combattent des soldats ou des brigands et où les ombres luttent contre la lumière ; nous empruntons un de ces tableaux au Louvre (N° 274) ; le site pré- 273. Salvator Rosa. Tobie avec 1 Ange (Louvre, Paris). sente des rOcherS eSCarpés et d'autreS qui se sont écroulés dans des cataclysmes, des arbres tordus et ébranchés se dressent çà et là, dans le ciel les nuées planent comme des oiseaux de proie et des taches de lumière fausse et sinistre s'éparpillent sur le sol ; la tourmente sévit continuellement et la clarté équivoque du jour se mêle aux explosions des éclairs. On dirait un paysage contemporain du chaos ou bien l'entrée des enfers, telle que se l'imaginaient les Anciens, et pourtant des êtres vivants hantent cette vallée terrifiante. Trois guerriers armés de pied en cap montent la garde au sommet d'un des rochers ; à droite un chasseur décharge son fusil. Rarement le peintre n'a poussé aussi loin sa fantaisie étrange et tourmentée. Au Xà II® siècle le siège de l'art italien s'était transporté à Bologne et à Naples. Florence, l'ancien et glorieux centre d'art, ne produisait plus le moindre artiste de valeur et les rares peintres de talent qui y naissaient encore ne répondaient plus au goût du jour friand de violence et de brutalité plutôt que de charme et de distinction. Seul Venise compte encore quelques maîtres notables. r L'Ecole italienne. 253 Il n'y a pas d'écart plus formidable qu'entre la peinture napolitaine du XVII^ siècle et la peinture vénitienne du XVIII®. C'est le passage brusque, sans aucune transition, des ténèbres et du carnage à la lumière et à la vie joyeuse; tandis que partout ailleurs l'art se meurt d'épuisement, à Venise quelques individualités surgissent encore, leur coloris clair et brillant, leur vision originale, font presque croire à un renouveau. Giovanni Battista Tiepolo est une de ces brillantes exceptions, un de ces derniers astres apparus au ciel de l'art. Il naquit à Venise en .1692 ou 1693 et fut élève d'un peintre insignifiant, mais il se forma probablement en étudiant l'œuvre de Paul Véronèse, qu'il s'assi- niila en l'enrichissant et en la rajeunissant pour ainsi dire. Il dota les monuments de sa ville natale de quantité de panneaux et de plafonds, ainsi il couvrit de sa peinture presque 274. Salvator Rosa. — Paysage avec figures (Louvre. Paris). toutes'les parois de la Chiesa dei Scalzi, il travailla aussi à Udine, à Wurzbourg dont il décora le palais épiscopal, à Madrid où il exécuta de nombreuses fresques dans le palais royal et où il mourut en 1770. On lui doit aussi quantité de tableaux d'autel. Sa manière est particu- lièrement claire et vivante, tellement jeune, tellement radieuse, qu'on le croirait contemporain de l'aube de l'école plutôt que de son heure de décadence; en effet, son œuvre comporte tant de fantaisie, surtout dans ses fresques, que cette peinture nous suggère la crânerie et la fougue d'un artiste n'ayant pas derrière lui un passé séculaire, mais qui se laisse aller sans contrainte à son ivresse créatrice, qui donne libre cours aux caprices de son cœur enthousiaste et de sa généreuse imagination ; il a retrouvé la radieuse lumière et la couleur éclatante de Paul Véronèse et il enchérit encore sur celles-ci. Pour s'épancher, il lui faut des champs spacieux 2 54 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. et il répand à profusion ses figures luxuriantes le long des plages et à travers les ciels de ses plafonds. Son art abdique tout souci et toute austérité. Il ne songe qu'à plaire, à se divertir; le soleil est plus éblouissant que jamais, les angeS parcourent les nuées; il n'y a plus sur la terre qu'une humanité riche et florissante, des dames belles comme des déesses, des cavaliers vêtus invariablement de soie et de velours. On éprouve d'abord quelque scrupule à jouir de cet art d'enfant prodigue ; on se demande même si c'est là de l'art, s'il n'y a pas plutôt exagération et débauche, mais en fin de compte, on se laisse tout de même séduire et on s'abandonne sans arrière-pensée aux délices du fruit défendu. Nous reproduisons deux des tableaux de ses grandes séries décorant le palais épiscopal de Wurzbourg et auxquelles il travailla de 1750 à 1753. Sur une des parois de la salle 275. Tiepolo. — L'Evêque Harold de Wurzbourg et l'empereur Frédéric Barberousse. (Palais épiscopal de Wurzbourg). du trône il représenta, en 1752^ L'Evêque Harold de Wurzhourg reconnu comme Duc far l'em- pereur Frédéric Barberousse (N° 275). La scène se passe à ciel ouvert, un portique en ferme la perspective et au-dessus du trône impérial des anges soutiennent des rideaux en manière de baldaquin. Barberousse est assis entre Mars et Hercule, l'évêque, escorté de dignitaires et de pages angèliques, s'agenouille sur les marches du trône. Derrière l'empereur se tiennent ses pairs et ses porte-étendards. Bref, une scène de gloire, de fête et de triomphe, un évé- nement historique transfiguré par la fantaisie visionnaire du peintre en une apothéose, en un prodige. Le Sacrifice de Jephté (N° 276) orne le dessus d'une des portes de la salle des Tapisse- ries. Le père implore d'un regard désespéré le Ciel exigeant le sacrifice de sa fille ; la vierge L'Ecole italienne. 255 défaillante se détourne du Sacrificateur; les expressions sont justes, tragiques comme la scène le comporte, mais Tiepolo se livre, pour le reste, à son amour du faste, de l'opulence et des prestiges de la beauté ; la couleur et la lumière sont répandues à profusion, la Vierge, pâle et délicate figure, se drape dans une étoffe d'un bleu exquis. En somme, quelque affligés que soient le père et son enfant, ils n'ont rien de biblique. On songe à l'Opéra, on admire l'art du costumier, du décorateur, du metteur en scène, la rigueur, l'intelligence des acteurs, la beauté de l'actrice. Antonio Canale dit Canaletto termine^la glorieuse lignée des Vénitiens et nous dirons même la série des grands maîtres de l'Italie. Né à Venise en 1697, il y mourut en 1768 ; à part quelques années qu'il passa à Rome et à Londres, il travailla durant toute sa vie dans sa ville natale. Il pratiqua un art qu'on serait tenté de rattacher aux époques de décadence. 276. Tiepolo. — Le Sacrifice de Jephté (Palais épiscopal de Wurzbourg). savoir les vues de villes, mais il s'y montra un maître de premier ordre. Il peignit principa- lement des vues de Venise, la plus merveilleuse et la plus enchanteresse de toutes les villes : les palais du Grand Canal, les basiliques de marbre et de mosaïques se profilant vaporeuse- ment sur les perspectives confondues de la mer et du ciel. Toutes ces vues sont autant de chefs- d'œuvre. Il a célébré la ville féerique, véritable cité de rêve, comme les maîtres antérieurs en avaient glorifié les grands seigneurs et les nobles dames. Ses toiles constituent de fidèles documents en même temps que des interprétations lyriques de la cité des doges ; il compléta pour ainsi dire, lui et aussi son neveu Bernardo Belotto, appelé aussi Canaletto, l'œuvre filiale et fervente de ses illustres devanciers. Après les personnages il a fixé et arrêté pour de bon un décor merveilleux des rives uniques au monde. 256 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Voici une Vue du Grand Canal avec Santa Maria delta Salute (N° 277), appartenant au Musée de Dresde. A droite la basilique avec son imposante coupole et ses escaliers descendant jusqu'à l'eau ; à gauche le Grand Canal, avec, au fond, le Palais Ducal, le quai des Esclavons et la Piazzetta. La lumière, projetée de derrière l'église, l'éclairé presque à l'exclusion de tout le reste du tableau maintenu dans un éclairage plus calme, et lui prête un relief, une valeur vraiment féerique. L'âme même de Venise vibre, palpite et chante dans cette page, véritable poème de la lumière et de la couleur. En parvenant à pénétrer ainsi jusqu'à la psychologie de cette ville, Canaletto s'est élevé au rang des plus grands artistes qui nous léguèrent les portraits de ses Doges et de ses magnifiques ; ses palais sont des portraits aussi vivants que ceux des personnages en chair et en os. La glorieuse Ecole italienne expira donc avec ces deux Vénitiens dont le premier sym- bolisa par sa fantaisie éperdue, l'expansion, les conquêtes, les triomphes de la puissante et opulente République, et dont le second exprima plutôt le particularisme, la beauté originale et sans pareille, le décor immuable et définitif, l'orgueil patriotique et esthétique de ces palais. Après ces deux brillants météores l'obscurité se fait complète et l'Italie artistique se plonge dans une léthargie dont elle ne s'est pas encore complètement réveillée. 277. Canaletto. — Le Grand Canal avec Santa Maria délia Salute à Venise (Musée de Dresde). L'ÉCOLE FRANÇAISE. pOUR être tardive la floraison de la peinture française n'en fut que plus éclatante. Les autres arts, à commencer par l'architecture, puis la sculpture, voire la peinture sur verre et la miniature, toutes, sœurs aînées de la peinture au pinceau, avaient atteint un haut degré de perfection quand celle-ci produisit enfin des ouvrages de réelle valeur. Les premiers artistes que nous rencontrons dans ce genre datent du XV® siècle, après que le pays, théâtre de guerres désas- treuses, eut enfin été pacifié. Ceux de ces primitifs originaires du Nord de la France subirent l'influence de la Flandre, ceux du Midi pro- cédèrent des Italiens ; mais, chez les uns comme chez les autres, se manifeste d'emblée un caractère original : le souci de vérité dans la forme comme dans le sentiment se double du besoin de concilier ce réalisme avec le plus d'agrément possible au moyen d'un dessin élégant et des couleurs radieuses. Un des plus anciens maîtres français dont l'identité soit bien établie est Jean Fouquet qui naquit à Tours vers 1415 et y mourut vers 1480. Dans sa jeu- liesse il travailla, de 1445 à 1447, à Rome, pour le pape ; par la suite Louis XI se l'attacha comme enlumineur. Il se distingua surtout dans la miniature et il ouvrit comme tel la série des grands portraitistes de son pays. Un de ses portraits les plus célèbres est celui de Guillaume Juvénal des Vfsins (N° 278), qui se trouve au Louvre. Le modèle était chancelier -7^- Ran Fouquet. •— Portrait de Guillaume Juvénal des Ursins de France sous Charles VII et (Louvre, Pans). Louis XI, il était né en l'an 1400 et comptait environ une soixantaine d'années quand Fouquet le peignit. Il est représenté agenouillé, les mains jointes, sur un prie-Dieu. Il porte un tabard rouge foncé bordé de fourrure ; une aumônière pend à sa ceinture. Le fond doré de la chambre est richement orné de motifs Renaissance ; les chapiteaux des colonnes arborent, parmi leurs fantaisies ornementales, l'écusson des Orsini de Rome dont les Juvénal ou Jouvénal des Ursins préten- daient descendre. Le personnage est corpulent ; il a le visage haut en couleur et son portrait lui prête un aspect digne et même austère, l'air important d'un fonctionnaire supérieur. La facture de ce portrait est soignée dans tous ses détails. 17 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 258 Parmi les plus anciens peintres de France se range un anonyme désigné comme le une de ses œuvres les ,,Peintre des Bourbons" ou ,,le Maître de Moulins", d'après plus dans la cathédrale de Moulins. Il fut un des qui se trouve disciples de Jean importantes Fouquet. Le chef-d'œuvre en question (N° 279), un triptyque, nous montre, sur le panneau l'Enfant tout nu sur ses- central, la Sainte Vierge trônant avec l'Enfant Jésus. Elle tient rattache sur la robe bleue est doublée d'hermine ; son manteau violet se poitrine genoux ; sa collier d'or orné de trois perles à chaque extrémité ; ses pieds reposent sur un crois- par un de couleur. Deux sant de lune ; derrière elle le soleil trace des cercles de lumière et anges au-dessus de sa tête. De chaque côté six anges l'adorent planent en suspendant une couronne Les deux du bas déploient une banderolle chantent louanges. anges portant cette et ses Le Maître de ÎMoulins. — Triptyque (Cathédrale de Moulins). 279. du inscription en latin: ,,Voici celle dont les saints publient les louanges; elle est entourée Sur soleil, elle tient la lune sous ses pieds ; elle mérite d'être couronnée de douze étoiles". les volets apparaissent avec leurs saints patrons Pierre II de Bourbon, Anne de Beau]eu et Suzanne. Marie est touchante et modeste, l'Enfant est une figure fort vivante ; les sa fille d après candide. Les anges, tous peints un seul modèle, forment un ensemble gracieux et de leurs et leurs groupes des donateurs et de leurs patrons ont beaucoup majesté ; gestes d'une certaine raideur. Le ton est vif et lumineux ; les couleurs- attitudes sont variés en dépit bigarrées sans exagération. Les draperies des anges s'irisent de reflets chatoyants empruntés aux lueurs de la gloire environnant la Vierge ; les vêtements des autres personnages sont plus fermes et moins nuancés. En somme ce tableau représente le chef-d'œuvre de l'art français primitif. On présume qu il fut peint vers 1490^ milieu de la carrière du peintre. Clouet, originaire de Bruxelles, s'était transporté à Tours, A la même époque Jean L'Ecole française. 259 OÙ il devait fonder toute une dynastie de peintres. Vers 1485 il lui naquit un fils, Jean Clouet, deuxième de ce nom, c¡ui devait surpasser son père. Ce deuxième Clouet eut un fils, à son tour, Prançois, avec qui il alla se fixer à Paris. Pkançois Clouet accompagna son père en qualité de valet de chambre et peintre du roi, il cumula ces fonctions sous deux règnes, ceux de Henri II et de Charles IX, et peignit d'innombrables portraits de ces souverains et de leur famille ainsi que des grands du royaume ; il fut le plus remarquable de la dynastie des Clouet. Il peignit ses aristocratiques modèles avec le plus grand soin et en caressant de son nûeux les détails du riche costume de l'époque. Il peint d'une touche une la apprêt artifice, mais ses personnages et sans s'assimiler d'une façon saisissante la dominante de leur caractère. Un de ses portraits les plus remarquables un des rares qu'on puisse en toute certitude de Charles IX, au Louvre (N° 280). Le est peint en pied, il porte l'élégante coiffure de l'époque ornée de plumes blanches et enrichie de pierreries, son pourpoint noir est brodé d'or; il est chaussé de souliers blancs ; la main droite repose un fauteuil rouge garni de perles et de rubans d'argent. La facture est extrêmement soignée il n'y aurait à critiquer que la raideur du modèle. la peinture française ne traita au début, en dehors du por- trait, que des sujets religieux ; plus tard elle se distingua par une manière presque exclusive- ment académique, mais entre ces deux périodes se produisit un groupe de peintres réalistes, représentant un phénomène inattendu et pres- que isolé dans les tràditions de l'art français. Dans courant du XVI^ ce les frères Le Nain se distinguèrent en des empruntés la vie quotidienne des petites gens et par interprétation fidèle des mœurs populaires, ne recherchèrent pas plus formes séduisantes que les radieuses couleurs. Avaient-ils subi l'influence de la manière noire des maîtres bolonais de l'école du ^ grand réaliste François Clouet. Charles IX (Louvre, Pans). Caravage? Fort probablement, quoiqu'il serait difficile de l'établir, vu que nous savons fort peu de chose de leur vie. Alais dans tous les cas ils représentèrent un noyau d'artistes tout à fait à part dans leur pays. Ils étaient trois frères nés à Laon, Antoine en 1588, Louis en 1594 et Alatthieu en 1607. Ils reçurent les premières notions de leur art d'un peintre étranger et inconnu venu dans leur ville natale, ils se rendirent ensuite à Paris, où l'Académie fondée en 1648 les reçut demhlée dans son sein. Deux d'entre eux moururent cette même année 1648, Louis le 23 mars, Antoine deux jours plus tard. Antoine qui avait été reçu en 1629 dans la confrérie des 260 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. peintres parisiens se distingua surtout comme miniaturiste et peintre de portraits de format en vécut 1677. On nous réduit. Matthieu, nommé peintre de la ville de Paris 1633, jusqu'en le mentionne comme un peintre de grandes compositions, de sorte que les scènes popii- laires proprement dites seraient dues plutôt à Louis ; mais il règne encore tant d'incertitude de tout temps on a attribué les œuvres de ce genre collectivement aux Frères à ce sujet que au Le Nain. Parmi leurs tableaux, qui se trouvent Louvre, le plus caractéristique est le Repas les rustres sont attablés, celui du milieu soulève de Paysans (N° 281) de la collection Lacaze : il tient couteau avec lequel il va couper le un pain ; celui son verre d'une main et de l'autre 28 i. Le Xain. — Le Repas de Paysans (Louvre, Paris). est train de boire, celui de droite regarde ses compagnons. Derrière celui-ci il de y gauche en : a trois petits enfants ; une femme se montre à gauche. C'est un ménage d'infimes paysans leur ils ont la mine des rudes travailleurs de la glèbe avec leurs cheveux embroussaillés qui tombent le front et leurs vêtements débraillés et en guenilles, l'un de ces trois serfs a sur même les pieds nus ; le mobilier est des plus primitifs : l'un est assis sur un tronchet à peine équarri, un autre sur une futaille. Toutefois la misère noire ne règne pas chez ces jacques: Les un lit à colonnes dresse dans un coin, de l'autre côté règne une vaste cheminée. se de leur accoutrement misérable. Le peintre les a gaillards sont sains et robustes, en dépit rendus dans tout leur réalisme, mais en les faisant bénéficier de la magie de ses couleurs L'École française. 261 et de ses pinceaux. Ce n'est point que le coloris soit des plus vifs, la tonalité générale est plutôt grise ; seul le corsage rouge de la femme tranche sur la sobriété de l'ensemble. Dans tous les cas cette scène véridique de la vie des humbles constitue un chef-d'œuvre d'une originalité intense. Valentin ou Le Valentin, né à Coulommiers en 1601, est un autre excellent artiste français. Ayant quitté la France dès sa jeunesse il alla s'établir à Rome, où il fut tellement sollicité par les œuvres du Caravage qu'il marcha sur ses traces. Il mourut dans la ville Éternelle en 1632 ou 1634, donc à peine âgé de 30 ans. Il ne possède point l'originalité des frères Le Nain, mais il représente une sorte de romantique avant la lettre, réfractaire à la tendance classique adoptée par la plupart de ses compatriotes et contemporains, et peignant 282. Valentin. •—• Une Rixe entre Soldats (Pinacothèque, Munich). de préférence la vie réelle dans ses épisodes les plus turbulents et les plus débridés. Il emprunta à son maître favori les couleurs crues et éclatantes se détachant sur des ombres opaques. On lui doit nombre de vastes compositions religieuses peintes pour les églises de Rome, mais il excella surtout par ses scènes de la vie des camps montrant des soudards jetant les dés ou manipulant les cartes. Trois de ces savoureux tableaux se trouvent à la Pinacothèque de Munich. L'un représente Une rixe entre soldats (N° 282), cinq lansquenets se sont pris de querelle au jeu de dés et la dispute a promptement dégénéré en bataille. L'un des forcenés a tiré son poignard avec lequel il frapperait son adversaire si un troisième ne l'en prévenait, un autre encore, le plus jeune, brandit le poing d'un air menaçant ; tous s'injurient et s'égosil- 202 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. lent à l'envi. On n'imagine point querelleurs plus enragés ou scène plus violente, mais non plus tableau plus vivant et dénotant autant la vérité. C'est bien ainsi que les choses devaient se passer parmi ces soldats mercenaires et ces aventuriers sans feu ni lieu. Simon Vouet inaugure cette ère prolongée des peintres français du XVII® siècle, procédant des maîtres bolonais et ayant adopté leur éclectisme et leur manière académique. Ces Bolonais étaient eux-mêmes, nous l'avons vu, des imitateurs ; mais du moins connais- saient-ils des moments d'inspiration créatrice ou firent-ils parfois d'heureuses trouvailles. Leurs disciples français ne sont pour la plupart que des peintres savants, adroits, ingénieux, initiés à toutes les traditions et à toutes les recettes de l'art italien, mais dépourvus de toute aptitude créatrice. Pour deux ou trois véri- tables artistes on compte une cen- taine de peintres médiocres, en- combrant les palais et les églises de toiles dont aucun détail n'est de leur propre cru. B Simon Vouet fut le chef de cette légion. Né à Paris en 1590, il apprit son métier chez son père, Laurent Vouet ; de bonne heure il s'acquit un certain renom de por- traitiste et, ayant accompagné l'am- bassadeur de France à Constanti- nople, il lui fut donné de pourtraire le sultan et d'autres grands person- nages de là-bas. Il revint par l'Italie et s'arrêta à Rome jusqu'à ce que Louis XIII l'eut rappelé en France en 1627. Il avait déjà obtenu le pliis grand succès en Italie et sa patrie ne l'accueillit pas avec moins de faveur ; son atelier devint même une sorte d'académie dans laquelle d'innombrables élèves s'initièrent aux secrets et aux pratiques que le maître avait rapportés de l'Italie et surtout de son commerce avec 283. Simon Vouet. — La Richesse (Louvre, Paris). • , . . , . t , -j. les maîtres bolonais. Il peignait force compositions religieuses, allé- goriques, mythologiques et d'innombrables portraits. Il mourut en 1649. Un de ses tableaux du Louvre représente la Richesse (N° 283). Une femme couronnée de laurier, vêtue d'une ample draperie jaune, tient sur les bras un enfant paré d'un ruban bleu ; elle tourne la tête vers un autre enfant qui lui offre un collier de perles, un bracelet et d'autres bijoux. Des vases d'or et d'argent, des plats précieux et d'autres pièces d'orfèvrerie sont répandus sur le sol ; un livre est égaré parmi ces richesses. Que signifie cette allégorie? La femme trop cupide néglige-t-elle ses devoirs de mère et d'épouse? Le tableau est exécuté dans la manière souple et aisée du maître, cette facture aimable mais L'Ecole française. 263 impersonnelle est digne de la banalité souriante de la conception et c'est, en somme, un produit-type de la peinture néo-classique. Les deux plus grands artistes que la France produisit au XVII® siècle furent Nicolas Poussin et Claude Gelée. A l'exemple de Simon Vouet ils allèrent se perfectionner dans leur art de l'autre côté des Alpes, mais tous deux possédaient assez de personnalité pour préserver celle-ci en dépit de l'écrasante influence des maîtres qu'ils étudièrent et admirèrent là-bas, Nicolas Poussin naquit en i594 à. Villers, près Les Andelys, en Normandie. A dix- huit ans il s'échappa de la maison paternelle pour se rendre à Paris et se mettre en apprentis- sage chez des maîtres plus capables que ceux qu'il aurait trouvés dans sa ville natale, mais les maîtres italiens qu'il apprit à connaître à Paris par leurs tableaux ou des gravures d'après 284. Nicolas Poussin. — Bergers d'Arcadie (Louvre, Paris). leurs œuvres, lui inspirèrent une admiration plus grande encore que les peintres français, et son vœu le plus ardent fut de se rendre à Rome. Il entreprit deux fois le voyage sans arriver à destination. Enfin, en 1624, il parvint jusqu'à la ville éternelle, mais Louis XIII et le •cardinal de Richelieu le rappelèrent en 1624, et comme il parvenait difficilement à s'acclimater dans sa patrie, il retourna l'année d'après à Rome où il demeura jusqu'à sa mort survenue en 1665. Poussin entretenait un culte fervent et intelligent pour les antiques, il ne se contentait point de marcher sur les traces des Italiens de la Renaissance, mais il remontait jusqu'aux classiques primitifs qui joignaient la noblesse du sentiment à la sobriété ■et à la correction de la facture. Il ne se représentait ses propres compositions qu'à travers son admiration pour les statues de Rome et de la Grèce, il vivait encore plus dans 1 antiquité 264 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. que dans le monde contemporain. Il peignit de préférence des scènes empruntées à la Imble et à la Bible il exécuta aussi quelques portraits. Sa ferveur pour les chefs-d'œuvre du ; passé l'empêchait point d'être aussi un enthousiaste de la nature et, dans nombre de ses ne tableaux, il accorde une importance prépondérante aux paysages imposants qu'il lui avait été donné d'admirer dans la campagne romaine. Mais il fut surtout un peintre de héros qui vit l'humanité sous son jour le plus noble et qui lui prêta les formes les plus parfaites. Le Louvre possède d'innombrables œuvres de Poussin ; nous en choisirons trois à titre d'échantillons des divers genres qu'il cultiva de préférence. Ce sont d'abord les Bergers d'Arcadie (N° 284). Trois pâtres et une bergère parcouraient une vallée lorsqu'ils rencon- trèrent une tombe isolée; le peintre les représente en train de déchiffrer l'inscription tumulaire Et in Arcadia ego (Moi aussi je fus en Arcadie). L'un des bergers, un genou en terre, promène le doigt sur les caractères de l'inscription ; l'autre, penché en avant, la désigne à la bergère qui pose la main sur son épaule ; le troisième, accoudé à la table du tombeau, contemple paisiblement la scène. Les bergers n'ont d'autre vêtement qu'une étoffe flottant sur leurs épaules et ceignant leurs reins ; la bergère porte le costume des femmes grecques. Ce sont quatre figures empruntées au monde des statues, aussi leurs poses sont-elles sculp- turales, elles vivent et agissent tout juste assez pour accorder leurs attitudes en un har- monieux ensemble ; elles ne se meuvent qu'à la façon de statues vaguement animées. La bergère passerait aussi bien pour une déesse que pour une gardeuse de moutons. Le paysage s'harmonise parfaitement avec les personnages ; il est sobre, large et paisible. Le choix du sujet, les figures et leur entourage respirent un goût si noble, une telle pureté de sentiment, que ce tableau représente pour ainsi dire la synthèse de l'idéal antique. L 'exécution répond tout à fait à la conception, la couleur est probe et discrète, les chairs blanches et ambrées s'accordent avec les tons dorés des draperies et des nuages. Les poètes grecs ne 285. Nicolas Poussin. — Orphée et Eurydice (Louvre, Paris). L'Ecole française. 265 se représentaient pas autrement la radieuse Arcadie, le berceau des idylles et des bonheurs ingénus ; la beauté humaine s'y épanouissait simplement et sans artifice comme des fleurs écloses au plein air, au milieu des champs. Orphée et Eurydice (N° 285) représente ce que l'on pourrait appeler un paysage his- torique. Orphée est assis à droite sur un bloc de pierre ; sous l'empire de l'enthousiasme poétique il fait vibrer les cordes de" sa lyre et chante en levant les yeux au ciel ; deux femmes et un jeune homme l'écoutent avec ravissement. Derrière ce groupe on aperçoit Eurydice, l'épouse d'Orphée, saisie de terreur à la vue du serpent qui vient de la piquer. Le paysage montre encore un fleuve sur les bords duquel un homme est en train de pêcher. Sur 286. Nicolas Poussin. — L'Enlèvement des Sabines (Louvre, Paris). l'autre rive des nautoniers vaquent à leurs occupations et des baigneurs prennent leurs ébats dans les flots. La perspective est limitée par des arbres, des rochers et le pont Saint-Ange à Rome. Le paysage tient le principal rôle : il s'agit d'un décor élyséen rêvé par un artiste épris à la fois des* sites radieux et des monuments grandioses de l'Italie et qui fond en une composition idéale les deux objets de ses prédilections. On croit que Poussin peignit ce tableau en 1659 pour son confrère Le Brun. L'Enlèvement des Sabines (N° 286) est un chef-d'œuvre de dessin, de composition, de métier et de goût plutôt que de sentiment et de pathétique. Bellori décrivit ainsi ce tableau : ,,Romulus fait signe à ses guerriers qu'ils assaillent et ravissent les Vierges Sabines. Voici une femme qui fuit avec son vieux père, lequel tout haletant et les bras ouverts, se 2 66 Les Chefe-d'Œuvre de la Peinture. retourne en arrière au clioc d'un soldat qui saisit la femme et l'emporte. Non loin une de ses compagnes se traîne à terre et se cache dans le sein de sa vieille mère qui fait le geste- d'éloigner un jeune homme armé, lequel la repousse, lui mettant la main à la poitrine, et tient l'autre sous la femme qu'il enlève. Du côté opposé une jeune femme se défend avec un âpre dédain, et tire les cheveux de son ravisseur qui la tient dans ses bras. De telles scènes ont lieu au-devant du tableau ; mais plus loin, à l'arrière-plan, et en figures plus petites, ■ on voit un soldat qui enlève de terre une enfant et la pose de force sur la croupe du cheval de son compagnon qui se retourne pour l'embrasser, et de toutes parts fuient les Sabins, hommes et femmes, poursuivis par les Romains qui les assaillent de leurs épées". 2S8. Claude Lorrain. — L'Embarquement de la Reine de Saba (National Gallery, Londres). Autant d'épisodes détachés, mais rassemblés avec un tel art qu'ils se fondent en une action unique. Chaque groupe pris à part constitue une merveille. Le second des très grands maîtres français du XVII® siècle est Claude Gelée, plus •connu sous le nom de Claude Lorrain. Il naquit en 1600 à Chamagne sur la Moselle; tout jeune encore il se rendit à Rome où il eut pour maître le paysagiste Agostius Tassi et passa une année à Naples où il travailla chez Godefroid Walss, également élève de Tassi. Lorsqu'il retourna à Rome en 1627 il y rencontra Poussin dont il fit la connaissance et dont il devint le fervent admirateur et disciple. Tout le reste de sa vie, soit encore 55 ans, s'écoula dans la ville éternelle où il mourut en 1682, célébré dans tout l'univers ■comme le plus grand paysagiste de son temps. Et cette gloire était méritée car, quoique L'École française. 269 l'on ne comprenne plus exclusivement le paysage comme il le faisait, c'est-à-dire au point de vue historique et architectural, il y déploya un véritable génie, et dans le genre spécial innové par lui plus d'un maître parvint encore à créer des chefs-d'œuvre. Turner ne reprit-il pas il y a cent ans la tradition et le mode de Claude Lorrain? Et, plus récemment, n'avons- nous pas vu Boecklin retourner^au paysage historique? Tous deux n'ont-ils pas tiré un merveilleux parti d'une conception que l'on s'empressa peut-être trop hâtivement de consi- dérer comme démodée. Mais Claude Lorrain demeure le paysagiste historique par excellence. A la rigueur il avait eu des devanciers dans Annibal Carrache et aussi dans ~ ~ ^ le hollandais Paul Bril qui étof- fèrent leurs paysages de fabriques empruntées aux monuments de la Rome antique. Poussin, aussi, qui donne toujours un cadre mo- numentai et grandiose à ses scènes bibliques ou mythologiques, ne fut pas étranger à la direction que devait prendre l'art de son jeune ami. Mais Claude Lorrain déploya une telle originalité dans l'art d'unir les prestiges d'un beau décor naturel aux splendeurs des monuments construits par la main des hommes qu'il passa à bon droit, sinon pour le créateur, du moins pour le représentant le plus accompli d'un nouveau genre« Il n'admirait pas la na- ture dans tel coin isolé ou sous tel aspect particulier, il la saisis- sait dans son ensemble, il la tenait pour le temple majestueux dans lequel l'homme " s'exalte et s'anoblit ; mais il interpréta de préférence le paysage italien, les sites classiques de la campagne romaine hantés par les Dieux et chantés parVirmle II les imprégna Gaspard Dughet. — La Vocation d'Abraham (National Galler}')- non seulement des ardeurs de la lumière, mais aussi des effluves d'une ferveur poussée jusqu'à l'idolâtrie. Le Louvre ne possède pas moins de seize tableaux de Claude Lorrain. L'un représente le Débarquement de Cléopâtre à Tarsus (N° 287). Comme toujours, cet événement ne sert que de prétexte à notre peintre pour nous représenter un paysage de terre ou de mer. Dans le cas présent il s'agit d'une marine : de la plage où le spectateur est censé se trouver il aperçoit à gauche les imposantes galères qui viennent de débarquer la reine d'Egypte et Antoine, le triumvir, son amant ; à droite les palais superbes, vers lequel l'auguste couple se dirige avec son escorte ; plus loin, vers la mer, se dresse une tour massive et se profilent des carènes et 270 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. i des mâtures. A l'avant-plan des personnages d'importance se rencontrent et se souhaitent la bienvenue. Mais le personnage capital est néanmoins le soleil couchant qui remplit tout le tableau de la gloire éblouissante de sa lumière et de ses reflets dans les vapeurs crépus- culaires ou dans Jes flots dont les colorations féeriques se confondent avec celles du ciel, au bout de l'horizon. Les monuments, les navires, la mer et le ciel, tout concourt à nous donner une impression de grandeur absolue. Les.,œuvres de la nature n écrasent pas celles des hommes, elles se complètent ou se font valoir mutuellement, les unes,sont dignes des autres. La National Gallery de Londres possède un autre des chefs-d'œuvre de Claude Lorrain : L'Emharq^icment de la Reine de Saba (N° 288). Le peintre représente la royale enchanteresse au moment où, après avoir pris congé de Salomon, elle va mettre le pied sur le navire qui la ramènera dans ses Etats. Rien qui ressemble aux côtes de la Palestine ou à l'architecture orientale ou à la forme des navires à cette époque biblique. 11 s'agit tout bonnement d'une vue de la Méditer- ranée au temps de notre artiste, ou plutôt d'une marine fabuleuse telle qu'il les rêvait et les imaginait : des rivages aux lignes décoratives étoffés de palais magnifiques, de colonnades grandioses, de statues colos- sales, de tours impérieuses, le disputant en majesté avec d'épais marmenteaux et d'al- tières mâtures. Mais l'élément capital de cette scène est, comme toujours, le soleil couchant dont le disque prêt à plonger dans la mer, là-bas, tout au fond de l'horizon, empourpre à la fois le ciel et les vagues et fait oublier tous les autres prestiges. Ce qui se passe sur la rive n'a guère plus d'impor- tance qu'une anecdote, toute autre royauté pâlit à côté de celle de l'astre souverain, lui seul embrasse et embrase les espaces infinis. Les humains, fussent-ils les plus puis- sants de leur race, ne représentent plus que 290. Philippe de Champagne. ■— Le Cardinal de Richelieu des accessoires, de simples fantoches. (Louvre, Paris). Gaspard Dughet procède en ligne directe de Nicolas Poussin, son beau-frère. Lorsque celui-ci arriva à Rome en 1624, il se trouva d'abord dénué de toutes ressources et pour comble de malheur il tomba gravement malade; un de ses compatriotes, établi depuis longtemps à Rome, eut pitié de sa misère, le recueillit sous son toit et lui prodigua ses soins. Ce mortel compatissant avait une fille qui devint la femme de son obligé, et un fils, qui fut le disicple du grand maître. On l'appela Gaspard Poussin ou Le Guaspre, il se consacra exclusivement au paysage, se bornant à placer de temps en temps quelques figurines dans ses tableaux et il célébra surtout dans d'imposantes toiles, peintes avec un soin extrême, les environs de Rome avec les vestiges des monuments construits par les Césars. Du moment qu'il eut adopté ce genre il ne peignit plus autre chose; il ne quitta même plus l'Italie et il mourut à Rome en 1675. Il exécuta beaucoup de peintures à la détrempe, les parois de nombreux palais de Rome sont couvertes de ses fresques. La peinture décorative était très L'École française. goûtée à cette époque à Rome. Paul Bril lui avait ouvert la voie dans ce genre, et Le Guaspre peignait avec facilité, sans se pénétrer profondément de ce qu'il traitait. Ses tableaux à l'huile, très nombreux aussi, sont conçus dans cet esprit et traités dans ce style décoratif. Une de ses toiles qui se trouve à la National Gallery représente la Vocation d'Abraham (N° 289). Au pied d'une montagne couronnée de grands arbres un messager du ciel apporte au patriarche les ordres de Jéhovah qu'on entrevoit trônant dans d'épaisses nuées, la voix même du Tout-Puissant résonne sans doute au milieu du fracas de la foudre. La scène entière inspire une religieuse terreur, les montagnes dressent leurs masses farouches d'oii se précipite un torrent furieux, tandis que l'ouragan fait rage et tord à les rompre les branches des cèdres géants. Plus encore que chez Nicolas Poussin et Claude Lorrain le paysage prévaut sur le reste et le drame principal se j one dans la nature. Le peintre a saisi un prétexte pour m.ontrer les combats de l'ombre et de la lumière, il s'agit d'une tempête plutôt que d'un prodige, d'un phénomène violent, mais naturel, et donc moins effrayant que le serait un miracle. Philippe de Champagne, aussi, s'apparente étroitement au Poussin. Cet artiste naquit à Biuxelles en 1602 et de- meura dans sa patrie jusque vers sa dixième année, après quoi, suivant la coutume de tous les jeunes peintres de cette époque, il prit le chemin de l'Italie. Mais arrivé à Paris il entra dans l'atelier de Georges Sahemand de Nancy, où il rencontra Poussin, avec lequel il entra au service de Duchesney, occupé en ce moment aux peintures déco- ratives du nouveau palais de la reine-mère Marie de Médicis. Tandis que Poussin par- tait pour Rome, Champagne demeura à Paris où il se conquit une prompte célébrité et une rapide faveur. Après la mort de Du- chesney il lui succéda en qualité de premier peintre de la reine et vécut jusqu'en 1674. 291. Pierre Mignard. ■— La vierge aux Raisins Comme Poussin, il se consacrait non seule- (Louvre, Paris), ment à la peinture d'histoire; mais aussi au paysage historique. Envisagés sous d'autres rapports les deux peintres s'engagèrent dans des voies toutes différentes. Poussin illustra surtout de ses pinceaux les poétiques fictions de la mythologie grecque et des scènes de la Fable ; Champagne interpréta presque exclusive- ment les touchants épisodes de l'Evangile ; il fut le peintre attitré des jansénistes de Port- Royal, les austères représentants du christianisme le plus pur, il épousa leurs convictions, son art s'imprégna de leur esprit ; il décora leurs églises et peignit leurs portraits. Comme Poussin, il entretenait le culte des nobles formes mais il ne possédait ni la chaleur de son sentiment poétique, ni l'harmonie troublante et capiteuse de sa couleur. Il devint tout à fait Français, tant par son art que par sa pensée, et c'est pourquoi nous avons détaché ce Flamand de l'école de sa patrie d'origine pour le transférer dans celle de sa patrie d'adoption. Il était très attaché à Marie de Médicis et par conséquent moins porté 2 72 Les Chefs d'Œuvre de la Peinture. pour le cardinal de Richelieu, l'adversaire déclaré de la régente. Néanmoins le cardinal le tenait en très haute estime, il le protégea en maintes occasions et lui fit faire plusieurs fois son portrait. Le plus important et le plus connu de ces portraits est celui qui se trouve au Louvre (N° 290). Le cardinal, vêtu de la pourpre, coiffé de la calotte, la croix de l'ordre du Saint-Esprit étalée sur la poitrine, se tient debout ; dans la main droite,, qu'il avance, il tient sa barrette ; il ramène son manteau de la main gauche, qu'il porte aussi en avant, nomme pour souligner sa parole d'un geste. Il y a vraiment quelque chose de grandiose dans sa haute stature et dans son large et impérieux mouve- ment ; cette main tendue, ce regard décidé révèlent en même temps que le despote une intelligence radieuse et un politique consommé. Pierre Mignard doit être rangé en tête de la Ion- gue série des peintres acadé- miques disciples de Simon Vouet et des Italiens. Il avait un frère plus âgé que lui et peintre aussi, nommé Nicolas et que l'on appelle Mignard d'Avignon pour le distinguer de son cadet, le plus célèbre des deux et dit Mignard le Romain. Celui-ci était né à Troyes en 1612. Il passa quel- que temps à Fontainebleau, où se trouvaient beaucoup d'oeuvres d'Italiens et aussi de copies d'après l'antique, en 1635 il se rendit à Rome où il entra en relations avec Poussin et où il se livra à l'étude des maîtres des .siècles précédents et, en 1657, rappelé à la cour de France qui le combla de commandes. A la fin de sa vie il occupait 292. Charles Lebrun. — Le Christ en croix entouré d'anges (Louvre, Paris) . charge de peintre ordinaire du Roi et il était le plus fêté des artistes de son pays. Il mourut en 1695. On lui doit nombre de fresques et de plafonds exécutés à Paris, quantité de tableaux d'église, autant de compositions mythologiques et d'innombrables portraits. Il est l'un des meilleurs représentants d'un genre très en faveur de son temps ; la peinture littéraire. Son meilleur ami et fidèle collaborateur fut Alphonse Duchesna\q à qui l'on doit rriême une ode en latin sur la peinture. Rien ne prouve de façon pliis édifiante les rapports intimes établis par les artistes de ce temps entre l'art d'écrire et celui de peindre. L'Ecole française 273 Parmi la douzaine de toiles de Pierre Mignard qui se trouvent au Louvre ■et qui se recommandent toutes par l'élé- gance de la composition et la fraîcheur du coloris, nous choisirons sa Vierge aux raisins (N° 291). Cette œuvre peinte à Rome porte visiblement la marque de l'influence italienne. Marie est délicieuse de visage et d'expression ; le mouvement par lequel le petit Jésus se montre sous le voile de sa mère est une trouvaille ; mais l'Enfant même est lourd et vulgaire. Le plus fameux des successeurs ■de Simon Vouet et la plus parfaite ex- pression de l'art français à l'apogée de la royauté française est Charles Lebrux. Il naquit à Paris en 1619, le chancelier Pierre Séguier s'intéressa à lui, et lui ■octroya une pension qui lui permit de faire un séjour de plusieurs années à Rome. Il s'y était rendu en 1642 et dès son arrivée il y rencontra Poussin qui lui 293. Eustache Le Sueur. — fit veneration les L'Apparition de Sainte Scholastique partager sa pour antiques. ^ Saint Benoît (Louvre, Paris). Lebrun se consacra durant quatre ans à l'étude du costume, des armes, de tout l'attirail du guerrier et du fonctionnaire plus encore qu'à celle des œuvres mêmes représentant les personnages de l'antiquité. Il devint donc un peintre des plus savants, plein d'érudition, d'éloquence, rompu à tous les secrets des écoles classiques, habile à grouper et à composer de nobles scènes, mais versant parfois dans une •emphase théâtrale. A -fawiBBai»»..j ^ Institut^^ des nomme diFCclidiF^ ■• ie palais de Versailles ; 294. Nicolas de Largillière. — Portraits du peintre et de sa famille (Louvre, Paris). 18 274 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. il exécuta des cartons destinés aux tapisseries dont étaient tendues les salles de cette somptueuse résidence royale. Il présida aussi à la décoration de tous les édifices dans du lesquels la prodigalité du Roi Soleil engloutissait des millions. L'activité peintre s étendit même palais, aux châteaux et aux églises construits par les ministres, les aux princes et les grands seigneurs. Il travailla ainsi durant près d'un demi-siècle et mourut en 1690. Son art est absolument approprié à son époque. Au moment où la littérature française classique- à trouvait son expression suprême avec les Racine et les Boileau, il contribua le plus créer une nouvelle peinture classique ; mais celle-ci demeura bien infé- la car manquait l'inspiration originale autant que spontanéité de la Le Chnsi d'Anges du Musée du Louvre 292) passe pour chef-d'œuvre du maître. Une tradition rapporte- qu'Anne d'Autriche, reine-mère, plongée un soir dans une profonde A-méditation religieuse, se serait 'rà imaginée voir le Christ attaché à f'/ ' 1 g Croix et adoré par les anges, et ^ ayant raconté cette vision à Le- brun, celui-ci se serait mis incon- tinent à l'œuvre afin de fixer cette scène sur la toile. Ayant achevé tableau, il le soumit à la prin- cesse qui fut tellement ravie de la ^ fidélité avec laquelle le peintre avait rendu ce qu'elle lui avait raconté, lui fit cadeau de , êBKEê̂ qu'elle portrait enrichi de brillants- et suspendit celui-ci à son cou. L'authenticité de cette origine est confirmée par la couronne et les fleurs de lis déposées sur un coussin au pied de la Croix. Quoi qu'il soit, cette œuvre s'élève bien au- dessus de la production ordinaire 295. Hyacinthe Rigand. - Louis XIV (Louvre, Paris). ^ebrun : l'expression du Christ, les yeux levés vers le ciel, est vrai- ment émouvante ; celle des anges n'est pas moins touchante et le peintre est parvenu à varier cette expression, à trouver d'autres nuances, d'autres mouvements pour chaque figure. Les- traits comme les gestes traduisent la piété et la ferveur la plus ardente, une compassion infinie ; ces anges d'une beauté idéale et surhumaine ont néanmoins toute la réalité des simples mortels et leur émotion doulomœuse participe de celles des humbles habitants terrestres. Eustache le Sueur à Paris aussi les les en plus- , né 1616, compte parmi disciples célèbres Simon Vouet. Il ne de se forma à l'école de celui-ci et aussi en étudiant Raphaël, L'École française. 277 quitta jamais la France et travailla à Paris jusqu'à sa mort, survenue en 1655. Il s'était fait une renommée précoce et on lui avait confié d'importantes commandes: ainsi il travailla en même temps que Lebrun à la décoration de l'hôtel du Président Lambert de Thorigny, pour lequel il exécuta deux séries mythologiques, entre autres l'histoire d'Amour et des Muses. Mais son œuvre la plus célèbre est la Vie de Saint Bruno, qu'il représenta en vingt- deux tableaux pour le petit cloître du couvent des Chartreux à Paris et à laquelle il travailla de 1645 à 1648. En 1776 ces peintures furent offertes par les moines à Louis XVI et elles ornent aujourd'hui le Musée du Louvre. Le Sueur peignit encore un grand nombre de tableaux d'église, il se fit même une spécialité du genre religieux parmi ses confrères. Son caractère modeste et discret se retrouve dans ses œuvres, élles sont sagement ordonnées, mais d'une conception assez froide, elles témoignent d'un sentiment délicat, mais sans puis- ' 296. Antoine Watteau. — L'Embarquement pour Cythère (Louvre, Paris). sanee, ni profondeur. Leur couleur, plutôt édulcorée, leur manière pour ainsi dire efféminée, diffère notablement du style ferme et fougueux de Lebrun. Un des meilleurs épisodes de la série qui se trouve au Louvre est VApparition de Sainte Scholastique à Saint Benoît (N° 293). Le saint abbé est agenouillé sur le sol; sa mitre et sa crosse déposées devant lui. Sainte Scholastique lui apparaît dans la nue, supportée par des petits anges et accompagnée de deux vierges couronnées de fleurs et tenant des palmes ; Saint Paul et Saint Pierre planent aussi à côté de la sainte. Le premier montre le ciel au visionnaire, le second lui ouvre les bras. Saint Benoît de son côté tend les bras vers cette apparition et lève les yeux au ciel;' les saintes ont des physionomies d'une douceur vraiment céleste ; les apôtres ont un mouvement plein de vie. Le sentiment religieux du sujet est rendu à la perfection, mais comme tous les tableaux du maître, celui-ci pèche aussi par une couleur terne et des formes inconsistantes. 278 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. La seconde moitié du XVIl^ siècle appartient aux disciples des grands peintres d'histoire académiques, tandis que la peinture de portraits prend une importance de plus en plus prépondérante à la fin de ce siècle et durant la première moitié du XVIIIL Les seigneurs et les grandes dames de la cour de Louis XIV tenaient a se voii representes dans leur maintien solennel et pour ainsi dire monumental; leur costume même réclamait des attitudes et une interprétation toute d'étiquette et d'apparat; leurs imposantes perruques ne pouvaient s'accorder qu'avec des airs cérémonieux et décoratifs. Avant de poser devant le peintre tout ce monde semblait déjà vouloir poser devant la postérité. L'un de leurs meilleurs interprètes fut Nicolas de Largillière qui naquit à Paris en 1656 ; son père, un négociant français, qui vint se fixer à Anvers, y avait amené l'enfant à peine âgé de trois ans ; dans cette ville il fréquenta -p.-p.T-,.■r-jxTiTiMMiM^^ l'atelier d'Antoine Goubeau, le peintre des mœurs populaires et des scènes de marché. Il prolongea cet apprentissage jusqu'à dix-huit ans, après quoi il se " i rendit à Londres, où Pierre Lely, le disciple de Van Dyck et le peintre de ' Charles II, le prit sous sa protection. V A Londres aussi bien qu'à Anvers il â apprit donc son métier de maîtres fia- ' ""u V A. rnands ou formés à l'école flamande, de ^ f sorte que lorsqu'il retourna à Paris, en C'L A/ i s'était si bien assimilé leurs traditions, qu'il témoignait plus de goût sensibilité coloristes que n'importe quel autre peintre français de cette époque et qu'il prêta à ses pensonnages, en tant que portraitiste, un charme et un naturel confrères ne parvenaient point égaler. Il peignit de tableaux d'histoire, mais on lui doit des de Les les plus portraire par lui. Il mourut en 1746, de . 298. Antoine âgé Watteau. Gilles quatre-vingt-dix ans. (Louvre, Paris). . . Il n excellait pas moins dans les groupes que dans les personnages isolés ; tel le tableau qui se trouve au Louvre et qui le représente avec sa femme et sa fille (N° 294). Largillière en costume de chasse gris, tient son fusil à la main et son chien en laisse ; sa femme, vêtue de rouge, en robe décolletée doublée de satin blanc, est assise à côté de lui ; leur fille, en train de chanter, se trouve entre les deux. Les attitudes sont aisées, les expressions naturelles, la couleur opulente; l'ensemble éminemment décoratif présente des tons harmonieusement fondus jusque dans les accessoires. L'abîme est énorme entre cette facture souple et savoureuse et la peinture raide et frigide des autres por- traitistes français. Largillière eut pour rival, en tant que portraitiste, Hyacinthe Rigaud né à , Perpignan en 1659 vint à Paris pour s'y placer sous la direction de Lucy Miezi. Comme son maître, il se consacra surtout au portrait et eut pour modèles les rois et tous les grands de L'École française. 279 la terre. Il était attaché spécialement à la personne du Roi Soleil dont il flattait l'orgueil et la superbe, car nul n aurait été capable de rendre comme lui tout ce que le siècle de Louis XIV comportait de luxe, de splendeur, de majesté, d'apparat et d'étiquette. Sous ce rapport il dépassa même Largillière, ce qui ne nous diminue point celui-ci qui fut meilleur peintre que courtisan. Rigaud mourut en 1743. Un de ses chefs-d'œuvre est l'un des portraits, le meilleur, de Louis XIV qui se trouve au Louvre (N° 295), qu'il peignit en 1701 et dont le souverain fut extrêmement satisfait. Ce n est point le conquérant et l'homme de guerre, mais le maître de Versailles, le demi-dieu en lequel s'incarnait l'Etat, comme il le disait lui-même, la plus haute mani- festation de la royauté. Il porte une main à la hanche, l'autre tient le sceptre avec un geste 29g. Antoine Watteau. — Jupiter et Antiope (Musée du I.ouvre). de défi. Il symbolise la toute-puissance, l'autocratie la plus absolue. Sous le sceptre du plus grand des Bourbons avait régné l'étiquette la plus rigide, l'apparat le plus cérémonial, tant à la cour que dans toute la haute société. Durant les dernières années de ce règne inter- minable, cette pose et cette solennité permanentes avaient même engendré l'ennui le plus morne et littéralement éteint la vie. Avec la Régence reparut la joie de vivre, la fièvre du plaisir, la galanterie, l'épicurisme, le besoin de jouissances, la chasse aux voluptés de tout genre. L'art subit une transformation adaptée à ces mœurs nouvelles. L'Amour, les Ris et les Grâces prévalurent sur les Muses sévères, rigoristes, pédantes, et un peu hypocrites, auxquelles Madame de Maintenon avait voué le Roi et la France. Antoine Watteau ouvre la marche dans le cortège des artistes nouveaux. Il naquit en 1684 à Valenciennes; après avoir pris des leçons chez Gérin, un peintre pour 280 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. ainsi dire inconnu, il se rendit à Paris, où il fut d'abord employé à barbouiller des décors de théâtre. Watteau mourut, jeune encore, en 1721. Sa constitution maladive ne l'avait pas empêché de produire une œuvre considérable composée en majeure partie de coquets et charmants épisodes, dont la grâce frivole se relève parfois d'une pointe de mélancolie- rêveuse. A l'élégance et à la séduction des formes Watteau ajoute même une sensibilité et une poésie qui tranchent sur le libertinage et le cynisme de trop d'œuvres de cette époque.. Parmi les tableaux les plus justement célèbres d'Antoine Watteau nous choisirons d'abord VEmbarquement pour Cythère (N° 296). Sur un tertre, près d'une Vénus de marbre, sont figurés trois couples d'amoureux; un pèlerin, agenouillé, supplie sa dame; un autre aide sa belle jeune homme, déguisé en presque 30I. Charles_Natoire. — Les Trois Grâces (Louvre, Paris). à se relever en lui tenant les mains; un troisième entraîne sa conquête vers la galère qui- mènera les amants au pays du Tendre. Les trois beautés n'en sont qii'à leur premier voyage. Elles ont à peine fait la moitié du chemin. A gauche s'étend le lac q\i'il faudra, traverser. Des et couples se pressent vers le navire. Des Cupidons roses planent dans l'air leur montrent le chemin. Au fond de la perspective émerge, très au loin et noyée, la silhouette d une ville de rêve, la terre promise des amours. Le paysage est vaporeux, baigné- d une blondeur cendrée, sous un ciel profond balayé de brises. Dans cette atmosphère on démêle des formes vagues d'arbres et de rochers. Les figures plus fermes sont adorables de lignes et de mouvement. La peinture est vibrante, fluide et vaporeuse, absolument adéquate au sentiment qui 1 inspira, et dont feu Virgile Josz a si bien dit la fièvre et le désir dans son beau livre sur Watteau. Cette peinture est pantelante et frémissante, comme le cœur même- L'Ecole française. 283 de 1 artiste. Quelle différence avec les tons durs, les personnages rigides et compassés, la froideur impérieuse de l'ère précédente. Il a idéalisé et anobli les amours légères de son temps. Il en a dégagé la beauté, voire la tristesse inséparable de toute félicité humaine. Frédéric le Grand était un fervent et enthousiaste admirateur de Watteau. Berlin possède encore dix des plus belles toiles du grand maître que l'on a justement appelé le sauveur de la peinture française. L'un de ces tableaux est intitulé VAmour du Théâtre français {N° 297). Il ne s'agit plus ici d'une fête galante proprement dite, mais d'une scène de la vie des comédiens rendus à la liberté et au naturel. L'Embarquement pour Cythère cache une pensée réfléchie et un sentiment passionné sous le caprice et l'adorable fouillis du décor et des personnages, mais le Gilles de la collection La Gaze, au Louvre, (N° 298), est peut-être plus profond encore et dans tous les cas de mode 302. François Boucher. — Vénus chez Wilcain (Louvre, Paris). 284 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. plus réaliste. „Jeune, la bouche fraîche, avec ses pensées mélancoliques qui, entre son œil noir et ses fins et hauts sourcils, gisent sous ses paupières lourdes, avec ses bras pendants, ses. mains potelées sur l'étoffe de sa veste, ses souliers à rubans roses, il se dresse admirable, opalin et blanc, chaud encore dans son surprenant éclairage rembranesque, irradiant une lumière dans, laquelle vivent et s'agitent ses quatre camarades de la comédie italienne" (i). Le Jupiter et Antiope du Louvre (N° 299) atteste aussi les facultés supérieures et 303. François Boucher. — L'Enlèvement d'Europe (Louvre, Paris). variées du maître valenciennois. Jupiter, sous la figure d'un satyre, soulève le voile recouvrant Antiope endormie. Parmi les nombreux disciples de Watteau le principal est Nicolas Lancret. II. naquit à Paris en 1690 et il y mourut en 1743. Des Quatre Saisons, peintes pour le château de la Muette et qui se trouvent aujourd'hui au Louvre, nous choisirons le Printemps (N° 300). Une compagnie de jeunes oiseleurs chassent à la tenderle dans un paysage décoratif. Nombre de captifs frétillent et se débattent déjà dans les mailles du filet dont un jeune homme a tiré les rets; une jeune femme assise sur le soi contemple cette manœuvre. Plus loin trois autres. (i). AVattèau, par Virgile Josz. Paris, 1903. L'École française. 2S5 •dames, dont l'une offre des fleurs à ses compagnes. Derrière, un berger joue de la flûte. C'est le règne de la pastorale, des marquises muées en bergères; nous ne sommes plus loin de la laiterie de Trianon et de sa royale laitière ! A côté de Watteau et de ses adeptes se produit un mouvement parallèle au leur; celui à la tête duquel se trouve François Le Moine, né à Paris en 1688, mort en 1737. Il traita principalement des sujets mythologiques en prêtant à ses dieux et à ses déesses le charme et la coquetterie, voire les marivaudages des personnages du style rococo ou Pompadour. Les fêtes galantes de Watteau se sont transportées du ciel sur la terre. Les élèves de Le Moine surpassèrent leur maître; l'un d'eux, Charles Natoire, né à Nîmes en 1700, alla se 304. Jean-Honoré Fragonard. — Les Baigneuses (Louvre, Paris). perfectionner à Rome où il devint directeur de l'Académie de France en 1751, et il occupa ces fonctions jusqu'en 1777; il mourut à Castel-Gondolfo. Ses Trois Grâces (N °30î), du Louvre, planent en folâtrant dans le ciel, enlacées par une guirlande de fleurs dont un délicieux cupidon tient une extrémité. Tout ici respire le charme, la jeunesse, la fraîcheur et la santé. Les chairs sont fermes et pures, les contours décidés, les formes bien modelées. La manière diffère donc essentiellement de celle de Watteau plutôt vaporeuse, indécise et suggestive. Mais le plus fameux disciple de Le Moine fut François Boucher. Il naquit à Paris en 1703; après un apprentissage chez ce maître il fit un vo3mge d'études en Italie. Rentré à Paris il ne quitta plus sa ville natale où il mourut en 1770. Il fut le plus fêté des artistes 286 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. de son époque en sa qualité de peintre ordinaire du Roi ou plutôt de Madame de Pompadour, car la toute-puissante marquise lui accorda sa protection et sa faveur II la peignit plusieurs fois ; le type, le caractère, la grâce spéciale, nous dirions presque le style de la maîtresse de Louis XV ne pouvaient rencontrer meilleur interprète Entre autres tableaux de Boucher, le Louvre possède Vénus chez Vulcain (N° 302). Jamais le peintre ne se lassa de reprendre ce sujet qui lui permettait d'opposer le dieu noir et difforme à la blanche déesse de toutes les grâces. Vénus est venue demander à son époux des armes pour Enée et l'habile forgeron lui présente un glaive qu'il vient de tremper; des amours lui apportent aussi un casque d'or. On entrevoit dans les nuées, d'un côté les trois Grâces, et de l'autre un groupe de cupidons. Aucune composition ne pouvait autant flatter les penchants du peintre. Il s'agit de tout un paradis peuplé de ce que l'on peut imaginer de plus joli, de plus aimable, de plus gracieux. C'est même trop de miè- vrerie en regard de si peu de vigueur et la forge de Vulcain disparaît dans, cette apothéose des Ris et des Caresses. L'autre tableau est l'Enlève- ment d'Europe (N° 303). Europe est assise au bord de la mer sur le tau- reau blanc ou mieux sur Jupiter, le maître des dieux, qui lève vers elle un regard plein de langoureuse ten- dresse. La jeune femme étale ces aimables nudités dont Boucher s'entend à faire ressortir la blan- cheur nacrée ; des nymphes et des tritons assistent à la scène, des amours folâtrent dans les airs ; à droite la vue s'étend sur la mer, à gauche on découvre un bocage. Fragonard tient le premier rang parmi les disciples de Boucher. Il en à Grasse en Pro- 305- Jean-Siméon Chardin. naquit La 1732 — Alénagère (Louvre, Paris). , , . vence et mourut a Pans en looo. Dès sa dix-huitième année il était venu se fixer dans la grande ville avec ses parents et entra d'abord dans l'atelier de Chardin, le peintre de natures-mortes et des mœurs populaires, et fréquenta ensuite celui de Boucher. En 1752 il remporta le prix de Rome et alla poursuivre ses études en Italie. Il y fit la con- naissance de Tiepolo vers lequel le portèrent ses goûts et ses affinités et dont la manière lumineuse et gracieuse devait exercer une grande influence sur lui. Il retourna à Paris où il vécut jusquà sa mort survenue en 1806. Il traita toute sorte de sujets à commencer par des scènes historiques, puis il peignit des scènes galantes et enfin des tableaux de mœurs popu- laires, mais ce furent surtout ses scènes galantes, dans le goût de Boucher, mais souvent plus libres et plus polissonnes que celles de son maître, qui firent sa réputation. L'Ecole française. 287 Les Baigneuses (N° 304), qui se trouvent au Louvre, représentent une œuvre capitale.. Darîs quel élément ces exquises créatures se baignent-elles? Est-ce dans l'eau, dans la feuillée, dans les nuages? Peu importait au peintre et peu doit nous importer. Il tenait à nous faire assister à une fête de la lumière, à une apothéose des chairs radieuses et juvéniles au milieu d'une végétation luxuriante et parmi des nuées aux colorations féeriques. Le tout se fond harmonieusement et moelleusement. C'est à peine si quelques lignes indiquent les contours des corps, si quelques touches sombres avivent l'éclat des regards ou font boucler les che- velures. Le reste n'est que lumière, chairs fondantes et vaporeuses caressées par les feuillages, lubrifiées par les nuées, un rêve enchanteur sur le point de se résoudre en voluptueuse réalité ou des délices bien vivantes prêtes à se dissoudre dans le plus nostal- gique des rêves. Lequel choisir? Dans tous les cas une merveille. Quelques maîtres cependant ne consacraient pas exclusivement leurs pinceaux au culte de la Vénus- Pompadour et des Grâces Rococo. De ce nombre fut Jean Simeon Chardin, né à Paris en 1699 et mort dans cette même ville en 1779. Il commença par peindre des natures mortes et interpréta, par la suite, des scènes de mœurs populaires. Il n'eut point de maître ; c'est tout au plus s'il se découvrit des'prédéces- seurs dans un passé lointain, les Le Nain par exemple. Chardin^repré- sente presque une exception dans cette époque aimable, mais frivole, capricieuse et sans consistance, amoureuse à fleur de peau, vouée aux m.arivaudages et aux bouquets à Chloris, lorsqu'elle ne tombe point dans le vice et dans la corruption. Chardin se réfugiera dans le giron populaire et recherchera une atmos- phère plus saine, des modèles plus — 1 . . . 1 . r ,• ^07. T.-B. Greuze. La Cruche cassée. robustes, des (Louvre, Paris), joies moins factices, o / j \ - i des émotions plus familiales. Parmi les nombreux Chardin du Louvre nous choisirons la Ménagère (N° 305). C'est une simple servante ou cuisinière revenant du marché d'où elle rapporte une pièce de gibier nouée dans un linge, et deux autres paquets. Sa svelte et accorte personne, vêtue de coton clair, se détache on ne peut mieux sur la sombre paroi ; dans le clair-obscur d'une pièce laté- raie on aperçoit une deuxième soubrette. Oeuvre probe, savoureuse, réjouissante, dont les tons délicieux prêtent à cette simple enfant du peuple un attrait, un charme, un lustre que ne possèdent pas toujours les marquises, les comédiennes, les courtisanes et autres pèlerines à. Cythère. Chardin eut des successeurs parmi lesquels. J.-B. Greuze est le plus fameux. Il naquit en 1725 à Tournus près de Mâcon. S'étant fixé à Paris il y suivit les leçons de l'Académie. 288 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Le succès le visita de bonne heure et lui demeura fidèle. Greuze mourut en 1805. Il étendit le cercle d'activité de Chardin; à son interprétation des scènes populaires il ajouta des intentions moralistes, mais sans amertume, souriantes et indulgentes comme il le fallait en un siècle où l'austérité eût effarouché les gens les plus portés à la vertu. D'ailleurs une évolu- tion commençait à se produire dans le goût du jour; écœurés par trop de mièvreries et de fadaises ou révoltés contre la corruption, beaucoup prêchaient un retour à la nature et aux vertus patriarcales. C'était l'époque de l'Emile de Jean-Jacques. A la veille de la Terreur on put croire un instant à un retour de l'âge d'or et à une ère de fraternité ; de la littérature ces tendances passèrent dans la peinture, notamment dans celle de Greuze. Il excella à repré- senter des ingénues, notam- ment dans son chef-d'œuvre : la Cruche Cassée (N° 306) et en- H core beaucoup de critiques ne tiennent-ils pas la délicieuse petite maladroite pour aussi pure ou du moins aussi inno- cente que Greuze voulait nous la montrer ; ils lisent une arrière- pensée dans cette moue adora- blement piteuse et ne sont point loin d'attribuer à cette cruche cassée une signification grivoisement symboliste. Dans tous les cas elle est toute char- mante, cette fillette, vêtue de blanc, un ruban rose ceignant ses cheveux avec un bouquet de fleurs piqué sur le côté. Qui ne lui pardonnerait sa mala- dresse en faveur de tant d'at- traits ? A l'école du charme 307. Madame Vigée-Lebrun, par elle-même (Offices, Florencei. ~ ^ i ' i . releve de senjt-iment nous ra^4t-- tacherons aussi Mme Vigée- Lebrun, par qui nous clôturerons cette série des grands maîtres français. Elle était née à Paris en 1756 et elle y mourut en 1842. Ses portraits, par elle-même, jouissent d'une célébrité tout à fait légitime. Au Louvre nous la voyons représentée avec sa fille, aux Offices un portrait nous la montre devant son chevalet (N° 307). Elle était fort jeune encore quand elle peignit ce portrait; une bien jolie et avenante personne que cette artiste, parée de tous les charmes naturels, éblouissante de fraîcheur et de jeunesse! La couleur et la lumière la parent tout à son avantage ; telle qu'elle nous apparaît, elle ne nous semble point incarner la fin d'une brillante école de peinture, on croirait au contraire la voir sourire à une aube artistique nouvelle. L'ÉCOLE ESPAGNOLE. TAURANT tout le moyen âge l'Espagne demeure fermée à la peinture. Tandis que les villes érigent ces superbes cathédrales gothiques, dont le pays s'enorgueillit encore aujourd'hui, les autels de ces cathédrales ne sont ornés que de bas-reliefs grandioses et on n'y rencontre nulle part le moindre tableau peint. Ce ne fut que lorsque l'Ibérie, affranchie du joug des Maures, fut devenue une des plus grandes puissances de l'Europe, et que ses princes eurent ajouté les Pays-Bas et une partie de l'Italie à leurs possessions, que l'art qui florissait depuis longtemps dans ces contrées se mit à lever aussi une superbe moisson dans la patrie du Cid. L'Espagne représentant le foyer d'une religion ardente et sombre jusqu'au fanatisme, ses peintres traitèrent de préfé- rence des scènes de la vie des Saints et montrèrent ceux-ci endurant le martyre ou déjà transportés en imagination au séjour des bienheureux. En outre l'Espagne étant aussi la patrie d'une race âpre, orgueilleuse et farouche, son art devait célébrer la vérité brutale et la force débridée plutôt que le charme, la grâce et la tendresse ; plutôt les ténèbres que la lumière. Au cours du XVL siècle on ren- contre en Espagne quelques peintres néer- landais et italiens qui y firent un séjour plus ou moins prolongé et qui entreprirent de former quelques élèves parmi les indi- gènes. Des peintres espagnols se produisent dans quelques villes, mais aucun n'acquiert la moindre renommée. Il faut aller jus- qu'au XVIP siècle pour rencontrer des artistes espagnols de réelle valeur ; un des premiers et des plus connus est Louis Morales surnommé el divino (le divin) moins encore à cause de la piété de ses sujets que par l'admiration que son art inspira. Il naquit probablement à Badajoz au commencement du XVI® siecle ■ en 1564 308. Louis Moralès. — La Présentation au Temple Philippe II l'appela à sa cour, mais le (Musée de Madrid), peintre n' y demeura guère, et peu de temps après il retournait dans sa ville natale où il mourut en 1586. Il apprit son métier sans doute à Valladolid ou à Tolède et peignit exclusivement des tableaux d'église avec ce mysticisme exalté et farouche qui caractérise l'Ecole espagnole en général. La Présentation au Temple (N° 308), un des six tableaux qu'il a au Musée du Prado, à Madrid, représente ce sujet si sou- vent traité, d'une manière assez inattendue. Au lieu d'y trouver un prétexte à une cérémonie solennelle et somptueuse, le peintre n'y a vu que l'occasion de faire manifester au grand prêtre, a Marie, à Joseph et à quelques femmes leur intense ferveur pour le Messie qui vient de naître. Parmi les peintres étrangers qui étaient venus se fixer en Espagne un des plus célèbres est Domenico Theotocopuli, appelé le plus souvent le Grec, Il Griego ou El Greco. En effet, il était né en Grèce en 1548, et vint en 1577 à Tolède où il mourut en 1625. Il 19 290 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. exécuta de nombreux portraits et aussi des tableaux d'église ; il était sculpteur, architecte, mais peintre avant tout. Lorsqu'il arriva en Espagne sa manière était celle des Vénitiens,, c'est-à-dire chaude et colorée ; mais plus tard il se distingua par des tons lourds et violents,, ainsi que par des compositions audacieuses et des formes tourmentées. Le Sauveur entre les. bras de Dieu le Pire du Musée de Madrid (N° 309) est une de ses œuvres les plus caractéris- tiques. La scène même est assez étrange, mais la façon dont elle est traitée est plus fantasque encore ; Dieu le Père en costume épiscopal, coiffé d'une mitre blanche et drapé dans une chape d'or bordée de bleu, soutient le corps de son Fils et le contemple avec une tendre émotion ; une légion d'anges vêtus d'étoffes pourpre, verte et rouge, à reflets chatoyants,, entoure le groupe principal ; les anges expri- ment aussi la plus profonde compassion. La. composition est simple, mais hardie et saisis- santé ; on y surprend déjà les traits princi- paux qui caractérisèrent si profondément l'Ecole espagnole par la suite. Nombre d'artistes espagnols se ren- dirent en Italie pour s'y perfectionner et rap- portèrent dans leur pays les traditions des grands Florentins et Vénitiens, mais en con- ciliant celles-ci avec les exigences de leur propre tempérament et de leur vision particu- lière. L'un des plus remarquables de ceux-ci; fut Juan de Juanes dont le vrai nom était , Vicente Juan Macip et qu'on appelle aussi parfois Vicente Joannes. Il serait né vers 1507 dans un hameau obscur du royaume de Valence : il se rendit en Italie où il se laissa guider dans ses études par les élèves de Raphaël, auxquels il emprunta beaucoup. Rentré dans son pays il- fonda l'Ecole de Valence. Il modifia considé- rablement sa première manière et concilia, tout ce qu'il avait acquis de pratique à l'étran- ger avec les exigences et les caractéristiques du génie espagnol. Ses figures tendent à devenir de plus en plus réalistes et son coloris tourne 309. El Greco. — Le Sauveur entre les bras de Dieu graduellement au blun le pluS fonce. Il peignit le Père (Musée de Madrid). exclusivement des tableaux d'église et il y mit la conviction la plus profonde. Parmi ses- œuvres capitales on classe les cinq épisodes de la vie et du martyre de Saint Etienne qu'il peignit pour le chœur de l'Église Saint-Etienne à Valence et qui se trouvent au Musée de Madrid.. L'un de ces épisodes repre.sente Saint Etienne devant ses Juges (N° 310). Le saint diacre en costume sacerdotal a bien ,,le visage d'un ange" que lui attribue le texte des Actes- des Apôtres. C'est le moment où enseignant l'Evangile, qu'il tient à la main, aux prêtres juifs, ,,il voit le Ciel s'ouvrir et le Fils de Dieu assis à la droite de son Père". La scène se passe dans la grande salle du Conseil ; les prêtres indignés se bouchent les oreilles ou se lèvent furieux pour imposer silence au jeune diacre. L'École espagnole. 291 Francisco de Ribalta est un autre maître de l'Ecole de Valence aux environs qui de la ville naquit de ce nom, à Castellón de la Plana, entre 1550 et 1560. Il étudia d'abord à Valence et se rendit ensuite en Italie, où il adopta Sébastien del Piombo et les Carrache pour maîtres et modèles; de retour dans sa patrie il s'affirma un vrai peintre choi- sissant espagnol, pour ses sujets de prédilection les miracles et les prodiges de la vie des saints. Mais il prête aux héros de ces événements surnaturels des formes humaines très réalistes; sa peinture aussi vigoureuse de touche que de couleur, ménage de fortes oppositions et de violents effets de lumière. De ce maître le Musée de Madrid possède un tableau capi- tal : Saint François d'Assises avec l'Ange (N° 311). Le saint gisait sur son lit de douleur, quand lui apparut un ange, qui le consola en lui souriant et en le berçant aux accords mélodieux de son luth. Le malade est vêtu de son humble robe de moine et il se redresse sur sa couche tendue d'un seul drap blanc. Un agnelet, symbole du Sauveur, qui vient assister le saint, pose les pattes de devant sur le grabat. Ribalta peignit ce tableau pour l'église des Chartreux de Valence ; c'est l'un des premiers spécimens de ces rêves mystiques interprétés avec une ardeur poignante et un accent pathétique, qui composent la majeure partie des productions de l'Ecole espagnole au XVII® siècle. Francisco de Ribalta avait un fils nommé Juan dont l'art s'apparente d'assez près à celui de son père, et dont les mérites égalent les siens ; il naquit à Va- lence en 1597 et mourut en 1628, la même année que son père —Saint Etienne devant ses Juges (Musée de Madrid). A l'Ecole de Valence se rattache encore un peintre qui passa la plus grande partie de son existence hors de sa patrie, mais qui demeura tellement Espagnol par sa sensibilité, sa vision, ses tendances et sa manière, qu'on ne pourrait le faire entrer dans aucune autre école: nous avons nommé José de Ribera. Il naquit en 1588, à Jativa, petite ville du pays de Valence; les deux Ribalta furent ses premiers maîtres, mais il partit de bonne heure pour Naples, qui appartenait alors à l'Espagne ainsi que la Sicile. Toute sa vie s'écoula au pied du Vésuve et il y mourut en 1656. Le hasard voulut qu'au moment où le jeune Espagnol vint se fixer à Naples, cette ville servit déjà de séjour à Michel Ange Caravaggio ou le Caravage, le chef de ce qu'on appela en Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Italie, l'Ecole du réalisme noir. Le Caravage avait dix-huit ans de plus que Ribéra et il jouissait déjà d'une grande renommée quand celui-ci venait à peine de débuter. La manière des deux artistes présentant de grands points de contact on a été induit, à tort cependant, à voir en Ribéra un disciple de Caravage. Ribéra ne fait que suivre les leçons et les exemples des Ribalta; il accentue encore leurs caractéristiques et en ce sens l'exemple de Caravage aura pu le stimuler, mais dans tous les cas il demeure Espagnol et bien personnel. En dépit de ses tons sombres sa peinture pré- sente une pâleur onctueuse, une vivacité dans les tons clairs, une vérité dans la brutalité que l'on ne rencontre pas chez le maître italien et qui distingue les représentants les plus remarquables de l'école de Valence. A l'exemple de tous les grands Espagnols il peignit des scènes de la vie des saints ; leurs martyres, leurs extases, leurs visions, leur retraite dans le désert ; il traita aussi des épisodes de l'Ancien Testament. Il semble 311. Francisco de Ribalta. — Saint François d'Assises avec l'Ange (Musée de Madrid). enchérir sur la frénésie des bourreaux, raffiner sur les tortures endurées par les pa- tients, porter à leur comble les extases de sesbienheureux, mais en conciliant cette véhé- menee avec les exigences de la réalité. La facture est large, le ton transparent, les couleurs éblouissantes. Un de ses sujets pré- férés est le Martyre de Saint Barthélémy (N° 312). Nousre- produisons le tableau du Musée de Madrid catalogué sous le N° 989. Le Saint, les bras tendus et écartés, est attaché par les deux mains à une traverse, suspendue à des cordes que deux bourreaux hissent le long d'un poteau, de sorte que lorsque le patient Madrid). 312. Ribéra. — Le Martyre de Saint Barthélémy (Musée de L'École espagnole. 293 aura été ainsi soulevé ils pourront procéder plus facilement à la flagellation; un troisième soulève le Saint par une jambe pour aider ses confrères dans leur tâche ; à droite et à gauche se pressent des spectateurs. Les couleurs n'abondent point ; les bourreaux qui guindent le martyr portent l'un, une veste grise, l'autre, une casaque verdâtre ; celle de l'aide qui soulève la jambe tire sur le fauve; les tons clairs de la chair ressortent vigoureusement sur ces taches neutres ou sombres. L'audace de la conception consiste dans ce corps humain soulevé comme un fardeau par une chèvre de maçon et comme suspendu à une croix, douloureusement ployé, prêt à se débattre entre ciel et terre. Il n'accuse ni noblesse morale, ni beauté physique; il a la tête bossuée, les biceps saillants, les cuisses fortes et les pectoraux d'un débardeur ; les bourreaux ont tous les dehors de solides corsaires en train d'appareiller. Jamais toute la férocité, l'odieux d'un martyre n'a été rendu avec cette brutalité et ce réalisme. Au même musée se trouve La Vision de Saint François d'Assises (N° 313). Le saint est agenouillé devant une pierre sur laquelle sont déposées une discipline et une tête de mort, un ange lui apparaît et lui apporte un bocal de cristal plein d'eau claire, emblème de la pureté du visionnaire. Le saint, ravi, lève la tête, penché vers l'ange ; il a les yeux brûlants, la lèvre frémissante ; ses mains tremblantes sont tendues vers l'apparition. Les chairs, le clair- obscur du froc, les chatoiements du cristal se détachent admirablement sur le fond sombre Voici encore \d. Sainte Agnes (N° 314) du Musée de Dresde. On connaît la légende : les parents de la vierge chrétienne voulaient la marier à un j eune païen ; à son refus on la dépouilla de ses vêtements et 313-Ribera. — La Vision de Saint François d'Assises (Musée de Madrid), on la traîna dans une maison de débauche ; en chemin ses cheveux crurent de telle façon qu'ils l'enveloppèrent complètement et, lorsqu'elle fut introduite dans sa chambre, une telle clarté rayonna de sa personne que ses tourmenteurs s'enfuirent épouvantés. Alors elle tomba à genoux pour remercier le ciel et un ange lui apporta un voile pour qu'elle s'en revêtît. Ribéra a magistralement traité ce dernier moment du miracle. La touchante et pudique beauté se détache avec un éclat radieux sur la luxuriante masse de sa chevelure noire ; le linge immaculé luit comme de l'argent tandis que l'ange, largement et savoureusement brossé, semble frileusement blotti dans un nid de nuées. Le peintre a peint sa fille Rosa sous les traits de la Sainte. Le tableau porte cette inscription : Jusepa de Ribera español 1641. Reproduisons aussi l'Adoration des Bergers (N° 315) du Louvre. Cette œuvre présente 294 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. une vivacité de coloris inaccoutumée. Le berger de droite, vêtu d'une peau de mouton, est d'un blanc grisâtre; la Vierge est en rouge et bleu, l'Enfant Jésus repose dans une petite crèche blanche et moelleuse; un agneau égorgé apporté par les pasteurs gît comme un tas de laine blanche sur le sol ; tous les visages respirent une sereine ferveur, mais les bergers, les bergères, et même Saint Joseph, ont ces têtes et ces corps rudes que Ribéra admirait et qu'il rendait d'ailleurs admirables. Seule Marie a le noble visage des plus pures Madones espagnoles. L'œuvre est signée : Jusep Ribera español Académico romano F. 1650. A côté de l'Ecole de Valence s'éleva celle de Séville. Venue un peu plus tard elle surpassa promptement sa devancière et produisit des peintres qui firent la gloire de tout le pays; le premier dans l'ordre chronologique est Juan de las Roelas, qui naquit en 1558 d'une famille flamande, il se rendit en Italie et étudia à Venise. Revenu dans sa patrie il se fixa à Olivares, où il obtint une prébende ecclésiastique, d'où lui vint son surnom de licencié ; de 1607 à 1616 il travailla à Séville et ensuite à Madrid jusqu'en 1624 ; il mourut à Olivares en 1625. L'ordre, la mesure et le charme flamands et italiens régnent davantage dans sa peinture que dans celle de la plupart des maîtres espagnols, quoique, comme ceux-ci, il traite de préférence des sujets religieux. Il interpréta surtout des Concepciones, autrement dit des Imma- culée Conception, sujet favori d'ailleurs de tous les maîtres castillans et qu'ils représentèrent des centaines de fois deux siècles avant que le dogme de l'Immaculée Conception eût été proclamé par l'Eglise. L^n de ces tableaux se trouve au Musée de Dresde (N" 316). La Vierge, debout sur le croissant de la lune, plane au-dessus d'un golfe ; ses attributs s'étalent sur la plage, elle porte une robe rouge et un manteau bleu dont deux anges écartent les pans ; deux autres anges, plus petits, 314. Ribéra. — Sainte Agnès (Musée de Dresde). tiennent une Couronne au-dessus de sa tête. Marie, conçue sans péché, représente aussi selon la conception mystique espagnole la plus pure de toutes les vierges, l'élue de Dieu, la créature immaculée et impeccable, élevée au-dessus de la terre et dont seuls les anges sont dignes de s'approcher. Le XVID siècle fut l'âge d'or de l'art espagnol; le rôle politique du pays allait être réduit à néant, les défaites se suivaient avec une régularité effrayante et les colonies, l'une après l'autre, étaient arrachées à la mère-patrie. De plus, sous l'administration de rois et de ministres incapables, l'Espagne même s'appauvrissait et s'affaiblissait sans cesse. Or c est précisément au signal de ce déclin politique et économique que l'art et les lettres prirent dans ce pays un essor et un éclat imprévus. C'est l'époque de Cervantes, de Lope de Vega, de Calderón, de Tirso de Molina et de tant d'autres poètes, conteurs et dramaturges*. L'École espagnole. 297 mais c'est aussi celle des glorieux peintres, comme Vélasquez, Murillo, Herrera, et Ribéra, A la tête de cette phalange d'artistes se trouve Feancisco Herrera, le vieux, né à Seville en 1576. Il subit l'influence de Juan de la Roélas mais il imprima un caractère bien plus accentué à la tendance de celui-ci; vers la fln de sa vie, en 1647, il quitta sa ville natale pour aller se flxer à Madiid, où il mourut en 1656. Nature farouche jusqu'à la brutalité son caractère semble s'être communiqué à sa peinture; il peignit des fresques dont il ne subsiste plus une, et des tableaux d'autel qui se distinguent par leur exécution large, la puissance des effets de lumière et l'originalité de la conception, vSon œuvre la plus connue et la plus remarquable est Saint Basile enseignant sa doctrine (N° 317) du Musée du Louvre. Le père de l'Eglise en costume sacerdotal siège au milieu d'un auditoire attentif dans lequel on remarque les Saints Bernard et Domi- nique, l'évêque Diego, grand inquisiteur, et Saint Pierre Martyr ; toutes figures épaisses et rudes, largement, et même brutale- ment peintes, de dessin réaliste, de mou- vement libre, pleines de vie ; d'aucuns tiennent la plume pour écrire sous la dictée du maître ; tous sont attentifs, mais l'ex- pression de leur visage varie suivant leur caractère. Leurs mitres bossuées, leurs frocs débraillés, le capuchon mis de travers de l'un d'eux les fait ressembler à une compagnie d'acteurs en voyage plutôt qu'à une assemblée de vénérables théolò- giens. Peu de coloris, mais un violent effet de lumière ; les personnages noirs et mas- sifs ressortent vigoureusement sur le brun pâle des frocs et sur le bleu du ciel. En dépit du désordre et de la négligence de leur équipement, ces moines et ces évêques inspirent le respect dû aux véritables maîtres du monde. L'Ecole de Séville fait encore un pas en avant avec Erancesco Zurearan qui naquit en 1598 à Euente de Cantos. 316. Juan de las Roélas. — L'Immaculée Conception Venu de bonne heure à Séville, il y adopta (Musée de Dresde). la manière de son maître Juan de las Roélas et aussi celle de Erancesco Herrera ; il fut par excellence le peintre des moines ; plus encore que ses prédécesseurs il nous révèle le rôle prépondérant et despotique joué par les couvents en Espagne et combien l'autorité ecclésiastique se confondait avec le pouvoir civil. Sa facture l'emporte encore en audace sur celle de ses prédécesseurs, il rend avec un réalisme plus âpre le caractère de ses modèles préférés ; avec lui l'Ecole espagnole est arrivée à sa complète maturité. Les Obsèques de Saint Bonaventure (N° 318) du Louvre nous fournissent un excellent échantillon de la manière de Zurbaran. Le saint, en costume épiscopal, est étendu sur la bière, un crucifix entre ses mains jointes. Deux ou trois assistants sont agenouillés au pied du cercueil; derrière se presse un grand concours de fidèles de tous rangs; un roi, un pape,. 298 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. des moines, tous personnages sombres et consistants, en relief sur le fond opaque. Peu, pour ainsi dire point de couleur, rien que le rouge chapeau de cardinal déposé sur les pieds du prélat défunt et aussi sa chasuble de drap d'or. Le reste est noir, austère, funèbre, peint d'un pinceau robuste, dans une pâte épaisse, à traits appuyés et ressentis. L'affliction et la dévotion des prêtres à l'avant-plan sont rendues avec un réalisme saisissant. Les personnages du fond sont peut- être encore plus naturels ; le Roi et le Pape conversent avec animation comme si leur grandeur n'abdiquait même pas devant la mort ; les deux moines du milieu observent à peine plus de discrétion et de recueillement en présence du vénérable défunt ; ce sont de simples hommes, ignorant toute pose, se livrant tels qu'ils sont, sans contrainte et préoccupation de mise en scène. N'étaient la couronne et la tiare dont ils sont coiffés le roi et le pape ne se distingueraient même 317. Herrera le Vieux. — Saint Basile enseignant sa doctrine (Louvre, Paris). pas de leur entourage ; ils sont tout aussi expressifs, ils n'ont pas plus de prestige. Zurbaran réussit aussi dans la note tendre, fervente et même intime. Ses moines en prière devan- cent ceux de Murillo. Il a même interprété avec poésie l'enfance ton- chante entre toutes : celle du Sau- veur ; ainsi, au Musée de Madrid un tableau nous montre l'Enfant Jésus endormi sur sa Croix (N° 319). C'est un délicieux mioche aux bou- vies abondantes et soyeuses, le torse nu, les jambes couvertes d'une draperie rouge ; il repose sur le côté, un bras allongé vers le spectateur, l'autre gracieusement replié vers le visage ; la lumière baigne et caresse l'adorable petiot, tandis que la croix qui lui sert de couche présage le sort tragique qui lui est réservé. Et le contraste est vraiment poignant 31 s. Zurbaran. — Les Obsèques de Saint Bonaventure (Louvre, Paris). L'École espagnole. 299 entre cette douce et paisible insouciance et cette menace du sinistre. Calvaire, entre ce visage rose et ingénu et cet arbre du supplice! On n'aurait jamais supposé les rudes pinceaux de Zurbaran capables de cette suave caresse ! Mais l'Ecole Sévillienne, ou plutôt l'art. espagnol tout entier, atteignit son apogée avec Velasquez et Murillo. Le premier, qui l'emporte encore sur, le second, fut le réaliste par excellence. Avec II Greco, Herrera le Vieux et Ribéra cette tendance s'était déjà imposée par maint chef-d'œuvre ; mais elle allait friser l'exagération et dégénérer, peut-être, en une violence hystérique et maladive, si un grand génie ne s'était produit à temps pour lui ouvrir une voie nouvelle et l'enrichir d'éléments encore inconnus. Vélasquez s'inspira certes de ses devanciers, il leur emprunta un savoir-faire robuste et large, il apprit d'eux la suprématie de la lumière sur la couleur, l'observation directe et l'interprétation intégrale de la vérité, mais il répudia l'extravagance, il tempéra les oppositions trop brutales de lumière et d'ombre; il prodigua les nuances, les dégradations, les opulentes harmonies, les tons argentés et cares- sants ; sa touche, aussi, se fit plus grasse et plus onctueuse ; pour être moins brutal il fut plus profond et plus vrai. Il fut un des plus grands portraitistes qui aient jamais existé H il s'éleva, dans ce genre, aux côtés du Titien dont il avait appris à connaître les œuvres d abord à Madrid et ensuite à Venise. Il naquit à Séville en 1599. Son père s'appelait Juan Rodriguez de Silva, sa mère Géronima Vélasquez; il reçut les noms de Diego Rodriguez de Silva y Vélasquez. Mais on 319. Zurbaran. —• L'Enfant Jésus endormi sur sa Croix (Musée de Madrid). 300 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. ne le connaît que sous le nom de Vélasquez, celui qu'il a rendu glorieux. Il étudia d'abord sous la direction de Herrera le Vieux qui exerça une influence prépondérante sur lui, puis sous celle de Pacheco, le savant artiste, qui l'apprécia d'emblée à sa valeur et dont, à peine âgé de dix-neuf ans, Vélasquez épousa la fille, Juana. En 1622 il fit un premier séjour à Madrid, où les tableaux de la galerie royale et surtout le portrait de Charles-Quint par le Titien l'impressionnèrent pour la vie. Plus tard, en 1623, Olivarès, le puissant ministre de Philippe IV, l'appela définitivement à Madrid et il devint le peintre attitré du Roi qui le combla de titres et de faveurs. Il mourut en 1660. En 1628 Rubens et lui s'étaient vus à Madrid et le maître flamand, plein d'estime pour son jeune confrère espagnol, lui recommanda vivement d'entreprendre le voyage d'Italie. L'année d'après Vélasquez suivit le conseil de Rubens et demeura un an et demi en Italie, où il étudia les grands maîtres. En 1648 il y retourna et y resta deux ans et demi. Ni Rubens avec qui il se lia d'amitié, ni les maîtres italiens, à l'exception du Titien en tant que portraitiste, n'exercèrent une in- fluence notable sur lui. Vélasquez. était et demeura Espagnol, un peintre original s'il en fut ; il ne fit que cultiver et affiner ses propres dons, éclairant et avivant sa palette, de plus en plus réaliste et naturel. L'Adoration des Bergers (N° 320) de la National Gallery est une de ses premières œuvres. Peinte à Séville on y reconnaît encore la manière de Ribéra. Marie a soulevé la couverture du berceau pour mieux montrer l'Enfant-Dieu aux pasteurs, qui se pressent partagés entre la curiosité et la dévotion. Un vieux joint les mains ; une vieille appuyée sur son épaule et penchee 320. Vélasquez. — L'Adoration des bergers (National Gallery, Londres.) par-deSSUS Sa tête Contemple avide- ment l'Enfant d'un regard con- naisseur ; un jeune garçon présente une poule et a déposé un panier de pains sur le sol ; un autre plus jeune joue de la flûte ; une bergère porte sur la tête une corbeille de raisins. A ravant-plan gisent deux agneaux les pattes liées. L'ange qui a apporté la bonne nouvelle plane dans la nuée. Les ombres accusées feraient croire que la scène se passe la nuit si les figures principales n'étaient montrées en pleine lumière ; presque toutes ces figures présentent la rudesse anguleuse et les formes frustes des Espagnols antérieurs ; seule la Vierge nous montre une physionomie avenante, encore ne s'agit-il pas d'une sainte, mais d'une simple petite bourgeoise. Le talent de Vélasquez est déjà manifeste, mais son L'École espagnole. 301 originalité ne commence qu'à se dégager de l'influence de ses prédécesseurs. Il peignit peu d'années après un de ses tableaux les plus célèbres: les Buveurs (Los Borrachos), du Musée de Madrid (N° 321). Ce tableau lui fut commandé par le roi qui lui en donna cent ducats d'argent en 1629. Les Espagnols ne sont point buveurs, ils ne connaissent de pire injure que celle d'ivrogne, et il y a donc lieu de s'étonner que Vélasquez ait consacré une de ses compositions les plus importantes à la glorification ou du moins à la représentation d'un vice tellement honni; mais peut-être s'agit-il plutôt d'une parodie de la Fable comme celles auxquelles se livrait aussi Jordaens : on serait tenté de le croire à voir l'expression des visages. Dans tous les cas Bacchus est le personnage principal; accompagné d'un de ses fidèles satyres, le dieu, assis sur une tonne, distribue des couronnes de pampre à ses adorateurs dont 321. Vélasquez. —-.Les Buveurs; (Musée .de -Madrid)..- l'un, un ancien soudard qui apprit sans doiite à boire en Flandre,, est agenouillé devant lui. Un personnage accroupi est déjà coiffé du feuillage symbolique; quatre autres .attendent leur tour. Face au spectateur un jeune buveur égrillard semble caresser la tasse de vin qu'il tient dans les mains et, en riant de tout son cœur, il montre les perles de sa blanche denture. Les rites du culte dionysiaque semblent avoir plongé deux de ses voisins dans un commen- cernent d'hébétude, pour ne pas dire d'abrutissement ; un troisième fait part avec attendrisse- rnent à un nouveau venu de la jouissance qu'il éprouve; c'est comme.une illustration d'une de ces histoires picaresques que les fiers Castillans prenaient parfois plaisir à se faire raconter ne fût-ce que par diversion à leur gravité, habituelle. La scène se passe à ciel ouvert, mais il semble qu'un écran invisible projette de .fortes ombres sur, quelques-uns des visages. Par 302 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. contre la chair ferme et jeune de Bacchus prend un éclat superbe, mais sans violence, et la lumière prodigue des teintes opulentes aux pittoresques défroques des joyeux drilles. La Forge de Vulcain (N° 322) est une autre scène réaliste qui se réclame de la mytho- logic. Vélasquez la peignit en 1629 ou 1630, c'est-à-dire durant son premier séjour-en Italie. Vulcain est en train de peiner avec quatre de-ses frappeurs, quand survient Apollon, qui lui apporte la fâcheuse nouvelle que Vénus s'est fait enlever par Mars; l'éternelle histoire du brave et rude travailleur trahi au profit d'un bellâtre traîneur de sabre. Cette nouvelle produit un effet foudroyant : Vulcain abandonne sur l'enclume le fer qu'il serrait dans ses tenailles; le bras tenant le marteau demeure soulevé à moitié; la forge est subitement plongée dans 322. Vélasquez. —Forge de Vulcain (Musée de Madrid). le silence ; les frappeurs stupéfaits considèrent le dieu rayonnant porteur de cette fatale nouvelle. Encore si Apollon avait averti confidentiellement le mari trompé de son infortune! mais il la lui apprend devant tous ses ouvriers! Le peintre fait de nouveau bon marché de la majesté les dieux, mais la réalité humaine n'en est que plus saisissante; les forgerons sont autant de parangons de beauté et de force viriles ; bien plus divins que leur maître boiteux et même que le joli dieu du soleil. Ce tableau rappelle la manière de Ribéra par l'opposition de 1 auréole de Phébus et des flammes de la forge aux ombres et à la fumée ambiantes. Mais Vélasquez n'abuse pas de ce contraste; sa lumière est tempérée, ses ombres sont trans- parentes, ses tons ont la fraîcheur et la vivacité de la peinture qu'il avait appris à connaître en Italie, jamais il n'a peint de plus beaux nus. L'École espagnole. 305 La Reddition de Bréda (N° 323) du Musée de Madrid est une autre de ses toiles célèbres. La ville se rendit le 5 juin 1625 ; on ne saurait préciser à quelle époque le tableau fut peint, ce fut sans doute entre 1635 et 1640. Le siège avait duré des mois ; les Espagnols se trouvaient sous les ordres du marquis Ambroise Spinola, les Hollandais sous ceux de Maurice de Nassau et plus tard sous ceux de son frère Frédéric-Henri ; la nouvelle fut accueillie à Madrid avec une joie indescriptible. Depuis la victoire navale de Lépante, les armées de l'Espagne n'avaient plus connu pareil succès ; les conditions faites aux assiégés furent extraordinairement avantageuses et honorables ; le gouverneur, Juste de Nassau, fils naturel du Taciturne, fut autorisé à sortir de la ville, avec toutes ses troupes, drapeaux en tête et l'arme sur l'épaule et n'eut qu'à remettre les clefs de la ville à Spinola. C'est ce moment qu'a représenté le peintre. Non seulement ce tableau est l'œuvre la plus considérable de Vélasquez, mais aussi la plus saisissante illustration de la guerre qui ait jamais été peinte ; le double caractère de la scène, mi-guerrière et mi-pacifique, est rendu d'une façon réussie. Le groupe seul des deux généraux est inoubliable; Juste de Nassau s'incli- ne avec confiance et respect devant son vain- queur ; Spinola pose familièrement la main sur l'épaule de son adversaire. Les officiers en armes, le cheval qui se cabre, la forêt de lances, qui s'étend au-dessus d'eux et qui a valu au tableau son titre populaire Las Lanzas ; les troupes qui défilent, et, à l'arrière-plan, les édifices en ruines et la fumée de l'incendie, résument les maux de la guerre en un émouvant ensemble. La scène se passe par un radieux matin de printemps ; une lumière douce et vaporeuse baigne la perspective ; les figures de ravant-plan se détachent avec relief ; le groupe principal, surtout la tête de Spinola, ressort en pleine lumière. La masse ne présente que des couleurs discrètes : le drapeau blanc et bleu, les cols blancs, les armures d'acier et d'or. Le gris d'argent domine, c'était le ton adopté désormais par Vélasquez, qui rompait avec les 324. Vélasquez. — Le Cardinal-Infant à la Chasse ombres opaques et violentes de ses débuts et de (Musée de Madrid), ses prédécesseurs. Vélasquez était surtout renommé de son vivant pour ses portraits ; il peignit tous les membres de la famille royale et aussi des grands du royaume et traita tous ces portraits avec un réalisme et une sincérité qui en font des documents irrécusables. Voici d'abord l'Infant Ferdinand, frère de Philippe IV, appelé le plus souvent le Cardinal Infant (N° 324) qui se trouve aussi au Musée du Prado à Madrid. A en juger par 1 âge du prince, né en 1609, ftit peint en 1628, c'est-à-dire peu avant le premier voyage hu peintre en Italie. Comme le Roi, son frère, Ferdinand était un chasseur passionné. 3o6 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Tous deux passaient pour les tireurs les plus adroits et les plus hardis de ITbérie, aussi Ferdinand s'est-il fait peindre le fusil à la' main et son chien à ses côtés. A neuf ans il était archevêque de Tolède, cardinal à onze ans. Mais, en dépit des hautes dignités ecclésias- tiques dont il fut revêtu pour ainsi dire dès le berceau, h ne se sentait point la moindre vocation religieuse et il ne cessa de supplier son frère de l'envoyer aux armées. L'infante Isabelle, gouvernante des Pays-Bas, étant sur le point de mourir, Philippe consentit enfin à lui donner son frère pour successeur. Ferdinand partit pour les Pays-Bas en 1632, par l'Italie et l'Allemagne, remporta en chemin la victoire de Nordlingen et arriva à Bruxelles en 1634. Il déploya de brillantes aptitudes de général et de politique, mais il mourut en 1641. A en juger par la facture du portrait la tête seule aurait été peinte vers 1628 et le reste plusieurs années après, pro- bablement en 1635. Le magnifique chien de chasse et le paysage largement brossé ajoutent à la beauté du portrait. Le Prince Balthazar Carlos du Musée de Madrid (N° 325) repré- sente le fils aîné de Philippe IV, né en 1629 et mort en 1646. Ce fut un prodige d'audace et d'intré- pidité. A peine âgé de six ans il tua un sanglier à la chasse, exploit dont se réjouirent son père et aussi son oncle. C'est à cet âge-là que Vêlas- quez nous le montre à cheval dans l'attitude et le costume d'un général On ne saurait se figurer plus crâne gaillard que ce bambin en uniforme militaire, l'écharpe en sautoir, bran- dissant son bâton de commande- ment et lançant sa fougueuse mon- ture droit devant lui vers les espaces, qu'il embrasse d'un regard conqué- rant. Le cheval vu de biais et forte- 325. A élasquez. — Don Balthazar Carlos (Alusée de Madrid). .... , 1 „ ment en raccourci fait une tacne sombre sur l'arrière-plan très clair, et le hardi cavalier, de couleur éclatante, produit un effet prestigieux entre cette clarté et cette ombre. Le peintre ne pouvait mieux caractériser la témérité du petit prince qu en le suspendant ainsi entre ciel et terre. Le Duc d'Olivares, premier ministre et favori tout-puissant de Philippe IV, était aussi le protecteur de à^élasquez qui fit plusieurs fois son portrait ; le plus important de ces portraits au se trouve, comme presque tous les autres chefs-d'œuvre de Vélasquez, Prado de Madrid (N° 326). Il fut peint vers 1637 peu après celui de l'Infant Balthazar Carlos et dans la même manière. Le duc, cavalier accompli, monte un cheval blanc ; il porte une cuirasse d'acier à clous d'or, un chapeau à panache, un col de dentelle et une large et opulente écharpe dont les plis touffus retombent sur la garde de son épée. D'un physique L'École espagnole. 307 peu avantageux il fut surtout un homme de cabinet, mais il tenait à ce qu'on le prît pour un guerrier vaillant et un général avisé ; aussi exigea-t-il que Vélasquez le peignit sous ce jour emprunté. Le cheval s'élance vers l'horizon lumineux traversé de légers le cavalier nuages; tourne la tête en arrière, comme s'il voulait stimuler les troupes qui sont censées le Suivre et les entraîner vers le champ de bataille ; la physionomie respire la fermeté et l'énergie. A tout prendre ce cavalier impérieux commande à tout un peuple et des destinées dispose de son pays. En novembre 1648 Vélasquez quitta Madrid pour entreprendre son second voyage en Italie, il en revint en juin 1651. Durant son séjour à Rome il peignit le portrait du pape Innocent X, qui se trouve encore au Palais Doria (N° 327), et que Taine proclame un chef-d'œuvre entre tous les portraits. ,,Sur un fauteuil rouge, dit-il, devant une tenture rouge, sous une calotte rouge, au-dessus ^ d'un manteau rouge, une figure q -A ? ^ rouge, la figure d'un pauvre niais, d'un 33 cuistre é- usé : faites avec cela un tableau qu'on n'oublie plus". Sans flatter son modèle Vélasquez parvint à le rendre imposant et impressionnant ; la pose est digne ; le regard est si perçant et si animé, qu'on oublie les traits grossiers, le nez camus, la vilaine bouche, la barbe rare. La facture est étonnamment large et souple ; la touche légère, discrète; bref il est impossible d'atteindre à un plus merveil- leux résultat avec des moyens si simples. Retournons au Prado pour y ad- mirer l'œuvre la plus extraordinaire de Vélasquez : la Famille de P}iilij)f>e IV (N° 328), plus connue sous le nom des Meninas (les dames de la Cour). Il s'agit d'une scène de l'intérieur royal ou l'éti- quette n'abdique même pas devant la vie intime. La petite infante Marguerite Marie, âgée de quatre à cinq ans, ayant demandé à boire, deux de ses dames , 320. Velasquez. — Le Duc d , , „ , d honneur ^ Ouvares de s'empressent à ses côtés (Musee Madrid). ; dona Maria Agustina Sarmiento s'agenouille pour lui offrir une timbale ; dona Isabel de Velasco, soulève un peu sa jupe pour lui faire une révérence ; à droite se trouvent la naine Maria Barbóla et le nain Nicolasito Pertusato,. qui allonge un coup de pied au molosse couché devant lui ; à gauche Vélasquez se tient debout près d'une vaste toile, le pinceau dans une main, la palette dans l'autre. Au fond une autre ,,Menina", Marcea de Ulloa en costume de nonne, avec un officier de la cour. Tout à l'arrière-plan, Joseph Vieto, le maréchal de la cour de la reine, écarte une tenture pour laisser pénétrer la lumière du dehors. A la paroi du fond sont suspendus deux tableaux et un miroir, lequel réfléchit le roi et la reine que Vélasquez est en train de peindre. La scène s'explique ainsi : le roi et la reine posaient dans l'atelier du peintre la quand petite infante survint avec sa suite. Les parents, ravis de la gentillesse de l'enfant Vt 308 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. aussi du magnifique effet de lumière pro- duit dans le fond de la pièce par l'ouver- ture de la porte, engagèrent le peintre à reproduire cet impromptu : Vélasquez l'exécuta sur-le-champ. De là ce chef- d'œuvre qui illumine réellement la petite pièce dans laquelle il est exposé seul et sous un éclairage avantageux ; il est même éblouissant de coloris et de lumière. La mignonne princesse avec sa robe de satin blanc représente le foyer de cette splen- deur, laquelle va en se dégradant, d'un personnage à l'autre, jusqu'aux plqs loin- tains, noyés dans le clair obscur. Peu de couleurs, du bleu, du vert, un point rouge çà et là, et, pour le reste, du blanc, rien que du blanc exaspéré à cette lumière qui fait irruption par la porte comme dans certains intérieurs de Pieter de Hoogh. En dépit de leur accoutrement vieillot les petites dames d'honneur sont adorables de puérilité et de jeunesse, de vrais bijoux. Aussi le Roi aurait-il été 327. Vélasquez — Portrait du Pape Innocent X tellement enchanté de cette œuvre qu'il (Palais Doria, Rome). peignit lui-même la rouge croix de Saint Jacques _ que le peintre arbore sur la poitrine. Alonso Cano né en 1601 à Gre- nade, accompagna encore-enfant ses pa- rents à Séville où il devint le condisciple de \'élasquez comme élève de Pacheco. En 1637, 13- suite d'un duel, il fut forcé de fuir à Madrid où il demeura jusqu'à ce qu'ayant obtenu, en 1652, une pré- bende dans sa ville natale, il y retourna pour y écouler le reste de ses jours ; il mourut en 1667. Il excella non seulement comme peintre mais aussi comme sculp- teur ; selon la coutume espagnole il colo- riait très habilement ses figures de bois. Comme peintre il se distingue de ses pré- décesseurs par une manière plus tendre et plus discrète ; comme eux il peint avec ampleur et il prodigue les effets de lumière, mais il apporte moins de crudité 328. Vélasquez. —■ La famille de Philippe IV (Las Meninas) dans son interprétation de la nature ; (Musée de Madrid). L'Ecole espagnole. 309 quoiqu'il n'ait pas visité l'Italie une grâce toute italienne a tempéré son âpreté espagnole. Au Prado de Madrid on admire sa Vierge adorant l'enfant Jésus (N^ 329). La Vierge est assise dans un désert montagneux parmi les broussailles et les fleurs sauvages ; elle porte une robe rouge et un manteau bleu; sa chevelure se répand sur ses épaules; elle tient à deux mains l'enfant étalé tout nu sur ses genoux. Son visage plein de santé et d'attrait respire une ferveur non exempte de m.élancolie; elle adore son enfant avec une arrière-pensée de malheur. C'est un groupe délicieux, d'une couleur "moelleuse, baigné d'une radieuse lumière. Le même musée du Prado possède VAnge soutenant le corps du Christ (N° 330). Le Sauveur mort, assis sur un tertre, fléchit la tête et laisse pendre les bras et les jambes; les souffrances l'ont abattu sans le ronger, il est immobile mais sans raideur ; son attitude pré- sente des lignes pleines de grâce. Le visage de l'ange qui le soutient par les épaules exprime une profonde affliction ; groupe émouvant, plein de naturel et éminemment original. Nombre d'élèves se formèrent à l'école de Vélasquez mais aucun ne put rivaliser avec le maître ; le plus avantageusement connu fut Juan de Pareja. Par sa naissance c'était un esclave de Vélasquez ; il fut de longues années à son service, l'accompagna dans ses deux voyages en Italie et il faisait l'office de rapin dans son atelier, broyant ses couleurs et nettoyant ses palettes. A force de voir tra- vailler il apprit le métier lui-même ; s'étant enhardi à peindre un tableau le roi en fut si satisfait qu'il ordonna à Vélasquez de l'affran- chir. Pareja, né vers 1606 à Séville, avait alors quarante-cinq ans et continua à peindre jusqu'à sa mort survenue en 1670. Il produisit de nombreux pdrtraits et aussi quelques compositions histo- riques ; la plupart de ses œuvres sont perdues ou attribuées à d'autres que lui ; il avait adopté la manière large et vigoureuse, le coloris éclatant 329. Alonso Cano.—La Vierge adorant l'Enfant Jésus de de (Musée Madrid). son maître. Ses tableaux valaient aussi par leur composition. Le plus connu est la Vocation de Saint Matthieu du musée du Prado (N° 331). Le Christ étant entré dans le bureau du douanier invite celui-ci à renoncer à son emploi et à le suivre ; Matthieu attablé et richement vêtu à l'orientale, porte la main à la poitrine et demande au Seigneur s'il l'appelle vraiment à lui. Un vieillard, attablé aussi, est en train d'écrire; un autre personnage porte l'uniforme d'un officier flamand. Le peintre s'est représenté à gauche du tableau, tenant à la main un papier, sur lequel on lit Juan de Pareja en el anno 1661. La lumière est généreusement répandue par une fenêtre et une porte ouverte. Un riche tapis d'Orient recouvre la table. En somme une composition historique habilement ordonnée, mais a laquelle manque l'originalité et le réalisme du maître. Avec Vélasquez, le plus grand maître de l'Ecole de Séville et de toute l'Espagne fut Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Barthélémy Esteban Murillo . Il fut baptisé le Janvier 1618, et naquit probablement la veille. Il eut pour maître le très insignifiant Juan del Castelló, dont heureusement il se garda bien d'adopter la manière aride, il ne trouva même sa voie qu'en 1643, quand Pedro de Mayo, qui avait travaillé en Angleterre sous la direction de Van Dyck, l'initia à la peinture du grand maître flamand. Murillo se rendit ensuite à Madrid, où il fraya avec Vélasquez qui lui donna d'excellents conseils et qui lui fournit l'occasion d'admirer les œuvres de Rubens, Van Dyck, Titien et d'autres, dont le palais du Roi contenait une profusion. En 1645 il retourna à Séville, où il mena une existence laborieuse jusqu'en 1682, année de sa mort. Les deux plus grands maîtres de l'École espagnole se partagèreni le domaine de la peinture élevèrent chacun son apogée qu'ils avaient choisi. Vélasquez représentant par du réalisme, de la vérité sincèrement ob- servée et rendue en toute liberté ; Murillo se réserva l'autre domaine, l'idéalisme gieux représenté en Espagne par un mysti- rêveur et les visions extatiques. La manière de Murillo k correspond à ses sujets : jftt elle est chaude, fondue, vaporeuse et trou- ' mj^ blante ; ses figures respirent une tendresse charme plus célestes que terrestres. Voici la Nativité de Marie (N° 332). peignit en 1655 pour la cathédrale Séville et qui se trouve au Louvre. ' ^Hk On n'imaginepas compositionplus délicieuse, ' m'i-' Î\ mélange plus réussi de sympathie humaine et de grâce angélique. Rien n'est compa- ' ^ flHjk rabie à l'expression de ces visages et au \ naturel de ces mouvements ; l'enfant pré- À, destinée lève les yeux et tend ses petits bras vers le ciel où les anges planent dans une gloire. D'autres anges descendus à terre un mère du Sauveur. Au fond Sainte Anne, l'accouchée, garde le lit ; une femme pré- 330. Alonso Cano. — L'Ange soutenant le corps du Christ sente des langes a uue jeune fille ageuouillee (Musée de Madrid). près d'une cuvette et qui se tourne vers elle en une attitude exquise ; c'est une scène familiale qui se passe dans une atmosphère paradisiaque. Une douce et chaude lumière baigne l'enfant ; les visiteurs célestes apportent avec eux les reflets de la clarté divine. Près de l'accouchée règne un clair obscur caressant ; plus loin s'.amassent des ombres. L'éclat et la vivacité des couleurs se tempèrent de teintes vaporeuses et éthérées dans lesquelles les figures, tout en demeurant distinctes, se parent d'on ne sait quelle splendeur occulte. De 1670 à 1674 Murillo peignit huit tableaux pour l'hospice de la Caridad, à Séville. Ces compositions représentent les bonnes œuvres. La plus célèbre est la Sainte Elisabeth (X° 333) qui se trouve aujourd'hui au Musée de l'Académie San Fernando à Madrid. La touchante épouse du Landgrave de Thuringe vaque à ses pieuses occupations, dans son L'Ecole espagnole. 311 palais ouvert aux indigents et aux malades de tout âge. Agenouillée devant, un bassin d'argent elle lave la tête pus- tuleuse d'un j eune mendiant ; une vieille s'est approchée d'elle pour réclamer son assis- tance ; la sainte, une céleste figure féminine, portant le voile des veuves sous sa cou- ronne de souveraine, se tourne gracieusement vers la sollici- teuse ; un j eune garçon de la famille de ces picaros ou vagabonds que Murillopeignit si souvent, se gratte la tête qui lui démange. Un gueux 331. Juan de la Pareja. — La Vocation de Saint Matthieu (Musée de Madrid), accroupi remet le bandage à sa jambe blessée, un autre s'avance en béquillant. Deux imposantes dames d'honneur assistent la princesse ; une vieille, sorte de duègne, à lunettes et à capuchon de nonne, contemple la scène. Au fond sous une colonnade on voit des malades attablés et servis par la princesse. Dans cette composition Murillo a fait voisiner, avec un tact et un sentiment de poète servis par un admirable métier de peintre, les pires misères et infirmités avec l'idéal de la beauté et de la bonté évangéliques. Arrêtons-nous encore à ses visions, à ses extases de moines et de saints ; il nous les montre le plus souvent visités par l'Enfant Jésus. Ainsi au musée de Berlin se trouve un tableau représentant Saint Antoine de Padoue avec l'Enfant Jésus et des anges (N° 334). Le Saint s'était retiré dans un bois et se livrait à une lecture pieuse lorsque le Sauveur, 332. Murillo. — La Nativité de Marie (Louvre, Paris). 312 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. SOUS la forme d'un enfant délicieux, descendit du ciel et vint se poser sur le livre ouvert devant le solitaire. Celui-ci soulève le bébé dans ses bras et l'embrasse avec effusion tandis que de ses mains potelées le petit caresse les joues de son adorateui une volée d , anges accompagnait Jésus, l'un tient le lys du Saint, un autre son livre, les autres folâtrent dans le ciel. Pas de scène plus aimable, et plus radieuse, nous ne connaissions pas encore ce sourire, cette mutinerie, cette joie, nous dirions presque cette espièglerie céleste. Avec Murillo le mysticisme espagnol s'est illuminé et attendri, nous voilà loin des méditations farouches et des mar- tyres sinistres. La Vision de Saint Fran- cois d'Assises (N° 335), rune des vingt grandes compositions peintes • par Murillo, de 1674 à 1676, pour l'église des Capucins à Séville, n'est pas moins touchante et réussie. Le sujet, seul est une trouvaille. I^e saint' adorait le Christ en croix quand le divin crucifié détacha l'un de ses bras dont il entoura le cou du bon moine. A ce miracu- leux témoignage de tendresse le saint n'éprouve ni effroi, ni surprise, les yeux levés vers le Sauveur, il l'étreint de son côté avec une fer- veur confiante et toute filiale ; dans les nues un ange plane en tenant ouvert un livre où on lit : ,,Celui qui ne renonce point à tout ce qu'il possède ne peut me suivre". Il s'agit donc de la récompense de la pau- vreté volontaire. Murillo seul a pu traiter ce sujet ; tout autre l'aurait trouvé trop invraisemblable et trop audacieux. Voilà que la statue de bois s'est faite chair et qu'elle a 333. Murillo. — Sainte Elisabeth soignant les iMaïades remue ] Comment rendre serieùse- (Musée de Madrid). ^lent Cette métamorphose? Corn- ment éviter le ridicule ou la puéri- lité? Pourtant, devant le vaste tableau de Murillo, on n'est guère choqué et si l'on se prend a sourire c'est d'attendrissement et de vibrante sympathie. On demeure charmé et confondu par l'expression touchante et auguste de ces deux visages. Le prodige paraît tout simple et tout naturel ; on partage la confiance et la foi du Saint. Comme la plupart de ses confrères et compatriotes Murillo a traité souvent l'Imma- culée Conception. Le plus célèbre de ces tableaux se trouve au Louvre et il y est plus connu sous le titre de VAssomption (N° 336). Il fut commandé en 1678 au peintre par Justino de Neve pour l'église de l'hôpital des ,,Vénérables Sacerdotes" à Séville. Marie, les pieds sur le globe terrestre et le croissant de la lune, s'élève au ciel soutenue par un essaim de petits anges tous plus mignons les uns avec que les autres et dignes de rivaliser L'École espagnole. 31 3. ceux de la fameuse Assunta du Titien ; elle porte une robe blanche et un manteau bleu i elle joint les mains sur la poitrine et lève les yeux vers le ciel. Le visage illuminé par une* auréole se détache sur l'azur immaculé du ciel ; on ne saurait mieux exprimer le désir, la nostalgie d'une âme parvenue au terme de son exil, au moment de s'élancer vers le ciel. La Sainte Famille était aussi un des sujets favoris de Murillo, car elle lui fournissait l'occasion de représenter l'Enfant Jésus et le petit Saint Jean, et nous avons déjà vu quelle grâce et quel attrait ses pinceaux prêtent à l'enfance. Ainsi l'Enjant Jésus donnant à boire à Saint Jean (N° 337), du Musée du Prado, compte parmi les chefs-d'œuvre, du genre. Le 334. Murillo. — Saint Antoine de Pacloue (Berlin, Kaiser Friedrich IMuseum). petit Saint Jean-Baptiste portant sa croix de jonc avec une banderolle sur laquelle on lit Ecce Agnus Dei (Voici l'Agneau de Dieu), est agenouillé devant son compagnon de jeux qui lui fait boire de l'eau dans une coquille. L'agneau contemple l'adorable geste des petiots ; les anges aussi s'extasient dans le Ciel. C'est une scène enfantine, d'une fraîcheur naïve et d'un sentiment exquis. Mais Murillo, nous l'avons déjà constaté plus haut, ne célèbre pas exclusivement la beauté idéale et les rêves mystiques ; il était trop Espagnol pour répudier tout à fait les scènes réalistes. Seulement, pour ses épisodes de la vie des humbles, il choisissait les modèles. 314 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Nul n'a mieux interprété les jeux et les mouve- ments des enfants de la classe populaire ; ses héros sont des gamins, de petits mendiants, de jeunes vagabonds, des picaros vivant en plein air, goulus, fripons et batailleurs ; comme Laza- lille de Tormes ou les petits voyous de Bruxelles racontés dans L'Autre Vue. Murillo dégage la beauté spéciale de ces polissons et il rend la poésie de leurs guenilles. Ils sont bien portants, vigoureux et de belle humeur et Murillo peignit aussi savoureusement ces fleurs du pavé et de la grand'route, qu'il nous montra les ébats des anges du Ciel. On peut dire de Murillo qu'il a réha- bilité les haillons et qu'il a victorieusement prouvé le parti que le peintre peut en tirer au point de vue des plis, des tons et du mode- lage ; devant ses petits drôles on se rappelle les scènes si amusantes racontées dans le chef- d'œuvre du roman picaresque de Hurtado de Mendoza ou aussi tel épisode ou tel portrait du roman d'Eekhoud. Ces petits mendiants pour- raient être Lazarille, mais aussi Palul ou Zwolu. Ils sont francs, libres, picoreurs, espiègles comme 336.3 Murillo. L Assomption (Louvre, Pans). les moincaux. Il nous scmblc entendre la muse ~ de Murillo tenir au peintre le langage que Lau- rent/Paridad, le fervent ami des petits irréguliers du pavé de Bruxelles se tient à lui même : ,,Regarde-le bien :cet ange des carrefours, grave sa ligne et son ton dans ta mémoire, à défaut de pinceaux et de couleurs pour les fixer sur la toile ; tu ne retrouveras sans doute plus, dans une posture si avantageuse, ce polisson aux grands yeux noirs, aux pommettes saillantes, aux cheveux rebelles et crépus, affriolant à croquer, valant, déluré et précoce, dix mille gosses de riches, quoiqu'il porte une culotte tellement déchirée qu'on voit la moitié des cuisses et que les loques pendillent autour de ses tibias. Marque aussi sa [frimousse chiffonnée, un peu narquoise plissée par un rire sonore ou 237. Murillo. — L'Enfant Jésus et Saint-Jean Baptiste (Musée, de Madrid). L'École espagnole. 317 iinte la blague du voyou puéril et profond, qui a jugé la misère sociale et qui sait que le mieux est de s'en gausser pour s'y résigner. Et n'oublie pas son haussement d'épaules .accompagné d'une moue ; ce pli dans le renforcement de ses reins et sa veste trop courte qui se relève au-dessus de sa ceinture et de son bourrelet de chemiset lorsqu'il plonge les mains dans les poches de sa culotte. Et son sifflotement perpétuel, et son nez quêteur et -carlin, et la courroie qui retient ses grègues et qui lui sert de fronde à l'occasion ou de fouet, voire de laisse, quand il a volé quelque chien." A cause du chaud soleil les petits vagabonds de Murillo seront dépoitraillés et déshabillés. Leur chemise demi-noire s'ouvre sur torse depuis le col jusqu'à la ceinture et leurs nippes, trouées aux •coudes, aux genoux et au bas du dos parodient les crevés que les tailleurs élégants ménagent dans la soie et le taffetas des riches vêtements des petits-maîtres sous Louis XIII ■et Philippe IV. D'ailleurs toutes les étoffes sont égales devant la généreuse lumière et les gue- nilles présentent des nuances aussi variées •que les tissus somptueux ; les haillons rivalisent avec les draps d'or et les brocards ; ils ont leur poésie comme les ruines. Et le Pied Bot, le Murillo de la collection Lacaze du Louvre, est l'égal dans son genre, de l'Homme à la Houe ou de tel autre aristocratique adolescent de Van Dyck. Sous' ce rapport l'art est essentiel- lement démocratique et égalitaire. Cependant, par une étrange anomalie, en ces temps qui se piquent d'altruisme et de fraternité, il semble que la peinture s'embourgeoise et répugne à dégager d'un modèle pris dans la rue ou sur le bord de la route la beauté spécifique et le pittoresque qu'il comporte. Ou bien, sous pré- texte de caractère, on tombe dans la caricature. La peinture se ravale en devenant satirique ; •elle rechigne et fait la moue devant les pauvres et les court-vêtus, c'est à peine si elle saisira la beauté et le style des gens de métier, et en ce temps, en dehors de la littérature, comme nous le disions plus haut, il n'y a eu qu'un 338. 3iIurillo. — Les Joueurs de Dés (Pinacothèque sculpteur, Constantin Meunier pour ,,styliser" la de Munich). beauté d'un simple travailleur. Encore comme le constate Paridael, le héros de l'Autre Vue, les irréguliers d'aujourd'hui attendent toujours leurs sculpteurs et leur peintre. Depuis Murillo la peinture n'a plus célébré la beauté saine des jeunes vagabonds. ,,Après l'homme domestique ou l'ouvrier, il m'aurait plu, dit Paridael, voir un artiste s'attaquer à l'homme foule, préférer' le truand au peinard et célébrer le loup plutôt que le bœuf et le chien !" C'est l'heureuse et insouciante enfance de la race picaresque, les chemineaux d'alors, que célèbre Estevan Murillo. La Pinacothèque de Munich possède cinq des chefs-d'œuvre de Murillo dans ce genre. Ce sont tantôt deux gueusillons dépenaillés à plaisir dévorant des pastèques et mordillant ■des raisins en échangeant un regard si luron que l'on devine la provenance de leur repas. Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Ou bien ce sont des précoces Joueurs de dés (N° 338), tout aussi loqueteux, qu'un des leurs admire en mordant à belles dents dans une croûte de pain ; comme le bon soleil fait valoir le coloris de ces chairs brunes, de ces tignasses ébouriffées, de ces nippes plus trouées que de la dentelle ! La grande École espagnole périt avec Murillo ; depuis les vingt dernières années du XVII® siècle jusque bien au delà de la première moitié du XVIII®, l'Ibérie ne produisit pas un seul artiste de marque. Ce n'est guère qu'aux approches du XIX® siècle, que l'on rencontre un peintre original, mais celui-ci, Francisco José Goya les plus supporte la avec Vélasquez en Fuende- todos en Aragon, il apprit les rudiments du métier à Saragosse et il alla se per- fectionner à àladrid, puis à Rome ; en grands et de Cour il y demeura jusqu'en puis il passa en France à Bordeaux en Goya un excep- tionnel, qui se forma lui-même et ne dut pour ainsi dire rien à ses prédécesseurs espagnols ou étrangers. C'est tout au plus l'on pourrait voir en un Vélasquez modernisé il pousse de semble des au du de la pode de cette peinture de juste milieu, qui Espagne portrait, histoire, scènes populaires. Il 339- Goya. — Dona Isabel Carbó de Porcel broSSa deS fresqueS, exécuta deS CartonS (^·at.o.^al Gallery, Londres), tapisseries, peignit d'innombrables panneaux. La presque totalité de son œuvre se trouve à Madrid. La National Gallery a acquis récemment un de ses portraits, celui de Dana Isabel Carho de Porcel (N° 339). La noble señora est vêtue d'une toilette de satin rose sous une mantille de dentelles noires qui la coiffe et retombe sur son corsage ; elle- porte la main à sa ceinture ; ses grands yeux noirs vous dardent un regard pénétrant et hardi. Mais c'est à àladrid que Goya régne dans toute sa gloire. Le Musée du Prado a réuni qb cartons exécutés pour la série des ,,Mœurs populaires madrilènes", 14 tableaux provenant de sa vente mortuaire ; 24 panneaux dont la plupart sont des portraits, enfin quelques compositions historiques. Au nombre de ces dernières figure le fameux Episode de la Nuit du 3 mai 1808- L'École espagnole. 319, (N° 340) dans lequel Goya se révèle comme un des maîtres de l'épouvante. La population de Madrid révoltée avait massacré les mameluks de Murât, mais l'émeute fut réprimée et les armées de Napoléon se livrèrent à de terribles représailles. ,,A proximité de la ville dit Eugène Demolder, entrevue dans la nuit, les soldats de l'Empire fusillent à bout portant, aux lueurs jaunes d'une grande lanterne posée sur le pavé, les mutins espagnols. Quelques- uns gisent, la tête ou la poitrine fracassée, l'œil hors de l'orbite, dans des mares de sang.. D'autres viennent se présenter au canon des armes, exaltés ou terrifiés, les yeux hagards, ou les poings sur la face. La revanche des vainqueurs, sac au dos, disciplinés, accomplissant leur besogne ainsi qu'un métier habituel, sans pensée sous leurs pesants schakos, est d'une- bestialité farouche. Jamais on n'a montré combien il y a peu de différence entre un soldat et un bourreau : les dessous honteux de la puissance des conquérants, le revers brutal de la. gloire". C'est du réalisme, mais du plus pathétique. La Famille de Charles IV (N° 341), portrait célèbre et d'ailleurs merveilleux, pousse ce réalisme jusqu'à l'irrévérence. Certes le peintre n'a pas flatté ses modèles et l'on s'étonne même qu'ils aient consenti à se voir sous ce jour implacablement fidèle. La peinture même est une fête, un régal : des rouges fleuiis, des bleus vifs, des bruns de cannelle, des blancs dorés et soyeux. Pas moins de treize personnages, plus Goya même qui se tient au fond du tableau. Au milieu le roi Charles IV avec sa femme Marie-Louise donnant la main au petit infant François-Paul ; la reine s'appuie sur l'épaule de l'infante Marie-Isabelle.. 340. Goya. — Episode de la Nuit du trois mai 1808 (Musée de Madrid). 320 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. .Le groupe de gauche est composé de Don Fernando, prince des Astúries avec, à gauche, sa première femme. Marie-Antonia ; derrière, son frère don Carlos et sa tante Marie-Josefa. A droite, près du roi, le prince de Parme et Marie-Louise, sa femme, tenant son enfant sur les bras; derrière l'infante, Carlotta Joaquin avec son époux Juan José, infant de Portugal. Tous ces personnages sont en costume d'apparat et le peintre s'est trouvé devant un festin de couleurs, d'étoffes précieuses, de bijoux, de dentelles, de chamarrures. Mais •encore une fois quelles têtes ! Le roi semble un maître d'hôtel veule et bouffi, la reine a l'air d'un homme, telle princesse d'une tireuse de cartes ! 341. Goya. — La Famile de Charles IV (Musée de Madrid). L'ÉCOLE ALLEMANDE. 1~AES le Xiye siècle on rencontre, dans diverses contrées de l'Allemagne, de vrais artistes peintres : enlumineurs et miniaturistes, peintres sur verre, peintres de fresques et même des peintres sur panneaux ; ils traitent des sujets de l'histoire sainte destinés à orner des sanctuaires et ce sont autant d'oeuvres naïvement symboliques exécutées dans une forme plus naïve encore. Durant la première moitié du XV^ siècle ces faibles efforts tendent à créer un art original, lequel demeure bien loin derrière celui des Flamands primitifs tant au point de vue de l'interprétation de la vie réelle qu'à celui de la richesse et de l'harmonie des couleurs. Cologne fut le foyer le plus important de cette école primitive. Le premier nom célèbre que l'on y rencontre est celui de Stéphan Lochner. Ce peintre était venu de Con- stance vers 1430. Les auto- rités de Cologne lui comman- dèrent un tableau d'autel pour la chapelle de l'hôtel de ville. Lochner leur peignit un triptyque dont Je panneau principal représentait l'Ado- ration des Mages (N° 342) et les volets, l'un Sainte Ursule et ses compagnes, l'autre Saint Gédéon et ses compagnons d'armes ; la chapelle fut cou- sacrée en 1426 ; le tableau fut commandé quelque temps après, probablement vers 1440. Stéphan Lochner étant le peintre le plus réputé à cette époque, il est plus que probable que c'est à lui que s'étaient adressés les magis- trats On présume qu'il naquit ^ Lochner. ■—■ L'Adoration desAlagespCathédrale de Cologne). vers 1400 ; un document men- tionne sa présence à Cologne en 1442 et il mourut dans cette ville en 1451. Son chef-d'œuvre demeura dans la chapelle de l'hôtel de ville jusque vers 1800, et fut transféré ensuite à l'hôtel de ville même ; depuis 1810 il orne une chapelle de la cathédrale de Cologne. Avec ce tableau nous nous trouvons encore dans le monde surnaturel ; nous vivons en pleine légende et en dehors de l'histoire. Le panneau central nous montre la Vierge vêtue d'une robe bleue à doublure blanche, son trône s'adosse à une riche tapisserie brodée de fleurs blanches sur fond bleu, que sou- tiennent deux anges microscopiques. Deux des mages s'agenouillent aux côtés du trône ; à gauche un vieillard paré d'un manteau rouge brodé de fleurs d'or, et d'une ceinture incrustée de médailles d'or ; à droite un personnage plus jeune, à la longue barbe et aux longs cheveux bruns, se drape dans un manteau verdâtre jeté sur une robe rouge à broderies d'or et offre une Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 322 d'argent à l'Enfant Jésus. Derrière celui-ci se tient le troisième mage porteur d'un coupe calice d'or, il le teint brun plutôt que noir et ses traits ne sont pas d'un a nègre; la suite des Rois se presse derrière eux, ils sont une douzaine, divisés en deux groupes, vêtus plus ou moins richement à l'orientale. Plusieurs bannières flottent au-dessus de leurs têtes. Il n'y a de vivant que l'Enfant Jésus, toutes les autres figures, y compris Marie, sont figées dans une attitude béate ou solennelle. Le fond est doré et dans le ciel planent des anges minus- cules, la scène se passe en plein air, au milieu d'une prairie émaillée de fleurs, pas de trace et la réalité intervient d'habitation. Le tout s'inspire des traditions ecclésiastiques n'y d'aucune façon, l'exécution même s'asservit aux traditions. Le visage de la Vierge présente une teinte pâle avec des reflets luisants qui lui donnent l'air d'une poupée de cire ; l'enfant est non moins délicat de teinte et de forme ; les autres personnages ont les mêmes visages sérieux et blafards ; ceux du fond sont un peu plus bruns, mais présentent la même inconsistance. Par contre les couleurs des vête- ments sont riches et variées, on dirait que les étoffes ont été peintes d'après nature alors que pour les personnages le peintre s'est contenté de figures conventionnelles. La peur toute biblique de la représentation et de l'Étude du corps humain est visible dans cette œuvre, elle se rattache par ses personnages mornes et stéréotypés aux productions de l'école byzantine, somptueuses par les accessoires, froides et funèbres quant aux personnages. Toutefois en y regardant de plus près ces visages ternes et irréels s'éclairent d'un feu mystique, on discerne la ferveur de la Vierge pour son Enfant, les mages contractent une exprès- sion Lochner. La Vierge berceau de roses hiératique. En Somme maigre 343. Stéphan — au et ses (Musée de Cologne). toutes ses imperfections naïvetés l'œuvre finit par produire une impression plus profonde que maint chef-d'œuvre des époques plus raffinées. On ne connaît que peu de tableaux de Stéphan Lochner. L'un de ceux-ci, la Vierge berceau de roses (N° 343), du Musée de Cologne, est aussi une merveille de ferveur et de au mysticisme: Marie trône au milieu d'un jardin céleste, une haute couronne posée sur ses cheveux, une auréole encadrant son visage ; comme dans l'Adoration des Mages, elle porte une broche sur laquelle elle est représentée elle-même. L'Enfant Jésus tient une pomme et contemple naïvement les petits anges qui papillonnent autour de lui, d'autres anges font de la musique. Derrière la Vierge le dossier du trône forme un espalier de roses, au-dessus le Père et le Saint Esprit planent dans la nuée. L'École allemande. 323 Les tons sont un peu crus et le coloris maladroit, de goût barbare, mais la compo- sition forme un adorable ensemble. On s'attache à suivre les ébats de ces anges jouant de la harpe ou du psaltérion ; ou se posant comme des oiseaux parmi les roses pour adorer la Vierge, ou se livrant à la cueillette des fleurs, qu'ils offriront avec une corbeille de fruits à l'Enfant Dieu. L'expression du visage de la Madone respire une grâce ineffable, les couleurs répandues à profusion sur les vêtements, les tapisseries, le feuillage et les fleurs, font de l'ensemble une des plus exquises miniatures que l'on puisse rêver. . Durant toute la seconde moitié du XV® siècle l'école de Cologne demeure à la tête du mouvement artistique en Aile- magne, mais dès cette époque elle subit fortement l'influence des peintres néerlandais ; elle se dé- pouille de sa ferveur religieuse et de ses traditions ecclésiastiques et elle s'attache, elle aussi, à la repré- sentation de la vie réelle. Mais bien que la nouvelle tendance se mani- feste visiblement dans les œuvres de cette période, il n'a pas été possible de découvrir les noms de leurs auteurs et nous nous voyons encore réduits à distinguer ceux-ci les uns des autres en les désignant par l'une ou l'autre caractéristique de leurs tableaux. Ainsi il sera successivement question du Maître du Triomphe de Marie, du Maître de la Vie de Marie, du Maître de la Passion de Lijverberg, du Maître de la Sainte Famille, du Maître de Saint-Barthélémy^ du Maître de Saint-Séverin, du Maître de la Mort de Marie et de bien d'autres qui travaillaient tous durant la seconde moitié du XV® siècle ou au com- mencement du XVI® et que l'on ne 344- Le Maître de la vie de Marie. — Pieta (Musée connaît, ou que l'on ne distingueque Cologne), par leurs œuvres et leur manière. Nous reproduisons quelques tableaux de ces merveilleux anonymes. Le Maître de la Vie de la Vierge est appelé ainsi d'une série de huit tableaux d'autel dont sept se trouvent à la Pinacothèque de Munich et un à la National Gallery de Londres. Les musées de Cologne, de Berlin, de Lille, de Nuremberg, diverses églises et quel- ques collections particulières possèdent aussi des œuvres de ce maître. Il fit sans doute ses premières études à Cologne, se rendit ensuite à Louvain pour s'y perfectionner sous la direction de Thierry Bouts et retourna plus tard à Cologne où il travailla de 1463 à 1480. Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 324 La Pieta (N° 344) du Musée de Cologne est une de ses œuvres capitales. Nicodème adossée à l'arbre de la croix et Joseph d'Arimathie soutiennent le corps du Sauveur, Marie, et assistée de l'apôtre Jean, contemple avec désolation la dépouille divine. A gauche on voit le donateur, le professeur Gérard Tersteegen, qui s'agenouille devant le Christ, dont il tient main à qui le recommande Saint André. A droite Saint Thomas tient une lance et lit une et dans un livre. Un paysage et une ville bornent la perspective et se profilent sur un fond doré. Le tableau présente des couleurs éclatantes et vives; Marie porte une robe bleue, Jean tunique Saint Thomas un manteau blanc sur sa rouge. tunique bleue. Saint André un une Nicodème et Joseph d'Arimathie se drapent dans de riches vêtements brodés manteau vert, 345. Le Maître de la vie de Marie. — Le Couronnement de la Vierge (Pinacothèque, Munich). de fleurs d'or. Certes les attitudes sont encore bien empiuntées et l'expression conven- les et semblent s'être tionnelle ; personnages penchent uniformément le cou de la même façon entendus pour fermer tous à moitié les yeux, mais leurs traits respirent néanmoins la vie et sentiment intense la touche offre délicatesse remarquable, et la manière du tableau un ; une accuse une parenté saisissante avec celle de Thierry Bouts, notamment dans certains personnages. Le Couronnement de la Vierge (N° 345) à la Pinacothèque de Munich, est un autre sur excellent tableau du Maître de la Vie de Marie. Marie est agenouillée au milieu du tableau trône soutenu cinq le Père et le Fils lui tiennent une couronne au-dessus de un par anges; la tête, le Saint Esprit plane dans les nues. Des phalanges célestes se pressent sur quatre L École allemande. 325 rangs de chaque côté en chantant et en faisant de la musique. A l'avant-plan sont les dona- teurs, Rinck et sa femme, patriciens de Cologne. Dieu le Père est coiffé d'une tiare et vêtu d'une chape richement brodée. Dieu le Fils est drapé dans un manteau dont les plis écartés montrent son torse nu. Les donateurs sont d'excellents portraits; la majesté de Dieu le Père, la physionomie recueillie de la Vierge à la chevelure ondoyante, les visages des anges aussi variés d'expression que divers de traits, tout respire la vie, la réalité, l'observation fidèle de la nature et trahit manifeste- ment l'influence des primitifs flamands. Les anges aux fronts exagérément bombés font encore songer à ceux de Stéphan Lochner, néanmoins ils ont l'air plus intelligents et plus éveillés. Par un caprice naïf et bizarre du peintre les anges de chaque rangée por- tent desvêtçments de la même couleur ; ainsi à droite nous voyons trois anges roses, trois verts, cinq bleus ; à gauche trois blancs, trois jaunes;- quatre bleus et quatre roses. Cette symétrie n'empêche que ces théories d'enfants aux douces physionomies et aux tendres couleurs témoignent d'une touchante allégresse et, chantant ou s'accompagnant avec entrain, encadrent l'an- gpste événement de la façon là plus séduisante et que le tout représente une compo- sition véritablement 'artis- tique et du meilleur goût. Le Maître de la Pas- siQN. de Lijverberg est si étroitement apparenté au précédent qu'on les prend sou- vent l'un pour l'autre. Dans tous les cas celui-ci est bien 346. Le Maître de la Passion de Lijverberg. —• Le Christ aux outrages de la même époque et de la Cologne), même école que le Maître de la Vie de Marie ; il travailla comme lui à Cologne durant la seconde moitié du XV'^ siècle. Son nom, ou plutôt sa désignation, lui vient d'une série de huit tableaux appartenant au Musée de Cologne et qui se trouvaient antérieurement au couvent des Chartreux de cette ville, puis dans la collection de Lijverberg. Autant de tableaux remarquables, de couleur vigoureuse et éclatante, de facture luisante et comme émaillée. Les personnages sont d'attitude gauche et empruntée; dans son dessin le peintre exagère le souci du réalisme. 326 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Ce maître connut sans doute, lui aussi, les œuvres de Thierry Bouts, mais il fait songer en outre à Jérôme Bosch, dont il possède quelque peu la couleur mais dont l'humour lui demeure complètement étranger. C'est bien un Allemand par la raideur, la frigidité des personnages, la couleur plate ou crue sans nuances et sans finesses, autant de côtés faibles qui caracté- riseront longtemps l'art de ses compatriotes. Dans le Chfist aux Outfci^cs (N 346) de la série question et qui se trouve au Musée de Cologne, on voit à droite le Couronnement et en à gauche la Flagellation du Christ ; le visage du Sauveur est touchant, mais les bourreaux sont encore plus grotesques qu'odieux. Le Maître de la Sainte Famille travailla à Cologne environ de 1480 à 1515, ses 347. Le Maître de la Sainte Famille. — La Famille de la Vierge (Musée de Cologne). tableaux d'autel et ses autres œuvres religieuses se rencontrent dans les Musées de Cologne, Munich, Berlin et Nuremberg et dans quelques collections particulières. De 1507 à 1509 il fournit les cartons des vitraux destinés aux trois vastes fenêtres du bas côté septentrional de la cathédrale de Cologne. On le désigne par le titre d'une de ses œuvres principales: la Famille de la Vierge (N° 347) du Musée de Cologne. Marie et Sainte Anne siègent avec le petit Jésus entre des piliers dorés ; un tapis doré aussi, brodé de fleurs rouges, s'étale sous leurs pieds. Sainte Catherine, assise à gauche, s'apprête à recevoir l'anneau de fiançailles que lui tend l'Enfant Dieu, près d'elle se trouvent son père. Saint Joachim et Saint Joseph. A l'avant-plan Marie Cléophas donne le sein au petit Joseph Juste, Judas Thaddée et Jacques le Mineur folâtrent dans l'herbe. A droite, derrière la Vierge, Alpheus s'accoude à son fauteuil. L'École allemande. 327 près de lui on voit Sainte Barbe derrière laquelle se tient son père dénaturé et dont on voit la tour à rarrière-plan ; Marie Salomé, avec Jacques le Majeur et Jean l'Evangéliste enfants, est assise sur le sol. Au fond on aperçoit, à droite, la mort de Marie, à gauche la Présentation au Temple. L'œuvre est déconcertante de richesse et de minutie, les couleurs et l'or y sont répandus à profusion, il en résulte même un peu de papillotement. En général les figures sont ternes ou effacées et manquent d'expression; mais il y en a toutefois d'assez touchantes, et quelques attitudes tranchent par leur grâce et leur naturel sur la pose contrainte et le geste figé de la majeure partie des personnages. Si l'œuvre se rattache par la conception aux traditions immuables et aux règles dogmatiques, la facture dénote quelques velléités d'indépendance et de vision personnelle. A côté du panneau principal les volets montrent les portraits de la famille des donateurs, probablement celle de Nicaise Hackeney, ban- quier de Maximilien. Le Maître de Saint- Barthélémy ou de L'Autel de Saint-Thomas doit la pre- mière de ces désignations à un tableau de la Pinacothèque à Munich, la seconde à une œuvre appartenant au Musée de Cologne. Ces tableaux lui furent commandés l'un et l'autre par Petrus Rinck, jurisconsulte, qui en dota, peu de temps avant sa mort survenue en 1501, l'église du couvent des Chartreux à Co- logne, où ils décoraient les deux autels du chœur. Pro- bablement originaire de l'Aile- magne du Sud le maître se 348. Le Maître de l'autel de Saint-Thomas. — Le Christ et Saint Thomas serait rendu sa vingtième (Musée de vers Cologne), année à Cologne, où il se serait perfectionné dans son art. Nous manquons de renseignements positifs sur sa vie, on croit qu'il naquit vers 1470 et qu'il mourut à Cologne vers 1510. Le panneau du milieu du tableau, dit de V Autel de Saint-Thomas (N° 348), qui se trouve au Musée de Cologne, représente le Christ ressuscité, debout sur un piédestal jonché de fleurs et tenant à la main la bannière de la croix. Saint Thomas agenouillé devant lui plonge deux doigts de sa main droite dans la blessure que lui a faite le coup de lance. Sainte Hélène avec sa croix. Saint Jérôme avec des livres et le lion. Sainte Madeleine avec son vase de baume. I328 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Saint Ambroise en costume épiscopal, tous assis sur des nuages entourent le groupe principal, que domine Dieu le Père avec un vol d'anges et le Saint Esprit sur sa poitrine. Deux anges font de la musique à ravant-plan ; les armes ornant le pié- destal sont celles de Pierre Rinck, qui avait fait son noviciat au couvent des Char- treux, qu'il dut quitter par suite de maladie. Le tableau se distingue comme tous ceux du maître par sa couleur bigarrée et chatoyante. Le corps du Christ est blême, sa robe rousse a des reflets rouge foncé. Saint Thomas porte une robe bleu foncé avec une draperie bleu clair. Sainte Madeleine une robe vert sopibre et vert clair. Sainte Hélène une robe blanche à reflets bleus, le vêtement de Saint Jérôme présente deux rouges différents ; les anges au bas du tableau sont habillés, l'un de blanc à reflets bleus, l'autre de jaune à 349. Le Maître de Saint-Sévérin. — Le Christ devant Pílate reflets roUgCS. Ce luxe de bigarrures n est (Musee de Cologne). pg^g désagréable, la couleur est fondue, luisante, ferme comme l'émail. Les atti- tudes sont séduisantes et annoncent une évolution dans la peinture allemande; le fond est doré comme chez les autres primitifs. Une des caractéristiques du maître consiste dans la largeur exagérée des visages. 350. Le Maître de la mort de la Vierge. — La Mort de Marie (Musée de Cologne). L'Ecole allemande. 329 Le Maître de Saint-Séverin doit cette désignation à deux tableaux placés dans la Sacristie de l'église de ce nom à Cologne. Il travailla dans cette ville les dernières années du XV® et les premières du XVI® siècle, et débuta probablement en dehors de Cologne car il diffère notablement des autres maîtres de cette ville. Le Christ devant Pilate du Musée de Cologne (N° 349) est un de ses tableaux les plus remarquables. Pilate siège en tenant à la main la longue verge, insigne de sa dignité, un autre juge est debout à ses côtés, des soldats entourent et tiennent le Christ. Au fond la Flagel- lation du Christ est représentée en petit. Ce tableau et les peintures du maître en général se distinguent par les traits appuyés, fortement modelés, comme aussi par la haute stature des 351. Barthold Bruin. ^— Portrait de Johann von Rheidt 352. Barthold Bruin. — Portrait d'Arnold von (Kaiser-Friedrich Museum, Berlin). Brauweiler (Musée de Cologne). personnages, sans toutefois que le réalisme de ces visages soit poussé jusqu'à la grimace ou la laideur. De même le costume est fort recherché et de tournure baroque, les plis sont très accusés : caractères éminemment allemands. Les couleurs crues et pleines, à violents reflets, la peinture ferme et vigoureuse, sont fort topiques et bien allemandes aussi. L'artiste recherchait la vérité, mais non la vérité banale et familière, une vérité saisissante, une vie très accentuée. Le dernier des maîtres anonymes dont nous nous occuperons ici est celui de la Mort de Marie Il est désigné ainsi d'après deux de ses tableaux traitant chacun le même . sujet et appartenant l'un au Musée de Cologne, l'autre à la Pinacothèque de Munich. On s'est livré ces derniers temps à de nombreuses polémiques au sujet de son identité ; on s'ingénia 33° Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. tour à tour à l'identifier avec le peintre néerlandais Jan van Scorel, avec Jan Joost van Calcar et enfin avec Joost van Clève, le peintre anversois, qui s'appelait aussi Joost van der Beke; cette dernière hypothèse semblait justifiée par le fait qu'un des derniers tableaux attribués au maître anonyme était signé /. van B. Quoique l'on ne connaisse aucun tableau de ce Joost van Clève, l'opinion que celui-ci était le maître de la Mort de Marie gagne de plus en plus de terrain ; mais il s'en faut que cette opinion s'impose et qu'elle soit généralement acceptée. Comme la majeure partie des œuvres de:ce mystérieux artiste se trouve en Allemagne, il est plus que probable qu'il passa au moins une partie de sa vie dans ce pays. Nous continue- rons donc à le classer parmi les- maîtres allemands, quoique nous soyons convaincu qu'il est Flamand de naissance ou d'origine, et c'est,ànotre avis,leseul faitque l'onpuisse avancer avec certitude en ce qui le concerne. La Mort de Marie, le panneau cen- tral d'un triptyque du Musée de Cologne, (N° 350) représente Marie sur le point de mourir, étendue sur un lit somptueux et tenant le cierge béni à la main. L'apôtre Jean l'aide à tenir le cierge, un second apôtre se tient derrière le lit. Saint Pierre, en costume épiscopal, agenouillé au chevet de la Vierge, récite les prières des agoni- sants. Au pied du lit trois apôtres discu- tent certain passage d'un livre étalé sur un pupitre ; un autre accourt avec un vase d'eau bénite. A gauche un personnage tient un encensoir qu'un de ses compagnons attise en soufflant dessus. Deux figures s'aperçoivent encore par l'ouverture de la porte à gauche et un dernier personnage est visible dans une embrasure de porte à droite. La chambre, le mobilier et les accès- soires sont traités avec ce soin que les peintres néerlandais apportent dans leurs intérieurs ; les visages ne sont pas peints avec moins de talent ; les vêtements se drapent avec une certaine élégance ; la 353. Michel Wohlgemuth. - Le Christ en croix appliquée par COUches épaisses, (Pinacothèque, Munich). sans éclat, mais avec quelques reflets. L'action et le mouvement ont du naturel. Bref, tout révèle la manière anversoise de quelques années après Quintin Massys, cette manière vaguement italianisante, mais foncièrement flamande tout de même ; or, toutes ces carac- téristiques concordent avec l'époque de Joost van Clève qui fut reçu en 1511 dans la gilde de Saint-Luc d Anvers et qui mourut en 1540- Les volets du triptyque nous montrent les donateurs : Nicaise Hackeney, trésorier de l'empereur Maximilien, et son frère Georges, ainsi que leurs femmes et la fille de l'une d'elles, avec leurs patrons. Tous ces donateurs appar- tiennent à cette famille Hackeney de Cologne, dont un autre membre commanda la Famille de la Vierge, à laquelle nous nous sommes arrêté plus haut. L'École allemande. 331 Dans l'ordre chronologique nous rencontrons un maître allemand plus connu que les autres : Barthold Bruin ou Barthélémy de Bruyn, né en 1512 à Wesel, qui vint tout jeune encore à Cologne et qui y aurait travaillé vers 15 12 avec le maître de Saint-Séverin. Son plus ancien tableau daté porte le millésime 1515 ; c'est un triptyque dont le panneau central représente le Couronnement de Marie. Il peignit nombre de tableaux pour les églises de Cologne et des environs, mais il se distingua surtout comme portraitiste. Il se montre très inégal dans ses tableaux d'église, tantôt trop pâle, tantôt trop sombre, tantôt brutal, tantôt raffiné. Il subit l'influence du maître de la mort de Marie et en général son œuvre est plutôt rude et monotone. Ses portraits valent mieux ; ils ont de la vigueur et de la crânerie ; la vie en déborde. Bruin mourut en 1555 et avec lui se ferme la vieille École de Cologne. Nous reproduisons deux portraits de Barthold Bruin. Le premier, celui de Johann von Rheidt appartient au Musée de Berlin (N° 351). Von Rheidt était bourgmestre de Cologne en 1525 et mourut en 1533 i Gst représenté de face, sa physionomie est grave et un peu mélancolique ; une main s'appuie sur son bâton de bourg- mestre, l'autre tient un rou- lean de papier ; il est coiffé d'un bonnet noir, son pour- point d'uniforme, rouge et noir, est bordé de fourrure ; les "traits ne sont pas ressentis, mais très nets cependant et fort vivants, peints avec beau- coup de charme. L'autre portrait repré- sente le bourgmestre Arnold ° von Brauweiler (N 352) et fut 354. Albert Dürer. — L'Adoration de la Sainte Trinité peint en 1535, quand le modèle (Musée Impérial de Vienne). avait soixante-deux ans. Comme Johann von Rheidt il porte un bonnet noir et le pourpoint rouge et noir et il tient les mêmes objets dans ses mains. Dans le fond on aperçoit un paysage. Le visage est glabre ; l'expression est sérieuse, les lèvres pincées, le regard perçant, un peu ombrageux ; les chairs sont agréable- ment modelées, la couleur plus sombre, mais plus légère que d'habitude. Des nettoyages maladroits ont enlevé beaucoup de saveur à la peinture. En même temps que celle de Cologne florissaient des écoles de peinture dans d'autres villes de l'Allemagne, notamment à Prague, à Soest, à Francfort, à Strasbourg, à Augsbourg et à Nuremberg. Cette dernière surtout devait conquérir une grande renommée. Son premier maître de haute valeur fut Michel Wohlgemuth né en 1434 et mort en 1519 ; son œuvre la , plus ancienne, une série de quatre tableaux d'autel, est datée de 1465. Il exécuta non seule- 3 32 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. ment quantité de tableaux de ce genre, mais il se chargea encore, aidé de ses élèves, des sculp- tures encadrant les retables occupés par lesdits tableaux ; il produisit aussi de nombreux portraits. Son œuvre dénote plus de force et d'application que de goût et d'élévation; il s'en tenait encore aux costumes et aux traditions des primitifs allemands qui cultivaient l'art comme n'importe quel autre métier dans lequel on n'arrivait à exceller que par une pratique assidue, métier régi par des règles fixes, auxquelles il ne s'agissait pas de se dérober sous pré- texte de conception personnelle et de visées plus hautes ; aussi les artistes apportaient-ils la plus grande conscience dans leur tâche et leurs modèles n'étaient pas moins sérieux. C'étaient des clients bien établis qui s'adressaient au peintre comme à tout autre fournisseur et qu'il ne s'agissait pas de tromper sur la qualité de la marchandise; ils y mettaient le prix et c'était au portraitiste à ne plaindre ni son temps, ni sa peine. La couleur était si solide que par- fois elle en devenait dure ; le peintre se montrait plus soucieux de consistance et de vérité que de beauté même ; aussi, bien rares sont les œuvres accusant une origi- nalité réelle et plus rares encore celles qui témoignent d'un véritable goût esthétique, qui s'élèvent au-dessus de la réalité quo- tidienne. Sous ce rapport, à quelques exceptions près. Flamands et Hollandais se rapprochent même des Allemands. Wohlgemuth fut le premier artiste qui livra des dessins pour la gravure sur bois, art auquel les artistes allemands de son temps et de l'époque suivante doivent leur principal titre de gloire. Un des quatre tableaux d'autel qui se trouvent à la Pinacothèque de Munich représente le Christ en Croix (N° 353). Le Sauveur agonise ; il vient de re- commander sa mère à son apôtre préféré, Marie défaillante est soutenue par Jean et deux femmes ; derrière ce groupe se tien- nent deux autres femmes avec Longinus armé de la lance. A droite un centurion, des légionnaires et des Juifs. Au fond les murs et les édifices de Jérusalem. Les per- sonnages sont raides et compassés, le dessin des figures et du paysage est très arrêté, les couleurs sont pleines, mais un peu dures. En dépit du soin et de la vigueur de la facture l'œuvre ne dégage pas une impression de beauté. Avec les trois autres ce tableau fut peint pour l'église de la Trinité à Hof, où il demeura jusqu'en 1510. Un des élèves de Wohlgemuth fut Albert Dûrer, le plus grand des artistes allemands. Il naquit à Nuremberg, le 21 mai 147^ ^t fit d'abord son apprentissage chez son père qui exerçait la profession d'orfèvre; en i486 il entra comme élève chez Wohlgemuth, en 149® quitta sa ville natale pour aller compléter ses études à l'étranger, il traversa la Suisse pour gagner Venise où il étudia Mantegna et les autres Italiens, et aussi les antiques. Rentré dans sa ville natale, il y exécuta, dès 1497^ quantité de tableaux et aussi de gravures sur bois et d eaux-fortes. En 1505 il se rendit pour la seconde fois à Venise, où il demeura jusqu'en 1507- 334 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. De retour à Nuremberg il y travailla assidûment jusqu'en 1521, année où il entreprit un voyage aux Pays-Bas, voyage dont il nota lui-même les particularités dans son journal. En 1522 il retourna à Nuremberg où il mourut le 6 avril 1528. Son activité s'exerça dans de multiples domaines ; il projeta des fresques pour l'une des parois de la grande salle du conseil à l'Hôtel de Ville de Nuremberg ; il peignit de nombreux tableaux d'autels ou d'autres tableaux religieux, et d'innombrables portraits. A partir de 1512 il exécuta des séries entières de dessins pour l'empereur Maximilien ; il grava quantité d'eaux-fortes et ne cessa de fournir des dessins aux graveurs sur bois. Avec Albert Dùrer l'art allemand clôture sa période médiévale ; il cesse de demeurer un simple métier vivant de traditions , et n'envisageant le monde et l'humanité que posément et raisonnablement, sans enthou- siasme, sans aspirations, sans envolée vers l'idéal. Dùrer avait appris à connaître lé monde dès sa jeunesse ; il avait été initié a l'art si noble, si varié et séduisant de l'Italie, il avait beaucoup lu et médité, son cerveau s'était enrichi en même temps que sa main s'assouplissait. Les formes capricieuses, desfam taisies audacieuses, des conceptions de tout genre hantent son cerveau et s'imposent à ses pinceaux, h. ses crayons et à son burin. Comme peintre il ne parvint jamais à se départir complètement des formes anguleuses et de la couleur dure de ses compatriotes, mais comme dessinateur, comme aquafortiste et comme graveur, il a introduit une vie nouvelle dans l'art ; la vérité et la fantaisie, la force, et là grâce marcheront à présent de pair. UAdoration de la SaÂnte Trinité ou son tableau de Tous les Saints (N° 354) est de toutes ses vastes compositions la plus importante et la mieux conservée ; il le peignit en 1511 pour la chapelle de Tous les Saints dans la maison des Douze Apôtres ou le cou- vent de Landauer à Nuremberg. En 1585 le conseil de la ville vendit ce tableau à l'empe- 358. Albert Dürer. — Joueur de fifre et tambour reur Rodolphe II, qul le fit transférer à (xMusée de Cologne). Prague, d'où il fut expédié à Vienne, dont il orne actuellement le Musée Impérial. La composition est assez nettement divisée en deux parties ; dans la partie supérieure on aperçoit Dieu le Père soulevant dans ses bras étendus la croix à laquelle est attaché le Sauveur ; le Saint Esprit plane au-dessus de la couronne du Père ; autour de la Sainte Trinité se presse une double légion d'anges, de saints et de prophètes, parmi lesquels la Vierge Marie avec Sainte Agnès et Sainte Catherine, Saint Jean Baptiste, David et Moïse. En bas, debout ou agenouillés sur les nues, une armée encore plus compacte de personnages de toutes les conditions, des hommes, pour la plupart des papes, un roi, un empereur, un 359- Albert Díirer. — Son portrait par lui-même (Pinacothèque, Munich). L'Ecole allemande. 337 cardinal, un chevalier et bien d'autres encore. A gauche on remarque le donateur Matthias Lan- dauer, priant, son bonnet de fourrure entre ses mains jointes; à droite Albert Diirer, tenant cette inscription : Alhertus Durer novicus faciehat a virginis partu 1511. Le chef-d'œuvre de Diirer est maintenu dans une tonalité claire et discrète et la facture en est très soignée; rien de plus majestueux que le groupe du Père et du Fils; une trouvaille de génie que le mouvement du Créateur soulevant son Fils jusqu'à lui, ses bras s'ouvrant derrière ceux de la Croix et son manteau déployé servant de fond au divin Crucifié; c'est le geste d'un père, mais c'est aussi celui d'un Dieu. Après cette composition émou- vante nous reproduisons un tableau dans le mode tendre et gracieux ; la Vierge'au Tarin (N° 355) du Kaiser Friedrich Museum de Berlin. Marie est assise, adossée à une tapisserie rouge, la main droite repose sur un grand livre, de la gauche elle prend un bouquet de muguet que lui offre un ange ; l'Enfant Jésus tient à la main un paquet de graines et contemple un tarin perché sur son bras. Deux anges déploient une guirlande au-dessus du front de la Vierge ; le petit Saint Jean- Baptiste, avec sa croix de jonc, se tient aux pieds de son divin compagnon de jeux. Au fond un paysage avec des ruines. L'artiste peignit ce tableau durant son second séjour à Venise en 1506 ; un billet étalé sur une table porte ces mots : Alhertus Durer germa- nicus faciehat post Virginis partum 1606. C'est l'un des plus ravissants tableaux que peignit le profond artiste. Marie porte un manteau bleu rejeté sur sa Tobe rouge ; son teint brun clair est eomme ambré ; elle-même, son Fils, le petit Jean, les anges, représentent autant de créatures enchanteresses, dignes de rivaliser avec les êtres déli- 360. — Albert Dürer. — Portrait de Bernard van Orley ■cieux dus aux pinceaux italiens. A la (Musée de_Dresde). rigueur ils présentent le type allemand, mais dans ce qu'il a de plus agréable, et ils ont subi visiblement le charme et la séduction de l'Italie. Deux tableaux des dernières années de la vie de Diirer sont d'un tout autre genre Il s'agit des Quatre Apôtres ou des Quatre Tempéraments, qui se trouvent à la Pinacothèque de Munich. Sur l'un on voit VEvangéliste Saint Jean et VApôtre Saint Pierre (N° 336) : sur l'autre V Apôtre Saint Paul et V Evangéliste Saint Marc (N° 357). Diirer les peignit en 1526 et il en fit don aux autorités municipales de Nuremberg, qui les placèrent dans une des salles de leur hôtel de ville ; en 1627 ces peintures furent cédées à l'Electeur de Bavière Maximilien 338 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Autant de physionomies révélatrices du caractère ; Saint Jean est doux, Saint Pierre réfléchi ; Saint Paul a le regard perçant, inquisiteur et ombrageux ; les traits de Saint Marc respirent une humeur belliqueuse et agressive. Saint Paul est évidemment le personnage Luther et les capital aux le faisaient Réformés yeux du peintre ; il le met en avant comme qui le tenaient pour le propagateur par excellence de l'Évangile : c'est dans sa physionomie que se concentre le plus d'énergie, c'est dans son manteau blanc que le peintre condense le plus d'éclat et de splendeur. Il est l'homme d'action dans toute l'acception du terme ; le glaive qu'il tient ne représente pas seulement l'arme dont se serviront ses bourreaux ; il est aussi l'emblème du bon combat qu'il livre pour le Christ. Le Joueur de fifre et le tambour (N° 358) du Meüsé de Cologne nous représentent deux figures empruntées à la vie quotidienne. Ce tableau est l'extérieur de l'un- des volets d'un triptyque que Diirer peignit pour orner l'autel de la chapelle privée de Jabach, banquier de Cologne. On ne connaît pas le panneau du milieu de ce tableau et il n'est même pas dit qu'il ait jamais été peint. Les volets montrent à l'intérieur les Saints Joachim et Josef¡)h et les Saints Simeon et Lazare, qui se trouvent à la Pinacothèque de Munich. Le Musée de Francfort possède l'extérieur de l'un de ces volets ; il représente Job sur son fumier et la femme du patriarche répan- dant de l'eau sur lui. L'extérieur de rautre volet,'c'est-à-dire le tableau qui se trouve à Cologne, nous représente deux amis de l'infor- tuné qui viennent insulter à son de la flûte et 361. Albert Diirer. — Portrait de jeune femme (Kaiser Friedrich malheur en jouant Museum, Berlin). du tambour. Certes cette inter- prétation de l'épisode biblique est assez originale, mais Diirer en aura tiré prétexte pour peindre à son gré deux joyeux drilles. Au tambour il a prêté ses et propres traits ; il l'a vêtu d'un manteau rouge de houseaux foncés; il a affublé le joueur de fifre d'un costume fort bizarre : bonnet jaune,, pourpoint vert, culotte jaune brun. A en juger par l'âge du tambour, donc l'âge de Diirer même, le tableau fut peint vers 1500. Diirer peintre excella surtout comme portraitiste ; il peignit souvent et magistrale- ment son propre portrait, dont le plus connu et le plus caractéristique est celui de la Pinacothèque de Munich (N° 359). Il s'y est représenté sous une figure inoubliable, pour ainsi dire obsédante, une véritable tête de Christ aux traits réguliers, au front L'École allemande. 339 élevé, au regard à la fois radieux et tendre, à la barbe fleurie ; le visage présente un ovale allongé beaucoup plus large du haut que du bas ; les lèvres sont charnues, serrées et pour ainsi dire saillantes ; les cheveux séparés par une raie au milieu de la tête sont ondulés et taillés court sur le devant ; le long des joues leurs longues boucles se déroulent en spirales jusque sur les épaules ; l'opulence de cette chevelure tient du prodige : Diirer devait en être fier à bon droit ; le soin qu'il en prenait et aussi la coquetterie avec laquelle il l'a peinte sont là pour en témoigner ; j amais aussi luxu- riante toison n'aura paré une autre tête humaine ; d'ailleurs tout le visage respire la plus haute distinction morale et physique ; calme et digne, conscient de sa valeur, il se prête à notre contemplation et il arrête même celle-ci avec une persistance comparable seule au charme intense et troublant des figures du Vinci. Ce merveilleux portrait ' fut peint probablement entre les années 1504 et 1505, c'est-à- dire quand le peintre avait de 33 à 34 ans. Au Musée de Dresde se trouve un Portrait de Bernard van Orley (N° 360), le peintre bruxellois, par Diirer. Les traits sont fort irréguliers, les pommettes saillantes, le men- ton non moins proéminent ; les yeux ont beaucoup de vivacité ; la main gauche tient une lettre revêtue de cette adresse : ,,Dem pern. . . . zu" (A Bernard. ... à). Au-dessus se trouvent le monogramme de Diirer et le millésime 1521. Or, en 1521, Diirer sé■'journait ^ tHtans 1 t . , , -vr 362. von Kulmbach. — L adoration des Mages dans les Pays-Bas où il eut (Kaiser Friedrich Museum, Berlin). l'occasion de voir Bernard van Orley. Au printemps de ladite année il note dans le journal de son voyage aux Pays- Bas : ,,J'ai pourtrait Bernard de Bruxelles à l'huile ; il m'a donné pour cela huit florins, il a fait cadeau d'une couronne à ma femme et à ma servante Suzanne d'un florin de la valeur de 24 sols". Dürer ayant peint aux Pays-Bas d'autres personnages portant le prénom de Bernard et ces mots ,,de Bruxelles" étant à peine déchiffrables dans son journal, à telle enseigne qu'on a aussi pu lire Bresselen ou Ressen, — on a longtemps discuté le véritable nom du modèle ; en ces dernières années seulement la concordance de ce portrait avec les 34° Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. autres images du peintre bruxellois a enfin permis de conclure positivement que ledit tableau de Diirer représente bien Van Orley, alors âgé d'environ trente ans. Il ne s'agit pas d'un chef-d'œuvre quant au coloris, la manière en est un peu sèche, mais la vie est néanmoins saisissante dans ces traits évidemment rendus d'après nature. Comme nous l'avons dit Diirer s'attachait surtout à interpréter minutieusement la vie et la réalité ; le charme et l'agrément des visages lui importent peu ; aussi ses portraits nous montrent-ils en général des personnages aux traits anguleux révélant des caractères plutôt énergiques qu'aimables. Le Portrait de jeime femme (N° 361) du Musée de Berlin, fait une saisissante exception à cette règle. On ne sait qui cette image représente ; le modèle, une brune, est coiffée avec des bandeaux, mais les cheveux relevés sur le dessus et à l'arrière de la tête en une sorte de chignon et serrés dans un filet ; deux petites nattes retombent sur les joues ; elle est décolletée et sur sa chair s'étale un large collier ; l'échancrure du corsage de dentelles est bordée d'un ruban sur lequel on lit les lettres A. D. On crut d'abord aux initiales d'Albert Diirer ; mais en y regardant de plus près on découvrit d'autres lettres encore intercalées entre ces initiales ; c'est Agnès D., qu'il fallait lire. A la rigueur les traits de la charmante inconnue sont bien d'une Allemande, mais son teint un peu brun lui ferait attribuer plutôt une origine méridionale, au bout du compte il s'agirait pourtant d'une Allemande, mais peinte au pays du soleil. En effet la manière de ce tableau révélerait que Diirer le peignit 363. Barthélémy Beham. — La Découverte de la Sainte Croix (Pinacothèque, Munich). L'Ecole allemande. 341 en 1500, c'est-à-dire pendant son séjour à Venise. Ce visage ne révèle guère l'ardeur et la passion des Italiennes, bien au contraire, nous avons à faire à une douce et tendre petite créature, à une nature rêveuse et sereine, et c'est bien ainsi que le peintre nous l'a représentée et pour mieux serrer son modèle il a adouci et affiné sa manière habituelle, trop énergique et trop appuyée pour le cas présent ; il a calmé la fougue de ses pinceaux ; il a peint à traits légers et avec des couleurs plus nuancées et plus fondues. L'influence d'Albert Dürer sur ses compatriotes, voire sur tous ses contempo- rains, fut immense : peintres, graveurs sur bois ou sur cuivre, tous le prirent pour modèle et s'inspirèrent de ses exemples. Durant tout le XVL siècle les artistes allemands demeuré- rent fidèles à sa conception de l'art et à sa manière et tous s'appliquèrent à peindre reli- gieusement d'après nature et dans des décors, au milieu d'accessoires pittoresques, des figures très caractéristiques. Un des disciples les mieux doués du grand maître \ fut Hans Suess de Kulmbach, appelé le plus souvent Hans de Kulmbach. Il naquit dans la ville à laquelle il doit son nom, en 1476 et eut pour premier maître Jacopo de Barbari, peintre vénitien venu se fixer à Nurem- berg ; puis il reçut l'enseigne- ment d'Albert Dürer et fré- quenta sans doute son atelier. Il travailla longtemps à Nurem- berg, où il s'était rendu dès sa tendre jeunesse : c'est aussi dans cette ville qu'il vint mourir 364. Albert Altdorfer. ■— La Fuite en Egypte (Kaiser Friedrich V • en 1522 Museum, Berlin)' . après avoir vécu quelque temps à Cracovie. Une de ses œuvres principales est VAdoration des Mages du Kaiser Friedrich Museum de Berlin (N° 362). Les figures sont traitées magistralement, mais chacune d'elles, très accentuée, tend à se faire valoir aux dépens des autres et attire l'attention par un détail outré dans sa personne ou dans sa mise ; la facture est soignée et adroite, les couleurs bigarrées mais un peu sourdes. Le tableau porte le millésime 1511 et le monogramme du peintre. Parmi les disciples d'Albert Dürer on compte aussi Barthélémy Beham. Né en 1502 342 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. à Nuremberg, il en fut banni en 1524 avec son frère aîné Hans Sebald Beham et Georges Penz, deux peintres de la même école, et ne retourna jamais dans sa ville natale. Appelé à la cour du duc Guillaume IV de Bavière, il fut envoyé par celui-ci en Italie pour se perfection- dans son art ; il y demeura jusqu'à sa mort survenue en 1550. Il exécuta ner de nombreux ouvrages pour son protecteur, entre autres la Découverte de la Sainte Croix (N° 363), qui se trouve à la Pinacothèque de Munich et qui est le seul tableau qu'il ait signé. Cette œuvre représente le miracle témoignant de l'authenticité de la croix retirée de dessous terre. On approche cette croix de la poitrine d'une femme morte étendue sur une civière; a,u con- tact de la relique la défunte recouvre la vie, elle ouvre les yeux, elle écarte les mains avec une j oyeuse surprise tandis que de nombreux assistants partagent son allégresse et son ravisse- ment. Sur le sol, à gauche, on aperçoit les armes du duc Guillaume IV et à côté le millésime 1530 et la signature Barîholome Beham. Le tout est encore traité en majeure partie dans la manière d'Albert Dürer: minutieuse étude des traits de la physionomie, expression très ressentie, dessin appuyé, coiffures et vêtements étranges ou recherchés ; mais il se prononce néanmoins 365. Lucas Cranach.—La Fuite en Egypte (Kaiser Friedrich Museum, Berlin). une tendance verS pluS de régularité dans les figures principales, un vague souci de la beauté italienne ; les couleurs encore déplaisantes, peu harmonieuses, présentent des reflets factices. En somme Barthélémy Beham, tout comme Dürer, et leurs descendants, est plutôt un dessinateur et un graveur qu'un peintre ; ses nom- breuses eaux-fortes possèdent une finesse et un éclat qui les placent infiniment au-dessus de sa peinture. La Fuite en Egypte (N° 364) d'Albert Altdorfer qui se trouve au Kaiser Imiedrich L'École allemande. 343 Museum de Berlin compte bien parmi les plus beaux tableaux de l'époque et de l'art aile- mand en général. La délicieuse fantaisie, la facture pimpante, l'agrément des accessoires et des détails, la vie vibrante que nous admirons dans les eaux-fortes et les gravures de l'école se retrouvent ici à un très haut degré dans la peinture. L'œuvre se recommande autant par le charme et l'agrément de la conception que par le brio et la saveur de l'exécution. Une de ces fontaines monumentales dont la Renaissance fut si prodigue s'élève au côté gauche' du tableau ; au milieu de la vasque merveilleuse- ment sculptée s'élève une colonne surmontée d'un Hercule avec un Cupidon et aux flancs de laquelle s'enroule une guirlande d'autres gra- deux Amours, sur le bord et dans les ondes de la fontaine folâtrent et s'ébattent des anges ailés ; l'Enfant Jésus ^ Sur les genoux de sa mère semble impatient de se dégager de l'étreinte maternelle pour se mêler aux jeux des petits cama- rades que lui envoie le hasard. Lucas Craxach le Vieux n'a pas donné une version moins origi- nale et charmante de la Fuite en Egypte (N° 365) dans un tableau qui se trouve également au Kaiser Friedrich Museum de Berlin. Marie se repose dans un paysage mon- tagneux, couronné de quelques grands arbres isolés ; l'Enfant Jésus tend avidement les mains ^ ôô —• . Mathias Grünewald. Saint Maurice et saintJErasme vers des fraises qu'un (Pinacothèque, Munich), ange lui apporte dans un plat ; à l'avant-plan un groupe de petites anges chantent ou jouent de la flûte ; à gauche un ange approche un perroquet en le tenant par les ailes; plus haut un autre enfant céleste recueille dans une coquille le filet d'eau pure jailli de la roche. Comme dans le tableau précédent Marie incarne une bonne petite mère toute simplette et touchante. Joseph aussi est un humble et fruste paysan, mais rien de plus délicieux que l'essaim de ces enfants folâtres. Le paysage avec son sapin aux branches dentelées et son bouleau au tendre 344 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. feuillage, concourt à l'impression fort décorative. Le tableau est daté de 1504 ; c'est le plus ancien et le plus ravissant des tableaux connus du maître qui, né en 1472, à Cranach, petite localité de Franconie, était donc dans toute la force de l'âge et du talent quand il exécuta ce chef-d'œuvre. Il passa la plus grande partie de sa vie à Wittemberg, à la couir de l'électeur de Saxe ; il mourut à Weimar en 1553, à l'âge de quatre-vingt-un ans. Mathias Grünewald occupe une place à part parmi ses confrères et compatriotes. Les Allemands l'appellent souvent leur Corrège parce que, à l'encontre de la majorité des peintres germaniques qui sont avant tout des dessinateurs, il se distingua aussi comme coloriste, épris de couleurs et de lumières éclatantes, sensible aux caresses des nuances, aux 367. Hans Baldung Grün. — L'Adoration des Mages (Kaiser Friedrich Museum, Berlin). caprices des clairs et des ombres. Le Corrège avait en effet trouvé dans les êtres et les objets un prétexte à des oppositions de lumière et d'ombre et à des déploiements de couleurs harmonieusement fondues ; Grünewald témoigne des mêmes préoccupations, seulement chez Le Corrège ces prestiges de la couleur et de la lumière sont inséparables de la beauté des formes et de la délicatesse des sentiments ou interviennent d'autres fois pour faire valoir l'imprévu, l'audace d'un geste ou d'une attitude alors que Grünewald, tout à fait insensible à la beauté, loin de répudier les formes brutales, verse même parfois dans un réalisme répugnant. On classe ses Saint Maurice et saint Erasme (N° 366) de la Pinacothèque de Munich parmi ses tableaux les plus remarquables. Les couleurs sont éclatantes, mais non imprégnées de L'Ecole allemande. 345 lumière, pas la moindre trace du charme et de la séduction d'un Corrège ; les figures sont plutôt lourdes et leur accoutrement d'un goût barbare. Hans Baldung Grün est un des maîtres allemands du commencement du XVB siècle les plus avantageusement connus. Quoique son séjour à Nuremberg ne soit point prouvé, ses relations avec Dürer sont incontestables ; non seulement on reconnaît l'influence du grand maître dans ses tableaux et dessins, mais les rela- tions personnelles des deux artistes nous sont prouvées de la façon la plus probante. Il fut aussi un des principaux et des plus féconds de ces graveurs qui, comme nous l'avons dit, valu- rent son plus grand lustre à l'école artistique aile- mande. En 1507 Hans Baldung Grün peignit deux triptyques dont l'un, le Martyre de Saint Sébastien, porte son mo- nogramme ainsi que le millésime,et dont l'autre, une Adoration des Mages (N° 367), se trouve au Kaiser Friedrich Mu- seum. Dans le panneau principal de ce dernier triptyque, contrairement à la plupart des illustra- tions du même sujet, les mages ne sont pas accom- pagnés de leur suite. Tous trois sont peints avec un soin tout parti- culier et vêtus de costu- „ , , 368. Hans Holbein le Vieux. — Sainte Barbe et éblouissants Sainte mes de Elisabeth COU- (Pinacothèque, Munich). leurs, richement brodés et d'une coupe originale; le vert, la couleur favorite du peintre, joue le rôle principal dans l'étoffe rayée servant de manteau au roi nègre ; le bonnet d'un des autres rois est vert aussi et une teinte verte est d'ailleurs répandue sur tout le tableau. Le volet de droite représente Saint Maurice, le chevalier Maure, armé de pied en cap ; le volet de gauche nous montre un Saint Georges à la chevelure aussi luxuriante que celle d'Albert Dürer. L'École allemande. 347 L'âge d'or de l'art allemand se clôture avec éclat par la dynastie des Holbein. Ils furent quatre : Hans Holbein le Vieux et son frère Sigismond, avec les deux fils du premier, Hans Holbein le Jeune et son frère Ambroise. Sigismond et Ambroise n'ont guère laissé de traces dans l'histoire de l'art. Par contre Hans le Vieux fut un maître éminent, et quant à Hans le Jeune il rivalise avec Albert Dürer même, à la tête de tous les peintres de l'Allemagne. Hans Holbein le Vieux naquit vers 1473 à Augsbourg et il y vécut jusqu'en 1524. Il laissa de nombreux tableaux, dont le plus ancien porte le millésime de 1493. On ignore quel fut son maître dans sa ville natale, mais il est certain qu'il subit l'influence du peintre et graveur sur cuivre Martin Schongauer, né à Colmar d'une famille d'Augsbourg. Hans Holbein le Vieux peignit de nombreux tableaux d'église dont encore un plus complaisance par plu avenantes parvenu les talent. Un une preuve heureuse ce tableau en pour le panneau H le Martyre de Sébastien gauche Sainte Barbe de Sainte Elisabeth (N° 368). Ces deux volets dégagent une telle de une de que cru une collabo- IHIIHHliiiHIii^^^^^HiH^^H^^^H^I^^^^^H ration de Hans Holbein le Jeune . 370. Hans Holbein le Jeune. — Portrait de Morette (Musée de avec son père, hypothèse Dresde), que corroboreraient les motifs déco- ratifs exécutés en dessous et au-dessus des deux figures. Hans Holbein le Jeune naquit à Augsbourg en 1497, il dut se rendre de bonne heure à Bâle, car il exécuta dans cette ville un dessin pour le frontispice d'un livre. Il s'affirmait déjà comme un dessinateur de talent et dans le cours des années il partagea son activité entre le dessin et la peinture ; ses frontispices ou titres de livres, ses vignettes, sa danse macabre, ses alphabets sont de purs bijoux. A tout prendre Dürer le surpassa peut-être comme dessinateur, mais en revanche Holbein l'emporta comme peintre sur son illustre prédécesseur. A Bâle il fut chargé de décorer les parois de la grande salle de l'hôtel de ville, œuvre anéantie, hélas, par l'humidité, de même que les peintures dont il revêtit quantité de façades à l'imita- 348 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. tion de ce qui s'était fait dans le Nord de l'Italie. Il exécuta aussi quantité de cartons pour des vitraux. En 1526 il partit pour Londres, où il travailla de longues années pour la Cour et où il demeura jusqu'à sa mort survenue en 1534 ; il ne s'absenta que trois ans de Londres pour retourner et séjourner à Bâle. Comme portraitiste il rend ses modèles avec une vérité pénétrante qui les fait encore revivre à nos yeux, et avec une conviction, une puissance et une noblesse qui les élèvent à la taille et à la signification de personnages supérieurs ; peut-être semblent-ils parfois un peu gourmés et vêtus avec parcimonie, mais leurs traits sont empreints d'une telle énergie qu'on les croirait capables de disposer des destins du monde ; la force et la consistance de couleur que leur donne le peintre conviennent absolument à des personnages de leur importance. Comme dessinateur Holbein est plus éveillé et plus enjoué ; il déborde même de fantaisie; il sym- pathise avec la vie et les êtres quotidiens et il les met en scène avec unnatu- rel et une soiiplesseadora- bles. Comme décorateur il s'affirme l'adepte fidèle et enthousiaste de l'art élégant et radieux entre tous, de la Renaissance. Parmi toutes les œuvres de Hans Holbein réputée est la Madone du bourg- mestre Meyer (N° 369). oiys- Jacob Meyer fut bourg- ^ A^K)RaAÇCH(V.M mestre de Bâle de 1516 à V* V XK. PRiD-mwai 1521 ; après quoi il fut déposé et emprisonné pour avoir accepté du roi de France un subside dépassant les 15 couronnes réglementaires; il finit par être relâché, mais, en tant que chef du parti catho- lique dans une ville toute 371. Hans Holbein le Jeune. — Boniface Auerbach (Musée de Bâle). acquise à la Réforme il fut encore inquiété plus d'une fois avant 1530, année approximative de sa mort. En 1516 Holbein l'avait peint une première fois avec sa seconde femme ; en 1528 il le peignit avec sa première femme, Madeleine Ber, avec sa seconde femme Dorothée Kannegiesser, avec la fille de cette dernière et ses deux fils. Le personnage principal, ses deux femmes et sa fille sont agenouillés, en adoration devant la Vierge placée au milieu du groupe avec l'Enfant Jésus sur les bras. Il existe deux exemplaires de ce tableau ; le premier, le moins connu, se trouve au palais grand-ducal de Darmstadt ; l'autre, beaucoup plus célèbre, au Musée de Dresde. Ce dernier, tenu longtemps pour une œuvre originale et estimé un des joyaux dudit Musée, ne serait décidément, après des examens et des comparaisons approfondies, qu'une copie exécutée cent ans plus tard et d'après l'œuvre authentique, celle de Darmstadt est bel et bien L'Ecole allemande. 349 le chef-d'œuvre de Holbein. Un ensemble de précieuses et sereines couleurs se détachant sur un tapis de Perse rouge ; une ferveur d'expression ineffable chez le donateur, ses deux épouses et sa fille ; un'contraste réussi entre ces personnages en prières et les délicieux enfants, le geste à la fois plein de tendresse et de dignité de la Madone, tels sont les principaux éléments concourant à faire de ce tableau un pur et absolu chef-d'œuvre de l'art allemand. Le portrait de Morette (N° 370) du Musée de Dresde passe pour le plus remarquable de ceux peints par Holbein. L'artiste le peignit à Londres pendant le second séjour qu'il fit en Angleterre. Sur la foi d'une gravure on tint d'abord ce portrait pour celui d'un certain Hubert Morett, orfèvre à Londres, depuis il a été établi qu'il s'agit de M. de Morette, gentilhomme français, qui se trouvait à la cour en |H||||||||H|||||||||||HH brun-roux la une sur sa La main gauche, gantée, lin poignard richement doré et ciselé, le personnage se détache sur un rideau vert, l'expression est ^," -sévère, l'attitude un peu gourmée, mais le visage présente des teintes v -exquises; la couleur sobre est pour- tant harmonieuse opulente. Le portrait de Boniface Auerhach (N° 371) du Musée de -, Bâle compte aussi parmi meilleurs du vieux maître. Auerhach était un savant origi- naire de Bâle, Holbein le peignit, de profil, en 1519. Les agréables les yeux brillent la la HIH^^^^II^^HI^^HHHhiHHHÍÍIÍÍ^HÍIHI ■chevelure et la barbe ont été , ., , . tlaltees T T , 372. Christophe Amberger. — Portrait de Sébastien Munster avec le plus grand soin (Kaiser Friedrich Museum, Berlin). attestant à quel point l'artiste, ■seulement âgé de vingt-deux ans, était déjà devenu maître de son métier. Sur le côté, un écriteau pendu à un arbre porte une inscription en vers latins ■célébrant l'art du peintre et la ressemblance du portrait ; elle nous donne aussi l'âge du modèle et la date d'exécution dudit portrait. Christophe Amberger fut aussi un portraitiste de premier ordre qui rivalisa même avec Holbein. Il était né vers 1500 ; il fut reçu en 1530 dans la ,,gilde" des peintres et il mourut en 1561 ou 1562. Le Kaiser Friedrich Museum de Berlin possède de lui un portrait très réussi et très original du cosmographe Sébastien Munster (N° 372) peint en 1552- 35 o Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Le vieux savant pose une main sur une table, cou- verte d'un tapis rouge, il porte un bonnet noir, un manteau noir bordé de fourinre, une robe rouge et une chemise blanche. Ce qui frappe surtout dans ce portrait c'est le teint très clair, la chemise d'nne blancheur éclatante, le cou peut-être plus blanc encore, bref toute une harmonie de blancs, qui ressort avec un vif éclat sur un fond veit très clair aussi. Les traits sont accentués et pourtant . moelleusement dessinés 373, Adam Elsheimer. — Jupiter et Mercure chez Philemon e^t „Baucis ; ^ . (Musée de Dresde). regaid est a la fois tendre et pénétrant. Il nous faut faire à présent un saut de près d'un demi-siècle avant de rencontrer de nouveau un artiste allemand de réelle valeur, mais il s'agit d'un maître d'une signification et d'une originalité extraordinaires. Adam Elsheimer naquit en 1578 à Francfort ; et il partit de bonne heure pour l'Italie ; en 1600 il se trouve à Rome où il travailla jusqu'en 1620, année de sa mort. Son art diffère essentiellement de celui de ses compatriotes rencontrés jusqu'à présent. D'abord il peint de petits panneaux, des sortes de miniatures avec le soin et la' coquetterie qui cou- viennent à des tableaux d'un format réduit ; de plus, nous avons à faire à un coloriste de premier ordre qui assure un vigou- reux éclat aux contrastes de l'ombre et de la lumière. Sa manière, quelque mi- nutie et finesse microsco- piques qu'elle comporte, conserve toutefois une cer- taine ampleur et une réelle souplesse ; c'est un peintre à la fois raffiné et puissant, un maître presque unique dans son genre en Aile- magne, qui a exercé une grande influence, non seu- lement sur ses compa- triotes, mais aussi sur les 374- Adam^Elsheimer. — La Fuite_en7Egypte (Musée de Dresde). r L'Ecole allemande. 351 artistes de bien d'autres pa^^'s, qui adoptèrent les tons éclatants et la facture savoureuse de ses petits panneaux ; parmi ces disciples nous citerons Jacob van Swanenburch et Pieter Lastman, les maîtres de Rembrandt. Par eux le glorieux Van Rijn prit aussi pour exemple à ses débuts les petits tableaux du miniaturiste allemand. Rubens aussi tenait Elsheiiner en très haute estime et il copia même une de ses œuvres ; enfin Claude Lorrain apprit à voir la nature italienne par ses yeux. Il serait difficile d'établir chez qui Elsheimer même apprit son art ; on présume qu'il subit jusqu'à un certain point l'influence de Paul Bril, le paysagiste anversois, qui habitait à Rome avec lui et qui peignait des paysages excessivement détaillés. Pour ses éblouissants effets de lumière il eut sans doute pour maître Le Corrège, le luministe italien par excellence. Elsheimer fait au paysage la part la plus large ; souvent même il ne peint que cela. Le Musée de Dresde possède trois tableaux de lui, dont deux perles. L'une représente /upiter et Mermre chez Philemon les toute par dérogation au protocole olympien ils se sont installés confortable- ment au foyer de leurs hôtes, un couple de dignes et laborieux artisans. En dehors de son savoureux réalisme le tableau se v recommande aussi par son éclairage, mais il s'agit avant tout d'une conception et d'une vision artistiques nouvelles. La vérité et le naturel reprennent le dessus, le monde d'abord un peu surpris par Hjr cette révolution s'y ralliera bel et bienàtelle V y enseigne que l'art des générationssuivantes V i V {\¿jUí ne pourra même plus s'en affranchir. P s La Fuite en Egypte (N° 374) est le i ^ second de ces petits chefs-d'œuvre. Llshei- i mer traita souvent ce sujet populaire entre i tous, il lui fournissait l'occasion d'évoquer Ë de merveilleux paysages et de répandre sur |k la Sainte Lamille les caresses d'un radieux soleil ou d'une lune attendrie. Le plus . , . ■; 375. Raphaël Mengs. — Amour aiguisant une fleche souvent, en effet, la scène se passe a la (Musée de Dresde). clarté de la lune ; par exception le tableau de Dresde nous montre les augustes voyageurs en plein jour. Avec un mouvement d'une tendresse et d'une sollicitude émouvantes Joseph prend l'Enfant des bras de Marie et le presse contre son cœur. Un intervalle d'années, plus long encore, s'écoulera en Allemagne entre Elsheimer et un autre peintre de réel prestige. La seconde moitié du XYID siècle et la première moitié du XVIID abondent en peintres de valeur moyenne, en réputations locales, sans qu'aucun nom mérite de passer à la postérité ; l'art dégénère et tombe dans la routine et la convention. Pendant la seconde moitié du XVIID siècle nous voyons surgir exceptionnellement un créateur, un novateur : Antoine Raphael Mengs. Il naquit à Aussig en 1728, son père, artiste lui-même, désireux de le soustraire à l'influence énervante de 1 art rococo et de retremper son goût en l'initiant aux chefs-d'œuvre des grandes et viriles époques de 352 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. l'Antiquité et de la Renaissance italienne, eut le bon esprit d'emmener le jeune Antoine, alors âgé de treize ans, avec lui à Rome. Il l'y retint trois ans en éveillant et en entretenant sa fer- veur pour les princes de la peinture italienne, surtout pour le Corrège et Raphaël. Ensuite ils retournèrent à Dresde où le fils fut nommé peintre de la Cour en 1745- L'année d'après le jeune homme repartit avec son père pour Rome où devait s écouler désormais la plus grande partie de sa carrière et où il mourut en 1779. C'est à peine s'il avait quitté deux fois la Ville Eternelle pouf faire deux séjours, chacun de quelques années, de dix ans en tout, à Madrid. A une époque où les peintres miniaturistes étaient très recherchés il fut le plus célèbre d'entre eux ; il rompit avec la routine qui régnait, il fit renaître l'art classique et s'il ne créa pas des chefs-d'œuvre d'une portée transcen- dante, du moins ouvrit-il à l'art allemand, et même à l'art européen en général, de nouvelles perspectives II rappela l'art allemand au souci de la grandeur et de la noblesse, il l'éleva au- dessus des contingences mondaines et frivoles. Son délicieux pastel du Musée de Dresde : Amour aiguisant une fliche (N° 375), œuvre de coloris vivace et d'un senti- ment délicat, procède directement de l'étude des maîtres italiens ; les ailes du jeune dieu resplendissent de teintes aux subtils reflets ; il a les reins ceints d'une draperie rouge; tout en affilant la pointe de sa flèche, il interroge le ciel d'un regard à la fois extatique et con- fiant. On n'imagine point plus charmante tête bouclée, expression plus touchante et plus mutine. Depuis longtemps l'art allemand n'avait plus produit tant de vie et de beauté. Angélique Kauffmann présente beaucoup de points de contact, mais plus de divergence encore avec Raphaël Mengs. Cette femme peintre naquit à Coire, en Suisse, en 1741 ; son père, un peintre aussi, allemand de naissance, la prit de bonne heure avec lui en Italie où il l'éleva dans le culte des génies de l'âge d'or. Elle vécut successivement à Rome et à Venise puis à Paris et à Londres, elle passa les trente dernières années de son existence dans la Ville Eternelle où elle décéda en 1807. Elle s'assimila la distinction et le charme de l'art italien, mais sans devenir classique pour cela ; son art demeura essentiellement féminin et d'une délicatesse toute inhérente au XVIII® siècle ; cette délicatesse ne dégénère pourtant pas en mièvrerie ou en galante frivolité, ses figures ont une beauté plus digne et plus relevée que celles des peintres de joliesses de son époque. Elle peignit des portraits et aussi des tableaux historiques. Selon le goût du jour elle drape ses portraits de femmes à l'antique. Un des plus réussis est le Portrait de femme en vestale (N° 376) du Musée de Dresde ; la prê- tresse, gardienne du feu sacré, tient d'une main sa lampe symbolique et relève de l'autre main les plis de son voile virginal ; une souveraine distinction émane de cette figure, pourtant pleine de naturel et de simplicité, et à qui le costume classique s'adapte sans révéler un déguisement ■ou sans choquer comme un anachronisme. GAINSBOROUGH. „Madame Siddons." (Musée National, Londres.) L'ÉCOLE ANGLAISE. T~\URANT des siècles la peinture ne fut cultivée, en Angleterre, que par des artistes étran- -■-^gers, surtout par des portraitistes appelés à la cour par les rois et qui peignirent les princes et les grands du royaume. Ainsi au XVL siècle l'Allemand Hans Holbein le Jeune était attaché à la cour de Henri VIH et, au XYIL siècle, le Flamand Antoine van Dyck fut le peintre favori de Charles I®^. Plus tard encore, sous la Restauration des Stuarts ce sont deux Allenrands, Pierre Lely et Godefroy Kneller, qui nous représenteront Charles II et sa cour. Une légion d'autres peintres allemands, français, flamands, hollan- dais et italiens font un séjour plus ou moins long à. Londres et y produisent •des œuvres dans tous les genres. Beau- coup forment des élèves ou des disciples anglais de naissance, mais aucun ne possède assez d'originalité pour créer une véritable école, orr même assez de talent pour laisser un nom parmi les maîtres. Ce n'est qu'au XVIIH siècle, quand l'art sera tombé en déca- •dence partout ailleurs qu'une École nationale naîtra en Angleterre, école d'où seront sortis avant la fin de ce siècle plusieurs maîtres occupant dans •certains genres le premier rang parmi les peintres contemporains L'Angleterre finit donc par tenir momentanément, dans le domaine de l'art, ce premier rang qu'elle s'était assuré au point de vue de la puissance politique et de la prospérité commer- ■ciale. Les maîtres étrangers les plus recherchés autrefois en Angleterre avaient été des portraitistes ; de même •ce fut aussi dans le portrait que de- 377- William Hogarth. — Portrait du peintre, par lui-même vaient exceller les meilleurs peintres (ISational Gallery, Londres), anglais du XVHI® siècle, à commencer par Reynolds et Gainsborough. Le premier artiste britannique méritant d'attirer notre attention est William Hogarth, qui naquit à Londres en 1697 et mourut en 1764. Il apprit la gravure chez un orfèvre et reçut les premières notions de peinture chez Thornhill. Dès le début et durant toute sa vie il fut avant tout un graveur et un dessinateur, aussi le dessin a-t-il plus d'importance dans sa peinture que le coloris. Mais ce fut un artiste éminemment original et national. Il avait commencé par peindre des portraits dans lesquels il apportait un grand souci du caractère et de la réalité. Il s'attacha à traiter la peinture en romancier moraliste, à la façon de De Foë et de Richardson ; aussi la plupart de ses 23 354 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. tableaux sont des prédications contre le vice. Souvent ils composent une série progressive,, une suite en plusieurs scènes, comme les images d'Epinal. Hogarth a peint et gravé, par exemple, les aventures d'une courtisane {the Harlot's Progress), la carrière d'un débauché,, le Mariage à la Mode, le Travail et la Paresse, les Buveurs de Punch, le Combat de Coqs, etc. Toutes ces scènes traitées avec un humour mordant, avec une verve satirique digne des. se grands pamphlétaires de l'époque, celle d'un Swift par exemple. Mais, fatalement, l'art ressent de ces visées et de ces préoccupations utilitaires. Le beau désintéressé n'y intervient qu'en seconde ligne. C'est dans le portrait que Hogarth est le plus artiste et si ses scènes- de mœurs ont une valeur, c'est par quelques types, quelques personnages isolés plutôt qu'au point de vue de l'ensemble ef de la composition. Ce sera par exemple dans le Mariage à la Mode, le geste douloureux du vieil intendant qui prévoit la ruine de la maison et s'en va les mains levées au ciel ; ou ailleurs la bêtise brutale et sensuelle du galant qui, étalé sur un fauteuil, chante à plein gosier pendant qu'on l'attife. Le portrait de Hogarth par lui-même (N° 377) qui se trouve à. la National Gallery, compte parmi ses chefs-d'œuvre ; ce visage exprès- sif, austère, vaguement douloureux est inoubliable. La physionomie du chien, le fidèle compagnon du peintre,. respire presque la même gravité que celle de son maître. Hogarth ne fut pas toujours insensible à la grâce et au charme, comme l'atteste sa Marchande de- crevettes (N° 378) de la même galerie. La sémillante enfant du peuple, la manne sur la tête, vêtue de ses humbles nippes de travail, rit à pleines lèvres en découvrant deux 378. William Hogarth, — La ^Marchande de Crevettes 1 , , , t -,, t _ i (National ^ngees de perles. Elle exhalê la Gallery, Londres). joie de vivre, la santé, la candeur et la jeunesse plébéienne. En son esprit Hogarth l'opposait sans doute aux beautés fardées et libertines de la cour et de la ville. Richard Wilson ouvre la série des paysagistes anglais : né en 1714 à Pinegas, dans le comté de Montgomery ; après s'être exercé à peindre la figure il se transporta en Italie et s'y appliqua à l'étude du paysage décoratif en subissant visiblement l'influence de Claude Lorrain, du Poussin et enfin de Joseph Vernst, qui se trouvait en Italie en même temps que lui. En 1755 A recint à Londres et se consacra exclusivement au paysage. Il mourut en 1782 à Llanberis dans la principauté de Galles, où il avait pris sa retraite. Peu apprécié de son vivant, sa renommée s'étendit après sa mort ; sans être aussi original que celui do L'École anglaise. 355 ses successeurs son art, visiblement influencé par Claude Lorrain, s'impose déjà par l'intro- duction de l'élément réaliste et une discrète observation de la nature. Il représente surtout des vues italiennes. Telle, ce Lac d'Averne (N° 379) de la National Gallery ; on sait le rôle de ce lac dans la Fable ; c'était là l'entrée des Enfers, on s'y embarquait pour traverser le Styx ; de sombres forêts en dissimulaient les rives éloignées ; nul vivant ne se serait aventuré sur ces eaux sinistres : aujourd'hui l'aspect en a bien changé : les bois noirs sont tombés sous la cognée ; les grottes souterraines hantées par l'humanité primordiale firent place à de riantes villas ; les fantômes se sont dissipés à l'apparition de la lumière. L'Averne peint par Wilson participe encore des deux natures ; ce n'est pas un lieu sinistre, mais ce n'est pas encore un endroit enchanteur. L'aspect. 379. Richard Wilson. — Le lac d'Averne (National Gallery, Londres). général demenre sévère et grandiose : le lac s'étale à l'avant-plan, le golfe de Naples au fond de sa perspective. L'œuvre respire la vérité, le paysage peint d'après nature ; il y règne un sentiment très protond. Joshua Reynolds est le premier des très grands peintres anglais. Il naquit à Plympton en 1723 ; il débarqua à dix-huit ans dans la grande ville où, après avoir pris durant quelques années les leçons d'un portraitiste médiocre, il se mit en 1743 à peindre pour son propre compte. En 1749 il fit le traditionnel voyage d'Italie et il passa trois ans à étudier Michel-Ange à Rome et Le Titien à Venise, mais peut-être à son insu subissait-il plus impérieusement encore l'influence des coloristes flamands, Rubens et Van Dyck. Le succès, la vogue l'attendaient dès son retour au pays ; les Anglais possé- daient enfin un vrai peintre sorti de leur race et capable de les sentir et de se les assimiler Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. profondément. Il peignit par centaines les portraits des grands de son époque. Le loi le nomma peintre de sa cour en 1784 et il mourut en 1792 comblé de richesses et de faveurs. Ses portraits d'hommes ont du caractère, ses femmes le charme et la séduction des anglaises idéales. Le peintre se double d'un psychologue. Il a rendu la nature humaine dans toute sa variété et dans tous ses aspects : l'innocence de l'enfant, la noblesse et l'élégance de la femme, la tendresse et la joie maternelles, la rêverie virginale, la crânerie du guerrier, les raffinements de l'artiste ; et toutes ces caractéristiques sont rendues en tons fermes et radieux, sans rudesse, sans effort ; retrouvant les caresses et le moelleux de la chair traitée par les martres flamands. S'il avait pu faire sa vo- lonté, s'il n'avait été accaparé et absorbé par les commandes de portraits, il se fût sans doute con- sacré pour une bonne part à la Henpeinture historique, mais on ne lui en laissait guère le temps et, en outre, on prisait moins ce genre d'ouvrages ; à vrai dire ils sont inférieurs à ses portraits ; ils valent par le coloris et la composition, mais ils se ressentent des influences académiques de l'Italie et de la France. Le paysagiste de goût et de pratique se révèle dans les fonds de ses tableaux ; avant lui nul peintre ne s'appliqua avec plus de persévérance et d'assiduité à la technique de son art, dans sa jeu- nesse il avait fourni d'excellents articles à une revue dirigée par son ami le fameux docteur Samuel Johnson et non moins marquants furent les quinze discours pronon- 380. Joshua Reynolds. — Portrait de Lord Heathfield cés de I769 à I79O aUX distribu- (National Gallery, Londres). tious des prix de la Royal Academy, ses notes sur la Peinture de Du Fresnoy, la relation de son voyage en Flandre et en Hollande. Le Portrait de Lord Heathfield, le défenseur de Gibraltar, qui se trouve à la National Gallery (N° 380) témoigne de l'originalité avec laquelle il conçoit un personnage et aussi de la maîtrise avec laquelle il en dégage la caractéristique ; le héros ressort sur le tumulte de la mer agitée et du ciel orageux, calme et inflexible comme le destin même ; à ses côtés les canons n'attendent que son commandement pour vomir la mort et la destruction. Fruste et tout d'une pièce le personnage a revêtu sans la moindre coquetterie l'uniforme richement chamarré, sa perruque et son visage semblent taillés d'un seul bloc, ses petits yeux ombragés d'épais somcils scrutent la distance, sa bouche aux lèvms fines et serrées ne doit s'ouvrir L'Ecole anglaise. 357 que pour prononcer des paroles décisives ; toute sa pei sonne se concentie en un seul geste : il tient à la main une énorme ciel d'or, celle de la ville. Cette clef est même livée à son poignet par une chaîne ; la patrie aussi bien que l'ennemi sait que jamais il ne lâchera cette clef, elle n'est pas un symbole, ou, du moins, elle fait si intégralement partie de son individu, qu'elle a tout le caractère de la réalité. Le Portrait de la Duchesse de Devonshire avec son enfant (N° 381) appartient à un tout autre genre ; il fait partie de la galerie du duc de Devonshire à Chatsworth ; Rey- nolds avait déjà peint la duchesse en 1769, lorsqu'elle n'était qu'une fillette de douze ans, avec sa mère la comtesse Marguerite Georgina Spencer ; à présent, en 1785, elle est mère à son tour et elle joue avec son enfant, la future comtesse de Carlisle. Il ne s'agit pas d'un simple portrait, mais d'un groupe plein de vie : une dame d'une beauté aristocratique, en négligé élégant, oubliant tout l'univers pour ne s'occuper que de sa bambine, jouant elle- même comme une enfant et prenant plaisir à la joie du bébé ! La petite lance les bras en l'air, se trémousse sur les genoux; de la maman et pousse des cris de joie. Les deux êtres sont confondus dans la même allégresse. La peinture rivalise avec la conception : le relief de la mère sur le fond sombre 381. Joshua Reynolds. — Portrait de la Duchesse Georgina de Devonshire avec son enfant (Galerie du duc de Devonshire, à Chatsworth). 358 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. est plus accusé ; le bébé traité avec plus de moelleux dans ses vêtements clairs tranche sur le ciel foncé. La duchesse de Devonshire était réputée pour sa haute culture et son amour de l'art; Reynolds la peignit à plusieurs reprises. Son portrait de jeune fille se trouve à Londres, à Devonshire House ; une réplique de celui qui la représente avec sa fillette est au château de Windsor. Le portrait de Mistress Siddons (N° 382), la fameuse tragédienne, que l'on admire dans la collection du duc de West- minster, dite la Grosvernor Galler^g nous fournit un troisième échantillon de la conception et de la manière si variées de Reynolds. Assise dans un fauteuil monumental la comé- dienne trône dans les nuages ; derrière elle deux figures personnifient la tra- gédie. L'actrice prend une pose souve- rainement dramatique, accoudée aux bras du fauteuil et le regard levé vers le ciel. On n'imagine pas attitude plus. éloquente ; le corps repose majestueusement ; les formes dispa- raissent dans la souplesse des plis d'une toilette sans apprêt. Les mains se désintéressent de tout geste. L'esprit de la tragédie a pris entière- ment possession de l'âme et du corps de l'inspirée, son regard extatique cherche à sonder les mystères mêmes du sublime. Il existe aussi plusieurs répliques de ce merveilleux portrait. En- dehors de l'exemplaire ornant Grosvernor Gallery il s'en trouve un à Dulwich College que nous repro- duisons ici. 'El La Fillette aux Fraises (N° 383). du Musée. Wallace montre de nouveau le talent du maître sous un 382. Joshna Reynolds. ■— Mistress Siddons, la tragédienne , ■ , , - autre (Dulwich Collette) jour. Lt a x x petite portxe ^^,, son panier de fraises suspendu au bras droit, le regard de ses grands yeux noirs a quelque chose de farouche comme si elle craignait qu'on lui dérobât son trésor. Quelle candeur, d'autre part, quel délicieux naturel dans ce visage et toute cette mignonne créature! Elle est vêtue tout de blanc, un mouchoir jaune noué autour des cheveux. Elle se détache en tons clairs et discrets sur une roche sombre dont la couleur se dégrade harmonieusement vers une échappée sur le paysage. Quel abîme de sentiment et de facture entre cette frêle et touchante bambine et ce guerrier implacable rencontré plus haut, quelles antithèses aussi nous ménage cette mignonne en présence de cette heureuse mère et de cette muse tragique rencontrées tout à l'heure ! 383- Joshua Reynolds. •—■ La Fillette aux Fraisesy(Musée Wallace, Londres). r L'Ecole anglaise. 361 Les Trois Grâces ornant la Statue de l'Hymen (N° 384) se trouvent à la National Gallery. La statue se dresse à la lisière d'un bocage ; les trois Grâces se mettent en devoir de suspendre une guirlande de fleurs. Le soin que Reynolds a mis à varier harmonieusement les gestes de ses personnages, le mouvement même un peu théâtral de celle qui soulève les fleurs au-dessus de sa tête, trahit l'étude approfondie que l'artiste fit des chefs-d'œuvre antiques ; mais, par contre, l'action naturelle et aisée des deux autres femmes appartient bien en propre à Reynolds et au génie anglais. Les déesses de la Grèce se sont métamorpho- 384. Joshua Reynolds. — Les Trois Grâces ornant la Statue de l'Hymen (National Gallery, Londres). sées en de radieuses beautés biitanniques ; tout en préservant leur majesté originelle tdles ont acquis plus de charme, de fraîcheur et de grâce puérile. Thomas Gainsborough dispute le premier rang à Joshua Reynolds dans le groupe glorieux des peintres anglais du XVIIR siècle. Il naquit à Sudbury en 1727 ; de bonne heure il s'appliqua à dessiner les sites de sa contrée natale ; plus taid il se lendit à Londres où il apprit à peindre sous la direction de Frank Hoyman, un artiste d'une valeur secondaire. Jamais il ne quitta l'Angleterre ; il s'était maiié de bonne heure et après avoir vécu successivement à Ipsvdch et à Bath, il ne se fixa qu'en 1774 à Londres, où il mourut en 1788. Il peignit beaucoup de paysages, mais encore plus de portraits et excella dans 302 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. l'un et l'autre genre. Comme paysagiste il s'éleva au-dessus de Wilson en ce sens qu'il prit pour modèle la nature de son propre pays, non pas, toutefois, en l'interprétant minutieusement, mais en la rendant avec une extraordinaire puissance de lumière, avec une ampleur non moins étonnante dans la facture, avec tout ce que cette nature com- portait d'opulence dans la végétation. Il ouvrit leur véritable voie aux paysagistes de son pays. Quant au portrait, s'il n'y apporte point l'invention variée et la pensée profonde de Reynolds, en revanche il s'y montre meilleur réaliste et peintre plus absolu ; il a moins étudié, il creuse moins profondément ses sujets que son glorieux rival, mais ses dons naturels sont tout aussi généreux ; il a le sentiment juste et l'œil sympa- thique, il peint peut-être plus savoureu- sement encore. Ses tons moelleux et délicats font même de lui un disciple plus authentique et plus direct de Van Dyck que Reynolds, cet autre descendant du grand portraitiste anversois. Voici le Jeune Garçon en hleu (N° 385) appartenant au duc de Westminster. Master Buttall, c'est ainsi que s'appelait ce charmant bonhomme, se campe crâne- ment devant nous, relevant d'une main qu'il porte à la hanche, les pans de son mantelet, l'autre bras, pendu le long du corps, tient son chapeau empanaché. Il nous dévisage hardiment, convaincu de l'intérêt que nous lui porterons. La mèche folle ramenée sur son front, les boucles encadrant son visage, son costume lâche mais assez collant toutefois pour dessiner les proportions élégantes de son corps et accuser son torse et ses membres ner- veux et musclés ; tout séduit en cet adoles- cent, joli comme une fillette, mais d'un attrait plus viril. Dans aucune de ses 385. Thomas Gainsborough. Le Jeune Garçon en bleu œuvreS GainsborOUgll ne rappelle aUSSi (Collection du duc de Westminster, Londres). -r , , manifestement -rr Van Dyck. Ce cihefr-d œuvre serait le résultat d'une gageure entre Gainsborough et Reynolds, le second ayant mis le premier au défi de peindre un portrait bleu sur bleu. Gainsborough releva le défi et peignit ce tableau dans lequel le bleu domine exclusivement, du moins en ce qui concerne le costume. Le garçonnet en bleu se détache sur le ciel bleu, mais l'azur céleste est tempéré par l'air vaporeux et le paysage du fond interrompt aussi la monotonie. Le jeu des couleurs s'enrichit encore du teint vermeü de 1 adolescent, qui s'accorde délicieusement avec les teintes discrètement bleues de son costume. Un autre portrait capital de Gainsborough est celui de Mistress Graham, Lady Lyne- dock (N° 386), appartenant au Musée d'Edimbourg. La noble dame, représentée en pied, s accoude au socle d'une colonne, derrière elle se dressent les futaies d'un parc, sa robe de L'École anglaise. 363 satin blanc et sa jupe rose se détachent sur le vert foncé du feuillage, son ravissant visage sur le ciel crépusculaire; l'édifice de sa chevelure poudrée est piqué de plumes d'autruche. Un col de dentelle encadre son corsage très échancré dévoilant les rondeurs naissantes de la gorge. On dirait une fleur rare et délicate, une fleur de serre chaude, un être d'élite, le produit d'une sélection, raffinant encore sur le charme de la femme. La National Gallery possède la Charrette du Marché [the Market Cart) (N° 387), un des principaux paysages de Gainsborough. Un char rustique, attelé d'un seul cheval, dévale la pente d'un chemin tortueux ; deux jeunes commères enjouées sont juchées sur cette lourdement chargée de un paysan bord de la route prend au passage des belles rieuses, deux jeunes garçons lage. Le par d'épaisses futaies. Cet épisode de la villageoise encadré dans un paysage pris sur le vif et rendu dans toute sa luxuriance, sans apprêt, sans ornement, un paysage comme Gainsborough et les peintres C anglais venus après lui en peignirent un grand nombre, qui servirent d'ailleurs ^ de modèle à ^ tous les interprètes de la nature tant en Angleterre que sur le .j' Reynolds Gainsborough avaient fait renaître l'art du portrait 3.) en Angleterre et cette fois par des inter- prêtes anglais. Quantité d'artistes dont 1 • beaucoup d'illustres marchèrent sur '^^B^^^^H|HH|B|^BflB| leurs traces. George Romxey fut un des et le -plus doué. Il naquit en 1734 à Dalton près de Furness dans le comté de Lancastre. Il débuta de sa propre initiative dans la peinture d'his- toire, puis au por- toute sa ces deux genres. En 1762 il se rendit à Londres, — r -, -, . X •'j-' 386. Thomas Gainsborough. Mistress Graham, lady Lvnedoch OU li ac^quit une prompte notoriété, 3 , , (Musee d ^ Edimbourg). il entreprit ensuite un court vo^mge d'études à Paris, puis, de 1773 à 1775, il séjourna en Italie. Revenu à Londres il devint un des portraitistes les plus achalandés, et beaucoup le mirent même au rang de Reynolds. Comme celui-ci il peignit les grands person- nages de son temps ; les capiteuses beautés de la cour le sollicitèrent non seulement comme artiste, mais exercèrent aussi leur fascination sur l'homme. La plus troublante mais aussi la plus dangereuse de toutes, Emma Lyon, qui fut son modèle durant de longues années et qui, devenue la femme de Sir William Hamilton, ambassadeur d'Angleterre à Naples, fut aussi la maîtresse de Nelson, joua un grand rôle dans son existence. 364 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. Il consacra aussi une grande partie de sa vie à rillustration des œuvres de Shakespeare et mourut en 1802. Son portrait de Mistress Dnimmond Smith (N° 388) appartenant à la marquise de Northampton à Castle Ashby, est un de ses plus parfaits et délicieux portraits de femmes. Elle s'appelait Mary Cunliffe de son nom de jeune fille et elle épousa M. Drummond Smith en 1786. Son portrait la montre coiffée d'un vaste chapeau en forme de cloche, très en faveur parmi les élégantes de cette époque, le joli minois ressort tout à son avantage sous le chapeau clair, et la lumière et l'ombre se livrent à des jeux animés sous les bords de la coiffure et autour de la chevelure opulente. Les traits ont une expression calme, la peinture est ferme, le chapeau représente un petit chef- d'œuvre de métier, il est enlevé en touches légères et moelleuses. L'attitude et la toilette sont réduites à leur plus simple expression. Tout est combiné pour faire valoir le délicieux visage. Sir Henry Raeburn est un autre des excellents portraitistes anglais. Il était Ecossais, né à Edimbourg où il passa sa vie entière et qu'il ne quitta que pour visiter Londres et voyager en Italie. Il était né en 1756 et il mourut en 1823. Il ne peignit que des portraits, et tous les Ecossais illustres de son temps posèrent devant son chevalet. Le Musée d'Edim- bourg et aussi le Palais de Justice de cette ville possèdent d'innombrables portraits de ce George Romney. — Mistress Drummond Smith (Appartenant à la maître ; ils sont d'une valeur Marquise de Northampton, Castle Ashby). artistique fort inégale ; les meilleurs se recommandent par un extrême souci de la vérité et par la profondeur de l'expression. Ces qualités brillent notamment dans le portrait de Sir Walter Scott (N° 389), l'Ecossais par excellence, appar- tenant au comte Hume. Walter Scott révéla son pays à l'univers entier en même temps qu'il lui apporta une nouvelle conception de l'histoire ; son influence sur les arts fut plus considérable qu'on se l'imaginerait, il créa le roman historique et ouvrit la voie aux Dumas père et à d'autres écrivains français réputés ; il prêta une nouvelle vogue à la peinture inspirée de l'histoire. L'élément archéologique,, l'exactitude du décor, du costume et des accessoires sont dus en majeure partie à son intervention. Le baron Leys et Delacroix sont L'École anglaise. 367 ses tributaires. Peu d'artistes connurent une popularité aussi universelle, aussi comprend-on que Raeburn l'ait représenté à diverses reprises tantôt en pied, tantôt en buste. Le portrait reproduit ci-contre nous montre un Walter Scott très simple de toilette et d'attitude, pour ainsi dire familier ; il s'agit d'un bourgeois ou d'un notable campagnard ; les cheveux lui retombent sur le front, le visage se distingue par son ovale allongé, mais plus encore par des yeux au regard pénétrant, des yeux qui pétillent sous les épais sourcils et qui révèlent la haute intelligence et la supériorité morale du modèle. John Hoppner est aussi un des meilleurs portraitistes de cette époque. Il naquit à Londres, de parents allemands, en 1758, et il y mourut en 1810. Il fit ses études à l'Académie de cette ville et adopta Joshua Reynolds pour son maître ; comme celui-ci il se consacra prin- cipalement au portrait et à l'his- toire, mais il se distingua surtout dans le premier de ces genres. Sa^ couleur n'a pas l'éclat radieux de celle de son prédécesseur ; il diffère de Raeburn et il se rapproche de Romney en ce sens qu'il peignit les jolies femmes de préférence aux hommes de marque. Par le naturel et le mouvement de ses modèles il rappelle Reynolds. Il ne les fait pas poser ; ils vivent, ils pensent, ils prennent la valeur d'un tableau historique. C'est le cas pour son portrait de Lady Willoiighhy d'Eresby (N° 390), appartenant au comte de Lancastre. La jeune dame est représentée par une brillante journée d'été, à tiavers une plaine sans ombre. D'une main elle tient son chapeau de paille au léger voile, de l'autre elle ramène les plis d'une longue écharpe de gaze flottant autour de ses épaules et de „ „ ^ 389. Henry „Raeburn. c- i.u e x./a x x tt — bir Walter Scott (Apparxt-ient au comteHume). sa taille ; elle est fort décolletée et son corsage s'échancre jusqu'à la naissance des seins. Il faut croire qu'un orage approche car le vent menace de soulever les jupes de la dame et de défaire sa coiffure. On ne peut dire que le modèle soit vu à son avantage, mais, si cette conception du portrait est discutable elle ne manque certes pas d'originalité. Le double portrait des Soeurs (N° 391) Marianna et xA.mélie Frankland et appartenant à Sir Charles Tennant, à Londres, nous paraît plus heureux. Le père de ces délicieuses jeunes femmes était amiral et membre du Parlement. Les portraits furent peints en 1795, l'année où mourut Marianne ; l'autre sœur la suivit dans la tombe en 1800. Elles sont assises sur un talus ; l'une tient un carton avec des dessins sur les genoux et de la craie à la main, sa sœur lui passe un bras autour du cou ; toutes deux sont habillées fort 368 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. simplement , im mouchoir serre leur chevelure luxuriante ; chez l'aînée ce mouchoir se drape comme un turban et prête un cachet romantique à son visage. Un chien s'allonge à leurs pieds ; un paysage montagneux s'étend devant elles. L'importance attachée par le peintre à ce paysage, comme aussi l'attitude des deux jeunes personnes suggèrent plutôt un groupe historique qu'un portrait ; ce groupe est même admirablement composé et d'une expression si vivante que maintes bonnes toiles historiques lui sont inférieures sous ce rapport. Le dernier dans" l 'ordre chronologique, de ces portraitistes fameux, est Sir Thomas Lawrexxe. Né en 1769 à Bristol, il vint en 1787 à Londres, pour entrer à l'Académie sous la direction de Sir Joshua Reynolds. En 1792, après la mort de son maître, il lui succéda en qualité de peintre de la Cour, n'étant âgé que de vingt-tiois, ans, et devint bientôt portraitiste à la mode. Après 1815 il parcourut l'Europe afin de ,,pourtraire" les princes et les généraux qui avaient joué un rôle dans la défaite de Napoléon et dans la pacification générale qui s'en- suivit; sa renommée et son succès furent aussi éclatants à l'étranger que dans sa patrie. A la suite des altesses les grands personnages se disputaient l'honneur d'être immortalisés par seS pinceaux, il fut comblé d'honneurs et de commandes et mourut en 1830. La postérité a quelque peu entamé l'éclat de cette gloire, parce que celle-ci ne fut point de probe aloi. Comparé à ses deux illustres devanciers son art comporte plus d'artifice que de vérité, plus d'habileté que de consistance et d'originalité. Il y a trop d'apprêt et de recherche dans ses œuvres, sa couleur vise au trompe-l'œil. Néanmoins ses meilleurs portraits possèdent assez d'agrément, de distinction et d'éclat pour expliquer l'engouement de ses contem- porains. Parmi ses portraits nous choisirons celui de 390. John Hoppner. — Lady Willoughby d'Eresbv John Jules Angerstein (N° 392), " 1^ m • (Collection du comtcMe Lanoastre). ® Celebre . ■ banquier, r qui forma lia frameuse collection de tableaux acquise plus tard, en 1824, par le Parlement pour la National Gallery. Son portrait s'y trouve encore. C'est un morceau sobre et robuste, plein de vérité et de naturel, sans ornement et sans apprêt. Le modèle contemple le spectateur avec des yeux dont la vieillesse a bien, il est vrai, flétri les paupières, mais sans entamer le moins du monde l'éclat des prunelles ; avec une expression que l'on s'attendait bien à trouver chez "lin connaisseur du tableau aussi sérieux, aussi avisé, aussi averti, comme on dit à présent. Les portraitistes anglais de la seconde moitié du XVIIL siècle furent tous plus ou moins bons peintres d'histoire, mais à côté d'eux il y en eut qui se consacrèrent plus spécialement à ce genre et qui s'y firent même un grand nom. Le plus réputé fut L'Ecole anglaise. 369 Benjamin West. Il naquit en 1738, en Pensylvanie, aux Etats-Unis. Il fut même le premier enfant du Nouveau-Monde qui se soit fait un nom comme peintre dans la vieille Europe.- Il s'était exercé d'abord comme portraitiste dans sa patrie. En 1760 il se rendit en Italie, où il demeura trois ans, et d'où il comptait regagner l'Amérique quand il s'avisa de s'arrêter à Londres; là, son succès fut tel que les Anglais parvinrent à le retenir. Georges III se l'attacha en 1772 comme peintre de la Cour; en 1792 il succéda à Reynolds comme président de l'Académie et mourut en 1820. Il fut le peintre le plus fêté de l'Angleterre. Il avait renoncé au portrait pour se exclusivement la peinture d'histoire et choisis- sait ses sujets dans l'histoire moderne comme dans l'an- En Angleterre, jusque-là sans partage, -■- le premier à peindre des événe- ments de l'ère moderne, le en une estime son JKir auguste protecteur à la fin de sa carrière une série de tableaux inspirés de l'his- du Culte. De son -. , l'avait proclamé des plus grands peintres du ^^jj^jjlH monde; après sa mort renom alla 1: ^ ¿ même en diminuant jusqu'à i.. 9^1 disparaître à peu près tout entier. Il faut lui concéder pourtant une certaine ligence de metteur en il manquait tare somme il fut un honnête re- présentant de cette école 391- John Hoppner. — Les deux Sœurs (Appartient à Sir Charles déclamatoire qui caractérisa lennant, Londres). l'Empire français. Une de ses œuvres les plus connues est la Mort du Général Wolfe (N° 393), l'officier anglais qui périt en 1759, au Canada, dans la bataille de Québec, ville qu'il prit aux Français. West représente le héros tombant, au champ d'honneur, le corps transpercé de trois balles. Ses frères d'armes lui prodiguent leurs soins ou l'entourent avec une doulou- reuse sollicitude, un Peau Rouge, en appareil guerrier, partage l'affliction de ses frères pâles. Au fond la bataille fait encore rage quoique un porte-drapeau accoure pour annoncer la victoire. C'est un tableau très honnête et très sage maintenu dans les tons mornes et sourds particuliers au peintre. Il en existe deux exemplaires: l'un au duc de Westminster, l'autre 37 o Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. au roi d'Angleterre, mais prêté par celui-ci au Musée de South-Kensington. Les artistes anglais de cette époque furent surtout des portraitistes. Pourtant il y eut parmi eux quelques méritants paysagistes et animaliers. Depuis Gains- borough, le premier qui se voua avec quel- que supériorité au paysage, fut George Morland. Il naquit à Londres en 1763, la nature fut son seul maître, il mena une vie fort dissolue et mourut en 1804. Il peignit d'abord trop hâtivement et négli- gemment de petites scènes de beuveries dans le genre de Brouwer. Il appartenait d'ailleursàla confrérie des piliers de taverne. Plus tard il peignit des fermes, des cours d'auberges étoffées d'animaux, surtout de chevaux, et enfin des paysages dans lesquels il fait aussi intervenir des personnages. Il possède certes des dons de coloriste et il manie agréablement le pinceau ; en ce sens aussi il rappelle Brouwer, mais sans les teintes exquises qui caractérisent celui-ci. Il a aussi le mérite de peindre d'après nature 392. Th. Lawrence. J. J- Angerstein (iSTat. Gallery, Londres). et de rendre de son mieux ce qu'il voit —■ 393. Benjamin West. — La Mort du Général Wolfe (Musée de South-Kensington, Londres). L'École anglaise. 371 et ce qui rintéresse : il pourrait passer pour un précurseur des grande paysagistes anglais Crowe et Constable. Arrêtons-nous par exemple A la porte de l'auberge du Dauphin (N° 394), tableau appartenant à M. Arthur Sanderson, d'Edimbourg. L'auberge à l'enseigne du Dauphin s'élève à l'ombre d'un vieux chêne ; devant la porte une couple de buveurs attablés content fleurette à la servante, qui leur apporte une canette. Deux enfants et un chien prennent leurs ébats, de l'autre côté on voit un âne et une pompe. Scène ensoleillée, pleine de naturel, vue avec sympathie et rendue avec émotion. D'Intérieur d'une écurie (N° 395) de la National Gallery est un tableau rustique de 394. George Morland. — A la porte de l'auberge du Dauphin (Collection Arthur Sanderson, Edimbourg). la même-saveur. Les valets sont rentrés de la besogne et ramènent les chevaux à l'écurie. On aperçoit les champs par la porte ouverte. La nature est prise sur le vif, sans apprêt, sans fard, par un véritable fervent de la campagne. John Crome communément appelé Old Crome ou Crome le Vieux pour le distinguer de Il son fils, paysagiste comme lui, compte parmi les meilleurs artistes dans son genre. naquit à Norwich en 1769 et mourut en 1821. Il n'eut d'autres maîtres' que les vieux peintres néer- landais ; à leur exemple il apprit à voir, à aimer la nature et à la rendre dans sa grandiose simplicité. Il passa toute sa vie dans sa bourgade natale, il ne s'en éloigna jamais et il y fonda une école qui se borna comme lui à peindre les collines, les futaies, les étangs, le bétail et les rustres de cette pittoresque contrée. Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. 395. George Morland. — Intérieur d'une écurie (National Gallery, Londres).. 396. John Crome. La Bruyère de Mouschold (National Gallery, Londres). L'École anglaise. 373 La Bruyère de Mousehold (N° 396), qui se trouve à la National Gallery, nous fournit un échantillon réussi du talent de John Crome. C'est la lande stérile et sauvage dans toute son indigence, mais aussi dans toute sa grandeur et avec toute sa poésie. La présence d'un jeune pâtre, isolé, debout sur un monticule et surveillant de là-haut ses moutons et son chien, ne rend cette solitude que plus émouvante. Cet humble enfant de la nature semble le roi candide et insouciant de cette farouche immensité. Le 'second des maîtres paysagistes anglais de cette époque est John Constable . Il naquit en 1776 dans le comté de Suffolk; il se rendit à Londres en 1799 et il y mourut en 1837. Lui aussi n'eut pas de maître proprement dit et il se contenta des banales leçons de l'Académie. Il avait com- meneé par le portrait. En 1802, le premier paysage qu'il exposa lui fit comprendre qu'il avait trouvé sa voie. Comme Crome et Morland il fut l'interprète de la simple et fruste nature ; seulement il apporta dans son inter- prétation plus de chaleur, d'enthousiasme et de lyrisme que ses excellents devanciers. Son métier et son coloris aussi étaient supérieurs aux leurs ; sa palette trouva l'opulence et la variété des tons que lui offraient les spectacles de la luxuriante campagne anglaise. Peut-être Constable pousse- t-il trop loin le souci de l'exac- titude et, à force de vouloir rendre les formes tangibles des objets, néglige-t-il de les envelopper de cette atmos- phère vibrante et vaporeuse que les paysagistes de 1 âge John Constable. — Le Champ de Blé (National Gallery, Londres), suivant rendirent avec un art de plus en plus subtil. Quoi qu'il en soit. Constable n'en demeure pas moins le précurseur de l'admirable école des paysagistes modernes. La National Gallery compte quinze de ses plus belles toiles. Une des plus importantes et des plus célèbres est son Champ de Blé (N° 397). Ce tableau s'imposerait à notre admiration rien que par sa merveilleuse mise en page. Entre deux bouquets d'arbres de haute futaie la vue s'étend sur une vaste emblavure. A l'avant-plan, à droite, un troupeau de moutons, conduit par un chien noir, s'engage paisiblement dans un sentier montant vers la plaine et longeant les arbres. Le petit berger, à la veste rouge, demeuré en arrière, s'est étalé à plat ventre pour éfancher sa soif à même le ruisseau. Précédé de cette scène paisible le 374 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. champ de blé n'en apparaît que plus splendide et prolongé à l'infini l'or de ses guérets sous un ciel d'une profondeur et d'un azur ineffables. C'est la fécondé et généreuse campagne anglaise prise sur le vif par un maître peintre, mais synthétisée en plus par la ferveur d'un noble poète. La Ferme dans la Vallée (N° 398) de la même National Gallery est un autre chef- d'œuvre de Constable. Une tradition veut que cette ferme soit le berceau du peintre, rien n'est plus probable à ne juger que la dévotion avec laquelle le maître a -caressé ce site délicieux. Au pied de la maison serpente un ruisselet qui s'élargit à l'avant-plan comme une façon de lac; trois vaches s'y abreuvent les pieds dans l'eau. Un passeur godille une barquette dans laquelle se trouve une jeune femme. A droite se presse un bois domanial comme on n'en voit qu'en Angleterre. La ferme même est digne du paysage, le temps radieux, l'air pur, la lu- mière caressante et se^ reine, tout concourt àune impression sans égale. On songe à la phrase de Flaubert: il est des en- droits si beaux qu'on voudrait les presser sur son cœur. Digne berceau d'un grand paysagiste ! Ces trois derniers maîtres se rattachent à l'école réaliste. Avec Joseph Mallord William TuRNERiiousretournons 398. John Constable. — La Ferme dans la Vallée (National Gallery,' idéal O l deCO- Londres). ratif, au paysage de rêve tel que nous en laissèrent les Claude Lorrain et les Salvator Rosa. Turner naquit à Londres en 1775, il fit son appren- tissage chez Thomas Girton, l'aquarelliste, et à l'Académie Royale. Il eut pour initiateurs Claude Lorrain et Albert Cuyp. Graduellement sa manière devint de plus en plus vaporeuse, éthérée, au point de noyer toutes les fermes, et d'effacer toutes les lignes. Il peignit des centaines de tableaux, des milliers d'aquarelles, il dessina d'innombrables illustrations pour des livres, il gagna des trésors et conquit une célébrité universelle, cela ne l'empêcha point de vivre en ermite et en misanthrope. Toutefois son testament stipula que son immense fortune serait consacrée à la fondation et à l'entretien d'un établissement en faveur des L'École anglaise. 375 artistes nécessiteux, et, de plus, il légua tous les tableaux qui lui restaient, dont une centaine de chefs-d'œuvre, à sa patrie. Toute sa vie, à part trois séjours en Italie, son pays de prédi- lection, s'était passée à Londres, il y mourut en 1851. Il nous faut donc situer ce maître, original s'il en fut, au XIX® siècle. D'ailleurs son art est ultra-moderne. C'est à peine si les plus audacieux novateurs de ce temps l'auront rejoint. Il varia plusieurs fois sa manière, mais en demeurant toujours dans le même mode fantastique et hallucinant. Il fut avant tout le peintre des éléments, des fluides, de l'éther et de la lumière. A ses yeux il n'y a de vivant que ce qui se passe dans le ciel. Aux jeux de la lumière il oublie toutes les actions des humains, il n'admet que ces grandes synthèses; l'eau, la terre et le ciel; il trône dans les espaces illimités et ne songe qu'à traduire des idées et des rêves d'infini. Par son culte exclusif pour l'atmosphère; par son parti pris de sacrifier la matière aux ambiances, les 399. Turner. --- Didon bâtis.sant Carthage (National Gallery, Londres). formes à leur enveloppe, les corps à l'espace, les objets à la lumière, nous pouvons le considérer comme l'inventeur et le promoteur de l'impressionnisme d'aujourd'hui. Parmi les nombreuses toiles de Turner que possède la National Gallery, deux sont placées entre des chefs-d'œuvre de Claude Lorrain. Turner le, voulait ainsi, tenant à démontrer qu'il n'avait rien à redouter du voisinage de celui-ci qu'il tenait pour son prédécesseur le plus glorieux. Un de ces deux tableaux représente Didon bâtissant Carthage (N° 399). Turner s'y montre le digne continuateur de Claude Lorrain. Une reine aimée du fils de Vénus et réimmortalisée par un poète, construisant une ville de palais sur les rives de la Méditerranée ; des roches gigantesques servant de fond à ce spectacle grandiose ; le soleil couchant répandant ses incendies de rubis sur ces merveilles et sur la mer scintillante ; un chêne vénérable, fils de cette terre, assistant aux travaux des hommes et méditant sans 376 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. doute sur le provisoire de l'œuvre humaine et l'éternité des créations de la nature : tel est le thème traité par ce prodigieux virtuose de l'idéalisme. Didon appartient à la première manière de Turner; celle où il n'avait pas encore perdu pied pour se jeter à corps perdu dans la région des rêves et des visions. Sa Mer de Venise élue du Soleil (N° 400) résume ses tendances suprêmes; tout y est imaginaire et fantastique, les baisers du soleil ont dévoré et anéanti ses rives et ses eaux favorites, il n'en reste rien, le soleil même s'est fondu, s'est exhalé dans l'infini, il a rejoint la terre et les ondes et le ciel; il n'y a plus que sa lumière. Nous avons assisté des milliers de fois au renouvellement de l'art. Il ne cesse de se transformer et de se métamorphoser. Ces avatars sont même une condition de son immorta- lité. Dans ce dernier tableau l'art prend son essor vers des sphères où nous renoncerons à le suivre pour le quart d'heure, mais où il ne peut manquer d'arrêter victorieusement son vol, quitte à ouvrir bien des fois encore ses ailes pour nous transporter vers des mondes plus chimériques et, nous l'espérons, encore plus sublimes. 400. Turner. —■ La Mer de Venise élue du soleil (National Gallery, Londres). INDEX ALPHABÉTIQUE DES PEINTRES CITÉS. Page Page Page Aertszen (Pierre) 32 Crivelli (Carlo) 171 Hoogh (Pieter de) 100 Albani (Francesco) 248 Crome (John) 371 Hoppner (John) 367 Altclorfer (Albert) -, 343 Cuyp (Albert) 121 Amberger (Christophe) 349 Jordaens (Jacques) , 59 Angélico (Fra) 142 David (Gérard) 20 Juanez (Juan de) 290 Ange (Michel) 187 Dominiquin 248 Dou (Gérard) 95 Kauffman (Angélique) 352 Backer (Jacob) 93 Dughet (Gaspard) 270 Keyser (Thomas de) 72 Bartolomco (Fra) ig6 Dürer (Albert) 332 Kneller (Godefroy) 353 Basait i (Marco) 177 Dyck (Antoine van) 44 Kulmbach (Hans von) 314 Bassano (Jacopo) 236 Beham (Barthélémy) 342 Elsheimer (Adam) 350 Lancret (Nicolas) 284 Bellini (Gentile) 172 Eyck (Hubert et Jan van) i Largillière (Nicolas de) , 278 Bellini (Giovanni) 174 Eyck (Jan van) 4 Lawrence (Thomas) 367 Berchem (Nicolas) 123 Lebrun (Charles) .... 273 Bol (Ferdinand) 94 Fabriano (Gentile da) 158 Le Guide ) 243 Bordone (Pâris) 228 Fiesole (Giovanni da), fra Angélico 142 Leyde (Lucas van) 28 Bosch (Jérôme) 29 Flinck (Govaert) 93 Lely (Pierre) 353 Botticelli (Sandro) 146 Foligno (Niccolo da) 159 Lenain (Antoine) 259 Boucher (François) 285 Forli (Melozzo da) 160 Lenain (Louis) 259 Bouts (Thierry) 13 Fouquet (Jean) 257 Lenain (Matthieu) 259 Bray (Jean de) iio Fragonard (Jean-Honoré) 286 Le Poussin 263 Breughel (Pierre) 29 Francia 178 I Le Sueur 274 Brouwer (Adrian) 64 Lippi (Filippino) 151 Bruin (Barthold) 331 Gainsborough (Thomas) 361 Lippi (Filippo) 144 Buonarotti (Michel-Ange) 187 Ghirlandajo (Domenico) .156 Lochner (Stéfan) 321 Giorgione 219 Lorrain (Claude) 266 Canaletto 255 Giotto 141 Lotto (Lorenzo) 221 Cano (Alonso) 308 Goes (Hugo van der) 15 Luini (Bernardino) 184 Cappelle (Jan van de) 139 Goltzius (Henri) 65 Caravage (Le) 250 Goya 318 Mabuse (Jan Gossaert de) 28 Carpaccio (Vittore) 175 Goyen (Jean van) 129 Maes (Nicolas) 95 Carrache (Augustin) 241 Gozzoli (Benozzo) 152 Maître (Le) de Moulins 258 Carrache (Annibal) 242 Greco (El) 289 Maître (Le) de la vie de la Vierge 323 Carrache (Lodovico) 241 Greuze (J.-B.) 287 Maître (Le) de la passion de Lijver- Champagne (Philippe de) 271 Grün (Hans Baldung) 345 berg 325 Chardin (Jean-Siméon) 287 Grünewald (Mathias) 344 Maître (Le) de la Sainte Famille 326 Christus (Petrus) 15 Guercino 249 Maître (Le) de l'autel de S.Thomas 327 Cimabue 141 Maître (Le) de Saint-Séverin 329 Clouet (François) 259 Hals (Franz) 6g Maître (Le) de la Mort de la Vierge 329 Conegliano (Cima da) 176 Heemskerck (Martin van) 65 Mantegna (André) 164 Constable (John) 371 Heist (Barthélémy van der) 106 Masaccio 141 Corrège (Le) 214 Herrera (Francisco) 297 Masolino 141 Cosimo (Piero di) 154 Hobbema (Meindert) 136 Massys (Quintin) 24 Cranach (Lucas) 343 Hogarth (William) 353 Memlinc (Hans) 15 Credi (Lorenzo di) 155 Holbein (Hans) 347 Mengs (Raphaël) 351 37^ índex Alphabétique des Peintres cités. Page Page Page Messine (Antonello de) 174 Pollajuolo (Antonio) 155 Tiepolo (Battista) 253 Metsu (Gabriel) 112 Pollajuolo (Piero) i55 Tintoret (Le) 233 Titien 221 Michel-Ange 187 Pordenone (Giovanni Antonio da) 231 (Le) Miereveld (Michel) 66 Potter (Paul) 126 Turner (William) 374 Miéris (Franz van) 112 Poussin (Nicolas) 263 Miéris (Jean van) 112 Valentin 261 Miéris (Willem van) 112 Raeburn (Henry) 364 Vélasquez (Diego) 299 Mignard (Pierre) 272 Raphaël.; 198 Yelde (Adrien van den) 120 Moral ès (Louis) 289 Rembrandt van Rijn 73 Yelde (Guillaume van de) 138 Moretto (Alessandro) 231 Reynolds (Joshua) 355 Yermeer (Jean) 103 Morland (George) 369 Ribalta (Francisco de) 291 Yéronèse (Paul) — 237 Mor (Antoine) 65 Ribéra (José) 291 Yigée-Lebrun (Mme) 288 Moroni (Giambattista) 232 Rigaud (Hyacinthe) 278 Yinci (Léonard de) 179 Murano 168 Roélas (Juan de las) 204. Yivarini (Antoine) 168 Murillo (Barthélémy Esteban) ... 310 Romain (Jules) 212 Yivarini (Barthélémy) 168 Romney (George) 363 Yivarini (Jean) 168 Natoire (Charles) 285 Rubens (Pierre-Paul) 33 Yivarini (Luigi) 175 Neer (van der) 130 Ruysdael (Jacob van) 134 Yolterra (Daniel da) 195 Netscher (Gaspard) 113 Ruysdael (Salomon van) 119 Youet (Simon) 262 Ostade (Adrien van) '.. 117 Salvator Rosa 251 W tteau (Antoine) 279 Ostade (Isaac van) .119 Sarto (Andrea del) 196 West (Benjamin) 368 Schoreel (Jan van) 65 Weyden (Roger van der) 12 Palma (Vecchio) 220 Signorelli (Lu ca) 161 Wilson (Richard) 354 Sodoma Pareja (Juan de la) 309 213 Wohlgemuth (Michel) 331 Wouwerman 128 Pasture (Rogier van der) Steen 12 (Jean) 114 (Philippe) Pérugin (Le) 162 Pinturicchio 163 Teniers (David) 62 Zampieri (Domenicho) 248 Piombo (Sebastien del) 195 Terburg (Gérard) m Zurbaran (Francesco) ;..... 297 ■/ TABLE DES PLANCHES COLORIÉES. Page Page Jan van Eyck. ,,L 'homme à l'œillet" (Kaiser Mantegna. ,, Saint Sébastien" (Musée Impérial, Friedrich-Museum, Berlin) i Vienne) 161 Kogier van der Weyden. ,,La Vierge et l'Enfant" Luini. ,,Tête de la Vierge" (Bréra, Milan) 193 (Musée Impérial, Vienne) i Palma Vecchio. ,,Violante"(Musée Impérial,Vienne) 225 Pierre Paul Rubens. ,, Portrait du ¡Peintre" (Albertina, Vienne) 33 François Boucher. ,,La Musette" (Louvre, Paris) 257 Rembrandt. ,,Saskia avec la lettre" (Musée Maurits- Murillo. ,, Saint Jean et l'agneau" (Musée national, huis, La Haye) 65 Londres) 289 Johannes Vermeer. ,,La lettre" (Musée de l'Etat, Durer (Albert) ,,Hieronymus Holtzschuer" (Pina- Amsterdam) 97 cothèque, Munich) 321 0 Botticelli. ,,La Vierge et l'Enfant" (Musée Gainsborough. ,,Madame Siddons" (Musée national, Poldi Pezzoli, Milan) 129 Londres) 373 ■ '*■ ^ ■■ ■■ - . , 4)- ... .,V -v. ■a ,i:'c .;j^->:%î.:- ) ; ^ . ^ 'i / ; i. ., V -v.*. i:f.^'ri:-. ^ v-v. Vi ^ -■-- : - Éa?» *'a '- i---A'- :I;::Î - Vi • . . . I :■ : Í .....J ,. .ft: .v:-...: "'■ft-; •-V > : f;T: wú- .. - •"I... /Á .y- • > '■-: ■ ai ■v IfK *■ V ■ .t M 4;l M 5 ^ 'i. S;..■■,;>;- .;i=r.i-.. > '-iïà-: " iiiiJ.·i|Çl(iii·'.''-^'-'^·. ■'^.'ia!w«iwivi'p;«'^v ^—7" -"^ ^^-^Lrrrr" - ^«WWHI í ', 1 ^ Î , ■%.' J^.. -5·»S ^-^v-ip * — =r ^ djS, - ^f, «r % wMi»m« mm- w*&, |ÍÍl|iiiiÍl^iiÍ >^X'^ví·csv·^x■5\x^\'wí& 326 Les Chefs-d'Œuvre de la Peinture. L'École allemande. 327 lui aussi, les de Thierry Bouts, mais il fait près de lui on voit Sainte Barbe derrière laquelle se tient son dénaturé et dont on voit la Ce maître connut sans doute, œuvres songer en père dont il quelque la couleur mais dont l'humour lui demeure tour à rarrière-plan; Marie Salomé, avec Jacques le outre à Jérôme Bosch, possède peu Majeur et Jean l'Evangéliste enfants, est C'est bien Allemand la raideur, la frigidité des assise sur le sol. Au fond on aperçoit, à droite, la mort de Marie, à gauche la Présentation au complètement étranger. un par personnages, la couleur et finesses, autant de côtés faibles qui caracté- Temple. L'œuvre est déconcertante de richesse et de les couleurs et l'or sont plate ou crue sans nuances sans minutie, y riseront longtemps l'art de ses compatriotes. Dans le Christ aux Outrages (N° 346) de la répandus à profusion, il en résulte même un peu de papillotement. En général les figures série Musée de Cologne, voit à droite le Couronnement et sont ternes ou effacées et manquent d'expression; mais il y en a toutefois d'assez question et qui trouve on touchantes, en se au à la du Christ le visage du Sauveur est touchant, mais les bourreaux et quelques attitudes tranchent par leur grâce et leur naturel sur la pose contrainte et le gauche Flagellation ; geste sont encore plus grotesques qu'odieux. figé de la majeure partie des Le Maître de la Sainte Famille travailla à Cologne environ de 1480 à ses personnages. Si l'œuvre se 1515, rattache par la conception aux traditions immuables et aux règles dogmatiques, la facture dénote quelques velléités d'indépendance et de vision personnelle. A côté du panneau principal les volets montrent les portraits de la famille des donateurs, probablement celle de Nicaise Hackeney, ban- 347. Le Maître de la Sainte Famill| iLautel de Saint-Thomas. — Le Christ et Saint Thomas tableaux d'autel et ses autres œuvres rt (Musée de Cologne). Munich, Berlin et Nuremberg et dans fournit les cartons des vitraux destinés! sur sa on croit de la cathédrale de vie, Cologne. On le dés^ renseignements positifs vers Famille le de la Vierge (N° 347) du Musée 1510. iutel de Saint-Thomas se trouve Jésus entre des piliers dorés (N° 348), qui ; un tapis debout sur un de fleurs pieds. Sainte Catherine, assise à gauche :ité, piédestal jonché |.it Thomas agenouillé devant lui deux tend l'Enfant Dieu, près d'elle plonge se a faite le coup de lance. Sainte Hélène avec A l'avant-plan Marie Cléophas donne le avec son vase de le Mineur folâtrent Sainte Madeleine dans l'herbe. baume. A droite