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Architecture et décoration^ 2.000 reproductions dans le texte et hors-texte, in-4, broché (Seconde édition). L. ROGER-MILÈS et Ed. ROUVEYRE. Comment devenir connaisseur. Meubles et objets d'art, 1.337 reproductions dans le texte et hors texte, in-4, broché. L. ROGER-MILÈS. Architecture, décoration, ameuhlement, pendant le xvin® siècle. Régence et Louis XV, 200 planches hors texte, in-4, cartonné. L. ROGER-MILÈS. Comment discerner les styles, le Costume et la mode, 2.000 repro- ductions, in-4, cartonné. Ed. BAJOT. Du choix et de la disposition des ameuhlements de style, 60 planches hors texte donnant 220 documents, in-4, cartonné. Aug. CHOISY. Histoire de l'Architecture, de l'antiquité à nos jours, 1 .700 figures dans le texte, 2 volumes in-8, brochés. Aug. CHOISY. L'art de hâtir che\ les Egvptiens, iio gravures dans le texte et 24 planches hors texte a l'héliogravure, in-8, en carton. Aug. CHOISY. Etudes épigraphiques sur l'Architecture grecque, 5 planches hors texte, in-4, broché. Aug. CHOISY. L'art de bâtir che\ les Romains, nombreuses gravures dans le texte et 24 planches hors texte, in-fol., en carton. Aug. CHOISY. L'art de bâtir che\ les Byzantins, nombreuses gravures dans le texte et 25 planches hors texte, in-fol., en carton. COMMENT DISCERNER LES STYLES ENSEIGNÉ PAR L'IMAGE Volumes in 4, cartonnés Le style Piranesi, époque Louis XVI, 80 planches donnant 2Ò0 reproductions docu- mentaires. Le style Empire, 1804-1814, 80 planches donnant 300 reproductions documentaires. Le Mobilier, antiquité du xix® siècle, 80 planches donnant i.ooo reproductions docu- mentaires. La Dentelle, xvi® et xvii® siècles, 80 planches donnant 500 reproductions documentaires. La Ferronnerie, du xiC au xix'= siècle, 80 planches donnant 130 reproductions docu- mentaires. Le Luminaire, du i" au xix® siècle, 80 planches donnant 700 reproductions docu- mentaires. PREMIERE PARTIE MEUBLES ET OBJETS MOBILIERS DU XVIP AU XIX® SIÈCLE ACCOMPAGNÉ DE CINQ CENT SIX FIGURES Les numéros de la pagination se trouvent indiqués au bas et à gauche de chaque page. DEUXIÈME PARTIE ÉTUDES SUR DES OBJETS DE HAUTE CURIOSITÉ ACCOMPAGNÉ DE SIX CENT QUINZE FIGURES Les numéros de la pagination se trouvent indiqués au bas et à gauche de chaque page. TROISIÈME PARTIE ENSEIGNEMENT, MUSÉES ET COLLECTIONS CHRONIQUES DOCUMENTAIRES ACCOMPAGNÉES DE 21G FIGURES f ? DE LA REPARATION DES OBJETS D'ART ET DE CURIOSITÉ IMP. E. CAPIOMONT & C'% PARIS COLLABORATEURS AUGE DE LÂSSUS Critique d'art. HENRI BOUCHET ilenibre de l'Institut, Conservateur du département des Estampes, Bibiiotliôque Nationale. FRANÇOIS L. BRUEL Attaclié au département des Estampes, Bibliothèque Nationale. ALFRED CROIX Ancien attaclié à la Direction des Beaux-Arts. G. HOULBERT Professeur à l'École de Médecine et de Pharmacie, Institut Ijaënnec, Rennes. ROGER PEYRE Professeur d'histoire au Lycée Charlemagne. L. ROGER-MILÈS Crilique d'art. ÉDOUARD ROUVEYRE Membre de la Commission chargée d'étudier toutes les questions relatives à l'organisation des Musées de Province et à la conservation de leurs richesses artistiques. PREMIÈRE PARTIE CARACTÉRISTIQUE DU BOULLE ET DU COATRE-BOULLE LE MÊME DESSirs- EXÉCUTÉ EN BOULLE ET EX COXTRE-BOULLE. Fig. I. — Exemple de Boulle. I Fig. 2. — Exemple de Gontre-Boulle. (Voir figure 5.) j (Voir figure 6.) LES MEUBLES EN MARQUETERIE DE A.-G. ROULEE HOSPITALITE ROYALE Ebéniste, faiseur de marqueterie, ciseleur et doreur, ainsi est Ion- guement qualifié André-Charles Boulle au brevet royal qui lui assure un logis et un vaste atelier au Louvre, en date du 20 mai 1672. Macé, lui aussi, mais plus simplement ébéniste du roi, venait de mourir. Ainsi l'hospitalité souveraine se continuait dans un artisan de semblable métier, mais qui devait singulièrement dépasser le mérite et la renommée de son prédécesseur. En l'immensité des bâtiments que le roi Henri IV avait ajoutés au vieux château du Louvre, au château dès lors tout nouveau des Tuileries, les reliant l'un à l'autre, ce prince, de sollicitude ingénieuse et de large esprit, avait fait réserver de modestes logements, des ateliers même, où devaient être reçus de bons travail- leurs dont l'industrie et les tâches fécondes pouvaient réjouir le roi et glorifier l'État. Il ne déplaisait pas à ce roi qui fut longtemps de très humble fortune et d'aventureuse destinée, à ce roi qui connut la disgrâce et les pires détresses, que très modestement, très vulgairement même. COMMENT DEVENIR CONNAISSI-UR on travaillât auprès de lui. Il ne voulait pas héberger seulement des flat- teurs et des courtisans. Aux antichambres de Fétage noble, ainsi que Fou disait autrelbis, se prélassaient les collaborateurs de la toute-puissance et les quémandeurs de grâces; aux entresols, aux modestes rez-de- chaussées, on fondait, on sculptait, on jouait de la varlope et du ciseau ; et ceci n'était pas moins utile, quelquefois même était aussi brillant que cela. En effet, lorsque l'œuvre de métier sortait des mains de Boulle, on pouvait dire qu'elle ajoutait à la splendeur d'un règne et que le patri- moine artistique de l'État s'en trouvait enrichi dans le présent, aussi pour un lointain avenir. Telle fête est ignorée, telle victoire sanglante est oubliée, qu'un beau meuble est encore la consécration des jours et du génie qui Font enfanté. L'art rayonne par delà les temps qui furent de son éclosion et de sa floraison première. Aux qualifications déjà si nombreuses que le brevet royal donne à André Boulle, le scribe aurait pu ajouter les qualifications de sculpteur, d'architecte, de peintre. Car le meuble, tel que Boulle Fa conçu, est une œuvre complexe et qui exige l'adresse et l'invention communes de toute une lignée d'artistes et d'artisans. Cependant Boulle les résumait et les incarnait en sa seule personne. L'hospitalité consentie par le roi et que Colbert contresigne — il apparaît dès lors dans toutes les résolutions intelligentes et utiles — n'était pas que de gloire et d'agréable sécurité. N'oublions pas que dès lors nous sommes dans un temps de corporations professionnelles élroi- tement délimitées, de jurandes. Les métiers — et Fébénisterie est un métier — a ses lois, ses règlements. Dès lors les droguistes eux-mêmes ne sont pas des épiciers; et sur les frontières des domaines que Fin- tlustrie exploite, veillent des usages et des prohibitions redoutables. Qui sait si Boulle, avec sa triomphale maîtrise, son humeur de conquête et d'usurpation, Boulle qui fait usage de tout ce qui lui semble d'barmo- nieuse magnificence, bois rares, écaille, bronzes, dorures, n'aurait pas eu parfois querelle avec les industries voisines, rivales et jalouses? La surveillance et le contrôle des confrères s'arrêtaient au seuil de l'hospitalité royale. Le maître — disons même le tyran — assurait la liberté de ceux-là qu'il couvrait de sa protection. Le logis du roi écbap- pait donc aux lois ordinaires. De même la justice vulgaire ne pouvait agir là qu'après en avoir sollicité la liberté grande. Un débiteur n'était pas absolument sauvé pour être l'hôte du roi ; cela du moins lui pouvait assurer quelque répit. Il fallait un peu plus de formes aux officiers de justice pour dépasser, à la recherche d'un délinquant ou d'un défaillant, les barrières du Louvre. Boulle devait, en quelque circonstance, profiter — 2 — LES MEUBLES EN MARQUETERIE DE A.-G. BOULLE 3 de ce quasi-privilège d'inviolabilité, car il devait connaître les dettes et redouter les rigueurs des créanciers exas])érés. Lorsqu'il installe au Louvre ses ateliers— il ne devait y loger que plus tard — Boulle a trente ans, étant né à Paris le 11 novembre i64a. Sa famille, du côté paternel, était originaire de Neucbatel, en Suisse, un pays où l'industrie du bois découpé et curieusement ornementé est encore coutumière. Cette famille professe le calvinisme, mais elle ne devait pas longtemps persister dans une hérésie qui n'était plus pour faciliter les voies d'une heureuse forlune, Pierre Boulle, père d'André, est déjà rentré au giron de la catholicité. 11 se dit tourneur et menuisier du roi. André trouvait donc, dans les outils de son père, et ses premiers jouets, et les premiers éducateurs de son beau génie. LE MOBILIER SOMPTUAIRE SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XIV Ce mot de génie ne doit pas sembler d'une excessive consécration. Le meuble d'André Boulle, qu'il soit un cabinet, ainsi que l'on désignait un meuble posé sur des pieds légers et cependant robustes, qu'il soit une taille, une armoire, une gaine où sera placé quelque buste héroïque, le meuble d'André Boulle marque un épanouissement suprême, réalise, en toute perfection possible, un idéal jamais dépassé de souveraine splen- deiir. Boulle, dans l'art de l'ébénisterie — il nous faut bien nous servir de ce mot que cependant dépassent les chefs-d'œuvre créés— Boulle inaugure comme un règne nouveau. A l'exemple de son maître, le grand Louis XIV, il impose une suprématie dont s'éblouit l'Europe, et qui demeure incontestée. Boidle avait travaillé en la Manufacture royale des meubles de la cou- c'est la désignation officielle. Si les Gobelins, teinturiers venus de ronne: Reims et installés sur la rive de la Bièvre, s'étaient appliqués à la créa- tion des tapis et tentures qui devaient populariser leur nom, la maison fondée par eux, prodigieusement agrandie sous l'impulsion et le protec- torat de Colbert, ne limitait pas son activité à teindre et filer la laine; les Gobelins, nous entendons ceux de Louis XIY, et dès lors ce nom n'est plus d'une famille, mais d'un établissement, conçoivent, façonnent, à peu près tout ce qui peut être de digne encadrement en sa vie intérieure, à de la terre. ce roi que l'on dit et qui se proclame le premier roi Le jour où André Boulle travaille chez lui et préside seul aux labeurs de ses multiples et très divers collaborateurs, son travail est encore tout d'inspiration souveraine et dominatrice. C'est là, et dans toutes choses, le mobilier d'un roi ou de ses familiers. Ces choses n'ont pas d'utilité bien précise. Sans doute les cabinets superposent des tiroirs, mais ne 4 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR serait-ce pas déranger la symétrie de ces harmonieux ensembles que de tirer l'un de ces tiroirs ou du moins de ne pas le repousser aussitôt ? .\e serait-ce pas dommage et impertinence de placer un objet quel- conque et d'emploi vulgaire sur l'une de ces tables tout incrustées de cuivre et d'étain, et de rompre ainsi le tournoiement, les somptueux enlacements des rinceaux qui s'y déploient? Ces meubles sont à eux- mômes leur commencement et leur fin. Us sont un décor. Mais poui' en apprécier tout le mérite et toute la convenance, il faut les surprendre ou les replacer dans le milieu qu'ils devaient habiter et compléter. Le plus souvent ils sont de grandes proportions, peu maniables. Une des précieuses de Molière appelle deux laquais pour avancer un fauteuil ; et ce n'est pas trop pour une telle besogne. 11 faudrait, le plus souvent, toute une équipe pour déplacer quelque meuble de Boulle. A nous servir d'une expression de droit et de jurisprudence, nous dirions que ces meubles sont des immeubles par destination. Ce sont des monu- ments, et dans leur apparence, leur solidité, leur poids môme, ils carac- térisent à merveille une époque bien assise qui se croyait de longs len- domains, un âge où la fréquentation dans un salon était surtout d'un défilé noble, protocolaire, assagi, où les conversations mêmes ne dégé- néraient pas en tumultueuses agitations. On causait en place ou à peu près, comme dans les comédies du vieux répertoire. CARACTÉRISTIQUE DES TRAVAUX DE ANDRE-CIIARLES BOULLE La charpente, la matière première d'un meuble de Boulle est le plus souvent et d'abord de bois d'ébène. Mais ce bois de noirceur absolue, i|ue l'époque de Louis XIII avait volontiers ciselé et caressé d'une orne- mentation légère, est par lui-môme d'aspect triste. Un mobilier tout d'ébène et rien que d'ébène est un mobilier de grand deuil. Cela ne pouvait agréer au prince épris de fête et furieux de faste que dès lors se révèle Louis XIV. Sans doute que déjà le travail de la marqueterie était connu; les incrustations de métal, de nacre, d'ivoire étaient en usage. Les Italiens en étaient môme venus, non sans quelque bizarrerie parfois, à enchâsser des colonnettes d'agate, de lapis-lazuli, des panneaux de mosaïque de marbre, en des crédences, des tables, des cabinets. C'est affaire aux déesses de jaillir tout armées et toutes rayonnantes du front d'un dieu créateur. Dans les choses humaines, il n'est jamais de ces surprises et de ces miracles. De môme que dans les jardins déjà de jalouse symétrie et les bosquets bien disciplinés qui encadraient les châteaux de Henri lY et de Louis XIII, on trouve les premiers linéaments des T.ES MEUBLES EN MARQUETERIE DE A.-C. ROULEE 0 orgueilleux jardins que Lenôtre ouvre à la majestueuse promenade d'un dieu qui consent à n'être qu'un roi, de même dans les meubles antérieurs à Boulle, on remarque tous les éléments, toutes les pratiques qui vont magnifier les siens. Mais quelle discrétion, quelle timidité encore tout à l'heure! Avec Boulle, quelle soudaine explosion de prodigieuse somptuosité ! Les voyages plus fréquents, les colonies plus nombreuses, l'envolée superbe des vaisseaux du roi faisaient un peu moins rares les raretés d'autrefois. Des profondeurs de ses forêts, des profondeurs de ses mers, l'Inde prodiguait un peu plus aisément l'ébène, l'écaillé; et le tribut arrivait à nos ports sans trop de peine, des bois les plus précieux. Au besoin la chaleur du feu en faisait des bois ombrés, lorsque le maître vou- lait encore en varier les couleurs. L'ébène ne servira plus guère que de fond et de point d'appui ; les bronzes y ñeurissent inlassables; et l'écaillé de tortue s'y applique, mettant comme des taches profondes et luisantes où s'enlève admirable- ment l'or de la suprême ornementation. Là comme aux plafonds de triomphe, comme aux avenues des parcs fastueux, toute la mythologie païenne est conviée. Les saisons se caractérisent en leurs attributs tradi- tionnels, Apollon va saisir Daphné qui se transforme en laurier. Et le roi apparaît en un retour constant, ainsi que d'un astre radieux, perruque en tête, sceptre à la main. Parfois des médaillons s'égrènent en guir- landes : et ce sont les belles actions, les hauts faits du roi que la ciselure y raconte. On dirait les strophes d'une ode hautement chantante. Ovide est écouté, commenté ; ses Métamorphoses revivent en de plaisantes inter- prétations. Michel-Ange même est mis à contribution; et ses colosses attristés du tombeau des Médicis, tombés aux proportions de figurines, s'accoudent aux alentours de l'écusson royal. Ces bronzes, d'emploi si abondant, épousent en toute aisance les formes et les lignes essentielles du meuble. Ils ne sont pas une super- fétation. Nous verrons plus tard, dans le style dit Empire, les bronzes, du reste en eux-mêmes bien exécutés, se clouer brutalement aux vastes solitudes des panneaux d'acajou, si bien qu'ils semblent à peu près indépendants du meuble dont ils enrichissent la pauvreté. A.-C. Boulle conçoit toute chose dans un ensemble parfait ; et le détail tient à l'essentiel, la fioraison à la tige. Boulle conquiert rapidement une notoriété brillante. Lorsque le cavalier Bernin vient à Paris en i665, appelé par Louis XIV, volontiers il critique et blâme toutes choses qui sont du génie français. Il daigne cependant approuver l'œuvre de Boulle. Les clients sont le roi, le — 5 — o COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR prince, les financiers fameux. Samuel Bernard paie le bureau où il fera ses comptes, cinquante mille livres. 11 faut tripler la somme à peu près pour justement estimer une telle dépense. DESTRUCTION OU DISPERSION DES MERVEILLES CRÉÉES PAR A.-C. BOULLE D'aucuns peuvent aujourd'hui encore se rappeler la grande galerie du château de Saint-Cloud. Mignard en avait peint les voûtes somp- tueuses, et tout alentour, se faisant majestueux vis-à-vis, s'échelonnaient des meubles de luxe où la main de Boulle s'était délicieusement surpassée. Quelques-uns de ces meubles sont maintenant au Musée du Louvre. On citait comme une merveille entre tant de merveilles l'appartement du grand dauphin au château de Versailles. Il était, dans son décor, tout entier delà conception et de l'exécution de Boulle. Les orages des révo- lutions devaient disperser quelques éléments de ce bel ensemble. Va- guère, aux portes de Florence, en la villa-palais de San Donato, oii le prince Demidoff avait accumulé de vertigineuses richesses, on retrouvait quelques coffrets autrefois de ce dauphin promis à la tâche redoutable de continuer le grand roi. Une telle renommée, une activité que les commandes incessantes ne laissaient guère chômer, auraient dù rapidement enrichir Boulle. Mais ceux-là qui ordonnaient ces beaux labeurs ne les payaient pas toujours avec une scrupuleuse exactitude. On devait beaucoup à Boulle ; hélas ! il devait beaucoup plus encore. Il vivait dans les créances et dans les dettes. L'équilibre instable en fut bientôt rompu. Les dettes ne pouvaient manquer bientôt de l'emporter. Enfin Boulle était en proie à la passion du collectionneur. Il entas- sait, entassait tout ce qui était pour inspirer son imagination facile, aussi pour amuser sa curiosité. Hélas ! cette collection, que tendrement il appelle sa source délicieuse, se va tarir brusquement et disparaître. Dans la nuit du a8 au aq août lyao, un incendie éclate, et tout est consumé. Boulle jette un cri de détresse. Il sollicite des secours du régent. Cette perte que dans un mémoire détaillé il estime à 870770 livres— à peu près un million — n'est pas que des bois emmagasinés, des meubles commencés, des dessins, des modèles, elle est d'albums précieux, d'estampes admirables. Ainsi dispa- raît une série de gravures d'après Van Dick, et que Van Dick lui-même avait retouchées. Dès lors Boulle a soixante-dix-huit ans. Il vivra encore douze ans, étant mort en 173a. Il s'était marié en 1677 avec une jeune fille de vingt — Ü — LES MEUBLES EX MARQUETERIE UE A.-G. BOULLE ans, et le ménage avait multiplié. Boulle devait laisser quatre fils, en négligeant les filles. Son activité s'étend surplus d'un siècle, car ses fils devaient le continuer soit en achevant les travaux déjà entrepris, soit en reprodui- sant à peu près les œuvres les mieux consacrées. 11 est bien remarcjualile (ju'en un pays si docile aux fluctuations de la mode, si mobile en ses caprices, que souvent est notre chère France, Boulle et les siens, sans Jamais avoir essentiellement modifié leur idéal et leur pratique, aient maintenu la môme faveur. Madame de Pompadour, trente ans après la disparition de Boulle, elle qui veut être comme personne au goût du jour, fait acheter un lustre de Boulle et le paie 960 livres. Sa belle-sœur, la marquise de Marigny — et Marigny est le Mécène officiel d'alors — achète 840 livres une horloge dont le coffre est de Boulle. LES MEUBLES DE BOULLE NE GONXAITROXT XI LA DISGRACE NI LE DÉDAIN Depuis lors les prix n'ont pas cessé leur ascension presque déli- rante. Le 27 juin 1882, sont vendues les collections du duc de Hamilton. Deux grandes armoires de Boulle sont adjugées 12075 livres sterling, soit 3oi 870 francs de notre monnaie. De pareilles sommes sont un éloge, non pas seulement dans la preuve qu'elles donnent de la haute admiration généralement consentie, mais dans la constance toujours maintenue de cette admiration. Encore une fois, lorsque tant de choses, et de très belles, se démodaient, les meubles de Boulle jamais ne devaient connaître la disgrâce et le dédain. 11 ne semble pas qu'ils puissent jamais être démodés. A cet égard, leur presque inutilité même les a recommandés et les sauvegarde. N'ayant jamais eu que vaguement la mission de satisfaire à des besoins journaliers, on ne sau- rait leur reprocher de ne plus satisfaire à des fjesoins changeants, à des habitudes nouvelles. Ils resteront jeunes parce qu'ils sont beaux et n'ont jamais rêvé que d'être idéaux. Sans doute que la fantaisie humaine ima- ginera d'autres merveilles; mais dans leur genre celles-ci ne sauraient être dépassées. DÉTRESSE DE ANDRÉ-CHARLES BOULLE ET DE SES ENFANTS Quel contraste cependant entre ces choses de splendeur extrême, et la misère, la détresse de ceux-là qui les avaient enfantées ! Boulle vivant et jusqu'au dernier jour, presque centenaire toujours travaillant, conju- rait encore à peu près l'effondrement sans retour. Mais à peine a-t-il 8 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR déserté sa tâche, que la ruine vient d'entrer chez lui. Ses iils se dis- persent. II se sont joués aux matières les plus rares, ils ont vu l'or leur ruisseler dans les mains ; et bientôt ils n'ont plus un sou vaillant au logis. Ils ont meublé des palais, ils sont traqués dans leur pauvre atelier. L'un quelque temps se cramponne en l'appartement du Louvre dont le roi lui a consenti le maintien, mais il y défaille de pauvreté. Un autre se réfugie au faubourg Saint-Antoine, et peut-être son exemple, ses ensei- gnements ont-ils préparé l'éclosion de cette industrie du meuble qui, là encore aujourd'hui prospère, sans toutefois que ses ambitions soient d'enorgueillir désormais des palais de faste et de triomphe. Ainsi disparaît la lignée des BouIIes. Parmi les meubles que le grand André avait conçus, il était des commodes que l'on disait des commodes en tombeau. Le mot est peu gracieux et mal réconfortant. Ces commodes funéraires sont cependant de richesse prodigieuse. Ainsi, alentour de cette famille qui fut illustre et qui sombre aux tristesses les plus na- vrantes, il est une somptuosité dont nos yeux s'éblouissent encore. Le tombeau de BouIIe et des siens, alors même qu'il se refermait sur des poussières désolées, reflétait, et doit longuement refléter encore, un peu de cette lumière et de cette joie d'apparat, qui furent la pensée et l'âme d'un grând siècle et d'un grand roi. F ig. j — . Coiiimocle en marqueterie de cuivre sur fond d'écuille, par A.-C. Boulle. ' • ■ (Foiine dite Tombeau.) (Bibliotlièque Mazarine, à Paris). — 8 - l 'iG. 4. Console-crédencc en inarquclevie d'écaillé, élain cl enivre, — Chutes de lauriers et de feuillages, pieds eu forme de griffes, crossettes à rosaces et pieds à toupie en cuivre ciselé et doré. (.Musée du Louvre.) il A.-G. lioiLLE. 2. — — i o COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR CARACTERISTIQUE DU BOULLE ET DU COATRE-BOULLE. Établir la comparaison avec la figure fi. Cette armoire en óbène, avec marqueterie d'écaillé cl métal, fait partie du Alusée du Louvre. J 'IG. 5. — Armoire en Boulle ou Premiei' emploi des ])]a(jaes d'écailie et de métal découpées ensemble. Génies, trophées de chasse et ornements en cuivre ciselé et doré. — 10 T.ES MEUBLES ICN MARQUETERIE DE A.-C. BOUL·LE 11 CARACTERISTIQUE DU ROULEE ET DU CONTRE-BOULLE. Élablir la comparaison avec la figure a. Ce ilocumcnl a Ó16 ilcssinó spécialement pour démontrer le Premier et Second emploi des plaques d'écaillé el de mêlai découpées ensemble. jT jq 6. — Armoire en Confre-Boul/c ou Second eni|)loi des plaques d écaille et de mêlai découpées ensemble. . Génies, trophées de chasse et ornements en cuivre ciselé et doré. — 11 — î;«- fJi i2 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR LES MEUBLES EN MARQUETERIE DE A.-C. BOULLE 13 Partie inférieure (Musée du Louvre). Partie supérieure (Musée du tjouvre). F cl cui\re el — étuin, ig. 10. — Panneau en marqueterie d'écaillé, cuivre et. élain, F ig o Paniienu en niarcjueterie écaille, . - exécuté sous la dii'cctiou de A.-C. Boulle. exécuté sous la direction de A.-C. Boulle. — 13 — — 12 — riMillÉiiÜtt ■illHiMíiill 14 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Fig. ii et 12. — Console et Cofl'ret de mariage en ébène, avec marqueterie d'écaillé et cuivre, commandés à A.-G. Boulle, par Louis XIV, pour le Grand Dauphin. — 14 — A. Ifi COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR « Fig. i5 à 20. — Pendule-g·aijie (el détails) allribuée à A. -G. Roiille. Marqueterie de cuivre se délacliaut sur un l'oud de laque, noir bleu. AUributs en cuivre ciselé et doré. (.Ancien Ilùtel de Rohan, à Paris.) I ÉPOQUE DE LOUIS XV MŒURS CHANGEANTES. — INFLUENCES DIVERSES FINESSE CHATOYANTE ET ONDULATION DES BRONZES ET DE L'OR QUI LES RELÈVE Louis XV règne Eespace d'à peu près soixante ans. De son berceau natal que bien peu de jours séparent de son avènement, car Louis XV est roi alors qu'il vient cesser à peine d'être un nourrisson, aux jours attristés d'une puissance qui faiblit et d'un prestige qui s'abaisse, sans violence tapageuse, mais en toute évidence, un travail s'est poursuivi qui profondément transforme les esprits, incline et rapetisse ce qui fut exalté, exalte et relève ce qui fut dédaigné et méconnu. La royauté, même en tout ce qui l'environne et la reflète, dès lors chemine lentement, et d'aucunes fois trébuche. La direction : suprême de toutes choses n'émane plus de ce foyer unique, le roi. Et cependant jamais une floraison plus active n'a fermenté aux pro- fondeurs de la pensée française, ne s'est épanouie en des œuvres j plus diverses et plus agréables. Plus et mieux que le roi Louis -XV, ] l'esprit règne et gouverne, léger, alerte, inlassable, exquis, imper- « tinent, ne respectant rien ni personne, mais enguirlandant toutes choses, de fleurettes, de grâces, de badinages, de gaieté. L'art dit | de Louis XIV, jusque dans la majesté et l'élégance souveraine des ameu- | Bronzes Loi-is XV. — 1 — 17 Melbles, j 1 Í -I 2 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR blements, est de noble tenue, en quelque sorte masculin. L'art dit de Louis XV, et jusque dans la finesse chatoyante et ondulante de ses bronzes et de l'or qui les relève, s'affirme avant tout, délicat, ingénieux, capricieux, un peu fou, en quelque sorte féminin. N'est-ce pas le temps où la femme, comme jamais, devient une puissance directrice et partout en éveil; que cette femme, à peu près honnête, tienne un salon où fré- quente l'élite des beaux esprits, que cette femme, délicieusement pèche- resse, siège dans les conseils de l'État, et de ses doigts subtils, joue, ainsi qu'elle jouerait avec des marionnettes, avec les ministres, les princes et même les prélats. Louis XIV étalait la femme, ou les femmes, qu'il glorifiait de ses faveurs, il les comblait; il ne les consultait guère. Louis XV les consulte, ou du moins les écoute. Toute chose, ou à peu près, se décide entre deux sourires et dans le battement d'aile d'un éventail. C'est charmant, du moins dans le domaine radieux de l'art. LE MÉTAL QUE L'OR REVÊT APPARAIT PLUS LUXUEUX QUE NE SAURAIENT ÊTRE LES BOIS LES PLUS PRÉCIEUX C'est charmant et c'est changeant, l'instinct de la femme, du moins de la femme qui avant tout veut s'amuser et plaire — nous ne parlons pas ici des bonnes ménagères aimées de l'honnête Chardin — étant d'imaginer sans cesse des surprises joyeuses, des fantaisies piquantes. Dès lors il faut que l'art incessamment se renouvelle ainsi que les fleurs d'un joli parterre où la châtelaine se prélasse et se veut distraire de ses ennuis. L'ennui dès lors est l'ennemi entre tous redouté; et rien n'est oublié pour le bannir. Ces variations perpétuelles, reconnaissables dans les œuvres cependant moins dociles de l'architecture, de la statuaire, de la peinture, apparaissent plus immédiates et plus rapides en tout ce qui est d'usage familier. Les mains des belles dames ne sauraient rester en place, nerveuses, irritables, vagabondes; elles modèlent à leur image ce qu'elles touchent. Elles vont contourner, chiffonner le métal même, ainsi qu'un ruban chatoyant, qu'une gaze vaporeuse. Leur caresse est une étreinte, et tout lui obéit. ' Le métal que 1 or revêt, apparaît plus luxueux que ne sauraient être les bois les plus précieux, les bois de merisier sauvage, d'amarante, de rose, de violette dès lors en faveur. Que les noms seuls en sont jolis. Le bronze, comme dans une frondaison conquérante et splendide, va étouffer à peu près et supprimer tout ce qui n'est pas lui. Lorsque Oppenort, architecte du régent, dessine des meubles, cette humeur d'usurpation déjà se manifeste. Cependant Oppenort, né en ifij'i, appartient, par son origine et ses habitudes traditionnelles, à l'âge — 18 — LES MEUBLES OKNÉS DE BRONZES CISELÉS. — LOUIS XV 3 précédent. Enfin c'est un architecte. Habitué à maîtriser et vivifier tant de matériaux divers, il n'est pas pour s'éprendre d'une matière unique. Mais Cressent, né un peu plus tard, en i685, est surtout un bronzier, bien qu'il se dise ébéniste de S. A. S. Monseigneur le duc d'Orléans, et que son père fût très humblement un menuisier d'Amiens. ÉVOLUTION DU GOUT VERS LE MILIEU DU XVIIU SIÈCLE MEUBLES DE DESTINATION SEMBLABLE MAIS DE CONCEPTION DIFFÉRENTE Just-Aurèle Meissonnier, bien que son nom soit français, arrive de Turin; et ce n'est pas à la cour de Savoie qu'il a pris des goûts de mesure discrète, de pondération raisonnable. La simplicité lui fait hor- reur; et jamais pour conduire sa pensée et son crayon d'un point à un autre, il ne prendra le plus court chemin, c'est-à-dire la ligne droite. Le tortillé fait ses délices, aussi un peu les nôtres, il faut le recon- naître, car cette mode a bien son agrément, et non pas seulement par le contraste avec les formes superbes, mais un peu solennelles, que le siècle précédent avait consacrées comme en des lois presque dogma- tiques. Le rapprochement de deux groupes de meubles de destination semblable, mais non pas certes de semblable conception, précise l'évo- lution du goût vers le milieu du siècle et comme à l'apogée radieuse encore du règne de Louis XV. Ce sont des médailliers. Le premier, le plus ancien, œuvre de Ch. Cressent, affecte la disposition d'une haute armoire. Les vantaux sont décorés de bronzes délicats, très sobres, subordonnés aux lignes générales. L'aspect d'ensemble est plutôt sévère. Au reste c'est le meuble d'un prince repenti qui, pour expier un peu ses fautes relativement légères, les fautes plus reten- tissantes de son père, le fameux régent de France, s'est fait ermite, ou à peu près, et achève son existence au couvent des Génovéfains, en de telles austérités et pratiques édifiantes qu'il en est dit Louis le Pieux. Vers le même temps, en lySq, les frères Slodtz ont fait pour le roi un médaillier. Mais celui-ci emprunte les formes coutumières d'une commode qui bombe, pansue, sous ses bronzes, ainsi qu'une noble dame sous ses paniers et ses jupes encombrantes. Là le luxe du métal renchérit furieusement. Sur le bois que l'ébéniste Gaudreaux ouvrage, des médaillons sont enchâssés oû badinent des enfants, des médailles tombent en guirlandes, profanes chapelets, qui sont des empereurs, si bien que les Césars lointains, rappelés en cette moderne ornementation, semblent prêts à s'égrener sous la main du roi très chrétien. — 19 — 4 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Deux meubles d'encoignure, ceux-ci servant aussi de médailliers, devaient quelques années plus tard, en iy55, dans une composition de l'ébéniste Joubert, compléter cette splendeur et renchérir encore, ce qui paraissait impossible, sur cet étalage d'attributs héroïques et de bronzes glorieux. La pendule que signe Julien Leroy en lyÔD et qui réjouit mainte- nant une salle de la bibliothèque de l'Arsenal, n'est pas, sur sa haute gaine, toute de métal rayonnant. Le bronze triomphe, mais non pas seul. Au contraire, la pendule dont Passemant et Dauthiau règlent le mécanisme, en date de 1753, la pendule qui, de sa rare magnificence, imposera l'appellation de « Salon de la Pendule » à l'une des pièces de l'appartement royal dans Versailles, est toute de métal. Ainsi sont conçus et construits les cartels si nombreux qui dès lors s'accro- client aux murs, parfois se suspendent sur les glaces où les plus jolis minois du monde aiment à retrouver leur sourire. TRIOMPHE DE LA ROCAILLE FURIEUSEMENT MAIS ELEGAMMENT CONTOURNEE. N ATTIRANCE PARTICULIÈRE VERS LE JOLI ET L'AIMABLE Qu'est-ce donc que représentent ces bronzes fondus le plus sou- vent aux ateliers de Golson, de Jacques Confesseur? Des choses très diverses! En quelques notes écrites de sa main illustre, autographe rare et précieux, Louis XIY recommande à son architecte Mansart, de mettre, aux décorations qu'il projette « de l'enfance «. Et sans doute que fut rempli le désir du maître. Au règne suivant, l'enfance plus encore est désirée et surabonde. Ces innocences plaisent à une société qui n'est rien moins qu'innocente. Ces bambini^ comme auraient dit les Italiens, se chargent des attributs les plus divers ; ils sont des dieux, ils sont les quatre éléments, les quatre saisons. Ils lutinent le Temps, le désarme. Ils hissent Europe sur l'échiné d'un taureau amoureux, car la mythologie est encore en grande faveur; et cette société connaît les divinités païennes en toutes leurs aventures, comme elle connaît les évangiles. Cette prééminence donnée à l'enfance potelée, à ces ché- rubins espiègles, accuse, en toute grâce, une attirance particulière vers le joli et l'aimable. La grandeur et la force semblent importuner quelque peu; on les oublie, on les raille, du moins on les enguirlande. Ce petit monde toutefois est d'une réalité encore vivante. Mais volon- tiers tout alentour jaillit une végétation de rinceaux bizarres, de ieuillages ignorés de la nature, d'impossibilités toutes charmantes. C'est vers le milieu du siècle, le triomphe de la Rocaille. Partout, pour — 20 — LES MEUBLES ORXÉS DE BRONZES CISELÉS. - LOUIS 'XV quelques jours du moins, elle fait rage. Elle se tord comme un serpent blessé, s'accroche aux panneaux, et ce sont ces « bras de lumière», ces appliques dès lors l'accompagnement obligé de tout ameublement nouveau. Tout de rocaille, furieusement mais élégamment contournée, est le lustre qui plus jamais ne s'allume, mais qui apparaît suspendu en la bibliothèque Mazarine. Quelques amours joufflus, des tours reconnais- sables, emblème héraldique qui se retrouve aux armoiries des Pois- sons, font supposer, dans ce joyau de bronze, une commande, ou une inspiration de M'"® de Pompadour, Avant la Révolution, ce lustre, en double- exemplaire, se trouvait à Versailles dans la chambre du roi. RÉUNION CURIEUSE, DANS LE BUREAU DIT DE CHOISEUL DE CE QU'IL Y A DE SOUPLE, D'INGÉNIEUX, DE CARESSANT DANS LA ROCAILLE. QUELQUES DÉTAILS DU BUREAU DE LOUIS XV ANNONCENT LE STYLE LOUIS XVI La rocaille envahit la panse des commodes, agrémente les tiroirs, étreint les pieds qui jamais, sans se courber, ne s'appuient sur le sol. La rocaille, bien qu'elle soit associée à d'autres éléments de décor plus raisonnables, fleurit au grand bureau dit de Choiseul qui fut, qui reste, dit de Metternich, ayant toujours servi à élaborer les destinées d'un grand État, et dont Vienne se glorifie. C'est une œuvre de Jacques Caffieri et de son fils Philippe. La mode plus encore s'il est possible que le cœur, a ses raisons que la raison ignore. Cependant on peut trouver vaguement l'origine première de « la rocaille » dans les caprices fantastiques, la faune de dragons et de chimères, que la Chine venait de révéler. A l'heure même où les Martins entreprennent, dans leurs vernis, d'imiter et de tra- duire, avec (pielque infidélité par bonheur, les laques d'Extrême-Orient, la rocaille apparaît et triomphe. Les vases de décor somptueux, les potiches, les magots sont en faveur, presque autant que naguère les singes de Claude Gillot, les « espagnolettes » à la collerette tuyautée délicieusement, un souvenir de Watteau, petits bustes coquets, dont les extrémités des meubles naguère multipliaient la grâce et le sourire. Toutefois ces œuvres de céramique lointaine, notre France veut les faire siennes. Elle les habille, les enserre; l'alliance est piquante et jolie d'un vieux craquelé de Chine, et de cette rocaille toute parisienne poussée tout alentour. Contre ce débordement exquis, mais dont le vieux bon sens de France ne tarde à s'inquiéter, la réaction s'affirme assez pas rapide. Le même Passemant qui réglait et signait la pendule, à peu près toute 6 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR de cette mode un peu extravagante, dont s'honore l'appartement du roi, règle et signe, à peine quelques années plus tard, un baromètre de cadre symétrique et comme timidement assagi. Le comte de Caylus vient de publier son grand recueil des anti- quités grecques, romaines, même égyptiennes, et bien que ses dessi- nateurs efféminent et enjolivent un peu cette antiquité retrouvée, des enseignements se dégagent de cette vision, qui sont de mesure, d'élégance discrète, de pondération raisonnée. Les travaux de l'Italien Giambetta Piranesi confirment cette influence et ces oracles nouveaux. Un meuble, ou plutôt un monument, en toute magnificence, accuse cette évolution et réunit curieusement tout ce qu'il y a de souple, d'ingénieux, de caressant dans la rocaille, tout ce que pré- sentera d'aimable, de fin et de bien équilibré, un style déjà pressenti et qui va s'épanouir. Le bureau de Louis XV, fait à l'Arsenal où dès lors se trouvaient encore des ateliers que prêtait l'hospitalité royale, exigea la collaboration des ébénistes Jean-François Oeben, Jean-Henri Riesener, deux Allemands d'origine, mais étroitement francisés, des bronziers Duplessis, Hervieux et Winant. Le travail ne devait arriver à son achèvement qu'en 1769, après dix ans d'effort. Les attributs des sciences et des arts, que du reste le roi ignorait, apparaissent dans les bois en marquetterie, dans les figures de Calliope et d'Apollon que des feuillages de rêve, un dérivé des rocailles encore inoubliées, conti- nuent, mais sans les étouffer. Des enfants se jouaient alentour du profil royal qu'a remplacé tristement le grave profil de Minerve, depuis que le roi dit le Bien-Aimé devait cesser d'être aimé. Cependant la petite balustrade qui couronne et achève le bureau est déjà toute de style néo-classique. Ainsi ce meuble Louis XY annonce un peu le meuble Louis XYI, du moins en quelques détails. Rappelons en passant que Riesener, élève et collaborateur d'Oeben, continua son labeur, son commerce, même sa tâche conjugale, car il devait épouser sa veuve, celle-ci ayant le moins possible changé ses habitudes en changeant de mari. JACQUES CAFFIERI, NAIT EN LA MANUFACTURE ROYALE DES GOBELINS IL TRAVAILLE EN CONCURRENCE DE TALENT, PRESQUE DE GÉNIE, AVEC LES BRONZIERS LES PLUS HABILES Gomme les Boulles, les Martins, les Slodtz, plus tard les frères Jacobs, les Caffieri constituent toute une dynastie de beau labeur et de gloire fidèlement et longuement transmise. Le premier, originaire de Rome, vient à la suite de Mazarin. 11 est de sa protection, sinon de sa — 22 — LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS. — LOUIS XY 7 domesticité. Un autre, le plus illustre de tous, car dans ces lignées d'artistes excellents, comme dans les races royales, il est toujours une personnalité qui hautement rayonne et dont s'éclairent ascendants et descendants, un autre Gaffieri, Jacques, naît en la manufacture royale des Gobelins. Il appartient presque autant au règne de Louis XIY qu'au règne de Louis XV, car il naît en 1678 et ne meurt qu'en lyaa. Ses premiers pas se sont essayés au milieu des trésors de grand luxe dont le roi voulait s'environner; on sait que dès lors la seule confec- tion des tapis n'occupait pas les ouvriers des Gobelins. Plus tard, environné des siens qui lui sont des aides, Jacques Caf- fieri s'établit à Paris, dans une rue ancienne, aujourd'hui encore existante, et qui d'une enseigne ou sont représentées des canes barbotant dans une mare, est dite rue des Canettes. Le lieu semble triste et resserré auprès des libres espaces, encore à demi champêtres, qui s'offraient aux jolis rêves et aux ébats de l'enfance première. Cependant nous pourrions encore, et c'est d'une curiosité émue, suivre, aux environs de l'église Saint-Sulpice, la trace de Jacques Caffieri, mettre nos pas dans les siens. Jacques Caffieri fit pour Versailles, Marly, Cboisy, la Muette, Compiègne, de beaux travaux de bronzes ciselés et dorés. En dehors de ses garnitures de bronze pour meubles, ses ouvrages tels que feux, bras, cartels, etc., d'un faire gras et large, le place parmi les plus éminents fondeurs ciseleurs de son temps. 11 a rarement employé la figure comme motif de décoration. Les plus beaux meubles de Cressent sont-enrichis de bronzes ciselés et dorés par Jacques Caffieri. Quelques- uns des châteaux qu'il avait réjouis de son œuvre ont disparu, plus cruellement effacés de la terre ingrate à leur doux souvenir. Bellevue n'est plus où les Caffieri avaient aussi travaillé, en concurrence de talent, presque de génie, avec Desprez, Duplessis, Martincourt, Gallien, Varin père et fils, et autres fondeurs, ciseleurs et doreurs. En l'une des retraites les plus noblement mélancoliques de la forêt de Rambouillet, il est un étang maintenant semé de joncs. Les eaux immobiles se constellent de fleurs jaunes ou blanches que dé- ploient les placides nénuphars. Les hérons se prélassent sur la rive à peu près oubliée des humains. Cependant un mur de bel appareil surgit de cette végétation à peine vacillante; les herbes folles le festonnent. Il annonce quelque construction de richesse princière ; mais le rêve s'interrompt aussitôt. Ce mur, soutien d'une terrasse qui surplombait le miroir des eaux, est sans objet, sans raison. Le château qu'il portait a disparu, jusque dans ses derniers vestiges. Ce fut le château de saint Hubert. Jacques Caffieri était venu là, en ces solitudes dès lors quelquefois — 23 — 8 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR réjouies au tumulte des chasses brillantes et d'un cortège royal, car i Louis XV se plut quelquefois à oublier là son éternel ennui. Un jour | que Caffieri venait d'accrocher à la muraille des « bras » où des têtes de daim apparaissaient, accompagnées de cors de chasse et de feuil- | lages de chêne, le roi daigna regarder, approuver même. Il se donna î la i'atigue d'un compliment; et sans doute c'est un beau triomphe d'avoir, en son insouciance et parmi tant de splendeurs charmantes, un instant retenu et amusé le monarque le plus distrait, le plus non- chalant, le plus indifférent qui fut sur la terre. Hélas! saint Hubert n'est plus. Que sont devenues ces si jolies choses que dès lors la France enfantait comme en jouant? Alors que nous les retrouvons dans nos logis étonnés, dans la promiscuité inju- rieuse des enchères, à l'étranger, ce qui est plus lamentable encore, qu'il y a de tristesse dans ces objets de plaisir et de fine gaieté ! Le cadre n'est plus, le cadre ne peut plus être. Nous n'avons plus que des lambeaux de mélodies, quelques notes du joli concert d'autrefois. Aborder ces choses si plaisantes et si aimées, c'est poser les doigts sur un clavecin dont les cordes sont à demi cassées. L'ariette commence, mais pour s'achever ou se perdre dans un silence qui oublie les gentils refrains d'autrefois. Fig. 2 à 4. — Bronzes ciselés et dorés décorant le haut, le bas et le socle d'un cartel de l'Epoque de Louis XV. — 24 — LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS. — LOUIS XV 9 Fig . 4 il 11 — • Commode de l'Époque de la Régence (et détails), oimée de bronzes ciselés et dorés. — 25 Meubles, Bronzes Louis XV. — 2. m 10 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS. — LOUIS XV 11 et dorés Fig. 21 a 3o. — Commode du milieu do l'Époque de Louis XV, ornée de bronzes ciselés attribuée à Jacques Caffieri. — 27 — — DEVENIR CONNAISSEUR LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS. LOUIS XV COMMENT 13 Commodes de bronzes ciselés et dorés, attribuées à Jacques Gaffieri. Fie. 3 î . Commode ornée de bronze ciselés, attribuée a Charles Cressent. F ig 3i el 34- — . ornées — — Commode Slodtz. _ biG. 38 a — Details de bronzes ciseles et dores. Fig . 33. — Médaillier, orné de bronzes ciselés et dorés, commandé XV. aux frères Slodtz par le roi Louis par 44- bronzes Winant et Hervieux F ig 36 et 37. — Bureau de Louis XV (Face et Revers) dessiné par J. F. Oeben, acbeve par Riesener, par Duplessis, (1760-1769). . 29 — LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS. — LOUIS XV 13 IiG. 47-— Bureau plat à double face, de l'Époque de la Régence, et détails (fig. 48 et 49), ornéde bronzes ciselés et dorés, par Cressent. ·liG. 5o. — Commode d'angle ou médaillier, j)ar Jouberl, ornée de bronzes ciselés et dorés. — 31 16 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Fro. I. — Rinceau en bronze ciselé et doré. LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS ÉPOQUE DE LOUIS XVI IMPORTANCE DU BRONZE CISELE DANS LE DÉCOR DU MEUBLE Nous avons déjà maintes fois observé que l'art, dans ses transfer- mations et ses caprices, évolue d'un mouvement qui peut être assez lent, ou bien rapide et précipité, toujours reconnaissable cependant. C'est ainsi que le st}'le dit Louis XVI apparaît mieux que pressenti, lorsque le règne de Louis XV, de si remarquable fécondité dans les choses de l'art et les audaces de la pensée, n'a pas encore épuisé sa carrière de plus d'un demi-siècle. A l'époque de la Révolution, le style Louis XVI brusquement s'interrompt, bien que l'on puisse encore, derrière les bonnets phry- giens et parmi les rigides faisceaux consulaires, surprendre quelques bribes de cet art qui fut de rieuse coquetterie. La ciselure et les ciseleurs survivront à Louis XVI et à la vieille monarchie, mais combien différents d'eux-mêmes ! Un homme, un artiste éminent, devait, du privilège de sa longévité extraordinaire et inlassablement vaillante, embrasser ces âges si diffé- rents et, dans sa personne, continuer une admirable tradition, bien que la cassure brutale qu'entraîne la Révolution apparaisse en quelque sorte — 33 — Medbles. Bronzes. Louis XVI. — I. 2 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR jamais cicatrisée. Tliomire travaille pour Louis XV, pour Louis XVI, pour la reine Marie-Antoinette, pour Napoléon P*", pour Louis XVIll, Charles X et pour le roi bourgeois Louis-Philippe, car Thomire meurt seulement en i843. Et voilà qui fait de lui comme le patriarche de la ciselure française. Avec Thomire deux époques se sont succédé, et après lui commence un art que Fou peut dire absolument moderne et qu'ici du moins nous devons ignorer. On sait quelle importance le métal, spécialement le bronze ciselé et doré, peut revendiquer dans la décoration du meuble, tel que le comprend le règne fastueux de Louis XIV, tel que la mode l'accepte et le diversifie en la longue période qu'enveloppe le nom de Louis XV. Ce rôle considérable, presque souverain, du moins prééminent, ne sera pas diminué au meuble nouveau, dit de l'époque de Louis XVI, serait-il même un peu antérieur à Louis XVL On pourrait dire même que le métal dès lors revendique une admiration, sinon tout à fait exclusive, du moins quelque peu parti- culière et privilégiée. Sans doute les bois les plus rares sont employés, de préférence ceux de couleurs joyeuses, ceux qui sont de la clarté, et cela contredit à la sombre gravité de l'ébène, très en faveur au siècle de Louis XIV. Sans doute les médaillons de Saxe ou de Sèvres — Sèvres sera bientôt un rival heureux de la manufacture allemande — les plaques de porcelaine, les biscuits, apporteront, dans le meuble, des splendeurs et des grâces jusqu'alors inconnues, des surprises piquantes. Il n'en reste pas moins que les bronzes constituent la richesse première et dernière. Dans l'accord très harmonieux qui s'exhale d'un buffet, d'une table, d'une console, d'une commode ou d'une encoignure, c'est le bronze et l'or, associés et confondus — cela n'étant que le support de ceci — qui, en quelque sorte, donnent le ton et dominent l'aimable concert. CARACTÉRISTIQUE DES BRONZES CISELÉS A L'ÉPOQUE DE LOUIS XVI Les bronzes dont s'enveloppent les contours, dont s'égaient les surfaces, aux meubles des âges antérieurs, sont en eux-mêmes admi- rabies. Dans leur dessin, tout à la fois souple et somptueux, ils inté- ressent les yeux, de même qu'ils laissent aux doigts qui les manient, jusque dans le labyrinthe de leurs plaisantes contorsions, comme de pénétrantes caresses. Cependant ils ne sont jamais, en eux-mêmes et à eux seuls, des objets achevés. A les séparer du meuble qui les tenait enchâssés, on les mutile, on les rend presque méconnaissables. Ces rocailles, ces chicorées, cueillies et emportées, perdent de leurs — 34 — LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS. — LOUIS XVI 3 charmes. Les bronzes, dits Louis XVI, sont en eux-mêmes et tout seuls parfaitement exquis, enfin compréhensibles. Ceci pourrait être une critique et un blâme, si ces petits chefs-d'œuvre d'ingéniosité et de fine exécution n'apparaissaient encore plus jolis, adorables, presque inimitables, à la place même qu'ils devaient, et qu'ils devraient toujours occuper. Le divorce les attriste sans toutefois les dévaster. Descellées des plinthes de marbre ou d'albâtre où s'appuient les pendules qui semblent, tant mignonnes elles nous apparaissent, ne compter que des heures heureuses, les rondes d'amours continueront de badiner et de sourire ; et cependant on regrettera que la discrète sonnerie ne rythme et ne balance plus leurs folâtres ébats. Ce sera le privilège, plutôt fâcheux et qui mal les recommande, des bronzes multipliés en l'âge suivant, l'époque impériale, de se suffire pleinement à eux-mêmes ; si bien que les collectionneurs parfois préfèrent collectionner ces bronzes nou- veaux, enlevés à l'acajou qu'ils agrémentaient, que d'entasser les massifs monuments des commodes, des bureaux, des lits, où les maréchaux de l'empereur prenaient du reste peu le loisir de s'attarder. EMBLÈMES SOUVENT ExMPRUNTÉS A LA VIE CHAMPETRE Quels éléments sont le plus volontiers employés en cette ornemen- tation ? 11 est curieux de le rechercher, de le préciser, car jamais l'œuvre plastique et matérielle qu'enfante un art du dessin — la ciselure est avant tout du dessin — ne fut influencée et pénétrée des idées cou- rantes, de l'atmosphère environnante, comme en ces jours suprêmes, et de crépuscule ravissant, qui marquent la fin d\m monde. J.-J. Rousseau invente et découvre la nature ; il s'avise d'aimer, presque de chanter, l'herbe et les fleurs de libre enfantement. L'Allemand Gessner, l'Anglais Thomson et les petits poètes Iran- çais qui les imitent, Berquin, Léonard, célèbrent les plaisirs des champs, la prétendue innocence des braves laboureurs et des bergers, du reste enrubannés ; c'est le moins qu'ils passent au vestiaire de la comédie italienne avant de se présenter dans le beau monde qui leur fait si complaisante fête. Et les bergers, les bergeries, les rubans, les houlettes ne seront pas que dans les dessus de portes, aux trumeaux des boudoirs, ils reparaîtront sous la main du ciseleur. Les rinceaux de Boulle, les bizarres mais si jolies rocailles qui réjouissaient les beaux yeux de Madame de Pompadour, n'ont rien de réel et qui soit directement imité de la nature. Au contraire la flore est parfaitement vivante et authentique, dont la ciselure nouvelle s'éprend, se pare et se glorifie. Elle ceint des — 35 — 4 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR lauriers, elle enguirlande des pampres, elle déploie des lys, que M. de Jussieu pourrait reconnaître et accompagner d'une dénomination bota- nique. C'est la vérité même qui éclate et s'épanouit dans ces roses en boutons, ou dont les pétales sont déjà entr'ouverts à demi. Lorsque Gouthière présente à la reine Marie-Antoinette une rose de métal, la reine s'extasie, croyant que ce bronze simplement doré est d'or véri- table — Gouthière s'enorgueillissait tout spécialement d'avoir inventé l'or mat — mais la reine aurait pu, non moins justement, s'émerveiller de la fidélité dans l'imitation de la fleur vivante et parfumée. Ces bronzes composent volontiers de petits tableaux en eux-mêmes bien délimités et complets. Les nudités enfantines volontiers s'y jouent. Cette société, dès lors si vieille et déjà défaillante, se plaît à ce retour vers les joies et les plaisirs inconscients du premier âge. Tels ces vieillards qui si complaisamment rappellent leurs heures printanières et l'éclosion des espérances, hélas! suivies de tant de regrets. Nous dirions que ce monde tombe en enfance, si son langage n'était pas d'une si aimable légèreté. C'est frivole, mais c'est bien joli. Toutefois cette ornementation de métal est toujours de petites pro- portions ; elle veut être caressée de la main autant que des yeux. Elle est faite pour être vue et détaillée de tout près, non pas pour être contemplée à distance. Aussi convient-elle à des appartements discrets, de proper- tions réduites. Ces délicates merveilles seraient perdues dans l'immensité d'une galerie où se prélassait la pompe d'une cour comme la comprenait Louis XIV; elles veulent être enfermées, et jalousement gardées, en des boudoirs galants, du moins en des salons où ne fréquentent que des abbés libertins, des philosophes jolis causeurs, des dames délicieusement minaudières et souriantes. INFLUENCE DES DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES ET DES VOYAGES EN ORIENT SUR L'ORNEMENTATION DES BRONZES CISELÉS Cependant les voyages, même assez lointains, sont devenus plus fréquents. Les récits, qui toujours doivent être amusants et spirituels, déforment un peu les réalités des nations passagèrement effleurées. Cependant quelque chose de ces découvertes apparaîtra jusque sous la main du ciseleur. Le Jeune Anaèliarsis voyage en Grèce avec un savant mais aimable précepteur, l'abbé Barthélémy; on entrevoit l'Egypte, on vient de découvrir Herculanum, on déblaie quelques maisons de Pompéi. Une antiquité surgit et refleurit, qui n'est pas seulement de majesté souveraine, qui est avant tout piquante, voluptueuse, agréable; et cette antiquité est pour agréer à ce monde, à cette société, si empressés de — 3G — LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS. — LOUIS XVI jouir et de se faire aimer, à l'instant de disparaître et de se faire regretter. Ainsi on cisellera, au cabinet turc de Fontainebleau, des turbans, des enseignes en queues de cheval, des croissants, comme dit-on, ou à peu près, on en voit à Constantinople, autour du grand seigneur. Ainsi les ordres anciens, la volute Ionique, les acanthes Corinthiennes, les canne- lures traditionnelles, seront-ils traduits en bronze avec une aisance, une liberté, presque une impertinence qui merveilleusement nous sédui- sent. Jamais des motifs plus étrangers les uns aux autres, jamais des souvenirs plus incohérents, des influences plus diverses, ne devaient s'associer dans un ensemble plus divers et plus harmonieux. Par cela même que cette ornementation devait être vue de tout près, elle devait être d'un fini extrêmement délicat et d'une impeccable préciosité. Qu'une comparaison nous soit permise, celle-ci empruntée à un art bien éloigné de la ciselure, quelque peu apparenté cependant, et du reste nous demeurons aux mêmes jours et dans le même milieu où se levait, sourire suprême, celle qui devait être la si radieuse dauphine et la reine si lamentable. Haydn ainsi que Marie-Antoinette est un enfant de l'An- triche. Sa musique est légère, fluide, claire comme l'onde d'un ruisseau gentiment épanché dans les fleurs ; elle ne laisse rien qui soit de trouble, de souillure, ou de mystère. Elle est élégante comme un joli marquis de ¥ cour; elle est de bonne compagnie. Elle aime les champêtres plaisirs cependant, elle écoute fredonner les travailleurs des changeantes saisons ; elle leur fait un écho sympathique et qui semble à peu près fidèle. Telle, en quelque mesure, la ciselure épanouie aux meubles où devait trouver ses joies dernières le roi fléchissant et diminué que fut le pauvre Louis XVI. Elle aussi est précise, adroitement fouillée, sans incertitude, toute de joie, de clarté, de raison; mais la raison qui cruellement va régner tout à l'heure, se tempère encore d'une ineffable et complaisante sensibilité. En toutes choses dès lors on ne fut jamais plus charmant. GOUTHIÈRE, LE PLUS CÉLÈBRE CISELEUR DU TEMPS DE LOUIS XVI SES ÉLÈVES, SES COLLABORATEURS ET SES ÉMULES On montre à Fontainebleau, aux tout petits appartements qu'un caprice de roi, ou plutôt de reine, y devait enchâsser, une espagnolette dont la ciselure, attribuée à Louis XYl, pourrait être citée comme un modèle aux œuvres qui dès lors sortaient de la main des ciseleurs. Louis XVI avait de bien gros doigts pour modeler et découper de si mignonnes choses; et nul doute pour nous que cette attribution d une espagnolette au travail d'un roi soit fabuleuse, ou du moins singulièrement exagérée. De la forge et de l'étau établis aux combles de Versailles et qui — 37 — 6 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR devaient être plus agréablement hospitaliers au prince cpie les nobles immensités où sa grandeur devait se perdre, jamais ne sont sorties de semblables merveilles. Cependant cette attribution, même légendaire, témoigne de la haute estime qu'obtenait et méritait dès lors l'art du ciseleur. Un roi se trouvait donc flatté à se dire et se laisser dire l'émule de Gouthière. Ce nom, cet homme personnifie et résume l'art que nous étudions dans ce chapitre. Il a connu les œuvres deCallien, de Philippe Caffiéri; peut-être, en sa jeunesse première, a-t-il vu travailler ces immédiats prédécesseurs. Martincourt l'a conseillé, J.-A. Meissonnier Fa sans doute fréquenté en son logis du quai Pelletier, à l'enseigne de La boucle iVor, lorsque déjà il se pare de ce beau titre : ciseleur et doreur du roy. Duplessis a même rivalisé avec lui. Les ébénistes G.-C. Saunier, J.-F. Leleu, Martin Carlin, Levasseur ont réclamé sa collaboration. L'Aile- mand devenu si bien Français, Riesener, P.-N. Pasquier, Montigny, Benneman, Lequeu, Adam Weisweiller, J.-F. Schwerdièger et Degault lui ont peut-être imposé quelque dessin de meuble, le ciseleur dès lors étant subordonné au créateur premier. Cependant nul doute que partout Gouthière n'a jamais laissé diminuer, ni oublier sa personnalité. C'est un maître à qui l'on peut faire sa place, mais qui si bien l'occupe qu'ans- sitôt et complaisamment presque tous les regards viennent à lui. MADAME DU BARRY, PROTECTRICE DE GOUTHIÈRE Gouthière.est un parisien de Paris; et jamais l'adroite dextérité où l'ouvrier parisien si aisément triomphe, ne devait mieux s'affirmer et s'imposer. Cette main, armée du ciseau, de la lime, du marteau, eut ton- jours de l'esprit jusqu'au bout des ongles. Gouthière naquit, selon toute probabilité, en 1740. Au cours de son existence laborieuse, il devait rencontrer la cliente, la protectrice, qui le mieux convenait à son tout gra- cieux génie. Madame du Barry n'était qu'une grisette parisienne montée, par le hasard d'un caprice royal, du boulevard et des maisons galantes dont elle faisait d'abord ses plus chères délices, à l'apothéose de Ver- sailles. Ce n'était pas une intelligence ouverte à toutes les choses de l'art comme Madame de Pompadour. Elle ne connaissait de loi et de rêve que de gentiment s'amuser. Cependant par cela même qu'elle était une très jolie femme, un art avant tout infiniment joli lui devait agréer. Elle comprend, elle aime Gouthière qui se révèle coquet, aimable et fin, comme elle-même se devine aimable et coquette. Tout est petit alentour de Madame du Barry, mais aussi tout demeure absolument exquis. Son logis de prédilection n'est qu'un pavillon, tapi — 38 — LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS. — LOUIS XVI 7 comme un nid aux coteaux de Louveciennes. Marly est là dans le voisi- nage, paré encore de toutes ses royales magnificences; le dolent Saint- Germain apparaît par delà les méandres de la Seine toute prochaine. Au seuil même de ces pénates que glorifie, plutôt qu'elle ne les sanctifie, l'illustre pécheresse, montent et s'étalent les lourds tuyaux qui emportent l'eau conquise à la rivière, et la refoulent jusqu'aux bassins, aux cascades aisément taries de Versailles. Là, au temps même de sa faveur. Madame du Barry venait volontiers se blottir. Lorsque s'est refroidie la main protectrice et souveraine qui l'a tirée de son néant, plus volontiers encore elle y revient et s'y attarde. Au cours de l'année 1771, elle avait réglé des comptes de trente-six mille livres au seul Gouthière ; et la dépense totale des ciselures et dorures monte à cent vingt quatre mille livres jusqu'au mois d'août 1773. Les boutons de porte coûtent chacun dix-huit livres de ciselure; et sans doute ce devait être charmant de poser la main sur de tels joyaux. Le royal amant n'est plus. Mais Madame du Barry ne saurait se rési- gner à réduire sensiblement ses dépenses. Elle gaspille avec délices, tel un petit oiseau, tout de joli plumage, mais sans cervelle, qui fait sauter de sa cage les graines de sa mangeoire., sans souci du lendemain et de la famine prochaine. Le décor que la favorite nullement repentie veut à sa beauté du reste longuement survivante, est des créations les plus ravis- santes qui soient de son temps. Ne rappelons que la fillette de la cruche cassée qui, de ses grands yeux de douteuse innocence, a vu les gran- deurs dernières, hélas ! et les angoisses premières de la châtelaine. ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE. — GOUTHIÈRE MEURT DÉPOURVU DE TOUT SES ŒUVRES SONT CONSERVÉES DANS LES MUSÉES Lorsque la Bévolution éclate, Madame du Barry doit 706000 livres à Gouthière, sans parler de ses autres dettes. Elle aime Louveciennes, elle en est aimée. C'était la destinée de cette femme de toujours être aimée. Cependant trop confiante, elle est revenue de l'étranger où d'abord elle avait pris refuge. On la trahit, on la vend; elle meurt, s'accrochant aux barreaux de sa prison, se cramponnant à la vie qu'elle aime encore, car la vie ne lui fut jamais, et jamais elle ne pouvait la comprendre autrement, que d'amusettes, d'amourettes et de jolies fêtes. Elle mourut attestant le ciel que jamais elle n'avait fait de mal à personne, et sans doute elle le croyait. Elle n'avait fait que plaire, sourire, aimer. Gouthière cependant crie misère. La Bévolution confisque et laisse perdre de prodigieux trésors. Gouthière réclame son dû et exige son 8 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR droit, mais inutilement. Entre temps, on invite Gouthière, car sa compé- tence est connue, à inventorier et estimer des objets saisis dans les égdises. Il sollicite du moins une place dans un hospice, sans du reste l'obtenir, et meurt dépourvu de tout en i8i3. Dans un prochain chapitre, nous nous occuperons spécialement des Bronzes (Tameiihleinent à VEpoque de Louis XVI; le musée du Louvre garde quelques chefs-d'œuvre en ce genre et Gouthière s'y voit glorifié : C'est une coupe d'agate, toute petite, en forme de baignoire. Deux coqs, les ailes à demi ouvertes, la soutiennent, deux enfants se pen- chent curieux sur le bord, comme s'ils guettaient la soudaine apparition d'une belle et mignonne baigneuse. Ce sont des feux, ainsi que l'on disait autrefois, ce que nous appel- lerions maintenant des garde-feu, et qui sont une épave sauvée du naufrage de Louveciennes. Là encore le bronze a raconté la vie réelle. Un cerf, un sanglier se font vis-à-vis, remplaçant des feuillages tout conventionnels et contournés que l'âge précédent aurait imaginés. Une galerie finement ouvragée continue ces épisodes d'une chasse royale. Cela est précieux dans son travail et dans son galant souvenir. Nul doute que sur ces bronzes, qui semblent tout de fête joyeuse, se sont posés les petits pieds d'une petite reine qui vit se prosterner devant elle un roi, une cour, la plus illustre du monde, et quelque peu de la France même éprise de son sourire et de sa printanière gaieté. F ig . 2 et 3. — Devant et côté d'une commode de la fin de l'Époque de Louis XVI ornée de bronzes ciselés et dorés. \.. LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS — LOUIS XVI 9 tiG. 4 à 10. — Grande commode (et détails), par G. Benneman, ornée de bronzes ciselés et dorés, et décorée d'un médaillon en biscuit de Sèvres (et, sur chaque côté, d un médaillon en porcelaine.) — '11 — Meubles. Bronzes. Louis XVI. — Í2. I 10 COMMENT DEYE.MR CONNAISSEUR T.ES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS — LOUIS XVI li Fig. ir. — Armoire à bijoux de lu reine Marie-Antoinelle Chef-d'œuvre d 'éliéisteric et. de l'art de la eisclure, par J.-F. Sclnverdfeger, Degault et Thomire. ■ IiG. ' 12 et 1 ,1. — Détails de la frise ajourée, - • applicpice sur un fond de marbre foncé. Fig. eclt ^7L Cariatides (Pii·iilleemppss ert iE^liéeli. bi-iGg. iCn) eti 17. — Dueétaiils cdie la ceounronneo circulaire, d«es meéudainllouun.s udue wdimve; rses (ormes y sont disposes. ,i j t — . l·iG. 18. — Panneau central, une Renommée tient en main Pécussoii tleurdelisé de Fracc et des couronnes; au-dessous la Peinture, la Musicpie, la Sculpture et r.\rcbilecture. — 42 — 43 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR PiG. ly à 3o. — Armoire à bijoux (et détails), exécutée à l'occasion d'un Elle mariage. est ornée de bron/es ciselés et dorés, et son décor porte les symboles de l'harmonie et de l'amour. — 14 — LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS — LOUIS XVI 13 F ig . 3i à 37. — Armoire à bijoux (et détails), ornée de bronzes ciselés et , dorés, décorée de onze médaillons en porcelaine de Sèvres. — 45 — msudles. bro:2. — à ouvrage Fig 03. — Table à écrire par Riesener, ornée de bronzes ciselés,par Gouthière (vendue i56,ooo fr.). . Fig. 64 à 79. — Encoignure, pieds de tables et de sièges, ornés de bronzes ciselés et dores. — 48 — OBJETS MOBILIERS, EN BRONZE CISELÉ ET DORÉ ÉPOQUES DE LOUIS XIV A NAPOLÉON VASES ET COUPES DE DÉCORATION HORLOGES, RÉGULATEURS, PENDULES ET CARTELS FEUX (CHENETS) CHANDELIERS, APPLIQUES ET CANDÉLABRES Objets mobiuees. — \. COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR 'fíTffW Détails des bronzes ciselés et dorés. Epoque de Louis XIV. oir page i6 l'ensemble de l'borloge à laquelle ces détails sont empruntés.) Détails de bronzes ciselés et dorés (Meuble de l'Époque de Louis XIV). — 51 — COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Formes de vases et décors. Époque de Louis XIV. OBJETS MOBILIERS, ÉPOQUES DE LOUIS XIV A NAPOLÉON I" 5 Formes de vases et décors. Époque de Louis XV COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR tormes de vases et décors. — Époque de Louis tormes de vases et décors. Époque de Napoléon P''. — 55 — COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR XIV Horloges, Cartels et Pendules avec bronzes ciselés et dorés. Epoque de Louis — 56 — OBJETS MOBILIERS, ÉPOQUES DE LOUIS XIV A NAPOLÉON p Pendules, Régulateurs et Cartels avec, ou en bronze ciselé et doré. Époque de Louis XV Objets mobiliers. 10 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR r* ^"TT^Bá'ÍSArí ¿'/.'JllîV •■íM'.^·'íï''. Feux en argent, vermeil ou bronze ciselé et doré Epoque de Louis XIV, n°' i à 5 et 8. — Époque de Lotiis XV, n° Epoque de Louis XVI, n°® ii, i '2, 14 à 16. OBJETS MOBILIERS, ÉPOQUES DE LOUIS XIV A NAPOLÉON I" 13 Chandeliers en argent ou en bronze ciselé et doré. Époque de Louis XIV, n°® i à i5. — Époque de Louis XY, 17 à 22. — Époque de Louis XM, n°' 28 à 28. — 63 — COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR :mys^ Candélabres et Appliques en argent ou en bronze ciselé et doré. Époque de Napoléon P"". V ': ;fl l·iG. i a 4- — Décoralion de la fin du X\III° siècle faisant pressentir le renouveau classique qui créra le Style du Premier Emq)ire. Table à six supports (et détails) ornée de bronzes ciselés et dorés. ; LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS i ÉPOQUE DU PREMIER EMPIRE I 1 LE MOBILIER NOUVEAU APPARAIT EN CONTRADICTION BRUTALE AVEC TOUTES CHOSES QUI L'AVAIENT PRÉCÉDÉ La bourrasque de la Révolution a passé. Bien des institutions ont été renouvelées ; mais le vide s'est fait lamentable en la plupart des palais, châteaux, petites maisons de retraite et de joie galante, oit s'enor- gueillissaient, se reposaient, s'oubliaient rois et princes. Les hôtels qu'habitaient la noblesse et la haute finance, non moins dépourvues désormais, ne sont plus, pour la plupart, que des solitudes mornes, ou des immensités que hantent les acquéreurs de biens nationaux, i Cependant l'ordre s'est rétabli; une furieuse joie de survivre, un I ardent besoin de vivre, exaltent tous les cœurs tremblants. : Le Directoire déchaîne une véritable rage de plaisirs, et dès lors les inquiétudes de la veille se rassurent ; l'étalage se fait confiant, insolent même, de la richesse. 1 Les palais sont rouverts ; les hôtels se repeuplent. 11 faut cependant \ remeubler et ceux-ci et ceux-là. Les meubles retrouvés dans les t greniers, remontés des loges de portier, ne sont plus selon les I convenances nouvelles. Sans doute la mode toujours évolue ; mais t 1 — 65 — M bubles . B ronzes . Premier E,iipire — . 1. 2 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR cette évolution dernière s'est exaspérée en révolution et le mobilier apparaîtra en contradiction brutale avec toutes choses nouveau qui l'avaient précédé. Ce n'est pas que la transition soit invisible, elle est souvent facile à suivre, comme à la trace ; et les ouvriers, les artistes, souvent les mêmes, car dès lors les événements se préci- pitent dans une hâte singulière, les ciseleurs, tous les habiles tour- menteurs du métal n'oublient pas si bien leur premier enseigne- ment, l'œuvre de leurs jours printaniers ne puisse pas se reconnaître que dans les créations de leurs derniers jours. Il n'en demeure pas moins que le caractère général et vigoureusement voulu du mobilier nouveau tranche avec ce que la tradition conseillait la veille encore. Et d'abord, la Révolution, en brisant les groupements proies- sionnels d'autrefois, en émancipant le travailleur, l'a isolé, rejeté loin de la vieille tutelle de ses pairs, et abandonné, non sans péril, à ses libres inspirations. Ainsi la mode, aussitôt surgie, devait trouver moins de résistance en présence de cet émiettement de labeurs, naguère étroitement réglementés. Enfin la société née de la Révolution réprouve tous les éléments d'aristocratique souvenir qui, si complaisamment, fleurissaient en chiffres orgueilleux, en armoiries, en ornements héral- diques et cela même devait altérer singulièrement le décor où s'étaient ; complus les âges maintenant dépassés. A L'ÉPOQUE DU PREMIER EMPIRE, LES BRONZES CISELÉS SONT CLOUÉS SUR L'ACAJOU EN UNE SYMÉTRIE BIEN DISCIPLINÉE Toutefois il faut travailler et produire beaucoup et vite. Cette génération, échappée aux pires épouvantes, ne veut pas attendre; et devant la désolation des logis qu'elle retrouve ou qu'elle s'est conquis, la nécessité s'impose d'un ameublement refait en toute hâte, luxueux cependant, car la discrétion dans les habitudes, l'effacement dans la vie coutumiére, nous le répétons, ne sont plus dans l'esprit nouveau. Le Directoire, gauchement, grossièrement, mais bruyamment s'exerce au faste, croyant peut-être substituer Athènes à l'austère Lacédémone. Mais bientôt Bonaparte ou Napoléon, le Consulat ou l'Empire, doivent non pas conseiller, mais imposer le luxe, la dépense, la prodigalité, l'apparat. Aussi, jusque dans cette existence de guerres incessantes, de deuils, de massacres glorieux que la France mène l'espace de vingt ans et plus, il est inimaginable de quelle activité, de quelle fécondité témoignent les.ateliers où s'élaborent les objets que réclament les logis, ceux-là mêmes qu'habite seulement une aisance bourgeoise. De ses débuts premiers à ses altérations dernières, le style dit - 66 — LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS. — NAPOLÉON 1" .1 Empire ne remplit que l'espace de vingt-cinq ans, à peu près. C'est un épanouissement bien éphémère ; et cependant tel en fut l'éclat, telle s'en affirme rimportance, que ce style marque nettement mieux qu'une époque, qu'il s'impose à notre étonnement, alors même que les éloges peuvent lui être contestés ou marchandés. DANS LE MOBILIER DE STYLE EMPIRE, LA RICHESSE EST SURTOUT DES BRONZES QUI LE DÉCORENT Les bronzes précieusement ciselés et dorés, de si délicieuse et magnifique conception qu'ils apparaissent, ne sont pas toute la splen- deur des meubles dits de Louis XVI. L'amusante polychromie des bois rares ingénieusement employés, l'opposition piquante de ces matériaux si divers, quelques sculptures dont ces bois sont animés et caressés, le dessin habile et léger des pieds oii tout l'édifice repose, en quelque sorte rarchitecture du meuble appréciée dans son ensemble, déjà trahissaient une intention décorative et comme une richesse coin- meneante. Le meuble de style Empire n'emploie à peu près qu'un seul bois, l'acajou; du moins le citronnier, l'if, pas encore tout à fait négligés, ne sont que de rencontre exceptionnelle. L'acajou doit suffire atout; et nous dirions que le blocus continental, la rareté et les difli- cuités du commerce d'outre-mer avaient imposé aux ébénistes l'abandon des bois précieux, mais de conquête lointaine, dits bois des îles, si l'acajou n'était pas un produit d'arrivage aussi malaisé. Il faut croire qu'en dépit des croisières anglaises, l'acajou arrivait jusqu'à nous en toute abondance, car la France impériale en devait faire une prodigieuse consommation. Cependant l'acajou, en sa tonalité rougeàtre et sombre, semble, pour nous servir d'une comparaison musicale, imposer un fond, une basse continue, de sévérité, même de tristesse. Ce bois est luxueux, il n'est pas joyeux. Enfin il se prête mal à la sculpture; il est comme inca- pable de souplesse et de docilité. Aussi scra-t-il employé en masse compacte, en panneaux rigides, en blocs symétriquement équarris, tout au plus traversés de quelques moulures indigentes. A la veille de la Révolution, la sculpture, libre conquérante du bois, découpait, contournait, enjolivait encore des consoles délicieuses, s'épanouissait en des cadres coquets, enguirlandait de pampres et de fleurs, les doux visages qui devaient bientôt pleurer des larmes si cruelles. Cet art de la sculpture sur bois dès lors disparaît à peu près complètement. La scie, le rabot, l'équerre et la règle suffiront à l'éta- blissement premier du meuble impérial; il est vrai qu'apparaissant dans — 67 — 4 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR cette ébauche natale et ses lignes essentielles, il sera crime pauvreté bien lamentable, cbune lourdeur et d'une laideur cpii seraient pour nous désoler. Aussitôt accourent à son aide, l'étolTe, f{uelr{uefois de miracu- leuse somptuosité, dont nous n'avons pas à parler ici, et le bronze, iné- vitable auxiliaire, et nous le répétons, l'élément dominateur dans la l'été de luxe que mène le mobilier où se complaît la France impériale. Nous avons observé que l'œuvre du bronzier et du ciseleur épouse et complète si adroitement l'œuvre de l'ébéniste au temps de Louis XV, qu'elles semblent toutes deux inséparables. Nous avons ajouté que si l'œuvre du bronzier accuse déjà des velléités d'indépendance et d'égoïste virtuosité à compter de Louis XVI, elle ne divorce pas cependant avec son premier support, la création de l'ébéniste. Dans le st}'le dit Empire, il y a juxtaposition, plutôt qu'harmonie profonde, plutôt qu'indis- soluble alliance. Sans doute le fameux acajou a besoin de ce bronze, de cet or, de ces clartés, en ses ténèbres; mais ce bronze, cet or s'affranchiraient, sans peine et sans regret, de cet acajou plongé dans un deuil qui semble éternel. Ces bronzes sont cloués, non pas au hasard sans doute, mais dans une symétrie bien disciplinée, et sans l'amuse- ment d'une seule surprise. Un bouquet à droite, un bouquet à gauche, un bouquet plus volumineux, ou bien toute une corbeille de fleurs oîi seules des abeilles héraldiques consentiraient à butiner, voilà toute la magnificence d'une commode. Si l'artiste-constructeur a révé de papillons après avoir évoqué les roses, il les montrera cloués, immobilisés, plutôt que voltigeants; èt s'il en est dix à droite, dix s'aligneront à gauche, sans l'erreur d'un seul ; et fleurettes et bestioles apparaîtront, comme à la parade se présentent bien alignés, bien astiqués, les grenadiers que passe en revue sa majesté impériale et royale. niIT.\TION MAL.\DROITE DES MODÈLES GRÉCO-ROMAINS Nous avons dit la pauvreté de la conception primordiale que tra- hissent les meubles de style Empire, du moins le plus souvent. Des coffres sans grâce, des caisses, tout au plus quelques chaises enrules maladroitement imitées des modèles gréco-romains, des dossiers qui sont des lyres, des bras de fauteuil qui sont des cous de cygne, des barques qui sont des lits, des lampes presque funéraires qui éclaireront, non pas des catacombes, mais des salons oii vont se pavaner les plus magni- fiques uniformes que jamais la gloire ait portés, des pianos tout carrés qui affectent des airs de sarcophage, tels apparaissent d'abord les meubles d'alors. Cependant ils nous intéressent, ils nous plaisent — 68 — LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS. — NAPOLÉON V même, c'est que le bronzier-ciseleiir les anime et les vient égayer quelque peu. Cependant ces ciseleurs, ces bronziers, devenus si cruels, et qui travaillent pour un Murât, pour un Davoust, ou pour leur maître, naguère badinaient avec les amours, dans les bergeries galantes et dans les roses. Ils ne Font pas tout à fait oublié. Mars le cède parfois à Cupidon, bien qu'il traite Vénus à la hussarde ; et les amours alternent avec les renommées volantes, celles-ci sonnant de la trompette, ceux-là décochant des flèches énormes, car eux aussi sont devenus batailleurs et méchants. Au reste, les jours ne sont plus aux longues et patientes galanteries. Si l'on a encore le temps de s'aimer, on n'a plus guère le temps de se le dire. La logique veut que dans une pendule, un meuble destiné à montrer l'heure, le cadran soit avant tout apparent et dominant. Ainsi le compre- liaient, au milieu môme du plus magnifique décor, les constructeurs qui devaient compter les instants d'un Louis XIY ou d'un Louis XV. Déjà sous Louis XVI, il semble que l'on souhaite oublier l'heure plutôt que de la connaître; et les pendules réduisent leur cadran, pour laisser plus de place aux évocations d'une mythologie pimpante. Sous l'Empire, où cependant l'heure militaire s'impose durement, les pendules montrent à peu près tout, exceptée l'heure. Le Temps emporte le cadran sous son bras, s'excusant de le laisser à peu près visible encore. Ceci n'est plus une pendule, ce sont les adieux d'Hector et d'Andromaque, les Horaces jurant la délivrance de Rome, selon la formule et le célèbre tableau de David; c'est Jason s'emparant de la Toison d'or; c'est le départ d'un char dont la roue est devenue un cadran. LE TRAVAIL DU CISELEUR EST CONSCIENCIEU.X, ATTENTIF, ADMIRABLE Toutefois si la pensée est critiquable, qui fait chercher, dans un obélisque égyptien, dans un arc de triomphe romain, les éléments cons- titutifs d'une pendule ou de tel autre objet d'usage coutumier, si rien n'est plus inattendu et plus bouffon que de lire, au palais de Fontai- nebleau, une inscription grecque sur une table de nuit, il n'en reste pas moins acquis et glorieux que ces bronzes sont, pour la plupart, d'une merveilleuse exécution. Plus de soin, plus de délicatesse dans la ciselure ne sauraient être imaginés. A cet égard, les bronzes du style Empire méritent une consécration qui les proclame, dans leur genre, des chefs-d'œuvre et des modèles. L'Empire vit et meurt de la guerre. Son luxe favori est donc d un appareil guerrier. Il a ses sabres de combat, il a ses épées de théâtrale magnificence. Le Page en cisèle quelques-unes. Mais là encore la concep- — 69 — 6 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR tion première, sans grâce, sans élégance, est surtout de bizarre com- plication. L'épée que reçoit Bonaparte à son retour d'Egypte, réunit une tète d'éléphant, une tête de chameau emmanchée d'un long cou. L'in- commodité est complète et la laideur égale l'incommodité. Combien d'autres épées accusent une invention aussi incohérente et des formes non moins fâcheuses. Des sphinx, des victoires, un buste qu'une renom- niée couronne, tout cela maladroitement rapproché, voilà qui est bien caractéristique de son temps, mais qui en vérité ne semble plus français, tant la souplesse, l'élégance, l'esprit, sont désormais absents de ces choses étranges. Et toujours cependant le travail du ciseleur est cons- ciencieux, attentif, honnête, admirable. QUELQUES NOMS QU'IL CONVIENT RETENIR ET HONORER LES ÉBÉNISTES JACOB, LES ARCHITECTES PERCIER ET FONTAINE LE PEINTRE PRUD'HON, LE CISELEUR THOMIRË Un nom, en quelque sorte, domine et résume l'histoire du mobilier français, l'espace de plus d'un demi-siècle. Le nom de Jacob désigne non pas un ébéniste isolé dans son bon et solide labeur, mais toute une dynastie. Elle commence au temps de Louis XV, avec Georges Jacob qui vient de la province de Bourgogne, et bientôt s'impose à la haute estime de Paris. Elle s'achève en 1870 avec Georges-Alphonse Jacob Desmalter, ce dernier nom emprunté à une terre de famille. Longtemps établis rue Meslay, les frères Jacob ont déjà conquis quelque notoriété à la veille de la Révolution. L'un d'eux, en cette tourmente redoutable, va trouver, dans leur misère, leur abandon et leur présente obscurité, deux jeunes architectes récemment revenus d'Italie, et leur demande des modèles pour le mobilier dont le Directoire veut entourer sa puissance com- mençante. C'est le salut, c'est la gloire pour ces deux amis, bientôt illustres, Percier et son collaborateur, son ami, son suivant, l'architecte Fontaine. Ces deux hommes ne devaient jamais oublier l'appel qu'un Jacob leur avait adressé, et que du reste ils devaient si bien justifier. Percier, Fontaine, dès lors dessinèrent, et cela pendant toute une génération, les meubles les plus fameux, ceux-là mêmes que les Jacobs vont puis- samment établir, car ce sont de bons constructeurs, et l'armoire à bijoux destinée à Marie-Louise, et le berceau où le roi de Rome recevra les hommages de tout un monde extasié, et les trois meubles symétriques, massifs mais imposants, de bois noir par exception, qui, dans les splen- deurs même de Versailles, apparaissent splendides entre tous. Alen- — 70 — LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS. — NAPOLÉON I" 7 tour des Jacobs gravitent, concurrents estimables mais subordonnés, Lignereux, Burette, Marcion, Ileckel de Strasbourg. Cependant Tornementation du berceau du roi de Rome tout spécialement nous intéresse. Percier Fa dessinée souvent, si cette ornementation n'est que de feuillages, de rinceaux, de choses inanimées. Le peintre Prud'hon est appelé à Faide en la composition des figures. Les dessins nous restent, nous en reproduisons quelques-uns, choisis parmi les plus intéressants (voir fig. 48 à 55). Une grâce, une souplesse, un charme s'y révèlent, qui ne sauraient se retrouver en la traduction rigide du métal. Le berceau impérial, ce berceau illustre et tragique, étale les allégories triomphales du Tibre, de la Seine, de Rome, des jumeaux que la louve allaite, enfin de la victoire. Un aigle veille sur le bord. Des abeilles d'or montent tout à Fentour; et assurément cet envahissement d'insectes dans une couche qui veut être hospitalière, n'est rien moins que séduisant. Tout semble conçu pour donner le caucliemar à l'innocent que cette magni- ficence attend et menace. Au reste le dessin, en son ensemble, est lourd; et ce berceau fait songer à un sabot furieusement enrichi. Les ciselures de ce monument furent exécutées par Thomire. Et voilà que nous nommons enfin Fartiste-ciseleur le plus glorieux de ce temps et d'un temps longuement étendu, car Thomire, ainsi que nous l'avons mentionné dans notre travail Les meubles ornés de bronzes ciselés^ Epoque de Louis XVI, devait mourir à quatre-vingt-treize ans, en i843. Ce fut comme la disparition d'un patriarche où s'incarnait, où s'était épanouie en des ñoraisons changeantes, mais toutes admirables, la belle ciselure française. L'ŒUVRE DE THOMIRE, DONT LES ESSAIS FURENT CONSEILLÉS PAR PAJOU, EST CONSIDÉRABLE Thomire est un ouvrier de Paris. Pajou conseille ses premiers essais. lloLidon lui fait exécuter en bronze son Ecorché fameux; puis recevant la commande d'un Voltaire répété de celui qui nous demeure comme un rayonnement de marbre, il confie au jeune Thomire la tâche de refaire ce chef-d'œuvre. La bibliothèque de l'Ermitage en Russie en est encore glorifiée. Dès lors Thomire travailla souvent de lui-même. Son œuvre est considérable, toujours exquise. Elle évolue avec les temps et la mode. Thomire devait toujours apprendre et docilement se renouveler. Il cisèle un candélabre pour Lafayette revenu d'Amérique, 8 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR et les proues de navires, les coqs gaulois qui semblent chantants, les léopards anglais humiliés et mis à la chaîne, résument l'épopée d'une romanesque aventure. Il enjolive des trépieds; il enfante la merveille d'un vase énorme, où des guirlandes sont suspendues que le zéphyr semblerait pouvoir balancer, tant elles sont légères. Enfin il est le serviteur des magnificences impériales, et s'il ne garde pas tout des morbidesses de Prud'hon, c'est que la tâche en est impossible. Thomire avait commencé comme Clodion, aussi galant, aussi souple que ce joli sculpteur de perdition. Thomire fut, l'espace de trois quarts de siècle, ce que Gouthière nous apparaît en de plus rapides printemps, auprès de la monarchie finissante. Thomire plus heureux devait mourir comblé de jours et de fidèles applaudissements. 11 ne fut jamais démodé, s'étant toujours mis à la mode. Nous avons dit, en toute franchise, les mérites et les démérites des bronzes et du style en faveur à l'époque impériale. Que nos critiques un peu vives ne fassent pas méconnaître la valeur de cet effort curieux. L'effort est sensible en effet, et ce n'est pas un charme de plus. Cepen- dant depuis lors nous avons eu, dans le bronze d'ameublement comme en toutes choses, des répétitions plus ou moins ingénieuses, des redites, nous ne trouvons plus, que par exception, des créations originales. Le style Empire est le dernier style que nous ayons connu, car enfin, et cet éloge n'est pas médiocre, c'est un style. F ig — . 5. Bureau orné de bronzes ciselés el dorés dessiné par Perrier et exécuté pur Georges Jacob (Palais du Grand-Trianon, Versailles) LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS — NAPOLÉON I" 9 1" I G. (3 a 9,11 à 1 3. — Petite Commode, Bibliothèque, Bureau-Secrétaire, Trépied, et Pendule à la manière Égyptienne, ornés de bronzes ciselés et dorés. l'iG. 10. — Atelier de peintre servant de Chambre à coucher, avec ornements en bronze ciselé et doré. — 73 — Meuules. Bronzes. Premier Kmpire. — 2. COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR -©ifffittQ JiiîjîU iijJ î I ! Í i î IJ i imT» ï I ) irmmmvgiît i nmmtUrfnn n i iî^ fcá Cliaise, laiiteuil, Bureau à cylindre, Table de nuit, etc., ornés de bronzes ciselés et dorés. - Lit, avec oouronne en forme de baldac^uin, orné de bronzes ciselés et dorés. COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELES — NAPOLEON V COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Fig. .)S ti 7 í • líibles, Guéridons, Bureau, Berceau, Cabinet, etc., ornés do bronzes ciselés el dorés, — 78 — •>í:v ••'..''• LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS — NAPOLÉON P-- l·iG. 7a a 85. — Trépied, Pendule, Commode, Tables à llié, Bureau (côté fig. 80), Fauteuil et Lit, ornés de bronzes ciselés et dorés. - 70 - 16 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR 1" IG. 86 à g6. — Les emblèmes guerriers en bronze ciselé et doré, duns le décor du mobilier de style Empire Salle exécutée au château de la Malmaison et détails des Trophées cpii la décorent. — 80 — s •Y.< Décoration de meuble, bronze ciselé et doré. i LE .•4 GOTHIQUE TROUBADOUR ÉPOQUES DE LOUIS XVIII ET DE CHARLES X ART PESANT, ALANGUI, UN PEU SENILE Le mot style serait un mot d'importance trop considérable pour le gothique troubadour. Regrettons-le, n'employant que le mot plus juste et plus modeste de caprice, ou de mode éphémère, conservant toutefois ce joli mot, désormais de roman et de romance, troubadour. L'empire et l'empereur se sont effondrés. Le flux de l'invasion désormais irrésistiblement montante a ramené la royauté. Quel que soit leur regret du passé, et la dangereuse attirance qui complaisamment les rappelle vers les choses d'un temps aboli, Louis XVlll, Charles X lui-même, à contre-cœur, à leur insu peut-être, subissent les institutions, les goûts d'apparition toute récente, mais qu'une main singulièrement solide impose encore, alors même qu'elle a dû se retirer de notre existence nationale et coutumière. Napoléon disparu n'a pas cependant lâché prise ; et les rois, en maintes choses, tout en le réprouvant, le continuent. La Restauration ne restaure guère que le trône, et encore ! derrière les fleurs de lis d'or il est aisé de retrouver les abeilles héraldiques de l'empereur la veille encore triomphant. Sinon en quelques emblèmes modifiés et tout superficiels, les objets d'ameublements dès lors — 81 — Gothique tboubadour. — 1. 2 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR commandés se distinguent à peine de ceux où si fortement se reflétait et s'affirmait l'âge précédent. Au reste, ces différences légères ne sont ni une grâce, ni une beauté de plus. Un surcroît de lourdeur et de gaucherie, voilà ce qui accuse les temps nouveaux. Les bronzes, de si fine exécution quelques jours à peine auparavant, se multiplient comme jamais, encombrants et surabondants, mais aussi plus épais, et comme empâtés. Le prince régnant, Louis XVIII, est sans doute d'esprit délicat, de répartie légère, mais la goutte appesantit sa marche ; il ne saurait emboîter le pas aux terribles coureurs de bataille, aux inlassables vagabonds de gloire qui naguère dévoraient l'espace et les peuples de l'Europe entière. De même, l'art si peu nouveau qui préside aux labeurs des ébénistes, des bronziers, des ciseleurs, est encore un peu moins alerte que ne fut l'art obéissant à la consigne de l'empereur. Tout cela est pesant, alangui, un peu sénile, donc l'image du prince et de son entourage le plus fidèle. ESSAI DE RETOUR VERS LE MOYEN AGE Cependant autour de ces princes et dans ce monde vieux d'idées plus encore que d'années, il n'est pas que des douairières obstinément poudrées et des vétérans de l'armée de Condé. Les plus antiques familles projettent des rejetons printaniers. Jusque dans cette si vieille France il est une jeune France ; et celle-ci rêve d'autre chose que de la solennité pompeuse où tonnait et régnait le Tyran. Les lis ont refleuri et avec eux la foi des aïeux. Cela est quelque peu artificiel, superficiel aussi, de mode plutôt que de conviction bien solide. Le génie du Christianisme, quelques années auparavant, avait en quelque sorte semé de roses, et même de myrtes, le chemin qui menait la France au Concordat et vers les églises rouvertes, au pied des clochers retrou- vaut leurs carillons aimés. Le Christianisme là était un peu de décor, de joli attendrissement, de sentiment poétique ; mais il suffit pleinement, sinon pour susciter une évolution dans le travail et la pensée d'une nation, du moins pour décider quelques tentatives chez les artistes dont la mission est précisément de guetter la manie du jour et de surprendre même le vol passager d'une rêverie. Dès lors à revenir en arrière, on ne reviendra pas aux choses de la veille ou de l'avant-veille. Ces jours-là faisaient écho retentissant aux railleries de Voltaire. Louis XV régnait, mais quelque peu le diable gouvernait ; et nous l'avons dit, la mode est à la piété. C'est de bon ton de franchir, de condamner ce siècle impie. Michaud écrit l'histoire des Croisades ; et les enfants, les filles édifiantes de ceux-là qui fréquentaient à Ferney, de celles-là qui se pressaient aux anti- — 82 — T LE GOTHIQUE TROUBADOUR 3 chambres de M"® du Barry, se réclament de Pierre l'Ermite. Les paladins du jour ne prennent pas la croix qui mène en Palestine ; mais ils qué- mandent la croix de Saint Louis, moins redoutable hochet] et dont le ruban fait merveille au revers d'un habit à boutons d'or. Les romans de Walter Scot sont en vogue, et le moyen âge y revit. Victor Hugo bientôt les continuera, d'une maîtrise souveraine, et faisant de Notre- Dame de Paris, de ses truands, de ses gargouilles, un poème éblouissant. Les poètes désertent la lyre trop classique pour la mandore. On s'efforce à parler comme à la cour des derniers Valois, du reste confon- dant les siècles avec une inconscience de délicieuse naïveté. L'oiseau redevient un oisel. Plus de manteau, on se drape dans un mantel. « Il a quitté la triste châtelaine, Le chevalier qui porte ses couleurs... » Mais le chevalier est revenu, à moins que ce ne soit son beau page qui, du reste, le remplace à merveille et rend le sourire : « A deux beaux yeux toujours mouillés de pleurs.» Une princesse, reine de la veille, s'en mêle. La reine Hortense chante: le beau Dunois « Partant pour la Syrie ». — M""® Desbordes-Valmore soupire : « Avec ta gente mie Je vais à ma patrie. Où vas-tu, Troubadour ? Demander un beau jour. Gela est assez faible de rime et de pensée ; cela ne laisse pas d'être proclamé tout à fait charmant. Les architectes eux-mêmes peu dociles, de par la tradition dont ils héritent et un apprentissage fatalement d'extrême lenteur, essaient quel- quefois, mais avec une bizarre maladresse, d'oublier les ordres classiques, Percier et Fontaine, et de retrouver le secret des bâtisseurs de cathédrales que, du reste, ils estiment ignorants et barbares. Pour accueillir le naissant duc de Bordeaux, l'enfant du miracle — car on trouve miraculeux que la duchesse de Berry déjà mère de trois enfants et qui en comptera six ou sept, issus de ses maris changeants et variés, ait pu enfanter si à propos pour baptiser ce rejeton suprême, la vieille basilique parisienne a revêtu tout un attirail de trèfles, de rosaces, de pinacles qui singulièrement renchérit sur les splendeurs ogivales sa traditionnelle parure. De même à Reims, quelques années plus tard, le portail du temple où le rite du sacre doit être accompli, reçoit, adossé à ses vieilles pierres, un portique parasite tout flamboyant, tout neuf, mais où l'ogive réprouvée a repris son élan. Cependant comme on peut craindre pour la tête sacrosainte de Point du Seigneur, l'architecte a dès la veille attentivement vérifié la - 83 — i 4 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR solidité de l'antique façade ; et tout ce qui se présentait en saillie témé- raire, aussi quelque peu dégradé ou lézardé, a été brisé, jeté bas, providentielle précaution. Ainsi le pieux roi Charles X devait consommer la ruine de quelque bon saint d'autrefois ou de quelque diablotin un peu trop grimaçant. 11 ne fallait pas que toutes ces vieilleries pussent répondre, par le jet de quelque gravas, aux fanfares retentissantes, et contredire aux espérances que le Saint-Esprit venait de prodiguer. Ce vandalisme brutal, sévissant à l'heure même où les improvisateurs de ces fêtes s'efforcent à reprendre les traditions bien désapprises, n'est-il pas une lumière soudaine jetée aux profondeurs vraies des esprits ? La sincérité manque absolument en ces conceptions de commande et de passagère fantaisie. Hittorf, l'architecte-décorateur de Notre-Dame, est un fervent de la Grèce antique ; et rien ne le préparait, non plus qu'un Labrouste, à ce travail ingrat de parler une langue qui certes ne leur était pas maternelle. Toutefois ces décorations d'églises, en des fêtes princières ou royales, sont toutes d'improvisation fragile. A peine les orgues sont-elles retombées en leur grand silence que cette féerie disparaît. A Orléans, à Dreux, à Hautecombe en Savoie, avec la pierre plus solide, sont entre- prises des constructions plus durables. Une cathédrale, une chapelle funéraire surgissent et s'achèvent, où le style ogival est imité, pour ne pas dire parodié Mais rien n'est plus pitoyable que ces pastiches sans âme et même sans érudition bien informée. Quelques années plus tard, un Lassus devait mieux comprendre la pensée des lointains bâtisseurs, ses aïeux et ses maîtres. Cependant, par une contradiction singulière, l'art officiel demeurait plutôt fidèle à ce style néo-classique, un peu froid, ennuyeuxmême quelque- fois, mais de raisonnable tenue, que l'Empire transmettait comme avec les traditions d'un bon et correct gouvernement. C'est ainsi que le berceau du prince nouveau-né, de ce duc de Bordeaux si complaisamment salué à sa naissance presque inespérée, est conçu dans le même esprit d'écra- santé magnificence que déjà le grand empereur avait voulu alentour de ce fils qui commençait de régner, ayant à peine commencé de vivre. Il semble que la corne d'abondance contournée sur la tête du nourrisson lui fut d'une aussi terrible menace qu'au front de Damoclès, une épée meurtrière. Le style troubadour ne reçoit donc pas en quelque sorte l'estampille officielle. Encore une fois, ce n'est guère plus qu'une mode. La poésie, la musique, volontiers résonnantes aux échos lointains, devaient com- plaisamment chanter, soupirer, exalter ces légendes renaissantes ou ces rêves flottants. Guiraud s'attarde auxruines de Pierrefonds; Victor Hugo, — Si — LE GOTHIQUE TROUBADOUR 5 presque enfant, avant son ascension aux tours de Notre-Dame, célèbre le donjon de Montfort L'Amaury. D'autre part, presque à la même heure, et plus brillamment, plus bruyamment aussi, avec la complicité du talent, voire même du génie, la Dame Blanche hante un château « dont les créneaux touchent le ciel... et Robert le Diable, droit sur ses ergots ainsi que ferait un coq joyeu- sement batailleur, claironne : « Des chevaliers de ma patrie, L'honneur fut toujours le soutien. » On s'est donc attendri comme jamais au mystère des cloîtres à demi croulants : on commence de faire pèlerinage, en une très moderne nécro- pole parisienne, au tombeau d'Héloïse et d'Abélard, qui du reste n'est pas plus d'Abélard que d'Héloïse. LE NÉO-GOTHIQUE DANS L'AMEUBLEMENT Mais les objets d'usage familier sont plus que tout au monde asservis au gotit mobile de la mode. C'est là que, l'espace du moins de quelques jours, sévit cette manie que nous pouvons dire du style troubadour. Cuvette et pot à eau, du reste bien étroits, dont cependant, pour leurs ablutions, se contentaient nos grand'mères, reposent sur des supports où reparaît l'ogive, où parfois des chevaliers, des belles dames sont comme en faction en leur niches, ou plutôt leurs guérites toutes fleuronnées. C'est aussi sous une sorte de dais qui veut être du moyen âge, que la princesse Marie, quelques années plus tard, abritera une réduction de sa Jeanne d'Arc bien sage et toute pensive. Dans les jardinières, voire même quelques pendules qui affectent des apparences de chapelles, comme naguère leurs aînées simulaient des temples antiques, ce sera une incohérente floraison de rosaces, de lieu- rons, de pinacles, babel de moyen âge, où les bons travailleurs d'autrefois ne reconnaîtraient plus leurs libres et charmantes inventions. Quelquefois ce carnaval veut être guerrier, car le moyen âge fut guerrier autant que croyant et pieux. Auprès d'un chevalier en armure peu authentique, c'est une dame les mains jointes. L'Empire avait pro- digué les casques et les glaives. Les meubles une fois encore vont prendre des airs de panoplies. Mais les casques ne sont plus hérissés d'aigrettes et de crins furieux et rigides ; ils s'ombragent de larges panaches. Le mot de joli héroïsme est redevenu à la mode : « Ralliez-vous à mon panache blanc ! » Mais les glaives s'allongent comme pour redevenir des rapières. 6 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR DISPARITION RAPIDE D'UNE MODE TOUTE CAPRICIEUSE A cette mode nous ne saurions rattacher les noms de quelques artistes de durable renommée. Thomire sing'Iièrement habile et docile, n'ignorera pas tout à fait la manie troubadour ; mais le bronzier Ravrio était mort(i8i4) avant qu'il fût question de cette fantaisie déconcertante. Le Lyonnais Aimé Chenavard, d'une famille si diversement illustre,, Beur- deley, dans leurs écrits, leurs dessins, ont pu témoigner de quelque complaisance en cette occasion, mais ils ne devaient pas s'enrôler réso- lument, non plus que personne, en la bande des troubadours. Au reste, ce sont là des noms estimables plutôt que des noms considérables. La Révolution de i83o n'était pas pour encourager les demoiselles, les écuyers, les troubadours à revêtir leurs atours, accorder leurs luths, ou donner au balancement de leurs écharpes de jolis rendez-vous d'amour. La garde nationale triomphe et règne. Le bonnet à poil écrase le panache. Quelques tentatives de retour vers cet idéal d'une heure peuvent être signalées, mais sans lendemain. Dans les arts du dessin, ce qui reste de plus remarquable et de mieux caractéristique en ce mouvement sans pro- fondeur, ce sont quelques jolies vignettes que signent Déveria, Tony Johannot ou Nanteuil. Le style troubadour fut une romance qu'il fallait accompagner sur la guitare plutôt que sur le piano. Cela fut toujours assez fade, cela est devenu insipide comme la musique de Loïsa Puget. Les cloches du monas- tère devaient bien vite finir de tinter ; nous ne saurions guère en garder plus de souvenirs que n'en gardent les passantes hirondelles. Formes de vases des Époques de Louis XVIII et de Charles X. — 86 — LE GOTHIQUE TROUBADOUR Obiels mobiliers des Époques de Louis XVill et de Charles X 8 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR T mmmmm DEUXIÈME PARTIE DEUXIÈME PARTIE ÉTUDES SUR DES OBJETS DE HAUTE CURIOSITÉ Les numéros de la pagination générale, donnée à cette DEUXIÈME PARTIE, se trouvent indiqués au bas et à gauche de chaque page. LES ŒUVRES SOMPTUEUSES EN CRISTAL DE ROCHE, par François L. Bruei. Du cristal de roche, de ses propriétés et de ses utilisations. — Le Moyen âge connùt-il l'art de cristal? Confusion cà éviter entre les produits de l'art arabe et ceux de l'art européen. — La graver sur Renaissance italienne ressuscite et porte à son apogée l'art de la gravure sur cristal. —Valerio belli Giovani Bernardi da Castelbolognese. — Les cristalliers en Vicentino, Lspagne et en France. — disparition du cristal de roche au xviU siècle. [Accompagné de 30 figures.). Pages i à i6 . Déclin et LES ÉMAUX PEINTS DE LIMOGES DE LA FIN DU XV" AU XVIIP SIÈCLE manufacture Procédé, manière et dessin. — Émaux peints de Limoges à la fin du xv" siècle. ^—La d émaux peints de Limoges au xvF siècle. Léonard Limosin, peintre de portraits. — Influence — de l'École de Fontainebleau sur les travaux de Pierre Courtoys. — Vaisselle et orfèvrerie de table de Pierre Raymond. — Jehan et Martial Courtoys. — Les émailleurs de Limoges de la fin du xiv° siècle au xviii" siècle. [Accompagné de 38 figures.) Pages 17 à Sa LES MAJOLIQUES D'URBINO A L'ÉPOQUE DE LA REN.AISSANCE ITALIENNE, par Roger Peyre — Les de Célébrité des faïences d'Urbino. — Les Montefeltro et les Delia Rovère. origines — l'atelier du château de Fermignano. — Constitution des célèbres ateliers d'Urbino. Caractères de — leur fabrication et de leur décoration. — Les sujets mythologiques. Guido Durantino et Xanto Avelli. — Caractéristiques de leurs œuvres. — Influence de Raphaël sur les faïenciers d'Urbino. de 6i figures.). Pages 33 à [Accompagné 48 LA VAISSELLE ET L'ORFÈVRERIE D'ÉTAIN, DU XIIP AU XVIIP SIÈCLE, par Ai.fred Croix — Usages civils et domestiques de l'étain. — Emploi de l'étain pour les objets du culte. La vaisselle — d'apparat au xv° siècle. — Les belles pièces d'orfèvrerie d'étain à l'époque de la Renaissance. — Enderlein. — La d'étain en Francois Briot. — Industrie de l'étain en Allemagne. Gaspard poterie France — aux xvii® et xviii" siècles. Les grandes refontes d'argenterie. — La mode passe à la céramique. [Accompagné de iO figures.) Pages 49 à 60 DRAGEOIRS DE POCHE, BOITES A POUDRE, A ROUGE ET A MOUCHES TABATIÈRES ET BOITES A PORTRAITS, AUX XVIP ET XVIIP SIÈCLES, par François L. Bruel — Les drageoirs de poche. — Boites à poudre, à rouge et à mouches. Les tabatières et les boîtes à portraits. Artistes ayant concouru à l'exécution et à la décoration des boîtes. — [Accompagné de 61 à 80 lis figures.) Pages LES ANNEAUX ET LES BAGUES, DE L'ANTIQUITÉ A LA FIN DU XVIIP SIÈCLE Ancienneté des bagues. — Usage des bagues chez les Orientaux. — Préférence marquée par les Grecs pour les intailles et les camées. — Formes, Ornementation et Somptuosité des bagues chez les Romains.— Marques distinctives des Patriarches et des Chevaliers. — Le luxe des bagues au Moyen âge. —Elles sont, dès les premiers temps de l'Eglise, l'insigne du pouvoir pastoral.,— Usages des bagues xvi°, xvii° et xviii" siècles. — Les bagues empoisonnées. — Les anneaux de la mort. — Les aux bagues bizarres en France, à l'époque révolutionnaire. [Accompagné de 295 figures.). Pages 81 à 96 Fig. i et u. — Comment une colonne isolée de cristal de roche est transformée en une nef de table, oil l'artiste a gravé la représentation du Déluge. Nef, commencement du xvi" siècle. Galerie d'Apollon (Musée du Louvre). Longueur de la Nef : 0, 280 — Largeur : 0, 120 — IlauLeur ; 0,120. LES OÎUVRES SOMPTUEUSES EN CRISTAL DE ROCHE DU CRISTAL DE ROCHE, DE SES PROPRIÉTÉS ET DE SES UTILISATIONS. De toute antiquité, le cristal de roche ou quartz hyalin incolore, dissimulé en de riches gisements aux fentes des massifs siliceux, a tenté Eindustrie des artistes tailleurs de pierres dures aussi bien par sa transparente limpidité que par la dimension appréciable de ses échantillons'. Sans rechercher quels instruments variés ont pu servir aux différentes époques et dans les différents pays à la taille du cristal, nous dirons qu'on débite aujourd'hui le bloc brut à l'archet, au fil de fer et à l'émeri, en fragments des dimensions voulues que l'on use ensuite à l'aide de roues de grès et de jaspe. Le moyen âge crédule attribuait au cristal une vertLi préservatrice de la soif^ : il est plus intéressant de constater qu'il est caractérisé par un froid saisissant et par le don particulier de transmettre cette propriété sans la perdre. Aussi les anciens l'employèrent-ils en boules polies, en pommeaux et en accoudoirs de sièges entretenant la fraîcheur des mainsh" comme au moven âg-e l'orfèvrerie O religOieuse t/ 1. L'un des plus remai-quables, ¡ivramido hexagonale extraite en 1707 du glacier de Fieseh en \ alais et que Bonaparte lit rapjiorter en France en 1797, mesure 90 centimètres de haut sur i mètre de large. On peut le voir dans la Galerie de Minéralogie, au Jardin des Plantes, à Paris. 2. Traité de physique d'AIebruns de Florence, cité par V. Gay, Glossaire archéologique, au mot Cristal, p. 499- 3. Le Musée de Cluny (n"' 5296-5297) a conservé deux tètes de lion en cristal de roche évidé, servant sans aucun doute de pommeaux aux bras d'une chaise enrule romaine du iv° siècle. Citons de même au xiv° siècle le trône du roi Jean II le Bon pour lequel le cristallier Pierre Cloët fournis- sait en i352 « XII cristaux dont il y avait V creux pour les bâtons, VI plats et I rond plat pour le moyeu » [Compte d'Etienne La Fontaine, argentier du roi, pour l'année 13ñ2. Arch. Nat. K. 8). — 1 CnisTAi. de Roche. — I. COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR devait Futiliser pour les crosses episcopales et l'industrie pour les pommeaux d'épées et les manches de couteaux'. C'est surtout à la merveilleuse transparence du cristal, mais n'est-ce pas aussi sans doute à sa vertu rafraîchissante qu'il faut attribuer la grande vogue des vases de cristal de toutes sortes, aiguières, seaux à rafraîchir, coupes, nefs, dragcoirs, dont c'était une qualité fort appréciée que de tenir au frais boissons et épices. Eniin, et c'est ici que le rôle du graveur intervient, ajoutons avec Mariette- que le cristal, vu par transparence ou appliqué sur un fond d'or ou de couleur, a cette vertu particulière de réfringence qui donne aux dessins qu'on y grave en creux la parfaite apparence d'un relief : c'est grâce à cette nouvelle propriété que les artistes orientaux et surtout ceux de la Renaissance ont pu produire les chefs-d'œuvre de glyptique qui marquèrent l'apogée de l'art du cristallier. LE MOYEN AGE CONNUT-IL L ART DE GRAVER SUR CRISTAL ? CONFUSION A ÉVITER ENTRE LES PRODUITS DE L'ART ARABE ET CEUX DE L'ART EUROPÉEN. A de rares exceptions près, il faut admettre, avec le regretté Emile Molinier'', que le moyen âge européen ignora la glyptique proprement dite et se borna à la simple taille du cristal de roche. C'est ainsi que les trois vases, aujourd'hui conservés à la galerie d'Apollon, qui proviennent du trésor de l'abbaye de Saint-Denis, doivent être restitués à leurs véritables auteurs, les artistes arabes qui tra- vaillaient au x® siècle à la cour des califes d'Égypte. Pour le premier d'entre eux l'attribution n'était pas discutable ; c'est une aiguière en cristal de roche ornée de deux perroquets et dont le col porte en caractères coufiques une inscription qu'on jieut traduire « Bénédiction et bonheur à son possesseur Le second objet a donné lieu à plus de controverses. En déii- nitive, il est certain ([ue les orfèvres lorrains appelés à Saint-Denis au xii® siè(de par l'abbé Suger se sont (intentés d'enrichir d'une monture gemmée et filigranée cette buire ' d'un cristal très curieuse- ment travaillé, imitant assez bien les alvéoles d'une ruche à alieilles. 1. Dans le même ordre d'idées, voyez au Musée de Cluny '11° avoir 3299) été offert l'échiquier qu'on croit à saint Louis par le Vieux de la Montagne et dont les [)ièces et le tablier sont mi- partie de cristal pur, mi-partie de cristal enfumé. La monture en est très Histoire de saint postérieure. (Joinvillc, Louis, éd. Soc. H. de F., 1868, p. iG3.) 2. P.-J. Mariette, Traité des pierres gravées, Paris, 1700, t. I, p. 82. 3. Emile Molinier. Les Bijoux du Louvre, Revue de LArt ancien et moderne, année 1899, Ci et 32,5. pp. 4. On y lit l'inscription : « Iloc vas sponsa dédit Anor régi Ludovico, Mitadolus avo, mibi rex sanctisque Sugerus ». LES ŒUVRES SOMPTUEUSES EN CRISTAL DE ROCHE L'inscription que Suger y fit graver autour du col nous apprend en effet que l'abbé de Saint-Denis tenait ce vase de Louis VII, que Louis VII l'avait reçu de sa fiancée Eléonore d'Aquitaine, et qu'enfin celle-ci l'avait hérité de son aïeul à qui l'émir Mitadol l'avait donné. Aussi Molinier reconnaît-il dans cet objet, comme dans le précédent, un travail arabe du x" siècle. Quant au troisième, un calice en cristal de roche de monture romane, c'est aussi d'un atelier, sans doute contemporain, d'artistes égyptiens qu'il proviendrait, au dire du môme savant. Ces attributions sont fort plausibles ; plus d'un siècle après, l'an 1042, le voyageur Nassiri Khosrau' remarquait encore au Caire du cristal de roche de toute beauté, extrait du Maghreb et travaillé par des ouvriers pleins de goût. Néanmoins, ces restitutions effectuées, il n'est pas contestable que par exception, dès le x® siècle, des artistes européens gravèrent, sur cristal, bien qu'assez rudimentairement. On ne saurait nier l'authen- ticité de l'inscription : « Lotharius rex Franc, me fieri jussit » sur ce disque de cristal de roche intaillé représentant l'histoire de Suzanne et qui, trouvé dans la Meuse, fut payé douze francs par un amateur lyonnais et acheté depuis 267 livres seulement par le British Museum à la vente Bernai-. Le sceau de Lothaire, qui frit décidément amateur de cristal, aujourd'hui au trésor d'Aix-Ia-Chapelle®, et la Crucifixion gravée au revers du siège de la grande Sainte Foy de Conques sont deux monuments contemporains dont on ne saurait non plus récuser le témoignage. En tout cas, il paraît bien que si l'usage de graver sur cristal se répandit alors, et rien n'est plus douteux, la tradition s'en perdit rapidement. Joinville nous apprend qu'au xiii® siècle on dorait le cristal avec grande magnificence ; peut-être y a-t-il là une préférence qui expliquerait ce défaut presque absolu, avant le xvi® siècle, de toute œuvre de glyptique proprement dite sur cristal. Pourtant les statuts d'Etienne Boileau''^ mentionnent à Paris, en 1260, une corporation de cristalliers qui compte dix-huit membres en 1292 ; c'est qu'ils se bornaient sans aucun doute à la simple taille du cristal dont la monture d'or ou de vermeil et la parure de gemmes suffisaient à donner à 1. Voyage de Nassiri Khosrau, p. i4y, cilé par Gay, Glossaire archéologique, au m.oi Cristal, P- 499- 2. Trésor de l'église de Conques dessiné et décrit par Alfred Darcel ; Paris, Didron, 1861, p. 55 et 11° I. 3. Karl's des Grossen Pfalzkapelle und ihre Kunstschatze... Von Ganonius D'^ Fr. Bock,... Aaclien, 1866, p. 33 et suiV. La légende de ce sceau, daté par le chanoine Bock de 840 à 855, est ; « XPE ADIVVA HLOTHARIVM REG. » 4- Le livre des Métiers d'Étienne Boileau, éà. G.-B. Depping, Coll. des Doc. Inéd., Paris, 1837, p. 71. 4 COMMF.NT DEVENIR CONNAISSEUR rensem])le la richesse d'aspect souJiaitëe. Aussi, contrairement à ce cjui se passera à partir du siècle suivant, le cristal n'est-il que l'accès- soire dans les (pielques monuments intéressants que nous avons conservés de ces époques. Ils sont pour la plupart d'ordre religieux' et nous sont parvenus par l'intermédiaire des trésors d'églises et de couvents ; quant aux objets de luxe en cristal de roche qui ne for- nièrent pas le chapitre le moins important des mobiliers princiei's, il faut le plus souvent nous contenter de leurs minutieuses descriptions, dont ne tarissent point les inventaires et les comptes du xiii® au xv® siècles h LA. RENAISSANCE ITALIENNE RESSUSCITE ET PORTE A SON APOGÉE L'ART DE LA GRAVURE SUR CRISTAL. VALERIO BELLI VICENTINO. GIOVANNI BERNARDI DA CASTELBOLOGNESE. C'est aux artistes italiens de la Renaissance, héritiers et réno- vateurs des traditions antiques que le cristal, soit taillé, soit surtout gravé, dut de revêtir ces formes d'art somptueuses qui lui permirent de rivaliser avec les merveilles d'orfèvrerie de ciseleurs tels que Ben- venuto Cellini. Des ateliers italiens les procédés savants de taille et de gravure du cristal se propagèrent peu à peu dans le reste de l'Europe civilisée où souvent les introduisirent eux-mêmes des artistes comme Jacopoda Trezzo, en Espagne, etMatteo del Nassaro, en France ; mais les rares élèves qu'ils purent former ne furent trop souvent que de bien pâles imitateurs de ces maîtres. Si l'orfèvrerie religieuse continue, comme au siècle précédent, à utiliser le cristal simplement taillé, on peut néanmoins remarquer que, dans ces œuvres mêmes, le champ du métal s'est peu à peu restreint en faveur du cristal dont le travail se perfectionne notablement et atteint h une remarquable finesse de détails. Ne traversez pas la galerie d'Apollon sans vous arrêter devant les chandeliers et le crucifix de très beau travail italien offerts à la chapelle de l'ordre du Saint-Esprit par Henri III, son fondateur. Surtout contemplez dans la salle du legs Adolphe de Rothschild la magnifique crosse que Léon X commandait au Caradossa^ pour l'offrir au cardinal d'Avila, confesseur de Philippe le Beau. Surmontée de la figure du Père Eternel entourée d'anges, elle offre en son tympan un plateau de cristal de roche oii des pasteurs font paître leurs troupeaux. A l'extrémité de la volute se cramponne 1. Ainsi le très curieux bras reliquaire, donné au Louvre j)ar M™" Spitzer en iSpr, qui contenait nne relique de Saint Louis de Toulouse ; c'est un cylindre de cristal flanqué de quatre colonnettes gothiques à dais de cuivre émaillé, et que couronne une main bénissante en cuivre doré. 2. Le glossaire de V. Gay (déjà cité) et surtout celui de L. de Laborde [Glossaire français du moyen âge, Paris, Labitte, 1872, 8°) citent un grand nombre de ces textes. ,'i. Ambroggio Foppa, dit le Caradossa, Padouan, travaillait de 1480 à i:)20. LES ŒUVRES SOMPTUEUSES EN CRISTAL DE ROCHE 5 un homme à Tattitude désespérée dont le masque terrifié et doulou- reux est d'une exécution vraiment admirable. A côté de ces œuvres déjà d'une haute valeur artistique, il en est qui, présentant plus de surface, ont permis à la fantaisie créatrice des maîtres italiens de se donner libre cours. Nous voulons parler de ces aiguières, de ces coupes, de ces vases de toute sorte et surtout de ces coffrets ou cassettes où la représentation de scènes d'inspi- ration mythologique, biblique ou môme simplement chrétienne, put se dérouler dans son ensemble. Le plus célèbre de ces coffrets, actuellement au musée des Offices de Florence, fut payé deux mille écus d'or par le pape Clément Vil qui l'ofPrit à .Marseille au roi François F"", à l'occasion des fiançailles de sa nièce Catherine de Médicis avec le futur Henri IIL Valerio di Bellida Vicenza, qui y avait gravé toute la Vie et la Passion du Sauveur, naquit vers i4fi3 ou 1468 à Vicence oii il mourut en i54fi- Bien qu'il s'intitule sim- plement tailleur de cornaline, Vasari, son biographe, nous apprend qu'il fut aussi médailleur de talent, contrefaisant à merveille les médailles antiques et en inventant lui-môme de très artistiques, comme l'effigie du cardinal Bembo. Mais sa spécialité la plus appréciée fut la gravure sur cristal pour laquelle, nous dit Vasari, il se servait de dessins qu'on lui fournissait. Et à ce propos il nous semble inté- ressant de donner en note le fragment d'une lettre écrite à Michel-Ange le ai avril 1021 par Valerio qui lui réclame un dessin promis- : Valerio travailla donc d'après des cartons de Michel-Ange et ce serait un point intéressant que les limites de cet article ne nous permettent pas d'élucider, de comparer avec l'œuvre du maître florentin les cristaux gravés par Valerio que nous signalions aux Offices, comme aussi cette Passion également sur cristal de roche, qui décore la croix offerte par Pie IX au musée des Antiquités chrétiennes du Vatican. Quant à Giovanni Bernardi da Castelbolognese, né en 149Ô dans (;otte petite ville de la Romagne dont il prit le nom, sa première œuvre, qui le fit aussitôt célèbre, fut la gravure sur plaque de cristal, com- mandée par Alphonse I" de Ferrare, de l'attaque du Fort de la Bastie 1. Tous ces détails sur la vie et l'œuvre des différents artistes italiens que nous allons passer en revue ont été empruntés à P.-J. Mariette, Traité des pierres gravées, t. I, qui les copie le plus sou- vent d'après Vasari. 2. Voici cette lettre ; « Messer Michiel Angiolo, mio inazor honorando, Za molti zorni io ve « scrissi una litera: dubito non labiate auta, per tanto io replico questa, pregandove quanto so et « posso, cbe siate contento de voler me far quel desegno cbe me prometesti, el quale desidero molto « de aver lo, perche io ho, como ui dissi, una belissima pietra grande, innela quale voria taliare « qiicsto disegno che me farete, perche io me voria forcare de far cosa che stese bone... Data in « Vicentia a di 21 aprile i52i. Valerio di Belli che talia le corniole, Vostro carissimo, etc. » (Publiée pour la première fois dans « La Scriiiura di Artisti Ifaliani (Sec. X^-X^JI)... da Gaetano Milanesi, 187G, n° i3f).) 6 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR OÙ ce prince avait été blessé. Protégé du duc, dont il grava la médaille, car il alternait, comme Belli, les deux genres de glyptique, il quitte néanmoins la cour de Ferrare et s'en vient à Rome sur les conseils de Paul Jove. Le cardinal Salviati et surtout le cardinal Hippolyte de Médicis le prennent en affection et Clément VII le nomme massier du Saint-Siège. Hippolyte de Médicis étant mort en if)35, le cardinal Alexandre Farnèse, petit-fils de Paul III, l'attache à sa personne, et c'est pour le compte de cet amateur éclairé qu'il grave sur les dessins de Perino del Vaga les plaques de cristal ovales du coffret d'argent du musée de Naples, dont Farnèse avait commandé l'orlévrerie au Florentin Mariano. Perino del Vaga semble avoir été le dessinateur attitré de Bernardi : c'est encore d'après ses cartons que furent gravés la croix et les chandeliers d'argent actuellement à Saint-Pierre du Vatican auquel le cardinal Farnèse en fit don : sur le pied de chacun d'eux trois gra- vures rondes représentaient diverses scènes de la vie du Christ. Cependant, comme Belli, Bernardi travailla sur les dessins de Michel- Ange et l'on a conservé deux dessins originaux du maître, Titius et le Vautour, et la Chute de Pliaéton, d'après lesquels il grava pour Alexandre Farnèse deux plaques de cristal. LES CRISTALLIERS EN ESPAGNE ET EN FRANCE. JACOPO DA TREZZO. MATTEO DEL NASSARO. DÉCLIN ET DISPARITION DU CRISTAL DE ROCHE AU XVID SIÈCLE. 11 est encore deux noms à retenir de la pléiade des tailleurs de pierres dures du xvF siècle ; ce sont ceux de Jacopo da Trezzo et de Matteo del Nassaro. Le premier naquit à Milan au début du xvP siècle. Appelé en Espagne par Philippe II l'an iSyo, il fut chargé de l'exé- cution d'un reliquaire destiné à recouvrir la châsse de saint Laurent à l'Escurial, dont les parements étaient entièrement de jaspe, de cristal de roche et d'or' ; pour le maître autel de la même chapelle il fit un tahernacle tout de pierres précieuses dont l'achèvement demanda sept années-. 11 forme quelques élèves dont Clément Birague, Milanais qui l'avait suivi à la cour de Philippe II, l'inventeur de la gravure sur diamant, et Julien Taverna. Quant à Matteo del Nassaro, originaire de Vérone où il étudia sous Nicolas Avanzi et Galeas Mondella, il est plus connu comme graveur de camées que comme entailleur de cristal ; cependant on cite de lui une table de cristal où Vénus était représentée avec l'Amour vu 1. La Scritiura (IL Artistl Italiani... Op. cit., n° 217. 2. Description (le! Escorial, por Fr. do Los Santos, p. 27 LES ŒUVRES SOMPTUEUSES EN CRISTAL DE ROCHE de dos, d'une exécution si parfaite que tous les amateurs voulurent en avoir des empreintes. François F"" le fit venir en France, comme Philippe 11 avait attiré Jacopo da Trezzo à Madrid, et pour l'y retenir, il le pensionna richement. Chargé en i538 de « la construction et ediiïice d'un moulin qui doit estre assis et porté sur basteaulx en la riviere de Seyne près la poincte du Palais de Paris pour servir à pollir dyamans, aymerauldes, agattes et autres espèces de pierres «, Matteo devint même graveur général des monnaies du roi. Marié à une Française, il n'eut plus d'autre souci, nous dit Mariette, que de former à la cour de François F*" des élèves en état de perpétuer dans le royaume l'art qu'il y avait fait connaître. Il mourut vers i55o. Est-ce à dire que les œuvres en cristal de roche aujourd'hui conservées à la galerie d'Apollon et qui proviennent du trésor royal soient dues pour la plupart à Matteo del Nassaro et à ses élèves ? Molinier ' qui a étudié l'inventaire du trésor de Fontainebleau de i56o, à cette intention, conclut que si l'on y trouve mentionnés, par exemple, les objets qu'Henri III affecta quelques années plus tard à la chapelle du Saint-Esprit et qui furent ainsi sauvegardés, on n'y rencontre aucun des vases et autres œuvres de cristal actuellement exposés au Louvre, qui sont des acquisitions faites au xviF siècle par Louis XIV. On conçoit qu'avec ces données il soit malaisé de tenter quelque identification que ce soit des œuvres actuellement exposées galerie d'Apollon ; passons-les néanmoins en revue sans risquer d'attributions formelles à de certains artistes ni même à de certaines écoles. Le plus ancien vase en cristal que l'on puisse faire remonter à l'époque de François F'', est une aiguière^ provenant peut-être du mobilier du connétable de Bourbon, elle en porte la fleur de lis barrée, dont la monture de vermeil est enrichie de pierres précieuses. Le l'époque de Charles IX nous admirerons deux spécimens dont on ne saurait trop faire l'éloge, jamais l'art du cristallier ne s'est à ce point surpassé; voyez plutôt le premier^, seau à rafraîchir taillé d'un seul bloc, sauf les deux goulots rapportés, et dont la monture en vermeil est par endroits enrichie d'émaux et de gemmes ; sur la panse, l'artiste, n'omettant aucune finesse de détails, a gravé toute l'histoire de Noé. Le secondest une coupe couverte munie de deux anses d'or ornées de têtes de satyres et dont les formes pures et les proportions exactes, la décoration très sobre d'ara- besques et de rinceaux sont de tous points admirables. Il nous faut encore citer une autre coupe, d'un travail délicat I. Emile Molinier, artiele de la Revue de VAri ancien et moderne, déjà cité. — 2. ^ oyez figure 21. — j. Voyez figure 23. — 4- Noyez figure 22. 8 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR et gi'acl<3ux, où l'artiste a très finement entaillé l'image d'un vieillard tentant vainement de retenir dans son étreinte un amour ailé tenant un phylactère oii l'on lit « EPQ2 », tandis qu'autour des bords du vase court la légende suivante : « Amaras smpe animo curas dédit humor ». Nous n'en finirions pas de décrire toutes les œuvres remarquables du xvU siècle que le lecteur admirera galerie d'Apollon. Q)u'il se garde toutefois d'attribuer à la belle époque du xvÙ siècle ces dragons, coqs et poissons en cristal qui, pour être d'une exécution technique parfaite, n'en sont pas moins, ainsi les traite un peu dure- ment Molinier, des erreurs artistiques et des joujoux d'un goût douteux. Ces œuvres datent de la toute fin du xvT" siècle et surtout du xvu% nous en donnons un exemple emprunté au trésor impérial de Vienne'. Cependant, avec la découverte de la verrerie ou du cristal artiliciel, le xviU siècle vit bientôt l'art du cristallier peu à peu ruiné par les industries de Venise et de Bohême ; c'en était fait du cristal de roche, d'une taille toujours difficile et coûteuse, et dont la prochaine découverte de trop nombreux gisements devait encore déprécier la valeur. I. Voyez iig'ure y. Quant au barillet de cristal de roche, faisant parlie du trésor de Russie (fig. 27 à 3o), il fera voir mieux encore combien les traditions de finesse et d'harmonie venues d'Italie s'étaient perdues au xvii° siècle, surtout au contact de rinfluenee germanique. Fig . 3 à 5. — Coupe, Plateau et .\iguière. Art italien (xvi" siècle). LES ŒUVRES SOMPTUEUSES EN CRISTAL DE ROCHE Art Allemand (xvi° siècle). Fig. 6. — Gobelet, Cristal de Roche gravé, monture — d'argent. (xv° siècle). Fig. émaillé. (xvi® siècle). Fig. 8. — monture d'argent Aiguière, monture d or emaillo, — 7. — Reliquaire, (xvi' siècle). Fig. 9. — Dragon, formant surtout de table, monture de vermeil. (Trésor impérial de "Vienne.) q Cristal de Hoche. — 2. COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Art Italien (xvi® siècle). — Fig. 12, i3 et 14. — Vase, avec porte-bouquets, Seau à rafraîchir et Coupe avec porte-bouquets. Cristal de Roche gravé, montures d or émaillé. Fig. i 5. — Médaillon, Cristal de Roche gravé. — Fig . 16. — Petit coffret, monture dor émaillé. — 11 — COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR LES ŒUVRES SOMPTUEUSES EN CRISTAL DE ROCHE 13 Art Allemand (fin du xvi° siècle). — Fie. 17. — Aiguière, Cristal de Roche fumé, monture de vermeil et d'or émwHés. — Art Italien (xvi® siècle). — Fig. 18. — Flambeau, Cristal de Roche gravé, monture de vermeil et d 01 émaillés. Art Allemand (xvi° siècle). — Fig. 19 et 20. — Crucifix et Flambeau, Cristal de Roche gravé, montures de vermeil et d'or émaillés. Art Français (xvi" siècle). — Fig. 21. — Aiguière, aux armes de Bourbon, monture de veimeil, et pierres incrustées. (Musée du Louvre.) — 13 — 12 — 14 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Art Français (xvi° siècle). — Fig. 22 et 2'J. — Coupe et Seau, Cristal de Roche gravé, monture d'or érnaillé. Fig. 24. — Coupe, monture d'or émaillé (xvi" siècle). — Fig. 2;).— Drageoir, monture d or émaillé (xvii'siècle). — 14 — LES ŒUVRES SOMPTUEUSES EN CRISTAL DE ROCHE 16 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Art Allemand (xvii° siècle). — — fig. 27 à 3o. Tonnelet, et détails (pied, anse et côté), monture d'argent. (Trésor d'antiquités de l'Empire russe.) — 16 — : •^1 ::'2i ; Fig. i. Fig. -2. Fig. 3. i:]inail de Pierre Ktivmond. Fniail de Jehan Coui·lovs. Email de Pierre Raymond. LES EMAUX PEiNTS DE LIMOGES DU MILIEU DU XV« A LA FIN DU XVIIF SIÈCLE PROCEDE, M.JlMERE ET DESSIN Jusqu'à la fin du xiii® siècle, l'émail est coulé par juxtaposition dans des. creux et retenu par des saillies de métal à fleur de paroi. Pendant le xiv" siècle et jusqu'au milieu du xy% une feuille de cuivre convexe reçoit des peintures formées par des émaux diverse- ment colorés. Les couleurs émaillées sont étendues immédiatement sur le métal par le pinceau, et n'y sont retenues que par la fonte qui déter- mine Fadhérence. Le métal ne joue plus un rôle dans la composition; il sert au même usage que le bois, le parchemin et la toile, pour les pein- tures en miniature ou à l'huile. Le caractère principal de ces peintures consiste dans l'absence des demi-teintes, dans la translucidité de l'émail qui permet le plus souvent d'entrevoir le métal, dans la rareté des ombres 'superposées à cette peinture de premier jet, et qui ne se rencontrent guère que dans les carnations pâles et légèrement bistrées. A dater de la fin du xv® siècle, eut lieu un autre changement qui facilita le travail des peintres-émailleurs en fortifiant le maniement et en diminuant l'éclat de leurs œuvres. Presque tous, avant toute peinture, revêtirent leurs cuivres d'une couche d'émail Ijlanc ou incolore, destinée à servir de fond à leurs tableaux. Cette méthode, en per- 17 — IvM .lU.'í PlCINTS. I 2 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR mettant d'exposer plus souvent les peintures au feu, admet des retouches nombreuses, mais l'emploi d'un émail translucide par parties, sur argent et sur or, devient impossible. L'emploi sage et combiné des deux manières caractérise les maîtres du xvi® siècle; et c'est à cette méthode qu'ils doivent, d'une part, la finesse du dessin dans les fonds et les chairs, et d'autre part, l'éclat chatoyant et changeant des draperies violettes, rouges, vertes et bleues. Pendant la période d'incrustation, l'art de l'émail était pratiqué par des religieux. A dater de la fin du xv® siècle, la pratique, sous certains rapports, tend à s'améliorer; le dessin se perfectionne, la composition est plus savante, mais la pensée devient moins grave. Les émailleurs se mettent au service des passions individuelles. Bien peindre, récréer les yeux par des formes agréables, tel est le dernier mot de cette tendance. Le xvP siècle en est le point extrême. Nos émailleurs se mettent au service des puissants de la terre. Leurs pinceaux retraceront le plus souvent les scènes d'amours, des caprices, des figures allégoriques, et l'émail, cette substance brillante, ira désormais s'étendre sur des meubles, sur des aiguières, des salières, des plats et des assiettes. La technique des émailleurs de Limoges, ainsi que l'a résumé le savant abbé Texier, peut se caractériser ainsi : Aux xP, xiP et xiiP siècles, mosaïques fondues par juxtaposition dans des excipients de métal, trait formé par le métal ménagé, polissage de l'émail après la fonte. Au XIV® et jusqu'au milieu du xv® siècle, couleurs émaillées en plein, demi-teintes rarement ajoutées, contre-émail au revers des tableaux. De la fin du xv® jusqu'à la fin du xvi® siècle, addition d'un fond d'émail entre la peinture et le métal, draperies émaillées en plein par parties, voisinage de couleurs franches et de couleurs superposées. Aux XVII® et xviii® siècles, peinture en émail sur fond d'émail. ÉMAUX PEINTS DE LIMOGES A LA FIN DU XV» SIÈCLE Léonard Pénicaud, dit Nardon (1470 f iSSp), a donné son nom à toute une pléiade d'artistes. Il fut d'abord, comme Bernard Palissy, peintre-verrier et dégagea l'art auquel il allait se vouer; il assura à Limoges, sa patrie, l'honneur d'être incontestablement le berceau des Emaux peints^ que l'Italie et Venise, avec leurs vases, leurs aiguières, leurs buires, s'elforcent d'imiter sous leurs continuateurs. Nous — 18 — LES ÉMAEX PEIxXTS DE LIMOGES 3 citerons, parmi les œuvres de Léonard Pénicaud, deux triptyques, VAnjionciation^ Naissance de l'Enfant Jésiis^ Adoration des Mages, dont nous avons reproduit le tableau central (lîg. a), la Résurrection du Christ (iig. 7) et le Christ entre les larrons (fig. 8). Les Pénicaud qui suivent furent, comme Nardon, peintres-verriers et émailleurs ; les premiers ayant adopté le nom de Jehan, durent, pour prévenir les méprises, augmenter leur nom d'un chiiFre de descendance. Jehan Pénicaud 1®*", iils ou neveu de Nardon, dont nous repro- duisons un diptyque. Naissance de Jésus, Adoration des Mages (fig. 6), et Guy de Montfaucon contemplant le Christ en croix (fig. 9), contribua à l'amélioration d'un genre qui brilla de tout son lustre avec Jehan Pénicaud 11 (voir fig. 10) habilement secondé par Jehan Pénicaud III, dit le Jeune (fig. 26). Des émaux, d'une grande valeur, furent les résultats de la colla- boration de ces deux derniers maîtres, sous rinñuence desquels l'école de Limoges se plut à reproduire les portraits de François Clouet et les compositions d'Etienne De Laune. Pénicaud, dit le Jeune, eut, à ce qu'on croit, deux fils : l'aîné, Jehan Pénicaud H', qui ayant épuré son goût en Italie, fut un émailleur de haute distinction ; ses plats, ses assiettes, ses aiguières, ses coupes, ses chandeliers, ses salières sont à bon droit recherchés (fig. i5 et 82); le cadet, Pierre Pénicaud, cultiva de préférence la peinture sur verre, comme semble l'indiquer la mention d'une somme qu'il reçut, en i555, pour un vitrail. LA MA]\UFACTURE D'ÉMAUX PEINTS DE LIMOGES AU XYD SIÈCLE Léonard Limosin (i5o5 f 1577) était fort jeune quand le besoin de se faire un nom le dirigea de sa province vers Paris, qu'il traversa rapidement pour s'arrêter, quelques heures après, dans la plus florissante des résidences royales; en i525, l'obscur Limosin figurait parmi les disciples de la grande école de Fontainebleau. Etait-il venu dans ce palais pour y apprendre la peinture ou pour entrer au service de François P'" ? L'enthousiasme que lui inspiraient les nobles pages du Rosso décida-t-il de sa vocation? Le hasard ne fut-il pas plutôt son protec- teur et son guide ? On ne sait. L'histoire atteste seulement que les dispo- sitions de Léonard étaient précoces et que ses progrès furent rapides, puisque cinq ans après, en i53o, il avait cessé d'être un élève et repa- raissait à Limoges, sa AÛlle natale, enrichi par la munificence souve- raine du triple titre de chef de la manufacture d'émaux de Limoges, de peintre-émailleur du roi et de valet de chambre de Sa Majesté. Sur ces trois charges, deux étaient rétribuées, la direction de la manu- 4 COMMI'Nt Di:Vl'XIU CONNAISSEUR íactLirc et le service particulier du monarque, bien ([ue la ionction de valet de chambre ne fût sans doute pour Tarliste qu'une sinécure, dont il touchait régulièrement les gages sans être astreint à en remplir les devoirs, Léonard Limosin cultiva de préférence le genre désigné par M. de Laborde sous le nom Emaux peints. Attaché à cette manière, qu'il lui était réservé d'étendre, Limosin produisit, entre autres ouvrages supérieurs, dix-huit plaques peintes en émaux de couleui' ayant pour sujet la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour date ij33; deux ans après il copie en grisaille VJJistoire de Psyché par Raphaël, qui passionnait tous les amateurs et tous les artistes. Un beau couvercle de coupe, daté de i537, donne à penser que Léonard, dès ce moment inquiet du sort des œuvres sérieuses qui s'élaboraient dans la manu- facture de Limoges placée sous ses ordres, lui fit produire des ustensiles de ménage, des fantaisies du luxe et des frivolités à l'usage de la vie mondaine. La fécondité de Limosin se révèle plus que jamais en ij39, année pendant laquelle il peignit un Calvaire.^ un Christ en croix et, piqué sans doute d'émulation par le succès de Pénicaud 111, dit le Jeune, un Portrait de Luther bien capable de soutenir le parallèle avec celui peint antérieurement par son rival. INIais plus l'insatiable artiste avance dans la vie et la renommée, et plus il a à cœur de grossir son patrimoine; non seulement il passe, comme on l'a vu, du sacré au profane, mais encore, allant sans trêve de r un à l'autre, qu'il s'agisse d'un épisode divin pour un rétable ou d'une scène mythologique pour une aiguière, il procède d'une main hâtée, abuse du paillon ainsi que des ornements d'un goût douteux comme dans son Annonciation en émaux de couleur. LÉONARD LIMOSIN, PEINTRE DE PORTRAITS SUR ÉMAIL Tout occupé qu'il fût de cette importante besogne, Léonard avait, chemin taisant, découvert une source de profits, celle des portraits, d autant plus productive qu'au début il n'y avait que les princes du sang, que les hauts et puissants seigneurs qui pussent se payer une pareille fantaisie. C'était parmi les grands à qui aurait son tour, à qui enverrait son image ou viendrait poser en personne devant l'artiste. Pour la meilleure exécution de ces portraits Léonard dut, sous certains rapports, modifier ses procédés matériels ; il s'éloigna quelque peu des émaux peints pour travailler sur pdte dé'émail et ouvrit de la sorte la voie dans laquelle se sont ultérieurement distingués Jean Toutin — 20 — LI'S ÉMAUX I'EIXTS J3E LIMOGES de Clialeaudiin el Pelitot. La réussite du genre nouveau fut si prompte que le roi voulut être un des premiers à prendre sa place dans cette galerie d'illustrations contemporaines, dont l'émail, avec son inal- térable éclat, promettait de transmettre les traits à la postérité. L'imagination de François P'" était encore pleine du souvenir des cartons de Rochetel et du bruit des querelles religieuses qui agitaient l'Allemagne; peut-être aussi la conscience du fils aîné de l'Église n'était- elle pas exempte de doutes à l'endroit des questions d'orthodoxie et de discipline alors en conteste; ce qui tendrait à le faire croire, c'est que le monarque enjoignit à son émailleur de donner sa royale ressemblance au personnage d'un apôtre; les plus zélés courtisans se disputèrent, comme bien l'on pense, l'insigne faveur de se faire représenter en disciples de Jésus. 11 est toutefois probable que ce travail ne fut jamais terminé. Quand Léonard eut achevé, en 1047, copies des cartons de Róchete!, il se mit en route pour les présenter au souve- rain lorsque François P'' mourut à Rambouillet. É.MAUX DE LÉONARD LIMOSIN DESTINÉS AU SERVICE DE LA TABLE La période qui suit, c'e.st-à-dire celle comprise entre 1047 mort de François II (i56o), est pour Limosin une ère de productions en tous genres; il rassemble ses forces, il redouble d'ardeur comme si sa fin eût été prochaine. L'atelier de Léonard fonctionne nuit et jour : honorifiquement, il est l'émailleur du roi ; en réalité, il est l'émailleur de tout le monde, il tra\'aille pour les grands et pour les petits; peu lui importe! il n'a souci que de l'argent. Les émaux sur plaque de cuivre et les objets de vaisselle que fabrique alors Limosin défient Pénumération ; ce fut toutefois vers i5f)2 qu'il accomplit, sur les ordres de Henri II, une des œuvres les plus importantes de sa carrière, les tableaux décorant les deux autels à droite et à gauche de la Sainte- Chapelle et représentant, l'un Henri II et Catherine de Mediéis^ l'autre François et Lèonore d'Autriche. Peu de temps après, Léonard exécute le portrait du connétable de Montmorency (voir fig. 36), puis ceux de Catherine de Médicis, d'Elisabeth de France, de Léonore d'Autriche, du jeune dauphin qui allait être François II, de Marguerite de Valois, du cardinal François de Lorraine, d'Amyot, et autres princes, seigneurs ou célébrités dont le roi aimait à retrouver dans ses résidences les figures souriantes, chevaleresques ou pieuses. Nous citerons aussi des pièces destinées au service de la table, des plats datés de i568 à 1373 et d'autres vaisselles en émaux de coideur, accusant la lourdeur de plus en plus sensibhi — 21 — 6 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR de sa main. Mais une étincelle jaillit encore de l'imagination de Léonard à la veille de s'éteindre : le feu sacré l'échaiiiTe une dernière fois, et c'est sous son rayonnement qu'il peint les compositions que l'on croit, être les dernières de sa vie et qui représentent Charles IX sur un char en attitude de triomphateur. Serviteur de quatre règnes traversés par bien des agilations et des secousses, Léonard Limosin, gardant jusqu'au dernier soupir la sérénité de son âme, le calme de ses habitudes et la flexibilité de ses dévoue- ments, mourut tranquillement dans son lit vers 15^4 oii suivant l'opinion la plus accréditée. La riche succession de Limosin fut partagée comme avaient été partagés jadis l'empire d'Alexandre et celui de Charlemagne. La direc- tion de la manufacture de Limoges échut à Pierre Courtoys, disciple de Léonard, et Martin Didier, dit Pape, obtint le titre d'émailleur du roi, qu'il conserva jusqu'en 1609. Didier n'était pas, que l'on sache, un peintre d'une capacité transcendante. (Voir fig. 33.) INFLUENCE DE L'ÉCOLE DE FONTAINEBLEAU SUR LES TRAVAUX DE PIERRE COURTOYS Pierre Courtoys, quoique élève de Léonard Limosin, ne reflète guère dans ses œuvres la manière et le style de son maître : il a plus d'invention, plus d'originalité, plus d'imprévu; mais il est moins gra- cieux, et surtout moins transparent, contrastes qui s'expliquent par les tendances d'un talent qui l'entraînait à de plus amples développements dans ses ouvrages, composés en vue surtout de l'architecture et de la décoration monumentale. On doit, en effet, à Pierre Courtoys, les nenl ligures repoussées et émaillées sur cuivre, représentant Les dieux de la Fable d'après Francesco Primaticcio, dit le Primatice ; ces émaux, dont les personnages sont presque aussi grands que nature, coin- mandés par Henri II et terminés en i55g, époque à laquelle ils allèrent embellir le château de Madrid, sont aujourd'hui au musée de Cluny. M. de Laborde estime que Pierre Courtoys, fils aîné de Pvobert Courtoys, peintre-verrier à la Ferté-Bernard vers la fin du xv® siècle, n'a aucun lien de parenté et ne doit être confondu ni avec Mathurin ou Christophe Courtoys, sculpteurs, qui travaillaient en 1545 au palais de Fontainebleau, sous la direction du Primatice, ni avec les peintres du même nom que lui qui se sont succédé fort avant dans le xvii® siècle. Trois autres émailleurs, Jean, Joseph et Léonard, dont les traxTuix ne vont pas plus loin que le premier quart du xvii® siècle, ont joint à leur prénom le nom de Limosin. Ces artistes étaient-ils membres de la famille du célèbre ^-^éonard, ou le nom qu'ils ont pris n^était-il qu'un LES ÉMAUX PEINTS UE LIMOGES simple dérivatif de leur lieu natal, comme les désignations de Parmesan, de Lorrain et de Bourguignon? Les derniers Limosin durent toutefois être parents. Dans cette hypothèse, Joseph aurait été le frère, et Léonard le fils ou le neveu de Jean (pie l'on suppose avoir été rémailleur du roi, et dont l'abbé Texier a trouvé le nom sur les rôles de la taille ou des impôts de Limoges à l'année iGaa, La véritable décadence des émaux peints peut être attribuée à Jean Limosin, plus fécond encore, plus expéditif et plus lâché que ne l'avait été, en aucun cas, son prédécesseur et son modèle, Léonard, VAISSELLE ET ORFÈVRERIE DE TABLE DE PIERRE RAYMOND JEHAN ET MARTIAL COURTOYS LES ÉMAILLEURS DE LIMOGES DE LA FIN DU XVD AU XVIIP SIÈCLE L'école de Limoges eut encore d'autres célébrités au xvi° siècle. Pierre Raymond, dont les premiers travaux trahissaient les prédilec- tions pour les compositions allemandes et qu'on vantait dès i538, a produit beaucoup d'émaux et s'est exercé avec succès, spécialement dans la vaisselle et l'orfèvrerie de talile ; ses assiettes, ses coupes et ses aiguières, dont nous donnons de nombreuses reproductions, ses salières ayant pour décor les Travaux d'Hercule (iig. ii et 12), ne l'empêchaient pas de^ s'appliquer aux sujets religieux, témoin son tripty(|ue de Saint Jean. Pierre Ravmond travaillait encore en lajcS, donnant à son fils Martial un exemple (|ue celui-ci ne s'efforça guère de suivre. En effet, les œuvres de Martial Raymond sont rares; à peine cite-t-on de cet émailleur les candélabres qu'il fit en lôgo pour la confrérie du Saint-Sacrement de Limoges, et le tripty(|ue orné, sur ses volets, des armes de Clément VIII, qui occupa le trône pontifical de ¡592 à i6o5. Jehan Courtoys, frère de l'émailleur Pierre Courtoys qui avait rem- placé Léonard Limosin dans la direction de la manufacture de Limoges, renonça à la peinture sur verre qu'il pratiquait encore en i54o à la Ferté- Bernard pour s'adonner entièrement à l'émaillerie (fig. 2, 34 et 35) où, malgré l'abus du paillon et des ornements d'or, il réussit au point de fonder presque une école, car il eut de son vivant, et après lui, d en- thousiastes imitateurs, entre autres Martial Courtoys, vraisemblablement son neveu ou son fils, et Suzanne de Court. Quant à Martial Courtoys, il est cité en 1079 dans le livre des comptes de la confrérie du Saint-Sacrement de Limoges; 1 un des ouvrages qu'il a laissés est un grand plat circulaire traité en émaux de — 23 — 8 COMMI'XT DEVI'.MK CONNAiSSEUR {'ouleiir sur cuivre et ayant pour sujet Moïse frappant le rocher. L'émail- leur Jean de Court, dit Vigier, n'a peint qu'en grisaille, et ne paraît pas s'être occupé d'autre chose que des pièces propres à la table et aux dressoirs ; on a de lui un plat reinar(|ua])le exécuté en i 5; m et une coupe (|ui est de l'année laaG. Parmi les autres émailleurs de Limoges au xvP siècle, nous men- tionnerons Couly iVouailher, Jehan et Pierre Guibert, Jehan Vei'rier, Paulmet Texandier, Duinals, Massit, Iléchambault, Pierre Colin, Anthoine, Dominique, Guilhomet et Pierre Mouret, Joseph Blanchard, Jehan Boysse, Lobaud, Mimbiele, Etienne Mersier, Isaac Martin, Jehan Nicaulat et [Monvaerni, puis, au xvii® siècle, IL Poucet, Jacques, B. et P. Nouailher, Noel et I. Laudin, Bonin et Poillevet; enfin, au XYiiP siècle, Valérie Laudin, Bernard, Joseph et Jean Nouailher. Le diamètre des beaux plats varie de 4o à 55 centimètres; celui des assiettes de i8 à 20 centimètres; celui des soucoupes de 12 à i5 centi- mètres; nombre de coupes ont un diamètre de 19 à 25 centimètres; elles sont en conséquence plus larges que les assiettes. Les dimensions des salières à pied ou à jians varient entre 6 et 10 centimètres sur 14. 11 y a des burettes de 13 centimètres de hauteur, des bassins de 35 :i 4o centimètres de largeur. F ig . 4- — Coffret en ébène revêtu de plaques en émail peint. (Ecole de Limoges, — xvui' siècle.) COMMl'XT DEVENIR CONNAISSEI:r LES É .MAUX PEINTS DE EniOGES Fig. 6. — Diptyque, émail peint en couleurs par Jehan Pénicaucl T. Fig. 10. — Email en irvHittrihué à .1. Pénicaud il. Fig. 7. — Ti'ipfyquo, émail point en couleurs par Léonai'd Pénicaud, dit Nardon. Fig et I . 11 Fig. 8. — Le Christ entre les larrons. Décors de Pierre Rayniondf "ne salièi-o. FrCx. (). —' Guy Ho Montfaucoii conleiiiplant le Clirist eii croix, Email peint en couleurs jiar Léonard Pénicaud, dit Nardon. (Los travaux d'I'")- liiiiail point on couloiirs allri])uó à .lolian PónicauH í. 26 — 27 — CO!\niENT DEYENIK CONNAISSI^UR l'iG. i3, 17, i8, 20 à 22. — Enmux peints en grisaille par Pierre Raymond. Emaux peints on grisaille : fig. i.'î, par Jehan Pénicaud IV; iig. ifi, par Couly Nouaillier; iig. i(), par Jehan Courtoys. Fig. 23 ù 25, 27 à 3i. — Emaux peints ou grisaille par Pierre Raymond. i Fig. iñ. — Email peint en grisaille jiar Jehan Pénicaud IIE ; Fig . 32. — Flmail jieint on grisaille teintée par Jehan Pénicaud IV. ; — 29 — Kmalx I'eints — . 3. j i 1 i 16 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Fig . 3 G — . Le Connélablo de Email Monlmorcncy. ¡leiiit ¡lai- Léonai-d Limosiii (Musée du Louvre). — (Le crayon de ce portrait est conserve au Musée de Limoges). — 32 — i i Fig. i. Fig . a. Fig . 3. Coupe à pied, Assiette du service d'Anne de Coupe à pied, par Francesco Xanto. Montmorency, par Guido Durantino. par Francesco Xanto ? Le dessin des figures i à 3 est en bistre modelé do bistre roux avec rehauts blancs. — Tons modelés de bleu, jaune modelé de bislre roux et de l)islre brun, violet, vert clair. Bords jaunes. LES MAJOLIQUES D'URBINO ÉPOQUE DE LA RENAISSANCE ITALIENNE GUIDO DURANTINO — XANTO AVELLI CÉLÉBRITÉ DES FAIENCES D'URBINO ROLE DU DUCHÉ D'URBIN DANS LE MOUVEMENT DE LA RENAISSANCE LES MONTEFELTRO ET LES DELLA ROVÈRE De toutes les faïences de la Renaissance italienne les plus célèbres sont celles d'Urbino. C'est, à vrai dire, la gloire artistique particulière du pays. Car si Raphaël, comme on sait, est né à Urbin, il appartient plutôt par son talent comme par ses travaux à Pérouse, à Florence, à Rome, et d'ailleurs Urbin n'a jamais donné son nom à une école de peinture. Cependant, grâce aux INIontefeltro et aux délia Rovère, cette petite principauté des Apennins a été un des centres intellectuels les plus actifs et les plus élégants de cette époque privilégiée. La cour d'Urbin est prise pour type par le comte Baldassare Castiglione dans son livre Il Covtegiano. 11 la déclare supérieure à toutes les autres cours de l'Italie et il considère comme favorisés de la fortune ceux qui ont été admis dans une société aussi distinguée et aussi agréable. Or ce sont aujour- d'hui de délicats produits céramiques qui rappellent surtout à nos yeux ces charmes disparus. On aime à se figurer Battista Sforza, dont Fiero delia Francesca nous a laissé le portrait, Elisabeth et Eléonore de Gon- zague que Castiglione, d'accord avec les contemporains, nous représente — 33 — JIajoliques d'Crbiro. — 1. 9 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR comme spirituelles et savantes, vertueuses et aimables, aidant leurs époux Frédéric 111, Guido Ubaldo I®"" de ISIontefeltro, François-iNlarie de la Rovère, dans leur œuvre civilisatrice. On se plaît surtout à penser qu'elles ont encouragé une industrie qui introduit un luxe délicat dans Fintimité de la vie et conseillé à l'occasion les artistes qui s'y adonnaient*. LKS ORIGINES. — ATELIER DU CHATEAU DE EERMIGNANO LES CARDUGGI ET ASCANIO DEL FU GUIDO LE PLUS ANCIEN PLAT CONNU DES FABRIQUES D'URBIN Sans reprendre la question des origines et sans s'efforcer de déter- miner, à quelques années près, quelle est la ville italienne qui ala pre- mière produit des faïences ayant un caractère artistique (car il faut bien admettre qu'il y a toujours eu une poterie usuelle en Italie comme ail- leurs), il paraît certain que c'est seulement dans la seconde moitié du quinzième siècle que nous trouvons, aussi bien pour Urbino que pour ses rivales, des témoignages d'une fabrication dont l'histoire de l'art ait à s'occuper. Frédéric de Montefeltro, qui serait sans doute un des plus grands noms de l'Italie s'il avait eu à déployer sur un théâtre plus important ses qualités supérieures de guerrier, de politique, d'administrateur et de protecteur des lettres et des arts, Frédéric de Montefeltro n'avait pas négligé de fonder une fabrique de faïence et l'avait établie dans son châ- teau de Fermignano, à quelques kilomètres de sa capitale. On n'avait guère sur ces premiers essais que les témoignages écrits de Luigi Pun- gileoni** qui cite pour l'année 1477 le faïencier Giovanni di Donino Car- ducci, puis pour i5oi Francesco Carducci, et pour 1002 Ascanio del fu Guido. Mais jM . de Mély*** a appelé depuis l'attention sur un plat qui n'était pas inconnu, mais oublié au musée de Pesaro. Ce plat fait remonter plus haut que ne l'indiquait Pungileoni les débuts de la fabrication d'Grbino. 11 porte en effet l'inscription : Urhinas 1^59 die undécima ianu[a)ri. Ce n'est donc pas seulement l'année, mais le jour qui nous est donné. Or les dates manquent souvent sur les poteries d'Urbino. On peut donc en conclure qu'il s'agit ici d'une œuvre particulièrement intéressante. Le * II n'est pas inutile pom- l'histoire des faïences des souverains d'Urbino, de connaître les noms et les dates qui se succédèrent dans le pays. Au pouvoir des Montefeltro le xin° le duché d'Urbin, dans depuis siècle, la seconde moitié du xv" siècle, se plaça à la tète des la de Romagne avec Frédéric de Montefeltro principautés (1444-1482). A Frédéric succéda son fils Guiduhaido F'' (1482-1508), qui, n'ayant pas d'enfant, laissa ses États au fils de sa de la Rovère, du sœur, François-Marie neveu pape Jules II. Entre temps, le duché avait été César (■497-1302). François-Marie de occupé par la Borgia Rovère régna de i5o8 à i538, sauf une de six années (i5i6-i522) pendant interruption lesquelles il fut dépossédé par le jiape Léon X. Guiduhaido II succéda à son père (i538-i574) et laissa le pouvoir à son fils, laveur du François-Marie II, en iÜ2() en Saint-Siège. Le qui abdiqua pape régnant était alors Urbain VIII ** Luigi Puxgiloxi. (Maffeo Notizia Barberini, delle iG23-i644)- pitture in '"** F. majolica faite in Urbino. de Mély. La Céramique Italienne. Paris, Didot et C'°, 1884, in-8°. — 34 — LES MAJOLIQUES D'URBINO 3 duc Frédéric, comme le remarque M. deMély, aura voulu faire un essai avec les terres du pays et l'artiste aura jugé qu'il valait la peine de mar- quer avec précision la date du succès de l'entreprise. Cependant il faut arriver jusqu'au premier tiers du seizième siècle et à Guido Durantino pour trouver le commencement d'une série d'œuvres qui permette de suivre, dans son évolution, la fabrication et le style des faïences d'Urbino. DÉBUT DU SEIZIÈME SIÈCLE. — CONSTITUTION DES CÈLEBRES ATELIERS D'URBINO CAR.A.CTÈRE DE LEUR FABRICATION ET DE LEUR DÉCORATION LE «BLANC D'URBIN».—LES SUJETS MYTHOLOGIQUES. — LES MÉTAMORPHOSES D'OVIDE Dès le commencement du seizième siècle, les faïences d'Urbino présentent au plus haut degré cette harmonie générale de ton qui distingue entre toutes les faïences italiennes, harmonie qui relie admi- rablement les émaux et les diverses parties de la décoration, grâce à la couverte transparente qui a été étendue sur toute la surface de la pièce. Ce procédé sera repris en partie par la porcelaine danoise qui a obtenu tant de succès à nos dernières expositions. Les couleurs ne sont très variées : le bleu, le jaune, le vert, le noir, le violet ou le bistre. pas « Les bleus sont nets et bien fondus, dit M. de Mély; les jaunes plus clairs et moins durs que ceux de Castel-Durante. » Les blancs sont d'une douceur et d'un éclat exceptionnels; ils assurent à Urbino la supériorité à cet égard sur les autres fabriques du seizième siècle *. On regrette même que ce blanc merveilleux ne paraisse pas davan- tage sur ses produits. En effet, la fabrication urbinienne, du moins dans sa première période (jusque vers i545), couvre le plus souvent toute la pièce. Et ici nous touchons à un défaut grave, il faut bien le dire, de ces faïenciers si justement réputés. Ils ne voient guère dans l'œuvre qu'ils ont façonnée qu'un support pour un sujet décoratif, pour un tableau, et ils appliquent trop souvent cette composition sur l'objet sans tenir compte de la forme. Il y a là une erreur fondamentale de méthode qu'ils poussent parfois jusqu'au contresens. Les godrons, les rainures tombent où ils peuvent et la limite intérieure du marli partagera aussi bien le personnage d'Apollon ou coupera en deux la figure d'Europe. * On trouve d'intéressants détails sur les procédés des fabriques d'Urbino dans l'ouvrage — d'/Z Cavalière Cipriano, intitulé Picciolpassi Durantiko. I tre Libri âelVarte del Vasajo. Le manuscrit original, œuvre d'un potier du milieu du seizième siècle, appartient ala bibliothèque du South Kensington Museum. Il a été publié (d'une fai-on incomplète) à Rome, 18.57, avec atlas de 37 planches. Il a été traduit en frfinçais du seizième siècle par le peintre émailleur Claudius Popelín sous le titre : Les trois Libares de Vart du potier, lesquels se traite non seulement de la pratique, mais brièfvement de tous les secrets de cette chouse qui jouxte mes liuy a été toujours tenue célée, Paris, A. Lévy, 1861, g"* in-.'i". 4 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Aussi, au point de vue céramique, serait-il juste de préférer les pièces d'Urbin à décors grotesques sur fond blanc, soit que ce genre de décor soit appliqué à la totalité de l'olqet, soit qu'il accompagne quelques grands sujets, mais placés alors sur des surfaces avec les- quelles ils s'accordent. Dans ce dernier cas, on le voit, les deux avan- tages d'une décoration adéquate et de compositions valant par elles- mêmes se trouvent conciliés. On doit reconnaître cependant que le goût inné des artistes de cette époque a su restreindre les mauvais effets d'un système erroné. D'ailleurs que ne pardonnerait-on pour la richesse, l'éclat, la beauté d'exécution, l'intérêt varié de ces œuvres rares? Le plus ancien des plats connus d'Urbino, ce plat du Musée de Pesaro que nous signalions plus haut et qui est daté de 14^9, nous pré- sente le sujet du Taureau de Phalaris. C'est une indication à retenir, car les sujets préférés des décorateurs d'Urbino devaient être empruntés jusqu'à la fin à l'histoire mythique et légendaire des Grecs. Ils s'in- spirent surtout des Métamorphoses d'Ovide. Les scènes de l'histoire romaine, les scènes historiques de la Bible sont aussi assez souvent traitées. Les sujets de sainteté sont en plus petit nombre, ainsi que les scènes familières. Le goût dominant pour la Mythologie et spécialement pour les Métamorphoses d'Ovide s'affirme chez l'artiste qui le premier au loin répandit la réputation des faïenciers d'Urbino, chez ce Guido Durantino que nous citions tout à l'heure. GUIDO DURANTINO. — CARACTÉRISTIQUE DE SES ŒUVRES LE SERVICE D'ANNE DE MONTMORENCY Guido Durantino s'appelait de son vrai nom Pellepario. Il était fils d'un maître faïencier de Gastel-Durante. De là le surnom de Durantino qui lui fut donné lorsqu'il vint s'établir à Urbino, vers iSao. Dès i535, sa renommée était telle que Anne de Montmorency, à la veille de devenir connétable (il obtint cette dignité en i536), lui commanda un service de table dont il existe encore six assiettes reconnaissables à leurs armoiries. Une de ces assiettes est au Musée de Lyon, une autre au musée de Rouen, une troisième qui était en 1864 dans la possession de M. Poncet avait été trouvée à Auxerre et payée quinze centimes. Les trois autres appartenaient alors à M. Sellière. Ce sont encore les d'Ovide Métamorphoses qui ont fait les frais de la décoration. Trois de ces assiettes sont signées : La bottega di Guido Durantino in Urbino, 1535. Le plus grand personnage du royaume de France chancelier après le Roi, le Duprat, avait eu aussi recours à lui à la même époque, et le — 36 — LES MAJOLIQUES D'URBINO o Musée de Sèvres possède un plat signé et daté de i535 portant ses armoiries. II est probable que le cardinal fit cette commande lorsqu'à la mort de Clément VII il songea à se faire nommer pape. En dehors de son importance historique ce plat mérite l'attention, au point de vue technique, par des tons noirs intenses très rarement employés à Urbino. Duprat ne put longtemps jouir de ce service, à supposer même qu'il lui soit parvenu, car il mourut le 9 juillet i535. Guido signe ses œuvres en toutes lettres en faisant précéder sa signature de l'indication du sujet. Les œuvres de Guido Durantino, dit M. Ed. Garnier*, d'un dessin souvent incorrect, tracé en bleu, et d'un modelé parfois sec et dur, sont reconnaissables à leur coloration vigoureuse où le jaune orangé très intense arrive presque au rouge, et à une exécution franche et hardie. C'est lui qui semble avoir le premier couvert les majoliques de sujets qui en occupent toute la super- ficie sans tenir compte de la forme des pièces et sans se soucier des déformations que devait subir le dessin dans la plupart des cas. CONTEMPORAINS DE DURANTINO.— CARACTÉRISTIQUE DES ŒUVRES DE XANTO AVELLI. MODIFICATIONS DE SA MANIÈRE. — SES LÉGENDES EXPLICATIVES Déjà en i535 Guido avait plusieurs émules tels que Federigo di Giannantonio, Gianmaria Mariano, Guido Merlino dans la « bottega » duquel travaillait Cesare Cesari de Faenza et Gerónimo da Urbino. Une grande coupe du Musée de Lyon, décorée sur fond blanc d'une orne- mentation à grotesques et ayant pour sujet central l'Amour sur un nuage encadré par une couronne de lauriers, porte sur le piédouche : i534. Gerónimo. Urbino fecit**. G'est une œuvre fort remarquable. Cepen- dant, à vrai dire, Guido Durantino n'a qu'un rival, Xanto Avelli de Rovigo qui ne devait pas tarder à le dépasser. Xanto AvelIi avait un atelier dès i53i, comme le prouvent un plat du British Museum et une assiette du Musée du Louvre (n" 295. Saíní Jérôme) portant cette date. Xanto a un dessin large et ferme, lorsqu'il ne se néglige pas pour travailler plus vite ; car ses œuvres sont assez * ÉdouA-RD Garnier. Dictionnaire de la Céramique. Paris, Librairie de l'Art, 1894, in-8°. Voyez aussi, sur les faïences d'Urbin. — Passeri. Histoire des Peintures sur MajoUque. Traduction par Henri Delange, Paris, i853, in-8°. ** Comme les amateurs s'occupent, en général, trop peu des Musées de province, saisissons l'occasion de signaler au Musée de Lyon d'autres pièces intéressantes des fabriques d'Urbin à l'époque de la Renaissance :Une assiette à large bord (n° 278) représentant Hercule et Cacus et portant au revers : 1533 Hercole ucide il fraudulente Caco. Nel VNI libro de Ovidio il/" '.In Urbino ; deux autres assiettes dont l'une a encore pour sujet un épisode d'Ovide [Métamorphoses, livre VI, vers 115 et suiv.), et l'autre, représentant les Amours de Psyché, porte les armes d'un délia Rovère, chevalier de Malte; enfin une coupe datée de i54o et qui a pour sujet Jupiter condamnant Prométhée. — 37 — 6 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR inégales. « La couleur, dit M. Darcel, est appliquée par grandes teintes unies, modelant simplement les objets, et d'un bistre brun un peu froid dans les carnations. Le ton général de la peinture est clair avec quelques oppositions d'un noir brillant et des verts lumineux d'un grand éclat dans les feuillages et les draperies. « Ces verts bleuâtres sont comme le signe distinctif de Xanto et il ne paraît pas qu'aucun, de ses contem- porains ou de ses successeurs ait pu les reproduire complètement. Xanto semble avoir été aussi un lettré, comme le montrent les abondantes légendes explicatives inscrites sur ses faïences, légendes qui témoignent de prétentions, assez bien justifiées d'ailleurs, au beau style. 11 s'efforce de tirer des sujets qu'il représente des leçons morales parfois bien imprévues. C'est ainsi que, à propos du Jugement de Paris (Musée du Louvre, n° 820), il écrira : 0. rr. cue. legej{aj. qvesto dicto. j^otatijn. teme. dio. E. VET^SA. EL. TlTiE. CEE. BOTiJt OPET{A. EAKAT. ET. EL. TVO BEL. TETiPO(sic) J\07^. PE1{DETiAl. C'est-à-dire : 0 toi qui liras ces mots, note bien ceci ; Crains Dieu et pense à la fin. Tu feras ainsi de bonnes œuvres et tu ne perdras pas le beau temps de ta vie. Il paraîtrait résulter même d'une allusion faite sur un plat du British Museum que le faïencier aurait composé un poème en l'honneur du duc François-Marie de la Rovère. Xanto n'arriva pas sans tâtonnements à la maîtrise qu'il devait posséder plus tard. Comme le remarque M. Alfred Darcel, certaines de ses œuvres (Musée du Louvre, n"' 3i5 et 3 18, et n" 233 de la collection Poiirtalès) sont d'un dessin barbare et d'un modelé fort rude, quoique la simplicité de ce modèle soit déjà pleine de caractère. Mais bientôt il allait se modifier sous l'influence du Raphaël. Un très grand nombre de ses sujets sont empruntés, en tout ou en partie, au peintre qui faisait la gloire de la ville où Xanto avait son atelier*. DE L'INFLUENCE DE RAPHAËL SUR LES FAÏENCIERS D'URBIN A-T-IL PRIS DIRECTEMENT PART A LEURS TRAVAUX ? On a discuté avec abondance et vivacité la question de savoir si Raphaël avait travaillé spécialement pour les faïenciers de son pays. On a même dit que dans sa jeunesse il avait décoré de sa main quelques céramiques, et Malvasia s'indigne que l'auteur des « Stanze» se soit ainsi * Cf. Alfred Darcel. Notice des faenïces italiennes, hispano-moresques et françaises du Musée du Louvre. Paris, 1864, in-S". — 38 — LES MAJOLIQUES D'URBINO 7 abaissé au rôle de vulgaire potier. Cette indignation ne nous touche guère et aucun artiste, si grand qu'il soit, ne peut être compromis dans sa dignité pour avoir eu sa part dans des œuvres exquises. Mais pas n'est besoin, pour expliquer ces ressemblances, de l'intervention directe du maître, les gravures de Marc-Antoine Raimondi suffisent et l'on peut remarquer que c'est surtout dans les années qui suivent la mort de Raphaël que les faïenciers d'Urbin reproduisent ses compositions. D'ailleurs on a prouvé* qu'un compatriote, un parent de Raphaël, Rafaello de Ciarla (la mère de Raphaël appartenait à la famille Ciarla), a exécuté de nombreuses majoliques vers i55o. De là la confusion pro- voquée par la similitude de noms. La question d'ailleurs est, au fond, de peu d'importance. Car ce qui n'est pas douteux, c'est l'iniluence prédominante du style raphaélesque dans la fabrication d'Urbino aux environs de i53o, et rien n'est plus naturel. Le prestige qu'avait Raphaël auprès des faïenciers de son pays natal et la reconnaissance qu'ils pen- salent lui devoir sont attestés par une pièce admirable du Musée de Cluny à Paris, un portrait de Raphaël de petite nature, en camaïeu, bleu, d'après la peinture des Offices de Florence, entouré d'une épaisse guirlande dorée. C'est de Raphaël que s'inspire principalement celui que l'on peut considérer comme le meilleur disciple de Xanto, Nicolo da Urbino, le même que Nicolo di Gabriele. Dans le plat du Louvre (n° 324)? il 6st facile de reconnaître des personnages du Parnasse, et la plaque n° 326 reproduit sommairement la Vierge au poisson. On peut aussi attribuer à Nicolo dans le même musée le n" 325 [Pasiphaé], et le n° 3oo [Actéon]. Le Musée du Bargello, à Florence, possède un plat de lui daté i528etrepré- sentant le Martyre de sainte Cécile. Il provient de la collection Ressmann. Le Sacrifice de Diane, au British Museum, est de la même main quoique sensiblement inférieur. Nicolo d'Urbino « tout en suivant les errements de Xanto » emploie la couleur « d'une façon plus délicate et plus fondue « et donne à ses têtes « un profil plus aigu ». (Darcel.) FAÏENCES D'URBIN INSPIRÉES PAR DES ÉVÉNEMENTS DU TEMPS Xanto.et son école empruntent plus d'un sujet à la Bible, à l'histoire ancienne [la mort d'Archimède) et aussi à l'Arioste, poète contemporain. Mais en illustrant VOrlando Furioso, on ne sortait guère de la Mytho- logie. Ce qui nous intéresse davantage, ce sont les sujets qui lui ont été inspirés par les événements du temps. Telles sont les deux coupes dont l'une est au JMusée du Louvre (n" 3i3), qui rappellent la chute de * Cf. Campori. Notizie storiche delta Maiolica e delta Porcellana di Ferrare, nei secoli xV et xvi". Pesaro, 1879, 3° éd., p. i32-3, cité par Eugène Mütitz : Raphaël. — 39 — 8 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Florence sous les coups de Charles-Quint et de Clément Vil et nous montrent VItalie en pleurs ou plutôt Florence pleurant ses enfants morts. La figure est empruntée au Massacre des Innocents de Baccio Bandinelli Tel est le plat, Musée du Louvre (n" 3 12), faisant allusion aux mômes évé- nements et indiquant plus clairement l'oppression impériale, par un homme à double téte d'aigle tenant renversée à terre une femme qu'il s'apprête à poignarder. La date de ces diverses pièces (i53i) ne laisse aucun doute sur leur signification. On cite aussi la Prise du fort de la Goulette par Charles-Quint., imité d'une peinture de Jules Romain, por- tant la date de i54i, et signé: Urhino. nella Bottega di Francesco de Sihano. Silvano était donc alors maître d'un atelier. Un plat du British Museum fait allusion à la défaite de François I®'' à Pavie. Enfin, le South Kensington Museum possède une coupe où l'on voit une femme à demi nue, blessée, s'appuyant sur un bouclier : derrière elle deux personnages pleurent. Le sujet est clairement expliqué par l'inscription du revers : Di tua discordia Italia., il premio por ai (Italie, tu as maintenant le prix de tes discordes !), i536. A cette date, en effet, on pouvait prévoir que l'Italie avait définitivement perdu son indépendance. Et sa déca- dence politique allait avoir bientôt son contre-coup relatif sur les arts. Fig. 4. — Décor géométrique d'une aiguière et de son plateau (Faïence de Pesaro) à comparer avec le décor, à sujet mytHologique, de la Faïence d'Urbino. — 40 — LES MAJOLIQUES D'URBINO l·iG. 5. — Aiguière. — Fig . 6 et 7. —Grands vases à anses, avec inscriptions [Falto in Urbino). riG. 12. — Gourde (et détails fig. 8 à 11) décorée de chimères, les anses sont formées par des masques, dont les cornes en volute servent à passer le lacet de suspension. — Fig. i 3. — Plateau, décor à grotesques. Le fond général de la décoration des pièces figurées sous les n"" 5, 6, 7, 12, i3, est blanc ; les chimères et les ornements sont jaunes et bleus. Les médaillons s'enlèvent sur le noir. 41 — majoliques d'urbino. — 2. COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR LES MAJOL·IQUES DURBINO H Fig. i-í, i 6 et i8. — Coupes d'accouchées, par Francesco Xanto. Dessin en dolé de bistre roux. Tons jaune clair, bistre roux, bistre verdutre, bleu claii. Fig. iñ, 17 et 19. — Grands Le d'Hélène lü ^^fivouenieni de Curtius •— Daj'ifis et Le dessin plats, Rapt (fig. des (iig". 17). Gobryas (iig. 19). grands plats est en bistre modelé de bistre roux avec rehauts blancs. Tons de bleu, jaune modelé de bistre roux et de bistre brun, \iolet, \ei c an. î-mnAt — 42 — — 4a — COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Fig. 20,21,23, 24.-Assiettes et Coupes. Vulcain forgeant les armes de Mars 20). -Gygès et le roi Candaule {ñg.^i). Martyr de saint Laurent (fig. 24). — Fig. 22. — Plateau à fruits, de l'orme ovale, décor à grotesques. Le dessin des pièces figurées sous les n°' 20, 21, 23 et 24 est en bistre, modelé très accentué en bistre roux avec rebauts blancs. Tons bleu vif, violet, bistre verdâtre et bistre roux, jaune clair, vert clair; bord jaune. La décoration de la pièce figurée sous le n° 22 se rapproche de celle de la pièce figurée sous le n° i3. — U — LES MAJOL·IQUES D'URBINO 13 l·ig. 25, 27, 3o, 33, 35. — Coupes et Assiettes à fruits (et leur section). — Fig. 29 et 32. — Assiette et Plaleau. Dans la décoration des pièces figurées sous les 25, 3o, 32, 35, les tons sont gais ; le bien, le jaune et le vert y dominei Les sujets du milieu sont exécutés sur un fond La jaunâtre. décoration des pièces (iig. 27, 29 et 33) se rapproche de celles figurées sous les n°® 20, 21, 23 et 24. Majoliocks d'U rbino. — 3. 14 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Fig. 37 à39, 41 et 43- Aiguières, Gourdes et Bouteilles de cliasse. — Fia. 40 et 42. Salière et Coupe a épicas. Le fond général de la décoration de ces pièces est blanc, bistre ou bleu foncé, modelé de bistre roux. Tons jaunes modelés de bistre roux, violet, vert bleu. Les anses des Bouteilles de chasse (fig. 38 et 41) sont décorées en jaune réchampi de bistre roux. — 46 — LES MAJOLIQUES D'URBINO lo Fig. 44- — Grande Coupe.— Fig. 4 ,0. — Grande Écritoire, en forme de buffet d'orgue. Plais. Fig. et S4. Chandeliers. — Fig. So et S4. — Brocea. Fig. — 46, 5i et Sa. Coupes et — 49, — 47 Fig. SS — . Grande fontaine et son bassin. Décoration à comparer avec celle des figures précédentes. • K"' 4(5, 49, Si et Sa avec n°® 27, 29 et 33. K°' 4S et SS n°® 40 et 42. — avec N° 48 avec n°' 38 et 4' — — 17 — P COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR l·iG. 56. Grand Vase a deux anses formées de Le ton de la décoration dragons chimériques. est éclatant et harmonieux a la fin, et les rinceaux raphaéliques, dont ils sont couverts sont exécutés avec une facilité qui tient du prodige. Décoration ii comparer avec celle des figures 5, 12, i5, 22, j2,5o et 02. — 18 — Art Français (xvi" siècle). Fig. i et 2. —Écuelle en étain, dite Écuelle d'accouchée, et son plateau. LA VAISSELLE ET L'ORFEVRERIE D'ETAIN DU XIIL AU XVIIL SIÈCLE MULTIPLES FORMES DE L'ETAIN OUVRE OU TRAVAILLE L'étain ouvré ou travaillé a tenu une place importante d'abord dans l'industrie, sous de multiples formes, puis dans l'art. S'il nous en reste peu de monuments, ils suffisent du moins à prouver l'intel- ligence et l'ingéniosité des ouvriers qui l'utilisèrent pour les besoins de la vie durant plusieurs siècles, comme aussi le goût et l'imagination des artistes, grâce auxquels il a sa page dans l'histoire de l'Art à l'une de ses plus belles et de ses plus fécondes époques : à la Renaissance. Nous n'avons guère que des textes pour témoigner que l'antiquité connut et employa l'étain, mais ils établissent que ce métal fut exploité de bonne heure et faisait l'objet d'un commerce important. On l'extrayait des riches gisements de l'Espagne, de la Grande-Bretagne et même de quelques mines qu'on avait découvertes dans les Gaules. En outre de son utilisation primitive comme alliage dans la fabri- cation de l'airain, il est vraisemblable qu'on l'appliqua, à Rome surtout, — 49 — O rfètbebie d'étain. — 1. 2 COMMENT DEVENIR CONxNAISSEUR à un certain nombre d'usages que nous retrouvons au Moyen âge, c'est- à-dire au moment d'où l'on peut le suivre avec certitude dans l'histoire des mœurs et des coutumes. USAGES CIVILS ET DOMESTIQUES DE DETAIN Au xm® siècle, le prévôt Etienne Boileau énumère dans son Livre des Métiers les ouvrages que fabriquent les « estaimiers «, parmi lesquels on distingue les « potiers d'étain )> ou « pintiers » qui s'adonnent à la confection des vases et de la vaisselle plate, des ouvriers de « menues œuvres en étain » spécialisés dans ce que nous appellerions aujourd'hui la bimbeloterie. Ces ouvrages sont d'une variété infinie, et l'on peut dire que, à partir de cette époque, l'étain aura longtemps un rôle consi- dérable dans l'activité industrielle et commerciale. Il provient alors des mines de Cornouailles qui ont gardé leur antique réputation et leur richesse, et, plus tard, de Bohême où l'on en exploita des gisements dès le xv® siècle. Bruges est le grand comptoir du commerce de l'étain, c'est là que les marchands viennent le chercher pour en faire le trafic dans toute l'Europe. Ses qualités de métal sain, peu coûteux et malléable, le rendent propre à constituer, d'abord, toute une vaisselle qui se retrouve, tant dans les cuisines royales et seigneu- riales que dans le logis modeste du bourgeois. Il remplace assez rapi- dement le bois, la terre et surtout le cuivre qui avaient servi avant lui à la confection des objets destinés à la nourriture et à la boisson. Les inventaires et les comptes des princes et des grands personnages men- tiennent fréquemment tout ce matériel domestique. L'inventaire des biens de « Madame la royne Clémence » (iSaS), femme de Louis le Hutin, porte une grande quantité de « vesselmente d'étain ». — Nous trouvons dans les comptes de l'argentier de Louis XI, pour l'année 1469, le paiement à Guiot de Morennes, pintier d'étain à Tours, de « trente-cinq sols tournois pour deux flacons d'étain livrés à Maître Olivier le Mauvais, barbier du roi ». L'inventaire du duc de Bourbonnais (i5o7) nous apprend que ce grand personnage possédait en ses cuisines « trois quartes d'étain, trois pichiers et deux petits brocs, deux flacons d'étain à tenir vin et un petit à tenir huile, trente deux plats, trente quatre écuelles et un moutardier d'étain ». Pour la bourgeoisie riche, le Ménagier de Paris indique ce que com- porte une bonne maison ; « dix douzaines d'écuelles, six douzaines de petits plats, deux douzaines et demi de grands plats, huit quartes, deux douzaines de pintes. » On fait ainsi, en étain, des aiguières et leurs bassins, des assiettes (dont l'usage commençait alors à s'introduire), des écuelles et des plats, LA VAISSELLE ET IvORFÈVRERIE D'ÉTAIN 3 des gobelets, des cuillers, des moutardiers, des salières, des rafraîchis- soirs, des saucières, sans oublier le pot à aumônes, destiné à recevoir la part du pauvre sur les aliments servis à table, et aucpiel la foi naïve du temps lui donnait sa place dans chaque demeure aisée. Au cellier, se rangent les pots de toute sorte, brocs, pintes et chopines. Quel- ques-uns de ces humbles témoins de la vie familière sont venus jusqu'à nous. Il y a au iNIusée de Cluny, à Paris* : une salière décorée de sujets en relief et d'inscriptions latines, un gobelet, un pot, plusieurs aiguières, et des assiettes d'un diamètre de 20 centimètres. Une des applications intéressantes de l'étain, car elle comporte également quelque recherche d'élég*ance, c'est la cimarre ou cimaise, dans laquelle s'offrait le vin d'honneur au prince ou au seigneur qui entrait dans une ville. L'étain sert, d'autre part, à mesurer les boissons, et c'est là, sans doute, un de ses usages qui s'est le mieux perpétué. On trouve au xiv® siècle et aux siècles suivants, des pintes, des justes, des tierces et des quartes d'étain. On fabrique aussi en étain un grand nombre d'objets usuels : chan- deliers, encriers, sonnettes, plaques de colliers et de ceintures ; des miroirs, qui n'étaient alors qu'en métal, et des mereaux, sorte de jetons distinctifs de chaque corporation. Il convient encore de noter son emploi à l'imagerie populaire (des enseignes de pèlerinage et des petits objets de piété si répandus au Moyen âge) et à la fabrication de jouets d'enfants comme il en a été découvert dans la Seine. Disons un mot, pour terminer, de l'industrie des « batteurs d'étain » dont Etienne Boileau fait aussi mention. Ils préparaient l'étain en feuilles que les peintres utilisaient, recouvert d'une légère dorure, dans les travaux de décoration. On donnait à ces feuilles le nom à'appeau; l'appeau paraît avoir servi jusqu'au xvii® siècle. EMPLOI DE L'ÉTAIN POUR LES OBJETS DU CULTE Aux premiers siècles du christianisme, les objets du culte sont faits indifféremment soit en pierres ou en métaux précieux, soit en bois, en verre, en cuivre ou en étain suivant les coutumes et les ressources de chaque région. Ce n'est que vers le x® siècle que des prohibitions litur- giques interviennent à ce sujet. L'Église, réglementant la confection des vases sacrés, ne reconnaît plus comme matières que l'or et l'argent aux- * Catalogue et description des objets d'art, de l'Antiquité, du Moyen âge et de la Renaissance, exposés au musée des Thermes et de ITiôtel de Cluny, par E. du Sommerard (Orfèvrerie d'Étain. N" 5i86 à 5216). — Paris, Hôtel de Cluny, i883, in-8° (xxxm et 692 pages) (10351 N"'). — 51 — 2 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR à un certain nombre d'usages que nous retrouvons au Moyen âge, c'est- à-dire au moment d'où l'on peut le suivre avec certitude dans l'histoire des mœurs et des coutumes. USAGES CIVILS ET DOMESTIQUES DE L'ÉTAIN Au XIII® siècle, le prévôt Etienne Boileau énumère dans son Lwre des Métiers les ouvrages que fabriquent les « estaimiers », parmi lesquels on distingue les « potiers d'étain » ou « pintiers » qui s'adonnent à la confection des vases et de la vaisselle plate, des ouvriers de « menues œuvres en étain » spécialisés dans ce que nous appellerions aujourd'hui la bimbeloterie. Ces ouvrages sont d'une variété infinie, et l'on peut dire que, à partir de cette époque, l'étain aura longtemps un rôle consi- dérable dans l'activité industrielle et commerciale. 11 provient alors des mines de Cornouailles qui ont gardé leur antique réputation et leur richesse, et, plus tard, de Bohême où l'on en exploita des gisements dés le xv® siècle. Bruges est le grand comptoir du commerce de l'étain, c'est là que les marchands viennent le chercher pour en faire le trafic dans toute l'Europe. Ses qualités de métal sain, peu coûteux et malléable, le rendent propre à constituer, d'abord, toute une vaisselle qui se retrouve, tant dans les cuisines royales et seigneu- riales que dans le logis modeste du bourgeois. 11 remplace assez rapi- dement le bois, la terre et surtout le cuivre qui avaient servi avant lui à la confection des objets destinés à la nourriture et à la boisson. Les inventaires et les comptes des princes et des grands personnages men- tiennent fréquemment tout ce matériel domestique. L'inventaire des biens de « Madame la royne Clémence » (iSaS), femme de Louis le Hutin, porte une grande quantité de « vesselmente d'étain ». — Nous trouvons dans les comptes de l'argentier de Louis XI, pour l'année 1469, le paiement à Guiot de Morennes, pintier d'étain à Tours, de « trente-cinq sols tournois pour deux flacons d'étain livrés à Maître Olivier le Mauvais, barbier du roi ». L'inventaire du duc de Bourbonnais (i5o7) nous apprend que ce grand personnage possédait en ses cuisines « trois quartes d'étain, trois pichiers et deux petits brocs, deux flacons d'étain à tenir vin et un petit à tenir huile, trente deux plats, trente quatre écuelles et un moutardier d'étain ». Pour la bourgeoisie riche, le Mènagier de Paris indique ce que com- porte une bonne maison : « dix douzaines d'écuelles, six douzaines de petits plats, deux douzaines et demi de grands plats, huit quartes, deux douzaines de pintes. » On fait ainsi, en étain, des aiguières et leurs bassins, des assiettes (dont l'usage commençait alors à s'introduire), des écuelles et des plats, — 50 — LA VAISSELLE ET L ORFÈVRERIE D'ÉTAIN 3 des gobelets, des cuillers, des moutardiers, des salières, des rafraîchis- soirs, des saucières, sans oublier le pot à aumônes, destiné à recevoir la part du pauvre sur les aliments servis à table, et auquel la foi naïve du temps lui donnait sa place dans chaque demeure aisée. Au cellier, se rangent les pots de toute sorte, brocs, pintes et chopines. Quel- ques-uns de ces humbles témoins de la vie familière sont venus jusqu'à nous. Il y a au jMusée de Gluny, à Paris* ; une salière décorée de sujets en relief et d'inscriptions latines, un gobelet, un pot, plusieurs aiguières, et des assiettes d'un diamètre de 20 centimètres. Une des applications intéressantes de l'étain, car elle comporte également quelque recherche d'élégance, c'est la cimarre ou cimaise, dans laquelle s'offrait le vin d'honneur au prince ou au seigneur qui entrait dans une ville. L'étain sert, d'autre part, à mesurer les boissons, et c'est là, sans doute, un de ses usages qui s'est le mieux perpétué. On trouve au xiv® siècle et aux siècles suivants, des pintes, des justes, des tierces et des quartes d'étain. On fabrique aussi en étain un grand nombre d'objets usuels : chan- deliers, encriers, sonnettes, plaques de colliers et de ceintures ; des miroirs, qui n'étaient alors qu'en métal, et des mereaux, sorte de jetons distinctifs de chaque corporation. Il convient encore de noter son emploi à l'imagerie populaire (des enseignes de pèlerinage et des petits objets de piété si répandus au Moyen âge) et à la fabrication de jouets d'enfants comme il en a été découvert dans la Seine. Disons un mot, pour terminer, de l'industrie des « batteurs d'étain » dont Etienne Boileau fait aussi mention. Ils préparaient l'étain en feuilles que les peintres utilisaient, recouvert d'une légère dorure, dans les travaux de décoration. On donnait à ces feuilles le nom à'appeau; l'appeau paraît avoir servi jusqu'au xvii® siècle. EMPLOI DE L'ÉTAIN POUR LES OBJETS DU CULTE Aux premiers siècles du christianisme, les objets du culte sont faits indifféremment soit en pierres ou en métaux précieux, soit en bois, en verre, en cuivre ou en étain suivant les coutumes et les ressources de chaque région. Ce n'est que vers le x® siècle que des prohibitions litur- giques interviennent à ce sujet. L'Église, réglementant la confection des vases sacrés, ne reconnaît plus comme matières que l'or et l'argent aux- * Catalogue et description des objets d'art, de l'Antiquité, du Moyen âge et de la Renaissance, exposés au musée des Thermes et de l'hôtel de Cluny, par E. du Sommerard (Orfèvrerie d'Étain. N" 5i86 à 5216). — Paris, Hôtel de Cluny, i883, 10-8° (xxxiii et 692 pages) (10351 N"'). — 51 — 4 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR quels elle ajoute l'étain, mais par tolérance, et pour les églises pauvres seulement. La nécessité en développa bientôt l'emploi. On en fit alors des calices couramment; des patènes qui, toutefois, d'après les prescrip- tions ecclésiastiques, doivent être dorées ; des ciboires ; des burettes avec leurs plateaux, et des bénitiers dont beaucoup étaient alors de petits seaux avec une anse. Le Musée de Cluny a dans ses collections un petit reliquaire, une cassolette destinée à contenir les saintes huiles, aux armes de Charles- Quint, un petit bénitier peint en couleurs, avec l'image de sainte Véro- nique, et une burette. Il semble que ce mobilier d'étain ait dû, dans un grand nombre d'églises et d'abbayes, servir à l'usage journalier tandis qu'on gardait pour la célébration des fêtes solennelles le trésor des objets en métal précieux. Parmi ces pièces qui semblent vouées à l'humilité il s'en trouve, pourtant, d'une valeur artistique qui n'est pas inférieure à celle de l'orfèvrerie somptueuse qui les éclipse : tels l'ostensoir et la pyxide que conserve le Musée du Louvre. L'usage de l'étain, pour les objets du culte, a persisté jusqu'à la fin du XVIII® siècle. Il a aujourd'hui tout à fait disparu, et l'on ne fait plus les vases sacrés cju'en matière précieuse et en verre. LA VAISSELLE D'APPARAT AU XV SIÈCLE LES BELLES PIÈCES D'ORFÈVRERIE D'ÉTAIN AU XVI» SIÈCLE. — FRANÇOIS BRIOT La bourgeoisie aisée n'employait pas seulement l'étain sur sa table ou à sa cuisine. Il figura aussi comme vaisselle d'apparat sur les dres- soirs (ainsi ces assiettes, dites hastiches^ faites uniquement pour la déco- ration et qui ont une forme spéciale avec le centre en relief). 11 tenait lieu de l'orfèvrerie d'or et d'argent presque exclusivement réservée au roi et à sa cour. C'est ce luxe simple et honnête que regrettait La Bruyère quand il rappelait le temps où « l'étain brillait sur les tables et sur les buffets comme le fer et le cuivre dans les foyers « {Caractères, chapitre vu). L'art et l'habileté que les potiers d'étain apportèrent dès la fin du XV® siècle aux ouvrages de ce genre répondait pleinement au senti- ment du goût que M. Germain Bapst, dans sa savante étude de l'Étain dans l'Antiquité et au Moyen âge*, reconnaît comme une des caracté- ristiques du temps ; « Chaque forme, dit-il, chaque détail a sa raison Cf. L Etain dans VAntiquité et au Moyen âge, Orfèvrerie et Industries diverses, par M. Germain Bapst. Paris, G. Masson, 1884, in-8° (x et 33o pages, avec 11 planches hors texte). LA VAISSELLE ET L'ORFÈVRERIE D'ÉTAIN 5 d'être clans Fiisage auquel est destiné l'objet qu'on fabrique. » De là «... cette pureté de lignes, cette grandeur de formes dans les moindres objets même les plus grossiers ». Cette forme d'art, que servaient déjà de leur mieux de modestes et fervents artisans, trouva en France un interprète de génie dans François Briot dont les œuvres ont mérité d'être comparées aux plus belles pièces d'orfèvrerie de la Renaissance. On sait peu de chose de Briot et ses œuvres seraient restées anonymes, s'il n'avait pris soin d'en signer plusieurs de la mention « Sculpehat Franciscus Briot », avec son portrait. Quelques renseignements découverts par de patients chercheurs dans les Archives municipales de Besançon ont seuls permis de préciser certains détails à son sujet. On a établi ainsi qu'il vivait vers la fin du xv" et au commencement du xvF siècle et qu'il fut graveur en médailles. Le Musée de Montbéliard conserve un demi-coin monétaire représen- tant en creux le buste de Frédéric, duc de Wurtemberg, comte souverain de Montbéliard, avec la signature F. Briot. La médaille paraît avoir été frappée en iSqô. (Voir fig. 4.) En outre, les comptes de la ville de Besançon témoignent que, en i6i4, François Briot fut chargé de faire l'essai du balancier moné- taire, ou « monnayoir » que venait d'inventer un autre artiste du même nom, Nicolas Briot « imprimeur en taille-douce et graveur des marques et « effigies de France. » Cette curieuse homonymie, jointe au rapprochement des dates et à la similitude des professions, n'a pas manqué de faire conjecturer que François et Nicolas Briot pouvaient avoir des liens de parenté. Mais aucun document n'est venu confirmer cette hypothèse. On semble avoir été plus heureux pour ce qui est des procédés qu'employait Briot dans le travail de ses étains. Après avoir cru long- temps qu'il était un potier d'étain d'un talent supérieur, ou encore un habile ciseleur, les démonstrations de M. Germain Bapst, appuyées d'arguments techniques, ont établi que Briot avait fait œuvre de gra- veur. C'est ce qu'il faut entendre par la mention « sculpehat ». Alors que l'étain usuel était coulé dans du sable, les pièces d'art ont, très vraisemblablement, été coulées dans un moule de métal ou de pierres gravées qui donnait plus de netteté dans le relief de la déco- ration. L'artiste gravait dans le métal ou dans la pierre son sujet, comme pour une médaille, et lorsqu'il avait obtenu, à l'aide de ce moule, un modèle satisfaisant, il pouvait le reproduire à plusieurs exemplaires. C'est ainsi que François Briot aurait exécuté les pièces qui nous sont parvenues, et dont la plus célèbre est le plat et l'aiguière dits de la 6 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Tempérance et la Charité. (Voir fig. i6, 17 et profil fig. 18.) Le Musée de Cluny et le Musée du Louvre en possèdent un exemplaire dans leurs collections. L'artiste a donné un développement allégorique au sujet principal du plat ; Temperantia^ dont la figure est placée au centre, sur l'ombilic. Des motifs symboliques consacrés aux Arts libéraux et aux quatre Eléments forment la décoration de ce plat. Ils sont traités avec une richesse de composition, une puissance et une grâce dans le détail qui font de cette pièce un chef-d'œuvre de notre art national. L'aiguière, dont le travail n'est pas moins admirable, est divisée en trois zones ; celle du milieu comprend elle-même trois médaillons dans chacun desquels est représentée une des trois vertus théologales : la Foi, l'Espérance et la Charité. Les deux autres zones sont ornées de figures de fantaisie. L'anse est formée par une femme en cariatide. On attribue aussi à Briot une chope dont les exemplaires sont nom- breux (voir fig. 20, 22 et 26); mais aucun ne porte la signature de l'ar- tiste. Quelques autres œuvres de Briot sont conservées tant dans les musées que dans les collections particulières. Indépendamment du travail du graveur tel qu'il vient d'être exposé, et qui constitue ce que nous appelons l'orfèvrerie, l'étain fut employé fréquemment comme modèle. Les orfèvres, avant de fondre en or ou en argent une pièce de choix, en faisaient parfois un modèle de plomb ou d'étain qu'ils soumettaient à l'agrément de leur client, et qu'ils gardaient ensuite pour servir à d'autres travaux. L'INDUSTRIE DE L'ÉTAIN EN ALLEMAGNE — GASPARD ENDERLEIN Briot a certainement eu des précurseurs, et il recueillit le bénéfice de leurs efforts et de leurs tentatives. Mais, moins heureux que lui, ils n'ont pas laissé de noms. Au reste, les œuvres qu'ils composèrent et qui furent sans doute exécutées avec les mêmes procédés, ne portent pas la marque de son talent ni de son habileté. On peut citer de cette période, en outre de quelques plats, un plat et une aiguière représentant, dans les parties restées intactes, l'histoire de Suzanne et des vieillards. Une épreuve de l'aiguière, en partie rapportée, est au Musée de Cluny. Sa décoration conçue dans le même caractère que celle du Plat de la Tem- pérance est moins riche et moins variée; le dessin en est plus brutal. L'orfèvrerie d'étain, en France, ne resta pas après Briot au point où il l'avait portée. La tradition du maître passa alors en Allemagne où l'industrie de l'étain était depuis longtemps très florissante. A Augsbourg et à Nuremberg, les corporations des potiers sont parmi les plus importantes. Les musées d'Allemagne ont conservé un — 54 — LA VAISSELLE ET L'ORFÈVRERIE D'ÉTAIN 7 certain nombre d'œuvres de cette époque dont la plupart offrent de l'intérêt. (Voir fig. 5 à i4.) Le plus connu d'entre ces artistes est Gaspard Enderlein qui vécut à Nuremberg vers la fin du xvi® siècle et dans la première partie du xvii®. Ses œuvres montrent qu'il a subi forte- ment l'influence de Briot dont il fut même parfois le simple imitateur. La principale pièce qu'il a signée, le plat et l'aiguière de la Lorenzkirche (voir fig. 19), reproduit presque intégralement la composition du Plat de la Tempérance. Le motif principal de ce plat représente la Vierge Marie substituée à l'allégorique Temperantia; autour sont figurés Minerve avec les Arts libéraux et les quatre Éléments. Sur l'aiguière on voit les saisons et les quatre parties du monde. On a de lui, aussi, un plat représentant le dieu Mars entouré de figures allégoriques et de trophées d'armes, et une belle chope dont il existe des exemplaires dans plusieurs musées allemands. Gaspard Enderlein a signé, en outre, plusieurs exemplaires du Plat de la Tempérance. La querelle qui s^'est élevée à ce sujet sur la paternité de l'œuvre a été close tout à l'avantage de François Briot. En dehors de l'Allemagne, l'industrie de l'étain fut pratiquée en Suisse où l'on fabriqua un grand nombre d'assiettes d'une décoration assez simple. LES GRANDES REFONTES D'ARGENTERIE. — LA MODE PASSE A LA CÉRAMIQUE LA POTERIE D'ÉTAIN EN FRANCE AUX XVIP ET XVIIP SIÈCLES La poterie d'étain continua d'être employée en France au xviF siècle, mais elle resta presque confinée comme à ses débuts dans les usages domestiques. Les potiers fournissent encore la cour et la ville et Louis XIV créa même une charge de « Maître potier d'étain de la Maison du roi )), lequel est payé « aux deniers « pour ses fournitures. On peut noter ici l'emploi qu'on fit alors de l'étain dans l'industrie du meuble à une époque où elle commence à prendre son dévelop- pement : nous voulons parler de Vètain en plaques, coulé et plané en tablettes et qui, sous cette forme, fut utilisé à la marqueterie. Cependant, on ne se sert plus guère d'étain dans l'orfèvrerie. 11 faut observer, d'ailleurs, que ce métal n'avait jamais eu la faveur de la noblesse : « Mon ménage n'est pas encore bien garni, écrivait Richelieu à ses débuts, en 1608, en prenant possession de l'évéché de Luçon ; lorsque j'aurai plats d'argent, ma noblesse en sera plus relevée. » La vogue ne lui revint même pas comme métal d'art au moment des grandes refontes d'argenterie ordonnées par Louis XIV à la suite des guerres malheureuses et des famines qui marquèrent la fin de son règne. Pour remplacer l'orfèvrerie sacrifiée, la mode passa alors à la céramique 8 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR dont le goût avait été importé d'Italie, et qui, grâce aux produits de Nevers et de Rouen, avait conquis la renommée. La nouvelle industrie ne tarda pas à prendre un accroissement merveilleux, car à côté des pièces de choix qui doivent tenir lieu des plats et des vases d'argent, la faïence fut aussi employée à fabriquer la vaisselle bourgeoise : assiettes, plats, écuelles, brocs, gobelets, moutardiers, saucières, bref tous les ustensiles qui avaient été jusque-là du domaine des estaimiers. On imagine la concurrence que l'industrie des faïenciers pût faire avec le prestige de la nouveauté, à la vieille poterie d'étain qid subit dès lors la pire disgrâce puisque la mode se retira d'elle : « On ne voit point dans ma maison « Les métaux fondus en vaisselle « On n'y sert que dans la faïence..., écrit un aitteur dti XVIL siècle. L'étain va en perdant peu à peu de son importance à travers le xviiU siècle. Les communautés de potiers deviennent chaque jour moins prospères, et ce n'est qu'à la fin du xix® siècle qu'il a retrouvé des artistes pour le rénover en lui restituant, comme a dit M. Paul Mantz, les titres de noblesse qu'il n'aurait jamais dit perdre. Fig — . 3. François Briot, par lui-même. Fig . 4- — Frédéric, duc Wurtemberg, par François Briol. - — VAISSELLE ET L'ORFEVRERIE D'ETAIN iwiátit^ Art Allemand (xvi" et xvii° siècles). Fig :") à i-|. — Comparaison des larmes et des décor — . A'idrecomes et Pots ¿i bière, Ciinarre et Vases de coi'ijoration. — — .57 O ri ív-rerik d' Kiais. 2. — 10 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR if -.-í- Art Français (xvi" siècle). — Fig. iü et 17. — Aiguière et plateau de la Tempérance par François Briot. Art Alteniand (xvi° siècle). — Fie. 19. — Plateau de la Lorenzkirclie, par Gaspard Enderlein. — 59 - COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Art Fravçais (xvi" siècle) 26. — Pots il bière et Aiguière (fig. Art Alteinand (xvi" siée Pot ù bière dit de Lutlier, et fig. 2') e — 60 — te9 LA VAISSELLE ET L'ORFÈVRERIE D'ÉTAIV 13 Art Français (xvii" siècle). FiG. 27 el 28. — Écuelle, dite d'accouchée, et sou plateau (couvercle i'oriue salière). Alt Allemand (xvii° et xvin' siècles). — FiG. ag à ili. — Cimarre et Vases d'iioniieur de corporation. — 61 — OllFÉVnEBlB d' Ktaun — . it. 14 COlSnn-NT DEVENIR CONNAISSEUR LA VAISSELLE ET L'ORFEVRERIE DETAIN lo Art Irançais (xviii" siècle). —• l·iG. la. — Fonlaino-lavíiho à (]oii])le roljinct, et son hassin. Art Français (xviii" siècle). Fig 3^. — Fontaine-lavabo à doable I'obinel et son bassin. — . Art Iraurms (.wi" siècle). — Fig . 33. — Monlagc d iin plat en faïence d'^^og I ciiv jaane claii', d'après un plat d etain attribué à Francois Briol. Art AlU'nuuul. — Fig. j () à 4o- — Vidrecoine (et, détails) en argent découpé à joui" et ciselé, (des documeiils n'ont été reproduits qu'à titre de comjiaraison entre le travail do l'orlévrerie d'étain et celui de l'orlévrerie d'argent). — 64 — Fig. i à ü — Boites à poudre ou tabatières en or ciselé. (Époques de Louis XV et de Louis XYI.) . DRAGEOIRS DE POCHE BOITES A POUDRE, A ROUGE ET A MOUCHES TABATIÈRES ET BOITES A PORTRAITS AUX XVII® ET XVIII® SIÈCLES Nul contestera que les Français furent toujours et partout les ne arbitres du goût, et que le goût fut merveilleusement servi chez eux par des artistes et des ouvriers d'un talent, d'une conscience et d'une ingéniosité dont on chercherait vainement ailleurs les équivalents. Aussi chez nous, qu'on la dénommât drageoir, boîte à poudre, boîte à rouge et à mouches, tabatière ou boîte à portrait, suivant les divers usages dont elle s'accommoda, la boîte minuscule permettant d'avoir en poche de quoi satisfaire sa gourmandise ou sa coquetterie, fut toujours un bibelot de luxe auquel sa délicate parure aussi bien que sa matière précieuse prêtent un réel intérêt d'art en même temps que de curiosité. LES DRAGEOIRS DE POCHE Dès le XVI® siècle, à côté des drageoirs de grandes dimensions, sortes de coupes et de nefs en porphyre, en sardoine, surtout en cristal de roche, destinés à la table, on en connut d'autres qu'on portait en poche « pour avoir dans le jour de quoi se parfumer la bouche ou se fortifier l'estomac». De bois sculpté, d'ivoire, d'or, d'argent ou de fer ciselé, munis à l'intérieur d'une petite cuiller de même matière, ils contenaient 65 Drageoirs de poche. — 1 — — 1 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR des saccades, c'est-à-dire des dragées, des ápices, des figues sèches ou des prunes confites. François de Lorraine, duc de Guise, prenait un bonbon dans son drageoir au moment où Poltrot, qui l'attendait à un carrefour, lui tira par derrière trois coups de pistolet. Analogie singu- lière, son fils, le Balafré, remplissait son drageoir de prunes de Brignoles confites lorsqu'on le vint cbercber de la part du roi pour l'assassiner. Quant à Henri 111 lui-même, Visio des HevmaplirodiLes^ satire violente de ses mœurs, nous apprend que pendant sa toilette on lui apportait « une bocte quarrée où il y avait de certains morceaux de sucre d'une compo- sition à ce qu'on disait fort excellente pour donner quelque vigueur, desquels, avec une cuillere d'argent, il se fit mettre quelque quantité dans une boëtelette d'argent doré fort mignonettement élabourée, (|u'on lui avait apportée et dans laquelle il y avait une petite cuillere, de même étoffe, pour les pouvoir prendre plus aisement et fit mettre la dite boîte dans la pocbe où il avait mis son mouchoir ». Le Musée de Cluny a conservé quelques échantillons de ces objets aujourd'hui très rares. Citons un drageoir en fer ciselé dont le couvercle damasquiné d'argent sur fond doré représente le char de Vénus traîné par les Amours. Signalons aussi, mais plutôt comme une transition entre les deux genres de drageoirs signalés plus haut, drageoirs de table et drageoirs de pocbe, cette curieuse boîte à ápices de travail allemand de la collection Spitzer, chouette en haut relief d'argent ciselé et doré debout sur une terrasse d'argent repoussé, ornée de godrons imbri(|ués comme des feuilles d'artichauts. Veut-on savoir le prix de revient d'un de ces drageoirs en plein milieu du xvF siècle; le compte de Julien de Boudeville, argentier de Henri II, nous apprend que Jehan Doublet, orfèvre du roi, reçut pour une boLiette d'argent a mectre dragée, toute taillée, avec sa petite cuiller pesant 2 onces, i gros, i esterlin, 3 fellins, la somme de 4 livres 8 sous plus 100 sous pour la façon. 11 va sans dire qu'il s'agissait d'un drageoir des plus simples et ne comportant aucune de ces fines ciselures dont les recueils de Du Cerceau, de Woeiriot, de René Boyvin, d'Étienne de Laulne et d'autres propagèrent le goût à la fin du xvF siècle. La forme aussi vint à varier ; on fit les drageoirs en façon de montres que « les dames, nous dit Furetière, portaient autrefois à la ceinture par ornements, où elles mettaient des dragées ». BOITES A POUDRE, A ROUGE ET A MOUCHES On sait l'importance que les élégantes du xvii® et du xv1.11® siècle ne cessèrent d'attacher aux artifices propres à donner de l'éclat au teint et à souligner de façon piquante les charmes d'un joli visage. Les mou- — 66 - DRAGEOIRS, TABATIÈRES, BOITES A PORTRAITS, ETC. 3 ches, points noirs en taffetas gommé, d'origine arabe et persane, furent en usage pendant tout le xvii® et le xviii® siècle; la façon de les poser n'était pas indifférente et chacune avait sa signification galante : la passionnée se portait au coin de l'œil, la majestueuse presque au milieu du front, l'enjouée sur le bord de la fossette que forme la joue quand elle rit, la galante la au milieu de la joue, la baiseuse au coin de la bouche, gaillarde sur le nez, la coquette sur les lèvres, la discrète au-dessous delà lèvre inférieure et la voleuse sur un bouton. Sous Louis XV, on poussa le raffinement jusqu'au ridicule : on découpa les mouches de façon à imiter les étoiles, le soleil, la lune, des animaux, des personnages, etc... Quant à la poudre et au rouge, on n'en fit pas un usage moins immo- déré; à tel point que la femme qui n'eût pas voulu sacrifier à cette mode et se fût contentée de l'éclat naturel de son teint, eût paru blême et cadavérique au milieu de tous ces visages enluminés. Marie Thérèse d'Espagne, première femme du Dauphin Louis, fils de Louis XY et père de Louis XVI, se rebella contre cette coutume, lors de sa venue en France en 174s ; Louis XY et Marie Leczinska lui intimèrent d'avoir à se sou- mettre. Ceux des trafiquants de ces spécialités auxquels une clientèle mon- daine avait donné sa consécration, en vinrent à les vendre au prix qu'ils voulurent la : sous Louis XVI, M"® Josse, marchande de rouge de Cour, ne vendait-elle pas son rouge de 60 à 80 livres, par petits pots que la manufacture royale de Sèvres lui fabriquait sur commande. Attribut indispensable de toute mondaine qui se respectait, la boîte à rouge et à mouches comportait, outre une glace, deux compartiments à couvercles, recevant d'un côté le fard, et de l'autre les mouches ; celle que contenait la corbeille de Marie-Antoinette en 1770 et qui coûta livres, était en or émaillé bleu transparent avec un cartel émaillé I 200 dessus. L'argent comme l'or ciselé, la laque, l'écaillé incrustée et l'ivoire sculpté étaient les matières le plus souvent employées. Quant à la déco- ration, et le sous Louis XIV, ce sont surtout des scènes mythologiques pèlerinage d'amour qu'on y représente ; pendant la Régence, des compo- sitions dans le style de Férain brodées en or sur les boîtes d'écaillé blonde, en argent sur celles d'écaillé brune, dominent; sous Louis XV, les ornements rocaille et les sujets gracieux prennent le pas, comme sous Louis XVI, les Vénus et les Amours et leurs attributs, lorsque les boites à rouge et à mouches, à l'instar des tabatières et des boîtes dites à portraits, ne sont pas de véritables boîtes à couvercles peints. LES TABATIÈRES ET LES BOITES A PORTRAITS La tabatière n'apparut en France qu'au xvii® siècle, sous le règne de Louis XIV d'une ; auparavant, on râpait soi-même son tabac à l'aide — 67 — 4 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR râpe ou grivoise, ainsi dénommée parce que les soldats ou grivois en faisaient surtout usage ; mais bientôt on préféra l'acheter en poudre, et l'on se servit de tabaquières ou tabatières. Même en présence de Louis XIV, et bien que le monarque eût manifesté hautement sa répro- bation pour ce vice, des fervents tels que le duc d'Harcourt et le maré- chai d'Huxelles ne pouvaient se retenir de priser, et la faveur de ce nouveau passe-temps ne cessant de croître, le xviii® siècle devint le siècle de la tabatière par excellence. A cette époque, mondaines et mondains, financiers, bourgeois, tout le monde prise et chacun possède non seule- ment une tabatière, mais tout un jeu de tabatières, d'or, d'argent, d'ivoire, d'écaillé, de nacre, deburgau, ou bien ornées d'un portrait en évidence, ou d'un portrait que démasque un ressort habilement ménagé, ou qui n'apparaît qu'après une exposition de quelques secondes à la flamme d'une bougie et disparaît par la même opération. Les collections de tabatières abondent; la Pompadour, la princesse de Tallard, gouvernante des enfants de France, ont la'leur; celle de Frédéric 11 fut célèbre, et quant au comte de Brühl, premier ministre du roi de Saxe, il possédait 3oo vêtements, presque un par jour de l'année, ayant chacun leur canne et leur tabatière assorties. Dès la fin du xvii® siècle l'on s'avisa d'un nouvel emploi de l'ivoire que l'on s'était jusqu'alors contenté de sculpter; c'est ainsi que la minia- ture détrôna peu à peu l'émail ; mais on avait coutume, peut-être par un souci de discrétion, sans doute aussi et très à tort dans un désir de conservation, de placer les peintures à l'intérieur du couvercle. Le tabac ne tardait pas à les jaunir et à les détériorer; il est vrai que souvent, comme celles d'un nommé Fagnani, elles représentaient des sujets plus que légers; lorsque la pruderie du Grand Siècle eût fait place au dévergondage de la Régence, Klingstedt, miniaturiste attitré de Philippe d'Orléans, ne craignit pas de placer sur le couvercle les scènes grivoises qui firent sa réputation ; à plus forte raison en fit-on autant des portraits-miniatures qui devinrent la décoration habituelle des tabatières. Le terme de « boîtes des orfèvres » souvent employé de nos jours, s'applique aux boîtes de tous genres, enrichies soit de miniatures, soit d'émaux, de brillants et de pierres précieuses, ou simplement de ciselures et provenant de l'atelier d'un orfèvre-joaillier dont elles portent le poinçon. Bien qu'elles pussent servir de tabatières, leur destination n'était pas définie ; c'est au moyen d'une collection de boîtes de ce genre que le prince de Conti avait eu la galante ingéniosité de dresser la liste de ses bonnes fortunes : « Chaque fois, écrit La Duthé, qu'une femme, n'importe le rang ou la profession, avait répondu à ses désirs, elle devait : primo, donner une boucle de ses cheveux et un autre échantillon plus — 68 - DRAGEOIRS, TABATIÈRES, BOITES A PORTRAITS, ETC. 5 mystérieux; secundo, sa bague; et en troisième se laisser peindre en miniature; les cheveux, le reste et la bague étaient renfermés dans une boîte où l'on encadrait le portrait de la dame,yjoignant une fiche indiquant son nom, son signalement, son âge présumé et la date précise du jour, de - l'heure et du lieu où elle avait cédé. « Tout était réuni dans une suite de salles que visitaient les intimes et même les curieux, en achetant la complaisance de la valetaille. Les registres des Menus et ceux des Présents du roi nous ont conservé des listes interminables soit de tabatières, soit de boîtes à portraits, le plus souvent enrichies debrillantset décorées des portraits de Louis XIV, de Louis XYet de Louis XYl,que ces souverains offraient aux ambassadeurs, aux gens de leur entourage, et généralement à toutes personnes que l'on voulait récompenser ou se concilier; à l'époque du mariage du comte d'Artois, le futur Charles X, ne lisons-nous pas qu'on gratifia d'une boîte à portrait, enrichie de brillants, la femme de l'apothi- caire du roi de Sardaigne, père de la mariée. Détail à remarquer ; quand le cadeau ne plaisait point, le destinataire était libre de l'échanger, voire même de le rendre et d'en toucher la valeur en espèces, ce que beaucoup faisaient; on l'offrait l'année suivante au prochain personnage à gratifier. Cet historique sommaire des tabatières serait par trop incomplet si nous ne disions un mot pour terminer des plus célèbres tabatières histo- riques et politiques ; la tabatière à la Silhouette fut de bois brut par allu- sion à la mesquinerie du fameux contrôleur général des finances ; la tabatière à la Choiseul représentait d'un côté le ministre de Louis XY, de l'autre Sully, la dépense et la recette, disait cette mauvaise langue de Sophie Arnould. Voltaire, Rousseau, La Fayette, Bailly, Mirabeau, Marat, Charlotte Corday, furent successivement sujets de tabatières, comme aussi le furent l'invention des Ballons, celle de la guillotine et la prise de la Bastille. La tabatière politique, mode de protestation tacite et inoffen- sif, vécut de beaux jours sous la Restauration; chacun a vu des tabatières au Petit Chapeau, et le général Foy, Manuel et Benjamin Constant eurent, eux aussi, leur tabatière. ARTISTES AYANT CONCOURU A L'EXÉCUTION ET A LA DÉCORATION DE BOITES Les limites de ce chapitre ne nous permettent qu'une mention succincte des orfèvres et des miniaturistes les plus célèbres dont l'asso- dation produisit les plus remarquables de ces bibelots de luxe, souvent véritables chefs-d'œuvre, que furent les tabatières et les boîtes à por- traits. A côté de Pierre Woeiriot et d'Étienne de Laulne, déjà cités, il faut signaler au xvi" siècle les Bamel, les Mangot, les Lussault, les Toutin. - 69 - 6 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Sous Louis XIII, René de La Haye, Roberdet et Gédéon Légaré tiennent la tête comme sous Louis XW Loir, Dutheil, et la dynastie des De Vil- liers. A la fin du xvii® siècle mentionnons particulièrement Jean Pitan, fun des premiers orfèvres ayant exécuté ces présents du roi dont nous avons parlé ; Paul Decker, dont nous donnons toute une série de délicats dra- geoirs ciselés, et cpii était originaire de Nuremberg, dès le xvi" siècle avec Augsbourg l'un des centres les plus réputés d'orfèvrerie; enfin Pierre Germain, le premier de la célèbre dynastie d'orfèvres de ce nom. Au XVIII® siècle, ce sont Robert Auguste, orfèvre du roi chargé de la couronne du sacre en 1775 ; Bœhmer, le joaillier rendu fameux par l'afl'aire du Collier de la Reine; Drais, spécialiste pour tabatières ; Germain dit le Romain, petit-fils de Pierre et fils de Thomas, ce dernier le plus célèbre des trois, dont les dessins de 35 pièces exécutées pour la toilette de Marie Leczinska sont de tous points admirables. Quant à Jean Fran- cois Forty, tenant boutique à la Porte-Saint-Denis, Au Grand Turc^ et aux deux orfèvres Maria et Babel, tous trois contemporains de Louis XVI, on se convaincra facilement de la perfection de leur art et de la pureté de leur goût, rien qu'à l'examen des modèles d'orfèvrerie que nous en reproduisons. La boîte à poudre dessinée par Forty et faisant partie du projet de deux toilettes dédié à M"® de Matignon est une merveille de grâce et de perfection. Nous ne parlerons pas de J.-A. Meissonnier, que tous connaissent et qui d'ailleurs se consacra presque exclusivement à l'orfèvrerie de vaisselle. Mais nous ne saurions omettre le décorateur Lalonde dont l'œuvre contient, à côté de tant de dessins de mobilier et d'ornements, une série de délicieuses boîtes et tabatières que nous reproduisons. Enfin, plus spécialement chargé de l'orfèvrerie des présents de Louis XVI, Solle, dont le nom est sans cesse accolé à celui de Sicardi, encastrait les portraits signés de ce maître dans de délicates et riches tabatières ornées de brillants. Tousles miniaturistes, ou peu s'en faut, exécutèrent des portraits et des scènes destinés à des dessus de boîtes et de tabatières. Jean Petitot, le Van Dyck des émaux et son émule l'Anglais Samuel Cooper ont laissé de leur talent de nombreux spécimens, dont une bonne part, actuellement en la possession de M. Pierpont Morgan, vient d'être exposée à Paris, à l'Exposition d'estampes et de miniatures du xviii® siècle de la Biblio- thèque nationale. C'est à la même Exposition que nous aurions voulu conseiller aux amateurs d'étudier avec l'œuvre de Sicardi plus haut cité, celle des maîtres tels que Hall, Dumont, Bouvier, Lié Périn, Jean Guérin, Augustin et Isabey. Les collections du baron de Schlichting, Doistau, Panhard, et Rolle, pour ne nommer que les principales, offraient au visiteur un ensemble unique d'œuvres signées de tous les artistes — 70 — DRAGEOIRS, TABATIÈRES, BOITES A PORTRAITS, ETC. 7 célèbres ou peu connus ayant contribué à la décoration de boîtes et de tabatières, et présentant tous les genres possibles de sujets que cette décoration puisse comporter. "Le portrait naturellement y dominait : c'étaient, du maître suédois, plusieurs jeunes femmes dans des parcs. Hall affectionnait particuliè- rement ce cadre, l'intéressante physionomie du graveur Demarteau, la comtesse de la Serre, belle-sœur de l'artiste, tenant un chien en laisse, toujours dans un décor de verdure, l'acteur Rochefort dans le rôle de Colin du « Devin de village », l'opéra de Rousseau où Marie Fel, maîtresse de La Tour, tenait le rôle de Colette. Ce qu'il faut retenir de toutes ces miniatures, c'est le faire à la fois précis et sobre de Hall, différent de celui des autres miniaturistes par la façon large de traiter les chairs et les étoffes, c'est le fondu du coloris qui contraste si supérieu- rement avec le léché de la plupart de ses rivaux. Bien que maniérée et quelquefois un peu lourde, la miniature de Dumont ne manque ni de finesse ni d'expression. Citons les boîtes décorées par lui des portraits de Marie-Antoinette, de la marquise de Saint-Phar, ainsi que de cet inconnu en habit à reflets changeants et dont se dégage un charme curieux de vérité transparaissant à travers la minauderie voulue des expressions et des gestes, et l'apprêt des costumes. M osnier se plaît à représenter de jolies jeunes femmes dansleur intérieur, à leur toilette en déshabillé galant, ou devant leur métier à tapisserie. Lawreince, Suédois comme Hall, illustre boîtes et tabatières de portraits de mondaines et de courtisanes, d'acteurs et d'actrices, et surtout de petits sujets lestes et polissons. Chez Rouvier et chez Lié Périn on admire surtout, avec la grande habileté du procédé, le fondu des nuances et l'esprit de l'expression. Quant à Jean Guérin, ce jeune homme et cette jeune femme de l'époque révolutionnaire dans un parc, miniature sur boîte d'une extrême délicatesse, sont sans contredit l'un des chefs-d'œuvre du maître. H nous est resté peu de boîtes à couvercles illustrés par Augustin, mais Jean- Bapfiste Isabey, dont le coloris très clair tranche singulièrement avec celui des autres miniaturistes, travailla de 1787 à i83o, pour Marie- Antoinette, pour Napoléon PL pour la Restauration, à la décoration de boîtes et de tabatières nombreuses. Dans un ordre très différent, nous signalons la très curieuse boite où l'artiste a représenté sa propre habitation et son jardin de la rue des Trois-Frères, avec au premier plan, minuscule, sa femme, Jeanne Laurice de Salienne. Après la clôture de l'Exposition du xviii® siècle de la Bibliothèque nationale, il reste aux curieux de miniatures la collection Lenoir du Musée du Louvre ; l'examen des 204 boites et tabatières qu'elle réunit — 71 — 8 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR s'impose, et l'on ne saurait mieux occuper quelques heures qu'au milieu de ces bibelots délicieux recueillis avec amour par l'ancien propriétaire du Café Foy; le brave homme en était si fier, qu'il avait tout naturel- lement mis comme condition à sa donation l'érection de sa propre statue, équestre, s'il vous plaît, au centre de la salle du don Philippe Lenoir; plus généreux que l'Administration des Musées nationaux, il ne se formalisa pas de son refus et, grâce à son humeur conciliante, le Louvre possède aujourd'hui la plus riche collection de ce genre formée au xix" siècle. Philippe Lenoir, mort en 1874, avait tenu pendant longtemps le Café Foy, un des établissements publics les plus célèbres du Palais- Royal, alors que le Palais-Royal était au faîte de sa splendeur. A l'époque où les jeux de hasard étaient tolérés, il regorgeait de monde le jour et la nuit. C'est là que le général Blücher, après l'entrée des troupes coalisées, allait déjeuner tous les matins. Le Café Foy faisait alors des recettes de plusieurs milliers de francs par jour. M. Lenoir réalisa une petite fortune, qu'il quintupla ensuite dans d'heureuses spéculations, car il a laissé plus de dix millions. Fig. 7 à 12. — Boîtes à mouches en ivoire découpé ou sculpté. (Epoque de Louis XVI.) DRAGEOIRS, TABATIERES, BOITES A PORTRAITS, ETC COMMENT DEVENIR CONNAISSEUl- Eig . 3 1 à 53. — xvin" siècle. — Drageoirs ou Labatières en or ciselé ou gravé, et enrichis de pierres préeieuses, exécutés d'a2)rès les coinposilions de Maria et de Rabel. — 71 — DRAGEOinS, TABATIi:RES, BOITES A PORTRAITS, ETC 69 ^ y¡< xvii° siècle. —Di'iigeoirs, lalialières ou éliiis eu or ciselé ou graA'.é ■g. — ou de exécutés d'api'ès les compositions de Lalonde l'ortj. COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR jy'»rg«rrg^ L.xxr\iluiuOX'iUC;UiO'.OVTCa — xviii® siècle. — Coffrets ¿1 racine, boites de toilette, à poudre ou à rouge, en Exécutés or ou en d'après les compositions argent, de Forty, de Germain ou de J.-A. Meissonnier. COMMi'xXT DEVliXir DRAGl'OTRS, TARATIERES, BOITEvS A PORTRAEfS, ETC Fig. 1 19 à 128. — xviii" siècle — Boites^de l'orme ovale ronde, ornées de peinture sur émail. ou — boite ronde eu or de couleur 124 et 120. — Boite ronde — en écaille galonnée d or. N"' 127 et 128. Grande de décorée de deux miniatures, par Van Blarenherghe, offrant chacune une vue du château Bercy. COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Fig. i 2() à 143. — xvii" et xviii" siècles. — Boites de formes diverses ornées de peinture sur émail. 129 à i3i. — Portraits par l'etitot (Portraits de Louis XIV, de M"" de la X°" i35 Valiière, du duc de et 137. Boite Bourgogne). — plate ovale en écaille brune montée en or, le couvercle et le dessous sont ornés chacun d'une miniature par Van 80 Blarenberglie. — — Anneaux du xvi° au xviii" siècle. — fig. i ... Vénitien. — fig. 2... du grand Frédéric. fig . 3 et 4... de Martin Luther. — fig . 5... de Shakspeare. — fig ... 6. de Marie Stuart. fig. 7 et 8... Avec portraits. — fig. 9... Vénitien.— fig. 10... Funéraire. — fig. ii ... Germanique. LES ANNEAUX ET LES BAGUES DE L'ANTIQUITÉ A LA FIN DU XVIIP SIÈCLE ANCIENNETÉ DES BAGUES La plus ancienne bague*, dont les poètes fassent mention, est la bague de fer de Prométhée, dans laquelle était serti un fragment de rocher du Caucase, où Faudacieux mortel, qui déroba le feu céleste, avait été enchaîné par ordre de Jupiter. D'après la tradition, ce serait à Fimi- tation de Prométhée que les hommes auraient porté une bague au doigt. Ce récit, que Pline l'Ancien** met avec raison au rang des fables, doit être rejeté ainsi que la légende de l'anneau de Midas, roi de Phrygie, qui, semblable à l'anneau merveilleux de Gygès, roi de Lydie, rendait invisibe celui qui le portait. Bien antérieurement à l'âge du fer, c'est-à-dire à Vdge de la pierre, les contemporains des instruments en silex portaient des bagues formées de coquillages usés avec art. Au commencement de Vdge de bronze, ce métal, encore assez rare, servit pour la confection des anneaux. Les dolmens de la Lozère, du Gard et de l'Aveyron, nous ont révélé que le bronze, qui ne s'y trouve que comme bijou et matière * Dans la basse latinité, le mot baga a Arca, coffre ; unde vox, bague et bagages » avait la signification de coffre ; il s'appliqua d'abord à toute sorte de bijoux et d'objets précieux, aussi bien les habillements les joyaux dans joyaux, les anneaux que l'on portait au doigt. \ers le que et, ces milieu du xv" siècle, quand bague commença à signifier, non plus un joyau, mais un anneau, on ajouta au doigt, à porter au doigt. Ainsi, dans Jean le Maire des Belges, il est dit : « Tant de chaînes d'or, tant de tant de brasseletz, tant de bagues aux doigts, que c'est une chose infinie. » carquans, Inventaire de Gahrielle d'Estrées (1.099) porte encore les indications suivantes : « Bagues à mettre aux doigts, autres bagues de plusieurs laçons. » ** Gf. Histoire naturelle, liv. XXXlll, ch. iv et suiv., liv. XXXVll, ch. i. 81 Anneaux et Bagues. — ri 2 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR précieuse, remplaça dès lors les substances primitives, et servit à faire des bagues rechercbées à cause de leur éclat et de leur solidité. C'est pendant la longue période du bronze que l'on porta, pour la première fois, des bagues d'or, celles d'argent n'ayant fait leur apparition qu'à Vâge de fei\ c'est-à-dire avec l'époque celtique ou gauloise. USAGE DES BAGUES CHEZ LES ORIENTAUX Regardées par les Egyptiens comme un signe d'autorité, les bagues servaient également de signature ; c'est pourquoi on avait soin d'y gra- ver quelques lettres pour sceller. Au rapport de Plutarque, les anneaux devinrent d'un usage si commun en Egypte, que les habitants de Lyco- polis et de Busiris n'approchaient jamais de leurs divinités sans retirer leurs bagues en signe d'humilité ou de respect. Le département des antiquités égyptiennes, au Musée du Louvre, est fort riche en bagues d'or et d'argent à cachet tournant, soit en cristal de roche, en jaspe et en lapis, soit en schiste émaillé ou en bronze; nous en reproduisons quelques-unes, figures 19 à 28. Quelquefois le chaton est taillé en scarabée, lequel servait à désigner les membres de la caste militaire. Quant aux bagues propre- ment dites, c'est-à-dire sans cachet, les tombeaux en ont offert une telle quantité, qu'il est supposable que ce genre de bijoux joua en tout temps, en Egypte, un rôle considérable dans la parure. PRÉFÉRENCE MARQUÉE PAR LES GRECS POUR LES INTAILLES ET LES CAMÉES L'usage des bagues n'aurait été adopté par les Grecs qu'après la guerre de Troie. Le fait est qu'Homère ne mentionne point les anneaux ni les cachets, et dans son dénombrement des objets fabriqués pour les dieux, il parle d'agrafes, de boucles d'oreilles et autres bijoux, mais jamais de bagues. Quoi qu'il en soit, les témoignages les plus précis démontrent que les anneaux, « ces ornements frivoles, « comme les appelle Eschyle, furent assez répandus peu de temps après, puisque Sapho, qui vivait au commencement du vi® siècle avant notre ère, écrit à une de ses amies, dans ses Fragments : « Ne sois pas si fière pour une bague! « Vers la même époque, Théodore de Samos et Rœkos passent, l'un et l'autre, pour avoir gravé la sardoine ou plutôt l'éme- raude du célèbre anneau que posséda plus tard Polycrate. Le comique Aristophane (386 av. J.-G.) nous apprend beaucoup de choses curieuses sur les bagues. Ainsi, dans les Nuées, on voit par cette phrase de Socrate à Strepsiade : « Ces fats si bien peignés qui chargent leurs doigts de bagues jusqu'aux ongles, « que l'on commençait à faire abus de ces — 82 — LES ANNEAUX ET LES BAGUES 3 bijoux. Aux plus belles époques de l'art, les Grecs se firent remarquer leur prédilection pour les bagues ornées d'intailles ou de par camées, toutes sortes de pierres fines. Mais malgré les critiques sans nombre en que ce luxe souleva, les élégants des deux sexes ne continuèrent pas moins à faire abus des anneaux. On en a une preuve dans les lettres du rhéteur Alciphron, lorsque Topliron, racontant un rêve qu'il a fait, dit avec orgueil : « Mes doigts étaient chargés d'une multitude de bagues du plus grand prix. » Dès le temps de Romulus, les Sabins avaient des bagues aux doigts. Dans Denys d'Halicarnasse, on voit la jeune Tarpeia livrer au chef des Sabins la citadelle que commandait son père, à la condition qu'il lui donnerait les bracelets et les bagues d'or de ses soldats. Ces anneaux, selon Tite-Live, étaient ornés de pierres précieuses. FORME, ORNEMENTATION ET SOMPTUOSITÉ DES BAGUES CHEZ LES ROMAINS ELLES DEVIENNENT LA MARQUE DISTINCTIVE DES PATRICIENS ET DES CHEVALIERS Sous la République, l'usage des bagues n'était pas général; il n'y avait les sénateurs et les chevaliers qui en portassent, et encore ne que furent-elles d'abord que de fer. Par la suite, les anneaux se répandirent davantage. Annibal, après la bataille de Trasimène, l'an de Rome 531, en envoya, comme on sait, trois boisseaux à Carthage. Ce fut seulement sous les empereurs que les formes et l'ornemen- tation des devinrent de plus en plus riches et variées. Elles étaient bagues massives, lourdes et main se portaient au doigt annulaire de la gauche. Quelques-unes cependant, à cause de leur grosseur, n'ont pu se porter dans le qu'au de pouce. Telle est la bague en cristal roche, reproduite Recueil (Tanticiuiiès de Borioni, représentant le buste en relief de l'impé- ratrice Plotina, femme de Trajan. C'est alors que la simplicité des temps primitifs disparut pour faire toute place à la plus grande somptuosité, et le luxe des bagues dépassa imagination. Ainsi les Romains, à l'exemple des Grecs de la décadence, ne rougissaient pas de mettre une bague à chaque doigt de la main, sauf toutefois à celui du milieu, comme la Stella de Martial. Ces bagues étaient, pour la plupart, ornées d'une pierre gravée ; quelquefois elles contenaient deux camées : ces anneaux, dont un semblable se voit dans la Dactyliothéc¡ue de Gorlaeus, s'appelait higemmis. Patri- Les bagues d'or étaient, à Rome, la marque distinctive des ciens et des Chevaliers ; celles d'argent étaient réservées aux simples citoyens. Quelquefois des ornements d'acier se joignaient à ces deux Selon métaux, comme dans les anneaux constellés^ dits de Samothrace. — 83 — 4 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Isidore de Séville, le laiton, le bronze, le fer et le plomb même ser- vaient à faire des bagues pour les soldats et les esclaves. Enfin les anciens employaient encore des bagues d'ambre, d'ivoire et de verre. LE LUXE DES BAGUES AU MOYEN AGE. DÈS LES PREMIERS TEMPS DE L'ÉGLISE, ELLES DEVINRENT LTNSIGNE DU POUVOIR PASTORAL Les bagues chrétiennes forment, dans les Collections, des séries précieuses; le Cabinet des Médailles, à la Bibliothèque Nationale à Paris, en possède plusieurs. Dès les premiers temps de l'Eglise, le pape a porté l'anneau du pécheur, bague-cachet qui représente saint Pierre dans sa barque et dont l'empreinte a toujours été apposée sur les brefs apostoliques. Ensuite il a conféré l'anneau pastoral aux évéques, aux archeA^éques et aux cardinaux; l'usage en est resté, et ce sont encore aujourd'hui des bagues d'or, ornées d'une large améthyste, qui sont traditionnellement placées à l'annulaire de la main droite. Quoique les bijoux du Moyen âge soient très rares, on sait, par quelques spécimens qui nous restent de cette époque, que l'émail entrait souA^ent dans leur ornementation*. La bague d'or émaillé de l'archevêque Ethehvulf (fig. io6 et 107), qui viA^ait au x" siècle, en fournit un témoignage. Mais les anneaux n'avaient pas tous alors la même forme et la mém.e décoration; ainsi, les bagues de pouce étaient formées d'un anneau d'or massif au milieu duquel se trouvait un médail- Ion circulaire formant chaton et entouré de deux pierres en cabochon; les personnes qui occupaient une position éleA'ée ou une charge impor- tante en faisaient seules usage. Les anciens inventaires du Moyen âge et de la Renaissance font souvent allusion aux anneaux d'inves- titure considérés comme un témoignage d'importance et d'honneur**. Le luxe des bagues augmenta avec plus d'effervescence que jamais, du XI® au XV® siècle, époque où les bagues à chatons de pierreries devinrent à la mode. hwentaire du duc d'Anjou (i36o-i368) mentionne * Cf. La Bijouterie, par L. Roger-Milès. Paris, Hachette et C'°, iSga. In-i8 (280 pages), illustré de 221 gravures. ** L'Italie du Moyen âge se débattit pendant des siècles entre la suzeraineté du pape et celle de l'empereur d'Allemagne. Les partisans du pape se nommaient les Guelfes et ceux de l'empereur d'Allemagne les Gibelins. Un des épisodes intéressants de cette guerre à outrance est celui-ci : au xii° siècle, le pape Alexandre II, chassé de Rome, poursuivi par l'empereur Frédéric Barberousse, s'était réfugié à Venise. Le doge de la petite république, Sébastien Zianc, détruisit la flotte impériale qui menaçait la ville, et, par cette victoire, délivra l'Italie de l'étranger. Alexandre II, reconnaissant, lui donna un anneau d'or et le domaine de la mer Adriatique. C'est en mémoire de ce don que, tous les ans, le jour de l'Assomption, le doge épousait la mer, en y jetant un anneau d'or. Le musée de Besançon possède l'anneau d'investiture par lequel l'office de Saint-Georges de Gênes fut investi de la souveraineté de la Corse, en 1453, tant au nom du doge et du Sénat de Gênes qu'au nom du pape Nicolas V, suzerain de l'île. — 84 - LES ANNEAUX ET LES BAGUES 5 plusieurs anneaux ornés de « dyamans », de « saphirs » et d' « éme- randes ». Il y avait alors des bagues d'anniversaire, des bagues de fiançailles*, des bagues de souvenir, des bagues de deuil et des bagues spéciales pour la messe des morts, lesquelles sont souvent mentionnées dans les Comptes des ducs de Bourgogne. Mais il n'est pas prouvé, comme plusieurs auteurs l'ont avancé, qu'il y eût des anneaux différents pour chaque jour de la semaine. « L'annel des vendredis, » cité dans \Inven- taire de Charles F, signifie simplement que ce jour-là on portait une bague commémorative en souvenir de la mort du Christ. Enfin, quel- quefois le chaton des bagues offrait le portrait du propriétaire; c'est ainsi que les Comptes royaux de i493 citent un annel portant le portrait du roi Louis XI gravé sur pierre dure. Souvent aussi les anneaux étaient ornés de devises mystiques, ou sacrées, ou galantes; quelquefois ce sont des sentences morales ou des devises héraldiques. USAGE DES BAGUES AUX XVI% XVID et XVIII' SIÈCLES LES BAGUES EMPOISONNÉES. — LES ANNEAUX DE LA MORT La régénération artistique qui signala le commencement du xvi® siècle s'étendit à l'ornementation des bagues comme à celle des autres bijoux. Les artistes de la Renaissance contribuèrent à répandre en Allemagne, en France et en Italie, de charmants modèles de bagues émaillées, niellées et enrichies de pointes naïves, d'émeraudes et de perles**. Mais * L'usage des anneaux de mariage remonte à l'antiquité païenne. C'était à la cérémonie des fian- cailles, et non au mariage, que pendant longtemps le futur époux attachait au doigt de la jeune fille un anneau qui, selon toute vraisemblance, n'était en principe que son cachet; en effet, chez les anciens, une foule de choses se renfermaient, non au moyen de serrures, mais par l'application d'un sceau ; il fallait donc à la femme le seing de son mari pour mettre en sûreté les objets précieux du ménage. En dehors de l'Église, les bagues n'ont plus de sens que dans le mariage. Dans ce contrat elles n'ont jamais cessé, depuis l'antiquité, d'être le gage de la foi conjugale. Comme les anneaux de fer des fiançailles romaines, ces bagues, connues sous le nom d'alliances, sont restées d'une très grande simplicité. Les premiers chrétiens qui avaient conservé l'anneau de mariage substituèrent au fer, marque de la servitude, un métal plus précieux, et eurent des anneaux d'or, qui est le métal le moins cor- ruptible, pour exprimer la pureté et la dureté. A la place des amours païens, ils y gravèrent deux mains jointes, symbolisant ainsi la loi éminemment progressive de la réciprocité des devoirs et delà parfaite égalité des époux. Dans les premiers temps de la Réforme, parmi les riches protestants, les anneaux de fiançailles étaient souvent ornés de rubis, emblème d'un amour exalté, avec un entou- rage de diamants, symbole de la durée. Vers 1884, on trouva, dans les environs de Stettin, une bague, en argent doré, dans l'intérieur de laquelle on lit distinctement ces mots : D. Martino Lutbero Catberina V. Boren, d. 3i octber. iSa.i. On sait que Catherine von Boren est la religieuse qui épousa le célèbre réformateur (voir fig. 3 et 4). ** L'histoire d'Angleterre nous fournit, dans le récit de la mort du comte d'Essex, qui périt sur l'écbafaud (23 février iGoi), un exemple remarquable du sens particulier que l'on peut attacher à un anneau. Le comte avait reçu de la reine Élisabetb, dont il était devenu le plus intime favori, une bague (voir, face et profil, fig. i85 et i8fi) qu'il devait lui renvoyer dans le cas où il aurait besoin de sa royale protection. Essex, condamné à mort, renvoya en effet l'anneau, mais il fut intercepté par la comtesse de Nottingham. Celle-ci, à son heure dernière, dévoila la perfidie à la reine qui jura que, quoique Dieu pût pardonner à ce forfait, elle n'oublierait jamais la trahison de la comtesse. 6 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR les bagues vénitiennes de cette époque sont, sans contredit, ce qu'il y a de plus artistique et de plus parfait en ce genre, tant par la beauté du travail que par la finesse des ornements et la pureté élégante des formes. Cette recherche se rencontrait surtout dans les fameux anneaux de la mort, nom donné, à Venise, à certaines bagues dont on faisait usage lorsque les empoisonnements y devinrent si fréquents*. A Tinté- rieur de ces bagues (dont nous donnons le profil figure 199 et les détails du chaton figures 200 et 201) se trouvaient fixées deux petites griffes du plus pur acier et garnies de poches renfermant un poison subtil. Lorsque le porteur de cet anneau fatal avaitle dessein de se venger d'un ennemi, il lui serrait la main de façon à exercer sur les griffes une pression assez forte pour faire une légère piqûre. Cela suffisait, et on était certain de trouver la victime morte le lendemain. N'oublions pas de mentionner qu'une des exigences de la mode, au XVI® siècle, voulait que Ton portât les bagues par-dessus les gants. Rabelais le donne à penser au V® livre de Pantagruel^ lorsque le frère Fredon répond aux demandes de Panurge par les monosyllabes les plus comiques : « Que portent-elles aux mains ? Gants. — Les anneaux de doigt? D'or. « En effet, le volet droit d'un triptyque de 1594, faisant partie du Musée de Cluny, à Paris, offre un personnage du nom de Jean, qui n'est autre que le donateur de ce monument, dont les mains sont gantées et les doigts chargés de bagues. Au XVII® siècle, et principalement sous le règne de Louis XIY, la richesse des bagues, ornées de pierres précieuses, atteignit la plus haute perfection. Au xviii® siècle, les hagues devinrent d'un usage général chez les hommes comme chez les femmes. Parmi les bagues célèbres de cette époque, nous citerons celle du grand Frédéric (fig. 2), conservée dans la collection de sir Waterton. Elle consiste en un anneau d'or, émaillé, et surmonté d'une large turquoise au centre du chaton, entourée de six grenats. C'est vers ce temps que les bagues à portraits émaillés obtinrent la vogue. Le cabinet du joaillier Jacqmin, vendu en 1773, renfermait plusieurs curiosités de ce genre, entre autres uue bague représentant le portrait du roi, et garnie de quatre diamants rosés. Les Mémoires de Bachaumont,h\2iò.ciL\.e du 22 novembre 1784, donnent une idée du nombre de bagues que possédait une courtisane vers la fin de l'époque Louis XY : « Il est mort, il y a peu de temps, une cour- tisane du vieux sérail nommée M"® de Beauvoisin; sa vente est aujour- * La mort de Démosthène (-j- 384 sv. J.-G.) nous montre que, dès l'antiquité, on se servait des anneaux pour y cacher du poison. On sait que c'est à l'aide d'un violent poison, composé par Cabanis et renfermé dans un anneau, que Condorcet se donna la mort (-j* 1794). LES ANNEAUX ET LES BAGUES 7 dliui l'objet de la curiosité, non seulement des filles élégantes mais encore des femmes de qualité. On y compte deux cents bagues plus superbes l'une que l'autre; on y voit des diamants sur papier comme chez les lapidaires, c'est-à-dire non montés, etc. « Saint-Simon dans ses Mémoires mentionne que « le baguier de la duchesse de Berry était estimé à plus de deux cent mille écus; et que le prince de Conti, qui avait plus de quatre mille hagues, prétendait que chacune d'elles lui rappelait une conquête féminine. « On connaît l'anecdote relative à la bague de Voltaire : il s'était empressé, à la mort de la marquise du Châtelet, de réclamer une bague que portait sa savante maîtresse, et qui devait renfermer le portrait de l'amoureux philosophe. On lui apporte la bague, et Voltaire trouve sous le chaton le portrait de Saint-Lambert. « Ciel ! s'écrie-t-il, voilà bien les femmes. J'en avais ôté Richelieu, Saint-Lambert m'en a chassé, cela est dans l'ordre ; un clou chasse l'autre ; ainsi vont les choses de ce monde. « Vers la fin du règne de Louis XVI, les bagues se portent très larges et diffèrent beaucoup de celles du temps de Louis XV qui étaient toutes gracieuses et légères. Un gros diamant ou une grosse pierre brillante se met au milieu d'une pierre de composition ovale, carrée, en losange, ou à huit pans. Si la pierre du milieu n'est pas assez grosse, on en met, deux plus petites aux deux bouts du chaton; parfois on l'entoure d'autres diamants, le plus souvent on parsème le chaton de diamants montés en petites étoiles. Ces sortes de bagues sont désignées sous le nom de bagues au firmament. Les pierres de compo- sition sont d'un beau vert, bleu de ciel, puce, jaune ou gris. Quand la pierre de composition reçoit au lieu de diamants, des pierres de couleurs, la bague n'est plus au firmament, elle devient à enfantement. Il y eut aussi les bagues carrées à l'anglaise, formant la boucle, avec chaton à enfantement rapporté sur une plaque d'or émaillé ; les bagues longues à huit pans, à enfantement simple, au firmament; les bagues entourées de brillants, le milieu pavé de pierres de diverses couleurs. Mentionnons encore les bagues à rébus, celles à secret, avec sujet galant ou portrait à l'intérieur, et les bagues à chiffres. LES BAGUES BIZARRES EN FRANCE A L'ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE La Révolution française, en faisant disparaître toutes les élégances du luxe monarchique, créa des bijoux bizarres, d'une simplicité uniforme, qui contrastent avec ceux de la fin du règne de Louis XVl. On ne porta d'abord que des bagues d'argent ou d'acier, dans le chaton — 87 - 8 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR desquelles était serti un fragment de pierre provenant des démolitions de la Bastille. L'austérité du nouveau régime avait fait renoncer aux bijoux d'apparat; mais il respecta les anneaux. En 1791, en effet, on vit paraître les alliances civiques en or ; fermées, ces alliances figuraient un simple anneau ; ouvertes, elles montraient leur cercle intérieur émaillé de bleu, de rouge et de blanc, et portaient à l'extérieur la devise consacrée : La Nation, la Loi, le Roi. David ayant dit le 3 thermidor, dans son discours en l'honneur de Viala, « Méprisez l'or et les diamants ; — soyez parées des vertus de votre sexe.... >), presque toutes les femmes suivirent le conseil du peintre. Mais cette mode, par trop sommaire, ne dura que quelques mois, et les bijoux d'acier, si recherchés sous le règne de Lolûs XVI, alors dans tout l'éclat de leur nouveauté, redevinrent en grande faveur, seulement on les façonnait en emblèmes patriotiques. Après la Terreur, qui mit en vogue les bagues de cuivre rouge à la Marat, parurent les riches bijoux d'or des Incroyables et surtout des Merveilleuses, parmi lesquels il faut citer les bagues garnies de camées et de pierreries, que, dans les bals costumés, quelques femmes portaient aux doigts des pieds. Madame Tallien, la reine des fêtes du Directoire, fut une de premières à adopter cette mode renouvelée des courtisanes antiques. xv®-xvi« siècles. — Fig. i2, i5 et 16. Anneaux religieux. — Fio. i3, 14. Anneaux orientaux. Fig. 17. Anneaux de fiançailles. — Fig. 18. Anneau sigillaire. f- Antiquité. — Fig. 19 à 28. — Anneaux ù sceau égyptiens (Musée du Louvre), les n°' 32, 33 et 34 renferment un prénom. Fio. et 3o. Anneaux romains (bustes d'Isis et de Sérapis, British 29 — Museum). Fig 35 et 36. Anneaux préhistoriques. Fig 40 4G- — — Anneaux étrusques, a chaton intaillé ou en relief. — . . Fig 3; à 39, 47 à 49. — . Anneaux celtiques. — — 39 A xnealx et B agues. 2. COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Antiquité. — FiG. 57. — Anneau taillé dans le cristal. — Fig — . 58 à 61. Talismans, Anneaux constellés Fig . 56, 62 à 66, 68 à 71. — Anneaux romains (n° 5i, en ambre, n" 52, en cuivre, les autres en or). Fig. 72. — Anneau de médecin. — Fig. 78 à 77. — Anneaux clefs. — Fig. 78 à 84. — Anneaux antiques. LES ANNEAUX ET LES BAGUES n Moyen âge. — Fig 85 à 92. — Anneaux épiscopaux.— Fio. 98. — Anneau de Childéric. — Fia. 95.— Anneau de fiançailles. . Fig 94- — Anneau dont les clievaliers de Malle se servaient poui' réciter leur chapelet. . Fig. 96 à 104. — Anneaux sigillaires et autres. — de saint roi de France. Fig. io5, 106 et 107. — Anneaux d'Ethelvvulf. — Fig. 108 et 109. Anneau Louis, — 91 — 12 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR Moyen âge. — Fig. ixi à 116, ii8el]24. — Anneaux en or avec pierres précieuses.— Fio. 117. — Anneau galant. Fig. 1 19, i3i et i 32. — Anneaux chrétiens (celui n° i3i, pour dire le chapelet). — Fig. i 20 et 121. — Anneau de Leohatius. Fig. 122, 123, 127 à i3o.— Anneaux de fiançailles, juives.— Fig. i2,5, 126, i33, i35 à 140. — Anneaux sigillaires. Fig. 141 à i45. — Anneaux du i" au vi° siècle, reproduits pour servir de comparaison avec ceux qui précèdent. — 92 — LES ANNEAUX ET LES BAGUES Renaissance. — Fig. 146 à 17.5. — Bagues en oi- ; les joncs sont guillochés, gravés de rinceaux, de dessins arabesques, d'entrelacements de cuirs émaillcs, d'entrelacs gravés et incrusiés d'émaux de diverses couleurs; le chaton de forme rectangulaire, carrée ou ovale, enchâssant soit des diamants, des rubis, des améthystes cabochon, des émeraudes ou autres pierres précieuses. 93 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR XVI°, XVII" siècles. — Fig. 176 à 182, 184 et 187. — Bagues de fiançailles. — Fio. i83.— Bague cadi-an solaire Fig. i85 et 186. — Bague du comte d'Essex. Fig. 188 à 191, 198 à 198, 202 à 211, 2x3 et 214. — Bagues dessinées par Du Cerceau, Pierre Woeriot, René Boyvin et Etienne Delaune. — Fig. 192 et 212. — Bagues funèbres. Fig. 199. — Anneau empoisonné; le mécanisme est figuré sous les n°® 200 et 201. LES ANNEAUX ET LES BAGUES XVII° siècle. — Fig. 2 i 5 à 229, 23i à 240, 242 à 24G, 248. — Bagues en or ciselé et émaillé de pierres précieuses, Fig. 23o. — Bague de mode lugubre, à tête de mort. Fig. 241.— Bague de fiançailles (lacs d'amour), à trois compartiments; au-dessus, elle est représentée fermée. Fig. 247 et 248. — Bagues se portant au pouce, celle figurée sous le 11° 247 est une bague ayec montre. 16 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR XVIII" siècle.—Tremiere période. — Fig 200, 2,îl, 25G, 2.57, 25ç) à 2G2, 2G4 ¿ 2G7, 2G9 ù 274. — Bagues avec attributs . galants. Fig. 249, 2,5i à 253, 255, 258, 2G3 et 2G8. — Bagues avec pierres précieuses. XVITT siècle. — Seconde période. — FTg. 275, 281, 282, 283, 285, 287 à 290, 294. — Bagues marquise. F'ig. 291. — Bague au firmament. — Fig. 277 à 279. — Bague avec miniature. — F^ig. 292. — Bague avec camée. Fig . 293. — Bagues à huit pans, avec chiffre en diamants. — Fig. 27Í) et 280. — Bagues sentimentales. Fig. 28.1, 28G et 29 .5. — Bagues avec perles ou diamants. — 96 — \' i TROISIÈME PARTIE i I ENSEIGNEMENT MUSÉES ET COLLECTIONS CHRONIQUES D G G U M E N T A1 R E S A GCOIVI P A G N É E S DE 216 FIGURES Pages. Pages Le trucage des médailles {avec 6 Moyen de préserver le bois des figures) 1 attaques des insectes, procédés pour Estampage en papier, clichage des les détruire, par C. Houlbert 21 inscriptions, gravures en creux, etc. . -4 Utilité Les d'un Musée dites archéologique de poires d'angoisse {avec 10 Province figures) 24 (i Un ministère des Beaux-Arts .... *11 Anachronismes dans les œuvres d'art Les images de préservation collées à {avec 2 figures) 25 l'intérieur des boîtes de courrier au Erreur qui attache le nom de Diane .w" siècle {avec 5 figures) 15 de Poitiers à tout ce qui a été fait pour Un vandale au xviii® siècle 15 Henri II {avec 19 figures) 28 Procédé pour l'enlèvement des mo- des saïques Chronologie doctrines catho- . . . > 16 La liques, utile à fabrication, connaître pour détermi- en Orient, d'objets ner la date des prétendus sur antiques 17 monuments, lesquels Faux elles sont 51 tableaux, faux amateurs, faux représentées experts 18 Imitation et contrefaçon des meubles Direction de la volute de la crosse de C.-A. Boulle 51 portée par un évéque ou par un abbé Les cadres et les coffrets en pâte {avec 6 figures). . ., 20 peinte et dorée {avec 5 figures) 54 DE LA RÉPARATION DES OBJ LIS D'ART ET DE CURIOSITÉ PAR CHARLES BUISSON, ÎXPERT ET RÉPARATEUR Chapitre 1 : Des produits employés . 36 Chapitre 9 : De la charge ou première Chapitre 2 : Préparation et nettoyage couche de peinture 44 des pièces 59 Chapitre 10 ; Pour peindre les fonds. 45 Chapitre 5 : Manière de refaire les Chapitre 11 ; Préparation des cou- morceaux manquants 40 leurs des fonds . 45 Chapitre 4 : Perçage de trous .... 41 Chapitre 12 : Polissage des fonds . . 45 Chapitre 5 : Pose et collage des tiges Chapitre 15 : Raccords et décoration. 46 ou des goujons 42 Chapitre 14 ; Réparation des marbres Chapitre 6 : Des collages à la colle d'art et des albâtres 46 forte ou à la gomme laque 43 Chapitres 15 et 16 : Réparation des Chapitre 7 ; Du rebouchage 44 biscuits de porcelaine. — Nettoyage Chapitre 8 : Du ponçage de la pâte . 44 des terres cuites 47 ENSEIGNEMENT, MUSI ; ET COLLECTIONS. Pages. Pages. Chapitre 17 : Réparation des terres Chapitre 25 : Procédés pour nettoyer cuites et des plAtres 18 les bronzes dorés et les dorums sur Chapitre 18 : Manière de donner aux bois 51 plâtres les teintes de terres cuites . . . 18 Chapitre 24 : Collage des montures Chapitre 19 : Bronzage d'une terre en bronze et des socles en bois sur les cuite, d'un plâtre artistique ou de tout pièces 51 autre objet 19 25 : des verres Chapitre 20 : Réparation des ématix Chapitre Réparation de Venise et autres 51 et des cloisonnés âO Chapitre 21 : Réparation des laques Chapitre 26 ; Nettoyage des marbres vernis d'art et des albâtres 52 de Chine, du Japon et des Martin 50 Chapitre 27 : Réparation des antiqui- Chapitre 22 : Pour faire sonner une tés grecques, romaines et des faïences pièce fêlée 51 à reflets métalliques 52 La céramique patriotique pendant Les peignes d'ivoire, de buis et de l'époque révolutionnaire française. — métal, de l'antiquité au xix' siècle (arec Pot a cille, e.xécutLé epasr Augufsate,ïed'anprcèseusn .dessin de Percier, pour rimpératrice Joséphine. à la guillotine {avec 8 figures) 70 58 figures) 52 De la réparation des manuscrits et Les boutons d'habit du V au xrx" siècle des miniatures; Procédés des artistes {avec 06 figures) 60 du moyen âge 76 Notes sur la peinture de l'École Les soufflets en or ou en argent Anglaise, du xvi° au xix" siècle .... 64 émaillé, avec panneaux en bois sculpté; Les enseignes de pèlerinage {avec leur porte-vent en bronze ciselé {avec 55 figures) 66 18 figures) 79 m ENSEIGNEMENT MUSÉES ET COLLECTIONS AMÉNAGEMENT ET DÉCORATION, AUTHENTICITÉ DÉSIGNATION, ATTRIBUTION, VALEUR, RECETTES ET PROCÉDÉS LE VIEUX NEUF ET LE COMMERCE DES FALSIFICATIONS LES RAVAGES DE LA RESTAURATION ET LE SABOTAGE LES MÉDAILLES ENCASTRÉES ] • - L'encastrement consiste à creuser, soit à la main, soit au tour, toute la partie du champ renfermée dans le grènetis qu'on voit sur les pièces de belle fabrique, et à remplacer lè côté évidé par un champ de même gran- deur, pris sur une autre médaille. Les deux parties sont alors soudées, et la , ligne de jonction est effacée avec le brunissoir ou perdue adroitement ; sous les points du grènetis rabattu au marteau. I On trouve assez fréquemment des médailles d'argent et de bronze i encastrées, rarement des médailles d'or, bien que la ductilité du métal ; rende cependant la fraude plus facile ; mais son prix élevé ne le met à la disposition que de quelques-uns. ¡I Ce mode de falsification n'a guère été appliqué qu'aux monnaies romaines, et plutôt aux pièces impériales qu'aux consulaires dont les collectionneurs sont moins nombreux, i Lés signes essentiels auxquels on reconnaît rencastrement sont : la j couleur différente dû champ et du bord, le caractère de la lettre des l Musiórs — 1 ! 2 I.ES MÉDAILLES ENCASTRÉES. légendes, la nature de la patine de la face et du revers, enfin le travail bien tranché des deux côtés de la médaille. Les ouvriers monnayeurs ont quelquefois employé dans l'antiquité, à la fabrication des espèces, mais par erreur seulement ou par une cause expressément déterminée, des coins d'un style différent; mais ces exceptions sont rares. Aussi, on ne saurait trop suspecter les médailles dont les champs sont parfois d'un art si diffé- rent que l'œil en est blessé. On peut citer, à ce propos, une médaille d'argent dont on demandait un grand prix. C'était une didraclime avec la tète laurée de Jupiter, au revers du Pégase volant. Le travail de la tête était évidemment tout autre que celui du Pégase, mais le champ était si pur, la médaille paraissait si franche, qu'il n'était guère permis de la suspecter : quelques-uns cepen- dant osèrent douter; ils soupçonnèrent la pièce d'être encastrée. Cette proposition parut erronée au plus grand nombre; la discussion devint à la fin si sérieuse qu'on voulut en avoir le cœur net : à l'aide de deux tenailles, on fit une pesée sur les bords du métal qui plia, et chassa de sa mortaise le morceau qu'on y avait serti : c'était une tête de Jupiter appar- tenant à une médaille consulaire, qu'on avait très habilement encastrée dans une didraclime de Corinthe, â là place de la tête de Minerve. Il y a encore deux autres manières d'encastrer les médailles, qui, toutes les deux, participent à la fois de l'accolement et de l'encastrement; il est très difficile de découvrir cette fraude si elle a été pratiquée par un ouvrier habile et intelligent, qui n'a ménagé ni son temps ni sa peine. Or, voici en quoi consiste la première de ces deux opérations : on scie la pièce posée de champ en deux moitiés égales dont l'une est inutile et sacrifiée, ainsi qu'il arrive pour l'accolement. Le côté que l'on veut employer est ensuite découpé sur ses bords, de façon à ne laisser à la m'édaille que la moitié du métal qui est en dehors du grènetis. Cela fait, on" prend une seconde médaille d'une rondeur égale à la première, un LES MÉDAILLES ENCASTRÉES. r, Maxime par exemple, si c'est un Maximin qui a déjà été préparé. On scie la pièce dans sa hauteur, et jusqu'à son milieu ; on creuse du côté du revers tout le métal qui se trouve en dedans du grènetis, de manière à former une boîte à coulisse, dont la partie déjà travaillée fera le couvercle. On enchâsse ces deux morceaux l'un dans l'autre, et l'on fabrique de cette façon une médaille antique et commune dans ses parties, fausse et rare dans son ensemble. Ces sortes de pièces demandent un œil exercé, et la connaissance en est d'autant moins facile que la médaille n'est accolée que sur une moitié de ses bords, qu'elle est encastrée seulement dans l'autre moitié de sa circonférence, et qu'elle est intacte sur Fl'uancdee sees t revers d'une médaille anliqiie, côtés. Les deux coupures des bords sont enfin cachées sous des crevasses commune dans ses fausse et rare dans son ensemble. factices. parties, La seconde manière, qui est encore plus trompeuse qiie la premi(èAre,ccolemenl et Encastrement.) exige aussi plus d'habileté et de précautions de la part du faussaire. Cette fois, la taille est la même pour les deux médailles qu'on veut rapprocher, elle se fait seulement en sens opposé pour que les deux morceaux puissent s'emboîter exactement l'un dans l'autre. L'opération consiste donc à trancher chaque pièce dans son épaisseur, de façon néanmoins à conserver le métal qui borde le grènetis sur une longueur d'un quart de circonfé- rence. La partie opposée au bord conservé est, au contraire, échancrée sur ESTAMPAGE ET CLICIIAGE DES INSCRIPTIONS. une égale longueur, et jusqu'au grènetis qui se trouve sur l'autre côté de la pièce. Ce mode de falsification n'a pas souvent été employé à cause de la difficulté qu'il présente; il est bon néanmoins de se précautionner contre cette fraude dangereuse que l'œil le plus fin aura de la peine à dé- voiler, quand la patience du faussaire n'aura pas été rebutée par la longueur du travail. ESTAMPAGE EN PAPIER CLICHAGE DES INSCRIPTIONS, GRAVURES EN CREUX SCULPTURES PEU SAILLANTES Pour estamper, c'est-à-dire pour prendre le fac-similé d'une inscrip- tion, gravée en creux ou en relief, sur pierre, on devra se munir des objets suivants : 1" Papier en feuilles ou en demi-feuilles, en nombre suffisant; 2° Une éponge commune, consistante, d'un volume assez fort pour servir soit au nettoyage des pierres, soit à la préparation du papier; 5" Une brosse ou vergette plate, dont les crins soient assez longs et serrés, de la grandeur des brosses moyennes à habits, ayant un manche ou poignée en bois pour faciliter le frappement; 4" Un vase rempli d'eau claire; a" Un petit pot de colle de riz, ou de farine quelconque; 6° Un linge de toile demi-forte, dont on fait au besoin un tampon, ou un essuie-mains. Papier — . Le format à préférer pour le papier qui doit recevoir le fac- swiile d'une inscription est celui dit grand-raisin*-^ son étendue ¿n-p/ano convient aux plus grandes pierres. Le nombre des feuilles sera propor- tionné à l'étendue de l'inscription**. Une seule feuille pourra suffire aux pierres de moindre dimension; la demi-feuille et le quart de feuille servi- ront pour les petites pierres qu'ils pourront couvrir entièrement. Il faut qu'une feuille de papier bien saturée d'eau ait une certaine force pour résister au tamponnage, au frappement de la brosse, aux pressions de la paume et du bout des doigts de la main; opérations * La superficie d'une feuille de papier grand-raisin donne environ 65 centimètres en et 50 largeur centimètres en hauteur. Le papier d'un format supérieur est très difficile à manier, surtout quand il est trempé d'eau. ** Une inscription de grande dimension exigera, on le conçoit, plusieurs feuilles de papier qui seront réunies plus tard, c'est-à-dire dès qu'elles seront séchées, afin de senter l'ensemble pré- de l'inscription. ESTAMPAGE ET CLICHAGE DES INSCRIPTIONS. réunies qui ne doivent laisser échapper aucun détail de gravure et mêmè de mutilation de l'inscription, ou de brisure de la pierre. Le trempage du papier à pleine eau convient mieux que le trempage à l'éponge, car, le papier ñon collé ne pouvant être employé à cause de sa fragilité, l'éponge ne saurait donner au papier collé la même moiteur qu'un bain d'eau. Au reste, les deux manières de tremper peuvent être également employées, selon les circonstances ou les localités dans lesquelles se trouvent placées les pierres à inscriptions, pour arriver à un bon résultat avec le moins d'embarras possible. Pierres portant des inscriptions — . Avant de prendre le fac-similé de l'inscription, il faut : 1" Brosser à sec la pierre, en ôter ce qui en aurait empâté les creux, les reliefs, etc., en un mot, la bien nettoyer, et, si cette pierre est de nature calcaire, l'imbiber plus fortement d'eau pour qu'elle n'absorbe pas l'bumidité du papier qu'on appliquera ; 2° Passer à la surface l'éponge suffisamment imbibée d'eau, en ayant égard à la place qu'occupe ladite pierre, car on ne saurait prendre trop de précautions lorsqu'il s'agit de toucher à des monuments confiés à, notre discrétion*; û" Passer de nouveau sur la pierre l'éponge légèrement imbibée d'une eau de colle**. Opérations de l'estampage — . Prenez la feuille de papier trempée, et, la tenant bien étendue, appliquez-la sur la pierre, de manière à ce qu'il ne s'y forme ni pli ni boursouflure. Au moyen du tampon de linge, pressez la feuille contre la pierre, pour qu'elle adhère complètement. Avec la brosse ou Vergette, frappez à coups secs sur le papier, pour qu'il pénètre dans les creux de la pierre. Aidez à cet estampage au moyen de la paume de la main et du bout de vos doigts, qui atteindront ce qui aurait pu échapper au tampon ou à la brosse. La feuille étant ainsi adhérente à la pierre, frappez, avec le tampon ou la brosse, des coups répétés et réguliers, en commençant par * Il arrive assez souvent que les inscriptions sont enclavées dans les murailles d'une église ou d'un bâtiment civil quelconque, que nous devons nous garder d'endommager ou de salir. ** Pour faire cette eau prenez un peu de colle très épaisse de riz ou de farine, dont nous avons parlà plus haut, et délayez-la dans une suffisante quantité d'eaja.- ? - - - - C. UTILITÉ D'UxN MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE DE PROVINCE. l'ongle gauche du bord supérieur du papier et descendant graduellement en suivant une ligne diagonale, de façon à chasser vers le bas de la feuille les globules d'air qui pourraient demeurer sous le papier. Dans les inscriptions en grandes lettres, l'air contenu dans les creux produit parfois des boursouflures qui résistent; on les fait disparaître au moyen de quelques piqûres d'épingle. L'empreinte doit être bien sécbée au soleil, au grand air, ou au feu, avant de la rouler; après quoi, on pourra passer dans le creux des lettres de l'empreinte un trait de crayon rouge ou noir, pourvu que cette opéra- tion ne soit pas faite sur le monument, qu'elle pourrait détériorer. Pour les reliefs, cette feuille de papier a l'inconvénient de présenter l'empreinte à l'envers; elle est fragile et exposée à des accidents irrépa- rabies; elle se prête mal aux reproductions béliograpbiques et ne saurait fournir d'autres empreintes. On avait cherché le moyen pratique de surmouler ces estampages de façon à obtenir, sans les altérer, une contre- épreuve fidèle sur une matière solide, inaltérable, présentant l'empreinte dans son sens, permettant enfin d'en multiplier d'une manière indéfinie les exemplaires par les procédés ordinaires du clicbage. C'est ce moyen que M. Glermont-Ganneau a exposé dans une séance de VAcadémie des Inscriplions et Belles-Lettres. Il obtint des matrices métalliques équiva- lentes, exactes et indestructibles, en coulant directement, sous une pression convenable, le métal d'imprimerie en fusion sur les estampages. L'estampage des inscriptions paraît avoir été employé pour la pre- mière fois en 1754 par A. Sym. Mazocbi pour reproduire exactement les inscriptions des tables de bronze d'Héraclée, conservées à Napleè. UTILITÉ D'UN MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE DE PROVINCE Il n'y a pas que les grands centres qui doivent posséder des musées : toutes les villes devraient avoir le leur. Un musée archéologique et d'art rétrospectif dans une ville de province, a "une double utilité il doit être fondé dans un double but. Il réunit et conserve une foule d'objets qui, sans lui, seraient négligés et finiraient par disparaître, ou pour le moins resteraient disséminés et inconnus. Il fournit un aliment à l'étude ; il répand et éclaire le goût de la science et des arts, en exposant aux yeux des œuvres ou des débris qu'il classe UTILITÉ D'UN MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE DE PROVINCE. 7 avec ordre et méthode. C'est une nécessité pour l'intérêt général. Un musée archéologique pour une ville qui remonte à une haute anti- quité doit être quelque chose de national. Les objets qui le composent sont, pour le plus grand nombre, trouvés dans la localité ; ils deviennent une image de son passé. Chacun d'eux lui rappelle un monument qui a disparu, un événement, une coutume, une habitude qui n'est plus. Ce sont autant de témoins irréfutables de son antique splendeur, de son ancienne gloire, de ses vieilles mœurs. Archives pittoresques des temps écoulés, ce musée les fait revivre à nos yeux, il reporte notre esprit vers les diffé- rents âges de la cité, retrace les diverses phases de son existence et fait mieux comprendre les événements qui s'y rattachent : le respect des vieilles choses est une partie de la morale publique. Voilà donc, ce nous semble, à quel double point de vue doit être envisagée la création et dirigé l'établissement d'un musée archéologique. Collection de pièces intéressantes et classées avec méthode, il sert à l'instruction de tous. Réunion d'objets se rattachant à la localité, il est un secours utile pour en mieux connaître l'histoire particulière. Puis encore, il crée un centre qui contribue à retenir la science, qui l'attire à lui et l'empêche d'obéir à cette force qui entraîne et précipite tout vers un point unique, et ferait du reste du pays un désert vide de ressources et d'intelligence. L'archéologie est un des agents les plus sûrs de l'histoire ; elle l'éclairé et la guide pour révéler aux peuples leur passé; non ce passé incomplet, quand souvent même il n'est pas falsifié; non cette histoire de convention qui fut si longtemps la nôtre, qui ne s'occupait que de la vie des princes et des intrigues de leur cour, suite de récits qui ne racon- taient que les batailles et les négociations, et qui négligeaient en parlant des nations, leur origine, leurs croyances, leurs mœurs, leurs coutumes, leur vie intellectuelle; qui comptait pour rien le mélange, le contact des peuples, leur influence des uns sur les autres, leur civilisation. Durant le xix" siècle un changement important s'est produit. Dans l'intérêt de l'avenir, on étudia les temps anciens; on le fit avec conscience, avec ardeur : on voulut puiser aûx sources mêmes. On ouvrit, on creusa de vieux filons trop longtemps négligés. On se mit surtout à rechercher de plus près tout ce qui se rapportait aux croyances. L'archi- tecture, la sculpture, furent appréciées à ce point de vue. Ce qui, pendant des siècles, n'avait paru que l'effet du caprice ou le fruit du mauvais goût, .s UTILITÉ U'UN MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE DE PROVINCE. l'ul reconnu comme le résultat de règles certaines, offrant le rellet ou rexpression d'idées auxquelles la vie entière obéissait. Peut-être même alla-t-on trop loin et voulut-on voir quelquefois des règles et du symbo- Îisme là où ne se trouvait que l'imagination de l'artiste. Quoi qu'il en soit, un résultat heureux ne tarda pas à se produire. A la suite et comme complément des travaux des Barante, des Guizot, des Thierry, se révélaient ceux de M. de Caumont, et en même temps appa- raissaient les magnifiques collections de M. du Sommerard. L'arcbéolo- ü,ie était née. De tout temps sans doute l'archéologie avait compté des adeptes. Alexandre et Paul Petau, Montfaucon, Polluche, Lebeuf avant tous, l'avaient cultivée avec fruit : mais avec eux la science était restée dans le sanctuaire. M. de Caumont, par son zèle infatigable, la répandit et lavul- garisa. A la voix du maître et comme récompense de son ardeur éclairée, le goût de la science se répandait, les sociétés se créaient, les découvertes se multipliaient; on eût dit que le sol lui-même était jaloux de s'associci- à cette régénération; et les musées de province s'ouvraient de toute part. Beaucoup d'entre eux, il faut l'avouer, ne furent longteni})S, et quel- ques-uns ne sont encore qu'un chaos, une réunion sans ordre des choses les plus étrangères les unes aux autres ; trop heureux quand les exigences du local, quand telle ou telle convenance n'ont pas fait mutiler ou dénatu- rer de précieux chefs-d'ccuvre. Nous sommes entrés à cet égard dans une voie nouvelle. L'esprit de méthode et de conservation tend de plus en plus à s'introduire dans les col- lections. Depuis plusieurs années des restaurations, faites, pour le plus petit nombre malheureusement, avec intelligence et conscience, nous ont appris avec quel respect on devrait toucher aux monuments et aux objets d'art. Il ne s^agit plus aujourd'hui que de réparer avec soin, classer et uti- liser les éléments des musées qui doivent dans chaque ville concourir à accroître le domaine de nos richesses nationales. Pour cela, deux méthodes se présentent : l'une qui range les objets selon leur âge, réunissant sous la même division tout ce qui tient à la même nation, à la même époque; l'autre qui, les disposant par ordre de matières en quelque sorte, groupe ensemble tout ce qui tient au même usage, ou se rapporte aux mêmes besoins. Selon le premier système, l'art assyrien, l'art égyptien, grec, romain ; l'époque gauloise, gallo-romaine, le Moyen âge, la Benaissance^'forment autant de sections distinctes. UTILITÉ D'UN MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE DE PROVINCE. !) Dans l'autre, tout ce qui tient au culte, aux sacriiices, aux jeux, à la guerre, aux vêtements, aux besoins, aux habitudes, aux plaisirs de la vie, à tant d'autres matières, doit être réuni en autant de groupes séparés, et ainsi se trouvent en contact et en opposition les diverses nationalités, les différentes civilisations. Chacune de ces méthodes a ses avantages, chacune offre des inconvé- nients. Dans la seconde, qui convient mieux peut-être à une grande et riche collection, comme celles du musée de Cluny, de Carnavalet ou des Arts Décoratifs, l'esprit goûterait du plaisir à embrasser d'un seul coup d'œil les diverses matières dont un même besoin, une même idée peuvent se modifier selon les croyances, les climats, la civilisation ; elle paraît plus philosophique et plus féconde en observations, mais elle divise à l'infini les classifications, rendant les recherches difficiles et finissant par en fati- guer l'étude. Si l'autre réunit parfois des objets sans rapport entre eux, elle offre plus d'unité, plus de simplicité, plus de facilité pour les recherches. Aussi est-elle presque exclusivement adoptée. Un musée de province, dont les ressources sont nécessairement hor- nées, se contentera donc probablement des quatre grandes divisions sui- vantes : 1. "L'Antiquité^ ayant elle-même deux sous-divisions : antiquité étran- gère au pays, assyrienne, égyptienne, grecque et romaine. Anti- quité nationale, se subdivisant en gauloise, gallo-romaine et barbare. — 2. Le Moyen Age. — 5. La Renaissance. — 4. L'époque postérieure à la Renaissance, celle des xvii°, xviii® et xix° siècles. Sous ces divisions se. rangeront, à leur date, les inscriptions, les tombeaux, les statuettes, les armes, les ustensiles, les bijoux, la cérami- que, les médailles, les tableaux, les boiseries, les sceaux, les meubles, les émaux, les fragments de sculpture, d'ornements d'architecture, etc. Un point du plus haut intérêt local, c'est qu'une inscription attachée à chaque objet annonce, autant que possible, le lieu dans lequel il a été IroLivé, et, pour les débris, le monument auquel ils ont appartenu *. C'est ainsi que se rattachera au pays un objet qui, au premier aspect, peut sein- En contemplant des tableaux, nous avons senti qu'un dessin colorié donnait plus de travail à l'esprit du spectateur qu'une description au lecteur ; si on est obligé de rappro- cher quelquefois les traits d'un poème, on l 'est toujours, pour comprendre un tableau, d'en approfondir les ombres, relever les éminences, prolonger les distances, y faire parler les objets, en tirer les réflexions du peintre, y joindre les siennes. Le poète au contraire peut MI'SÙKS — 2 10 UTILITÉ D'UN MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE DE PROVINCE. hier lui ôlre le plus étranger; ainsi que peuvent se fixer des dates et se déterminer des époques. Nous voudrions qu'une salle spéciale pût être ailectée à chaque siècle, et que, sur la muraille, se trouvât une représentation exacte de l'architec- ture de l'époque avec ses modifications successives. Nous souhaiterions qu'on la y vît le plan et le dessin de tous les monuments de province qui se rapportent à cette époque : monastères, châteaux, églises, maisons remarquables, ceux surtout des monuments qui ont disparu, et dont les débris sont recueillis dans la salle. Ainsi, à côté de la curiosité se trouverait l'instruction : celle-ci afri- verait en quelque sorte d'elle-même aux visiteurs qui, presque sans s'en douter, se familiariseraient avec l'art et la science. C'est alors que chacun sentirait le prix du dépôt commun, qu'il s'y affectionnerait et se ferait un devoir de l'enrichir. Il est surtout une collection que nous voudrions voir chaque ville posséder : c'est celle des porlraits des hommes célèbres auxquels elle a donné naissance, collection que recevrait une salle de musée, ou, mieux encore, de la maison commune. Il faudrait que, à l'exemple de Toulouse dans son Capilole, chaque cité eût sa Salle des Illustres et payât ainsi son tribut de reconnaissance à ceux de ses enfants qui contribuent à sa gloire, tout en les offrant en exemple ò leurs descendants. Tout dans une ville doit tendre à enrichir, à compléter les musées fondés à ce point de vue d'utilité et de nationalité. L'intérêt de la science et du pays doit passer avant tout autre. Ne mêlons aucun regret, aucun remords à nos jouissances. Elles sont si cal- mes et si douces : il y a tant de paix dans nos études, on peut y trouver tant de consolation et, au besoin, tant d'oubli. Puis notre bonheur se fait à si peu de frais ! Que faut-il pour nous tout dire, tout montrer, rassembler en un lieu divers charmes, différentes situations. Pourquoi donc pour un tableau n'annoncerait-on pas, comme pour un poème, le sujet représenté? On perd à le chercher, quelquefois sans succès, le temps de l'admirer : un mot d'explication n'aurait nul inconvénient. M. dans la Gazelle de l'J/ùlel .... Ce qui est toujours regrettable, écrivait Frappart, Drouol, c'est le manque d'étiquettes décrivant sommairement les objets. C'est un défaut que Ton relève dans les musées ainsi que dans les expositions. De ce fait, seuls les connaisseurs savent ce qu'ils voient, tandis que la plus grande partie du public regarde, passe devant les objets exposés sans en emporter aucun enseignement faule d'indication lui expliquant ce qu'il a sous les yeux. Il serait bien simple de placer cependant un petit carton avec l'inscription: « Tapisserie flamande, xviii" siècle » ou « Potiche en porcelaine de Sèvres, de Saxe », etc. Même pour les initiés cela serait fort utile, surtout quand on ne peut pas prendre les pièces en mains. C'est une petite réforme que nous signalons aux intéressés, certain qu'ils la trouveront logique. UN MINISTÈRE DES BEAUX-ARTS. Il rendre heureux... et fiers quelquefois, nous autres, archéologues ? Un débris demur découvert, une charte sauvée du vieux papier, une médaille, un mereau arrachés à la fonte, un mot, une lettre rendus à une inscrip- tion, un sens nouveau attribué à un texte. Et ces émotions-là, toutes vives qu'elles sont parfois, toutes ces ambitions, n'ont jamais entraîné à leur suite ni ruine ni désordre. Heureux qui les ressent et s'y livre, comme délassement de plus graves travaux ! plus heureux encore celui qui en fait l'occupation et le charme habituel de sa vie ! Appliquons-nous à faire connaître, à propager ces jouissances. Con- vions surtout la jeunesse à les goûter; donnons cet aliment paisible à son ardeur, trop souvent peut-être à son oisiveté : et puissent nos musées être organisés de telle sorte, qu'ils concourent à lui inspirer ce goût des arts et de l'étude ! Ils auraient alors atteint l'utilité et l'importance que nous leur désirons. UN MINISTÈRE DES BEAUX-ARTS Tous les ans, au moment où se discute, au Parlement, le budget des Beaux-Arts, quelques législateurs, le rapporteur en tête, chantent leur couplet traditionnel sur le rôle que l'Etat doit jouer à l'endroit de l'Art. Il est évident que, plus que jamais, l'Etat a le devoir de s'intéresser au mouvement de l'art contemporain, qu'il s'agisse d'art pur ou d'art appliqué; de s'y intéresser, non pas pour prendre parti contre telle ou telle formule, mais pour aider à tout effort vraiment digne d'encoura- gement. Or, ceci ne veut pas dire que le devoir de l'Etat est d'être l'oncle prodigue de tout producteur d'art; il n'a pas à pourvoir aux besoins de tous ceux qui, parfois sans tempérament et sans études suffisantes, encombrent les expositions multiples de Paris, de la province et de l'étranger, de leurs élucubrations fastidieuses. Longtemps, alors que l'Etat ne tenait aux Beaux-Arts que par une direction accessoire du ministère de l'Instruction Publique, l'influence politique, dont les appétits esthétiques sont plutôt niables, se faisait un malin plaisir de soutenir les électeurs plus que les artistes et de faire acquérir des gages de gratitude plus que des œuvres, que l'avenir aurait mission de consacrer. On a fait un pas vers une organisation plus conforme aux nécessités l'i UN MINISTKlîE DES HEAUX-ARTS. de l'art. La direction a été haussée au sous-secrétariat d'État, et le titu- laire de ce poste difficile a montré qu'il n'était pas homme à se contenter d'une platonique inactivité; il faudrait faire plus, il faudrait faire pour les Beaux-Arts un ministère indépendant — nous demandions autrefois une Surintendance des Beaux-Arts, mais le mot sembla trop peu démo- era tique. On argue, pour lutter contre la création d'un ministère des Beaux- Arts, que cette création entraînerait de gros frais et que le budget ne permet pas d'augmenter encore l'addition monumentale de la loi de finances actuelle. Et cela se comprend mal. Gomment se fait-il que les législateurs, qui trouvent légitimes tant de dépenses inutiles, ne veuillent pas admettre des dépenses qui seraient indispensables pour la mise en valeur de notre patrimoine artistique. Quand on voit dans quel local insuffisant est installé le musée du Luxembourg, dans quelle bâtisse impossible étouffe l'école des Arts Décoratifs, dans quelles constructions étriquées éclate le Conservatoire national de musique et de déclamation et tant d'autres, on éprouve quelque honte à constater les'efforts faits par les budgets des pays étrangers pour ne rien perdre de la signification de leur art, dans la façon dont ils en présentent la production au public. N'oublions pas que si la France possède une suprématie, c'est bien celle de l'art; ses artistes, en leur inlassable variété de talent et d'imagi- nation, lui ont fait une renommée que nulle autre ne saurait égaler; en peinture, en architecture, en sculpture, en gravure, ils marchent en tête; on vient de partout les étudier, et même les piller, en des imitations qui parfois sont très voisines d'une contrefaçon. En art décoratif même, malgré les tentatives et les efforts très curieux, très attachants, accomplis en Norvège, en Allemagne, en Angleterre, en Autriche, en Italie et en Amérique, c'est encore chez nous que le résultat témoigne de plus de fantaisie, de plus de goût, en dépit des écarts de quelques cerveaux en fièvre d'innover qui se sont engagés dans des voies où le culte de la laideur essaie d'instaurer des autels. C'est pour cela, c'est pour mieux défendre contre une concurrence sinon victorieuse, du moins gênante d'activité et d'exemple, qu'il est nécessaire qu'un ministère des Beaux-Arts soit créé ; le rôle alors de l'État à l'égard de l'art sera, non pas de susciter des artistes nouveaux parmi des individus qui ne songeaient peut-être pas à devenir artistes, mais de multiplier sur tout le territoire les moyens d'éducation qui donne- les ima(;j:s de préservation . ir, ront à la foule un sens plus affiné du goût et une compréhension mieux généralisée des choses de l'art. Voilà le terme exact de la vulgarisation de l'art. Les artistes, se trou- vant mieux compris, trouveront des débouchés plus larges à leur produc- tion, et leur émulation sera d'autant plus féconde, que leur talent rencon trera plus de foule pour en me'surer exactement la valeur. En agissant ainsi l'Etat ne contribuera pas seulement à la prospérité d'un patrimoine moral, il contribuera à l'accroissement de notre richesse matérielle. La production d'art ne représente pas qu'un capital de gloire : elle représente également un très gros capital qui n'est pas négligeable dans le calcul matériel de la richesse nationale. LES IMAGES DE PRÉSERVATION COLLÉES A L'INTÉRIEUR DES COFFRETS DE MARIAGE BOITES DE COURRIER, ETC. On sait l'importance qu'ont prise en iconographie, depuis quelques années, les images de piété populaires. Exécutées autrefois dans un but de préservation, que la crédulité attribuait à Dieu et aux saints, elles se répandirent à des milliers d'exem- plaires dès que le papier se fut produit en quantité, c'est-à-dire à la fin du XIV® siècle. Ces images comportaient des indulgences, — d'où le procès intenté à Jean Huss qui en avait dénoncé le trafic — et conféraient à leur porteur et aux objets ou aux meubles, une assurance morale contre les accidents de toute nature et la destruction. Il s'ensuit que ces pièces cousues dans les habits, collées contre les murailles, sur le bois des lits, disparurent avec les objets qu'elles protégeaient. Les rares spécimens qui nous sont restés de l'énorme production du XV®. siècle proviennent des livres, ou de boîtes, tels que coffrets de mariage ou boîtes de courrier. Ces dernières, bardées de fer, servaient aux postiers chargés de transporter la correspondance, toutes avaient une image de préservation à l'intérieur du couvercle. Une cachette, pratiquée dans l'épaisseur du couvercle et formant corps pour ainsi dire avec lui, était destinée aux billets doux, aux correspondances ou documents secrets. Le département des Estampes de la Bibliothèque Nationale, à Paris, a u LES IMAGES DE PRÉSERVATIOX. acquis depuis cinq ans une dizaine de ces boîtes, avec leur image conservée intacte. Quelques-unes sont d'un grand format, mais le plus ordinairement ces images varient entre 10, 15 et 25 centimètres de haut. Les plus grandes ont 40 et môme 50 centimètres*. La boîte de courrier, dont nous donnons, ci-dessous, cinq reproduc- tions, mesure 0'"220 de hauteur sur O'^lbb de largeur. Dans l'épaisseur Roîte de courrier (xv" siècle), corilenaiit une image de préservation collée à l'intérieur du couvercle. (Déparlement des Eslampes de la Bibliothèque Nalionale, à Paris.) du couvercle (fîg. 1), une cachette (fig. 2) se trouve ménagée, une ligne pointillée (voir fig. 5) indique la largeur de son ouverture. La figure 5 * Cf. Les deux cents Incunables du Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de Paris. — (Origines de la gravure sur bois. — Les précurseurs. — Les papiers. — Les indul- gcnces. — Les « grandes pièces » des Cabinets d'Europe. — Catalogue raisonné des estampes sur bois et sur métal du Cabinet de Paris), par Henri Bouchot, Conservateur du Département des estampes. Paris, Librairie centrale des Beaux-Arts, Emile Lévy, éditeur, 1903. — Cet ouvrage se compose d'un volume de texte grand in-8·' — XII et 260 pages, — contenant une inlroduclion historique et le catalogue de toutes les pièces, et d'un album in-folio (relié) reproduisant, dans la grandeur des originaux, tous les Incunables de la Biblio- thèque nationale de Paris. UN VANDALE AU XVIIU SIÈCLE. 15 représente la boîte ouverte et la figure 4 l'image de préservation, imprimée à la presse (Paris, vers 1490-1500) et coloriée en rouge, vert, jaune, gris; « cette pièce, écrit M. Henri Bouchot, incontestablement dessinée et gravée parles artistes d'Antoine Vérard, nous montre le Christ assis aune table dans une salle gothique dont les fenêtres sont à carreaux losangés. Sur le devant. Judas tient une bourse. Les autres apôtres sont au nombre de cinq à gauche, et de six à droite. L'inscription du bas est masquée par le collage; on lit : ... ni bidmim pascha fuit... Tailles d'ombre. » UN VANDALE AU XVIIP SIÈCLE Le vandalisme drfns les arts a toujours été triomphant; de nos jours encore, des méfaits, des actes inqualifiables, sont constatés sur plusieurs points de la France. Toutefois, nous ne croyons pas que le cynisme des destructeurs ait été poussé aussi loin que celui dont se vante l'abbé Michel Fourmont, envoyé en mission épigraphique sur le sol de la Grèce, au commencement du xviiF siècle. « Je n'ai pas fait raser la ville de Sparte, écrivait-il au comte de Maurepas en 1720, mais je Tai fait abattre de fond en comble. Il n'y a plus, de toute cette grande ville, une pierre sur une autre.... Depuis plus de trente jours, quarante et quelquefois cinquante ou soixante ouvriers abattent, détruisent, exterminent la ville de Sparte, etc.... Je n'ai plus que quatre tours à démolir... avons parler franchement, je m'étonne de cette expédition. Je n'ai point lu que, depuis le renouvellement des lettres, il doit venir dans l'esprit de quelqu'un de bouleverser ainsi des villes entières.... (( Dans le moment queje suis occupé à la dernière destruction de Sparte, etc.... Imaginez-vous, si vous pouvez, dans quelle joie je suis. Elle est des plus grandes; mais elle serait extrême si on m'avait laissé faire encore quelque temps. Mantinée, Stymplialus, Pallantion, Tégéc et, sur- tout, Olympia et Némée méritaient bien que je les renversasse de fond en comble; j'en ai l'autorité J'ai, chemin faisant, cherché les anciennes villes de ce pays, et j'en ai détruit quelques-unes : entre autres, Ilermione, Trézène, Tyrins, la moitié de la citadelle d'Argos, Phliasia, Pliineos, et, après avoir percé dans la Magne autant que la prudence l'a pu permettre, je suis, depuis six semaines, occupé à la dernière destruclion de Sparte.... « Si, en renversant ses mui's et ses temples, si en ne laissant pas lü PROCEDE POUR L'ExNLÈVEMENT DES MOSAÏQUES. une pierre sur une autre au plus petit de ses sacellums, son lieu sera dans la suite ignoré, j'ai au moins de quoi la faire reconnaître, et c'est quelque chose; je n'avais que ce moyen-là pour rendre illustre mon voyage.... Quand j'aurai totalement détruit Sparte et Amyclées, j'irai visiter la Roumélie.... Ce n'est pourtant qu'en agissant de cette manière que l'on peut être utile aux lettres. Sparte est la cinquième ville de Morée que j'ai renversée; Hermione et Trézène ont subi le même sort, je n'ai pas pardonné à Argos, à Phlisia, etc. Je suis actuellement occupé à détruire jusqu'à la pierre fondamentale du temple d'Apollon Amycléen.... J'en détruirais même d'autres avec autant de facilité, si on me laissait faire.... » Certes, nous ne saurions trop flétrir de tels actes de dévastation; les vandales de notre temps ne marquent pas leur passage par de grands débris, ils mutilent à la sourdine pour reronstiluer saiis savoii- et sans goût. PROCÉDÉ POUR L'ENLÈVEMENT DES MOSAÏQUES Une mosaïque de l'époque gallo-romaine, provenant des environs de Saint-Jean-d'Angely, avait été remarquée à une exposition des Beaux-Arts à Niort, d'abord en raison de l'élégance de ses dessins, puis en raison du procédé employé par MM. Barbot et Lemarié pour enlever et conserver intact ce beau fragment, qui faisait partie d'une mosaïque très considérable, découverte par M. Brillouin. Cette mosaïque comprenait dans son épaisseur trois couches dis- tinctes. La plus profonde, épaisse de 25 centimètres, était formée d'un béton très consistant, composé de chaux et de briques concassées; la couche intermédiaire, de trois travers de doigt, composée de chaux et de briques pilées, était très friable, ce qui rendait très difficile l'extraction de la mosaïque, formée de petits cubes de marbre implantés dans cette couche. MM. Barbot et Lemarié se sont alors avisés, après avoir nettoyé avec soin la surface du panneau qu'il s'agissait d'enlever, d'y appliquer, à l'aide de la colle-forte, des feuilles de papier superposées, par-dessus lesquelles ils collèrent un morceau de calicot. Lorsque le tout fut parfaitement sec souleva doucement cette espèce de carton et avec lui tous les cubes de on la mosaïque qu'on renversa sur une table bien unie, entourée d'un cadre de bois et recouverte d'une couche de plâtre. Au bout de quarante-huit heures au moins, le plâtre était devenu assez consistant pour qu'on pùt FABRICATION, EN ORIENT, D'OBJETS PRÉTENDUS ANTIQUES. 17 retourner le tout et détacher le plâtre de la table. En lavant avec de l'eau tiède on défît le cartonnage appliqué à la surface des cubes, obtenant ainsi l'aspect de la mosaïque transposée dans son intégrité première. Pour ajouter à l'illusion, le plâtre fut creusé aux bords de la mosaïque et on y coula du ciment fîn, obtenu avec les débris de celui sur lequel elle reposait; on lui rendit ainsi son véritable fades antique. FABRICATION, EN ORIENT, D'OBJETS PRÉTENDUS ANTIQUES En Orient, le commerce des antiquités telles que statuettes de divi- nités païennes en bronze ou en pierre, armes, vases d'argile ou de verre, écritures sur papyrus ou inscriptions sur pierre, momies, sarcophages, médailles, etc., a pris beaucoup d'extension. Ce développement est dû à la multiplicité des relations entre l'Orient et l'Occident, à l'accroissement du nombre des touristes et au goût plus prononcé de ces derniers pour les découvertes et les objets d'archéologie. Mais cette passion pour les antiquités a fait naître une industrie qui, pour n'être pas nouvelle, n'en est pas plus recommandable : celle de la fabrication d'objets prétendus antiques. Pour suffîre à la demande, des marchands peu scrupuleux n'ont pas craint d'établir des ateliers pour la confection d'objets qui n'ont d'antique que l'apparence. Dans ces ateliers clandestins, des vases d'argile, des statuettes, des dieux égyptiens ou phéniciens, des pierres avec inscriptions hébraïques, samaritaines, grecques, etc., des médailles portant des caractères hébreux, coufîques, etc., ont été imités à s'y méprendre. A l'aide de divers procédés, on leur a donné un air antique qui les fait passer pour des objets plusieurs fois séculaires. Tels sont, par exemple, les anciennes médailles arabes en argent du temps des Maccba- bées et celles en cuivre de l'époque du siège et de la destruction de Jérusalem par Titus, fort recherchées des archéologues et des amateurs, et dont plus d'une contrefaçon a circulé comme authentique. Les fabricateurs de ces antiques sont très habiles. Au moyen d'un liquide usité en Égypte et en Syrie, ils parviennent à donner au bronze, à l'argile, au marbre, la patine la plus trompeuse. Dans différentes villes d'Orient, notamment à Alexandrie, au Caire, MUSÉES. ~ 5 18 FAUX TABLEAUX — FAUX AMATEURS — FAUX EXPERTS. à Beyrouth et à Jérusalem, ces fabricants entretiennent des agents ou pour ainsi dire des commissionnaires. Il y a également beaucoup de Bédouins et de fellahs, répandus dans le pays, qui sont en relations d'affaires avec les susdits industriels. Les agents en question se chargent du placement de ce vieux-neuf, qu'ils vont enterrer en certains endroits, lesquels ne sont connus que d'eux seuls et dont ils ont bien soin de marquer exactement l'emplacement, par un signe imperceptible quelconque, pour pouvoir le reconnaître. Cette œuvre ténébreuse accomplie, ils guettent l'étranger, qu'ils sup- posent curieux de ces objets d'antiquité. Alors se passe une scène, toujours la même, et à laquelle les étran- gers se laissent prendre. Ce sont des supplications sans fin de la part du fabricant ou de son agent, pour engager les Bédouins ou les fellahs à faire des fouilles. Enfin, grâce à un pourboire, on parvient à vaincre leur résistance. Il s'écoule quelque temps avant qu'ils se mettent à la besogne, soi-disant avec une grande peine. D'abord, ils font semblant de ne rien trouver, jusqu'à ce que, après beaucoup d'efforts simulés, ils parviennent au trésor caché, que l'amateur est trop heureux de payer souvent fort cher. Et ceci, qui se passait hier, se passera encore demain, de la même manière et avec le même succès : en matière de haute curiosité, le proverbe est toujours vrai, qui veut qu'un bon averti en vaille deux. FAUX TABLEAUX — FAUX AMATEURS — FAUX EXPERTS De temps en temps, une œuvre contestable, et contestée par la suite, a fait l'objet d'une transaction fructueuse pour le vendeur, fâcheuse pour l'acheteur; celui-ci, renseigné par quelque ami complaisant, ou quelque concurrent évincé, ne veut pas laisser passer le fait sous silence, et, armé de la loi, il met en mouvement l'appareil judiciaire; il y a procès, poursuite en correctionnelle, commission rogatoire, rapports d'experts, condamnation, etc. ; et l'opinion qui a été saisie s'en va, clamant : « C'est atroce, le marché de Paris est perdu! on ne peut plus rien acheter! jamais le commerce des faussaires ne s'est exercé plus cyniquement! on est fondé à douter de tout! grand Dieu, en quel temps vivons-nous?... » Il est aisé de répondre à l'opinion si profondément et si légèrement émue. Le temps où nous vivons est très semblable aux autres, de ce fait qu'à toutes les époques il y a eu des faussaires et des truqueurs, au FAUX TABLEAUX — FAUX AMATEURS — FAUX EXPERTS. 19 XVIII® siècle, au xvii% au x\f, voire dans l'antiquité, à Rome, à l'époque de Néron : nous reviendrons sur cela avec des documents à l'appui. Il y eut toujours et partout des gens avisés et indélicats pour falsifier les œuvres d'art, pour imiter et contrefaire, et pour parer des plumes du paon les geais les plus piteusement dotés par la nature, ou mieux par des artisans inconnus. Donc, on a tort de vouloir porter des coups contre le marché de Paris, qui n'est ni plus ni moins dangereux que les autres marchés du vieux ou du nouveau monde. C'est affaire aux amateurs à ne pas se laisser duper, et, pour y par- venir, le seul moyen pratique est de lutter, plus encore que contre les faussaires, contre cette race aux appétits aveugles et insatiables, les faux amateurs. Les faux amateurs sont ceux qui ont la prétention de découvrir des merveilles pour un prix insignifiant, et la prétention également de trouver, dans les quarante-huit heures, preneur de leurs découvertes à des prix fabuleux; cene sont en somme que des ignorants grisés par des racontars mensongers, et avides de spéculer; or, la spéculation, quelle qu'elle soit et à quelque moment qu'elle fasse jouer ses ressorts, est une machine sujette à tous les aléas; elle comporte toujours des risques, sans quoi elle ne serait pas la spéculation; et tant pis pour ceux qui payent d'une décep- tion leur imprudence ou leur absence de scrupule. Les faux amateurs ont engendré les faux experts, et par faux experts, nous entendons ceux qui, à une expérience qui leur fait défaut et à une science qu'ils ne prennent pas le temps d'acquérir, suppléent par un imper- turbable aplomb et une audace qui ne désarme pas. Ces faux experts ont du bagout, un dédain absolu du ridicule, un estomac complaisant à avaler tous les camouflets que leur vaut leur magistrale ignorance, l'assurance insolente de ceux qui ne savent rien, le secret de jeter de la poudre aux yeux, et une astucieuse roublardise à se tirer sans trop de dommage des plus formidables gaffes. Mais ces gens-là, on les connaît, et l'odeur malsaine de leurnégoce ne suffit pas à contaminer tout un marché. Il y a, à côté de ces intermédiaires véreux pour spéculateurs pressés, des experts parfaitement dignes de cette qualification, des experts dont on peut écouter les avis en toute sécurité, et qui, s'ils ne promettent pas à un amateur des bénéfices immédiats, ne font entrer dans sa collection que des œuvres loyales. Que les amateurs s'adressent donc à ceux qu'un long passé de probité élève en quelque sorte à être les arbitres de la fluctuation des cours et les garants des titres d'au- 20 DIRECTION DE LA VOLUTE DES CROSSES D'ÉYÊQUE OU D'ABBÉ. ihenticité; qu'ils s'appuient sur la sincérité et la franchise des officiers ministériels, renseignés des choses de l'art, et qui ne se prêteraient pas à des enchères, dont les lendemains seraient pour eux l'occasion de graves déboires; et, comme par enchantement, on verra décroître le commerce des faux tableaux et des objets d'art faux; les malhonnêtes gens, faux experts et faux amateurs, seront contraints d'aller autre part exercer leur vilaine industrie et satisfaire leurs appétits délictueux, à moins qu'ils ne préfèrent revenir à leurs vrais métiers, et n'être que des camelots dont il est facile de se garder. Il y a pour parvenir à ce résultat une action de salubrité à laquelle les tribunaux pourraient prêter leur concours utile, s'ils daignaient consulter pour le choix de leurs experts les gens compétents, et ne pas confier d'aussi graves mandats à des individus qui parfois sont d'une incompétence notoire ; c'est avec un corps d'experts sérieux, choisis au besoin par leurs pairs, et autant que possible spécialisés dans un domaine déterminé par une compétence unanimement reconnue, que les tribunaux s'éviteront bien des erreurs, et aux contribuables bien des jugements, qui prêteraient à rire, si leurs conséquences n'étaient pas si fâcheuses pour ceux qu'ils atteignent, alors qu'ils les devraient protéger. DIRECTION DE LA VOLUTE DE LA CROSSE PORTÉE PAR UN ÉVÊQUE OU PAR UN ABBÉ Avant les crosses proprement dites, on ne connaissait que le bâton pastoral dont la forme a varié très peu dans les premiers siècles. La plupart des liturgistes indiquent, comme un signe distinctif des crosses d'évêques ou d'abbés, la direction donnée à la volute en la portant. Les abbés, a-t-on dit, la portaient tournée en dedans, c'est-à-dire vers l'épaule, parce que leur juridiction ne s'étendait pas au delà de leur monastère et les évêques, au contraire, la portaient tournée en dehors, vers le peuple de leur diocèse; les monuments que nous reproduisons contredisent cette assertion. Le Cérémonial des évêques recommande aux prélats, en allant à l'autel, de tenir leur crosse in manu sinistra, parte curva baculi ad populum versa, en même temps qu'ils doivent bénir de la main droite. Mais les monu- ments sont loin de se trouver d'accord avec la théorie des rubricistes MOYENS DE PRÉSERVER LE BOIS DES ATTAQUES DES INSECTES. 21 modernes. Le docteur Rock, qui s'est donné la peine de la vérifier sur un grand nombre de sculptures et de miniatures, l'a trouvée souvent en défaut; de semblables observations ne nous manqueraient pas à nous- I. Bâton pastoral, xi® siècle (tombeau de l'abbé Morand -j- 1014). — 2. Grosse d'évèque, xii® siècle (Ulger, évêque d'Angers, 7 T149).—5, 5, 6 et 7. Crosses d'abbé, xv® et xviii® siècles (Ar- moiries et Bornes des limites de propriété de l'Abbaye de S'°-Geneviève, à Paris). — 4. Crosse d'abbesse, xvi® siècle (pierre tombale de Catherine de Clermont, abbessedu Pont aux-Dames). même, ainsi que l'on peut en juger en examinant les monuments que nous reproduisons ci-dessus. La position delà crosse à la droite ou à la gauche du prélat n'a pas fait loi davantage dans l'antiquité, bien que, selon Gavantus, l'évêque doive la porter à gauche, pour qu'elle soit plus proche de son cœur. MOYENS DE PRÉSERVER LE BOIS DES ATTAQUES DES INSECTES PROCÉDÉS POUR LES DÉTRUIRE La question des insectes nuisibles aux ouvrages en bois, meubles et sculptures anciennes, d'un intérêt si puissant pour les musées et les gale- ries particulières, n'a pas encore reçu de solution définitive; elle mérite- rait d'être étudiée à fond, expérimentalement. La Commission, nommée en 1864 pour examiner cette question, avait bien, il est vrai, envisagé les trois points les plus importants, mais les Exemples des diverses directions de la volute des crosses d'évèque ou d'abré relevés sur des monuments du xi® au xviii® siècle 22 MOYENS DE PRÉSERVER LE BOIS DES ATTAQUES DES INSECTES. conclusions auxquelles elle s'était arrêtée, les seules qui paraissaient pouvoir être formulées à cette époque, n'ont pas donné, dans la pratique, les bons résultats qu'on se, croyait en droit d'en attendre. Rappelons cependant ici les trois points étudiés et voyons quelles solutions il serait possible de proposer aujourd'hui ; quels sont : 1" Les meilleurs moyens d'arrêter les ravages des insectes; Î2" Les moyens de guérir le mal déjà fait; 5" Les moyens d'arrêter la dégradation à ses commencements. Nous ne nous arrêterons pas à faire ici la critique des conclusions formulées par la Commission de 180i ; nous nous bornerons à dire que, à notre avis, aucun des remèdes indiqués n'était susceptible de produire les résultats que l'on en espérait. Aujourd'hui, la préservation des bois destinés aux ouvrages d'orne- mentation et d'ameublement, et leur désinfection s'ils sont contaminés, se présentent à nous sous deux aspects surtout : L Quels sont les moyens de préserver les bois des attaques des insectes ; 2" rtuels sont les moyens d'arrêter les dégcàts lorsqu'on les a constatés. I" Procedes de préservation. — A part les précautions que l'on doit prendre au moment de l'abatage, et dans le détail desquelles nous ne pouvons entrer ici, nous pouvons cependant rappeler que la nature des bois n'est pas indifférente lorsqu'il s'agit de leur conservation. On sait, en effet, depuis longtemps, que certaines essences sont presque toujours respectées par les insectes, soit à cause de leur odeur, soit à cause de leur dureté; nous pouvons citer le bois de Cèdre, et le bois américain que l'on désigne, en espagnol, sous le nom de Madera colorado de California (bois rouge de Californie) *. On trouvera, d'autre part, dans l'ouvrage intitulé : Les Insectes ennemis des livres (p. 248)'""N quelques indications sur les préparations que l'on peut faire subir préalablement aux bois destinés à l'ameublement. La plus effi- cace de ces pratiques est certainement l'injection, sous pression, de sub- stances toxiques ou antiseptiques. Mais la encore, il convient de dire, que les solutions de créosote, de sulfate de cuivre et même de sublimé corrosif, les plus fréquemment * Redwood en anglais. Cf. Les Insectes ennemis des livres. Leurs mœurs. Moyens de les détruire, G. docteur par Houlbert, «s-sciences. Paris, A. Picard et fds, 1903, in-S" (XXXVIII et 269 pages). MOYENS DE PRÉSERVER LE BOIS DES ATTAQUES DES INSECTES. 23 employées, n'ont pas une efficacité absolue; elles préservent très bien le bois contre les altérations dues aux champignons parasites [mycelium], mais leur action est presque nulle s'il s'agit des insectes et de leurs larves. Dans ce cas, le meilleur liquide d'injection serait le suivant à notre avis : Essence de térébenthine 1 litre. Cire jaune ordinaire 150 Résine grammes. sèche, finement pulvérisée. 150 Alcool grammes. méthylique phéniqué à 2 0/0 50 grammes. Ce mélange, très liquide à chaud, pénètre facilement sous pression, dans les canaux du bois; il se solidifie par refroidissement : alors, il englue et asphyxie tous les germes qu'il touche. La présence de ce liquide d'injection ne présente aucun inconvénient pour la mise en œuvre ultérieure du bois qui peut être poli, sculpté et peint comme à l'ordinaire. Pour les bois destinés à être polis on pourra même augmenter pour ainsi dire à volonté, la dureté du liquide d'injection refroidi, en élevant la dose de résine et par l'addition d'une petite quantité de gutta-percha (10 à 12 grammes par litre au maximum). 2° Procédés de deslruclion. — Cette question est certes des plus déli- cates, carle procédé le meilleur est celui qui pourra s'appliquer à la fois, aussi bien aux bois avant leur emploi qu'à la destruction des larves dans les bois ouvrés ornés ou non de peintures, de dorures, de sculptures, etc. Or, de tous les procédés préconisés jusqu'ici pour la stérilisation des bois, il n'y en a qu'un seul, à notre avis, qui soit radical et qui puisse s'appliquer à tous les cas: c'est l'emploi de la chaleur. Le bois, en eiTet, à part de légères déformations qu'il peut subir et qui se corrigent d'elles-mêmes par le refroidissement, supporte très bien l'action de la chaleur, surtout celle de la chaleur humide. Par conséquent, une pièce de bois, contaminée par les insectes, placée dans une étuve ou dans un autoclave à la température de 80 degrés pourra être rendue complètement stérile. Le temps à passer dans l'étuve variera bien entendu avec les dinien- sions de l'échantillon, mais nous estimons que, pour les pièces ordinaires d'ameublement, un séjour de 1 à 5 heures suffit largement. Ce procédé, peu dispendieux en somme, n'a qu'un inconvénient c'est que, le plus souvent, il oblige à démonter les meubles, les panneaux, les boiseries de toutes sortes, pour les porter pièce par pièce à l'étuve; mais ces inconvénients seront largement compensés par les résultats obtenus. LES POIRES DITES D'ANGOISSE. Il se prête aussi moins bien à la désinfection des objets ornés de peintures; cependant, dans ce cas, on pourra procéder de la façon suivante. Au lieu de laisser les pièces en bois pendant 4 ou 5 heures à Tétuve à 80 degrés, on pourra abaisser la température à 50 degrés [dernière limite) et pro- longer l'expérience pendant douze heures. A cette température de 50 degrés, les peintures ne s'altèrent pas ; quant aux autres objets, simplement dorés ou sculptés, ils la supportent sans le moindre inconvénient. Une remarque, avant de terminer. Si les pièces à stériliser étaient très minces et par conséquent exposées à se déformer ou à gauchir, on ferait bien de les attacher, avant l'opération, le long d'une barre ou sur une plaque métallique qui les soutiendrait par sa rigidité. Bien entendu, dans le cas où l'on n'aurait à sa disposition ni étuvc, ni autoclave, un simple four de boulanger pourrait rendre les mêmes ser- vices; la seule difficulté serait d'y régler convenablement la température. LES POIRES DITES D'ANGOISSE Si l'on en juge par les ciselures qui décorent la poire d'angoisse de la collection Sauvageot, au musée du Louvre (fig. 1, 2 et 5), on est amené h penser que c'est bien là un instrument de supplice à manier par des mains de justiciers, et pourtant on ne trouve nulle part une indication qui auto- rise à penser que les poires d'angoisse ne furent que des outils spéciaux aux professionnels du crime. D'après d'Aubigné, l'invention de cet objet, qu'on introduisait fermé et que l'on ouvrait ensuite dans la bouche du patient de telle sorte qu'il ne puisse la fermer, serait due à un féroce capitaine de bande, le capitaine Gaucher, moitié larron, moitié officier de police, de Villefranche-sur- Meuse, qui ne se fit pas faute de l'employer, et acquit, de ce fait, une réputation de cruauté redoutable. Dans VHistoire générale des humons, Amiens (1709), l'auteur prête cette invention à un célèbre voleur, Palioli, né dans les environs de Toulouse, « lequel eut accointance avec un serrurier de Paris fort subtil et adroit, et lui commanda un instrument tout à fait diabolique et qui a causé de grands maux dans Paris et par toute la France ; cet instrument était une sorte de petite poire qui, par de certains ressorts intérieurs, venait à s'ouvrir et à s'élargir, en sorte qu'il n'y avait moyen de la refermer ni de la ANACIIRONISMES DANS LES OEUVRES D'ART. remettre en son premier état qu'à l'aide d'une clef, faite expressément pour ce sujet. )) La poire d'angoisse était en somme une sorte de bâillon dilatant horriblement la bouche, à l'aide duquel l'homme le plus rébarbatif se Poire d'Angoisse (Collection Sauvageot, Musée du Louvre). 1. Fermée. — 2. Clef servant à faire fonctionner le mécanisme. — 5. Poire ouverte. Fig. 4 à 10. Autres poires d'angoisse fermées ou ouvertes. hâtait de devenir docile et silencieux; mais, si cet instrument de torture est assez connu par son nom significatif, il l'est moins par sa forme réelle et peu de Musées ou de Collections en possèdent des types. ANACHRONISMES DANS LES ŒUVRES D'ART Les falsifications, les substitutions produisent une foule d'erreurs ... lieu à de que l'antiquaire doit éviter avec soin, car ces erreurs donnent fausses explications. Mais ces fausses explications sont quelquefois aussi occasionnées par la manière dont ceux qui publient les monuments les représentent. Les infidélités ont pour cause le désir de les embellir ou l'ignorance des artistes, ou le dessein de faire cadrer les figures avec les explications. C'est ainsi que Struys et Serlio ont donné des figures fictives et de faux plans des monuments de Persépolis ; Laurus, Dacosta, Picart, Panvi- nius, etc., ont publié des amphithéâtres, des naumachies, des statues qui MUSÉES. — 4 '26 ANACimONISMES DANS LES OEUVRES D'ART. n'ont jamais existé que dans leur imagination, et plusieurs des docu- ments, figurés et décrits par Goltzius, sont justement suspects à quelques antiquaires. C'est à toutes ces causes que l'on doit les erreurs, quelquefois gros- sières, de ceux qui ont voulu expliquer les Monuments. Baronius a pris une Isis pour la Vierge; mais, cette erreur ne lui est pas particulière. La statue de la Vierge de l'église du Puy-de-Dôme était une Isis de basalte, tenant son Horus sur ses genoux. La plupart des Vierges noires étaient de même des Isis antiques ; la France en possédait beaucoup, apportées par les Sarrasins ou après les Croisades : toutes ont été brisées. C'est à la crédulité du moyen âge que nous devons la conservation de plusieurs pierres gravées, du plus grand prix, dont les sujets profanes s'étaient changés, au gré de l'imagination, en des sujets chrétiens et pieux. Le Valentinien, qui ornait le bâton cantaral de la Sainte-Chapelle, était, disait-on, un saint Louis; l'Apothéose de Germanicus était l'enlèvement de saint Jean-Baptiste dans le ciel, et le superbe camée, appelé l'agate de Tibère, qui représenteles triomphes de ce prince et l'apothéose d'Auguste, avait été regardé comme la marche triomphale de Joseph. Enfin, Neptune et Minerve donnant aux hommes le cheval et l'olivier, avaient été transformés en Adam et Eve mangeant le fruit défendu. Avec beaucoup de savoir et d'attention, les antiquaires eux-mêmes tombent souvent dans des méprises considérables. Le nom de Solon, sur une pierre gravée, a fait longtemps croire que la figure qui y est repré- sentée était celle de ce législateur, tandis que ce nom est celui de l'artiste à qui on en doit le travail. Un prœfecliis Viœriim a été transformé en saint Viar; une tête portant le nom du graveur Arethon, était l'image d'Aréthuse; la Minerve d'Aspasius était la figure d'Aspasie. Montfaucon, Belloni et Winckelmann eux-mêmes, se sont quelquefois trompés dans l'explication des monuments, et tout le monde connaît les rêveries du savant Hardouin, qui ne voyait, dans les légendes des médailles, que des lettres initiales qu'il remplissait avec une industrie prodigieuse. Ces erreurs sont celles attachées à l'espèce humaine; mais, il ne peut pas être permis à un artiste de représenter un héros grec avec un habit romain, des juifs contemporains du Christ en costumes vénitiens du xvf siècle, Jésus chez Marthe et Marie en costumes et dans un intérieur flamands du xviF siècle, et encore moins, un Hercule avec une perruque à la Louis XIV; enfin, on ne saurait tolérer la représentation d'OEcUpé dans un salon français, et tout homme de goût est choqué lorsqu'il voit ANACIIRONISMES DANS LES ŒUVRES D'ART. 27 Iphigénie remettre à Pylade, le fameux pantomime tragique, l'afíranchi d'Auguste, line lettre écrite sur du papier de chifTon et fermée comme celles qui sont portées chaque jour par la poste; Ésope parlant à la cour de Crésus à un colonel en uniforme français, et S trabón, dans Démocrile Ânwureux, voyant avec sa lunette des clochers et faisant des almanachs, nous paraissent avec raison également ridicules; enfin, avec une observa- [Exemple (ranachronisme commis par un peintre de TEcolc Flamande. II. Steinweyck fils représentant Jcsuf< chez Marthe et Marie en costumes et dans un intérieur ilamands du xvic siècle. tion plus attentive de Pantiquité, le vieil Horace n'appellerait pas Servius Tullius8¿Vc, et le grand Racine lui-même, qui était si pénétre de l'étude des auteurs classiques, n'aurait pas fait répéter si souvent le mot Madame à ses interlocuteurs. De nos jours on ne tolérerait plus, môme dans un chef-d'œuvre, la naïve insouciance de la vérité qu'on pardonne de si bon cœur aux chefs- d'œuvre des maîtres. Aujourd'hui, on veut qu'un peintre d'éventails, ou même un peintre de paravents, soit plus fidèle à cette vérité historique que ne l'ont jamais été Raphaël, Véronèse et Rembrandt, qui n'avaient aucun souci pour la couleur locale et, comme la plupart des peintres des xvP et xvn" siècles, habillaient leurs personnages avec des costumes de leur temps et ne se gênaient pas pour faire asseoir le roi François F' 28 HENRI II — CATHERINE DE iMÉDICIS — DIANE DE POITIERS. et rem])ereur Charlcs-Ouint à la table de Jésus-Christ. On veut qu'un statuaire ne drape pas en Grecs ou en Romains les grands hommes du moyen âge et de la Renaissance, sous peine de voir les connaisseurs rire de pitié et hausser les épaules ; on veut que le moindre théâtre ait une mise en scène plus exacte et plus soignée que celle des théâtres où Molière, Corneille, Racine et Voltaire créèrent l'art dramatique; on veut que le roman commun et éphémère soit plus vrai de costumes et moins sobre de couleur locale que Gil Blas ou la Princesse de Clèves. C'est que le public, qui juge les œuvres d'art et de littérature, a des notions sommaires d'histoire et ne permet plus aux lillérateurs aussi bien qu'aux artistes de les ignorer ou de les méconnaître. ERREUR QUI ATTACHE LE NOM DE DIANE DE POITIERS A TOUT CE QUI A ÉTÉ FAIT POUR HENRI II ROI DE FRANCE DEVISES, MONOGR.VMMES ET EMBLÈMES DE IIEMU II, DE CATHERINE DE MÉDICIS, ET CEUX DE DIANE DE POITIERS Il convient de combattre l'erreur qui attache le nom de Diane de Poitiers à tout ce qui a été fait pour Henri II, et se trouve naturellement décoré de sa devise, des croissants, ou d'un H combiné avec les lettres C qui ressemblent, elles aussi, à des croissants, et qui ne sont que la lettre initiale redoublée du nom de la reine Catherine de Médicis. Autant vaudrait dire que le palais du Louvre est aux monogrammes de Henri II et de Diane de Poitiers, et accuser ce souverain d'avoir affiché. Exemple d'anachronisme commis })ar un peintre de l'Ecole Italienne. Paul Veronese représenlanl les juifs en costumes vénitiens du xvv siècle,' dans son tableau Le Hmiquet de Simon le Lépreux. HENRI II — CATHERINE DE MÉDICIS — DIANE DE POITIERS. 2!) à une époque de réaclion religieuse, un cynisme qu'on ne saurait reprocher ni à Louis XIV ni à Louis XV. Mais telle est la fatalité, et l'esprit humain est ainsi fait : ces assertions, qui paraissent absurdes en y réfléchissant, accréditées par l'ignorance ou par un honnête amour du gain, tout le monde les accepte, et rien ne saurait les déraciner et les détruire. Les croissants, symbole de la déesse Diane, se glissèrent perfidement sur les œuvres même destinées à la reine Catherine, qui feignit de n'y rien 1 et 2. Devise el emblème de Catherine de Médicis, d'après un vitrail (Sainte-Chapelle de Vincennes). T). Coupe en Cristal de Roche avec couvercle en émail (fig. -4) au triple croissant de Diane de Poitiers (Cabinet de Florence), a et 0. Panneaux de porte en bois (Chapelle du château d'Anet) (N" 5. Blason des Brézé. — N" (5. Armes de France). 7 et 8. Triple croissant el Chiffre de Henri H el de Catherine de Médicis (Façade d'une maison à La Rochelle). voir, et adopta pour elle un monogramme ambigu où se retrouve aussi bien un G qu'un D. Quant aux croissants, elle les revendiqua plus tard comme siens, et sur les vitres de la Sainte-Chapelle de Vincennes elle fit peindre, longtemps après la mort du roi, les carquois et les croissants de Diane, avec les armes de son mari défunt. Il s'en faut de beaucoup que les reliures d'Henri II, ornées de ces figures, aient fait nécessairement partie de la librairie d'Anet. En bonne Italienne, Catherine vivait avec son mal ; épouse offensée, elle s'était donné la tâche d'égarer les critiques, elle n y ô(l HENRI II — CATHERINE DE MÉDICIS - DIANE DE POITIERS. est que trop parvenue. Quand elle est veuve et n'a plus rien à craindre, elle met sur les plats de ses volumes la lettre K, initiale italienne de son nom. Elle a ses devises de femme inconsolable, où son amour est figuré par une flamme que rien ne peut éteindre. La favorite porte le môme Monogrammes de Henri H, roi de France, et de Catherine de Médicis*. I. Tombeau de l'.^bbaye de Saint-Denis. — 2. Château d'Oiron. — 5 et 4. Faycnces de Rernard Palissy. à. Lettres C en forme de croissants, aux angles d'une reliure de la Ribliothèquc de Catherine de Médicis. 9. Monogramme de Hercule de Rohan. 10. Monogramme de Henri II, duc de Lorraine et de Catherine de Bourbon. deuil, mais elle n'a point la même crânerie. Elle revint au blason des Brézé qu'elle avait oublié au temps de sa splendeur, mais cache soigneu- sement les œuvres dues à la munificence du roi Henri. Il existe très peu de reliures aux armes de Catherine, écrivait M. Henry Trianon, pour soustraire la précieuse colleMctioonndoe gcerattempmrincees,secaruoxissant et revendications devise fort de Henri H et de légitimes de ses Premtrèisenrombreux Catherine de créanciers, l'historien Médiris. Auguste de Thou, ardent du bibliophile lui-mêmceii,ano[)mimtréegrand mLaivîtrreedceVlaHeures de Henri II, roi de France (Ribliollièiiue nationale dé Parme). * Les monogrammes I à 10 sont extraits de l'intéressant travail que M. Aglaüs Bouvenne, membre de la Société française d'archéologie, a publié sous ce titre : Les monogrammes Idslorùjues d'après les monameuls orig1inaux. Paris, Académie des 3 Bibliophiles,2 4- 5 MDCCCLXX. In-I8 (xxxi et 188 pages). CHRONOLOGIE DES DOCTRINES CATHOLIQUES. 7,1 librairie du roi, après la mort d'Amyot, obtint qu'un arrêt du parlement (1599) fit réunir les livres et manuscrits de la reine défunte à ceux du roi. On prétend même que, pour plus grande sûreté, les livres de Catherine furent dépouillés de leur reliure d'origine pour être habillés de la reliure royale. Il est toutefois certain que plusieurs d'entre eux échappèrent à cette rafle un peu autoritaire. CHRONOLOGIE DES DOCTRINES CATHOLIQUES UTILE A CONNAÎTRE POUR DETERMINER LA DATE DES MONUMENTS, DES TABLEAUX, ETC., SUR LESQUELS ELLES SONT REPRÉSENTÉES Dans le Chronolocjische Anzeiger [Indicaleur cJironologùjue), de Reymer, nous trouvons ce résumé instructif : L'introduction de VEciu hénUe ne date que de l'an 120 ; — la Pénitence ne fut introduite qu'en 157; — les Moines ne vinrent qu'en 548; — la Messe latine^ en 591 ; — les Dernières huiles, en 550; — le Purgatoire, en 595; — VInvocation de Marie et des Saints, en 715; — le Baise-pied du Pape, en 809; — la Canonisation des Saints et la Béatification des Bienheureux, en 995 ; — les Cloches, en 1000; — le Célibat des prêtres, en 1015; — les Indulgences, en 1119 ; — les Dispenses, en 1200 ; — VÉlévation de Vhostie, en 1200 ; — Vlnquisi- tion, en 1204; — la Confession orale, en 1215; — Vlmniaculée Conception, en 1860; — VInfaillibilité papale, en 1870. IMITATION ET CONTREFAÇON DES MEUBLES EN MARQUETERIE DE A.-C. BOULLE A la fin du xviii® siècle, les grandes réformes politiques qui s'opé- rèrent firent que l'art de la marqueterie fut compromis pendant près d'un demi-siècle, ce n'est que vers 1850 qu'il commença à se relever. Hauteville fut le premier qui régénéra la marqueterie. Après lui, Cambrune et Chevrel la relevèrent promptement. Cambrune perfectionna ce qu'avait commencé Hauteville, tant dans les outils que dans la manière d'opérer. Jusqu'à cette époque, la marqueterie, en général, était une des parties de l'ébénisterie. L'ébéniste dessinait, découpait, évidait et collait la marqueterie sur son meuble; elle devint à ce moment une spécialité. 32 IMITATION ET CONTREFAÇON DES MEUBLES DE C.-A. ROULEE. Aujourd'hui elle en forme plusieurs : la marqueterie de bois, celle de Boulle (écaille et métal) et la marqueterie massive pour parquets. Vers 1845 commença l'imitation du Boulle; cette contrefaçon fit de notables progrès ; toutefois ces travaux imparfaits, au point de vue de l'art, ne sauraient tromper les véritables connaisseurs. u La camelote, écrivait M. A. Lucliet, cette pieuvre, nous a pris et nous gouverne; peau sans chair, écorce sans bois, pelure sans fruit, la camelote est en tout et partout, et on s'en vante. « Nous avons vu, il n'y a pas longtemps, une fabrique de meubles en honlle où l'écaillé est fausse, la corne fausse, la nacre fausse, et l'ivoire contrefait par le bois de houx. « Quand Boulle employait le bois, dans son travail, c'était du bois d'ébène : on a renoncé savamment à l'ébène pour pratiquer le poirier noirci, sous prétexte que l'ébène est un bois gras, mal portant, capri- deux, difficile à manier, qui se fend, se gerce, prend mal la colle et repousse le vernis. Le grand ébéniste de Louis XIV trouvait magnifique le bois si maltraité par les contrefacteurs de ses travaux. Il ne s'inquiétait guère, à la vérité, comment le vernis y tiendrait, puisqu'il ne vernissait pas ses meubles. « Voici comment, de nos jours, on fait le meuble de boulle. Le dessinateur trace un dessin, jeu quelconque d'arabesques ou autres choses fantastiques, sorti de sa tête ou trouvé dans un recueil. L'ébé- niste, là-dessus, prend une feuille de cuivre laminé et une feuille de bois, ou de corne, ou d'écaillé*. « Ces deux feuilles sont superposées et solidement fixées. L'une d'elles reçoit le trait du dessin imaginé par l'artiste, qui parfois exécute ce trait lui-même et sur place. Puis arrive le découpeur, avec sa scie capillaire, qui suit le trait au travers des deux épaisseurs. Chacune donnant la même figure, ce qui est cuivre entrera dans l'autre matière, et réciproquement; c'est très ingénieux et très facile. Comme, aujour- d'hui, on ne tient pas essentiellement à la variété des dessins, folle et coûteuse fierté des anciens artisans, qui ne se répétaient pas plus dans un meuble que dans une église, on lie, l'un sur l'autre, jusqu'à six ou huit * L'écaillé, matière la plus riche et la plus chère, est de deux espèces. Il y a l'écaille franche des Antilles, souvent mauvaise et galeuse, mais favorable au travail commun, quoique ne se soudant pas, parce qu'elle est mince, égale, et qu'un peu de vermillon car- miné lui donne un rouge faux et transparent qui n'est pas désagréable. Il y a aussi l'écaille de l'Inde, belle et rare, épaisse, opaque, inégale, réclamant l'apprêteur et le soudeur ; elle ne sert qu'aux travaux relativement précieux, et reçoit volontiers une préparation en noir qui la rend magnifiquement austère. IMITATION ET CONTREFAÇON DES MEUBLES DE C.-A. BOULLE. 53 feuillets doubles, et on les découpe; puis on les assemble et on les plaque sur une caisse en bois honnête, ou malhonnête, qui sert de charpente à l'objet. « On encadre les dessus et les panneaux avec du cuivre ; on enrichit les coins, les montants, les pieds, les poignées, ainsi que les serrures avec des surmoulages en métal, que des marchands vendent 30 sous la livre tout faits, avec les trous pour passer les clous. « Mais prenez seulement ce grossier kilogramme de cuivraille jaune et informe qui coûte 5 francs et donnez 50 francs à un ciseleur, vous aurez de la marchandise de premier ordre. Or, pourquoi, disent la plupart, donner 30 francs à un ciseleur? Est-ce que le public s'y connaît? Cela reluit, cela suffît. Le malheur, c'est qu'à force d'avoir été abusé, le public com- menee à vouloir s'y connaître. « Un amateur nous faisait voir un lit dont il était fîer d'avoir fait l'acquisition, et qui pouvait valoir 100 écus. Ce lit est en faux boulle et il le croit en vrai ; nous n'avons pas voulu le détromper; mais nous lui avons fait observer que les appliques en métal avaient encore leurs bavures et étaient clouées sur le bois sans qu'on se fût même donné la peine de fraiser la tête des clous, etil a mal pris l'observation.... » Le faux boulle est fabriqué, en général, par des ouvriers en chambre, qui ne dessinent, ne découpent, ni n'assemblent leurs motifs; ils trouvent des incrustations toutes préparées chez les faiseurs spéciaux. La chose qu'on leur vend ressemble assez au procédé employé pour rentoiler un tableau. L'arabesque ou le sujet étant exécuté et placé dans une feuille de bois teint ou de fausse écaille de gélatine, qui se boursoufle à l'humidité, on colle proprement le tout sur du papier fort : l'ouvrier reçoit la feuille ainsi doublée et la plaque à l'envers, bien collée, sur son meuble : après quoi il enlève le papier, et voilà une œuvre faite. Il livre un entre-deux à deux portes d'un mètre de large sur cent vingt centimètres de haut, pour '200 francs, et même moins. L'objet est étalé, l'amateur passe, s'arrête, croit à du vrai et à du vieux, d'autant plus vrai et plus vieux que les cuivres sont plus horribles, car c'est là un des articles de notre ignorance en fait de meubles ; il entre et donne son argent. « C'est surtout, écrit Charles Asselineau, en comparant les ouvrages de Boulle à ceux de ses contrefacteurs que l'on en comprendra le véri- table caractère qui est une sorte de sobriété dans la richesse, loi que ses MUSÉES — 5 54 CADRES ET COFFRETS EN PATE PEINTE ET DORÉE. imilateurs ont oubliée pour tomber dans la prodigalité et la surcharge. » La belle disposition des lignes, la proportion, l'art de tirer partie des mêmes ornements en variant les combinaisons, le soin extrême des détails, voilà ce que l'on reconnaît en analysant les œuvres du maître de l'ébénis- terie française. Le nom de C.-A. Boulle est l'équivalent d'un substantif; on désigne ses travaux : Meïihles de Boulle. LES CADRES ET LES COFFRETS EN PÂTE PEINTE ET DORÉE Un orfèvre ou un sculpteur (au moyen âge ces deux arts se confon- daient) modelait en cire un bas-relief de petite dimension, prenait une empreinte de cette cire dans un mastic résistant et moulait dans ce creux, autant de fois qu'il voulait, ce bas-relief dans une pâte qu'on faisait sécher au four et qu'on appliquait ensuite sur des cadres ou sur de petits coffrets de bois. Les coffrets en pâte peinte et dorée sont des ouvrages délicats, écrivait M. Emile Molinier*; leurs pastillages reproduisent les charmantes arabesques qui forment le fond de la décoration italienne de la seconde moitié du XV® siècle. Sur la face des pilastres se dressent les vases et les candélabres; plus loin s'étalent les chimères qui servent de supports à de longues cornes d'abondance que becquètent des oiseaux; plus loin enfin se déroule quelque triomphe romain où nous assistons au dévoue- ment de Gurtius ou de Mucius Scsevola. D'autres sujets, mais en petit nombre, tels que la légende de Pyrame et Tbisbé ou le jugement de Pâris, rappellent seuls la destination de ces coffrets délicats que le moindre choc entame, que la moindre poussière ternit. Quel que soit le mérite de ces petits meubles, que viennent rehausser quelques touches discrètes de couleur, on ne saurait les comparer aux coffrets peints; les premiers sont de véritables œuvres d'art, dans toute l'acception du mot; les seconds, fabriqués en grand nombre, à l'aide de moules en creux, sont des travaux d'artisans; un artiste a dessiné ou exécuté les modèles dont ils collent à leur fantaisie les moulages en pâte sur un fond de dorure. (( Cette décoration fragile peut sans doute être très variée, les motifs pouvant en être disposés de mille façons différentes; mais un œil tant soit * Gf. La Collection Spitzer. (Les Coffrets). Paris, Librairie ccnlralc des Reaux-Arts Emile Lévy, éditeur). MDCCGXCdl, six volumes in-folio. CADRES ET COFFRETS EN PATE PEINTE ET DORÉE. 55 peu exercé reconnaît vite que ces diiTcrences ne sont qu'apparentes. Aussi bien, si les ornements sont généralement d'un bon style, les figures laissent parfois un peu à désirer; certaines formes même trahissent une influence allemande, bien explicable dans des monuments qui paraissent avoir été surtout fabriqués dans le nord de l'Italie. Si je rappelle que Coffrets, miroir et cadres en pâte peinte et dorée (Italie, xv·'-xvi" siècles). 1. Coffret exécuté en pâte moulée et rapportée sur un fond de bois recouvert de dorure. 2. Coffret recouvert de stuc doré, formant un fond sur lequel se détachent des ornements en pâte rapportée et peinte. 3. Miroir exécuté en pâte moulée et dorée. 4 et 5. Cadre (et détails) exécuté en pâte moulée, peinte et dorée. certains de ces bas-reliefs en stuc sont imités de bronzes, plaquettes ou revers de médailles et que, dans les mêmes moules qui ont servi à les produire, on a parfois estampé de minces feuilles d'argent dont le revers était ensuite garni de plâtre, j'aurai, je crois, signalé les points les plus intéressants de l'histoire de ces petits meubles qui n'ont pointd'analogues dans notre art français. » Une dorure générale confondait la pâte avec le fond du coffret de bois et donnait à un travail léger et facile l'apparence d'une œuvre d'orfè- vrerie. Le style de ces petites compositions est pris principalement dans les maîtres italiens et se montre partout identiquement le même. Nous 5() RÉPARATION DES OBJETS D'ART ET DE CURIOSITÉ. croyons que cette invention est vénitienne et qu'elle date de la fin du XV® siècle. Aucune inscription, aucune marque n'a indiqué jusqu'à présent sa localité précise. Ce procédé n'a pas reçu de développements en France, mais il y fut exploité ; un grand nombre de ces cadres et de ces coffrets se rencontrent dans les Musées et dans les Collections. RÉPARATION DES OBJETS D'ART ET DE CURIOSITÉ Chapitre 1 : Des produits emplojés. — Chapitre 2 : Préparations et nettoyages des pièces. — Chapitre 3 : Manière de refaire les morceaux manquants. — Chapitre 4 : Perçage des trous. — Chapitre 5 : Pose et collage des tiges ou goujons. — Chapitre 6 : Des collages à la colle forte et à la gomme laque. — Chapitre 7 : Du rebouchage. — Chapitre 8 ; Du ponçage de la pâte. — Chapitre 9 : De la charge ou première couche de peinture. — Chapitre 10 : Pour peindre les fonds. — Chapitre 11 : Préparation des couleurs de fonds. — Chapitre 12 : Polissage des fonds. — Chapitre 13 : Raccords et décoration. — Chapitre 14 : Réparation des marbres d'art et des albâtres. — Chapitre 15 : Réparation des biscuits de porcelaine. — Chapitre 16 : Nettoyage des terres cuites. — Chapitre 17 : Réparation des terres cuites et des plâtres. — Chapitre 18 : Manière de donner aux plâtres les teintes de terres cuites. — Chapitre 19 : Bronzage d'une terre cuite, plâtre artistique ou tout autre objet. — Chapitre 20 : Réparation des émaux et des cloisonnés. — Chapitre 21 : Réparation des laques de Chine, du Japon et des Vernis Martin. — Chapitre 22 : Pour faire sonner une pièce fôlée. — Chapitre 23 : Procédés pour nettoyer les bronzes dorés et les dorures sur bois. — Chapitre 24 : Collage des montures en bronze et des socles en bois sur les pièces. — Chapitre 25 : Réparation des verres de Venise et autres. — Chapitre 26 : Nettoyage des marbres d'art et des albâtres. — Chapitre 27 : Réparation d'antiquités Grecques, Romaines et des faïences à reflets métalli(iues. 1. Des imoduits employés pour la réparation. § I. Les couleurs employées pour la réparation sont les suivantes : Blanc d'argent, — Bleu de Prusse, — Bleu outremer, — Noir d'ivoire, — Jaune de chrome, — Ocre rouge, — Ocre jaune, — Vermillon, — Mine orange, — Laque carminée, — Laque violette, — Laque jaune, — Brun Van Dyck, — Vert Anglais, — Terre d'ombre brûlée. § IL Manière de les préparer — . Le blanc d'argent s'achète en grains ou en petites pastilles; vous le broyez sur une palette en marbre, ou en verre dépoli, avec un mélange que vous composerez d'avance contenant un tiers d'essence rectifiée et deux tiers de vernis à tableaux bien blanc. Tournez en tous sens avec une molette en verre en ayant soin de faire passer tous les grains dessous; faites ce blanc très fin et de la PRODUITS EMPLOYÉS POUR LES RÉPARATIONS. 57 consistance de la peinture à l'huile que l'on achète toute broyée dans des tubes en étain ; vous l'enfermez ensuite dans un petit pot bien bouché; ajoutez de temps à autre quelques gouttes du mélange décrit ci-dessus. Vous aurez à broyer de même toutes les autres couleurs que vous enfermerez et entretiendrez de la même façon, pour éviter la sécheresse et la poussière. § III. Vernis a l'alcool — . Le vernis à l'alcool blanc sert à peindre les fonds et à décorer, prenez de préférence le vernis Soebnée blanc A pour la bonne réussite, il se mélange bien avec les couleurs ; la manière de s'en servir est indiquée 10 *. § IV. Vernis a tableaux — . Il sert à broyer les couleurs, on l'emploie pour terminer la réparation des biscuits ou des marbres (voir 14 et 15) et pour vernir les réparations destinées à rester au dehors. § V. Des bronzes et ors — . On se sert ordinairement pour imiter les ors sur la porcelaine, de bronze très fin, appelé or jaune foncé, le vert anglais est très employé aussi; pour peindre au bronze il faut le délayer dans du siccatif liquide. Pour dorer à l'or fin en feuille, il faut mélanger de la colle d'or, avec un peu de jaune de chrome ou rouge sanguine; avec cette mixtion vous faites vos dessins ou filets; douze heures après, vous posez vos feuilles d'or dessus et vous égalisez avec un petit tampon de ouate. § VI. Colle de peau — . On en trouve chez tous les marchands de couleurs, elle fond de suite à une douce chaleur et devient liquide comme de l'eau; elle constitue, mélangée au blanc d'Espagne la pâte n" 2 (voir § IX) et entre dans les teintes de terre cuite pour les fixer. § VII. Plâtre a modeler — . On en trouve chez tous les marchands de couleurs. Il sert à faire les morceaux, vous en mettez dans un bol avec une pincée de sel blanc et vous gâchez avec de l'eau, ni trop clair ni trop épais; laissez quelques secondes de repos et utilisez-le. Pour le conserver, il faut l'enfermer et le mettre dans un endroit sec. § VIII. Blanc d'Espagne en poudre — . Se prépare en l'écrasant le plus possible et en le passant ensuite au tamis ou passoire fine. Sert à préparer les pâtes et polir les fonds ; il entre en partie dans les teintes de terres cuites. * Le signe indique qu'il faut se reporter au chapitre dont le numéro suit. 58 RÉPARATION DES OBJETS D'ART ET DE CURIOSITÉ. § IX. Pâtes a reboucher, deux sortes. — La pate n° 1 — se prépare en pétrissant avec un couteau plat, dit couteau à mastic, sur une palette en bois, du blanc d'Espagne passé au tamis, en y ajoutant une cuillerée à café de colle forte mélangée avec trois d'eau très chaude. Il faut faire cette pâte de l'épaisseur et de l'aspect du mastic de vitrier, et mettre du blanc jusqu'à ce qu'elle n'adhère presque plus aux mains. Introduisez-la dans un flacon à large ouverture et vous aurez de la pâte fraîche pendant quinze jours environ. La pate n" 2. — Se prépare de même, mais avec de la colle de peau fondue, sans eau; elle doit être versée très chaude sur le blanc. Elle sert à reboucher les terres cuites et tous objets à faire en teinte mate. § X. Colle forte — . Prenez en parties égales de la colle forte de Givet et de Lyon; brisez-la en petits morceaux à l'aide d'un marteau, faites-la tremper dans l'eau froide que vous mettrez jusqu'à la hauteur des derniers morceaux. Dix heures après, faites-la chauffer au bain-marie telle quelle, colle et eau, remuez de temps en temps pour bien les mélanger; lorsque le tout sera fondu et que vous verrez une écume monter à la surface, votre colle sera bonne à employer. Ajoutez de l'eau si elle est trop épaisse et faites-la chauffer longtemps si vous la trouvez trop claire. Une bonne colle doit avoir l'aspect d'une huile épaisse. § XL Gomme laque pure — . Vous l'achetez en feuilles, la plus blonde possible, jetez-en une poignée dans l'eau bouillante, elle se ramollira aussitôt et quelques secondes après vous la tirez en bâtons de la grosseur d'un gros crayon. On peut aussi la faire fondre à sec, dans une casserole et dans un four; quand elle sera fondue, vous la verserez sur un marbre et vous la tirerez en baguettes. Elle fait des collages très solides, pouvant résister à l'humidité. Elle sert à faire des petits morceaux lorsqu'on est pressé et est très utile pour coller les fers ou goujons. Mettez de cette gomme laque en feuilles à fondre dans de l'esprit-de-vin par moitié environ, vous aurez au bout de quarante-huit heures le vernis laque blond, très utile pour durcir les morceaux refaits et les plâtres d'art. § XII. Potasses — . Il y a deux sortes principales de potasses, le carbonate et la potasse d'Amérique. La première sert à nettoyer les objets sans trop les attaquer, elle fond presque de suite dans l'eau PRODUITS EMPLOYÉS POUR LES RÉPARATIONS. 59 chaude ; une poignée pour deux litres environ. La seconde, celle d'Amé- rique ne doit s'employer qu'avec précaution, parce qu'elle possède un fort mordant; à la dose de 100 grammes pour un litre d'eau, elle s'emploie pour enlever les vieilles peintures et les huiles. Si vous ne pouvez faire tremper la pièce à nettoyer, servez-vous d'un vieux pinceau et passez souvent la potasse avant le lavage. Un autre moyen, pour empêcher que cette potasse ne sèche sur l'objet, consiste à la briser en miettes et à la mélanger avec du savon noir; étendez cette pâte sur la pièce et lorsque vous aurez l'effet désiré, quelques heures après, brossez agrande eau avec une brosse en chiendent. § XIII. Tiges filetées et fil de fer vrillé — . On les emploie en fer ou en cuivre rond passés à la filière, pour donner plus de prise à leurs scellements ou collages. Elles servent à faire des goujons ou armatures. Le fil de fer vrillé s'obtient en prenant deux fils que l'on vrille ensemble en les attachant, d'un bout à un clou fixé au mur et de l'autre au vilebre- quin à la place de la mèche ; vous n'avez qu'à tourner le villebrequin tout en tirant sur vous. Ce fil sert à la construction des morceaux pour les armer et à faire de très petits goujons. § XIV. Vernis noir japonais — . S'emploie pour vernir les socles de statuettes; on devra l'étendre avec un blaireau et donner deux couches par intervalles d'un quart d'heure. § XV. Cire plastique — . Elle sert pour modeler ou pour mouler les morceaux à refaire. § XVI. Papier de verre et brins de prèle — . Le premier sert à unir et user les ressauts ou bosses et à poncer les pâtes, etc. ; on emploie dans la réparation le n° 6 pour dégrossir et le double 00 pour finir. Les petites pièces fines ou sculptures se poncent avec des brins de prèle. § XVn. Sel blanc — . Une pincée dans le plâtre à modeler le fait prendre beaucoup plus vite. ■"î» 2. Préparation et nettoyage des pièces a réparer — . Est-cé une potiche, un plat, une statuette, que vous avez à réparer? Essayez avant tous vos morceaux pour savoir quels sont ceux que vous devez coller les premiers. Si vous en avez beaucoup, numérotez-les 40 RÉPARATION DES OBJETS D'ART ET DE CURIOSITÉ. avec un crayon gras ou avec des étiquettes gommées. Commencez ton- jours vos collages de préférence par la base, en posant votre colle comme il est dit 0. Si l'objet a déjà été réparé, il faut enlever toute trace d'ancienne colle; si c'est de la gomme laque, grattez le plus gros et avec de l'alcool vous enlèverez le reste. Un autre moyen consiste à faire chauffer la pièce jusqu'à l'ébullition de la gomme laque, grattez vivement avec un vieux linge, et essuyez avec de l'alcool pour terminer. Ne jamais se servir d'eau pour les pièces en faïence ou en matière poreuse, parce qu'il faudrait attendre avant de faire votre collage, que vous êtes obligé de faire si l'ancienne réparation a été faite à la colle forte ou gélatineuse; dans ce cas, mettez tremper les morceaux à l'eau froide, douze heures environ, dans un récipient assez grand pour les submerger; brossez-les vigoureusement au sortir avec de l'eau chaude et faites-les sécher, soit dans une étuve douce ou auprès du feu, une jour- née ou deux ; il faut au moins huit jours à l'air libre. Ce séchage est très important et indispensable, parce qu'une fois le collage terminé, l'humidité, se trouvant retenue dans la faïence, et ne pouvant sécher à travers l'émail, détériorerait votre collage. o. Manière de refaire les morceaux manquants — . Un ou plu- sieurs morceaux manquent à votre plat ou assiette, appliquez delà gomme laque, en chauffant votre pièce à l'endroit où vous voulez faire un mor- ceau. Prenez ensuite de la cire plastique, faites avec, en Paplatissant, un morceau plus grand que celui manquant et d'un centimètre d'épaisseur ; appliquez-le sous votre pièce à l'endroit qui est à jour, en appuyant légèrement sur les endroits que touche la porcelaine, afin de coller cette cire. Vous aurez alors un creux de l'épaisseur de votre faïence qu'il ne vous reste plus qu'à remplir avec la composition («U 1, paragraphe VII) et à l'aide d'une spatule. Donnez un quart d'heure de repos, pour laisser prendre, et retirez votre cire, puis au moyen d'une ripe ou d'un canif vous terminez et affleurez ; passez au papier de verre et laissez sécher quarante-huit heures. Collez alors votre morceau, en promenant une flamme sur les parties où se trouve la gomme laque, étalée en premier lieu à cet effet. Grattez CÉRAMIQUE — MANIÈRE DE REFAIRE LES MORCEAUX MANQUANTS. 41 les bavures et passez, de cinq minutes en cinq minutes, deux ou trois couches de vernis alcool ; laissez sécher et rehouchez à la pâte les trous et les endroits creux. Quelquefois, certains morceaux refaits ne peuvent être terminés parce qu'ils tombent de suite ; il faut, dans ce cas, attendre qu'ils sèchent entiè- rement et les coller afin de les finir. Nous devons rappeler qu'il ne faut presque pas chauffer les nouveaux morceaux, on applique seulement de la gomme laque bouillante, sur l'endroit se raccordant au plat, et on chauffe plus fortement celui-ci. Si vous avez un modèle pareil ou une partie qui reste, semblable à celle que vous avez à refaire, appliquez, en appuyant, votre cire plastique dessus, après avoir humecté le modèle pour empêcher la cire de coller, vous aurez un moule que vous pouvez fixer à l'endroit manquant et que vous n'avez qu'à remplir de plâtre à modeler {<}* 1, paragraphe VII). Pour faire une jambe, un bras, une aile, ou une anse de vase, per- cez, si c'est possible, un trou et mettez du fil de fer vrillé, que vous fixez à la gomme laque, comme il est dit 5, et sur lequel vous construisez votre morceau. On donne plus de dureté aux morceaux en les faisant tremper, une fois bien secs, dans un bain de vernis alcool, pendant six heures environ, et en laissant sécher deux ou trois jours; la composition deviendra plus dure que la faïence. 4. Perçage de trous pour poser des goujons — . Prenez un burin carré de graveur, que vous trouverez facilement chez un quin- caillier, emmanchez-le dans un bout de bois rond, de la grosseur d'un manche à balai et de 15 à 14 centimètres de long, ne laissez sortir le burin que de 5 ou 4 millimètres; taillez le bois comme si vous tailliez un très gros crayon et affilez, sur un grès, l'acier en coupant de tournevis et en diagonale au carré de votre burin. Si vous désirez percer delà porcelaine, trempez le bout de votre outil dans l'essence de térébenthine et affûtez-le souvent. Pour la faïence ou autre matière tendre, comme la terre cuite, le plâtre, etc., l'essence est inutile et un seul affûtage peut suffire. 11 faut avoir plusieurs de ces burins, de différentes grosseurs et toujours prêts à être utilisés. Les plus jjetits doivent avoir I millimètre de côté et les plus gros 7 à 8 millimètres. ' Le meilleur moyen de les emmancher consiste à scier le bois en deux ■MUSÉES — 0 42 RÉPARATION DES OBJETS D'ART ET DE CURIOSITÉ. dans toute sa longueur et à faire une petite tranchée sur le milieu avec une scie, puis vous encastrez le burin dedans; vous collez ensuite les deux morceaux de bois, que vous serrez avec une ficelle et qui doit rester jusqu'à ce que la colle soit sèche; vous aurez fabriqué un crayon ayant une pointe en acier. Pour rendre à certaines pièces plus de solidité, et où on ne peut mettre des goujons intérieurement, on pose des agrafes en fil de fer, que vous rendrez invisibles en faisant une petite tranchée, au moyen d'une lime tiers-point ou d'une râpe, reliant les deux trous de l'attache, afin d'y recevoir celle-ci, puis vous la recouvrez au plâtre ou à la pâte. Ce moyen ne peut être employé pour la porcelaine, à cause de la dureté de cette matière ; toutefois vous pouvez vous adresser à un spécia- liste possédant des meules émeri. 4* 5. Pose et collage de tiges ou goujons — . On se sert de fer ou cuivre rond, de préférence fileté. Après avoir percé deux trous dans l'épaisseur de la cassure et bien en face l'un de l'autre, vous coupez un goujon de la longueur égale à la profondeur des trous et vous l'essayez, en rapprochant les morceaux ensemble ; s'ils ne se joignent pas exactement, coupez votre fer ou faites les trous plus profonds, et s'ils n'ont pas été faits dans la môme direction, courbez votre tige ou faites-les plus larges. Si la pièce est en porcelaine ou en matière pouvant être chauffée, scellez vos fers à la gomme laque ; à cet effet, chauffez votre pièce à l'en- droit des trous et toujours progressivement jusqu'à ce que la gomme laque puisse fondre au contact. Introduisez alors une petite baguette de cette colle dans chaque trou, et, au moyen d'une pince, chauffez assez fort votre tige préparée que vous enfoncerez rapidement dans les trous; approchez à la flamme, le bout de la tige qui sort, afin de le réchauffer à nouveau et sans perdre de temps, introduisez-le dans l'autre trou vis-à-vis. Maintenez vos morceaux quelques instants jusqu'à ce qu'ils soient pris, en ayant soin qu'ils restent bien à leur place. Pour les pièces qui ne peuvent être chauffées, comme le plâtre, l'albâtre et certains marbres, vous introduisez dans les trous un morceau de gomme laque, que vous rendrez adhérent au moyen d'une tige que vous CÉHAMIOUE - MANIÈRE DE REFAIRE LES MORCEAUX MANQUANTS. 43 enfoncerez chauffée presqu'au rouge. On scelle quelquefois les goujons avec le plâtre mélangé d'une pincée de sel blanc, mais il faut les enduire d'une couche légère de gomme laque, afin d'éviter la rouille, ou le vert-de-gris si les tiges sont en cuivre. C. (Collage a la colle forte et a la gomme laque. — A la colle forte. — Après avoir préparé vos morceaux comme il est dit 2, prenez les iV" 1 et 2 à coller, étendez votre colle forte, très légèrement, sur un côté seulement, si c'est de la porcelaine, et sur les deux parties pour la faïence ou une matière absorbante; approchez vos morceaux l'un contre l'autre bien en place, en vous guidant sur les dessins, pein- tures ou filets; pressez graduellement et sans force; présentez la fente quelques secondes, à une flamme de gaz, ou à celle d'une lampe à esprit- de-vin, en évitant de faire brûler la colle; continuez la pression encore un peu, à ce moment les morceaux se rapprocheront facilement. Enlevez de suite les bavures de chaque bout dans l'épaisseur de la faïence; sans cette précaution, vous ne pourriez coller les autres mor- ceaux. Laissez votre collage en repos dix à quinze minutes, ou si vous avez le temps, jusqu'au lendemain. Vous continuerez ainsi de suite jusqu'au dernier morceau; laissez sécher douze heures et grattez les bavures avec précaution; nettoyez le reste avec un chiffon imhibé d'eau tiède; passez ensuite au rebouchage («h- 7). 2" Collage à In gomme laque. — Pour coller à la gomme laque, il faut en premier lieu observer la préparation décrite 2. Ne se servir pour chauffer que du gaz, bec Bunsen, ou, à défaut, de la lampe à esprit-de-vin. Faites chauffer progressivement vos morceaux, jusqu'à ce qu'ils soient assez chauds, de façon qu'en frottant un bâton de gomme laque dessus, celle-ci puisse fondre au contact et s'étaler facilement. Mettez de cette colle des deux côtés, aux morceaux vis-à-vis; appro- chez-les vivement l'un contre l'autre et bien en place en pressant for- tement. Si votre colle se refroidit et empêche le serrage, passez de suite la flamme du gaz ou lampe dessus et dessous la fente. Laissez refroidir et passez aux autres morceaux. Le tout étant fini de coller, grattez les 41 RÉPARATION DES OR.IETS D'ART ET DE CURIOSITÉ. bavures, une friction au papier de verre arrosé d'alcool enlèvera le reste; votre pièce est alors prête au rebouchage. 7. Du REBouciiAGE. — Votrc pièce étant finie de coller et bien propre, prenez de la pâte n" 1 pour les faïences et porcelaines, et le n° 2 pour les terres cuites et les plâtres. Servez-vous de la spatule pour faire ce petit travail, en ayant soin de faire entrer la pâte dans tous les trous occasionnés par les petits morceaux manquants, et le long des cassures, afin de boucher les plus petits interstices. Les gros trous doivent être bouchés comme il est dit 5. Si vous avez des ressauts, il ne faut mettre la pâte que d'un côté de la fente; passez ensuite votre doigt humide pour égaliser, et laissez sécher jusqu'au lendemain. Faites ensuite le ponçage. *}* 8. Ponçage de la pate — . La pâte étant bien sèche, égalisez-la en usant au papier de verre n" 0, et en prenant garde de ne pas rayer l'émail de la pièce; terminez avec le double 00. Assurez-vous, au toucher, s'il n'existe plus de bosses ou ressauts. Si vous sentez encore des trous, il faut les reboucher de suite, sans quoi le travail suivant en souffrirait. Nettoyez bien les poussières blanches, et les endroits sales, avec ' un chiffon, ou avec un pinceau de soie pour les sculptures ; passez, dessus votre pâte bien unie, un léger coup de vernis incolore à l'alcool. Votre pièce sera prête à la charge (♦F 9). Nous recommandons les brins de prèle, extrêmement utiles pour travailler sur les sculptures ou statuettes fines, et où le papier de verre devient impossible à manier. 9. Charge ou première couche de peinture — . Mettez la grosseur d'une noisette de blanc d'argent d, paragraphe II) sur votre palette; versez dans un godet un peu de vernis à l'alcool [-i* I, paragraphe III); trempez votre pinceau dedans; délayez une parcelle de votre blanc avec et passez délicatement cette peinture vernissée sur les fentes, donnez vos coups de pinceaux en angle de 45 degrés si possible avec les fentes, repassez plusieurs fois de suite, par intervalles de 5 à 10 minutes, jusqu'à ce que les traces des cassures disparaissent ou que les morceaux refaits soient bien couverts. Laissez sécher dans un endroit chaud, jusqu'au lendemain, deux jours seraient mieux si vous aviez du temps. La pièce séchée, vous usez le plus gros de cette peinture au papier CÉRAMIQUE MANIÈRE DE REFAIRE LES MORCEAUX — MANQUANTS 45 de verre double 00 et quelques gouttes d'huile ordinaire, sans appuyer et avec beaucoup de précautions. Vous alors, sur les cassures, une partie blanche ou enduit aurez lisse, cachant toutes les défectuosités, ce que la pAte n'a pu faire, vous prépa- rant ainsi fond dur, sur lequel vous pourrez peindre votre fond un définitif (voir "h 10). Il faut se servir de pinceaux plats, en martre, à poils courts, et les nettoyer de suite, dans l'esprit-de-vin, une fois votre travail terminé. 10. Pour peindre les fonds — Mettez sur un coin de votre . palette, eii haut, un peu de blanc préparé au ton du fond 11) de la à réparer; vous le prendrez avec votre couteau à pièce que vous avez petites parcelles pour peindre, parce que si vous faites palette, par du vernis dans cette réserve, vous ne pourrez l'utiliser entièrement. entrer Trempez votre pinceau plat dans le vernis et délayez avec, sur le milieu de votre palette, un grain de ce ton ; peignez avec cette peinture et en vernissée sur les cassures jusqu'à ce que celles-ci disparaissent se ayant soin de bien fondre les bords, pour que votre peinture et l'émail le confondent. Ce travail terminé, laissez sécher deux jours et faites polissage 12). Nettoyez de suite vos pinceaux dans l'esprit-de-vin. ♦h 11. Préparation des couleurs de fonds — . Prenez la quantité suffisante de blanc d'argent (v 1) pour le travail que vous avez à faire; mélangez-le sur votre palette, au moyen de votre couteau,avec une pointe s'il est de bleu outremer («h 1), si votre fond est bleuté, ou vert anglais; verdâtre, ajoutez soit ocre jaune ou rouge, jaune de chrome, etc., de votre essayez votre teinte assez souvent, en approchant la pointe couteau à palette, garnie de cette peinture. Certaines faïences ou porcelaines demandent du jaune, du vert, du de la laque carminée, etc. Les couleurs de fonds étant d'une rouge, grande variété, il nous est impossible de donner ici les quantités, et les les imiter. Nous laissons à l'amateur le soin couleurs exactes pour d'employer les teintes convenables et les bons mélanges, pour arriver au succès du ton juste, il lui sera facile d'acquérir du goût avec très peu de pratique. Polissage fonds Votre fond étant bien sec et du 12. des — . ton exact de celui de votre pièce : prenez une pincée de blanc d'Espagne 4g RÉPARATION DES OBJETS IVART ET DE CURIOSITÉ. écrasé, accompagné d'huile incolore, frottez avec ce mélange, au moyen d'un petit chiffon, en tous sens sur la réparation et sans appuyer; vous verrez s'unir la couche de peinture, et les bords se fondre complètement. Essuyez bien votre pièce, puis avec un morceau de vieille toile et avec une goutte d'huile, finissez votre polissage; un bon coup de chiffon sec et l'opération sera terminée. Si vous voulez plus de brillant donnez une couche de vernis fin Soehnée (-^ 1) et votre objet sera prêt à décorer 15). 13. Raccords et décoration — . Raccordez au crayon les dessins qui ont été recouverts par la peinture du fond ; peignez-les au moyen des pinceaux fins, ronds et pointus, avec les couleurs que vous aurez corn- posées d'avance au même ton que celles qui restent. Trempez votre pinceau dans le vernis alcool et détrempez vos cou- leurs, toujours par parcelles, comme nous l'indiquons -!> 10, afin de ne pas détériorer votre réserve, que vous devrez mettre de côté, dans le haut de la palette. Décorez d'une main assurée, parce qu'une fois votre peinture posée, il serait très difficile de corriger sans détériorer les fonds. Dans toutes ces couleurs il entre presque toujours du blanc d'argent; sur certains décors, il faut revenir au moyen de glacis composés du même ton allongé de blanc, ce qui imitera la transparence de l'émail, une fois le dernier vernis posé. Dans certains bleus, il entre du jaune, du rouge, de la laque carminée et violette, du noir, etc. ; passez ensuite une couche de vernis miner pour ter- définitivement votre travail. Après un séchage de 48 heures on peut au besoin faire un léger polis- sage à l'huile pure. Si vous avez du décor doré à faire, ne le faites le vernis final qu'après ou le polissage. Voir la manière de peindre les ors 1, paragraphe V. 14. Réparation des marbres d'art et des albatres — . *1" 15, Voyez réparation des biscuits, et suivez exactement la même méthode pour les marbres d'art blancs et les albiUres ; s'ils sont de couleur, faites MARBRES ET ALBATRES — BISCUITS — TERRES CUITES ET PLATRES D'ART. 47 VOS raccords comme il est dit 13; une fois le décor bien sec, terminez par une friction légère d'encaustique, que vous frottez avec un morceau de flanelle. *1» 15. Réparation des biscuits de porcelaine — . Faites les collages à la gomme laque (4- 6), grattez les bavures, enlevez le reste au papier de verre n° 6, arrosé de quelques gouttes d'esprit-de-vin. Nettoyez ensuite votre biscuit à l'aide d'un pinceau de soie et de l'eau tiède contenant unpen de carbonate, et finissez avec du savon de Marseille; faites une friction d'eau de javelle et rincez à grande eau. Si des morceaux manquent, faites comme il est dit 4- 5 ; s'ils ont besoin d'une grande solidité, percez des trous, pour mettre des fers, sur- tout si ce sont des bras, des jambes, ou des ailes, que vous avez à refaire. Chargez les cassures 9) ou morceaux au même ton que celui du biscuit ; douze heures après, unissez au papier de verre double 00; donnez une nouvelle couche de peinture (í>· 27. R éparation des antiquités, et des faïences a reflets métal- liqües. — Les antiquités sont très faciles à réparer; collez-les à la gomme laque et refaites les morceaux comme il est dit 18, raccordez les cas- sures avec la préparation 19, en mettant beaucoup plus de blanc que pour les terres cuites ordinaires. Vous imiterez parfaitement les restants de terre, qui adhèrent encore à ces antiquités, avec du ciment et de la colle de peau. Pour réparer les antiquités étrusques, suivez exactement le même procédé que pour la réparation des faïences; mais, au lieu de polir pour terminer ce travail, il faut donner une friction d'encausticpie. Les faïences Hispano-Arabes à reflets métalliques se réparent, pour commencer, comme les autres faïences (-«1- 6). On imite les reflets de ces faïences avec du bronze rouge feu très fin, sur un fond brun Van Dyck ou un fond de terre d'ombre, selon la couleur du plat. Vous pouvez aussi faire les décors avec une mixtion de colle d'or et, douze heures après, au moyen d'une estompe trempée dans le bronze en poudre, vous frottez légèrement sur les dessins mixtionnés. LA CÉRAMIQUE PATRIOTIQUE PENDANT L'ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE FRANÇAISE Le dix-huitième siècle vit fleurir une mode charmante, qui fut long- temps la joie de nos aïeux. C'était d'ailleurs une mode toute démocra- tique, amie des petites bourses et des pauvres gens, qui puisait la meil- leure part de son origine dans sa forme franchement populaire. Elle consistait à faire peindre, sur les pièces de faïence les plus usuelles, des portraits, des allégories, des poésies galantes, des emblèmes patriotiques, etc. Cette coutume de faire parler la faïence n'était pas une invention nouvelle; elle remontait, pour ainsi dire, aux premiers bégayements de l'industrie du potier émailleur. Pour ne citer qu'un LA CÉRAMIQUE PENDANT L'ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE. 53 exemple, nous rappellerons les curieux vases sigillés, du xv® siècle, dccouverls à Paris dans les sables de la Seine. Semblable à ces hommes qui, avant de mourir, ont une seconde enfance, notre céramique nationale, vieillie et quelque peu dégénérée, obéissait simplement à cette loi naturelle et revenait pour quelque temps aux allures naïves de sa jeunesse. Mais cette dernière phase, qui dura un siècle environ (1750-1830), fut très curieuse par sa fécondité et par son style libre et original. Cette renaissance de la vaisselle parlante produisit un nombre fan- tastique de poètes, de caricaturistes, de philosophes et de patriotes, tous gens pleins de conviction et de gaieté, mais fort brouillés avec la gram- maire et très enclins à s'insurger contre les règles de l'ortliograplie. Quoi qu'il en soit, la collection des faïences parlantes forme un véri- table livre d'histoire dont les feuillets d'émail, racontent, en quelques traits saisissants de vie et de réalisme, les mœurs de toute une génération. Nous venons de dire que la renaissance des faïences parlantes datait de 1730; il faut enregistrer cependant quelques essais, précurseurs timides de la mode nouvelle, qui firent leur apparition cinquante ou soixante ans plus tôt; nous signalerons, comme exemple, les compositions du potier parisien, Claude Révérend. Nous n'avons pas formé le projet d'écrire un travail complet sur la céramique populaire, divisée en trois groupes : céramique littéraire; céramique patronale ou religieuse ; céramique patriotique; nous voulons seulement donner quelques notes sur les divers genres pratiqués par les chroniqueurs sur faïence à l'époque révolutionnaire française en choisis- sant les types qui les caractérisent. On nomme quelquefois franco-nivernaises les faïences patriotiques, pour indiquer que presque toutes sont originaires de la Nièvre. Cependant, il est utile de remarquer que Nevers n'a pas eu le mono- pole de ces curieuses faïences. Toutes les fabriques françaises, qui exis- taient encore au début et pendant le cours de la Révolution, participèrent, plus ou moins, à la fabrication de ces pièces politiques. Nevers, qui possédait plusieurs manufactures de faïences popu- laires, s'est certainement rendue célèbre par le nombre fabuleux de ses produits en ce genre; mais ses potiers se signalèrent aussi parla vulgarité de leur décoration. A ce point de vue, les céramistes de Moustiers et de Marseille furent très supérieurs. Comment comparer, en effet, les fines compositions des continuateurs d'Olery de Moustiers, à celles des oí LA CÉRyVMIQUE PENDANT L'ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE. ceramistes patriotes de Nevers. Cependant, la faïence nivernaise présente un réel intérêt; sans doute elle est moins artistique, mais elle est en même temps la plus originale. « Autant l'imagerie populaire tracée sur le papier entre 1780 et 1705 manque d'originalité, écrit M. Maurice Dreyfous'^, autant est plein d'intérêt tout l'art naïf et charmant déployé à profusion sur les faïences communes, aux mêmes dates. Peu de manifestations d'art, aucune mani- festation d'art peut-être n'a traduit avec pins d'émotion le temps dont elle est née. En vérité, lorsqu'on parcourt des yeux une collection d'objets de faïence, qualifiés, par les amateurs, faïences révolutionnaires, c'est tout un temps, c'est toute une vie, tout un monde que l'on sent palpiter dans ses souvenirs, et c'est aussi, par cette palpitation même, une bizarre et profonde sensation d'art qu'on éprouve. S'il fallait prouver que ces bibelots sont, en réalité, des œuvres d'art, il suffirait de faire remarquer que, depuis plus d'un demi-siècle, on ne cesse d'en faire des copies modernes, qui restent intéressantes pour tous, comme le seraient des copies de bons tableaux. Sans pousser la supposition jusqu'à l'absurde, on peut admettre que les archéologues de l'an 1000, s'ils ont conservé nos méthodes de travail, en ces sortes de sujets, rechercheront, sur ces faïences, les traces de la vie historique des Français de la fin du xviii® siècle, comme les archéologues du temps présent s'efforcent de retrouver celles des peuples anciens, parmi les poteries antiques de la Grèce, de Rome ou de l'Egypte. « Dans la céramique révolutionnaire, la composition, comme l'idée qui l'inspire, est d'une entière naïveté. Le dessin et la couleur prennent quelque chose d'enfantin qui correspond, de façon parfaite, à l'état d'éducation des bonnes gens, de la foule, qui mangeaient dans ces assiettes, qui piquaient dans ces plats, ou buvaient à la régalade, dans ces pichets. Tout en prenant leur repas, ils regardaient, autour d'eux, cette vaisselle qui ramenait leur esprit vers les pensées patriotiques et vers les pensées politiques dont la vie de chacun, à toute heure, était pleine. « La faïence révolutionnaire a été étudiée, et quelque peu cataloguée, dans un fort beau livre écrit par Champileury''* et duquel ressort, comme conclusion, que cet art des faïences populaires, malgré son apparence de * Cf. Les Arts et les Artistes pendant la période révolutionnaire (1789-1795), d'après les Documents de l'Époque, par Maurice Dreyfous. Paris, Paul PacloL et C", s. d. (1906), in-18, (471 pages). ** Histoire des faïences patriotiques sous la révolution, par Champfleury. Paris, E. Denlu, 1867; in-18, (XII et 40i pages). LA CÉRAMIQUE PENDANT L'ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE. 55 travail grossier au point de vue de l'Ecole, n'en est pas moins de l'Art dans le sens le plus élevé du terme. Il l'est, en effet, d'une façon supé- rieure, car il enferme, car il éternise dans sa forme, une parcelle restée vivante de la vie parmi laquelle il fut accompli. « On s'imagine très volontiers revoir ces faïences égayant de leurs couleurs vives, les repas fraternels qui, en 1794, étaient tenus en pleine rue. La table était couverte d'une vaisselle où se trouvait représentée, avec une variété infinie, l'histoire des faits de la Révolution. Les assiettes. Fig. I, 5, 8 et 10. — Assiettes (Nevers et École Nivernaise). Fig. 4 il 7 — Assiettes avec emblèmes révolutionnaires et IVanc-maçonniques. Fig. 2 et 9. — Encriers polychromes (n° 2, Fabrique d'Auxerre). les plats, toutes les pièces du service passaient et repassaient sous les yeux et par les mains des témoins du grand drame; ils circulaient, comme pour répandre tout autour des tables, des idées, des témoignages, des souvenirs. Dans telle soupière, au ventre de laquelle étaient peints les bonnets, les drapeaux, les faisceaux, les médaillons d'hommes illustres de la Convention, reliés entre eux par des nœuds de ruban tricolore, on servait cette fameuse soupe symbolique que l'on appelait la soupe ci la cocarde. Le goût des symboles allait jusque-là. C'était une soupe aux choux, dans laquelle on faisait entrer savamment : des feuilles de chou rouge, des feuilles de chou blanc, et ces feuilles d'un vert bleuté qui sont la première enveloppe des choux d'une espèce spéciale. Elle était si popu- 56 LA CÉRAMIQUE PENDANT L'ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE. laire, celte soupe à la cocarde, qu'il fui un momeiiL où : <( Soupe à la cocarde! » devint une sorte de juron de gaieté. « Il va sans dire que les symboles surabondaient dans la composi- tion de la vaisselle populaire; tout ce que la mythologie révolutionnaire comporte de plus curieux s'y retrouve toujours et partout. Les fabricants résidaient le plus généralement à Rouen et à Nevers; il y en avait égale- ment à Beauvais, à Lille, à Saint-Omer, à Ilesdin, mais les produits de ces derniers étaient, pour la plupart, de qualité et de conception infé- Heures. Dans le Nord, on confectionnait surtout des objets d'usage le plus courant, et, parmi ces objets, des poêles. La Convention possédait entre autres choses curieuses, un poêle de faïence, haut de i"b33, profond de 74 centimètres et représentant la forteresse de la Bastille. Il lui avait été offert par le céramiste Ollivier. Ce même Ollivier devint lauréat du lycée des Arts, en récompense de la construction de diverses fontaines allégo- riques en faïence. « En réalité, la faïence révolutionnaire était, à certains moments, devenue, en quelque sorte, une forme de journalisme. Si l'on prend une série d'assiettes, tout à fait communes, de ces assiettes qu'on devait vendre sur les marchés de village et dans lesquelles les plus humbles Fig. I, 'i, 5, 4 et 7. — Saladiers et Assiettes (Nevers et École Nivernaise). Fig. 5. — Gargouline polychrome (Moustiers). — Fig. 6. — Gobelet polychrome (Nevers). LA CÉRAMIQUE PENDANT L'ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE. 57 mangeaieiiL la soupe, on peut, en les classant par ordre de dates, suivre, pas à pas, les grands événements du temps, qu'elles révélaient à chacun, sous forme d'une imagerie tout à fait rudimentaire, au fur et à mesure de leur production. Jusque dans les plus petits hameaux, elle les racontaient sous un aspect relativement sévère, mais qui n'en équivalait pas moins à des synthèses faciles à comprendre et à déchiffrer par des illettrés. Elles équivalaient, au total, à ce que nos marchands de faïence banale font cir- culer sur nos marchés de village, sauf que, maintenant, les illustrations sont devenues ces petits rébus que les bonnes gens s'amusent à déhrouil- 1er sur les tables de l'auberge, tout en mangeant leur fromage. « Le ballon de Fleurus, la Déclaration des Droits de l'homme, l'Aho- lition des privilèges, apparaissaient tour à tour; leur avènement s'étahlis- sait devant chacun, par ces faïences qui circulaient de village en village, de table en table, comme la menue monnaie courante des faits et des idées qui, suivant la parole de Gœthe, accomplissaient la transformation du monde. » Cependant, parmi les sujets qui décorent ces faïences, il en est d'apocryphes; et, à notre avis, il ne faut pas admettre l'authenticité des assiettes dites à la (juilloiine, retraçant l'exécution de Louis XVI et MUSÉES. — 8 Fig. I, 2 et 5. — Plat, Assiette et Plat à barbe (Ile de France et Nevers). Fig. 4 et 5. — Bouteille et Bidon (Nevers). Fig. 6. — Porte-bouquets (Lorraine). — Fig. 7. — Cruche (Midi de la France). 58 LA CÉRAMIOLE PENDANT L'ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE. fabriquées par des truqueurs. Nous croyons que seule, la Lasse à café avec soucoupe, d'une fabrique étrangère, grossière, que possède le Musée Carnavalet, à Paris, peut être considérée comme authentique : le sujet de la soucoupe représente le supplice de Marie-Antoinette et celui de la tasse le supplice de Louis XVI. « La guillotine, écrivait Cbamptleury, fut un instrument de ville et non de village. Et si on retrouve un jour le hideux instrument peint sur quelques vaisselles, c'est qu'un truqueur l'aura fabriquée pour se jouer d'un collectionneur. » Ce fut le 10 octobre 1789 que le docteur Guillotin soumit, à l'Assemblée nationale, une série de propositions sur la nature et l'effet légal des peines en matière criminelle. Celle relative à l'application de la peine capitale, portait qu'à l'avenir tout condamné à mort aurait la tête tranchée, et que la décapitation aurait lieu ¡jar VejJ'el iViin simple mécanisme. Le débat qui s'ouvrit à ce sujet, le 1®'' décembre suivant, fut signalé par un malheureux mouvement oratoire du docteur lui-même. Répondant à quelques objections, il s'écria d'un air triomphant, après avoir exposé les inconvénients attachés au supplice ordinaire de la ppndaison : « Eh bien, moi, avec ma machine, je vous fais sauter la tête en un clin d'œil, sans que vous ayez le temps de vous en apercevoir. » Un immense éclat Fig. 1 à 4. — Assiettes de l'École Nivernaise, datées, 1789 et 1795. l'ig. 5. — Fontaine et Grand Broc, Fabricjue des Ateliers de Nevers, datés, 1795. Fig. G. — Type des Assiettes, dites à la Guillotine (datée 1795). Décor polychrome. LA CÉRAMIQUE PENDANT L'ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE. 59 de rire mil fin à la discussion ; parmi les rieurs se trouvait [»]us d'une tête (lesfinée à faire un jour l'épreuve de ce môme instrument, encore inconnu croyait-on*, qui provoquait cette explosion d'hilarité. Il ne paraît pas, du reste, que le docteur Guillotin, qui parlait avec tant d'assurance et d'un ton si péremptoire de « sa machine », eût même encore préparé un modèle, et il està peu près certain qu'il demeura étranger à la construction de l'instrument qui fut adopté trois ans après. Mais ^on burlesque élan d'enthousiasme chirurgical avait fourni à Peltier, rédacteur en chef des MACHINES A DÉCAIUTEIi, DITES GUILLOTINES 1. Italie, xvi" siècle. — 2. France, xv° siècle. — 5. Angleterre, xvir siècle. •i. Italie, xv° siècle. — 5 et 0. Allemagne, xv® et xvi° siècles. — 7. Flandres, xvii' siècle. Arles des Apôtres, le sujet de quelques vers épigrammatiques, insérés dans ce journal « sur Vininiii(d>le niaeiiine du médecin Guillotin, propre à couper les têtes, et dite de son nom Guillotine ». Ce fut ainsi que ce terrible instru- ment reçut, par anticipation et dérisoirement, le nom du docteur, qui n'avait fait qu'en donner l'idée. On voulut plus tard l'appeler Lonison, du * Par l'examen des documents dont nous donnons les reproductions, on verra que le mode d'exécution, par la guillotine, était commun dès le xv® siècle. Cependant il était tellement tombé en désuétude et en oubli qu'il fut considéré, lors de son exhumation par le docteur Guillotin, comme une chose tout à fait nouvelle ; ce qui est d'autant plus bizarre, qu'un ou deux ans avant la Révolution française, on avait fait figurer une machine sem- blable dans une arlequinade représentée sur un des petits théâtres des boulevards, sous le titre Les Quatre Fils Aymon. 60 LES BOUTONS D'HABIT, DU V= AU XIX" SIÈCLE. nom de Antoine Louis, secrétaire de l'Académie de chirurgie, qui présida à la construction de la machine simplement indiquée par le docteur Guillotin; mais le baptême de la GuilloLine avait déjà cette consécration populaire que rien ne peut eiTacer. LES BOUTONS D'HABIT, DU V® AU XIX® SIÈCLE Les boutons les plus anciens qui figurent dans les Musées et les Collections sont les boutons d'or découverts à Mycènes, lors des fouilles entreprises par M. Scbliemann, ainsi que ceux trouves dans le tombeau de Cbildéric Pb Ces derniers, exposés autrefois au Musée du Louvre [Musée des Souverains), sont en or et en verre coloré imitant le grenat. Au XII® siècle, on employait à la confection des boutons les métaux les plus précieux et les pierres les plus rares. On les substitua d'abord aux agrafes pour attacher les vêtements, puis on s'en servit pour garnir et orner les costumes d'hommes et de femmes. Au xiii® siècle, sous le règne de saint Louis, les boutons formaient le principal ornement du surcot. Le passage suivant, extrait d'un titre de l'an 1579, montre quelle était, au xiv® siècle, la richesse de ce genre de parure : « VÍ boutons ronds, en manière de frèzes d'or, semez de pelitz saphirs et ballaysseaux, sur chacun une grosse perle.... » Au XVI® siècle, les boutons formaient le principal ornement des bon- nets, comme le montre un portrait de Claude de Cuise qui date de 1526. Une ordonnance somptuaire de 1549 indique l'importance qu'on atta- chait alors aux boutons : « Les garnitures d'or et d'argent n'étaient permises que pour les boutons et les fers de'lacets; la soie seule pouvait servir à faire les passements et broderies, et tout cela, boutons, ferre- ments, passements, broderies, avait sa place assignée le long des ouver- tures du vêtement, sans en pouvoir envahir les pans ni les faces. » Au temps de Henri IV, les costumes et les robes étaient couverts de boutons en or; un inventaire dressé en 1599 nous apprend que Cabrielle d'Estrées possédait « vingt boutons d'or esmaillez de plusieurs couleurs ausquels il y avoit à chacun dix-sept diamants à l'entour ». Sous Louis XIII, les boutons furent bannis du costume et ne servirent plus qu'à orner les jarretières. La mode en revint avec Richelieu; on por- tait alors des pourpoints entièrement garnis de boutons. LES BOUTONS DTIABIT, DU Y" AU XIX- SIÈCLE. 61 Mais les boutons les plus riches sont sans contredit ceux que portait Louis XIV. Les Registres des pierreries et présents du Roy, conservés au Ministère des AfTaires étrangères, nous fournissent le compte de boutons livrés à ce fastueux souverain. Le total s'élève à près de trois millions de livres pour les boutons du « Grand Roi » pendant la seule année 1685. L'année précédente, Louis XIV en avait reçu une livraison s'élevant au prix de 1 071 090 livres. Etil n'est pas question, dans ces diverses énumérations, des parures en diamants qui agrémentaient les souliers, les jarretières, le manchon et le chapeau du monarque. Les boutons du xviii® siècle font prime aujourd'hui*. Il y en a que Boutons peints par la reine Marie-Antoinette. (Donnes au duc de La Rochefoucauld, grand-maitre de la garde-robe de Louis XVI). {Monuments de Paris). 1. Hôtel des Monnaies. — 2. Porte Saint-Denis. — 5. Garde-Meuble. — 4. École militaire. 5. Porte Saint-Martin. — 6. Sainte-Geneviève. Fragonard, assure-t-on, a décorés de son pinceau merveilleux. Il était alors de bon goût d'offrir en cadeau des séries de boutons de la grosseur d'un écu, où se trouvaient représentés en émail des allégories ou des sujets divers. Bacbaumont écrit dans ses Mémoires secrets, le 18 novembre 1786 : « La manie des boutons est aujourd'hui à un ridicule extrême; non seulement on les porte d'une grandeur énorme, comme des écus de six livres, mais on fait des miniatures, des tableaux, en sorte qu'il y a telle garniture d'un prix incroyable. Il est de ces garnitures qui représentent les médailles des douze Césars, d'autres des statues antiques, d'autres les Métamorphoses d'Ovide. » Isabey, dans ses notes biographiques, dit qu'à son arrivée à Paris, il exécuta, pour vivre, des copies de Vanloo et de Boucher sur des couvercles de tabatière et que ces médaillons lui étaient payés un prix très minime. « Comme, écrit-il, il était encore de mode de porter des boutons de la grandeur d'une pièce de 5 francs, sur lesquels on peignait en * Clapisson, le musicien, en avait réuni 7750 spécimens variés. En 1845, un curieux de Gand en exposa plus de 50 000. On a vendu, à Paris, il y a quelques années, en 1897, une collection de boutons anciens, aussi curieuse qu'intéressante, formée par M. le baron Pérignon. Cette collection, qui figura en 1889 à l'exposition des Arts décoratifs, rivalisait avec celles des plus passionnés bouionisies. 62 LES BOUTONS DTIABIT DU Y- AU XIX" SIÈCLE. camaïeu des amours, des fleurs, des paysages, je me livrais à ce travail mercantile. Chaque sujet m'était payé douze sols. » Deux aus après la date des informatious de Bacliaumout, les boutons abaudouuèreut Ténidilion pour l'édilité; ou y peignait les plus beaux mouumeuts de Paris. Vinrent ensuite les boutons patriotiques avec la prise de la Bastille, remblème des trois ordres, le bonnet phrygien, les portraits de Louis XVI, de Mirabeau, etc. Peu de temps après, le costume ne comporta plus de semblables ornements. Le règne du bouton artistique était passé. C'est alors que se généralisa le bouton de nacre ou de métal, de forme ronde, ovale, carrée ou octogone. Dans un poème en sept chants, intitulé Les Porclierons^ il est dit, à propos des élégants habitués de ce lieu de plaisirs : On fait chapeau,' on fait manchette 1 La rouge culotte de panne, ' On a chemise blanche et nette, s En main ou sous le bras la canne. Petit chapeau, grand bourdalou, l Veste de toile ou de coton. Mouchoir à îlot autour du cou, j En fine nacre le boulon. On est forcé de le reconnaître, avec nos redingotes et nos jaquettes garnies de tristes boutons d'étoffe, de vulgaire corne ou de bois durci xviic siècle. xviii" siècle. Boutons d'or et d'argent ciselés. Boulons ornés de pierres précieuses. LES BOUTONS DTIARIT DU V« AU XIX' SIÈCLE. G". simplement estampé, nous faisons triste figure en face du luxe et de la fantaisie qui existaient dans la décoration des boulons d'habit pendant les XVI®, XVII® et xviii® siècles. Dans un travail publié à Londres, en 1874, The history of button, recueil d'anecdotes, monographie amusante, l'auteur relate le suicide d'un homme qui annonce, dans son testament, que la vie lui était à charge parce qu'il avait sans cesse besoin de se boutonner et de se déboutonner. On trouve également, danscetintéressantrecueil,répigramme de Ben-Jonson sur Joseph Jarrow, auquel il reproche d'avoir sur son habit les boutons placés du mauvais côté ; une statistique et le catalogue de deux cent quarante portraits historiques anglais publiés depuis 1502 jusqu'à la fin du xix® siècle; deux cent trente-neuf portent les boutons sur le revers droit de l'habit, un seul y fait exception : c'est sir Walter Scott. Dans la Galerie des -portraits rares, publiée à Londres en 1805, par Woodbury, la droite est maintenue dans la proportion seulement de trois à quatre, et dans VIconographie française, publiée par M'"® Delpech, sous Fin XVIII' siècle. Révolu-lion française. Boulons peinls sur nacre ou sur ivoire. Boulons palrioliques (1790-1793). 6i LA PEINTURE DE L'ÉCOLE ANGLAISE, DU XVP AU XIX' SIÈCLE. le règne de Louis-PIiilippe, et qui contient des portraits historiques remontant au xvf siècle, on trouve dix-huit habits portant les boutons à gauche, contre trente-cinq qui les ont à droite. Chose étrange : pour les femmes, depuis que les aiguillettes et agrafes ont été remplacées par des boutons, c'est le contraire qui s'observe. NOTES SUR LA PEINTURE DE L'ÉCOLE ANGLAISE DU XVP AU XIX-^ SIÈCLE C'est seulement à l'époque de Henri VIII qu'on peut commencer une esquisse historique, non pas de l'école anglaise qui n'a son origine auto- chtone qu'au xviii® siècle avec Hogarth et Reynolds, mais de la série des peintres étrangers qui ont travaillé pendant deux siècles pour la cour et l'aristocratie en Angleterre. Henri VIH, comme François P'", avait essayé vainement d'attirer Ra- phaël, mais il réussit à s'attacher Hans Holbein d'Augsbourg, qui séjcîurna vingt-huit ans en Angleterre, le flamand Gerard, Luca Horrebout, le bol- landais Cornelitz Engelhrechtsen et le célèbre Antonio Moro. Sous le règne de Jacques P'", une nouvelle génération de peintres étrangers arriva en Angleterre ; mais la plus belle époque pour l'art en ce pays fut celle du règne de Charles P""; en 1629, Rubens vint y passer une année et Van Dyck s'y fixa en 1632. Le talent de Van Dyck se transforma pendant son séjour à la cour des Stuart, peu s'en fallut qu'une véritable école anglaise ne se formât sous son influence, et un siècle après lui. La véritable école anglaise n'a fait autre chose que de le continuer, il fut le précurseur de Reynolds, de Gainsborough, de Lawrence et de tous les portraitistes anglais jusqu'à notre époque. Le plus grand artiste anglais formé par Van Dyck fut le célèbre Dobson, qui mourut à trente-six ans, laissant des chefs-d'œuvre qui sont très appréciés, même à côté des portraits de Van Dyck. Reaucoup de français vinrent dans le même temps travailler en Angleterre, entre autres Philippe Duval, élève de Lebrun, Jacques Par- mentier, neveu et élève de Sébastien Rourdon; Paul Mignard, neveu du célèbre Pierre; Charles Delafosse; Jean-Baptiste Monnoyer; Desportes; Watteau et Laguerre, qui trouva un concurrent sérieux dans un anglais, LA PEINTURE DE L'ÉCOLE ANGLAISE, DU XVP AU XIX" SIÈCLE. 65 Jacques Thornill, formé à l'école de Lebrun pendant un séjour qu'il fit en France dans sa jeunesse. La plus grande gloire de Thornill fut d'avoir été malgré lui le beau-père de Hogarth, le peintre sarcastique qui inau- gura, en Angleterre, la peinture de mœurs, cette peinture humoristique et familière qui caractérise, comme le pamphlet et le roman, le génie des anglais. Dans une forme vive et populaire, Hogarth a su faire la comédie anglaise, railler avec esprit les vices et les ridicules de ses compatriotes et prêcher la vertu, le bon droit et la liberté. Avec Reynolds, le grand portraitiste anglais, commence une nouvelle école qui prend désormais sa place à côté des autres écoles de l'Europe. Au temps de cet artiste, la vie de château, le calme et la dignité dans la famille ont remplacé les mœurs chevaleresques et les mœurs galantes. Une simplicité souverainement élégante, où perce la hauteur aristocra- tique, la beauté sereine et nonchalante d'une grande race inoccupée, voilà ce que Reynolds a exprimé dans la perfection, en peignant ses ladies, qui ont l'air de déesses terrestres. Gainsborough, sentant plus vivement la nature que Reynolds, peignit avec plus d'inspiration et de sensibilité; il fit comprendre qu'une simple fille des champs peut posséder autant de beauté et de noblesse qu'une duchesse. H a fait des paysages pour la nature seule, et presque sans y mêler de personnages : il a été le véritable initiateur de l'école anglaise dans le paysage naturel. Au commencement du xix® siècle, Wylkie et Newton continuèrent Hogarth comme Lawrence continua Reynolds. Le premier, selon Philarète Chasles, fut le Léonard de Vinci de la peinture du Nord; le second rappelle Chardin par son exécution abondante et harmonieuse et Watteau par une élégance un peu maniérée. Lawrence, le grand portraitiste, a laissé d'inimitables chefs-d'œuvre. Le poète Samuel Rogers disait : « Je choisirai Philipps pour peindre ma femme, et Lawrence pour peindre ma maîtresse. » Lawrence fut en effet le peintre des femmes aimées. Coloriste brillant, dessinateur insuffisant, mais très habile à dissimuler ses défauts, apprêté dans ses arrangements, mais toujours d'une grande distinction, il eut toutes les apparences et tous les prestiges du talent, mais sans en avoir la sincérité. Depuis quelques années il a passé, dans les ventes publiques, des tableaux de John Opie, de Morland, de Turner, de Constable et de Crome, qui nous ont permis d'apprécier le mérite de ces artistes; leurs œuvres ont été adjugées à des prix très élevés. .MUSÉES — y CG LES ENSEIGNES DE PÈLERINAGES. Opie et Morland, dès leur plus tendre enfance, manifestèrent des dis- positions exceptionnelles pour la peinture; à douze ans, le premier, sans avoir appris le dessin, fit un portrait de son père en quelques heures; le second exécutait déjà,à quatre ans, des dessins que son pèrevendait quel- ques francs. Morland avait une telle facilité d'improvisation que, malgré une vie de débauche, il n'a pas composé moins de quatre mille tableaux; il mourut à quarante ans par suite d'excès de tous genres. Les marchands de tableaux de Londres ont gagné des sommes consi- dérahles avec Morland et lui enlevaient presque toutes ses toiles inachevées. Turner est un génie exceptionnel, non seulement dans l'école anglaise, mais comparé aux maîtres de toutes les autres écoles. Idéaliste comme Claude Lorrain, réaliste comme Ilobhema, grand amoureux de la lumière et du soleil, il afait des chefs-d'œuvre qui excitent à la fois l'enthousiasme et la surprise. Constable se distingue de tous les peintres de l'école anglaise par sa simplicité. On peut le considérer comme un des régénérateurs du paysage en France. Lorsqu'il exposa, au salon de 1824,1e beau tableau que possède le musée du Louvre, La Baie de Weymouth à Vapproche de Vorage, tous les amateurs furent émerveillés. La plus grande gloire de cet artiste fut d'avoir été un des plus fervents résurrectionnistes du paysage tel que l'offre toujours la nature vivante. Bonington, quoique né en Angleterre, s'est complètement dénationa- lisé en travaillant avec les artistes français. Mort très jeune, n'ayant pas accompli sa vingt-septième année, il n'a pu donner tout ce qu'il promet- tait. Cependant W. Biirger, dans la savante étude qu'il a faite de lui, constate que la peinture d'aucun des paysagistes modernes n'est plus aérée que celle de Bonington. LES ENSEIGNES DE PÈLERINAGES Les enseignes [signa) de pèlerinages étaient de pieuses amulettes, des décorations que l'on attachait à la coiffure ou aux vêtements, en souvenir d'un pèlerinage, des médaillons que l'on suspendait au cou. On appelait aussi enseignes, les hroehes ornées de pierreries que l'on agrafait sur le chaperon en signe de ralliement. Dans une ordonnance de 1587, relative aux choses somptuaires, le roi Henri III, ... Article V, dit : ... « Est aussi LES ENSEIGNES DE PÈLERINAGES. 07 permis aux chevaliers, seigneurs, gentilshommes et personnes de qualité, de porter chesnes au col, boutons et fers d'or devant et sur capichons de capes, et pareillement..., le tout sans aucun esmail, et aussi porter une enseigne de pierrerie ou d'orfèvrerie, esmaillée ou non esmaillée, au bonnet ou chappeau.... » Qui ne connaît l'histoire de la petite Notre-Dame de plomb que Charles VIII, roi de France, portait attachée à son chapeau, moins par vraie piété peut-être que par flatterie démocratique, en affectant ainsi de préférer l'humble insigne des classes populaires aux joyaux aristocra- tiques? Il n'est si mince histoire de France qui ne mentionne cette image de métal vulgaire, comme un des détails caractéristiques du portrait du roi : mais ce que les historiens et les romanciers ne disent pas, c'est que ces images de plomb étaient fort à la mode alors, du moins parmi les gens de moyen état. On les portait comme souvenirs de pèlerinages accom- plis au loin, ou comme insignes de certaines confréries; c'était une sorte de marque de chevalerie plébéienne. Les croix en laiton que portaient à leur retour les pèlerins de Notre-Dame de Liesse, et que l'on trouve parfois dans les Musées et les Collections, ont au premier abord l'aspect des croix de l'ordre du Saint-Esprit. Mais les plaques de plomb que l'on cousait ou que l'on agrafait à son bonnet ou à son habit étaient moins am- hitieuses de forme, et l'art n'y était guère plus recherché que la matière*. Ce n'est que depuis quelques années seulement que la passion pour les Collections, et l'ardeur des collectionneurs pour tout ce qui vient du moyen âge, a fait rechercher ces fragiles monuments des mœurs de nos pères**. Comme personne n'avait songé à garder des objets si communs à l'origine, ces pauvres plaques de plomb avaient toutes disparu et lorsque le hasard en faisait rencontrer quelqu'une, en creusant le sol ou en net- toyant les cours d'eau qui traversent nos villes, on ne savait plus ce que signifiaient ces objets dont l'usage était oublié. On les confondait soit avec des empreintes de sceaux, soit avec des jetons. En 1837, le docteur Rigollot attira l'attention sur ces espèces de fibu- * Les médailles de piété en usage de nos jours, les cocardes de fer-blanc peint qui font partie des uniformes contemporains, la carte que nos sportsmen attachent à leur chapeau les jours de courses, la plaque de nos postillons, de nos appariteurs, de certaines gens de métier, sont des enseignes contemporaines. ** Le Musée de la ville de Vendôme, dont la municipalité a confié l'organisation et l'administration à la Société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois, et qui est si bien conservé et ordonné par M. Georges Renault, aidé, pour les soins matériels, par un zélé appariteur, M. Amand Girard, possède plusieurs moules qui ont servi à fabriquer, à couler, quelques-uns de ces objets d'orfèvrerie populaire. Ces moules sont, soit en schiste ardoisier, soit en pierre de Munich ou pierre lithographique. G8 LES ENSEIGNES DE PÈLERINAGES. les, dans un livre devenu rare, intitulé : Monnaies inconnues des Eveques, des Innocents et des Fous. Les travaux entrepris de 1845 à 1860, dans le lit de la Seine, à Paris, ont ramené au jour un certain nombre de ces petits objets, peut-être jetés dans le fleuve des fenêtres même de l'Hôtel-Dieu, après la mort des pèlerins qui y avaient reçu l'hospitalité, ou amenés par d'autres circonstances dans ce réceptacle commun des débris d'une grande ville. Ces trouvailles, en fournissant de nouveaux sujets de comparaison, ont provoqué un intéressant travail sur les Enseiqnes de pèlerinage., par Enseigne.'!, Affiches, Ampoules ou Sachets de pèlerinage du XIII" au XV" sièe'e. Fig. 1 et 2. — ... aux armes de Charles VI et d'Isabeau de Bavière. Fig. 4 et 5. — ... pour les cierges de pèlerinage, pavillon tournant sur son axe. Fig. 9 et 10. — ... placée sur le devant et le derrière du chapeau. Fig. 11. — ... représentant saint Mathurin de Larchent, près de Nemours, dans le Gâtinais. Fig. 5, 6, 7, 8, 12, 15 et 17. — ... autres enseignes, affiches et sachets, (n" 6, Boulogne-sur-Mer. — n"® 12 et 15, Sainte-Larme, de Vendôme). M. Hucher, savant numismate du Mans*. Cependant les antiquaires et les collectionneurs durent se tenir sur leurs gardes, car, à côté des objets vraiment anciens repêchés dans la Seine, commencèrent à figurer maintes antiquailles apocryphes, frauduleuses productions de l'industrie dite trucage. C'est ainsi que des savants allemands ont été mis en émoi par de fausses antiquités, vendues sur les hords du Rhin comme étant de véritables antiquités romaines du Rheinzabern, M. Arthur Forgeais, à qui l'on doit la publication de précieux volumes sur les sceaux du moyen âge et sur les plombs historiés trouvés dans la Seine, avait formé une ample collection d'objets tirés du fleuve parisien, non seulement des enseignes de pèlerinages, mais encore toutes Des enseignes de pèlerinage, par M. E. IIuciiEn. Paris, Derache, et à Caen, A. Ilardel, 1855, in-8^(51 pages). LES ENSEIGNES DE PÈLERINAGES. C9 sortes d'autres objets en plomb, affiches, ampoules ou sachets, jetons, reliquaires, écritoires fleurdelisés, etc. (( A chaque sanctuaire qu'ils visitaient, écrit M. Ernest Rupin, un savant et un lettré, dans son travail si documenté sur Roc-Amadour*, les pèlerins demandaient son signe particulier : des palmes à Jérusalem; des clefs à Saint-Pierre de Rome; une coquille à Saint-Jacques-de-Com- Enseignes, Affiches, Ampoules ou Sachets de pèlerinage, du XUI" au XV" siècle. Fig. 1. — ... de Saint-Éloi, de Noyon. — Fig. 2. — ... de Sainl-Laurent et Saint-Étienne. Fig. 7). — ... de religieux encapuchonné. — Fig. 4 et 5. — ... de la Sainte-Larme de Vendôme. Fig. 6, 7 et 8. — ... Diverses. — Fig. 9. — ... de Sainte Marie-Madeleine. Fig. 10 et 11. — de Notre-Dame de Tombelaine. — Fig. 12 et 15. — ... de Saint-Julien de ... Vouvant. — Fig. 14. — de Notre-Dame de Roc-Amadour. — Fig. 15 et 16. — ... de St-Georges. Fig. 17. — de Saint-Michel. — ... Fig. 18 et 19. — ... Écritoires portatifs. Fig. 20. — Charles VIII, roi de France (1494-1498), portant une enseigne et un collier de pèlerin. D'après le tableau d'André Solavi (Musée du Louvre). postelle; des médailles en plomb, appelées aussi Sporhilas, Sportellas, Sportellcs, à Roc-Amadour. Ces petites enseignes, réunies en ordre sur la pèlerine des pieux voyageurs, retraçaient fidèlement leur itinéraire, et celles qui, notamment, provenaient de Roc-Amadour faisaient aussi * Cf. Roc-Amadour, Étude historique et archéologique, par Ernest Rupin. Préface de M. le Comte Robert de Lasteyrie , membre de l'Institut. Paris, G. Baranger fils, Éditeur, 1904, grand in-S» (VIII et 417 pages), accomjiagné de 140 gravures dans le texte, de 12 planches et de 1 chromo lithographique hors texte. 70 LES PEIGNES, DE L'ANTIQUITÉ AU XIX" SIÈCLE. fonction de sauvegarde assurée, défendant le porteur contre toute violence parmi les gens de guerre. Pendant l'occupation anglaise, les pèlerins des deux nations avaient la liberté d'aller à Roc-Amadour; ceux de France traversaient le camp des Anglais, et ceux d'Angleterre le camp des Français, sans être inquiétés, pourvu qu'ils portassent les insignes du pèlerin. Un jour, des soldats de Cahors arrêtent un Anglais et l'amènent prisonnier dans la ville. Les consuls se hâtèrent de lui rendre la liberté, dès qu'il eut déclaré qu'il était pèlerin de Roc-Amadour et qu'il en eut fait voir les marques, c'est-à-dire la sportelle. « Ce privilège, qui donne une idée des mœurs du temps, eut son utilité, car, lorsqu'on voulait connaître la marche, les forces et le cam- peinent de l'ennemi, on envoyait au-devant de lui des espions déguisés en pèlerins qui pouvaient circuler librement sans susciter la moindre méfiance.... « L'usage de ces sportelles remonte à une époque très reculée, au moment même où le pèlerinage commença à être connu. Dans le Recueil (les Miracles, composé vers l'année 1172, il est question d'un prêtre de Chartres qui, atteint d'une grave maladie et sur le point de rendre le der- nier soupir, fut instantanément guéri par Vinsigne du pèlerinage de Roc- Amadour que sa mère déposa sur son corps; et nous avons vu, à la page 115, qu'un abbé de Tulle, Elie de Ventadour, avait donné aux habi- tants, en 1237, le droit de vendre ces médailles de pèlerinage ». Le pèlerin, muni de sa sportelle devenait, en quelque sorte, une personne inviolable que tous respectaient, à quelques exceptions près, amis comme ennemis. Il est probable qu'il avait avec lui un guide spécial lui indiquant les routes à suivre pour satisfaire les différentes dévotions. LES PEIGNES D'IVOIRE, DE BUIS ET DE MÉTAL DE L'ANTIQUITÉ AU XIX« SIÈCLE LES PEIGNES DES DAMES CHINOISES, INDIENNES, ÉGYPTIENNES, GRECQUES ET ROMAINES De tous temps il a fallu soigner et embellir la chevelure, l'antiquité du peigne n'a donc pas besoin d'être démontrée. En Chine, ces objets d'utilité et de parure étaient anciennement formés de matières de prix LES PEIGNES, DE L'ANTIQUITÉ AU XIX-' SIÈCLE. 71 et servaient à maintenir les cheveux. Le Livre des Ve7-s, recueil d'odes ou chansons toutes fort antérieures au vÉ siècle avant notre ère et rassem- blées par Confucius, parle d'une dame chinoise qui a « des lames d'or dans les nattes de ses cheveux et un peigne d'ivoire ». Les femmes de l'Inde se servaient également de peignes d'ivoire, de bois de sandal et de métal, M. Achille Juhinal en possédait plusieurs, de travail relativement moderne, parmi lesquels il s'en trouvait un en ivoire, décoré de rosaces ajourées et d'un sujet représentant une femme allaitant son enfant; le second, de même matière, orné de filigranes d'argent; enfin le troisième, en argent finement gravé. Les Orientaux ont toujours mis le plus grand luxe dans l'ornementa- tion des peignes. On en avait un nouvel exemple dans le peigne arabe, de la même collection, en argent à filigranes et rehaussé de pierreries. En Egypte, du temps des Pharaons, les peignes étaient également très soignés. Le Département des Antiquités égyptiennes, au Musée du Louvre, possède un curieux assortiment de peignes en bois sculpté, en ébène et en ivoire. Ils ressemblent aux nôtres, si ce n'est qu'ils sont plus grands. D'un côté, les dents sont larges et espacées; de l'autre, elles sont fines et serrées. Ces peignes sont pour la plupart d'origine assyrienne, car il a été constaté, par le style et les sujets habituels de leurs ornements, que ces peignes, quoique trouvés dans les tombeaux égyptiens, provenaient d'As- Syrie. « La mode, écrivait le comte de Rongé, savant égyptologue, déjà souveraine dans ces temps reculés, les avait imposés aux dames égyp- tiennes. Le peigne, orné d'un bouquetin qui met un genou en terre, repré- sente un sujet familier aux Egyptiens. » Quant aux femmes grecques, elles se servirent d'abord, pour retenir leurs cheveux, de bandelettes, de réseaux et d'aiguilles de tête enrichies de cigales d'or. Les peignes ne vinrent que plus tard, comme on le voit par l'hymne de Callimaque sur les Bains de Pallas, dans lequel le poète demande que le corps de la déesse soit oint de parfums. En effet, les peignes grecs étaient faits le plus souvent de matières précieuses, ainsi que le témoigne saint Clément d'Alexandrie, dans son Pédagogue : « Les autres femmes, dit-il en parlant des païennes, comme si elles n'avaient point de doigts, touchent leur tête et divisent leurs che- veux avec des instruments faits exprès, les portant toujours avec elles, et n'épargnant rien pour que ces instruments de mollesse et d'aíTectalion soient d'un métal précieux ou de l'ivoire le plus pur. » Enfin Léonidas de 72 LES PEIGNES, DE L'ANTIQUITÉ AU XIX= SIÈCLE. Tárente, dans une épigramme de YAnthologie grecque, parlant d'un don offert à Vénus par la courtisane Calliclée, cite différents objets au nombre desquels on remarque « un de ces larges peignes de buis qu'on traîne dans la chevelure comme une seine— » Les fouilles de Pompéi nous ont révélé de quelle manière étaient faits les peignes des dames romaines. Il y en avait de buis, cités par Martial et Ovide, ou d'ivoire, mentionnés par Claudien. Le Musée de Naples possède un peigne fin, denso dente, comme dit Tibulle, exécuté en buis et ayant au dos une barre d'ivoire avec une incrustation d'or formant dessin. Les dents, séparées en deux par la barre d'ivoire, sont extrêmement fines et égales. Le marquis de Laborde a donc eu raison de mentionner que les peignes étaient depuis longtemps des objets d'art lorsque débuta le moyen âge. Constantinople nous fournissait alors les plus beaux modèles de peignes travaillés par les ouvriers grecs, ainsi que les bois précieux, qui étaient comme aujourd'hui les matières préférées pour leur fabrication. 11 est un fait parfaitement avéré par de nombreux témoignages d'écrivains ecclésiastiques, que les peignes d'ivoire faisaient partie du mobilier sacré de la primitive Eglise, d'après l'usage ou étaient les prêtres de peigner leurs cheveux, avant de s'approcher de l'autel afin d'y paraître avec plus de décence*. LES PEIGNES AU MOYEN AGE Au xiiff siècle, les pigniers ou fabricants de peignes en faisaient de gros, de moyens et de fins, pour la plupart en ivoire. La fameuse tenture, dite de YApocalypse, à la cathédrale d'Angers, offre un échantillon de ceux employés au xiv® siècle. Le trente-septième compartiment de cette tapis- serie représente l'Ange conduisant saint Jean par la main et liii montrant * Du Gange, Gloss. Lalin., ad. voc — Pectem. Art Lombard, vic siècle. — Peigne en or de la Reine Théodelinde, enrichi de pierres précieuses. LES PEIGNES, DE L'ANTIQUITÉ AU XIX» SIÈCLE. 73 la courtisane, assise sur les eaux, et qui soigne sa chevelure avec un peigne à deux fins ; peut-être ce peigne est-il le peigne à démêler les tresses, appelé tresseoir par Eustache Deschamps, dans son Mirouer du Mariage. Les inventaires royaux mentionnent souvent des peignes, soit en or, soit en argent, dans le genre du « petit pigne d'argent, esmaillé de France, pesant une once », décrit dans les Inventaires de Charles V et de Charles VI, soit en ivoire, comme celui qu'on voit dans la montre des ivoires au Musée du Louvre. Le Codicille d'Alix., comtesse palatine, dressé en 1278, et les Mémoires de la ville de Poligny, décrivent les peignes de bois, de corne, d'ivoire, d'argent et d'or. C'est au xv*^ siècle seulement que le peigne, considéré auparavant comme un simple instrument de toilette, devint un véritable objet de parure, un ornement précieux. La mode exigeait alors que les dames por- tassent, dans les grandes cérémonies, la tête découverte, et le peigne eut pour objet de décorer et de soutenir en même temps l'édifice de la coif- fure. La collection Sauvageot, au Musée du Louvre, possède plusieurs MUSÉES — 10 Art français, xv siècle. — Peigne en buis ayant appartenu à Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire. 74 LES PEIGNES, DE L'ANTIQUITÉ AU XIX" SIÈCLE. peignes du xv" siècle extrêmement curieux. Le premier, en buis, avec compartiments découpés en ivoire sur fond de soie rouge et bleue, offre cette devise : aies de moi souvenance; le second, pareillement en buis, est à coulisse recouvrant deux petits miroirs métalliques; il porte comme devise : pensés à la fin. LES PEIGNES DE LA RENAISSANCE AU XIX® SIÈCLE Le XVI® siècle enrichit les peignes d'émaux; il était alors nécessaire de les enfermer dans de riches étuis, appelés pignières, selon la coutume Art français, xv° siècle. — Peigne de mariage, à deux fins, en buis découpé. Sur la face postérieure de ce peigne, une partie (voir la section verticale) s'ouvre à coulisse; à l'intérieur se trouve ménagé un vide destiné à recevoir un médaillon ou une pièce de mariage. établie au siècle précédent. Ces étuis obtinrent même une telle vogue à Venise, vers 1527, qu'on les ornait de miniatures précieuses et délicates. L'Arétin, parlant avec orgueil de sa célébrité, écrit à un de ses amis : « Je vois mon effigie dans les façades des palais ; je la retrouve sur les boîtes à peignes, sur les ornements des miroirs. » La collection Révoil contenait trois peignes de cette époque, conser- vés aujourd'hui au Mu.sée du Louvre, qui sont de véritables objets d'art. Le premier, en bois sculpté, est couvert d'ornements découpés à jour; deux tiroirs glissent et découvrent deux très petites glaces étamées, on Ut LES PEIGNES, DE L'ANTIQUITÉ AU XIX= SIÈCLE. ir, sur l'un des côtés : pour bien je le done; le deuxième, également enrichi d'ornements découpés à jour, porte cette inscription placée vers le centre ; per vos servir ; et le troisième se dédouble et présente développé quatre rangées de dents. On lit sur un des côtés : de bon (un cœur) je le done. Nous citerons, parmi les spécimens les plus rares et les plus pré- deux, le peigne en buis ayant appartenu à Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, et un peigne en écaille et en corne, fait probable- \ Ii5l^== Art flamand. — xv° siècle. Art allemand. — xvv siècle. Peignes à deux fins, en buis découpé. Peignes à deux fins, en ivoire. (L'écusson et le lion cachent (Nous croyons que les médaillons doivent de petits miroirs). être des portraits). ment pour quelque princesse ; la bande médiane, décorée d'un sujet de chasse, porte au milieu un blason surmonté par une couronne royale ; dans la bordure supérieure de la bande médiane se trouve en caractères ajourés l'inscription suivante, finement découpée par l'artiste, qui crut devoir signer et dater son petit chef-d'œuvre : «■ Vlinain te palriamque fortunet numen suprernum », Que la divinité suprême protège toi et ta patrie. La bande supérieure porte les mots ; « An. 1630; J. Hammer. » Sous Louis XIII, le peigne était toujours un des ornements obligés de la coiffure féminine. Mais les femmes n'étaient pas seules à employer 76 DE LA RÉPARATION DES MANUSCRITS ET DES MINIATURES. cet instrument de coquetterie. Les petits maîtres d'alors, fort coquets de leurs personnes, en généralisèrent l'usage parmi les hommes, en ayant toujours sur eux de petits peignes à moustaches fort élégants. Tallemant des Réaux parle à cet égard d'un receveur général de Tours, nommé Moncontour, lequel faisait habituellement de folles dépenses. « Il étoit conseiller du Grand Conseil. Pour un an, il a pris pour cent pistoles de peignes. » Par la suite, les peignes continuèrent d'orner la tête des femmes, et le luxe toujours croissant les embellit d'émaux et de pierreries. Un petit peigne, orné de diamants. De son chignon surmontait la parure. dit Voltaire, dans son Pauvre Diable. Toutefois, ce n'étaient là que des exceptions. Pendant la plus grande partie du xix® siècle, on a vu le peigne à chignon en métal, en corne, en écaille ou en ivoire, trôner sur toutes les tetes, depuis celle de la grande dame, de la femme élégante, jusqu'à celle de la modeste bourgeoise. On se rappelle les énormes peignes à galerie de la Restauration, ainsi que les massifs peignes d'argent du commencement du règne de Louis-Philippe. Mais autres temps, autres mœurs. De nos jours les peignes ne sont plus que des accessoires qui accompagnent, généralement, des ornements ])lus gracieux, des parures simples et de bon goût. DE LA RÉPARATION DES MANUSCRITS ET DES MINIATURES PROCÉDÉS DES ARTISTES DU MOYEN AGE L'art d'appliquer sur du vélin, ou sur du papier, de l'or bruni en relief est porté à un très haut degré de perfection dans les manuscrits des XIV® et XV® siècles; il n'est pas un des moindres ornements de ces chefs- d'œuvre de patience et de goût. On ne doit pas le confondre avec les procédés ordinaires de la dorure des vignettes et des lettres ornées, dont les produits, si remarquables dans quelques ouvrages modernes sur la paléographie, n'ont cependant ni le même éclat, ni le même mérite*. Le vélin a du corps et de la souplesse, du velouté et une teinte qui se * Cf. Connaissances nécessaires à un Bibliophile (tome VII, les Manuscrits et la Peinture des livres), par Edouard Rouveyre . Paris, Édouard Rouveyre, Éditeur, s. d. (1900), 10 volumes, in-S" carré (2000 pages et 1800 reproductions). PROCÉDÉS DES ARTISTES DU MOYEN AGE. 77 marie bien aux couleurs : une maladresse se répare par le lavage ou le grattage, sans qu'il y paraisse, sans que, l'épiderme enlevé, il étende la couleur qu'on y applique. Il est léger, maniable et assez consistant pour admettre la couleur et l'encre des deux côtés, au folio et au verso. Pour compléter un manuscrit auquel il manque soit un feuillet, soit une miniature, il est indispensable de monter, sur châssis, la feuille de vélin que l'on veut peindre. Au moyen âge, il y avait deux manières : le vélin, étendu sur le pupitre du miniaturiste, était retenu par deux palettes rondes, de métal attachées par des fds au sommet du pupitre; on en verra de nombreux exemples dans les manuscrits. Ou encore le vélin était cousu par des fils nombreux aux côtés du châssis, et par ces mêmes fils on tendait la feuille à volonté. Cette méthode est préférable, en ce qu'elle assujettit complètement le vélin, qu'aucun dérangement imprévu ne peut faire, au détriment du travail, incliner à droite ou à gauche. On aura certainement remarqué au pourtour des feuilles des missels ces })iqûres régulières et serrées qui marquent le passage de l'aiguille et des fils. Nous préférons la tension par les fils, comme à un métier de broderie, à la tension par la colle, la seule usitée actuellement. La colle bave et salit; il faut alors rogner tout autour de la feuille une plus grande largeur de vélin que dans le premier cas. On mouille légèrement le vélin, et au moyen de gomme délayée ou de colle de farine, et on l'applique au pourtour du châssis. Quand le tout sera très sec et tendu sans pli ni ride, on commencera à dessiner et à peindre. Nous avons parlé de châssis, de cadre de bois, car un panneau, une planchette, quoique également aptes à la tension à la colle, ne permet- traient pas le travail de l'or en relief. Nous arrivons au point le plus important et le plus nouveau de la question pratique que nous étudions. Il y a quelques années, une célèbre miniaturiste de Paris, M"® Robert, inventa une poudre propre à relever l'or sur le vélin. Elle avait remarqué sur les éclatantes miniatures des xii° et xiii® siècles que l'or portait non sur la feuille elle-même, mais sur une substance agglutinante qui mordait à la fois l'or et le vélin. Il se produisait alors un relief plus ou moins épais, et l'or, simple pellicule, était si brillant qu'il indiquait une retouche postérieure à l'application. De plus, souvent on y voyait des gaufrages, des pointillages et autres jeux de poinçons. De cette découverte l'artiste passa à l'imitation. Sa 78 DE LA RÉPARATION DES MANUSCRITS ET DES MINIATURES. poudre63st-elle celle du moyen âge? Nous l'ignorons, mais ce que nous savons et pouvons affirmer, c'est que le résultat obtenu est le même. M. Meillet, qui a bien voulu se charger de l'examen chimique de cette poudre, nous indique ainsi sa composition : Sanguine entière . . . 5 décigrammes Craie 60 grammes Gélatine ou colle ibrte 5 grammes Gomme arabique. . . 2 grammes On mélange les deux substances, puis on y ajoute la gélatine et la gomme finement pulvérisée. En France, personne ne s'est ému de la découverte de M"® Robert, et nous croyons avoir été les premiers à parler d'une découverte qui fait honneur à notre pays autant qu'elle peut nous être utile, dans nos réparations de manuscrits et de miniatures ou dans nos imitations archéo- logiques, pour appliquer l'or par un procédé que nous allons décrire. Ayez une forte feuille de papier roulée en cône et collée au point de jonction des deux extrémités, tronquez le sommet du cône comme un abat-jour de lampe, de la dimension exigée par le pot que vous y pla- cerez, et pratiquez le long de ses flancs de longues et étroites ouvertures, à l'instar de nos fenêtres romanes, pour donner de l'air à la petite bougie ou veilleuse qui brûlera au centre de ce fourneau économique ; délayez dans un vase de porcelaine résistant au feu la quantité de poudre dont vous avez besoin, suspendez le vase au sommet du cône et chauffez jusqu'à ce que la poudre soit parfaitement fondue ; pour y aider, remuez avec un bâton ou un pinceau. Quand la fusion est complète, prenant avec le pinceau la poudre devenue liquide, étendez-la aux parties où vous désirez obtenir un relief. Cette première couche une fois sèche, appliquez-en une seconde, laissez sécher et mettez autant de couches que votre relief l'exige; puis, avec un grattoir bien affilé, nettoyez de manière que la surface soit unie et sans le plus petit ressaut ; disposez vers le milieu, pour le jeu de la lumière, une ligne continue un peu plus saillante, et faites fuir les deux côtés en pente légère et presque insensible. Ici surtout, rien de heurté ni de tranché; pas de surface plane, pas de surface bombée non plus. Le tact, la délicatesse de la main habituent à ces artifices simples et ingénieux. En feuille, l'or reste adhérent par l'emploi des mordants ordinaires ; mais là est souvent l'écueil des jeunes artistes ; la pellicule métallique est si mince, si impressionnable au moindre souffle, qu'on a cherché à lui substituer l'or en coquille. LES SOUFFLETS DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCE. 70 L'or en coquille se délaye et s'applique au pinceau, comme la couleur. Passez et repassez souvent, afin que la couche soit uniforme et d'une épaisseur convenable. Pour lui ôter sa teinte mate et terne, servez-vous, en le polissant, de l'agate recourbée qu'emploient les doreurs, ayant soin, avant de commencer votre opération, d'opposer à la pression que vous exercerez sur le vélin une palette de porcelaine ou un morceau de verre épais que vous appuierez contre le vélin sous le châssis. Un des plus curieux manuscrits pour le pointillage et le gaufrage est la Bible de Jeanne d'Evreux, que possède la Bibliothèque nationale à Paris. Ces deux procédés y sont habilement distribués, dans les fonds, les bor- dures, les vêtements et les nimbes. Vous ferez le pointillage avec un poinçon d'agate, dont la pointe ne sera ni trop aiguë ni trop émoussée. N'oubliez pas la palette, qui vous empêchera de transpercer le vélin. Le gaufrage exigerait une variété de fers que nous n'avons pas encore rencontrée. Vous les remplacerez par le poinçon d'agate qui, sous la direction d'une main sûre, tracera les lignes courbes ou suivra les lignes droites de la règle. Nous terminons par ces deux conseils : n'appliquez la couleur qu'après votre préparation du relief achevée, et cernez toujours d'un filet coloré l'or qui, à ce contact, brillera d'un plus vif éclat. LES SOUFFLETS EN OR OU EN ARGENT ÉMAILLÉ AVEC TABLETTES EN BOIS SCULPTÉ LEUR PORTE-VENT EN BRONZE CISELÉ ET DORÉ Le Moyen âge et la Renaissance ont connu et se sont servis de soufflets. Cet instrument commode que nous voyons employé dès l'antiquité la plus reculée n'a jamais été abandonné, et les barbares l'ont pris des derniers représentants de la civilisation romaine. Cependant, cet instrument ne s'appelait pas alors soufflet, on pro- nonçait « buffet — et ce mot venait évidemment de « bouffer », enfler les joues. — Bon ffare signiñe en italien souffler; en espagnol bufar. Quoi qu'il en soit, qu'on l'appelle soufflet ou buffet, l'instrument en * Le vieux mot buffet désignait l'ustensile que nous appelons aujourd'hui soufflet, et qui sert à activer le feu. On disait encore bujfet ou bufflier pour souffler, en Champagne, jusqu'en 1840. Le mot buffet s'entendait aussi comme soufflet (sur la joue). Voici un jeu de mots qui le prouve claii'ement : « Se je di à un vilain : •< Je te donrai un buffet », il 80 LES SOUFFLETS DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCE. lui-même ne diffère en aucun point important de ceux dont nous nous ser- vous encore aujourd'hui. A l'origine, ce fut la bouche qui remplit l'office de soufflet; puis on eut Art Français, xvc siècle. — Fig. 4. — Soufflet en noyer sculpté. Art Italien, xvi" siècle. — Fig. I à 3, 7 à 8. — Soufflets en noyer sculpté. Fig. 9. — Développement du porte-vent du soufflet figuré sous le n° 8. recours à une sorte de tube en bois, en fer ou en cuivre; tel fut le soufflet dont on se servit au moyen ûge. Mais dans les maisons bien montées, s'ira « clamer de moi »; et encore « valt mes buffés Y, sols u. vj, à mettre en la maison d'un borgois ». Cet ustensile, le soufflet, est de date ancienne; nous ne saurions dire à quelle époque le mot soufflet a été substitué au mot buffet; mais la double signification du mot soufflet s'est évidemment substituée à la double signification du mot buflet. Sur les chapiteaux de la nef de l'église abbatiale de Vézelai, qui date des premières LES SOUFFLETS DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCE. 81 comme cet exercice était fatigant et présentait en outre l'inconvénient de faire avaler bea'ucoup de fumée à celui qui soufflait le feu, on avait des serviteurs spéciaux. Les archives du déparlementdu Nord (série B,n° 1934) Art Français. Soufflets en noyer sculpté. — xvc siècle. Fig. 12. — xvic siècle. Fig. 1(5. Art Italien. Soufflets en noyer sculpté. — xvr siècle. Fig. 11, 15 à 15, 18. Fig. 12. — Premier type du soufflet à ailes reliées par une ai'mature de peau. possèdent une lettre de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, datée de 1425, d'après laquelle il accorde une gratification à « Jean Bideau, souffleur années du xii" siècle, nous voyons déjà un buffet sculpté, ayant exactement la forme de nos soufflets modernes. Il est vrai que le personnage repi'ésenté est un vanneur qui épure le grain. Cet ustensile n'est pas, dans cette sculpture, destiné à souffler le feu; c'est un instrument d'agriculture. Au xiii* siècle, le soufflet conserve cette même forme et est employé à activer la flamme. Quelquefois, le porte-vent est orné; les tablettes de bois se couvrent de sculp- MUSÉES — M 82 LES SOUFFLETS DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCE. de sa cuisine ». Une ordonnance du même Philippe le Bon, sur « le gouver- nement de l'iiostel de M""® la duchesse, sa compagne », datée de 1429, nous apprend que cette princesse avait droit à « deux souffleurs servans à tour, ayant chacun un cheval à livrée, sans allées et venues, c'est assavoir : Hannequin van Verderc et Viart. Lesquels serviront : c'est assavoir : le dit Viart, ès six premiers mois, et le dit Hannequin van Verderc ès six autres mois ensièvans ». Mais, dès cette époque, le soufflet n'était pas seulement employé dans les cuisines, et le « Livre des mestiers » nous le montre comme l'attirail indispensable de toute bonne cheminée. Le Journal de la dépense du roi Jean en Angleterre (1359-1560) cite un payement de 16 derniers « pour un soufflet, pour la chambre du Roy », et les Comptes des dépenses faites par Charles V au château du Louvre, de 1364 à 1368, mentionnent « l'achat de cinq soufflets neufs pour la chambre de la Royne • ». Pour le décor, l'instrument, qui était d'une forme extrêmement simple^ ne l'imposait que bien peu à l'artiste qui pouvait donner ainsi libre cours à son imagination. Le moyen âge et la Renaissance y apportèrent donc chacun leur esthétique. Les textes anciens nous apprennent sur les soufflets des détails vraiment curieux. Nous citerons l'inventaire de Charles V (1380), qui décrit : « Ung soufflet d'or esmaillé de noir, à une grosse perle, qui fut à Madame Ysabel. —Item, ung soufflet d'argent à deux esmauxdes armes de Monseigneur le Dauphin, pesant, à toute sa garnison, deux marcs deux onces. — Item, ung petit soufflet d'argent esmaillé de fleurs de lys... ». En outre, il faut citer tout spécialement un appareil que nous trouvons décrit dans le même inventaire, et qui semble être le père de nos soufflets actuels; il est défini : « Ung soufflet garni de veluau, à ungdonayement, ou mylieu, à doux de cuivre, à une charnière et virole d'argent. » C'était là évidemment un des premiers soufflets à accordéon dont les forgerons se servaient déjà au commencement du xiv® siècle. Cependant, il est assez difficile de pouvoir préciser l'époque exacte à laquelle le tube à souffler le feu fut remplacé par le véritable soufflet. C'est vraisemblablement à la fin du XV® et au commencement du xvi® siècle que s'opéra petit à petit cette substitution. Encore est-il bien probable que les deux instruments coexistèrent. lures. C'est au xv« siècle que cet ustensile, introduit dans les appartements et appendu aux montants des cheminées, est souvent richement décoi'é, garni de clous de cuivre, d'un porte-vent de bronze très finement ciselé. Cf. Viollet-le-Duc. Dictionnaire du Mobilier français, etc. C vol. in-8°. Paris, V" A. Morel et Ç'% éditeurs. LES SOUFFLETS DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCE. 83 Le Musée du Louvre et le Musée de Cluny à Paris possèdent des soufflets à ailes du xvi® siècle, qui viennent à l'appui de ce qui précède, et tous les soufflets fabriqués depuis le xvii® siècle sont à ailes, reliés par une garniture de peau. C'est de ce type qu'était le merveilleux soufflet de peau d'Espagne monte sur ébène et garni d'argent, attaché au service de la cheminée d'Anne d'Autriche, dont nous parle 1' « Histoire amoureuse des Gaules », et que M™® d'Olonne fit dérober par Moret, un deses adora- teurs. Le xvm® siècle perfectionne cet appareil : le soufflet est pourvu sur une de ses ailes d'une âme ou petite soupape, lui permettant de prendre par là l'air qu'il insufflait, au lieu de le prendre par son extrémité : c'est cette modification qui lui valut le nom de soufflet à deux vents. On le trouve mentionné sous ce nom dans le Livre de Lazare Duvaux : « Vente de M. de Boulogne, et fournitures à M""® de Pompadour », qui, en l'espace de cinq années, n'en acheta pas moins de treize. Il est un autre indice de l'abondance des soufflets à cette époque, c'est l'apparition dans les rues des raccommodeurs de soufflets, peints bien souvent par Boucher et par Bouchardon. Au XIX® siècle, l'usage du soufflet à deux vents était général. On en trouvait à la fois dans les cuisines et dans les salons, dans les chambres et dans les boudoirs. Tous étaient d'un travail soigné; les derniers, cepen- dant, étaient de plus petites dimensions et quelquefois fort ornés*. Nous trouvons dans la Vie privée de la noblesse féodale^ de Violiet-Ie- Duc, la description d'un de ces soufflets qui nous apprend que ceux qui étaient destinés aux usages courants n'étaient pas exempts de cette richesse de décoration. Viollet-le-Duc, parlant de la visite faite à l'atelier d'Alain le Grand, célèbre forgeron, par un jeune seigneur, la lui fait raconter en ces termes : « Maître Alain, voyant que j'examinais avec attention le soufflet, nous dit » : « Vous voyez là un de ces soufflets que j'emploie de préférence à tout autre, pour obtenir un courant d'air égal et continu. Il se compose de trois cellules, de façon qu'en poussant et en tirant le fond comme le fait l'apprenti, au moyen de soupapes inté- Heures en peau, l'air est toujours chassé par le tuyau. Je fais presque tous mes outils moi-même, et vous voyez que le conduit en métal du * Sur les Objets mobiliers à l'usage du chauffage et de la ventilation, on devra consulter le Rapport fait par M. Léon d'Anthonay , membre de la Commission du Musée rétrospectif de la classe 74, à l'exposition de 1900, in-S" (Paris et Saint-Cloud, Belin frères, Imprimeurs- Éditeurs), et auquel nous avons eu recours. 84 LES SOUFFLETS DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCE. soufflet s'attache à la peau par une tê(e de bête. Soyez assuré que ce luxe n'est pas inutile : il porte les apprentis à soigner et à respecter les ustensiles dont ils se servent journellement. La petite tête de bête n'ajoute rien à la bonté du soufflet, mais elle le fait durer plus longtemps, parce que les jeunes gens sont naturellement disposés à ménager les objets qui paraissent précieux par le travail; je me trouve ainsi largement dédommagé de la peine que j'ai prise à mettre de l'art.dans un objet vulgaire. » Les soufflets, instruments d'utilité ménagère, d'un décor si riche et si spirituel, avec leurs tablettes en bois sculpté et leur porte-vent de bronze, nous prouvent, une fois de plus, combien les artistes d'autrefois se préoccupaient de répandre l'art même dans les objets usuels qu'on eût cru les moins propres à recevoir une parure si rare. Ils s'efforçaient de montrer que l'art peut être partout, et qu'il suffit de le vouloir pour faire parler aux choses le langage de la beauté. DÉCORATION D'UNE TABLETTE DE SOUFFLET. (Époque de la Renaissance Française.) TABLE DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE MEUBLES ET OBJETS MOBILIERS DU XVIP AU XIX'' SIÈCLE par Augé de Lassus ' ^ Les numéros de la pagination générale, donnée à cette PREMIERE PARTIE, se trouvent indiqués au bas et à gauche de chaque page. LES MEUBLES EN MARQUETERIE DE G.-A. BOULLE, ÉPOQUE DE LOUIS XIV — Hospilalité royale. — Le mobilier somptuaire sous le règne de Louis XIV. Caractéristique des travaux de Charles-André Boulle. — Destruction ou dispersion des merveilles créées par C.-A. Boulle. — Les meubles de Boulle ne connaîtront ni la disgrâce ni le dédain. —Détresse de C.-A. Boulle et de ses enfants. [Accompagné de 20 figures.) Pages i à i6 LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS ET DORÉS, ÉPOQUE DE LOUIS XV Mœurs ciiangeantes. — Influences diverses. — Finesse chatoyante et ondulation des bronzes et de l'or qui les relève. — de destination — Évolution du goût vers le milieu du xviii® siècle. Meubles semblable, mais de conception différente. — Triomphe de la rocaille, furieusement, mais élégamment contournée. Réunion curieuse, dans le Bureau dit de Ciioiseul, de ce qu'il a d'ingénieux, de caressant — dans la rocaille. — Jacques Caffieri travaille en concurrence de talent, presque de génie, avec les bronziers les plus habiles. [Accompagné de 50 figures.). Pages 17 à 3'i LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS ET DORÉS, ÉPOQUE DE LOUIS XVT Importance du bronze ciselé dans le décor du meuble. — Caractéristique des bronzes ciselés à l'époque de Louis XVI. Emblèmes souvent empruntés à la vie champêtre. — Influence des — découvertes archéologiques. — Gouthière, le plus célèbre ciseleur du temps de Louis XVI. — Ses — élèves, ses collaborateurs, ses émules. — Madame du Barry, protectrice de Gouthière. Epoque révolutionnaire. —Gouthière meurt dépourvu de tout. — Ses œuvres sont précieusement conservées dans les musées. [Accompagné de 79 figures.) Pages 33 à 48 LES OBJETS MOBILIERS ORNÉS DE BRONZES CISELÉS ET DORÉS ÉPOQUES DE LOUIS XIV A NAPOLÉON I" — Vases et Coupes de décoration, avec monture en bronze ciselé et doré. Horloges, Régulateurs, P-indules et Cartels, — Les garnitures de foyer, les Feux et les Chenets. — Chandeliers, Appliques et Candélabres. [Recueil de 207 figures.). Pages 49 " Z I LES MEUBLES ORNÉS DE BRONZES CISELÉS ET DORÉS, ÉPOQUE DU PREMIER EMPIRE Le mobilier nouveau apparaît en contradiction brutale avec toutes choses qui l'avaient précédé. — Les bronzes ciselés soqt cloués sur l'acajou en une symétrie bien disciplinée. — Imitation maladroite des modèles gréco-romains. — Chefs-d'œuvre en bronzes ciselés et modelés. — Dans le mobilier de style Empire, la richesse est surtout des bronzes qui le décorent. — L'œuvre de Thomire, dont les eSsais furent conseillés par Pajou, est considérable. [Accompagné de 96 figures.). . . Pages 6i à 80 LE GOTHIQUE TROUBADOUR, ÉPOQUES DE LOUIS XVIII ET DE CHARLES X Art pesant, alangui, .un peu sénile. ■— Essai de retour vers le Moyen âge. — Le' néo-gothique daus l'ameublement. — Disparition rapide d'une mode toute capricieuse. [Accompagné de 45 figures.) Pages 81 à 88 DEUXIEME PARTIE ÉTUDES SUR DES OBJETS DE HAUTE CURIOSITÉ Les numéros de la pagination générale, donnée à cette DEUXIÈME PARTIE, se trouvent indiqués au bas et à gauche de chaque page. LES ŒUVRES SOMPTUEUSES EN CRISTAL DE ROCHE, par François L. Bruel Du cristal de roche, de ses propriétés et de ses utilisations. — Le Moyen âge connût-il l'art de graver sur cristal ? Confusion à éviter entre les produits de l'art arabe et ceux de l'art européen. — La Renaissance italienne ressuscite et porte à son apogée l'art de la gravure sur cristal — Valerio belli Vlcenlino, Giovani Bernardi da Castelbolognese. — Les cristalliers en Espagne et en France — Déclin et disparition du cristal de roche au xvii' sièclef [Accompagné de 30 figures.) Pages 1 à 16 LES ÉMAUX PEINTS DE LIMOGES DE LA FIN DU XV« AU XVIIP SIÈCLE Procédé, manière et dessin. — Efnaux peints de Limoges à la fin du xv® siècle. — La manufacture d'émaux peints de Limoges au xvi® siècle. — Léonard Limosin, peintre de portraits. — Influence de l'École de Fontainebleau sur les travaux de Pierre Courtoys. — Vaisselle et orfèvrerie de table de Pierre Raymond. — Jehan et Martial Courtoys. — Les émailleurs de Limoges de la fin du xiv siècle au xviii® siècle. [Accompagné de 38 figures.) Pages 17 à 82 LES MAJOLIQUES D'URBINO A L'ÉPOQUE DE LA RENAISSANCE ITALIENNE, par Roger Peyre Célébrité des fa'iences d'Urbino. — Les Monlefeltro et les Delia Rovère — Les origines de l'atelier du château de Fermignano.— Constitution des célèbres ateliers d'Urbino — Caractères de leur fabrication et de leur décoration. — Les sujets mythologiques. — Guido Durantino et Xanlo Avelli. — Caractéristiques de leurs œuvres. — Influence de Raphaël sur les faïenciers d'Urbino. [Accompagné de 6k figures.). Pages 33 à 48 LA VAISSELLE ET L'ORFÈVRERIE D'ÉTAIN, DU XIIP AU XVIIP SIÈCLE, par Alfred Croix Usages civils et domestiques de l'étain. — Emploi de l'étain pour les objets du culte — La vaisselle d'apparat au xv' siècle. — Les belles pièces d'orfèvrerie d'étain à l'époque de la Renaissance. —■ François Briot. — Industrie de l'étain en Allemagne. — Gaspard Enderlein. — La poterie d'étain en France aux xvii' et xviii° siècles. — Les grandes refontes d'argenterie. — La mode passe à la céYSixm({\x&. [Accompagné de kO figures.) Pages 49 à 60 DRAGEOIRS DE POCHE, BOITES A POUDRE, A ROUGE ET A MOUCHES TABATIÈRES ET BOITES A PORTRAITS, AUX XVIP ET XVIIP SIÈCLES, par François L.'Bruel Les drageoirs de poche. — Boîtes à poudre, à rouge et à mouches. — Les tabatières et les boîtes à portraits. — Artistes ayant concouru à l'exécution et à la décoration des boîtes. [Accompagné de 1Í8 figures.) Pages 61 à 80 LES ANNEAUX ET LES BAGUES, DE L'ANTIQUITÉ A LA FIN DU XVIIP SIÈCLE Ancienneté des bagues. — Usage des bagues chez les Orientaux. — Préférence marquée par les Grecs pour les intailles et les camées. — Formes, Ornementation et Somptuosité des bagues chez les Romains. — Marques distinctives des Patriarches et des Chevaliers. — Le luxe des bagues au Moyen âge. — Elles sont, dès les premiers temps de l'Eglise, l'insigne du pouvoir pastoral. — Usages des bagues aux xvi®, xviU et xviii' siècles. — Les bagues empoisonnées. — Les anneaux de la mort. — Les bagues bizarres en France, à l'époque révolutionnaire. [Accompagné de 295 figures.). Pages 81 à 96 ENSEIGNEMENT MUSÉES ET COLLECTIONS CHRONIQUES DOCUMENTAIRES ACCOMPAGNÉES DE 216 FIGURES Pages. Pages Le trucage des médailles [avec 6 Moyen de préserver le bois des figures) 1 attaques des insectes, procédés pour Estampage en papier, clichage des les détruire, par G. Houlbert 21 inscriptions, gravures en creux, etc. . 4 Les poires dites d'angoisse [avec Utilité d'un Musée archéologique de 10 figures) 24 Province 6 Un ministère des Beaux-Arts 11 Anachronismes dans les œuvres d'art .... Les images de préservation collées à [avec 2 figures) .- . . . 25 l'intérieur des^ boites de courrier au Erreur qui attache le nom de Diane XV' siècle [avec 5 figures) 13 de Poitiers à tout ce qui a été fait pour Un vandale au xvni* siècle 15 Henri II (aaec 19/ïgures) 28 Procédé pour l 'enlèvement des mo Chronologie des doctrines catho- saiques 16 liques, utile à connaître pour détermi- La fabrication en Orient, d'objets ner la date des monuments, sur lesquels prétendus antiques 17 elles sont Faux tableaux, faux faux représentées 31 amateurs, experts 18 Imitation et contrefaçon des meubles Direction de la volute de la crosse de C.-A. Boulle 31 portée par un évêque ou par un abbé Les cadres et les coffrets en pâte {avec 6 figures) 20 peinte et dorée [avec b figures) 34 ENSEIGNEMENT. MUSÉES ET COLLECTIONS. DE LA RÉPARATION DES OBJ I D ART ET DE CURIOSITÉ PAR CHARLES BUISSON, ERT ET RÉPARATEUR Pageg. Pages.. Chapitre 1 : Des produits employés 36 Chapitre 18 : Manière de donner aux Chapitre 2 : Préparation et nettoyage plâtres les teintes de terrés cuites ... 48 des pièces. 39 Chapitre 19 ; Bronzage d'une terre Chapitre 3 ; Manière de refaire les cuite, d'un plâtre artistique ou de tout morceaux manquants 40 autre objet • 49 Chapitre 4 : P^çage de trous .... 41 Chapitre 20 : Réparation des émaux • Chapitre 5 ; Pose et La céramique patriotique pendant Les peignes d'ivoire, decbouislleat ge des de tiges et des cloisonnés 30 l'époque révolutionnaire fra ' — Les faïences à la guilloto nçuaise.des gmoétual,jodenl'asnt.iquité au xix' siècle (avec . . 42 ine (avec 8 figures) 70 Chapitre 21 ; Réparation des laques 38 figures) Les boutons d'habit du v° au xix"Csièhcleap52itr De 6la ré: paDrateions des manuscrits et à la colle de Chine, du et des vernis des miniatures; Procécdéos ldleas garetistses Japon {avec 66 figures) forte ou60 dàu mloayengâoge 76 45 Martin 30 Notes sur la peinture de l'École Les souffletms emn oer oluaeqn uaergent Anglaise, du xvi' au xix" siècle .C..h.ap64itrémeaill7é, a:vecDpaunnerauexbenobouiscschulpté ; 44 Les enseignes de pèlerinage (avec leur porte-vent en bronze ciselé (aavegc e Chapitre 22 ; Pour faire sonner une 35 figures) Chap66itr\%efigu8res); Du . 79 ponçage de la pâte . 44 pièce fêlée : 31 Chapitre 9 : De la charge ou première Chapitre 23 : Procédés pour nettoyer couche de peinture 44 les bronzes dorés et les dorures sur Chapitre 10 : Pour peindre les fonds. 45 bois Chapitre H : Préparation des cou- Chapitre 24 : Collage des montures leurs des fonds 45 en bronze et des socles en bois sur les Chapitre 12 ; Polissage des fonds . . 45 pièces Chapitre 13 : Raccords et décoration. 46 25 : d'es verres Chapitre 14 Réparation des marbres Chapitre Réparation : de Venise et autres 51 d'art et des albâtres 46 Chapitres 15 et 16 des Chapitre 26 ; Nettoyage des marbres : Réparation biscuits-de 52 porcelaine. Nettoyage d'art et des albâtres — des terres cuites 47 Chapitre 27 : Réparation des antiqui- Chapitre 17 : Réparation des terres tés grecques, romaines, et des faïences cuites^et^des plâtres 48 à reflets métalliques 32 COMMENT DEVENIR CONNAISSEUR LE GOTHIQUE TROUBADOUR DISPARITION RAPIDE D'UNE MODE TOUTE CAPRICIEUSE A cette mode nous ne saurions rattacher les noms de quelques artistes de durable renommée. Thomire singlièrement habile et docile, n'ignorera pas tout à fait la manie troubadour ; mais le bronzier Ravrio était mort(i8i4) avant qu'il fût question de cette fantaisie déconcertante. Le Lyonnais Aimé Chenavard, d'une famille si diversement illustre, Beur- deley, dans leurs écrits, leurs dessins, ont pu témoigner de quelque complaisance en cette occasion, mais ils ne devaient pas s'enrôler réso- lument, non plus que personne, en la bande des troubadours. Au reste, ce sont là des noms estimables plutôt que des noms considérables. La Révolution de i83o n'était pas pour encourager les demoiselles, les écuyers, les troubadours à revêtir leurs atours, accorder leurs luths, ou donner au balancement de leurs écharpes de jolis rendez-vous d'amour. La garde nationale triomphe et règne. Le bonnet à poil écrase le panache. Quelques tentatives de retour vers cet idéal d'une heure peuvent être signalées, mais sans lendemain. Dans les arts du dessin, ce qui reste de plus remarquable et de mieux caractéristique en ce mouvement sans pro- fondeur, ce sont quelques jolies vignettes que signent Déveria, Tony Johannot ou Nanteuil. Le style troubadour fut une la guitare plutôt que sur le piano devenu insipide comme la musiqu tère devaient bien vite finir de tint plus de souvenirs que n'en gard Formes de vases des Epo XVJII et de Charles X. — S6