HISTOIRE ARTISTIQUE PAR PROPAGATION DES LIVRES D^ART FONDÉE EN I 86Q LIBRAIRIE DE L'ART J. ROUAM, EDITEUR SOCIETE D 33, ENCOURAGEMENT AVENUE DE L'OPÉRA, PARIS POUR LA REMINGTON ET G», PUBLISHERS PROPAGATION DES LIVRES D'ART I34, NEW BOND STREET, LONDON 7, RUE CORNEILLE, PARIS. HISTOIRE ARTISTIQ_UE U MÉTAL HISTOIRE ARTISTIQUE PROPAGATION DES LIVRES D'ART fondre en i 8 6 o LIBRAIRIE DE L'ART SIEGE DE LA J. ROUAM, ÉDITEUR société d'encouragement 53, AVENUE DE L'OPÉRA, PARIS POUR LA REMINGTON ET G», PUBLISHERS PROPAGATION DES LIVRES D'ART 184, NEW BOND STREET, LONDON 7, RUE CORNEILLE, PARIS. Tous droits réservés. HISTOIRE ARTISTIQUE DU MÉTAL PREMIÈRE PARTIE LE MÉTAL DANS L'ANTIQUITÉ PRIMITIVE forme d'une gazelle renversée, etc. Beaucoup de collections par- L'ÉGYPTE ticulières DES PHARAONS contiennent de jolies statuettes en bronze, représentant des divinités, des groupes d'animaux, des scarabées, etc. La plupart des objets usuels, tels que hachettes, poignards, cou- C'est en Egypte qu'il faut chercher les plus anciens ouvrages teaux, rasoirs, miroirs, étaient exécutés en bronze. Les objets métalliques auxquels on puisse assigner une date approxima- en fer sont, au contraire, de la plus grande rareté et appar- tive. Il est impossible pourtant de savoir à quelle époque on a tiennent à une époque très postérieure. Le musée du Louvre commencé à travailler les métaux, puisque, dès les plus anciennes périodes de l'histoire, on trouve en Egypte des objets en métal qui indiquent une industrie pleinement maîtresse de ses procédés. Parmi les statuettes de bronze exposées auTrocadéro en 1878, il y en avait plusieurs qu'on classe parmi les ouvrages de l'An- cien Empire, c'est-à-dire qu'elles remontent à une époque où les autres nations en étaient encore à l'âge de la pierre. On sait que l'art, en Égypte, avant de subir l'influence sacerdotale, in- fluence qui a été d'ailleurs fort exagérée, était d'un réalisme brutal fort éloigné du hiératisme qui a prévalu plus tard. Le corps trapu, la carrure des épaules, la coiffure à petites boucles, et le costume composé d'un pagne qui entoure les reins, sont les caractères de la statuaire primitive en Egypte, et les statuettes en bronze dont nous parlons, quoique inférieures pour le travail aux figures en bois ou en pierre de la même époque, appar- tiennent à la même famille comme style et comme construction de figures. Il est à remarquer que dans ces statuettes, que GROUPE EN BRONZE EXPOSÉ AU TROCADERO EN I 8. M. E. Soldi fait remonter à la cinquième ou à la sixième 87 dynas- tie, le globe de l'œil est indiqué par un creux, parce que proba- en possède pourtant quelques-uns qui sont fort entre blement il devait être curieux, en pierre incrustée. autres, des clefs égyptiennes (salle des colonnes, vitrine V). La raideur dont sont presque toujours empreints les mo- ^'Égypte, au XVII® siècle avant notre ère, produisait des numents égyptiens qui représentent des personnages ne se ouvrages en or et en argent, dont.quelques-uns se sont conser- trouve pas au même degré dans les représentations d'animaux, vés jusqu'à nous, et qui peuvent être classés à les parmi les chefs- qui, toutes périodes de l'art égyptien, montrent, au contraire, d'œuvre de l'orfèvrerie et de la bijouterie. Cette certaine époque, Il suffira qui, une souplesse. de citer les jolies chattes en dans l'histoire de l'ancienne Égypte, a été une sorte de Renais- bronze qui sont au Louvre, les petits lions qui soutiennent le sanee, est celle où le roi Amosis a chassé les pasteurs et rétabli trône d'Horus, et, dans le même musée, la lampe qui prend la la dynastie nationale. On sait de quelles dévastations avait été LE MÉTAL DANS L'ANTIQUITE PRIMITIVE. accompagnée l'invasion des pasteurs, mais les traditions antiques apprécier la bijouterie égyptienne dont notre musée du Louvre s'étaient maintenues à peu près intactes dans la haute Égypte, possède d'admirables spécimens. Parmi les acquisitions récentes, ce qui explique en partie la Renaissance dont nous parlions. il faut signaler tout d'abord (salle historique, armoire A) un « La rapidité, dit M. Mariette, avec laquelle l'Égypte a cicatrisé adorable petit groupe de trois statuettes en or, représentant Isis ses plaies, est surtout apparente dans les admirables bijoux et Horus qui étendent la main sur Osiris en signe de protection. qu'Amosis fit exécuter pour orner la momie de sa mère, la reine Osiris, dont le corps est enveloppé, est accroupi sur un dé en Aah-Hotep. Au nombre de ses richesses, le musée de Boulaq lapis-lazuli, au nom du roi Osorkon II, ce qui nous reporte (au Caire) ne possède pas de monuments qui témoignent d'une au X® siècle avant notre ère. Les bijoux de la xviii® dynastie industrie plus avancée, et à voir la longue chaîne d'or, le pec- sont d'un goût exquis pour l'ornementation, qui a généralement un caractère emblématique. L'art moderne n'a rien fait de plus élégant comme disposition et de plus fin comme ciselure que le petit épervier aux ailes étendues qui porte une tête de bélier (salle historique, vitrine H). Tout le corps de l'épervier est cou- vert de plumes en lapis, en cornaline, ou en feldspath vert, in- crustées dans de petites cloisons d'or. Remarquons aussi le tra- vail délicat des deux petits chevaux qui se détachent en ronde bosse, sur le chaton d'une bague contemporaine de Ramsès IL Que dire encore de la charmante chaîne composée de vipères sacrées relevant la tête, du bracelet décoré d'un lion et d'un grif- fon, de celui où l'on voit une jeune fille dans les lotus du Nil, de la boucle d'oreille en or terminée par une tête de gazelle, etc. Ce sont des chaînes de tous genres, des colliers d'or à plusieurs rangs, toujours composés d'objets symboliques, poissons sacrés, lézards, fleurs de lotus, scarabées, œil mystique, têtes de la déesse Athor, avec ses cornes de vache imitant le croissant de la lune. On doit également citer, à titre de curiosité, un livret de doreur (salle funéraire, vitrine Z) ; les feuilles d'or ne diffèrent des nôtres que parce qu'elles sont plus épaisses. L'argent était beaucoup plus rare que l'or dans l'ancienne Égypte. Une des plus grandes curiosités de l'Exposition égyp- tienne du Trocadéro, en 1878, consistait en belles coupes d'argent formées de feuilles de lotus, découvertes par M. Mariette dans le trésor d'un temple, et qui paraissent remonter au vi® siècle avant notre ère. PHÉNICIE Aussi loin qu'on veuille remonter dans l'histoire, on entend vanter l'habileté des Phéniciens dans le travail des métaux. Les inscriptions hiéroglyphiques les plus anciennes mentionnent les ouvrages de bronze provenant de leurs fabriques, et Homère célèbre dans ses poèmes la beauté des coupes ciselées par les FUGURE EN BRONZE DE L'ANCIEN EMPIRE, ouvriers de Sidon. Les Phéniciens n'ont jamais été EXPOSÉE AU TROCADÉRO EN 1878. cultivateurs, mais outre qu'ils étaient navigateurs et commerçants ils exploi- toral découpé à jour, le diadème et ses deux sphinx d'or, le taient les mines partout où ils en trouvaient. M. Lenormant a poignard rehaussé en or et damasquiné, on a peine à croire émis sur ce sujet quelques considérations historiques qui méritent qu'au moment où ces précieux bijoux sortaient de l'atelier des d'être citées ici : « Voici trois faits élémentaires et dont les bijoutiers de Thèbes, l'Égypte était à peine débarrassée d'une recherches récentes sur l'humanité primitive ont partout vulga- longue et douloureuse invasion. » risé la connaissance. Le premier est la prodigieuse antiquité de Les bijoux dont parle ici M. Mariette ont figuré à l'Expo- la métallurgie dans les civilisations asiatiques ; le second, l'an- tion universelle de 1867, à Paris. Celui qui a été le plus remar- tériorité du travail du cuivre sur le travail du fer, à tel point que qué représentait une petite barque sacrée munie de son équipage. l'âge du bronze représente dans l'histoire de la civilisation une La barque est en or et les douze rameurs en argent; l'avant et longue période qui a précédé l'âge du fer. Le dernier fait, enfin, l'arrière du bâtiment se relèvent gracieusement et s'épanouissent est celui-ci, que presque aussitôt que les hommes ont su fondre en bouquets de papyrus. Le tout est monté sur un petit chariot le cuivre et en fabriquer des instruments, ils ont reconnu ses dont le train est en bois et les roues en bronze. nombreuses imperfections dans un emploi à l'état pur et la né- Il n'est pas d'ailleurs nécessaire d'aller jusqu'au Caire pour cessité de le rendre plus dur et plus résistant par un alliage. i i PHÉNICIE. 3 qu'en un mot ils se sont mis tout de suite à fabriquer du bronze. l 'industrie, ont pu être amenés à introduire dans leurs ouvrages Aussi haut que nous remontions dans les deux plus vieilles civi- des symboles tout à fait étrangers à leur nationalité. lisations du monde, en Egypte et en Chaldée, nous trouvons Le musée renferme aussi quelques bijoux d'or se rattachant l'usage du bronze. Celui des instruments en cuivre pur est si à la mission de M. Renan en Phénicie. Ce sont des colliers et bien abandonné, si bien oublié, qu'il n'a pas laissé de vestiges. des amulettes trouvés pour la plupart sur l'emplacement de Mais qu'est-ce que le bronze? Un alliage de cuivre et d'étain. l'ancienne Sidon. Un collier de fabrication phénicienne trouvé Or, les Égyptiens et les Babyloniens trouvaient le cuivre sur leur dans l'île de Rhodes est particulièrement curieux par le style de propre territoire ou dans des districts touchant à leur frontière ; sa décoration. Il est formé de petites plaques métalliques repré- mais, pour l'étain, on ne le rencontrait qu'à de bien grandes dis- sentant alternativement une Diane Persique et un centaure sous tances. Le moindre outil de bronze que l'on recueille auprès de la forme archaïque. On désigne généralement sous le nom de Memphis, dans un de ces tombeaux où il est demeuré enfermé Diane Persique, une figure ailée tenant un animal fabuleux dans depuis soixante siècles, révèle donc un antique et lointain com- chacune de ses mains; c'est un type originaire de l'ancienne merce qui apportait à l'Égypte pharaonique, naissant à la civi- Asie et qu'on rencontre assez fréquemment sur les monuments lisation au milieu des peuples encore absolument sauvages, étrusques. Quant au centaure, il présente la plus ancienne forme l'étain du Caucase, de l'Inde ou de l'Espagne. Sans ce com- de cette création mythologique, celle d'un homme au dos duquel merce, en effet, on ne pourrait pas en expliquer l'existence, s'adapte la croupe d'un cheval, mais qui garde par devant puisque l'étain ne se trouve dans la nature sur aucun point ses jambes humaines. Ce type grossier se trouve également plus rapproché de l'Égypte. » sur les vases grecs de l'époque archaïque, mais la coiffure L'étain, nécessaire pour la fabrication du bronze dont l'u- égyptienne donne à celui-ci une physionomie tout à fait sage a été répandu dans toute l'antiquité, a été un des objets spéciale. les plus importants du commerce phénicien. Primitivement, on D'autres bijoux phéniciens bien remarquables ont été trou- le tirait du Caucase, et il est probable que dans un certain temps vés dans les fouilles de Camiros par M. Salzmann, qui en fait il se transportait par terre au moyen des caravanes. Mais ce remonter la fabrication au viii® siècle avant notre ère. Ce ne genre de voyage au milieu de populations nomades et pillardes sont pas à proprement parler des pendants d'oreille, mais plutôt a dû être abandonné de bonne heure par les Phéniciens, qui des pendeloques destinées à être accrochées après le vêtement. d'ailleurs, à l'époque de l'empire d'Assyrie, se trouvaient à la Dans la première, un lion de style assyrien forme le milieu d'une merci d'un monarque assez puissant pour leur barrer le passage. plaque carrée ornée de trois rosettes en haut et en bas de deux Aussi ont-ils préféré la route de mer, où ils se sont trouvés têtes d'aigle. Trois anneaux suspendus à la base de la plaque longtemps sans rivaux. supportent, celui du milieu une fleur de grenade, et ceux de Quand les Grecs ont commencé à naviguer dans les îles delà côté des chaînettes auxquelles sont adaptées de petites têtes mer Égée, la piraterie est devenue un obstacle pour le commerce portant une coiffure égyptienne; des espèces de grelots suspèn- phénicien qui s'est vu obligé de prendre une autre direction où dus à ces petites têtes complètent la décoration de cette pende- il n'avait pas d'ennemis à redouter. C'est alors que les naviga- loque. L'autre est formée de deux plaques enrichies de rosettes, teurs de Tyr et de Sidon se sont dirigés vers l'Espagne, et, quand mais c'est une figure humaine et non un lion qui occupe le motif les mines qu'ils avaient trouvées dans ce pays ont été épuisées, ils central de la décoration. ont passé les colonnes d'Hercule, se sont aventurés sur l'Océan, et ont été chercher l'étain jusque dans les Iles Britanniques, à l'endroit où est aujourd'hui le comté de Cornouailles. Pendant une durée de siècles dont il est impossible de fixer HÉBREUX la limite historiquement, les Phéniciens ont été seuls détenteurs de l'étain. Ils n'avaient pas moins d'habileté à exploiter les mines d'or, et Ici les monuments figurés nous font absolument défaut et les vestiges de leurs énormes travaux dans l'île de Thasos exci- nous sommes obligés de nous en tenir aux textes. Malgré l'appa- talent encore longtemps après l'étonnement et l'admiration rence légendaire des récits concernant la sortie d'Égypte, c'est là d'Hérodote. seulement que l'industrie en général, et celle des métaux en Les bronzes de fabrication phénicienne sont assez rares, et particulier, commence historiquement pour le peuple de Dieu. les petites idoles que nous connaissons indiquent tout à fait Il faut convenir, au reste, que ce peuple de pasteurs, qui vient l'enfance de l'art. En revanche, nos musées renferment quelques de traverser la mer Rouge en fuyant, se met assez vite en produits de l'orfèvrerie et de la bijouterie phéniciennes, mais besogne. A psine est-il campé sur la limite du désert, avec fin- ce n'est pas dans la Phénicie même que la plupart ont été trou- tention bien arrêtée de ne pas y rester, puisqu'il cherche la terre vés, c'est plutôt dans les îles de Chypre et de Rhodes, qui ont promise, qu'il reçoit du Seigneur la plus belle commande d'or- été, antérieurement à la période grecque, peuplées par des fèvrerie dont il ait été question dans les fastes historiques du Phéniciens. Comme orfèvrerie, nous citerons les précieuses métal. Il s'agit d'abord de l'arche sainte qui doit être entière- coupes d'argent découvertes par M. de Saulcy à Chypre et données ment revêtue de plaques d'or, et au-dessus de laquelle il faut par lui au musée du Louvre. Ces coupes présentent un singulier suspendre une couronne du même métal. Puis il faut un pro- mélange d'emblèmes asiatiques des différentes époques, et pitiatoire de l'or le plus pur, qui aura deux coudées et demie de peuvent nous donner une idée des vases de métal que les longueur, sur une coudée et demie de largeur, avec deux chéru- Phéniciens portaient aux Grecs de l'âge héroïque et dont Ho- bins d'or; puis des plats, des coupes, des encensoirs, des vases mère fait mention. Nous voyons aussi comment les Grecs, dis- pour les libations, des lampes, etc., tout cela en or; puis enfin ciples et imitateurs des Asiatiques pour tout ce qui touche à le fameux chandelier à sept branches, trois de chaque côté de la LE MÉTAL DANS 4 L'ANTIQUITÉ PRIMITIVE. branche principale, et, sur chaque branche, des pommes et des reprochent aux femmes d'Israël leur penchant effréné pour les lis d'or, avec une coupe en forme de noix. parures, ils ne manquent pas d'ajouter que les bracelets et les D'après les descriptions très précises de la Bible, les objets colliers qu'elles portent sont des ouvrages de Tyr et de Sidon. fabriqués dans le désert par les Hébreux devaient ressembler, à s'y En'somme, si les récits de la Bible prouvent que, à différentes méprendre, à ceux que nous voyons représentés sur les monu- époques de leur histoire, les Israélites ont possédé de grandes ments égyptiens de la dix-huitième dynastie, époque à laquelle on richesses comme pièces d'orfèvrerie, ou de bijouterie, ils n'af- rattache ordinairement le départ des Israélites. L'arche sainte dont firment pas qu'ils en soient les auteurs directs, et semblent même étran- parle l'Écriture reproduit identiquement celle que nous voyons indiquer qu'elles n'étaient chez eux que des importations figurer sur les barques sacrées d'Osiris et d'Ammon, et, si la barque gères. Il est donc impossible d'établir que les Hébreux aient a disparu, c'est qu'elle était l'emblème du Nil, dont la fécondité jamais eu en art un style qui leur fût personnel; on n'a retrouvé aurait inspiré des regrets aux Hébreux, pendant la rude traversée aucun objet qui leur appartienne, et, si l'on veut s'en tenir aux Moïse du désert. Si nous ajoutons à cela que le Veau d'or, auquel les textes, on verra que tout ce qui s'est fait au temps de s'est à l'art de la Hébreux rapportent si volontiers leurs hommages, dès à l'art ce fait que Moïse appartient égyptien, qui ensuite, a le dos tourné, rappelle singulièrement le culte d'Apis, on verra Phénicie et de l'Assyrie, jusqu'à la conquête d'Alexandre, où le que les Hébreux, durant toute cette période, n'ont fait qu'appli- goût grec, et ensuite romain, s'est substitué aux vieilles traditions quer ce qu'ils avaient appris des Égyptiens pendant leur capti- orientales. vité. Il peut, du reste, paraître assez singulier que des hommes qui traversent un désert, sans autre nourriture que la manne qui ASSYRIE ET CHALDÉE tombe du ciel, sans autre abri que la tente où vivent les tribus nomades, se livrent à des travaux du genre de ceux dont on vient fie parler, et soient suffisamment outillés pour les mener à bonne L'origine des peuples qui habitaient la vallée de l'Euphrate fin. La critique du dernier siècle s'est beaucoup inquiétée de sa- et du Tigre est tellement enveloppée de récits légendaires, que confond avec la voir où les Hébreux prenaient les métaux nécessaires pour de leur histoire primitive se partout mythologie. pareils travaux; l'exploitation des mines n'est guère dans les ha- A plus forte raison n'est-il pas possible de raconter les développe- bitudes des peuples nomades, et, quand on est en quête de la ments successifs de leur industrie, dont les premiers tâtonne- promise, on doit s'arrêter difficilement en chemin pour ments sont absolument inconnus. Une terre inscription cunéiforme, creuser des rochers et demander à la terre ses richesses souter- gravée sur un bronze assyrien et traduite par M. Oppert, paraît raines. Il est vrai que les vases précieux pris aux Égyptiens pou- démontrer que, vingt siècles avant notre ère, les Assyriens sa- la être fondus et employés à d'autres vaient assez travailler le bronze pour en faire des statuettes. Les vaient à rigueur usages, installation incompatible avec palais de Khorsabad et de Nimrod, qui répondent au vu® et au mais ce travail exige encore une le genre de vie qu'on mène forcément à sous la tente. Cependant, VIII® siècle avant notre ère, ont fourni nos musées quelques sait les Égyptiens exploitaient des mines impor- échantillons qui dénotent à cette époque un. art très et comme on que puissant tantes dans la presqu'île du Sinaï, et qu'ils y avaient des usines absolument maître de ses procédés. dont on retrouve la trace, dans le un lieu actuellement nommé Tout le monde a vu, au musée^ assyrien du Louvre, petit autel à trois faces c'est le Oualy-Magarah, qui est à près le point où, suivant la tra- lion en bronze qui est sur un peu placé ; dition. Moïse aurait reçu les ordres du Seigneur, on peut sup- premier monument découvert par M. Botta à Khorsabad. M. de poser que les Hébreux, maîtres pendant quelque temps du pays, Longpérier en explique ainsi l'emploi : « Cette admirable figure, auraient exploité eux-mêmes les mines de la contrée qu'ils dit-il, un des plus beaux ouvrages que l'antiquité nous ait légués, occupaient, ou plutôt encore, qu'ils auraient fait travailler base pour paraît n'avoir pas eu d'autre destination que de servir de leur compte les ouvriers égyptiens, devenus momentanément et de décoration à l'anneau qui la supporte; anneau auquel on attachait probablement l'extrémité d'une corde, à l'aide de la- leurs prisonniers. donne à dernière version un certain caractère quelle on hissait un voile au-dessus de la porte. Ce lion n'était Ce qui cette de probabilité, c'est qu'à partir du moment où ils ont quitté la pas mobile; à sa partie inférieure existe un goujon de scellement. presqu'île du Sinaï, les Hébreux paraissent ignorer absolument 11 ne doit donc pas être confondu avec d'autres lions de bronze l'art de travailler les métaux. Pendant qu'ils sont commandés par trouvés récemment à Nimrod, et sur lesquels on voit des inscrip- ces Josué, et, durant toute la période des juges, il n'est aucunement tions cunéiformes et en caractères phéniciens. On pense que question de cette industrie. Lorsque Salomon veut bâtir son monuments ont servi comme poids. Quant au lion de Khorsabad, temple, il ne trouve dans son peuple personne qui soit capable de il appartenait bien certainement au système général des portes; le seconder dans ses vues, et est obligé d'appeler à son aide le car à chacune d'elles on a retrouvé les pierres du scellement où Phénicien Hiram, qui fait toute la besogne avec ses ouvriers de des figures pareilles avaient été fixées. » nous fournissent ren- Tyr et de Sidon. L'Écriture entre dans de minutieux détails Les inscriptions assyriennes quelques pour décrire toutes les magnificences du temple, mais il résulte seignements sur les objets d'or et d'argent que possédaient les des textes mêmes qu'elles étaient dues à des ouvriers étrangers, monarques assyriens, et témoignent de leur prodigieuse opulence. et il n'est probable Salomon aurait employé des païens Celle qui est connue sous le nom de Fastes de nous pas que Sargon ap- pour l'orfèvrerie religieuse dont il avait besoin, s'il avait pu prend, par exemple, que ce prince a réjoui le cœur des dieux confier à ses coreligionnaires un travail qui devait être considéré par ses magnifiques présents consistant en vases d'argent ciselé, comme sacré. Au reste, les Juifs ne paraissent pas davantage en bijoux pesants, et qu'il prodiguait à ses lieutenants des ca- s'être livrés à la bijouterie profane, car, lorsque les prophètes deaux consistant presque toujours en riches pièces d'orfèvrerie. GRÈCE. est attesté par trop d'historiens contemporains pour qu'on puisse le mettre en doute, mais nous manquons de renseigne- ments pour déterminer le style et le caractère particulier des grands ouvrages d'orfèvrerie dont il est si souvent question dans les auteurs. Hérodote, parlant du camp des Perses, pris par Pau- sanias, après la bataille de Platée, dit qu'on y trouva des lits dorés et argentés, et une quantité énorme de cratères, de coupes et de vases de toutes grandeurs en or et en argent. Ces richesses étonnèrent tellement le général grec, qu'il trouva plaisant, après sa victoire, de se faire préparer deux dîners, l'un dans la vaisselle du vaincu, l'autre suivant l'usage lacédémonien. Alors, réunissant ses officiers : « Compi-enez-vous, leur dit-il, la folie de ces Au reste, la prodigaqluiit,éayanét cthaeziteuxuunneetabvleesirritcuhe, vf gens-là, ieannceinltede sài loincpeousr rois guer- en chercher chez nous une si misérable ? » riers, dont la richesse cAloexnansdriesétparoiutvaelanmêumensurpbrisue teninpénéqtruanit dsanes lerenouvelait camp de Darius après la bataille d'Arbelles. Plutarque rapporte sans cesse. Et dans laqued, leorsqcu'irl ivpit tquioe tnoutesdles cocuepes,blesubatsisnins, ent laobuaisgnoivreoyons tou- elle-même étaient faits de métaux précieux, le monarque macé- jours un trône en or, duonnien cnehpautrreetenir aunrgcriedn'atd,mirdateiosn. Lteias rdeesscr,iptiodnes s sceptres, des palais de Suse, de Persépolis, d'Ecbatane, dépassent en des parasols, où les piseplernrdeurrsiecelsles dque'ontvoouit dsans glees Mnirlleeset unseoNnuitts. Maasl-sociées aux heureusement, les fouilles qu'on voudrait tenter dans ces métaux précieux. Asscuontrrédesaninhiopspaitall,ièreds apnréssentuennt ede tienlless cdirffiicpulttéiso, qnue contenant nous ne trouvons dans nos musées aucune pièce à l'appui de le récit d'une de ses viccestroéciitrs.es, rapporte qu'il a pris comme butin une quantité de chevaux et de mules dont les harnais étaient d'or et d'argent. Néanmoins, tant de dévastations ont 11 passé sur ces con- trées, aujourd'hui transformées en déserts, que les pièces d'orfè- vrerie ou de bLiEjoutMerÉieTaAsLsyriennes sont aujourd'hui de la plus extrêmDeANSrarLe'AtéN.TILQeUITmÉusCéLeASdSuIQLUoEuvre renferme pourtant, dans la salle des bronzes, quelques bijoux d'or, des tablettes en or, obsidienne, et les nombreux fragments de poterie dont aucune eGnRÈCaErgent et en bronzn'eest,au etoutr, iqnduiqueelnqt uuneeéspoqume qeui nneussauraitoêbtrejbeietnsé,loi-insuffisants gnée de celle lqeu'on assigne à la guerre de Troie. Comme on n'a d'ailleurs pour caracttérourviésaeucrune insscritpytiolnedadnselesl'téompbeoauqxuoueve.rts à Mycènes, Suivant les traditions mythologiques, Vulcain, le dieu for- ce qui est contraire à toutes les habitudes postérieures, on est geron, faisait tous les ouvrages en métal dont les dieux avaient autorisé à penser que l'alphabet n'était pas connu à l'époque où besoin, et c'est Prométhée, le grand instructeur du genre hu- ces tombes ont été creusées. main, qui, en dérobant le feu du ciel pour le donner aux hommes, Dans la première tombe qui a été ouverte à Mycènes, le est le créateur des industries métallurgiques. Comme ces légendes docteur Schlieman a trouvé trois squelettes de femme littéra- n'ont aucun caractère historique, nous devons renoncer pour le lement couverts de bijoux ; elles étaient couchées sur un lit de moment à rechercher l'origine du travail des métaux en Grèce. cailloux et entourées encore des cendres du bûcher funèbre. La Nous pouvons seulement constater que les objets en métal, dé- quantité de piPècesEd'oRrfèvSreriEe déposées dans ce sépulcre prouve couverts récemment par M. Schlieman dans la Troade et dans à la fois le rang élevé des personnages auxquels il était destiné, l'Argolide, fournissent les plus anciens documents qu'on con- et l'importance que, dans ces époques reculées, on attachait au naisse sur le sujet qui nous occupe. Ce n'est pas ici le lieu d'exa- travail des métaux. Une grande couronne ornée de trente feuilles miner si, lorsqu'il parle des bijoux de la belle Hélène ou des d'or, dix couronnes et dix diadèmes d'or de moindre dimension, armes d'Agamemnon, le savant antiquaire ne met pas un de six Nous peu coupes d'or, et une quantité d'objets et de fragments du complaisance pour certaines attributions historsiqouem comme s, qmuiecosn- obmliêgmée msétapl,omountrrenctequeql'uoriétcaitodn'unceemrpnloiefréqlauentPdaensrse, viennent plus particulièrement au but de ses recherches. L'ab- la classe opulente. Au point de vue de l'art, le travail de ces ob- sence complète de fer, la prépsenoceuderflècchees dqonut lia pocinotencernejetsleesst asseHz béarbbarre, umaxis,l'indteentionnodeul'sartisetenest ttoeujnouirsr aux docu- est en ments écrits. Le luxe inouï des rois de Perse et de leurs satrapes 6 LE METAL DANS L'ANTIQUITÉ CLASSIQUE. nettement exprime'e et se comprend aise'ment malgré l'inexpé- dispensent tout à fait de les faire, et nous avons au Louvre des rience du dessin. Plusieurs statuettes représentent des femmes têtes, où l'on voit deux moignons pour exprimer le nez et le très grossièrement sculptées : les représentations d'animaux sont menton, avec deux trous pour exprimer les yeux, mais rien de assez nombreuses. Dans le premier sépulcre on a trouvé onze plus. Les Grecs contemporains de la guerre de Troie ont dépassé petits cerfs, sept lions depuis longtemps cette couchés et quatre debout, période etleur expérience plusieurs grands oiseaux. est suffisante pour leur Enfin plusieurs plaques permettre de rendre tous d'or sont décorées de les traits du visage : les tours sur lesquelles est narines, les lèvres, les posée une colombe. paupières, tout y est as- La seconde cham- surément, et on ne se bre sépulcrale contenait trompe pas sur Tinten- cinq hommes, dont les tion. Mais si Ton com- corps, couverts de bi- pare ces têtes à celles joux, portaient la trace que TÉgypte savait faire évidente du feu qui les bien des siècles aupara- avait consumés. Trois de vant, on reconnaîtra que ces personnages avaient je n'affirme rien d'exa- le visage entièrement re- géré en disant que l'art couvert d'un masque en grec à cette époque était or massif, d'un travail encore dans la barbarie. extrêmement soigné dans Le docteur Schlie- les détails, car on peut y man voit dans les person- compter les poils de la nages dont nous venons barbe et des sourcils. de parler les corps d'A- Toutefois, je ne puis gamemnon et de ses souscrire à l'opinion du compagnons, massacrés docteur Schlieman, qui par Égisthe et Clytem- voit là des portraits d'une nestre. Celui qui, si Ton individualité fortement adopte cette attribution, accusée. C'est un peu serait sans doute Aga- moins barbare que les memnon, portait, outre images phéniciennes ou son masque, un casque chypriotes de l'époque en or massif, dont la par- primitive, mais c'est tout tie postérieure est sculp- ce que je puis leur accor- tée de manière à imiter der. On peut voir dans la chevelure : il avait la salle de Chypre, au également une cuirasse musée du Louvre, quel- composée de plaques ques têtes qui marquent d'or. la première enfance de Parmi les objets la sculpture : les- parties placés dans ce tombeau, saillantes sont toujours il y avait deux scep- beaucoup plus accen- tres dont M. Schlieman tuées que les parties ren- donnela description sui- trantes, et c'est là un vante. « La tige d'argent caractère essentiel de l'art de ces sceptres a été pla- à son début, qu'on re- queé d'or, comme on trouve également dans peut le voir sur la partie les idoles de la Polynésie. qui s'enfonce dans les Un gamin qui veut faire pommeaux de cristal de une tête avec de l'argile HERACLITE. roche tournés avec tant prend une boulette de d'élégance. La boule de terre pour faire le nez, une autre pour faire le menton, et ces cristal est ornée de sillons verticaux et percée dans toute sa Ion- deux appendices prennent toujours dans son travail une im- gueur. » Il est fâcheux qu'Homère, en nous faisant savoir que lé portance démesurée. En revanche, quand il entreprend de faire sceptre d'Agamemnon a été fabriqué par Vulcain, ne nous ait 1 œil ou la bouche, il ne sait plus du tout comment s'y prendre. donné aucun détail sur sa forme : il eût été curieux de compa- C est pour cela que les artistes phéniciens et chypriotes se rer la description du poète avec la trouvaille de l'archéologue. 8 LE METAL DANS L'ANTIQUITE CLASSIQUE. Aucune des pièces découvertes dans les tombeaux de My- d'orfèvrerie découvertes à Mycènes. Mais si la description cènes ne nous autorise à penser que le fameux bouclier d'Achille, d'Homère ne nous semble pas pratique sous le rapport de la dis- dans l'Iliade^ soit autre chose qu'une œuvre de pure imagina- position de l'ensemble et de l'agencement multiple des scènes tion. D'après les indications du poète, on aurait vu sur ce hou- à représenter, elle ne nous fournit pas moins un document très cher la représentation des astres, celle de la terre et de la mer, curieux pour la partie technique du travail des métaux. Nous les luttes sanglantes de la guerre, les travaux des champs, l'image y voyons l'emploi simultané de l'or, de l'argent, du cuivre, du des villes et celle des campagnes, avec les peuples qui les fer et de l'étain, et la connaissance des procédés de la soudure, habitent, les troupeaux au pâturage, etc. Une pareille complica- de la gravure et de la ciselure. On y voit même qu'à cette tion de sujets, difficile dans tous les temps, à cause de la époque on savait, au moyen de certains alliages, modifier la confusion qu'elle aurait présentée, est inadmissible sous le couleur apparente des métaux. De même, dans la description rapport technique, à l'époque où ont été exécutées les pièces du bouclier d'Hercule, par Hésiode, on trouve une cuirasse en TRÉPIED EN BRONZE. MUSÉEDENAPLES.. or de diverses teintes, des jambières en cuivre jaune, etc. Si le liastes, n'avaient qu'une seule ouverture pour aspirer et pour poète a donné libre cours à son imagination, lorsqu'il décrit les exprimer l'air, en sorte qu'il y avait forcément interruption dans scènes représentées, il doit certainement être cru sur parole, le souffle. On conçoit dès lors qu'il y ait eu dans la forge de Vulcain lorsqu'il parle de certains effets métallurgiques, qu'il n'a pas pu vingt soufflets agissant alternativement; c'était sans doute pour inventer, et qui indiquent une industrie déjà maîtresse de ses établir un courant d'air continu. Le métal se fondait dans des creu- procédés. sets, et était ensuite travaillé au marteau et ciselé dans certaines Les instruments qu'on employait an temps d'Homère pour parties. Pendant toute l'antiquité l'art du statuaire a été absolu- travailler les métaux ne paraissent pas très nombreux, ni très ment confondu avec l'industrie du fondeur : chaque artiste pra- compliqués. Vulcain avait dans ses forges un marteau, une en- tiquait lui-même toutes les parties techniques de ses ouvrages. clume et des tenailles. C'est avec cela que ses ouvriers façonnaient L'industrie de la fonte fleurit d'abord dans l'île d'Égine, le métal après l'avoir allié et fondu d'une manière convenable. ensuite dans l'île de Délos. Corinthe eut pendant plusieurs Les soufflets de la forge de Vulcain, si nous en croyons les sco- siècles la réputation de fournir les plus beaux bronzes, mais cette GRÈCE. 9 réputation déchut et s'éteignit même complètement plus tard. le regard bien mieux qu'ils ne représentent l'organe lui-même; Le bronze corinthien était de plusieurs couleurs et les différentes faits de pierre dure ou d'émaux, ils ont une puissance de fixité et parties de la statue présentaient elles-mêmes des nuances diñé- d'attraction aussi conforme à la vie supérieure, qui est celle de rentes. L'étain, le zinc et le plomb constituaient avec le cuivre l'art, qu'éloignée de la réalité vulgaire. Rien ne ressemble moins les alliages les plus ordinaires, mais dans des proportions très aux yeux que pourraient fabriquer nos naturalistes. La bouche, variables. Le fer a été très rarement employé pour la statuaire : elle, présente d'ordinaire un travail particulier, dans ce sens que quant au plomb, on s'en servait surtout pour des amulettes, des le cartilage qui borde les lèvres est accusé par un sillon très pro- cachets ou autres petits objets du même genre. noncé faisant de la partie qui est rouge dans la nature une sorte « Dans les statues comme dans les bustes en bronze, dit de cloison dans laquelle on croit quelquefois apercevoir des restes M. Guillaume, les yeux sont souvent rapportés. Ces yeux rendent de couleur. » A l'appui de ce qu'on vient de dire, il est bon de SILÈNE EN BRONZE. — NAPLES. NARCISSE. MUSÉE DE NAPLES. rappeler que les fameuses danseusesj qui décoraient le théâtre philosophes dont la série est assez nombreuse se plaçaient soit d'Herculanum ont les yeux en émail. Dans une jolie statue dans les bibliothèques attachées aux gymnases et aux temples, d'Apollon, en bronze, qui fait partie des collections du Louvre, soit dans celles que les particuliers avaient toujours chez eux. les yeux étaient en argent. Une foule de bustes en bronze n'ont Quelques-uns de ces bustes sont superbes, mais ils ne présentent plus aujourd'hui que des trous à la place des yeux, qui étaient pas tous des garanties bien complètes de ressemblance, parce rapportés et faits avec différentes matières. que la plupart ont été exécutés longtemps après la mort du Les statues en bronze étaient beaucoup plus communes personnage qu'ils représentent. Quant aux statuettes, il est dans l'antiquité que les statues en marbre, mais elles ont été probable qu'on les employait surtout à la décoration des presque toutes fondues, pour utiliser le métal dont elles étaient appartements, à peu près comme nous le faisons aujourd'hui. formées. Les grandes statues étaient placées dans les temples et On en a retrouvé un grand nombre dans les maisons de Pompéi décoraient les édifices. L'usage des bustes n'pst devenu fréquent et d'Herculanum. Les fouilles exécutées dans ces dernières qu'après la conquête de la Grèce par les Romains. Les bustes de années par M. Fiorelli ont encore mis au jour quelques sta- LE MÉTAL DANS L'ANTIQUITÉ CLASSIQUE. tuettes ravissantes, entre autres celle que l'on de'signe sous le de beaucoup le métal qui était employé le plus fréquemment pour nom de Narcisse. la confection du mobilier. Les trépieds, notamment, sont presque Les armes, les boucliers, et maints objets en bronze étaient toujours en bronze; on sait que les trépieds servaient aux céré- d'abord travaillés au marteau et recevaient ensuite l'ornement monies sacrées dans les temples. Mais leur usage était aussi très d'un dessin en or : les ornements d'argent étaient, en général, répandu chez les particuliers, où ils faisaient en quelque sorte ceux qu'on préférait pour les chars. Pour les petits objets porta- l'office de nos fourneaux. Quelques-uns sont décorés avec la plus tifs, tels que les vases ou les candélabres, on employait souvent grande recherche. plusieurs métaux dont la teinte faisait contraste. Mais le bronze est Les premiers candélabres n'étaient pas autre chose que la LAMPADAIRE EN BRONZE AVEC INCRUSTATIONS D'ARGENT. MUSÉE DE NAPLES. tige d'une plante ou d'un roseau, qu'on entrait dans la terre et lement des feuillages rameux ou des arabesques de différentes en haut de laquelle on mettait un plateau pour y poser une couleurs, résultant de l'emploi accessoire des métaux dont la lampe. On fit plus tard de ces tiges des imitations en métal, dans teinte contraste avec celle du fond. La plupart des candélabres lesquelles le plateau prit bientôt la forme d'une fleur ou d'un vase, sont en bronze, et paraissent être sortis du moule entièrement tandis que la base fut formée de pieds d'animaux et plus spécia- ; terminés, car s'il en était autrement, on verrait la trace du burin. lement des griffes d'un lion. La plupart des tiges des candé- La damasquinure s'exécutait en creusant le métal principal, de labres sont de longues colonnettes cannelées; quelques-unes pour- sorte que les côtés du creux soient en biais et qu'il aille en tant appartiennent au style rustique et affectent d'imiter un j s'élargissant vers le fond comme une espèce de mortaise. Quand tronc d'arbre ou un roseau, mais celles-ci ne sont pas pour cela I on a introduit dans ces sillons le second métal, on polit soigneu- d'une date plus ancienne, seulement elles montrent une fois de j sement la surface entière de l'ouvrage, de manière que le fond et plus le penchant qu'avaient les anciens à revenir aux formes I les métaux enchâssés paraissent être d'une seule pièce, primitives. Pour décorer les candélabres, on employait généra- i Quelquefois la tige du candélabre se transforme en un per- GRÈCE. sonnage qui fait ainsi l'office de porte-lumière. Le Silène candé- une caricature, mais l'art a su en tirer le plus heureux parti, labre du musée de Naples peut être regardé comme un des surtout dans les objets mobiliers, où, malgré son allure chance- modèles les plus exquis que nous ait laissés l'antiquité dans les lante. Silène est souvent employé comme support. applications de l'art à l'industrie. Silène qui, dans la mytho- On donne le nom de lampadaires à des candélabres auxquels logie, personnifie l'outre dans laquelle le vin était enfermé, n'est les lampes sont suspendues par des petites chaînes au lieu d'être pas par lui-même un type bien gracieux. Le père nourricier de simplement posées sur la tige. On trouve à Pompéi plusieurs Bacchus est représenté vieux, et presque toujours obèse et carac- lampadaires dont la décoration est très remarquable. Les lampes térisé par la saillie énorme de son ventre. C'est en quelque sorte ont quelquefois des formes assez bizarres : il y en a qui repré- TABLE ET LAMPADAIRE DE POMPÉl. — BRONZE DU MUSÉE DE NAPLES. sentent des animaux, chevaux, boeufs, chiens, cerfs, oiseaux, l'Inde et surtout de la Libye : les morceaux d'ivoire étaient •reptiles et jusqu'à des colimaçons. assemblés sur une âme de bois soutenue par des barres de fer, au Les grands meubles tels que les coffres pour resserrer les moyen de la colle de poisson. L'or qu'on employait était tra- vêtements, les lits, les chaises, les tables, étaient très souvent en vaillé au repoussé, et se composait de lames généralement très métal. Il y a au musée de Naples une belle table en bronze dont minces. Les statuaires les plus illustres se livraient à ce genre le pied unique est formé par une Victoire ailée qui porte un de travail : le Jupiter, que Phidias avait fait pour le temple trophée. d'Olympie, et sa fameuse Minerve qui était placée dans le Par- Chez les Grecs, le travail de l'ivoire était considéré comme thénon étaient en ivoire et en or. En général, le visage, les mains, une branche du travail des métaux, et on associait l'ivoire et et les parties nues étaient exécutés en ivoire, et on réservait l'or l'or, non seulement dans une foule d'objets mobiliers, mais pour les draperies et les accessoires. encore dans des statues de grande dimension. L'ivoire venait de La bijouterie et l'orfèvrerie sont les annexes naturels de la LE MÉTAL DANS L'ANTIQUITÉ CLASSIQUE. sculpture dont elles ne different que par la dimension des objets. généralement décorés avec des statues en bronze doré. On faisait des matières précieuses, il est des statues colossales, mais surtout un très nombre de Mais comme elles n'emploient que grand pourquoi les productions de ce genre sont si statuettes, de aisé de comprendre vases, de candélabres, de trépieds, de réchauds, de tom- de miroirs. Les rares dans nos collections. L'usage de déposer dans les cistes, cistes, auxquelles on attribuait autrefois beaux les un objets caractère ayant appartenu au défunt fait qu'on a pu purement religieux, passent pour avoir été simple- de fabrication grecque. Au ment des boîtes en bronze à l'usage des dames néanmoins retrouver quelques bijoux qui y resserraient ils mêlés dans les vitrines avec les bijoux étrusques les parfums et les divers dont elles se servaient pour Louvre, sont objets dont nous nous occuperons tout à l'heure. leur toilette. Les cistes sont rondes, et généralement décorées La numismatique forme une des branches les plus impor- .sur leur face extérieure de sujets gravés au trait et souvent du métal. La première manière empruntés à la mythologie. Il en est de même des miroirs de tantes de l'histoire artistique de le dont le revers une scène dont mytho- on s'est servi du métal comme moyen d'échange fut métal, porte presque toujours monnaies furent d'abord des pièces informes logique gravée au trait et souvent encadrée dans une orne- donner au poids. Les Les miroirs ont une forme et grossièrement travaillées, sur lesquelles on imprima ensuite mentation très gracieuse. étrusques une pour en indiquer le poids et la valeur. Le poids est ronde ou ovoïde et sont pourvus d'un manche qui est fré- marque base le fondement de toute espèce de monnaie; mais l'his- quemment décoré de ciselures, et la et prend quelquefois la forme toire de l'art ne commence pour les monnaies qu'à partir du d'une statuette. moment où y figura, comme signe, un emblème ou une effigie. Quoique les Étrusques aient, à un moindre degré que La monnaie étant une mesure qui sert à établir la valeur de les Grecs, le sentiment de la pureté des formes, on leur doit toutes choses, dû être connue très anciennement; mais il est quelques très belles statues, par exemple celle qui est intitulée a impossible de fixer une date à son origine. Rien dans les poèmes rOratew. Dans la représentation des animaux, les Étrusques d'Homère donne à que la monnaie existât de son ont gardé, presque sans les modifier, les formes traditionnelles ne penser Quelques-uns attribuent à Phidon, roi d'Argos, l'usage qui avaient cours en Asie. C'est ainsi que la fameuse Chimère du temps. de remplacer par du métal monnayé le métal en barre qui avait musée de Florence, que les lions, les griffons, les oiseaux, rap- jusque-là. Les premières monnaies avaient une face pellent fréquemment les animaux du même genre que l'on voit eu cours plate et une autre dont la convexité était au contraire très pro- sur les monuments de l'Assyrie et de la Perse. noncée. Les emblèmes étaient représentés sur la face convexe. La bijouterie étrusque avait dans l'antiquité une très grande Il faut compter plusieurs périodes dans l'histoire artistique réputation, que justifient pleinement les objets de çe genre qui des monnaies dans nos collections. Elle diffère d'ailleurs très grecques. Les premières monnaies sont reconnais- ont pris place peu sablés à leur forme globuleuse et à la grossièreté de leurs de la bijouterie grecque, et l'attribution qu'on donne aux bijoux emblèmes. Dans la seconde période, qui est celle des guerres antiques vient moins des caractères particuliers de leur style que mèdiques, la pièce est moins épaisse, mais si la fabrication laisse du lieu où ils ont été trouvés. Aussi les range-t-on générale- à désirer, la beauté du dessin en fait de véritables œuvres ment sous la désignation de bijoux gréco-étrusques. Mais les encore d'art. La troisième période, qui est celle des Macédoniens, est la tombeaux de l'Étrurie en ont fourni beaucoup plus que ceux de plus brillante de l'histoire monétaire. la Grèce proprement dite. Les emblèmes représentés sur les monnaies grecques sont Nos collections renferment un grand nombre de fibules Ainsi voit une tortue sur les monnaies étrusques. Les hommes se servaient de fibules retenir sur de plusieurs sortes. on pour d'Égine, des boucliers celles de Béotie, des abeilles sur celles le haut de la poitrine les extrémités du vêtement. Les femmes sur d'Éphèse. s'introduisit de les mon- les employaient aussi pour divers usages, mais surtout Plus tard, l'usage graver sur pour naies l'image des divinités, et dans la période macédonienne retenir leur manteau, ou bien pour retenir le voile sur leur tète. celle des princes. Quelquefois le sujet représenté sur le revers Les fibules étrusques présentent assez généralement la forme de la monnaie est allusion aux jeux publics; ainsi un bige d'un axe renflé vers le milieu, et la pointe de l'épingle est recou- une couronné la Victoire symbolise les courses de char. Enfin verte par une espèce de fermoir. par les médailles reproduisent souvent les œuvres d'art célèbres, que Les colliers forment une série très importante parmi les les voyageurs venaient visiter dans la ville; c'est ainsi que les bijoux étrusques, et nos musées en renferment une série très médailles de Cnide représentent la fameuse Vénus de Praxitèle, intéressante. Ils se composent en général de fils d'or tressés ou qui était placée dans le temple de la déesse. Ces reproductions contournés au nœud, avec un pendant de dimension variable qui il est vrai, des imitations libres, mais elles servent aux occupe le milieu du collier. Ce sont, pendant représente une fleur, un restitutions tentées par l'archéologie, et nous avons souvent par animal, une tête, ou un petit personnage. Il y a entre autres, la numismatique des documents intéressants sur les chefs- dans notre collection de bijoux du Louvre, une petite tête barbue d'œuvre portant des cornes et des oreilles de taureau, qui est un disparus. petit chef-d'œuvre de ciselure. La barbe est couverte de granules d'or excessivement fins et réguliers, et les cheveux sont imités avec fils d'or tournés en et terminés au centre un ÉTRUSQUES des spirale par petit grain. La tête est coiffée d'un diadème d'une forme ravissante. La couronne, qui, chez les peuples modernes de fOccident, L'art de fondre les métaux paraît avoir existé chez les est devenue l'emblème de la royauté, n'était pour les anciens Étrusques dès les temps les plus reculés. Les statues de bronze qu'un simple bijou faisant partie de la parure, au même titre étaient tellement nombreuses dans leurs cités, que les Romains en que le bracelet ou le collier. Les couronnes d'or sont quelquefois comptèrent jusqu'à deux mille. Les frontons des temples étaient très simples de forme. Il y en a qui consistent en une lame de L ORATEUR. — BRONZE ÉTRUSQUE DU MUSEE DE FLORENCE. '4 LE MÉTAL DANS L'ANTIQUITÉ CLASSIQUE métal souple et étroite faisant l'office du ruban qu'on plaçait sur aient pu servir de parure. On présume que ce sont des orne- la chevelure. D'autres, au contraire, sont extrêmement chargées ments funéraires fabriqués tout exprès pour être déposés dans la d'ornementation. Nous avons au Louvre un diadème en or et en tombe avec les restes du défunt. émail, qui est décoré par une série de petites marguerites dont L'ornementation des pendants d'oreilles est extrêmement le centre est orné d'une perle en pâte de verre, et qui sont riche et surtout d'une incroyable variété. On y voit des disques, entourées d'autres fleurs plus petites et de palmettes émaillées. des cornes d'abondance, des fleurs, des fruits, des têtes humaines A ce motif principal se mêlent des ornements en feuilles d'or, ou des personnages entiers, des animaux réels ou fantastiques, en cordelé et en émail, dont l'assemblage forme un ensemble s'entremêlant à des rosaces, à des houppes, à des croissants, se de la d'une extrême ensemble élégance. reliant par des petites chaînettes, ou se groupant Plusieurs des couronnes antiques exposées dans nos musées manière la plus gracieuse. Des petits génies dans toutes les pos- sont d'une dimension trop petite pour avoir été portées sur la tures se jouent parmi des pierres précieuses, des pâtes de verre tête ; d'autres sont composées de feuilles d'or rattachées à une ou des émaux dont la couleur est d'une délicatesse exquise. tige d'une telle ténuité, qu'il n'est pas probable non plus qu'elles Les scarabées étaient très employés dans la bijouterie étrusque, principalement pour les chatons de bague. Bien que à profusion dans les colliers, dans les diadèmes et dans les pen- ce type soit égyptien, il est probable qu'il n'avait pour les Étrus- dants d'oreille. Ils sont ordinairement formés soit de petites en ques aucune signification religieuse et qu'il ne faut voir dans ces bandes et de plaques d'or réunies, soit de fils d'or tournés objets qu'une mode importée de l'étranger, mais dépourvue de manière de corde : quelquefois aussi ils imitent les enroulements toute idée symbolique. Presque toutes les bagues sont accom- du serpent. pagnées d'un chaton plus ou moins saillant, de forme variable et décoré d'ornements divers. Quelquefois cependant le chaton est remplacé par un simple élargissement de l'anneau : il y en a un ROMAINS certain nombre qui portent un nom ou des initiales gravées en creux, et qui ont très probablement servi de cachet. Les cachets étaient d'une l'art chez les il tou- grande utilité dans les sociétés primitives où l'usage Quand on parle de Romains, s'agit il a des serrures était encore peu répandu. jours de l'époque impériale, car avant cette époque y Les bracelets sont en général d'un travail ils des l'art assez simple et ouvrages de style étrusque ou de style grec, mais jamais les romain n'est en réalité qu'une continuation, ou, si l'on une offrent cette particularité qu'ils ne portent presque veut, contraire transformation de ce qui s'était fait précédemment. De très belles pierres fines et les pâtes de verre, qu'on employait au ROM AINS. statues de bronze, de superbes bustes, et une quantité de sta- Parmi les pièces rarissimes de l'orfèvrerie romaine, il faut tuettes représentant des divinités ou des personnages de tout citer celles qui composaient le trésor découvert à Hildesheim en genre caractérisent cette période qui fut très brillante jusqu'à 1868 et qui sont maintenant au musée de Berlin. M. Christofie l'arrivée des princes syriens, où commence la décadence qui est en a fait d'excellentes reproductions en galvanoplastie : elles sont complète sous Constantin. On a fait en métal des colosses de exposées dans une des salles du rez-de-chaussée du musée de grandeur inusitée comme cette statue de Néron, œuvre du sculp- Cluny. Elles appartiennent comme fabrication à des époques teur gaulois Zénodore, qui ne mesurait pas moins de 35 mètres très différentes, mais leur enfouissement doit avoir eu lieu à de hauteur. L'usage des apothéoses fait que les artistes, qui l'époque des grandes invasions barbares. appartiennent pour la plupart à la nationalité grecque, associent La pièce la plus importante du trésor de Hildesheim est la souvent le portrait d'un personnage avec le dieu auquel il est jolie coupe au fond de laquelle une figure de Minerve se détache assimilé : c'est pour cela que les empereurs sont souvent repré- avec un relief extrêmement prononcé. La déesse, coiffée d'un sentés tout nus, ou avec les attributs d'une divinité. Pendant casque à triple aigrette, et vêtue d'une longue tunique, est repré- toute la période impériale, on fit des meubles éclatants formés sentée assise et sous l'apparence pacifique de la protectrice des de métaux précieux, et les récits des écrivains prouvent des ha- arts utiles. Tandis qu'elle porte son bouclier sous le bras gauche, bitudes inouïes de luxe. Malheureusement, il ne nous reste rien, sa main droite repose sur un bâton recourbé dans lequel on a ou presque rien, pour appuyer ces descriptions, et la valeur reconnu l'araire primitive. Plusieurs traditions mythologiques intrinsèque de la matière première employée pour les objets attribuent en effet à Minerve l'invention de cet outil, qui fut en mobiliers en a amené la destruction complète et inévitable. usage chez les plus anciens agriculteurs. La chouette, l'oiseau COUPE DU TRÉSOR DE HILDESHEIM (REPRODUITE PAR M. CHRISTOFLE). favori de la déesse, est placée en face d'elle, sur un rocher, avec celle qui contient la Minerve, et qui est d'un style moins pur, une couronne d'olivier, l'arbre précieux dont elle a doté l'Attique. quoique d'une facture singulièrement robuste, nous montre un Cette gracieuse composition est encadrée dans une élégante bor- buste d'Hercule enfant, dont la saillie forme une ronde bosse dure de palmettes dont la sobriété de relief contraste avec la complète. Le jeune héros écrase avec une force inconsciente et saillie très prononcée de la figure. satisfaite les deux serpents, que la jalouse Junon a envoyés dans Cette saillie excessive est un des caractères de l'orfèvrerie son berceau. Le besoin de rattacher tout à un souvenir histo- romaine, mais la pureté du style annonce une bonne époque, rique a fait croire à des archéologues allemands que le musée de où l'influence du goût grec était encore prépondérante, et les Berlin avait en sa possession la coupe offerte à l'acteur Roscius, archéologues font remonter la date de cette coupe au siècle dont il est question dans Cicéron, et qui représentait le même d'Auguste, sinon aux derniers temps de la République. sujet. Mais le style de la coupe ne permet pas d'y voir une œuvre Le système de polychromie qui a prévalu dans tous les arts du temps de la République. La tête de l'enfant est au surplus de l'antiquité se retrouve ici. Ainsi les draperies sont dorées, d'un caractère tellement individuel qu'il est difficile de n'y pas tandis que l'argent a été réservé dans les chairs et sur le fond. voir un portrait. Les palmettes si légères qui décorent l'encadrement s'enlèvent Un grand cratère, en forme de cloche, est surtout remarquable aussi en or sur de l'argent mat. Cette alliance de tons produit par cette ornementation délicate et pleine de fantaisie, que les le plus heureux effet, et elle paraît avoir été habituelle aux cise- artistes de la Renaissance ont souvent empruntée à l'antiquité, et leurs de l'antiquité. Pline assure que les ciseleurs célèbres négli- dont ils ont tiré un si heureux parti. La base du cratère est geaient l'or pour travailler l'argent; il serait peut-être plus ornée de deux griffons affrontés d'où partent des tiges d'une exact de dire qu'ils associaient volontiers les deux métaux, mais extrême ténuité, qui s'enroulent tout autour du vase et s'épa- en faisant prédominer l'argent et en employant l'or pour re- nouissent en fleurs et en feuillage. Sur ces tiges se jouent des hausser certaines parties par une teinte différente. petits enfants qui tiennent des tridents et poursuivent des cre- Une autre patère, qui semble d'une époque postérieure à vettes ou des poissons, ou bien se reposent délicatement en em- i6 LE METAL DANS L'ANTIQUITÉ CLASSIQUE. brassant la tige dans leurs petits bras. II y a une parenté évidente Parmi les artistes qui s'étaient acquis une grande réputation entre cette décoration et celle des bains de Titus, dont Jean en ciselant l'argent, Pline cite Pythéas et Acragas. Pythéas avait d'Udine a fait un si merveilleux emploi pour les peintures représenté sur un vase VEnlèvement du Palladium et Acragas ornementales du Vatican. Cette troupe de génies enfantins qui une composition sur les Bacchantes et les Centaures. Ces deux marient aux arabesques, les rinceaux ciselés qui courent sur vases avaient une très grande célébrité : on croit en avoir une se la du vase et l'enveloppent comme dans un fílet, sont répétition dans deux très beaux vases qui faisaient partie du panse d'un goût exquis, dont certaines cuirasses italiennes de la Renais- trésor de Bernay, et sont au cabinet des médailles de la Biblio- sanee rappellent la finesse et la légèreté. thèque nationale. On sait en effet que dans l'antiquité une oeuvre fameuse servait toujours de modèle à une foule d'artistes qui en moins de vingt-quatre figures, représente sur une de ses faces faisaient des reproductions qu'ils livraient au commerce. C'est Achille pleurant sur le corps de Patrocle et sur l'autre le Rachat suite de cet usage qu'on voit très souvent la même statue du corps d'Hector. Le second par vase, qui compte vingt et une dans plusieurs musées. Le hasard qui a fait découvrir, près de figures, représente d'un côté Achille traînant le corps de Patrocle Bernay, le trésor d'un temple de Mercure, a doté notre collec- et de l'autre la Mort d'Achille. Ils ont conservé des traces de tion de plusieurs admirables pièces de style grec. Outre les deux dorure, et on voit que les vêtements et les accessoires, suivant vases dont ont nous avons parlé, qui sont des canthares bachiques, un usage fréquent dans l'orfèvrerie antique, dû être entière- il y a deux autres superbes vases se faisant pendant et qui appar- ment dorés, tandis que les figures conservaient la couleur natu- tiennent à la classe des œnochés. Ils sont pourvus d'une seule relie de l'argent. anse, qui dépasse leur col allongé, et est séparée de la panse par « Les procédés de fabrication des monuments de Bernay, une petite rangée d'oves et d'annelets ciselés dans la masse. Le dit le catalogue du Cabinet des médailles, méritent de fixer l'at- pied est orné de fleurons et la panse est décorée de sujets em- tention; à l'exception de quelques anses des ustensiles et de par- pruntés à la guerre de Troie. Le premier, qui ne compte pas ties accessoires, rien n'a été fondu; tout a été fait au marteau et ROMAINS. ciselé ensuite par-dessus le repoussé, que les Grecs nom- quelques belles boucles décorées de charmants petits bas-reliefs. maient sphyrélaton. Les statues sont formées de plaques d'argent La bijouterie d'or est assez riche, notamment en bracelets : ce battu admirablement soudées; les vases sont exécutés de la bijou, qui n'avait chez les Grecs qu'une importance assez res- même manière; il en est plusieurs qui offrent une particularité treinte, en a pris au contraire une énorme chez les Romains. intéressante, c'est qu'ils sont doublés d'une sorte de cuvette mo- Les Romains des premiers temps ne portaient pas de bagues bile d'argent massif, travaillée aussi au marteau, qui contenait le en métal précieux, mais ils se sont amplement dédommagés par liquide et servait à donner du corps à la partie extérieure, la- quelle consistait en une plaque d'argent très mince, travaillée au repoussé et offrant par conséquent, en relief, les sujets dont l'ar- tiste voulait décorer le vase. Quant aux patères ou coupes plates. elles sont presque toutes décorées d'emblemata mobiles, que l'on a trouvés détachés des patères auxquelles ils appartenaient et qu'on a replacés en y exécutant d'indispensables et prudentes la suite ; on en mettait à tous les doigts. On reconnaît les bagues restaurations. Le retentissement des découvertes des monuments nuptiales au sujet qu'elles représentent et qui est généralement d'argent prouve leur excessive rareté; je ne terminerai pas cette tiré de la jolie légende de l'Amour et Psyché. Celles où l'on voit note sans rappeler ce que nous dit Pline de la passion des an- des animaux féroces, ou des chars, passent pour avoir appartenu ciens pour les vases d'argent décorés de sculptures. L'encyclo- à des gladiateurs ou à des cochers du cirque. Mais ce sont là des pédiste romain qui nous a fait connaître les plus célèbres artistes qui s'adonnèrent à cette spécialité^ il faut bien employer le mot BIJOU ANTIQUE. BIJOU ANTIQUE. puisque la chose existait, s'étonnait que personne ne se fût suppositions dont il serait difficile de démontrer l'exactitude illustré à ciseler sur or, tandis que tant d'artistes étaient devenus absolue. célèbres en ciselant l'argent. » Les épingles à cheveux avaient dans la toilette des dames Ces pièces et quelques autres qui sont disséminées dans les romaines un rôle extrêmement important. Elles en portaient musées d'Europe et notamment dans celui de Naples, constituent souvent un nombre considérable, et la forme en était très variée. à peu près tout ce que nous connaissons de l'orfèvrerie romaine. L'extrémité supérieure était quelquefois percée d'un trou dans Encore est-il bon de noter que quelques-unes d'entre elles, lequel on passait le lacet destiné à séparer les cheveux qu'on comme la Minerve de Hildesheim et les vases de Bernay, sont arrangeait en tresses derrière la tête de ceux de devant qu'on évidemment de style grec, bien que l'exécution puisse etre de portait habituellement frisés. Les épingles servaient aussi à main- travail romain. Dans la bijouterie d'argent, nous connaissons tenir l'échafaudage souvent très compliqué de la coiffure. i8 LE MÉTAL DANS L'ANTIQUITÉ CLASSIQUE. La numismatique romaine comprend les monnaies consu- et y substituèrent l'argent qui s'y trouvait encore en abondance. laires et les monnaies impériales. Un très grand intérêt histo- Les Phéniciens continuèrent longtemps ce commerce, et de- rique s'attache aux monnaies consulaires, mais la plus belle vinrent si puissants, qu'ils envoyèrent de nombreuses colonies période de l'art monétaire est celle qui s'étend depuis Auguste dans la Sicile et les îles voisines, ainsi que dans la Libye, la Sar- jusqu'aux princes syriens. C'est surtout dans les grands mé- daigne et l'Ibérie. Longtemps après, les Ibériens, ayant appris dallions, qui ne paraissent pas avoir été mis dans la circulation les propriétés de l'argent, exploitèrent des mines considérables. avec une valeur légale, qu'on admire la perfection du travail et Presque tout l'argent qu'ils en retirèrent était très pur et leur de la composition gravée au revers. Les médaillons d'Antonin, procura de grands revenus. Nous allons faire connaître la ma- Galba, Vitellius, sont comparables aux plus grands chefs-d'œuvre nière dont les Ibériens exploitent ces mines. de la sculpture. A partir de Septime Sévère, le profil s'amaigrit, « Les mines de cuivre, d'or, d'argent, sont merveilleusement le dessin devient sec et incorrect, et on arrive presque subitement productives. Ceux qui exploitent les mines de cuivre retirent du à une décadence, qui apparaît au même moment dans toutes les minerai brut le quart de son poids de métal pur. Quelques-uns branches de l'art. extraient des mines d'argent dans l'espace de trois jours un Avant de quitter l'antiquité, il serait peut-être bon de dire talent euboïque. Le minerai est plein de paillettes compactes et quelques mots des méthodes employées pour l'extraction des brillantes. Aussi faut-il admirer à la fois la richesse de la nature et l'adresse des hommes. Les particuliers se livraient d'abord avec ardeur à l'exploitation des mines d'argent, dont l'abondance et la facilité d'exploitation procuraient de grandes richesses. Mais lorsque les Romains eurent conquis l'Ibérie, ces mines furent envahies par une tourbe d'Italiens cupides, qui se sont beau- coup enrichis. Ces industriels achètent des troupeaux d'esclaves, et les livrent aux chefs des travaux métallurgiques. Ceux-ci, leur faisant creuser le sol en différents points, mettent à décou- vert des filons d'or et d'argent. Les fouilles s'étendent aussi bien en longueur qu'en profondeur; ces galeries ont plusieurs stades d'étendue. C'est de ces galeries longues, profondes et tortueuses que les spéculateurs tirent leurs trésors. Si l'on compare ces mines avec celles de l'Attique on trouvera une grande difl'érence. Là, à d'énormes travaux on ajoute beaucoup de dépenses, quelquefois, au lieu d'en tirer le profit qu'on espérait, on y perd ce que l'on avait. Au contraire, les exploiteurs des mines d'Espagne ne voient jamais leurs espérances et leurs efforts trompés ; s'ils rencontrent bien dès le commencement de leurs travaux, ils découvrent à chaque pas de nouveaux filons d'or et d'argent. Toute la terre des environs n'est qu'un tissu de ramifications métalliques. Les mineurs trouvent quelquefois des fleuves souterrains, dont ils diminuent le courant rapide en les détournant dans des fossés, et la soif inextinguible de l'or les fait venir à bout de leurs entreprises. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'ils épuisent entièrement les eaux au moyen des vis égyp- métaux. Diodore de Sicile nous fournit quelques renseignements tiennes qu'Archimède de Syracuse inventa pendant son voyage curieux sur les ouvriers employés au travail des mines. en Égypte. Ils les élèvent ainsi successivement jusqu'à l'ouver- « Les montagnes nommées Pyrénées, dit-il, ils surpassent les ture de la mine, et, ayant desséché les galeries, y travaillent autres par leur hauteur et leur étendue; séparant les Gaules de à leur aise. Cette machine est si ingénieusement construite que ribérie et de la Celtibérie, elles s'étendent de la mer du midi à par son moyen on ferait écouler d'énormes masses d'eau et l'Océan septentrional, dans un de trois mille stades. Au- on tirerait aisément un fleuve entier des espace profondeurs de la terre trefois elles étaient en grande partie couvertes de bois épais et à sa surface. Les ouvriers qui travaillent dans les mines rap- touffus; mais elles furent, dit-on, incendiées par quelques pâtres portent donc à leurs maîtres d'énormes revenus. Ces malheu- qui y avaient mis le feu. L'incendie ayant duré continuellement reux, occupés nuit et jour dans les galeries souterraines, épuisent pendant un grand nombre de jours, la superficie de la terre fut leurs forces et meurent en grand nombre d'un excès de misère. brûlée, et c'est de là des que l'on a donné à ces montagnes le nom On ne leur donne aucun répit; les chefs les contraignent par de Pyrénées. La combustion du sol fit fondre des masses de mi- coups à supporter leur infortune, jusqu'à ce qu'ils expirent nerai d'argent, et produisit de nombreux ruisseaux d'argent pur. misérablement. Quelques-uns, dont le corps est plus robuste et Ignorant l'usage de ce métal, les indigènes le vendirent en l'âme plus fortement trempée, traînent longtemps leur malheu- échange d'autres marchandises de de prix, aux marchands reuse existence; cependant l'excès des maux qu'ils endurent peu phéniciens instruits de cet événement. Important cet argent en leur doit faire préférer la mort. Asie, en Grèce et chez d'autres nations, ils gagnèrent d'immenses « Parmi les nombreuses particularités de ces mines, on richesses. La cupidité de ces marchands fut telle, que leurs na- remarque comme un fait curieux qu'il n'y en a aucune dont vires étant déjà chargés, ils coupèrent le plomb de leurs ancres, l'exploitation soit récente : toutes ces mines ont été ouvertes par BYZANTINS. 19 l'avarice des Carthaginois, à l'e'poque où ils étaient maîtres de îles de l'Océan en face de l'Ibérie et au-dessus de la ribérie. C'était là la Lusitanie, source de leur puissance; c'était de là et nommées pour cette raison les îles Cassitérides. On fait aussi qu'ils tiraient l'argent pour solder les puissantes et nombreuses passer beaucoup d'étain de l'île située en face de armées dont ils Britannique, se servaient dans toutes leurs guerres. On trouve la Gaule; les marchands le sur des chevaux et le trans- aussi de l'étain chargent en plusieurs endroits de l'Ibérie, non pas à la portent à travers l'intérieur de la Marseille et surface du Celtique sol, jusqu'à comme quelques historiens l'ont prétendu, mais à Narbonne. Cette dernière ville est une colonie des dans des mines d'où Romains; on le retire pour le faire fondre comme en raison de sa situation et de son l'argent l'or. Les opulence, elle est le et plus riches plus mines d'étain sont dans les important entrepôt de cette contrée. » III LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN ^AGE. BYZANTINS byzantine. L'emploi de l'émail paraît être une importation de l'extrême Orient, où il a été employé dès une haute antiquité. Dans tous les cas, le procédé des Byzantins ne diffère pas essen- Héritiers naturels des Grecs et des Romains, les Byzantins, tiellement de celui des Chinois. Il consiste à appliquer sur la qui mettaient leur travail au service d'un culte [nouveau, durent surface du métal une matière vitreuse qu'on fixe par la fusion et transformer du tout au tout les traditions qu'ils avaient reçues. qui s'y maintient par un léger cloisonnage métallique. Ces Toutes les petites églises recevaient de la munificence des empereurs, cloisons ont pour but d'accuser nettement les traits du ou des personnages de leur dessin, suite, de magnifiques présents en en même temps qu'elles relient les couleurs diverses dans une orfèvrerie, mais les vases sacrés n'étaient plus les mêmes qu'au- harmonie charmante. Les couleurs de l'émail sont trefois, il généralement et fallait, pour tous les objets du culte, abandonner les translucides et ont la propriété d'être inaltérables. Selon M. La- anciens types pour se conformer à ceux que la liturgie com- barte, c'est au temps de Justinien, c'est-à-dire au vi" siècle de mandait. Il fallait maintenant des châsses, des croix, des calices, notre ère, que l'emploi de l'émail a commencé à les Byzance. et sur objets qui appartiennent à tous les temps, comme les Quoique l'orfèvrerie byzantine soit surtout elle lampes ou les religieuse, candélabres, il fallait substituer les symboles chré- s'est appliquée également à tous les usages de la vie civile. Cons- tiens aux anciennes décorations puisées dans les légendes tantin est le premier empereur qui ait porté des pierreries et des païennes. Mais, en dehors même des transformations nécessitées perles sur sa couronne, et ses successeurs y même ajoutèrent des pen- par l'usage des objets, il s'était opéré dans le goût public deloques en pierres fines, que des petites chaînettes rattachaient un changement radical, sous l'influence des idées orientales au diadème d'or. Au lieu de la toge que les devenues prédominantes. empereurs romains avaient toujours portée comme costume civil, les Pour les anciens Grecs, la forme Byzantins primait tout le reste, et la adoptèrent la robe de soie tissée d'or et ruisselante de première qualité qu'on demandait à pierres un bijou aussi bien qu'à précieuses. Avec de telles moeurs, que toute la une statue, c'était de la partie grâce et la délicatesse opulente du contour. Aussi le la nation suivait avec empressement, on la métal, qu'on coule, qu'on comprend que frappe, qu'on pro- coupe, qu'on cisèle à fession d'orfèvre ait pu être très lucrative à et volonté, auquel l'artiste peut donner toutes les Constantinople, formes qui se que saint Jéan Chrysostome se soit l'attention présentent à plaint son esprit, faisait-il que tous les frais de pu- l'orfèvrerie et de blique fût tout à fait captivée la par ces futilités. Cette bijouterie. du Quand les perles ou les pierres passion, précieuses apparais- reste, était générale à cette saient, c'était d'une époque et les façon modeste à titre objets byzantins s'ex- et accessoire. Le con- portaient partout. traire arriva chez les Byzantins ; sacrifiant tout à l'éclat et au Les statues de bronze étaient devenues brio tellement de la couleur, recherchant communes par-dessus toute chose la diver- que, pour se distinguer, les membres de sité la famille en même temps que l'harmonie des teintes, ils impériale firent des faisaient souvent faire la leur en pierres précieuses argent. Au les l'objet principal reste, et employèrent le métal descriptions pour données par les écrivains les faire valoir leur byzantins sur le luxe des en servant de repoussoir. Non seulement appartements les impériaux sont tellement perles pompeuses fines, les les que l'on aurait camées, pierres de couleurs peine à toutes furent y croire, si l'on ne savait qu'à cette employés à profusion, mais incrusta époque tous les trésors de on dans le métal des pâtes l'univers étaient en quelque sorte concentrés à de verres colorées, et l'émail, les anciens n'avaient Constantinople. que pas Il faut ajouter que toute l'Europe étant à cette connu, devint une des parties les plus importantes époque sous la de l'orfèvrerie domination des barbares, les Byzantins, qui avaient à peu LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE. 20 a été de tout près seuls une industrie florissante, en tiraient un profit L'emploi fréquent de l'émail et du filigrane Une croix fai- conside'rable et suffisaient à satisfaire les besoins des peuples temps un des traits distinctifs du style byzantin. qui sait partie des collections de San Donato nous paraît marquer la étrangers. C'i. u - ¿ - ». - croix en filigrane d'argent. travail byzantin. d'émaux et le Christ et fin de cet art, qui garda jusqu'au bout ses traditions ornementales repoussé, gravé et orné translucides, les en décorent les quatre extrémités se ressen- mais qui cessa d'être lui-même le jour où les orfèvres, suivant personnages qui tellement des recherches de la Renaissance, qu'on est le courant général qui entraînait tous les artistes vers 1 obser- tent déjà de les croire d'une à la croix sur laquelle vation de la nature, s'avisèrent de vouloir donner quelque sou- tenté époque postérieure plesse à leurs figures. La croix dont nous parlons est en argent ils se détachent. ITA LIE. dans tous les arts. Au point de vue technique, les procédés que les Romains avaient employés pour le travail des métaux conti- nuèrent à être ITALIE pratiqués par les ouvriers chrétiens, et le change- ment ne se fit sentir que dans la forme et la décoration des objets employés. Des candélabres, des lustres, des lampes en cuivre ou Le changement de culte qui signala la dernière période de en bronze, ornèrent les églises chrétiennes comme ils avaient l'histoire romaine devait amener une transformation complète orné les temples païens. Dès que les chrétiens se sentirent maîtres de la situation, ils apportèrent dans la décoration de entre autres dix-huit statues en argent massif, savoir : o le Sauveur leurs édifices religieux un luxe qui contraste avec la simplicité assis, pesant cent vingt livres; les douze apôtres, pesant chacun de l'époque précédente. La libéralité des empereurs, les richesses quatre-vingt-dix livres ; quatre anges, pesant chacun cent vingt et la haute position des néophytes, la piété des fidèles, con- livres, avec des pierres précieuses en guise d'yeux; une lampe tribuaient également à développer ces magnificences. d'or avec cinquante dauphins pesant avec sa chaîne vingt-cinq Anastase le bibliothécaire a fait une histoire des papes où livres... » On voit que les œuvres d'art s'estimaient alors suivant il décrit les libéralités de Constantin à l'égard des églises. Il cite leur poids : la valeur du métal était la seule chose qui fût LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE. appréciée. L'art était en effet tombé au dernier degré de la déca- tentation permanente pour les barbares qui de toutes parts dence. Les peintures des catacombes, quelques sarcophages, envahissaient l'Italie, aussi les églises ont-elles été plusieurs fois les monnaies des derniers empereurs et celles des premiers rois dévastées, notamment par les Vandales de Genséric, qui, dans barbares, attestent la grossièreté du goût pour ce qui concerne le sac de Rome, n'épargnèrent rien. Des faits semblables se rerjou- la forme et l'ornement. Depuis Constantin, la vie était en quelque velaient sans cesse dans les villes de l'Italie. 11 est vrai que les sorte passée de Rome à Byzance, et tandis que le style byzantin barbares se convertissaient facilement, en sorte que leur piété se formait en Orient, l'Italie et tout l'Occident, vivant sur des rendait assez vite l'équivalent de ce que leur rapacité avait traditions qu'on ne comprenait plus, et qui ne trouvaient pas enlevé. Les églises pillées renouvelaient assez facilement leurs dans ces temps de désordre extrême la tranquillité nécessaire richesses, mais les objets d'art disparaissaient pour être remplacés pour se renouveler, ne conservaient du passé qu'un souvenir par d'autres plus grossiers. Les palais n'étaient pas moins pillés vague des procédés, sans que l'inspiration pût leur donner que les églises; cependant les envahisseurs ne tardaient pas à la vie. Aussi, quand nous lisons les descriptions pompeuses du vouloir jouir de leur conquête et vivre dans l'opulence, en sorte temps, y voyons-nous la preuve d'un très grand luxe déployé que le mobilier civil se renouvelait aussi promptement que le dans les églises, mais nulle part la trace d'un style personnel et mobilier religieux et dans les mêmes conditions. En somme, il caractéristique. ne semble pas que le travail des objets de luxe en métal ait cessé Les trésors amoncelés dans les édifices religieux étaient une un seul moment en Italie pendant les invasions, et les ouvriers qui le pratiquaient étaient peut-être les moins malheureux parmi Saint-Marc de Venise, qu'on appelle la Pala d'Oro^ a été très les artisans de ce triste temps. La rareté excessive des objets se certainement commandé à des orfèvres de Constantinople. rattachant à cette époque provient des destructions sans cesse La part qui revient dans tout ceci aux artistes natifs d'Italie renouvelées, et leur faiblesse atteste le peu d'habileté de ceux qui paraît assez mince. On sait pourtant que les moines du Mont- les faisaient. Cassin travaillaient l'or et l'argent; on sait aussi que les Théodoric, roi des Ostrogoths, paraît avoir eu conscience de artistes byzantins, chassés avec fureur par les iconoclastes, arri- l'abaissement de l'art et avoir voulu le relever. Mais les guerres vèrent en foule en Italie où ils durent former des élèves. Le de Bélisaire et de Narsès, les invasions successives des Francs, beau parement d'autel de l'église de Saint-Ambroise, à Milan, le des Alamans et des Lombards, ne laissèrent aucun moment de paliotto, paraît d'origine byzantine, mais il est impossible de répit à la malheureuse Italie. Quelques-unes des pièces du trésor savoir si les mains qui l'ont si délicatement travaillé étaient de Monza passent pour avoir appartenu à Théodelinde, reine grecques ou italiennes. des Lombards, mais la plupart sont d'une époque postérieure à Un reliquaire conservé dans l'église Saint-Marc, à Porde- Charlemagne. Celles-ci au reste ont un caractère byzantin telle- none, se rattache aussi à l'orfèvrerie italienne. 11 est en cuivre ment prononcé, qu'on peut douter qu'elles aient été faites en Ita- doré et présente la forme d'une tête de Christ, avec une lie; il semble même qu'elles y aient été importées. Les plus impor- extrême barbarie d'exécution. Le travail est encore de style tantes sont une croix pectorale, une couverture d'évangéliaire, byzantin, mais il est difficile de lui assigner une date positive, des amulettes d'or, et la fameuse couronne connue sous le nom car jusqu'au xii® siècle les types offrent une grande uniformité de couronne de fer; celle-ci est en or, et son nom vient unique- et en même temps une telle barbarie, qu'il est impossible de les ment d'un cercle de fer placé à l'intérieur. Le célèbre retable de classer. Ce Christ est analogue à ceux que l'on rencontre dans TÊTE DE CHRIST, RELIQUAIRE DE CUIVRE DORÉ, A PORDENONE. RELIQUAIRE. ITALIE. 23 le Frloul, et dans quelques parties de l'Italie septentrionale. Un en Italie, et, au temps de la guerre des iconoclastes, leurs artistes autre reliquaire, appartenant à la même église, mais qui peut vinrent en foule s'y établir. D'autre part, les vieilles traditions être d'une date un peu postérieure, montre une plus grande latines étaient restées, malgré tout, très vivaces dans le pays, et connaissance pratique du travail du métal, et il a en outre le style latin dégénéré persistait en face des innovations byzan- cet avantage énorme que, ne portant pas de ligure humaine, la tines, sans progresser, sans se transformer en rien, et faisant tou- représentation en paraît nécessairement moins grossière. jours acte, sinon d'activité, au moins d'existence. L'art ogival, Pendant toute la première partie du moyen âge, l'art avait qui s'était développé dans le nord, n'avait eu que peu de prise sur été comme ballotté entre deux tendances contradictoires. D'une l'Italie, et, quand on vit apparaître les premières lueurs de la part, les Byzantins, dont l'industrie était beaucoup plus avancée Renaissance, le pays se trouvait encore dans la situation que que celle des autres nations, répandaient à profusion leurs produits nous venons de dépeindre. reliquaire du xiv- siècle. reliquaire du xiv® siecle. reliquaire en argent doré. xv® siècle. Le Mont-Cassin, dont l'abbaye était une des plus riches de des formes très diverses, il l'Italie, formait même s'allonge, s'étend, se modèle comme en temps un vaste laboratoire d'orfèvrerie une cire obéissante. Il offre, tantôt religieuse, l'image d'une dans ou lequel, tout en faisant de chapelle temps à autre des d'un château, tantôt celle d'une coupe ou d'un et ouvrages de style byzantin, vase, on ne jamais de plus cessa pratiquer les souvent encore il réunit les deux méthodes types en une seule les purement italiennes. L'abbaye du pièce, Mont-Cassin, située tourelles et les clochetons près de s'ajustent sur le pied d'un vase. Des Naples, représente surtout la fabrication de l'Italie méri- figures de saints ou des des dionale. A d'anges, fleurs, des ornements 'Venise, c'est contraire fruits, au le style byzantin qui a de tout dominé genre, ciselés souvent avec une à en peu près exclusivement grande délicatesse, pendant tout le moyen âge. décorent toutes les Enfin les parties. influences septentrionales se sont fait sentir, quoique Le mouvement d'idées d'où est sorti d'une le manière restreinte, dans style de la Renais- la Lombardie, principalement à sanee a pris son Milan premier développement dans l'Italie centrale. et à "Vérone. Les reliquaires conservés en Italie nous Sienne, Pise et Florence en ont été les offrent des échantillons principaux foyers. Comme de ces diverses manières. à cette époque on ne connaissait pas encore la Les distinction reliquaires forment à que cette époque la plus grande partie l'on a voulu établir depuis, entre l'art et des objets fabriqués l'industrie, tout des orfèvres. sculpteur par Le reliquaire portatif afiécte était orfèvre en même temps, et tout orfèvre se chargeait volon- 24 LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE. tiers de faire une statue quand l'occasion s'en pre'sentait. Il y nécessité où l'on était d'universaliser en quelque sorte ses études, avait des artistes qui exerçaient plus volontiers leur talent sur de que l'histoire de l'orfèvrerie ne se distingue pas de celle de la petits ouvrages, et d'autres qui préféraient en exécuter de grands, statuaire, et que les mêmes noms d'artistes se représentent quand mais tous indistinctement se pliaient aux commandes qui leur on parle de l'une ou de l'autre de ces deux branches de l'art. étaient faites, et faisaient au besoin marcher de front, suivant la Le besoin d'assigner à toutes choses une date positive a mesure de leur savoir, un bijou de la dimension la plus exiguë, fait regarder un bas-relief antique, encastré dans la cathédrale et un groupe monumental destiné à la décoration d'une place de Pise, comme étant le point de départ de toute la Renaissance publique. Il en résulta un grand bien pour l'art, car les grandes italienne. Nicolas de Pise, sculpteur du xni® siècle, aurait, en statues montrent toutes les délicatesses qu'on exige d'un objet voyant ce bas-relief qui représente la mort de Méléagre, conçu portatif, et les petits ouvrages sont traités avec la largeur que le projet de ramener l'art aux principes qui avaient guidé les donne l'habitude des grands travaux. Il résulte aussi de cette sculpteurs de l'antiquité. OSTE.N'SOIR MONTÉ EN ARGENT DORÉ. — XV® SIÈGE E. Je ne crois que d'une façon restreinte aux transformations mais il avait associé à ses travaux son frère Jean de Pise qui subites du goût public et aux résolutions instantanées d'un s'acquit une grande réputation pour ses ouvrages en métal. Jean artiste en quête de la voie qu'il doit suivre. Les transformations fut chargé en 1286 de faire pour la. cathédrale d'Arezzo un du goût public se font en général petit à petit, et un artiste parement d'autel en orfèvrerie dont la partie centrale représentait n'adopte une manière de voir que par une série de réflexions la Vierge ; un bijou, que les inventaires du temps évaluent à qui se déduisent l'une de l'autre. Si on n'avait pas eu déjà le trente mille florins, brillait sur la poitrine de cette Vierge, et les goût des ouvrages antiques, on n'en aurait pas employé pour la pierres précieuses enrichissaient en maint endroit ce précieux décoration d'un monument nouveau, et il est permis de douter travail. Pour l'aider dans les nombreuses commandes qu'il que Nicolas de Pise, seul parmi les sculpteurs de son temps, eût recevait, l'artiste s'associa deux sculpteurs siennois, Agostino et songé à les étudier pour se perfectionner dans son art. Seulement Agnolo, et le sculpteur San Andrea. Ce groupe d'artistes forma il a mieux su que les autres en profiter, et comme son nom est une école qui fut la souche d'où sont sortis la plupart des maîtres devenu illustre, on a concentré en lui tous les eflbrts d'un siècle qui ont donné l'impulsion à la grande Renaissance italienne. dont il n'était que la plus haute expression. A Pise, à Sienne, à Florence, les artistes dans tous les genres se Il ne nous est pas resté de pièces d'orfèvrerie de Nicolas de forment dans la boutique d'un orfèvre, et l'éducation qu'on y Pise, qui est surtout célèbre par ses sculptures monumentales ; recevait était tellement solide, que non seulement les apprentis OSTENSOIR EN ARGENT DORÉ. ITALIE. 25 en sortaient capables de faire à volonté des statues ou des vases, Pérouse, Orvieto, dans le centre, montrent avec orgueil d'admi- des bijoux ou des médailles, mais encore un grand nombre d'entre rabies pièces d'orfèvrerie religieuse, se rattachant aux xii®, xiii® eux ont pu joindre à leur titre d'orfèvre-sculpteur celui de et XIV® siècles. peintre et même d'architecte. Les ouvrages de cette époque se ressentent un peu, comme Les ouvrages qui sont restés de cette époque sont assez style, du goût de la période précédente. Dans la figure humaine par nombreux, car l'Italie, qui n'a pas été déchirée comme la France exemple, les formes sont toujours osseuses, la barbe et les che- les religieuses, a pu conserver intact le trésor de veux sont traités avec le plus grand soin et d'un travail souvent par guerres ses églises. Venise, Vérone, Milan, Monza, Pordenone, dans minutieux ; l'ensemble est généralement expressif, et l'exécution le nord de l'Italie ; Florence, Pise, Sienne, Pistoia, Arezzo, parfois maigrelette. Tous ces traits sont parfaitement caracté- RELIQUAIRE DE SAINTE OSTENSOIR DU XVI® SIECLE. RELIQUAIRE DE SAINT LUCIE. JEAN-BAPTISTE. rise's dans un saint Jean-Baptiste en argent que possède le trésor Quand nous abordons le xv® siècle, nous nous trouvons en de Monza, et qui date du xiv® siècle, ainsi que dans plusieurs face des plus grands noms de la sculpture. C'est Donatello qui autres ouvrages disséminés dans diverses églises d'Italie et se ouvre la série avec ses belles statues de bronze. Cet artiste était rattachant à la même époque. Les images du Christ se dis- ce qu'on appellerait aujourd'hui réaliste, et une histoire de sa tinguent aussi par leur extrême maigreur; leur visage ascétique jeunesse, racontée par Vasari, laisse voir, à travers la naïveté du et contracté par la douleur contraste avec la riche ornementa- récit, les deux tendances qui dominaient alors parmi les artistes. tion qui décore les crucifix et les pierres précieuses dont ils sont Il s'agit d'un Christ que Donatello avait fait lorsqu'il n'était presque toujours ornés. encore qu'apprenti. « Lorsqu'il l'eut achevé, dit Vasari, croyant En dehors de l'orfèvrerie religieuse, on trouve en Italie peu avoir enfanté un chef-d'œuvre, il le montra à son ami Filippo de monuments d'or et d'argent se rattachant à la même période; Brunelleschi en le priant de dire ce qu'il en pensait. Filippo, au milieu de guerres civiles continuelles, les familles les plus qui, sur les paroles de Donatello, s'attendait à trouver quelque opulentes étaient souvent obligées de partir pour l'exil en cédant chose de mieux, ne put s'empêcher de sourire. Donatello s'en la place à la faction ennemie, et le creuset a été de tout temps aperçut et le somma, au nom de l'amitié, de s'expliquer. Brunei- un moyen commode pOur réaliser des fonds en peu de temps. leschi lui dit alors qu'il avait mis en croix un paysan, et non le 4 26 LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE. Christ, dont le corps fut le plus parfait que l'on vît jamais. Dona- la poussière, les œufs se brisent, mais rien n'est capable de le tello, qui espérait recevoir des éloges, fut piqué de la vivacité de distraire de son étonnement. Sur ces entrefaites, arrive Filippo cette critique et s'écria : « Si tu savais qu'il est plus difficile qui lui dit en riant : « Que diable as-tu? Et nos œufs? et notre « d'agir que de parler, tu ne dirais point que mon Christ ressemble « fromage? comment déjeunerons-nous? — J'ai mangé ma part, « à un paysan. Du reste, prends un morceau de bois, et tâche d'en « répondit Donatello, si tu veux la tienne, ramasse-la. C'est bien ! « faire un qui soit mieux. » Filippo, sans rien répliquer, se retira « c'est bien! tu fais des Christs, toi, et moi... je fais des paysans! » et, pour justifier sa critique, entreprit aussitôt un crucifix qu'il Brunelleschi, qui avait commencé par être sculpteur, devint termina au bout de plusieurs mois. Alors, un matin, il va inviter un grand architecte et Donatello fut un des plus grands statuaires Donatello à déjeuner. Nos deux amis partent ensemble; arrivés de la Renaissance. L'espace nous manque pour examiner en sur la place du Marché-Vieux, Filippo achète quelques vivres et détail ses ouvrages ; nous citerons seulement le David vainqueur les remet à Donatello en lui disant : « Porte cela à la maison, et de Goliath, un chef-d'œuvre d'élégance et de vérité. Un natu- « attends-moi; je te rejoindrai dans un instant. » A peine entré ralisme décidé est le trait distinctif du talent de ce maître, qui dans l'atelier, Donatello aperçoit sous un beau jour le crucifix sous le rapport du style monumental est pourtant dépassé par de Filippo. Frappé d'admiration et comme hors de lui-même, il son contemporain et rival Ghiberti. Celui-ci est surtout célèbre ouvre les mains; le déjeuner lui échappe, le fromage tombe dans par ses portes en bronze que Michel-Ange déclarait être dignes ss. d'être les portes du paradis. L'exécution de ces portes fut confiée le fini de l'exécution, sur celui de Donatello, qui cependant se à l'artiste, à la suite d'un concours célèbre dans l'histoire des distinguait par un dessin large et vigoureux. Les figures de arts. Andrea de Pise avait fait une porte en bronze pour le Jacopo délia Querela étaient correctes, mais manquaient de Baptistère de Florence. Quand on voulut entreprendre la sui- finesse. Le modèle de Francesco di Valdambrina renfermait de vante, la Seigneurie exprima le désir que cette porte fût le chef- belles têtes, mais la composition était confuse. Celui de Simone d'oeuvre du siècle. On ouvrit un concours où furent conviés tous da Colle, remarquable par la beauté de la fonte, péchait par le les artistes; un premier choix désigna sept concurrents et on dessin. Nicolas d'Arezzo avait fait preuve d'une grande connais- leur alloua un traitement, pour exécuter, à titre d'essai, un sanee du métier, mais ses figures étaient lourdes. Seul, le modèle panneau en bronze représentant le Sacrifice d'Abraham. de Lorenzo Ghiberti était parfait dans toutes ses parties. Le « L'époque du jugement étant arrivée, dit Vasari, les sept dessin et la composition étaient irréprochables, les figures sveltes modèles furent livrés à la communauté des commerçants. Les et gracieuses, et l'exécution d'un fini précieux et inimitable. consuls nommèrent trente-quatre experts, tous très habiles dans Donatello et Brunelleschi, frappés de la supériorité de cet leur art, parmi les peintres, les sculpteurs et les orfèvres, soit de ouvrage, se retirent à l'écart, s'interrogent réciproquement et se Florence, soit du dehors, que la curiosité avait rassemblés. Ces confessent vaincus. Ils reconnaissent que leur rival, âgé seule- juges ne s'accordaient pas en tous points, car l'un préférait natu- ment de vingt ans, a mieux réussi que tous les autres, et que sa rellement la manière de celui-là, et l'autre celle de celui-ci; mais jeunesse fait encore espérer davantage pour la gloire de sa patrie. tous reconnurent unanimement que les modèles de Filippo Bru- « Il serait plus honteux, disaient-ils, de lui disputer la palme, nelleschi et de Lorenzo Ghiberti l'emportaient par l'entente de « qu'il n'y a de générosité à lui céder. » la composition, par l'abondance et la beauté des figures, et par Ghiberti commença alors cet immense travail qui a absorbé ' .Sí?*--'.'"" ""%'<' ■>'>:'! * "v.'^ ^ >r /*-"f>í'.,// T'*'., L.&aucierel.del.et se. STATUE EQUESTRE DU COLLEOEI Pla-ce- de L'HopUaL ClolL,d VenísC', Eudes, imp, L'Art: ITA LIE. 27 presque toute sa vie d'artiste. La première porte lui a coûté vingt jamais son premier état, l'orfèvrerie : plusieurs mitres d'or années de travail; ces portes sont décorées de bas-reliefs repré- ornées de figures et décorées de pierres précieuses lui furent sentant divers sujets tirés de l'Ancien et du Nouveau Testament commandées par les papes Martin V et Eugène IV. et entourées d'un magnifique encadrement ornemental, formé de Verrocchio, qui fut le maître de Léonard de Vinci, était éga- fleurs, de fruits et d'animaux divers. Outre ses portes, Ghiberti a lement un orfèvre. 11 avait fait entre autres plusieurs figures exécuté plusieurs grandes statues célèbres, mais il n'abandonna d'apôtres en argent pour la chapelle pontificale et un parement BRONZE DE VERROCCHIO. DAVID. — BRONZE DE DONATELLO. d'autel qui est demeuré célèbre. On sait aussi qu'il a exécuté un de lui un David, placé au musée de Florence, qui est loin, il certain nombre de bijoux et diverses pièces d'orfèvrerie usuelle. est vrai, de présenter l'élégance de celui de Donatello, mais Mais les ouvrages de ce genre qui lui sont attribués dans diverses Verrocchio est exquis dans la statue de bronze qui décore la cour collections ne présentent pas de caractères d'authenticité bien du Palais Vieux de la même ville, et dans d'autres ouvrages déterminés, en sorte qu'il est difficile de juger de son style dans répandus dans les musées d'Italie. ses petits ouvrages. Heureusement pour sa mémoire, il n'en est Pollajuolo, connu à la fois comme peintre et comme sculp- pas de même pour ses grands ouvrages de bronze. La statue teur, ne cessa jamais pourtant de pratiquer l'orfèvrerie et il équestre du condottiere Golleone, à Venise, suffirait pour mon- tenait une boutique à Florence, sur la place du Marché-Neuf. 11 trer qu'il fut un maître de premier ordre. On connaît également fit pour la Seigneurie un grand bassin d'argent décoré d'une 28 LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE. ronde d'enfants et, pour diverses corporations de marchands, de qui étaient souvent ornés de figures émaillées. C'est à une de ces nombreuses croix ornées de figures, des candélabres enrichis de paix, œuvre de l'orfèvre florentin Finiguerra, que l'on doit l'in- petits bas-reliefs, et plusieurs paix : on appelait ainsi des petits vention de la gravure en taille-douce. tableaux de métal, sur lesquels on gravait des petits sujets, et Voici comment cette invention est racontée dans les Mer- SAINT JEAN-BAPTISTE. STATUETTE EN OR ÉM AILL É. XIV® SIÈCLE. veilles de la gravure de cette Georges Duplessis : A cette époque les d'abord une empreinte avec une terre très fine; sur « orfèvres décoraient presque toujours leurs ouvrages d'ornements empreinte, ils coulaient ensuite du soufre et pouvaient, en rem- gravés sur le en soufre, se creux, et ces ornements s'appellaient nielli. Pour plissant de noir de fumée les tailles répétées vérifier leur travail, pour en suivre les progrès et le corriger, rendre un juste compte de l'état de leur œuvre. De sorte qu'ils voici comment ils procédaient. Quand ils avaient gravé sur le ne songeaient à couler l'émail indestructible (cette matière colo- métal le dessin qu'ils voulaient exprimer, ils en prenaient rée et particulière nommée nigellum, qui, une fois en place. ITA LIE. 29 interdisait toute empreinte) que lorsqu'ils étaient parfaitement avant lui l'avaient employé déjà pour essayer leurs nielles. Tout éclairés sur le résultat définitif. Le jour où ils s'aperçurent que ce qu'on peut dire, c'est que la plus ancienne empreinte de le papier humide, soumis à une forte pression sur la plaque Florence est celle de la paix de Finiguerra, dont il y a une imprégnée d'une certaine encre, pouvait donner le même résul- épreuve à la Bibliothèque nationale de la rue de Richelieu. Ce tat, ils " renoncèrent au soufre, et leurs essais sur le papier monument rarissime était resté longtemps furent ignoré dans nos col- des estampes. Mais ce ne fut pas immédiatement que l'on lections, et ce fut seulement en 1797 que l'abbé Zani en fit la comprit les avantages d'une telle découverte et le parti qu'on en découverte parmi des estampes non cataloguées. pouvait Quoique le tirer; longtemps les orfèvres se bornèrent à imprimer le nom de Finiguerra doive surtout à cette gravure la célébrité petit nombre qui d'épreuves utiles à la marche de leurs travaux, et s'est attachée à lui, il avait en son une c'est temps à grande cette insouciance répu- sans doute qu'il faut attribuer l'extrême tation comme orfèvre et il eut occasion de déployer son talent rareté de ces estampes primitives et le prix élevé que les ama- dans plusieurs églises d'Italie, qui lui demandèrent des candé- teurs y attachent. » labres et divers objets pour le service du culte. Bien qu'on attribue habituellement à Finiguerra la première La plupart des orfèvres faisaient de la peinture en même application de ce procédé, dont la découverte exerça une temps que de la sculpture et c'est chez eux se sont formés la infiuence que capitale sur la marche des beaux-arts, quelques érudits plupart des maîtres de l'école fiorentine, qui s'habituaient ainsi pensent qu'il ne lui était pas personnel et que bien d'autres dès l'enfance à ne pas restreindre leur activité artistique à une spécialité. C'est ainsi que Ghirlandajo, avant de se faire con- numismates appellent Padouans les fausses médailles ont un naître par ses fresques, avait qui fabriqué des lampes d'argent dans mérite suffisant pour tromper les connaisseurs. Ce nom vient l'atelier de son père; il en est de même de Francia, qui était déjà d'un artiste de Padoue, qui montra une célèbre orfèvre prodigieuse habileté comme à l'époque où il commença à se rendre dans ce genre de plagiat, mais comme la s'est illustre tableaux. réputation qu'il par ses acquise a donné de la valeur à ses ouvrages, on lui en attribue La gravure en médailles, dont nous n'avons pas encore aujourd'hui beaucoup plus qu'il n'a pu en faire réellement. parlé, eut une grande importance dans le mouvement de la En même temps qu'ils faisaient de fausses médailles Renaissance italienne. Au grecques xv® siècle, le goût pour l'antiquité était et romaines, pour le plus grand bonheur des très antiquaires, les répandu en Italie. Les gra- grands seigneurs, qui étaient tous veurs italiens reproduisaient sur les médailles lettrés, tenaient à honneur contemporaines de se connaître en médailles et d'en les traits de tous les personnages illustres de leur Ces posséder une collection. Ce temps. goût fut même si prononcé que, la portraits, d'une individualité frappante, fournissent des docu- spéculation s'en mêlant, plusieurs artistes d'une grande habileté ments précieux pour l'histoire, en même mirent imiter temps qu'ils sont des se à ces médailles, et les vendaient à des mar- œuvres d'art très recherchées des amateurs. Un fait chands les faisaient qu'il est bon qui passer pour des originaux afin d'en aug- de noter en passant, c'est que les villes de l'Italie méridionale et menter la valeur. Ces artistes n'étaient peut-être pas tous des de la Sicile, qui, dans l'antiquité avaient produit tant de chefs- faussaires et un grand nombre d'entre eux pouvaient n'avoir en vue d'œuvre, ont été au contraire d'une stérilité absolue le qu'un exercice, mais le résultat pendant était le même pour les mar- moyen âge et la Renaissance. C'est dans les villes de l'Italie chands, et les imitations qui depuis cette époque ont circulé dans septentrionale. Pise, Sienne, Florence, Padoue, le commerce étaient Mantoue, quelquefois si parfaites,. que les plus fins Vérone, etc., que s'est développé le grand mouvement connaisseurs s'y artistique, trompent encore souvent de nos jours. Les qui de l'Italie devait rayonner sur l'Europe. LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE. être considérées comme de travail espagnol et constituent le plus ancien monument d'orfèvrerie que l'on connaisse sur ce pays. ESPAGNE Cette découverte a eu lieu en i858, près de Tolède, dans un lieu appelé la Fuente de Guarrazar; les premiers objets en trouva en ce lieu furent des colonies or qu'on portés à Madrid et convertis L'Espagne a reçu dès une haute antiquité en la monnaie de cette ville. Mais de nouvelles phéniciennes et est devenue pliis tard une province romaine. lingots par recherches faites dans le même endroit mirent au jour des Comme on ne connaît rien de l'ancienne Ibérie, c'est avec Fin- couronnes d'or massif, rehaussées de saphirs orientaux, de vasion des Visigoths qu'on peut chercher les origines d'un art perles fines et de pierreries de toutes sortes, qui furent recon- nues pour avoir une grande importance historique. On les amena à Paris où elles furent acquises pour le musée de Cluny, et elles sont aujourd'hui un des plus précieux monuments de notre collection nationale. Une des couronnes de Guarrazar porte une inscription qui en fixe la date à la seconde moitié du vue siècle. La plus grande de ces couronnes a dû appartenir à un roi goth, monté sur le trône en 649 et mort en 672 ; elle se compose d'un large bandeau en or et porte en relief trente saphirs orientaux avec autant de perles fines. L'ornementation est formée d'une suite COURONNE VISIGOTHE TROUVEE A GUARRAZAR. national dans ce pays. Évidemment il y avait des orfèvres de palmettes découpées à jour et dont les feuilles sont remplies romains établis dans le pays, et les couronnes de Guarrazar d'une matière rouge qui ressemble à de la cornaline. La cou- bien rattacher leur fabrication aux tra- ronne porte en outre une croix et une quadruple chaîne d'un pourraient se un peu par ditions des anciens ouvriers établis dans le pays. On peut aussi beau travail. Parmi les couronnes de Guarrazar, il y en a qui trouver une influence byzantine, qui à cette époque se faisait paraissent avoir été y portées, et d'autres qui semblent n'avoir sentir à près dans toute l'Europe. Néanmoins, comme elles été faites que dans un but de consécration peu religieuse. été faites Espagne et des rois visigoths, elles doivent Deux ans après la découverte qui enrichissait le de ont en musée pour COURONNE VOTIVE VISIGOTHE TROUVÉE A GUARRAZAR. ALLEMAGNE. Cluny, on trouvait au même endroit des objets analogues qui Théodosius. Ces monuments paraissent avoir une date un peu sont maintenant à la Real Arenería de Madrid. Ces pièces, peu antérieure à ceux du musée de Cluny. connues en France, se composent de deux couronnes, une croix Il est difficile de suivre les transformations que l'art a et divers fragments, d'un travail tout à fait analogue à ceux subies en Espagne, par suite de l'invasion des Arabes, car nous que nous possédons. L'une des deux couronnes porte le nom ne connaissons pas de monuments où la transition soit indiquée, du roi Svintila; l'autre a été offerte à saint Étienne par l'abbé et ceux que nous ont laissés les Arabes sont tous d'une date LA CROIX DES AxNGES. X® SIÈCLE. CATHEDRALE D'OVIEDO. bien postérieure à leur arrivée. Il est certain pourtant que l'orfèvrerie chrétienne a persisté pendant tout le temps de la domination des ALLEMAGNE musulmans, auxquels elle n'a rien emprunté en dehors des procédés techniques. La cathédrale d'Oviedo, en Espagne, possède une croix d'or, qui date du x® siècle, où l'on Dès les temps les plus reculés, l'Allemagne a eu des ouvriers trouve encore l'empreinte de l'ancienne orfèvrerie visigothe, à sachant travailler le métal. Tacite parle de vases d'argent que une époque où la domination arabe avait déjà changé le goût les Germains offraient en présent, mais il ne nous est rien resté ornemental. Les deux anges qui accompagnent cette belle croix de cette antique orfèvrerie. Tout au plus pourrait-on citer une paraissent être d'un travail postérieur. Cette croix célèbre est ou deux pièces, qui ont été trouvées sur le sol de l'Allemagne ordinairement désignée sous le nom de Croix des anges. actuelle, mais dont on ignore la date de fabrication. Le musée 32 LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE. de Munich possède une pièce très curieuse en or massif et de orné de perles, de cabochons, et d'un camée de travail grec. forme conique, que les uns regardent comme la bosse d'un Les Grecs ayant été de tout temps en rapport avec les popu- bouclier, les autres comme le couvre-chef d'un prêtre druidique. lations de la Russie méridionale, il n'y a rien de surprenant que Cet objet, qui paraît être de travail celtique, a été trouvé près l'on y retrouve de leurs productions, mais la partie métallique du Rhin. Comme il à près unique en son espèce, il est de l'objet dont nous parlons, c'est-à-dire le diadème est peu lui-même, faute de points de comparaison, d'en déterminer exac- n'a certainement aucun rapport avec l'industrie des Grecs à difficile, tement l'usage. aucune époque. Ce diadème est orné dans sa partie supérieure Les peuples d'Asie, qui à l'époque des grandes invasions se d'une rangée d'animaux en relief d'un travail extrêmement rués la Germanie et en ont refoulé les habitants grossier. L'élan et le sont sur bouquetin du Caucase, employés pour le monde romain, connaissaient eux-mêmes le travail des cette décoration, n'existaient sur pas en Grèce, tandis qu'ils étaient les les métaux, comme le prouvent quelques pièces rarissimes recueillies assez communs dans pays occupés par Scythes. dans collections. Tel est exemple un diadème On a vu à l'Exposition de 1867, dans les galeries de l'histoire quelques par scythe, du musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg. Ce du travail, des pièces fort curieuses découvertes en Valachie, et diadème, trouvé sur les bords du Don, est en or très pur et maintenant déposées au musée de Bukharest. Ces pièces, dont — MUNICH. l'ensemble forme le trésor de Pétrossa, du nom de la ville près est difficile de ne pas admettre, au moins pour quelques-unes, de laquelle elles ont été découvertes, passent pour avoir été qu'elles ont été fabriquées à Constantinople. Cette tradition enfouies à l'époque de l'invasion des Huns, mais on n'a sur ce s'est même perpétuée pendant très longtemps et ce n'est pas sujet aucune donnée positive. Elles sont en or, et ce qu'elles avant le xii® siècle qu'on voit se dessiner un style allemand offrent de particulier, c'est qu'on n'y trouve ni armes, ni objets proprement dit. usuels, mais simplement des disques, des aiguières, des parères Nous avons vu que l'art allemand était resté assez longtemps destinées aux libations, et se rattachant à un culte qu'une ins- dans un état embryonnaire. Le moine Bernward, qui fut évêque cription en caractères runiques a fait regarder comme étant de Hildesheim de 992 à 1022, acquit à cette époque la réputa- celui d'Odin, mais qui dans tous les cas est antérieur à celui du tion d'un artisan très habile, et son rôle dans l'orfèvrerie aile- christianisme dans le pays. Elles ont un caractère oriental très mande répond à peu près à celui que saint Éloi avait eu en prononcé, et quelques-unes sont décorées de lions et de pan- France. Toutefois on ne connaît de lui aucun ouvrage dont thères dont le style rappelle celui de l'ancienne Perse. l'authenticité soit absolument démontrée. Parmi les objets dont Ces objets sont à peu près étrangers à la véritable Allemagne, la fabrication est d'origine allemande, un des plus anciens et où l'on n'a rien découvert qui ait un caractère national, anté- des plus importants est le parement d'autel de la cathédrale de rieurement à Charlemagne. Encore est-on obligé de recon- Bale qui est maintenant au musée de Cluny. M. Du Sommerard naître xi® que parmi ces pièces, les plus belles qui nous aient été raconte ainsi l'origine de ce monument qui date du siècle. conservées portent un cachet byzantin tellement prononcé, qu'il « L'autel d'or de Bale, exécuté par ordre de l'empereur ALLEMAGNE. 33 Henri II, fut donné par lui à la cathédrale qu'il avait relevée avait fait vœu de consacrer un monument dont la splendeur pût de ses ruines. La légende qui se rattache à cette donation nous en rappeler la puissance. » apprend que Henri, attaqué par la maladie de la pierre, ayant La façade de ce monument, toute en or, est composé de épuisé en va'.ns efforts tout le savoir des médecins, avait, en cinq grandes figures en haut-relief placées sous des pleins désespoir de cause, imploré l'assistance de son patron saint cintres. Le Christ bénissant est au milieu ; il a à sa droite Benoît. Le saint lui était apparu en songe au Mont-Cassin, et l'archange saint Michel et saint Benoît, à sa gauche les archanges l'avait allégé de ses souffrances et guéri de sa cruelle maladie en Gabriel et Raphaël. lui déposant dans les mains la pierre, instrument de ses tortures. Le fronton placé au-dessus des voûtes est décoré des quatre Alors Henri, en reconnaissance de cette sainte intervention. vertus personnifiées : la Prudence, la Justice, la Tempérance et GRANDE CROIX EN CUIVRE CHAMPLEVÉ ET É M AILI, É TRAVAIL DES BORDS DU RHIN AU XIII® SIÈCLE. la Force. L'encadrement de l'autel est orné d'arabesques entre- pièces, devenues très rares aujourd'hui, ne se voient guère que melées d'animaux, de fleurs et de feuillages. dans les musées publics ou dans les collections privilégiées. Au XIII® siècle, les bords du Rhin et les contrées avoisinantes On fabriquait dans les mêmes endroits des grands reliquaires étaient couverts de monastères, dans lesquels il y avait généra- et des châsses dont quelques-unes remontent au xii® siècle. La lement des ateliers d'orfèvrerie religieuse. Beaucoup d'artistes châsse des Rois Mages, à Cologne, et d'autres monuments du byzantins avaient trouvé là un refuge après la guerre des icono- même genre qui se voient dans plusieurs églises des bords du clastes, et on continua longtemps à y mettre en pratique les Rhin, sont extrêmement célèbres. Les artistes qui les fabriquaient traditions importées de Byzance. C'est dans ces couvents que étaient fort nombreux et on range généralement leurs ouvrages 1 on fabriquait ces grandes croix en cuivre champlevé et émaillé sous le nom d'Ecole de Cologne ou d'Ecole rhénane. La gravure sur fond doré, dont le centre est occupé par un Christ maigre, et la ciselure concouraient également à la décoration de ces aux chairs émaillées blanc et à la face légèrement rosée. Ces châsses qui étaient presque toujours ornées de nombreuses sta- 34 LE MÉTAL PEND/ r LE MOYEN AGE. tuettes. Outre l'émail cloisonné, dont le procédé pouvait avoir cassette plate en or niellé ; une ouverture en forme de croix, été importé par les Byzantins, les Allemands pratiquaient l'émail percée au milieu de la cassette, et recouverte de cristal de roche, à taille d'épargne, c'est-à-dire introduit par la fusion dans les laisse voir la relique, qui est un fragment du manteau de saint entailles du métal. Ce genre d'émail avait été autrefois mis en Jean l'évangéliste. pratique par les Gaulois, mais il semblait avoir été oublié dans A partir du xiv® siècle, on ne voit plus guère de ces grandes les premiers siècles du moyen âge. châsses et les reliquaires deviennent au contraire fort petits. Un reliquaire du xiv® siècle, qui fait partie du trésor impé- Cela vient, suivant M. F. de Lasteyrie, de ce que bien peu de rial de Vienne, montre des compartiments dans chacun desquels corps de saints restaient dans leur entier, en sorte que la plupart on voit une scène de la vie de saint Jean. Les figures sont d'une des reliques n'étaient que des fractions dont le reliquaire prenait grande délicatesse d'exécution. Le reliquaire a la forme d'une généralement la forme. La tête d'un saint était contenue dans LUSTRE GOTHIQUE EN FER FORGE. GROSSE, D APRÈS M.ARTIN SCHONGAUER. un buste, le bras ou la jambe se renfermait dans une pièce un grand nombre de reliquaires en cristal montés à jour, qui métallique affectant la même forme. La simple vue du reliquaire permettaient aux dévots de contempler la reliquè elle-même. suffisait ainsi pour en indiquer le contenu. Cet usage au reste Habituellement ces reliquaires sont de simples tubes de cristal, n'était pas particulier à l'Allemagne; pendant le xiv" et le posés soit horizontalement soit verticalement suivant la nature XV® siècle, on en fit de semblables dans tous les pays chrétiens, de la relique, mais toujours supportés par un piédestal riche- et un assez grand nombre se voient encore dans nos églises. ment décoré. Quant aux reliquaires destinés à contenir simplement un objet Nos musées possèdent aussi quelques belles çrosses d'évêque ayant appartenu au saint, leur forme était à peu près la même et des calices d'une grande élégance. Les plus remarquables sont qu'en Italie, et elle n'en différait que par le style ornemental. celles du xv® siècle, mais les gracieux modèles dessinés par L'ogive était pour les Allemands le point de départ et en quelque Martin Schongauer, bien que gardant encore le style ogival dans sorte la clef de l'ornementation, dans l'orfèvrerie aussi bien que l'ornementation, montrent déjà en plein le goût de la Renais- dans l'architecture, tandis qu'en Italie le plein cintre a toujours sanee qui va succéder au gothique. été la forme dominante. On fabriqua aussi, à partir du xv® siècle. Cette période a laissé en Allemagne très peu de monuments FRANCE. 35 de rorfèvrerie usuelle. Ce n'est pas que ce genre de fabrication accompagnèrent les guerres religieuses, ont pu dans beaucoup ait e'te' plus restreint, caries princes allemands, bien qu'ils n'aient d'endroits conserver leurs trésors jamais atteint le luxe effre'ne' des ducs de Bourgogne et des grands De grands gobelets d'or et d'argent et des lustres en fer seigneurs français, e'taient en ge'ne'ral assez richement meublés ; forgé d'un beau travail sont à peu près tout ce qu'on peut mais les destructions ont été beaucoup plus fréquentes dans les signaler en Allemagne, en dehors de l'orfèvrerie purement châteaux que dans les églises. Celles-ci, malgré les pillages qui religieuse. RELIQUAIRE DU XIVSIECLE. — TRÉSOR IMPERIAL DE VIENNE. cas des épées gauloises dont les lames ne valaient rien. Cependant FRANCE on peut voir au musée de Saint-Germain un casque et une belle cuirasse gauloise trouvés dans la Saône ; mais ce sont surtout les Avant de parler des Francs et de leurs productions, il con- bijoux qui ont été trouvés en abondance dans les tombeaux, car vient de dire quelques mots des Gaulois qui ont occupé le pays les Gaulois, comme tous les peuples de l'antiquité, plaçaient à avant eux et avant les Romains. Jules César ne fait pas grand côté du défunt les objets précieux qu'il avait possédés Tous les BRACELETS EN BRONZE C E L T G - G E R M A N I Q U E S. — MUNICH. auteurs anciens sont d'accord sur la passion qu'avaient nos les autres. Le musée de Saint-Germain possède de beaux échan- ancêtres pour la parure. Les bijoux gaulois sont presque toujours tillons de bijoux roulés en spirale, d'agrafes, de boucles de de forme circulaire et consistent souvent en un certain nombre 'ceinturons, etc. de fils d'or roulés en spirale. On donne le nom de torques à des L'art de l'émaillerie était connu et pratiqué chez les Éduens bijoux que les Gaulois portaient comme bracelets ou comme de l'ancienne Gaule. C'est un fait depuis longtemps acquis à la colliers. Les bracelets présentent quelquefois la forme d'une science historique, mais qui a pris une assez grande importance, série d'anneaux de diflérentes grandeurs emboîtés les uns dans depuis les dernières fouilles exécutées aux environs d'Autun, 56 LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE, les Une question pourtant restait encore pendante et ne manquait chambre que par la porte, il y avait un quartier spécial pour assurément pas d'importance. Les objets qu'on trouvait en forgerons et les métallurgistes. Dans ces tanières une popu- foule sur le sol gaulois y avaient-ils été réellement fabriqués. lation industrieuse se livrait incessamment au travail du bronze Un passage souvent cité de Philostrate ajoutait un vif intérêt à qu'elle gravait et qu'elle enrichissait d'émaux. Des ateliers, l'éclaircir « beaucoup. Cet auteur, pourvus de tout leur outillage, ont été mis au jour. Les usten- cette question sans pourtant M. qui vivait au m" siècle de notre ère, dit, en parlant des couleurs siles, dit Bulliot, gisaient pêle-mêle; les fours étaient encore variées des bijoux celtes : « elles y adhèrent, se pétrifient et remplis de charbon; à côté de spécimens complètement termi- dessins. Ceci s'applique évidemment à des nés, on en voyait d'autres à peine ébauchés, d'autres en conservent leurs » pleine bien avoir été importés en fabrication, l'un même encore enveloppé de terre cuite; tout émaux, mais ces émaux pouvaient le prouvaient nullement l'émail- autour des fragments d'émail brut, des creusets de terre, des Gaule par commerce, et ne que des lerie fût à une considérable de bavures, pour les Gaulois une industrie nationale. grès polir, quantité déchets, La découverte faite M. Bulliot d'un centre de fabrication des par rognures provenant de la taille, des coques vitreuses qui sur le mont Beuvray, à vingt-cinq kilomètres d'Autun, a tranché conservaient l'empreinte des dessins du bronze, et par-dessus la question faveur de nos aïeux. C'est une ville entière dont tout, le témoin même des opérations, véritable fossile de nos en Bulliot retrouvé les fondations, et cette ville, abritée par sa terrains historiques, nous voulons parler de la médaille qui en M. a forteresse, était une cité toute d'industrie. Dans cette ville, où fixe l'âge et l'époque. » (G. Bulliot et H. de Fontenay, l'Art de les fenêtres étaient inconnues et où la lumière n'éclairait la rémaillerie che^ les Ediiens avant l'ère chrétienne.) La conquête romaine modifia naturellement les pratiques breuses pendant la période mérovingienne, il est certain que la fabrication des d'orfèvrerie n'a jamais cessé en France. en usage dans les travaux du métal, qui formèrent, pendant pièces toute la durée de l'Empire, une branche importante des indus- On sait, par exemple, qu'il existait à Reims des ateliers impor- son testament de tries gallo-romaines. Les invasions du iv® siècle eurent à peu tants, et saint Remy ordonne par fabriquer on devait près les mêmes résultats qu'en Italie, c'est-à-dire qu'elles ame- un ciboire et un calice orné de -figures sur lequel reine Brunehaut nèrent des pillages et des destructions sans nombre. Comme les graver une inscription qu'il avait composée. La barbares avaient les mêmes besoins les peuples qu'ils avaient fit faire un grand bouclier en or et en que pierres précieuses qu'elle tarit cela, mais elle fut destinait au roi d'Espagne. On a beaucoup parlé du conquis, la production ne pas pour goût que Un trait va en donner plus hâtive et par conséquent moins soignée. A une époque où montrèrent les Francs pour l'orfèvrerie. mobilière consistait exclusivement et l'idée. « Un jour, Chilpéric, ayant reçu en présent divers la fortune en or en argent, objets fit il était tout naturel que l'orfèvrerie fût considérée comme le en métal travaillé qui excitaient une admiration universelle, premier et le plus important de tous les arts. Une pièce d'orfè- mettre à côté un large bassin d'or orné de pierreries qu'il avait vrerie était un trésor facilement transportable, qu'on pouvait lui-même fait fabriquer, et le montrant à Grégoire de Tours : cacher aisément et fondre au creuset en cas de pénurie. Les « C'est moi, dit-il, qui l'ai fait faire pour orner et rehausser la des objets métalliques furent importés de Byzance en très grande « nation des Francs. Ah ! je ferai encore, si je vis, bien quantité pendant toute cette période et transformèrent le goût. « choses. » Toutefois il ne faut pas s'y tromper, ce n'était pas le L'orfèvrerie, des premiers siècles du moyen âge, se distingue travail qu'admirait le barbare, mais la richesse de l'ouvrage et de celle de l'antiquité par un caractère spécial qui est l'alliance la richesse de la matière. des pierres fines avec les métaux précieux. Dans la période Parmi les ouvrages de bronze de l'époque mérovingienne mérovingienne, l'ornementation consiste presque exclusivement qui sont parvenus jusqu'à nous, le plus intéressant sous tous dans l'emploi de pierres fines; cet usage paraît avoir été importé les rapports est le siège connu sous le nom de trône de Dago- de Byzance. bert, qui est conservé au cabinet des médailles de la Bibliothèque Bien que les importations byzantines aient été fort nom nationale. Ce siège est attribué, sans que l'on puisse d'ailleurs FRANCE. 3? invoquer aucune preuve à l'appui, à l'orfèvre saint Éloi, qui est maintenant au cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, devenu dans la légende le t}q·)e de l'artisan de cette époque. Le sont certainement les objets les plus précieux parmi ceux qui appar- monastère que ce saint a fondé près de Limoges est devenu une tiennent à l'époque mérovingienne. La pièce la plus importante pépinière d'artisans qui ont acquis une grande réputation d'habi- de cette série est l'épée, ou plutôt la poignée de l'épée, et la leté et qui se sont beaucoup inspirés des ouvrages byzantins, alors garniture du fourreau, car le reste est moderne. Le travail se en vogue. L'imitation de ces ouvrages fut même quelquefois si compose d'un cloisonnage d'or, dont les lames sont soudées sur parfaite, qu'il est souvent diflicile de distinguer ce qui a été fait le fond ; des petits morceaux de verre rouge sont placés dans les dans le pays et ce qui y a été importé par le commerce. compartiments du cloisonnage auxquels ils s'adaptent exacte- Les armes et bijoux trouvés dans le tombeau de Childéric, ment. M. Labarte considère cette épée comme d'origine .-Y-;/:', C. COURONNE DU SAINT EMPIRE ROMAIN. — TRESOR IMPERIAL DE VIENNE. byzantine, ce qui n'aurait rien de surprenant, puisque les sa protection les hommes de travail trouvèrent un moment de empereurs de Constantinople faisaient fréquemment des présents repos. Les portes de bronze qui se voient au dôme d'Aix-la- aux rois barbares, dont le trésor formait toujours le mobilier Chapelle, et une statuette équestre de l'empereur Charlemagne, funéraire. Une origine analogue est attribuée par le même qui a figuré dans les salles de l'histoire du travail, à l'exposition auteur aux objets qui composent le trésor de Gourdon, et qui de 1867, sont les spécimens les plus importants qui nous restent étaient accompagnés d'un grand nombre de pièces de mon- de l'art de fondre le bronze à cette époque. On sait par les naies byzantines. Quand un empereur d'Orient faisait un présent chroniqueurs que l'industrie fut assez active sous Charlemagne, en orfèvrerie, il l'accompagnait ordinairement d'un présent en pour que nombre d'églises et d'abbayes aient pu réparer les pièces monnayées. Des monnaies byzantines ont également été dégâts de la période précédente, ou même se créer à nouveau trouvées dans le tombeau de Childéric. un mobilier religieux dans lequel le métal avait nécessairement Le règne de Charlemagne, s'il ne mérite pas tout à fait le la plus grande part. Mais cette activité factice fut de courte titre un peu ambitieux de Renaissance qu'on lui donne quelque- durée et s'arrêta presque subitement après la mort de celui qui fois, fut du moins un moment d'arrêt dans la barbarie, et sous en était l'auteur. 38 LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE. Le musée du Louvre possède une poignée d'épée et quelques seras utilement servi de mon œuvre, en retour de'mes préceptes, objets qui ont appartenu à Charlemagne. On peut encore je ne te demande que d'adresser pour moi une prière à la misé- rattacher à la période carlovingienne la couronne du saint ricorde du Dieu tout-puissant. » Ce précieux traité, dans lequel Empire romain, c'est-à-dire de l'empire d'Allemagne, une des soixante-dix-neuf chapitres sont consacrés à l'orfèvrerie, montre pièces les plus précieuses du Trésor impérial de Vienne. Elle que, bien loin d'avoir, comme dans nos industries modernes, la est formée de huit plaques d'or et ornée de perles et de pierres division infinie du travail, les artistes possédaient une universa- précieuses. Le travail est de style byzantin et la date de fabri- lité de connaissances telle, qu'on ne sait bien souvent à quelle cation est inconnue. profession spéciale on doit les rattacher. Si le nom de saint Éloi résume en quelque sorte tous les Le moine Théophile, à qui nous devons de si précieux ren- efforts de l'orfèvrerie française pendant la première partie du seignements sur la pratique des arts au moyen âge, nous parle moyen âge, Suger, le célèbre abbé de Saint-Denis, fut pendant entre autres des métaux travaillés au repoussé et ciselés ensuite. le XII® siècle l'instigateur des plus grands travaux qui furent « On fait, dit-il, des fers pour exécuter sur l'or, l'argent et le exécutés à cette époque, et il en parle longuement dans le livre cuivre, des figures humaines, des oiseaux, des animaux et des qu'il a écrit sur son administration. Ce fut lui qui dirigea l'exé- fleurs repoussés. Ces fers sont de la longueur d'une palme, cution de l'autel et des châsses de saint Denis et de ses deux larges et garnis d'une tête à la partie supérieure, effilés, ronds, compagnons, saint Rustique et saint Eleuthère; sur le lieu où minces, triangulaires, carrés ou recourbés à la partie inférieure, les saints martyrs avaient longtemps reposé, il éleva une croix selon l'exigence du travail qu'on se propose de faire; on les d'or, enrichie de pierres précieuses, surmontant une colonne frappe avec un marteau... Battez une feuille de cuivre de la carrée où soixante-huit plaques d'émail représentant des sujets largeur et de la longueur que vous voudrez, jusqu'à ce qu'elle de l'Ancien et du Nouveau Testament alternaient avec des plaques soit d'une épaisseur à ne pouvoir se plier qu'avec peine, et sans filigranées. Toutes ces richesses ne sont point restées, mais fissure ni taches; puis tracez-y l'image que vous voudrez... quelques pièces rarissimes, conservées au musée du Louvre, nous Lorsque vous aurez donné à l'image le relief que vous désirez, donnent une idée du talent des orfèvres employés par Suger. Il prenez des fers de la longueur d'une palme, plus gros du bout faut surtout citer un vase antique de porphyre, que l'ingénieux sur lequel on doit frapper avec le marteau, et de l'autre bout plus artiste chargé d'exécuter sa monture a transformé en aigle. effilés, fins, ronds ou pointus, que vous aurez préparés pour ce L'urne égyptienne est devenue le corps de l'oiseau, auquel on a travail; ensuite, ayant fait asseoir devant vous un enfant exercé ajouté des parties métalliques qui s'y adaptent parfaitement, et à ce genre de travail, tenez la feuille de la main gauche, et avec notamment la tête qui est d'un grand caractère. Un autre vase les fers que vous tenez de la droite et que l'enfant frappe avec un antique, en cristal de roche, a subi à la même époque une trans- marteau d'une moyenne grosseur, tracez les yeux, les narines, les formation du même genre, en ce sens que sa monture lui donne cheveux, les doigts des mains, ceux des pieds et les plis des vête- une physionomie toute spéciale et empreinte d'un certain goût ments, de manière à les faire paraître à l'intérieur où vous oriental. C'est la célèbre pièce qu'on désigne habituellement frappez avec les fers, et que les traits se produisent extérieure- sous le nom de vase d'Alienor d'Aquitaine, parce qu'il fut donrié ment en relief. Quand vous aurez ainsi travaillé assez longtemps par cette princesse au roi Louis VII, qui en fit lui-même pré- pour obtenir complètement la forme, vous fouillerez avec des sent à Suger, pour être consacré au Saint Lieu, ainsi que le burins et des ébarboirs, autour des yeux, des narines, de la constate l'inscription niellée sur son pied. bouche, du menton et des oreilles, et vous dessinerez les che- Le puissant abbé qui donnait l'impulsion aux arts de son veux, les ongles des pieds et des mains et les plis délicats des temps ne doit pas nous faire oublier un simple moine, nommé vêtements. » Théophile, qui non seulement pratiqua lui-même tous les arts que Théophile ne parle que des procédés techniques, mais un l'on connaissait alors, mais qui, dans un livre où de vastes con- écrivain du xiii® siècle, Jean de Garlande, poète et grammairien, naissances sont partout mêlées aux naïvetés les plus étranges, a nous a donné dans son vocabulaire latin quelques renseigne- décrit tous les procédés alors connus. L'introduction qu'il met ments sur les artisans de cette époque. Les ouvriers qui tra- en tête de son livre nous initie aux mœurs de ce temps où les V aillaient les métaux précieux se divisaient en quatre classes : ateliers sont des couvents et les artistes des moines. « O toi qui fermailleurs, monétaires, fabricants ou monteurs de coupes, liras cet ouvrage, dit Théophile, qui que tu sois, ô mon cher orfèvres. fils 1 je ne te cacherai rien de ce qu'il m'a été possible d'apprendre, « Les fermailleurs, dit-il, offrent des fermoirs grands et je t'apprendrai ce que savent les Grecs dans l'art de choisir et de petits, faits de plomb et d'étain, de fer et de cuivre. Ils ont mélanger les couleurs; les Italiens, dans la fabrication des vases, aussi de beaux colliers et des grelots sonores. dans l'art de dorer, dans celui de sculpter l'ivoire et les pierres « Les monétaires qui fabriquent les monnaies semblent précieuses; les Toscans dans l'art de nieller et de travailler riches, mais ils ne le sont pas. Les deniers qu'ils fabriquent l'ambre; les Arabes, dans la ciselure et les incrustations. Je te ne sont pas leur propriété, on les envoie au change pour être à dirai ce que pratique la France dans la fabrication des précieux la disposition des changeurs sous espérance de gain. vitraux qui ornent ses fenêtres; l'industrieuse Germanie, dans « Les ouvriers qu'on appelle cipharii décorent les vases de l'emploi de l'or, de l'argent, du cuivre et du fer, et dans l'art de lames d'or et d'argent et montent les coupes sur des pieds; ils les sculpter le bois. Conserve, ô mon cher fils! et transmets à tes entourent de cercles métalliques pour les consolider et les disciples ces connaissances que nous ont léguées nos anciens ; embellir. nécessaires à l'ornement des temples, elles sont l'héritage du « Les orfèvres se tiennent devant leurs fourneaux et leurs Seigneur.... Lorsque tu auras souvent relu ces choses et que tu tables sur le Grand-Pont; ils fabriquent des hanaps d'or et les auras bien gravées dans ta mémoire, toutes les fois que tu te d'argent, des fermoirs, des colliers, des épingles, des agrafes; ils FRANCE. 39 ornent les anneaux de pierreries rondes, de jaspes, saphirs et Ce fut seulement au xui® siècle que les orfèvres de Paris émeraudes. Les industrieux orfèvres frappent avec de légers furent assez nombreux pour se séparer des autres industries qui marteaux les lames d'or et d'argent sur une enclume de fer; ils travaillaient le métal, et purent s'organiser en une corporation enchâssent les pierreries dans les chatons des bagues qui sont à spéciale, dont on voit les règlements dans le l'egish-e des métiers l'usage des barons et des nobles dames. » rédigé par Etienne Boileau. Ces règlements avaient surtout pour CROIX AVEC P ERSONNAGES. but d'empêcher la concurrence étrangère et de fixer les condi- quant l'apogée de l'orfèvrerie religieuse en France; les richesses tions de l'apprentissage. Les restrictions si étranges apportées immenses que les églises et les monastères possédaient à cette au nombre d'apprentis que chaque maître peut avoir chez lui et époque s'augmentaient sans cesse par les dons des fidèles. C'est l'avantage fait aux enfants des maîtres montrent le désir qu'on ainsi que l'orfèvre parisien Bonnard, assisté de ses meilleurs avait d'avoir des familles professionnelles où chaque métier fût ouvriers, consacra plusieurs années de son temps à fabriquer la toujours exercé de père en fils. châsse de sainte Geneviève, qui fut terminée et installée en 1212. Le règne de saint Louis peut être considéré comme mar- Cette châsse célèbre, qui avait la forme d'une petite église, toute * LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE. 40 couverte de statuettes et de bas-reliefs rehaussés de pierreries, ont toujours été employés parmi les ustensiles de table, il n'en fut portée à la Monnaie et détruite en 1793. Cette imitation des est pas de même des fourchettes, dont l'usage ne paraît pas monuments dans les châsses est un des traits les plus caractéris- remonter plus haut que Charles V. Ces fourchettes étaient tiques de l'orfèvrerie religieuse à cette époque. « A partir du d'ailleurs assez différentes des nôtres, puisqu'elles n'avaient que XII® siècle, dit M. A. Darcel, l'orfèvrerie suit l'architecture dans deux dents. En revanche, plusieurs pièces d'orfèvrerie, qui ses développements, mais la suit de loin, toujours en retard de étaient alors en usage, ne sont plus guère employées aujourd'hui, quelques années. Déjà au ix® siècle, en 877, un orfèvre d'Angers du moins sous la forme qu'on leur donnait alors. Tels sont les avait fondu des châsses en façon d'église, ce qui laisse soup- pots à aumône^ sortes de vases richement ciselés, dans lesquels çonner dans son œuvre certaines imitations des formes de l'ar- les convives déposaient des aliments que l'on distribuait ensuite chitecture. A mesure que l'on s'avance vers l'époque ogivale, ces aux pauvres ; les drageoirs^ petits coffrets damasquinés destinés imitations deviennent de plus en plus fréquentes; imitations à contenir des friandises ; les nefs, vastes bassins qui affectent libres, il est vrai, qui n'empruntent aux édifices religieux que parfois la forme d'un navire et dans lesquelles on resserrait leurs formes générales, et dans lesquelles l'ornementation, à part divers objets de petite dimension. Parmi les grandes pièces quelques colonnes, appartient exclusivement à l'orfèvrerie... d'orfèvrerie qui apparaissaient dans les festins d'apparat, il faut Plus tard, vers la fin du xiii® siècle, l'imitation des œuvres de citer les fontaines portatives que l'on posait sur la table et qui pierre devient plus flagrante... Ce que firent les orfèvres, élèves laissaient couler pendant le repas plusieurs sortes de vins ou ou laïques de l'abbaye de Saint-Denis, œuvres aujourd'hui per- de liqueurs. Tous ces objets étaient décorés de petites figures de dues, mais dont la gravure a conservé le souvenir, c'était des chevaliers, d'animaux réels ou fantastiques, de fleurs ou de églises avec contreforts à pinacles, arcs-boutants et clochers, feuillages, etc. colonnes et appareils de maçonnerie. Il est vrai que tOKt cela est Un poète de cette époque, Eustache Deschamps, décrit ainsi singulièrement interprété. Les colonnes sont bien grêles pour les joyaux et bijoux des nobles dames de son temps : « Il faut, leurs bases aplaties et leurs chapiteaux évasés, dont les crossettes dit-il. feuillagées, rapportées après coup, se dégagent en longues volutes. Aux matrones Nobles et riches On devine qu'elles n'ont rien à porter. Des bandes de feuilles palais trônes, Et à celles qui se marient estampées d'émaux ou de filigranes remplacent les moulures des Qui moult tôt (bientôt) leurs pensers varient, soubassements, des corniches ou des arcs garnissent le rampant Elles veulent tenir d'usaige.... Vestements d'or, de draps de soye, des pignons ou le faîte des toits. C'est un habile compromis Couronne, chapel et courroye entre deux arts, celui de la pierre et celui du métal, qui en somme De fin or, espingle d'argent.... ne peut tromper personne. Plus tard encore l'imitation des Puis couvrechiefs a or batus, et dessus.... formes et des décorations architecturales devient A plus servile, et pierres perles Encore vois-je que leurs maris, il est telle œuvre d'orfèvrerie ou de bronze exécutée au xv® siècle, Quand ils reviennent de Paris, dont il n'y a qu'à changer les proportions de pour en faire un édi- De Reims, de Rouen et Troyes, Leur et . fice de pierre; rapportent gants courroyes.. » Tasses d'argent ou gobelets.... Au XIV® siècle, un grand changement se fit dans les mœurs, et Avec bourse de pierreries, l'orfèvrerie qui, jusque-là, avait été presque exclusivement reli- Coulteaux à imagineries... taillés à émaux. » gieuse, commença à prendre un grand développement dans les Espingliers (étuis) sphères laïques. On cria naturellement à l'impiété, et une ordon- Jusqu'au xiii® siècle les bijoux byzantins avaient été très nance royale, en date de i356, défendit aux orfèvres de fabriquer recherchés par la noblesse, et les joyaux fabriqués en France pour les usages civils aucun vase ou joyau de plus d'un marc d'or n'étaient la plupart du temps qu'une imitation plus ou moins ou d'argent. On espérait ainsi maintenir la suprématie quel'orfè- libre de ceux qui étaient importés de Byzance, ou plutôt encore vrerie religieuse avait toujours eue. Mais une ordonnance suffit de Venise, ville dans laquelle le style oriental s'est maintenu rarement pour arrêter le courant des idées, et quand elle se met pendant très longtemps. « On employait alors dans les vête- en travers des mœurs, elle n'est pas observée. Le roi de France ments, dit Viollet-le-Duc, des plaques d'or travaillées, repous- n'hésita même pas à enfreindre lui-même cette loi somptuaire, sées, gaufrées et burinées, ornées de pierreries et de perles qui car l'inventaire du trésor de Charles V mentionne plusieurs s'appliquaient aux cols des robes des hommes et des femmes, bijoux et pièces d'orfèvrerie d'une valeur énorme. C'est de ce aux ceintures, aux cercles qui retenaient les cheveux longs, et trésor que nous vient le fameux camée antique de la Biblio- même aux chaussures. Ces plaques, posées jointives, cousues thèque dont la monture fait le plus grand honneur aux orfèvres sur l'étoffe, pouvaient prendre ainsi la forme des parties du de ce temps. Ce camée représente un Jupiter, mais comme il y a corps qu'elles couvraient. Les statues du xn® siècle nous four- un aigle à côté du roi des dieux, on avait cru y voir l'image de nissent d'assez nombreux exemples de ces sortes de joyaux, dont saint Jean l'évangéliste, dont l'aigle est également l'attribut. quelques échantillons se trouvent encore dans nos musées. » Tous les édits royaux ne pouvaient empêcher les gens riches Ces sortes de- plaques étaient, suivant Viollet-le-Duc, de fabri- de vivre à leur guise, et le xiv® siècle, qui fut pour le petit peuple cation occidentale, mais les cercles ou couronnes de métal que des villes et des campagnes une période d'épouvantable misère, l'on portait sur la tête venaient probablement de Byzance, puis- fut au contraire remarquable par le débordement de luxe qui que les plus anciens types que l'on en connaisse proviennent envahit les classes opulentes. Dans le service de la table, nous des manuscrits grecs. De petits bijoux attachés à ces couronnes trouvons l'or et l'argent employés avec le cristal de roche, pour la pendaient le long de la chevelure des deux côtés de la tête et confection des hanaps, des coupes, des aiguières, des salières, etc. remplaçaient les boucles d'oreilles qu'on ne portait pas à cette Il est bon de remarquer que, si les couteaux et les cuillères époque. FRANCE. 41 A l'exception du clergé, qui a toujours aimé les joyaux, on de, la fabrication des joyaux occidentaux s'en affranchit peu à ne voit pas que la bijouterie ait eu une bien grande, importance peu vers le commencement du xiii® siècle, pour adopter un au XIII® siècle; le costume, d'ailleurs, ne s'y prêtait pas beaucoup. caractère nouveau. Aux vieux types conventionnels de l'Orient, Mais le contraire arriva dans la période suivante. Sous Charles VI, à ces filigranes perlés appliqués sur des fonds unis, aux lourdes nous voyons les ducs de Bourgogne et d'Orléans rivaliser de et très saillantes bâtes sertissant les pierreries, les joailliers faste : les perles fines furent très à la mode à cette époque. Le substituent les travaux d'enleviire, c'est-à-dire repoussés ou besoin de pierreries fut si général dans la noblesse, qu'on alla emboutis, les délicates gravures, les bâtes de monture relative- jusqu'à dépouiller les châsses et les reliquaires de l'époque pré- ment peu saillantes, parfois la ciselure, ou tout au moins un cédente, pour enrichir les larges ceintures et les coiffures des burinage très ferme et délié du métal préalablement repoussé. seigneurs de la cour et des nobles dames. L'extension énorme Cependant les habits de la noblesse ne sont plus faits d'étoffes que prit la joaillerie française au xiv® siècle est d'ailleurs un fait ornées d'orfrois et de plaques d'orfèvrerie. Les bijoux se-bornent que tous les historiens ont remarqué. à des ceintures, des colliers, des coiffures et des couronnes, des Viollet-le-Duc résume ainsi l'histoire de la bijouterie fran- fermoirs et mordants. Le goût pour le port des joyaux sur les caise pendant le moyen âge : « Empreinte du goût oriental habits reparaît après la mort de Louis IX, et ne fait que se déve- byzantin pendant la période carlovingienne et jusqu'au xii® siè- lopper pendant le cours du xiv® siècle. L'inventaire du trésor de Charles V contient un nombre prodigieux de joyaux de corps rarement... L'art et l'industrie en France, sous les Valois de la d'un grand prix, indépendamment de la vaisselle plate d'or et fin du XIV® siècle, ont un caractère nettement empreint du génie d'argent, des châsses, reliquaires et tableaux d'orfèvrerie. C'est français, et, parmi ces industries, l'orfèvrerie et la joaillerie se aussi sous ce prince que l'industrie des joailliers atteint l'apogée, distinguent particulièrement. Ce caractère s'efface pendant les non seulement comme quantité de fabrication, mais comme malheurs du xv® siècle, et ne recommence à se montrer avec qualité et comme goût. Jamais on ne sut mieux adapter cet art franchise qu'à la fin de ce siècle, c'est-à-dire aux premières à la toilette. Les quelques objets qui nous restent de cette lueurs de la Renaissance. » époque, et les nombreux monuments figurés qui nous en ont Le cuivre a toujours été employé, conjointement avec conservé les formes et la composition, montrent la supériorité l'argent et l'or, pour les pièces d'orfèvrerie religieuse et notam- de cette fabrication française à la fin du xiv® siècle. ment pour les châsses, les reliquaires, les candélabres, les « Après les désastres du commencement du xv® siècle, le crosses, etc. Aussi nos collections renferment-elles nombre d'ob- luxe des joyaux reparaît, mais l'influence de la cour de Bour- jets extrêmement précieux, bien que leur valeur intrinsèque soit gogne a remplacé celle des Valois, et cette influence est, au point presque nulle, parce que les orfèvres apportaient autant de soins de vue du goût, médiocre, tout entachée de style flamand et à leur confection que s'ils eussent été en métal précieux. L'em- tudesque. La profusion des détails, la confusion des composi- ploi du cuivre était beaucoup moins fréquent dans l'orfèvrerie tions, la sécheresse de l'invention, et l'affectation à suivre cer- usuelle. Dans les classes pauvres on se servait à peu près exclu- tains types de convention, maniérés toujours, laids assez souvent, sivement d'écuelles de bois ou de poteries communes, tandis que font des œuvres intéressantes, curieuses à coup sûr, belles très sur la table des riches la vaisselle était toujours en argent- 6 42 LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE. Cependant les objets, en cuivre que nous a laissés le moyen âge notamment un type qui rappelle un peu la Chimère antique. Les montrent en général une assez grande habileté chez ceux qui les époques barbares ont la conception des formes étranges et ont confectionnés. Nos collections renferment quelques appliques savent leur donner une apparence décorative, que l'imitation en cuivre repoussé portant encore des traces de dorure et d'émail. plus rigoureuse des périodes civilisées atténue nécessairement. Jusqu'au xv® siècle, on a fait, pour les besoins de notre noblesse Dès une haute antiquité, le fer avait été dans les Gaules guerroyante, des chevaliers galopant et armés de toutes pièces, d'un emploi assez commun, et on s'en servait dans la plupart comme ceux qui sont figurés sur les jetons et les sceaux de la des cas où les Romains employaient le bronze. L'art du forgeron même époque. Des animaux fantastiques, généralement en cuivre paraît aussi avoir eu dans l'époque carolingienne un certain jaune, et qui servaient probablement d'enseignes, témoignent de développement, mais comme les monuments qui sont parvenus l'imagination de nos pères dans le génie bizarre. On y trouve jusqu'à nous ne remontent pas au delà du xii® siècle, c'est à GRILLE GOTHIQUE, SECONDE MOITIÉ DU XV® SIÈCLE. cette époque seulement qu'on peut commencer l'histoire de la grilles, il faut placer les pentures de porte que les forgeronsjjdu serrurerie française. On n'avait pas alors les puissants moyens XII® et du XIII® siècle exécutèrent avec une rare perfection. Que dont la mécanique dispose aujourd'hui et le forgeron devait tout les pentures soient simples ou riches, elles sont toujours d'un faire à la main. Ce qui frappe dans les ouvrages de cette époque, goût remarquable. Dans les plus belles, les enroulements "qui c'est un goût exquis de l'ornementation uni à une incroyable consolident les madriers de bois dont se composent les portes habileté dans la main d'œuvre. sont décorés d'animaux et de feuillages, et terminés par des « Au commencement du xiii® siècle, dit M. Labarte, l'art de fleurons élégants. » forger le fer avait été porté à un très haut degré de perfection. Les pentures des portes de Notre-Dame de Paris sont un Les grilles composées de rubans de fer enroulés et décorés seu- magnifique exemple de la serrurerie de cette époque. Une vieille lement de quelques coups de poinçon parurent trop simples aux légende s'y rattache ; les ferrures ont été exécutées par un serru- habiles forgerons de ce temps. Ils imaginèrent de terminer les rier appelé Biscornette, qui avait vendu son âme au diable pour brindilles de fer qui formaient les enroulements par des ornements être aidé dans ce travail et surpasser ainsi tous ses confrères. d'un bon style enlevés à fer chaud au moyen d'une étampe. Mais le diable fut volé dans cette affaire comme dans toutes Souvent les brindilles de fer richement ornementées, au lieu celles du même genre qu'il a voulu entreprendre ; le pacte fut d'être disposées entre les montants et les traverses qui forment forcément rompu, parce que le diable ne parvint pas à faire la l'armature principale, sont appliquées sur cette armature. La porte du milieu, attendu que c'est par cette porte que passe le grille, en ce cas, n'est décorée que du côté extérieur. A côté des Saint-Sacrement, qui a toujours pour effet d'empêcher l'œuvre FRANCE. 43 du diable de subsister, de sorte qu'elle ne put être terminée. tuellement employés dans l'industrie ont donné lieu à des tra- L'art y a beaucoup perdu, car c'est pour cette raison que vaux d'un grand mérite, et dont le style ornemental suit toujours, les pentures du xiii® siècle ne se trouvent que sur les portes qui d'une manière plus ou moins rigoureuse, l'impulsion donnée par sont de chaque côté de l'entrée principale. les architectes aux monuments de la même époque. Le fer était également employé pour les coffrets ; nous avons « S'il est une matière impérieuse, dit M. Viollet-le-Duc, aussi de beaux spécimens des serrures monumentales et des ce sont les métaux. Il n'est que deux manières de les employer. grandes clefs du moyen âge. Mais c'est surtout dans les grilles La première consiste à les faire entrer en fusion et à les couler que les serruriers déployaient tout le luxe de l'ornementation. dans un moule creux ; on obtient ainsi un objet concret, résistant, Il en existe d'assez nombreux échantillons, qui pour la plupart auquel on peut donner des formes très variées, en évitant, autant appartiennent au xv® siècle. Le style ogival y prend les mêmes que faire se peut, les arêtes trop vives, les angles et les membres allures que dans les monuments en pierre ou en bois; seulement rectilignes, qui ne viennent pas bien à la fonte. Mais ce procédé les colonnettes sont en général plus grêles. donne des objets d'un poids relativement considérable, et ne Ainsi voyons-nous qu'au moyen âge, tous les métaux habi peut guère convenir qu'exceptionnellement, si l'on met en COFFRET E.N FER DÉCOUPÉ ET CISELÉ. — XV® SIÈCLE. œuvre des métaux d'un prix très élevé. Le second procédé con- nos chalumeaux perfectionnés. Cette pauvreté de moyens n'était siste à laminer les métaux par le martelage, et à les repousser, pas un obstacle pour eux, puisque nous voyons une grande en raison de leur propriété malléable, jusqu'à ce qu'on leur ait quantité de pièces d'orfèvrerie des xii® et xiii® siècles, et même donné le modelé convenable. Les deux procédés peuvent être antérieures à cette époque, très adroitement réunies par le parfois employés simultanément dans la fabrication d'un même moyen de la soudure. Le métal fondu pouvait être retouché par objet, mais le métal repoussé n'ayant jamais l'aspect du métal la ciselure ou au burin ; aussi ces artisans employaient-ils ces fondu, il est difficile d'obtenir un résultat complètement satis- procédés qui, entre des mains habiles, enlèvent à la fonte l'aspect faisant par ce mélange des deux modes. Les parties fondues mort et froid qu'elle conserve habituellement. Quant aux pièces peuvent être réunies par le moyen de la soudure, par des rivets, martelées, elles étaient également retouchées au burin, gravées, des assemblages. Les orfèvres du moyen âge ont été très discrets et le repoussé acquérait ainsi de la vivacité et quelque chose de dans l'emploi de ces expédients, et, autant que possible, leurs précieux. Il est évident que ces procédés si simples et qui fontes sont faites d'un jet. Mais la soudure est particulièrement demandent un outillage si peu important, prenaient leur valeur propre à la confection des objets composés de pièces martelées, de l'adresse et du talent de l'ouvrier qui les employait. La main étirées, repoussées, et ils ont porté très loin cette industrie, qui de l'homme, qu'aucun moyen mécanique ne surpasse, se sentait exige une grande habileté et une expérience consommée. En partout sur ces pièces d'orfèvrerie, mais quand les procédés effet, lorsqu'il s'agit de souder des pièces minces et délicates de matériels ont été très développés, leur exactitude, leur précision métal, la chaleur modifie la forme de ces pièces et peut même même, leur inintelligence, ont remplacé peu à peu cet attrait les qui fondre. D'ailleurs, ces orfèvres du moyen âge ne possédaient s'attache à tout ce que la main humaine façonne. Aussi ne pas les moyens qui nous sont connus aujourd'hui. Pour fondre, doit-on pas être surpris si l'on a tant de ils peine aujourd'hui, dans n'avaient que le charbon et des soufflets qui remplaçaient l'orfèvrerie comme dans d'autres branches de l'industrie, à LE MÉTAL PENDANT LE MOYEN AGE. 44 obtenir des objets qui aient le charme des choses anciennes. Le montures d'orfèvrerie, d'un style tout à fait spécial et do.nt voisinage du moyen mécanique a déshabitué la main de l'ouvrier l'équivalent ne se trouve guère dans les autres pays. Des entre- de ce travail intelligent et personnel, et ses efforts tendent à lacs très ingénieusement combinés, comme ceux qu'on retrouve imiter la régularité sèche et froide de la machine. « sur les manuscrits de la même époque, constituent l'ornementa- tion de ces reliquaires, dont la forme suit toujours assez exacte- ment celle des clochettes sur lesquels ils sont adaptés. Le British Museum possède plusieurs de ces joyaux religieux, qui se ren- ANGLETERRE contrent également dans plusieurs autres collections anglaises, mais on n'en trouve guère dans celles du continent. Plusieurs abbayes, notamment celle de Saint-Alban, près de On retrouvé dans un grand nombre de sépultures anglo- Londres, avaient des ateliers dans lesquels les moines faisaient a des des bracelets, des fibules, et des bijoux de l'orfèvrerie religieuse. On sait que l'orfèvrerie saxonnes anglaise, du armes, à la d'or incrustés de grenat, qui montrent que, dans la période XII® au XV® siècle, ne le cédait à celle d'aucun pays d'Europe mérovingienne, l'industrie de la Grande-Bretagne ne différait même époque, mais la révolution religieuse qui a transformé ce tellement vio- pas essentiellement de la nôtre. Mais les pièces d'orfèvrerie reli- pays a été tellement radicale dans ses principes et gieuse sont d'une extrême rareté en Angleterre, et c'est en lente dans ses actes, qu'il n'est presque rien resté des immenses Irlande qu'il faut aller pour trouver des pièces d'un caractère travaux accomplis par les moines. On le voit à la rareté des pro- bien spécial se rattachant à la première partie du moyen âge. duits anglais se rattachant à cette période, rareté qu'il est facile L'Irlande a eu de nombreux confesseurs dont les reliques pieu- de constater, non seulement dans les expositions rétrospectives sement recueillies ont donné naissance à une orfèvrerie extrême- qui se font en Europe, mais même dans celles qui ont eu lieu en à des ment curieuse. La plupart des saints irlandais étaient des soli- Angleterre. C'est presque uniquement l'aide descriptions taires, et leurs ermitages étaient ordinairement pourvus d'une écrites, que l'on peut présumer ce qu'était au moyen âge l'orfè- et il ne semble en mettant à petite cloche, à l'aide de laquelle sans doute ils appelaient près vrerie religieuse des Anglais, pas, d'eux les fidèles désireux de recevoir.leur enseignement. Ce qu'il part les pièces irlandaises dont nous avons parlé, qu'elle ait a de sûr, c'est que ces clochettes, devenues par la suite des dû être bien différente de celle [qui se fabriquait sur le conti- y objets vénérés, ont été fréquemment enchâssées dans de riches nent. DEUXIEME PARTIE LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES LA BIJOUTERIE siècle, les artistes qui travaillaient le métal, resserrer la composition dans le cadre étroit d'un les Jusqu'au xvi® bijou, , soit des de dimension, soit des bijoux moyens d'exécution sont grande plus développés et plus multiples que pour ouvrages pour portatifs, n'avaient ainsi dire de spécialités. La qualifica- dans la plupart des autres métiers. pour pas « La matière est riche, c'est l'or, c'est l'argent, ce sont les pierres dans leur infinie variété 5 docile à prendre toutes les formes, l'or se modèle sous le marteau, la lime et le ciselet, il se cambre sous la pince, il épouse la forme du moule, on le tourne, on l'emboutit, on le soude, on le découpe comme une dentelle, on le donc à toutes grave, on l'incruste, on le sertit. Il se prête les variations de la forme. « Puis sa couleur chaude et rutilante est une fête pour les yeux, et cependant les pierres ou les émaux y viennent encore ajouter leurs effets chatoyants. Le coloriste y peut trouver les contrastes les plus heureux, la peinture l'orne de figures ou d'entrelacs et devient inaltérable au feu ; les nielles, les camées, les mosaïques, les sertissages de pierres fines, tout est matière à d'heureuses modifications, et cette même souplesse que nous avions dans la forme, nous la possédons encore dans l'emploi des couleurs. autant de tion d'orfèvre s'appliquait indistinctement à les artistes qui « Mais ce sont là professions diverses, qui, tous connexes à celles de l'orfèvre et du bijoutier, demandent une faisaient des objets de métal et Benvenuto Cellini ciselait des mais boutons de chape pour les évêques, en même temps qu'il fon- étude spéciale et dont un artiste habile, peu initié, risque- nos meilleurs fabri- dait son Persée. Mais il est à peu près le dernier qui ait possédé rait de se mal servir. Bien peu déjà parmi cants savent employer utilement les collaborateurs qu'ils ont cette universalité, et la division du travail, réparti en professions les les les spéciales, qui est le caractère de l'art et de l'industrie des temps chez les ciseleurs, les graveurs, émailleurs, peintres, les les incrus- modernes, commence aussitôt après la Renaissance. Il n'est donc nielleurs, les fondeurs, les lapidaires, sertisseurs, les les et les cent autres mains qui plus possible, quand on aborde les temps modernes, de prendre teurs, doreurs, reperceuses du est un en bloc le travail des métâux, dans une période ou dans s'offrent à eux. Cette infinie division une travail, qui est un embarras pour la nationalité, et nous serons obligé d'étudier l'une après l'autre progrès au point de vue économique, n'est versé dans chacune de chacune des professions qui relèvent du métal. composition, car l'inventeur qui pas ces ne plus, comme autrefois Benvenuto, Nous pourrait commencerons par la bijouterie : un des maîtres de la spécialités » en et s'en servir tout ensemble. profession va nous expliquer lui-même en quoi consiste le travail parler Cellini a en effet composé un traité très complet du bijoutier. Nous extrayons les lignes suivantes d'un rapport de Benvenuto dans il décrit tous les procédés techniques M. Falise, sur l'exposition organisée par l'Union centrale des sur Torfèvrerie, lequel les orfèvres de son étaient en même Beaux-Arts appliqués à l'industrie, en 1876. employés par temps qui ces deux « Si la plus grande difficulté consiste à renfermer l'idée, à , temps bijoutiers, car sous la Renaissance, professions PENDELOQUE DU XV® SIECLE. 46 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. étaient absolument confondues et n'en faisaient qu'une. « Depuis des Francia, et si les grands sculpteurs de cette époque consen- la fin du xiii® siècle, dit Jules Labarte, l'orfèvrerie italienne avait tirent à fournir des modèles à l'industrie, aucun, si ce n'est suivi pas à pas les progrès de la sculpture, avec laquelle elle Benvenuto Cellini, ne fit de l'orfèvrerie sa profession habituelle; s'était identifiée pour ainsi dire. Les orfèvres avaient adopté des mais il était sorti des ateliers des orfèvres du xv° siècle une foule formes pures et correctes, et leur style s'était amélioré par l'étude d'artistes de talent qui perpétuèrent la tradition des maîtres. des monuments de l'antiquité, sans qu'ils aient négligé pour cela L'orfèvrerie resta intimement liée à la sculpture, durant tout le de conserver aux pièces destinées à l'église un caractère reli- cours du XVI® siècle, et elle s'attacha dans toutes ses compositions gieux. Au XV® siècle, l'orfèvrerie avait atteint le plus haut degré à la reproduction de la figure humaine. Le goût très prononcé de perfection sous la direction des grands artistes qui s'y étaient pour les sujets mythologiques et poétiques de la Grèce antique, adonnés. Le xvi" siècle ne compta pas parmi ses orfèvres des qui se produisit alors, eut une grande influence sur l'orfèvrerie artistes de la valeur des Ghiberti, des Verrocchio, des Pollajuolo, Pour se reposer des grandes compositions où l'on faisait figurer ordinairement les personnages de l'Ancien et du Nouveau orfèvres ne manquèrent pas d'enrichir leurs compositions de ces Testament ou les héros de l'histoire profane, les artistes ressusci- arabesques, qui sont ordinairement du plus gracieux effet. Le tèrent à plaisir les monstres rêvés par les anciens. Au milieu style qui se forma sous cette influence convenait parfaitement d'une végétation tortueuse de rameaux et de feuillages, au centre aux bijoux, qui prirent au xvi® siècle des formes d'une rare élé- d'enroulements fantastiques, ils firent revivre les Centaures, les gance. Les orfèvres du xv® siècle avaient fait un grand usage des Pans, les Sylvains, les Tritons, les Néréides, toutes ces produc- émaux de basse taille dans l'ornementation de leurs travaux d'or tions fabuleuses où la nature humaine et la nature animale et d'argent ; les procédés d'exécution des émaux furent pertec- s'unissent de la façon la plus gracieuse. La découverte des tionnés par Caradosso et par Cellini;^ et ils devinrent d'un emploi Thêrmes de Titus, dont les peintures inspirèrent à Raphael la général. » décoration des Loges du Vatican, avait mis en vogue les compo- L'influence exercée par Benvenuto Cellini sur la bijouterie sitions auxquelles on donna alors le nom de grotesques, parce française du xvi® siècle a été considérable. Les bijoux qu'il avait que les modèles s'en étaient trouvés dans des souterrains appelés exécutés pour les dames de la cour, pendant le séjour qu'il fit grottes, et que plus tard on désigna sous celui d'arabesques. en France, de iSqo à iSqS, furent regardés comme une grande C'était un mélange de figurines, de masques, de fleurs et de nouveauté et très prisés dans la noblesse. Les sujets mytholo- fruits, en bouquets ou en guirlandes, d'objets et de détails fort giques traités dans le style italien devinrent fort à la mode, et divers assemblés avec goût de manière à charmer les yeux. Les décorèrent à qui mieux mieux Jes pendants, les anneaux et les LA BIJO UTERIE. 47 bracelets. C'est d'ailleurs une mythologie capricieuse et qui ne se des femmes, ou bien se suspendaient à la chaîne qui s'atta- pique nullement d'érudition. Dans de jolies pendeloques en or chait à la coiffure ou aux colliers que les hommes jetaient sur émaillé, rehaussées de perles fines, les héros de la fable appa- leurs vêtements. Au xvi® siècle, on en voyait beaucoup sur le raissent quelquefois dans les travestissements les plus singuliers. chapeau des hommes, à peu près comme nos cocardes ; dans ce C'est ainsi qu'on rencontre Amphion, qui, au lieu du dauphin, cas l'enseigne prenait assez souvent la forme d'une médaille. a pris pour monture un éléphant. Souvent aussi on tailla en pierres précieuses les figures qui On donne le nom de pendants, ou plutôt encore d'enseignes, décoraient les enseignes, car la glyptique était fort en vogue et à un genre de bijoux, qui a été très recherché à partir du com- on ne manquait pas d'habiles graveurs. En France comme en mencement de la Renaissance et qui a continué à être en Italie, les orfèvres se confondaient avec les bijoutiers, et il est vogue jusqu'à l'avènement de Henri IV. Ces bijoux, qui étaient assez probable qu'ils étaient eux-mêmes graveurs et sculpteurs. généralement décorés d'émaux, se portaient sur le corsage Cependant il n'est pas démontré que les grands statuaires de la Renaissance française, les Jean Goujon, les Germain Pillon, XVI® siècle. Les pendeloques affectent tantôt la forme d'un petit les Jean Cousin, aient fourni eux-mêmes des dessins à l'industrie, navire pourvu de son équipage au complet, tantôt celle d'un mais on ne saurait non plus affirmer le contraire, car on est léger portique formé de termes, de colonnes ou de balustres, dans une incroyable pénurie de documents pour tout ce qui sous lequel sont placées des figurines qui affectent quelquefois concerne la biographie de ces grands maîtres. Les bijoux de représenter des scènes de la comédie italienne. Les éléments français du xvi® siècle sont de la plus extrême rareté ; le Musée décoratifs que J. Berain a prodigués dans le décor des appar- du Louvre possède cependant quelques jolies bagues et plusieurs tements et du mobilier se retrouvent également dans la bijou- pendeloques. 11 y a aussi quelques enseignes intéressantes au terie de la même époque. Ce sont partout des mascarons, des cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale. bustes de femmes cambrées sur leurs gaines terminées en pointes, Au xviio siècle, l'Italie s'efface à peu près complètement des colonnes grêles encadrant une divinité, des singes grimaçants, dans l'industrie comme dans l'art, et, en France, malgré le des sphinx coiffés d'un toquet avec l'aigrette sur l'oreille, et goût de cette époque pour la magnificence, la bijouterie n'est mille, autres inventions bizarres et capricieuses, qui font quel- pas en progrès. L'accumulation d'un grand nombre de petits quefois bon effet sur une tapisserie, mais qui, réduits à des personnages dans le décor d'un bijou déjà fort exigu en lui- proportions presque microscopiques, produisent une confusion même, se rencontre assez fréquemment à partir de la fin du inévitable et rarement heureuse. LE MÉTAL DANS L] TEMPS MODERNES. Un bijou qu'on voit fréquemment représenté dans la seconde des salles de la Grune-Gœwelbe, forment, dit M. Alfred Darcel, partie du xvii® siècle et pendant toute la première moitié du le plus éclatant, mais le plus bizarre assemblage de merveilles de c'est espèce de disque percé à jour, et dont le dessin matières et d'exécution. Ce n'est XVIII®, une point le rococo qui domine, consiste habituellement en feuilles d'acanthe arrondies à leur mais le baroque. On ne voit que perles de formes hétéroclites extrémité combinées avec des entrelacs et des palmettes. Quel- montées en et personnages empruntés aux caprices de Callot, et quefois la palmette sert de coiffure à un petit masque humain, formant des scènes compliquées. L'une des plus vastes est la plusieurs fois répété à la circonférence, car ces bijoux sont réception d'un ambassadeur à la Cour du grand Mogol, en or toujours d'une ornementation symétrique et rayon- émaillé, fruit de huit années de travaux. Ces œuvres ont formé presque C'est principalement dans les bijoux se rattachant à une école de nante. bijouterie qui a répandu en Europe ses boîtes de l'horlogerie que ce mode de décor a été employé. pierres dures, montées en ors de plusieurs couleurs, qui sont des « C'est surtout, dit Alfred Darcel, dans les émaux translucides modèles d'exécution. » relief, qu'on retrouve les fleurs naturelles souvent com- Dans les arts industriels aussi bien que dans les beaux-arts sur binées avec des ornements composés. C'est au xvii® siècle proprement dits, lorsque le maniérisme est allé trop loin, il se les jonchées de fleurs, ainsi que les animaux réels, produit une réaction en sens surtout que inverse, et c'est toujours au nom écureuils, perroquets et oiseaux de toute espèce, colimaçons, des traditions de l'antiquité qu'on prétend revenir au bon goût. etc., interviennent dans l'ornement; aussi la plupart des artistes Le retentissement qu'eut, au xviii® siècle, la découverte des villes fourni des modèles aux arts décoratifs de cette époque enfouies depuis des siècles sous les laves du qui ont Vésuve, fut un aide ont-ils eu soin de joindre à leurs compositions des études puissant pour ceux quij par lassitude du style contourné, atten- et d'après nature, que les artisans employaient et combinaient à daient préconisaient un changement dans le goût public. Les leur gré. artistes » français qui faisaient le voyage d'Italie ne manquaient Un recueil publié en 1623 par l'orfèvre G. Lesgaré contient pas de faire à Naples un assez long séjour et en revenaient avec un grand nombre de gravures représentant des modèles de la des préoccupations nouvelles. Le goût des bergers et des mou- bijouterie du dont les pièces originales sont d'une extrême tons enrubannés, employés alors dans la décoration des temps, apparte- rareté dans musées. On trouve des bouquets et des guir- ments, nous semble aujourd'hui s'accorder difficilement avec la nos y landes dont les feuilles, généralement très pointues, sont combi- sévérité de l'art antique, mais à cette époque tout ce qui avait la nées avec des perles et des pierres précieuses. La bijouterie est prétention d'être agreste semblait un retour à la simplicité. C'est ainsi dire noyée dans la joaillerie dont elle forme en de cette association d'idées qu'est né le pour style du temps de quelque sorte la partie accessoire. Les dessins consistent presque Louis XVI. exclusivement en noeuds et en entrelacs destinés à recevoir des Le bijoutier Lempereur fut le premier qui se créa une répu- diamants et autres pierres précieuses. tation dans la bijouterie renouvelée; quelques-uns de ses « Le goût des pierres précieuses et des perles, dit Albert ouvrages ont été gravés par son élève Pouget en 1767. Jacquemart, dans son Histoire du mobilier, a détrôné peu à « Les formes antiques, dit M. Alfred Darcel, même telles peu celui des bijoux ciselés et l'on a vu, pour ainsi dire, le qu'on les comprenait alors, se montrent d'une façon très dis- joaillier se substituer au bijoutier. Cette transformation est-elle crête dans ces bijoux de formes balancées d'ailleurs, où les une cause ou un effet ? Les grands artistes manquaient-ils pour ors de diverses couleurs devaient se marier aux pierres pré- créer de ces œuvres qui s'imposent, ou le changement de la cieuses, en figurant encore les attributs des bergerades, si chères mode força-t-il les ciseleurs et les émailleurs à déserter les ate- à l'époque précédente. Quelques grecques introduisent seules, liers de bijouterie ? Ce qui est sûr, c'est qu'au xvii® siècle, les parfois, leur ligne géométrique au milieu des rubans et des guir- bouquets en diamants, les ornements en perles brillaient seuls, landes de lauriers. L'émail redevint à la mode, et nous le voyons là où s'étalaient, peu de temps avant, les colliers en lacs d'amour, couvrir de sa glaçure transparente et des tons les plus fins l'or en chiffres émaillés, en emblèmes héraldiques ou amoureux, guilloché des boîtes. » les pendants et les enseignes. » Le goût de l'antiquité se développant de plus en qu'accompagnaient plus, on Pendant la première moitié du xviii® siècle, à l'époque où le tenta de ressusciter l'emploi des pierres gravées dans la bijou- style rocaille prévalait en France dans la confection des meubles terie, mais cette tentative ne parvint jamais à dominer complè- où la bijouterie prenait un caractère contourné qui frise quel- tement la mode. Les femmes ont rarement le goût de l'archéo- et la bizarrerie, un mouvement analogue, mais beaucoup logie, et si quelques-unes, cédant au courant quefois général, affectaient plus prononcé, se produisait en Allemagne et principalement en dans leur parure un goût sobre et épuré, la plupart préféraient Saxe. les pierreries étincelantes aux délicates gravures d'un camée. Toutes les fois que dans les arts industriels, la fabrication Seulement, comme les dessinateurs de bijoux étaient tous dans française laisse entraîner à un goût douteux, on est sûr de le même mouvement, le diamant s'associait à la palmette, et la se voir, de l'autre côté du Rhin, surgir des tendances analogues, fine ornementation grecque était tuée par les brillants joyaux mais exagérées jusqu'à la caricature. Pendant trente ans, l'orfèvre qu'elle avait pour mission d'encadrer. En somme, la bijouterie Melchior Diglinger eut à Dresde un atelier, où, aidé de ses fils ne s'est pas élevée bien haut sous la Révolution, et l'influence de ouvriers, il travaillait pour le compte du roi Auguste de David sur les arts industriels, mais principalement sur les et ses de Saxe. C'est le représentant le plus direct et le plus connu du objets de toilette, ne fut pas très heureuse. 11 y eut pourtant à goût allemand de cette époque dans les objets d'or et d'argent, cette époque quelques très beaux bijoux, qui, comme les portraits qu'il mettait d'ailleurs en œuvre avec un véritable talent de du temps en font foi, sont de simples imitations, quelquefois praticien. même des copies littérales des bijoux grecs représentés sur les Les découverts à « ouvrages principaux, conservés aujourd'hui dans une vases, ou des bijoux romains Pompéi. LA BIJOUTERIE. 49 Quand le mouvement romantique se décida dans la littéra- dans les vieux bahuts et dans les fauteuils d'évêques, mais ce ture et dans les arts, l'industrie n'y demeura pas étrangère, mais système ornemental fut promptement abandonné, parce qu'il tous les essais de résurrection du moyen âge furent assez mal- n'était pas du tout conforme à nos habitudes modernes, et qu'il heureux. Quelques ébénistes tentèrent de chercher des modèles cadrait assez mal avec nos appartements. La bijouterie demeura CHATELAINES, PAR BOUCHERON. à peu près étrangère à ce mouvement, peut-être parce que les styles oubliés. C'est ainsi que dans le mobilier on se passionna documents lui faisaient défaut. Mais ce mouvement, qui dans pour les meubles de Henri II, et que les bijoux de la Renais- les arts ne fut qu'éphémère et qui, dans l'industrie, échoua com- sanee commencèrent à être appréciés de nos fabricants. plètement, eut pourtant un bon résultat. En appelant l'attention Aujourd'hui encore, c'est dans cette direction que se font sur notre architecture nationale et sur tout le passé intime de les plus grands efforts de la bijouterie. Mais il faut signaler la notre pays, il fit retrouver des traditions perdues, revenir à [des différence très grande qui existe entre les dessinateurs de meu- 7 5o LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. bles et les dessinateurs de bijoux. Quand un de nos grands brevetés un peu à la légère par feu M. Riffaut, sont devenus la ébénistes fait un meuble style Henri II, son produit n'accuse la propriété de M. Boucheron; on ne saurait mieux réussir que plupart du temps aucune invention ; son dessinateur a calqué lui ce travail difficile, et nous avons été heureux de voir que une ancienne gravure, et le modèle qu'il présente est une imita- l'emploi qu'on en avait fait jusqu'ici allait être modifié de la tion littérale. Il n'en est pas du tout de même dans la bijouterie ; façon la plus heureuse. Nous gardons le secret à M. Boucheron, le style de la Renaissance est un point de départ, mais rien de mais nous pouvons en son nom promettre des merveilles pour plus. Le dessinateur s'ingénie à trouver mille combinaisons l'Exposition de 1878. diverses, et il sait à l'occasion se montrer créateur tout en res- « Si l'on veut nous en croire, c'est vers l'émail que les bijou- tant fidèle à l'ordre d'idées qui a ses préférences. tiers doivent surtout diriger leurs efforts. C'est un converti qui Il suffit pour s'en convaincre de regarder les beaux ouvrages en parle sans arrière-pensée, sans mesquine jalousie, persuadé de M. Boucheron, qui est bien véritablement le roi de la bijou- qu'il est que la voie est assez large pour tous, et que, dans ce terie contemporaine. Voici par exemple une châtelaine en or genre, moins que dans les autres, la concurrence étrangère est à ciselé, avec mascarons, dans le style de la Renaissance. La montre craindre. Il n'y a d'habiles émailleurs qu'à Paris, et les condi- tions de fabrication à bas titre des bijoux allemands créeront aux fabricants d'outre-Rhin de grosses difficultés pour la réus- site de certains émaux. « Restons chez M. Boucheron puisque nous y sommes entrés, et signalons en passant une jolie parure d'or garnie de filigrane. On nous permettra d'en prendre prétexte pour nom- mer M. Fontenay, qui l'a dessinée et exécutée, et pour envoyer à M. Castellani, le savant artiste de Rome, un tribut d'admira- tion pour ses remarquables travaux. « Le filigrane donne à l'or des tons charmants, il est l'œuvre complète de l'ouvrier bijoutier; il ne réclame le secours d'aucun autre collaborateur, il se plie à toutes les formes, suit et accentue i les moindres finesse du dessin. Son emploi s'accommode des styles grec et romain, du byzantin, des ornements florentins du XVII® siècle, et généralement le filigrane se prête à toutes les fantaisies. Si quelques-uns après M. Fontenay se risquent à ce mode de travail, ils auront affaire à forte partie, mais ils auront BOUCI.E D'OREILLE, PAR BOUCHERON. encore chance de réussir, surtout s'ils s'inspirent des formes et des ornementations indiennes. est renfermée dans une boîte formant deux anses auxquelles se « M. Boucheron s'inquiète peu, lui, d'être Indien, Grec ou rattachent les chaînes qui joignent la montre à la châtelaine. Ces Chinois, de donner à ses bijoux le style d'une époque ou d'une chaînes, en or rouge poli, se relient de la manière la plus heu- autre, et si je me permets de le dire .aussi nettement, c'est que reuse au chiffre qui fait le fond de l'ornementation. La couleur chez lui quelqu'un le dit tout haut. Il a la prétention d'être lui- rosée de ce bijou est du plus heureux effet. Quoique l'orne- même et d'inaugurer, dans son genre, un genre nouveau qui soit mentation ait bien le cachet de l'époque à laquelle on a voulu de notre époque. nous reporter, personne ne s'y trompera, car il y a une forte « J'ignore s'il y réussit, mais je serais tenté de le croire, car dose d'originalité dans ce bijou qui ne rappelle aucun modèle la vogue s'attache à sa maison et la coureuse fortune y demeure connu. prisonnière. Les boucles d'oreilles, en lames d'or rouge, que nous repro- « M. Boucheron a cet esprit très parisien qu'on retrouve duisons, sont remarquables par le style du dessin et par la per- chez la modiste, la couturière et la fleuriste, et c'est à dessein fection rigoureuse des contours. Ces boucles d'oreilles sont tournées à la main et réunies également à la main par des petits boulons, comme dans les travaux de serrurerie, ce qui leur donne un aspect extrêmement original. Ces boucles d'oreilles en ferrures d'or rouge poli sont certainement un des plus jolis produits de la bijouterie française à l'Exposition de 1878. En voici d'autres, qui proviennent de la même maison et qui, cette fois, sont absolument modernes. Ces boudes d'oreilles, en forme que je cite ces états féminins en qui résident la grâce et d'aumônières, accompagnent un bracelet oxydé avec ferrures et l'imprévu, et dont les doigts coquets chiffonnent la soie, la parties à jour. Une chaîne, qui fait le tour du bracelet, soutient dentelle, les fleurs et créent à chaque saison une mode nou- un médaillon en forme d'aumônière, comme les boucles d'oreilles, velle. et qui est travaillé à jour comme le bracelet. « Les mains qui travaillent sous le contrôle de notre bijou- Nous allons voir maintenant comment M. Boucheron est tier en vogue chiffonnent aussi l'or et l'argent, et si les types apprécié par M. Falize (Rapport sur l'Exposition de l'Union qu'ils créent n'ont pas plus de durée que la mode, ils en ont du centrale 1876) : moins le côté attrayant et piquant; ils exercent une séduction à « Nous avons les émaux translucides ou émaux à jours qui. laquelle résistent peu de femmes. C'est beaucoup, mais la mode BRACELET, PAR FALIZE. LA BIJOUTERIE. n'est pas un style, et le bijou me'rite qu'on le traite avec plus | colliers, des croix, des coiffures appartenant à tous les styles. d'e'tude. Sa matière est solide et défie le temps ; il ne faut pas Elle nous faisait passer de l'égyptien au gothique, 'du grec à la que, née d'un caprice, un autre caprice la condamne au creuset ; Renaissance; mais on trouve toujours le même respect du dessin c'est déjà trop souvent ce qu'il advient des joyaux de prix. Je j et de la silhouette. n'admets pas pour eux que la fantaisie soit un style et je me j Ce qui nous a surtout frappé dans cette exposition, c'est un défie de ces coquetteries séduisantes où le dessin n'a pas de rôle, j bijou en or ciselé, décoré de deux délicieuses figurines d'émail. Pour qu'un bijou me satisfass.e, il faut qu'il soit plus beau que I Ce bijou, fait d'après une gravure attribuée à Etienne de joli, plus sévère que coquet; toutes les perfections de la main- ! Laulne, est un véritable petit chef-d'œuvre. Il est impossible de d'œuvre ne sont rien sans la recherche de la forme, la logique et ! rien rêver de plus gracieux et de plus élégant. le voulu du dessin. » I M. Falize est un des hommes à qui l'art de I l'application de M. Falize, qui parle si doctement de choses qu'il connaît à 1 l'émail à l'industrie doit le plus. Son bracelet en or ciselé, orné fond, est lui-même un artiste de premier ordre dans la bijou- I d'émaux limousins et décoi'é dans la manière de Virgilius Solis, terie. En 1878, son exposition comprenait des bracelets, des I montre à quel degré de perfection ce fabricant est arrivé. Style oriental, influence japonaise ou perse, genre moyen âge, entre- dans un discrédit complet. En même temps que Christofle ten- lacs saxons, animaux fantastiques, feuillages -multicolores du tait sur des grandes pièces d'orfèvrerie l'emploi des émaux cloi- XV® siècle, M. Falize a tout fait servir pour ses applications de sonnés, M. Falize s'efforçait d'appliquer aux proportions infimes l'émail à la bijouterie. Il en a tiré des broches, des bagues, des des bijoux ce travail déjà si délicat par lui-même. flacons, des bonbonnières, des bracelets, etc. Les premiers Il est toujours curieux de voir un artiste jugé par un autre. émaux de basse taille de cet artiste doublé d'un chercheur infa- Voici un extrait d'un rapport fait par M. Carrier-Belleuse .sur tigable furent très remarqués. M. Falize, rapport qui a été inséré dans le Bulletin de l'Union Aujourd'hui, grâce à lui, l'émail de basse taille pratiquée aux centrale de mai 1877 • XIV® et XV® siècles, est rendu à l'art de la bijouterie. « En empruntant aux Japonais leurs belles couleurs, et en M. Falize, en effet, a le droit de s'attribuer une grande part ne copiant pas leurs dessins, dont beaucoup sont la négation de dans la résurrection à laquelle nous assistons, non qu'il ait la l'art ou de véritables caricatures, MM. Falize donnent un prétention d'avoir trouvé à lui seul des procédés inconnus ou exemple qu'il serait bon de voir suivre dans d'autres indus- oubliés, mais il s'est attelé pendant quinze ans à un travail de tries. recherches dans lequel il a dépensé une rare énergie, et il a sin- « MM. Falize sont avant tout des coloristes; et quand gulièrement contribué à remettre en faveur un art qui a produit l'émail ne leur suffit pas, ils emploient les effets changeants des autrefois des chefs-d'œuvre et qui depuis longtemps était tombé pierres précieuses; leurs sardoines, rappelant à s'y méprendre 52 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. l'œil-de-chat, cette pierre à laquelle les Indiens attribuent des égaré parmi nous. Ses bijoux se recommandent par la pureté du propriétés bizarres, leur servent à faire des bracelets, des châte- dessin autant que par la délicatesse du goût. On croirait que sa laines et d'autres bijoux d'un caractère tout nouveau et d'un effet clientèle se compose exclusivement d'artistes et de raffinés. La charmant. collection du marquis Campana, dont les splendides bijoux « La Renaissance leur a inspiré cette parure en or ciselé si antiques font maintenant partie des collections du Louvre, a pure et si distinguée de dessin, et dont les reliefs, d'une exécution exercé sur son talent une infiuence décisive et caractéristique. irréprochable, laissent se jouer si heureusement la lumière; ce Connus en Italie avant de l'être en France, les bijoux étrusques joli pendant de cou, en or et perles avec émaux rehaussés, qui avaient été précédemment l'objet des études les plus attentives est un petit chef-d'œuvre de style, et ces bracelets dans lesquels d'un célèbre bijoutier romain, M. Castellani, à qui l'on doit un ornement courant en or ciselé donne à ce bijou la grâce et la d'avoir fait revivre et remis en honneur les procédés techniques légèreté qui lui manquent si souvent. » de la bijouterie antique. A l'exposition de l'Union centrale de 1880, M. Falize avait « La recherche des procédés de travail employés par les associé ses envois à ceux de la maison Bapst, qui est peut-etre anciens, fut, dit M. A. Castellani, le but de nos efforts. Nous aujourd'hui la plus connue de Paris. Les deux artistes- vîmes que tous les joyaux de'l'antiquité, moins ceux destinés à des cérémonies funèbres, se trouvaient fabriqués par pièces rapportées et superposition de parties, au lieu de ne devoir leurs saillies qu'à la ciselure et au burin. C'est là ce qui constitue la cause pour laquelle les bijoux des anciens ont un caractère tout particulier, empruntant son cachet bien plutôt à l'idée spontanée et à l'inspiration de l'artiste qu'à la froide et régulière exécution de l'ouvrier. Les imperfections mêmes et les oublis volontaires de quelques parties donnent au travail de la joaillerie antique cette physionomie artistique que l'on chercherait en vain dans la plus grande partie des travaux modernes. Ceux-ci, reproduits avec une uniformité fatigante par le poinçon et le roulage, prennent une apparence de banalité qui ôte à notre art ce carac- tère intime dont le charme s'observe constamment dans la bijouterie antique. « Le premier problème qui s'offrait à nous était donc de trouver un moyen de souder ensemble, avec netteté et délica- tesse, tant de pièces rapportées d'une ténuité incomparable. Les granules, entre autres, ces petites perles presque invisibles qui jouent un rôle si important dans l'ornementation des bijoux antiques, nous offraient des difficultés presque insurmontables. Nous fîmes d'innombrables essais, employant tous les agents possibles et les fondants les plus puissants pour composer une soudure adaptée à de tels travaux. Les écrits de Pline, du moine Théophile, de Benvenuto Cellini, furent consultés par nous. Nous étudiâmes le travail des joailliers de l'Inde, celui des Maltais et des Génois ; mais ce fut seulement dans un coin reculé des Marches, à Sant'Angelo in Vado, petite localité cachée au fond des Apennins loin de tout centre de civilisation fabricants se complètent l'un l'autre sans se nuire, car ils ne se moderne, que nous trouvâmes encore en usage quelques-uns des ressemblent nullement. procédés employés par les Étrusques. L'exposition de M. Bapst a été une des plus remarquées « En effet, on conserve dans cette région de l'Italie une en 1878. Il avait envoyé une magnifique rivière'de diamants école spéciale de bijouterie traditionnelle assez semblable à l'art appartenant à M™® de Rothschild, une splendide parure en ancien, non certainement pour le goût et l'élégance du dessin, émeraudes et en brillants à M™® la duchesse Decazes, une parure mais du moins pour la méthode et l'exécution matérielle. Les en brillants et en saphirs à M®"® la comtesse de Paris, et de très belles paysannes de ces contrées, lorsqu'elles vont assister aux beaux bijoux qui sont la propriété de la comtesse Duchatel. fêtes de mariage, portent des colliers et de longues boucles Les montures de M. Bapst se recommandent par une absolue d'oreilles appelées Navicelli, assez semblables pour le travail aux perfection plutôt que par une invention bien nouvelle. Dans la produits de la joaillerie antique. » bijouterie, M. Bapst est un classique, mais un classique dans le Nous terminerons en citant un extrait d'un rapport de bon sens du mot ; plus d'un' parmi ses collègues voudrait peut- M. Falize, sur l'exposition de l'Union centrale en 1878, dans être lui chercher des défauts, mais s'il en a, il est assez adroit lequel notre éminent bijoutier fait la critique de certaines formes pour les dissimuler, de sorte qu'on n'entend que des éloges autour que la mode a semblé quelque temps vouloir adopter : de ses produits. « D'abord nous excluons les bijoux bêtes, et il y en a beau- On a parlé tout à l'heure de M. Fontenay ; celui-ci n'est pas coup. Ce sont ceux dans lesquels on s'applique à reproduire une un classique, c'est un Athénien, ou plutôt encore un Étrusque forme banale — le fer à cheval, — le boulet, les gros cadenas, les PENDELOQUE, PAR FALIZE. LA JOAILLERIE. 53 courroies à clous saillants, et ge'néralement toute copie en or couper sur ces fonds unis, les émailleurs n'ont trouvé qu'un d'une matière vile ou d'un objet d'usage tout à fait familier. Je maigre aliment dans le décor des montres. Les ciseleurs délaissés n'en fais pas la description saugrenue, par respect pour mes lec- sont retournés aux bronzes, — et ainsi de tous les corps d'état teurs. Après ces bijoux-là, repoussons encore ceux qui ne sont dont la bijouterie était tributaire. Qu'en est-il résulté? C'est que n'a que la traduction en or d'une massive serrurerie. Ce genre a été pendant dix ou quinze ans on plus fait d'apprentis graveurs, fort goûté sous le premier Empire et s'est introduit chez nous ciseleurs, émailleurs ou peintres, et qu'en sortant de cette longue sous le titre de bijouterie anglaise. phase de paresse et de mauvais goût, notre industrie n'a plus « Cette froide et menteuse simplicité a découragé peu à peu trouvé que de vieux ouvriers fatigués, rouillés et déshabitués de les auxiliaires que j'ai cités en commençant. L'or mat a gâté la bien faire, ou des jeunes gens mal préparés qui ont tout à main des polisseuses. Les graveurs n'ont plus eu que des filets à apprendre. » CH.\RDON EN BRILLANTÙ, P.\R BOUCHERON. charpente invisible est pourtant établie et dessinée d'après cer- taines lois JOAILLERIE que l'artiste puise dans l'étude de la nature. C'est ainsi que nous voyons des bouquets qui semblent des feux de Bengale solidifiés. La joaillerie est un art particulier, dans lequel la forme est Voici par exemple une rose en brillants, avec son bouton et combinée surtout dans le bat de faire valoir l'éclat et le brillant ses feuilles faisant traîne dans la coiffure; il est bien certain que des pierreries. Le programme du joaillier consiste d'abord à faire l'artiste n'a pas eu l'intention de produire une illusion complète valoir sa matière, qui doit étinceler dans une parure comme les de la fleur qu'il représente. La nature des matériaux qu'il astres dans le ciel. Aussi, dans cette végétation enchantée, le emploie ne comportait pas une exactitude rigoureuse, mais le montage se dissimule, et les diamants mobiles brillent dans toute modèle que lui a fourni la fleur naturelle a été le point de départ leur beauté sur un échafaudage qui se voit à peine. Mais cette de sa conception décorative. Et ce ne sont pas seulement des 54 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. fleurs que la joaillerie interprète de la sorte, nous voyons même perfectionnements de la taille du diamant réalisés par Louis de des animaux reproduits en brillants. Berquem, de Bruges en 1476, qui ont dû lui permettre de se La joaillerie, dans sa définition la plus précise, est donc l'art classer définitivement comme art distinct. de monter en or ou en argent et sans le concours des arts auxi- C'est à tort que l'on a attribué à Louis de Berquem l'inven- liaires de la ciselure, gravure ou émaillure, les diamants et tion de la taille du diamant. Voici en quels termes Viollet-le- pierres précieuses pour en former des joyaux, et l'on ne doit,- Duc rectifie cette erreur : « Vers le milieu du xiii® siècle les à proprement parler, considérer comme oeuvre de joaillerie que pierres pures, diamants, rubis, émeraudes, topazes, améthystes les objets dont toutes les surfaces sont couvertes et serties de et hyacinthes, grenats, opales et calcédoines n'étaient taillées pierres de façon à permettre au diamant de jouer, au point de qu'en cabochon, c'est-à-dire arrondies et polies du côté externe, vue de la forme et du mouvemept, comme au point de vue de planes en dessous, quelquefois (notamment pour les saphii's et l'éclat, le rôle principal. C'est cette prépondérance des pier- émeraudes) avec des biseaux mousses sur les rives. Il est évident reries qui distingue une oeuvre de joaillerie des œuvres d'orfè- que ce genre de taille ne donnait pas au diamant une apparence vrerie partiellement ornées de diamants, comme les chefs- même égale à celle du cristal de roche. Mais, vers le temps de d'œuvre des anciens orfèvres nous en offrent maints exemples. saint Louis, on commença à tailler quelques pierres en table, les La joaillerie est un art relativement peu ancien. Ce sont les émeraudes, les saphirs, les rubis et les diamants ; ceux-ci dès ROSE EN BRILLANTS, PAR BOUCHERON. lors prirent plus de valeur parce qu'ils pouvaient déjà produire qualités d'éclat, de taille, de dureté et de transparence du dia- des reflets irisés. Aussi n'est-ce qu'à dater du xiv° siècle que les mant. Elle a à ménager les oppositions de valeur enfantées par le diamants paraissent estimés et qu'ils figurent dans les bijoux. dessin, à éviter l'uniformité, la monotonie et les discordances. Cependant on donne comme ayant appartenu à saint Louis un Puis viennent les difficultés qui naissent de la taille; il faut diamant en pointe. Il est donc à croire que les joailliers se con- rendre harmonieux un ensemble de pierres dures dont on ne tentaient de polir les faces naturelles du diamant tel qu'on le peut modifier ni la forme, ni la silhouette. trouvait. Ce qui est certain, c'est que Louis de Berquem n'a pas La joaillerie est pi-esque sans histoire et sans tradition, été, comme le prétend l'un de ses descendants, Robert de Ber- parce que ses productions sont fatalement vouées à une des- quem, en 1669, l'inventeur de la taille du diamant, puisque les truction dont la richesse des matériaux employés est la cause Romains avaient trouvé déjà le moyen de le percer à l'aide de sa principale. Aussi combien les collections de joyaux sont-elles propre poussière, et que les comptes et inventaires, dès le rares 1 A part les quelques collections appartenant à des États XIV® siècle, signalent quantité de diamants en table, en pointe, puissants connues sous le nom de Diamants de la couronne et en rose. plus riches que vraiment artistiques, à part quelques menus « Jusqu'à l'époque de la Renaissance, on continua néanmoins objets des xvii® et xviii® siècles répandus dans le commerce de la de tailler les pierres fines, autres que le diamant, en cabochon, curiosité, à part quelques gravures de maîtres anciens, — rien et encore aujourd'hui ce genre de taille est conservé pour les ne vient en aide à l'artiste avide de s'instruire à l'école du passé. rubis, les opales et calcédoines. » La couronne qui a servi au sacre de Louis XV, couronne Peu d'arts offrent autant de difficultés de fabrication et possédée par le musée du Louvre, nous permet de nous faire une laissent aussi peu de champ à l'imagination de l'artiste que la i idée du développement de l'art de la joaillerie sous ce monarque joaillerie. Il faut en effet que la joaillerie tienne compte des j et de la valeur de Rondi le fils. Les pierres précieuses qui LA JOAILLERIE. 55 l'ornaient ont été remplacées par des strass, et il serait à sou- droit de cité. Malheureusement, le mauvais goût du temps haiter que l'on nous eût conservé, par le même procédé, de empêcha d'attacher une trop grande importance artistique aux nombreux spécimens du travail ancien. joyaux qu'il vit produire. Cependant quelques-uns furent, dit-on, Sous Louis XVI, les deux fameux joailliers Bœhmer et dessinés par Prud'hon pour les impératrices Joséphine et Marie- Bossange n'ont survécu à leur œuvre que par le scandale du Louise. collier de la reine (1786). Les bijoux de l'Empire se recommandent plutôt par leur A la suite de cette affaire M. Ménière était nommé joaillier exécution que par la façon dont ils ont été conçus. Ces qualités de la couronne^ titre qui passa ensuite à son gendre Ebrard de main-d'œuvre se conservèrent sous la Restauration. Le seul Bapst, et qui depuis s'est toujours perpétué dans cette famille, perfectionnement apporté par cette époque est l'introduction du dont le représentant actuel est M. Germain Bapst. feuillage pris sur la pièce. On fit aussi sur les boucles de ceinture La Révolution fit partager à l'art de la joaillerie le sort qu'elle des remplissages d'ornements déliés sertis de petites roses. faisait subir aux autres arts industriels; l'Empire lui redonna Vers 1840, un travail d'importation viennoise vint faire PENDANT DE COU EN CRISTAL DE ROCHE, PENDANT DE COU AVEC PERLES ET BRILLANTS, PAR BOUCHERON. PAR BOUCHERON. diversion au goût soi-disant classique de l'Empire et de la Res- L'art de la joaillerie doit beaucoup aux expositions. A celle tauration. Les fieurs, les feuillages pour la coiffure, les bouquets de i85i, il fait acte d'apparition; à celle de i855, il accuse de corsage font leur apparition. Le goût semble prendre son nettement et révèle certaines personnalités artistiques que le jury essor, délivré des liens qui l'enserraient. On est en droit de pré- oublia de récompenser. C'était la belle époque des marchands; dire une heureuse période pour la joaillerie. Et, cependant, ce non encore celle des fabricants et des artistes. Fontenay et mouvement n'a pas de durée et, chose plus curieuse, nous conduit Falize père demeurèrent longtemps méconnus pour le jury. à une décadence visible de l'art qu'il a fait briller un instant En 1867, la joaillerie se montre avec éclat. Le jury signale d'un assez vif éclat. Au moment où les matériaux précieux sont comme types nouveaux neuf ouvrages dont sept sortaient des moins rares, à l'instant où le goût du diamant se répand le plus ateliers de O. Massin. Un petit oiseau-mouche de Rouvenat eut on constate un abaissement de la conception, un relâchement un grand succès. Un paon exécuté dans les ateliers de Boucheron dans la main d'œuvre que les efforts des Fossin et des Bapst, ne fut pas moins admiré. Toutefois c'est M. Massin qui a les maîtres du temps, sont impuissants à arrêter. Ne doit-on pas apporté la plus forte part d'innovations dans la joaillerie moderne chercher la cause de ce phénomène bizarre dans le mouvement et son exposition de 1878 a été un véritable triomphe. social et industriel de l'époque? Il s'est formé une clientèle d'en- Tous les éblouissements des Mille et une Nuits, toutes les richis; mais ces maîtres du jour n'ont pas encore eu le temps de merveilles que l'Orient peut rêver, toutes les pierreries dont les faire leur éducation artistique et veulent avant tout briller; le fées pouvaient s'ajuster au temps des légendes, étaient prodigués luxe passe avant le goût. dans la vitrine de M. Massin, qui en jetant ses diamants par 56 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. poignées, a mis une singulière coquetterie d'artiste à montrer mètre, feraient à nos fabricants de la France une concurrence que l'art est tout-puissant partout où il suis se montre, car, au milieu terrible? Qu'il l'emporte par l'éclat, je n'en pas surpris, de ces éblouissements, ce qui frappe le plus c'est le goût exquis mais qu'il rivalise avec la dentelle par la souplesse du tissu et et l'ingéniosité de celui qui a su créer de telles le tour de force. Il avait une parures. M. Massin la délicatesse du dessin, voilà y est dans la joaillerie un novateur singulièrement audacieux : Valenciennes et une Malines qui sont étourdissantes. s'avise-t-il de faire avec le diamant, la plus dure de toute Je veux encore citer dans cette exposition une ne pas pensée^ les pierres connues, de véritables dentelles, qui si elles ne coû- améthystes et diamants, qui est adorable de forme et de couleur. taient pas quelque chose comme quinze ou vingt mille francs le Je suis étonné que la bijouterie française emploie aussi rare- ment le filigrane, qui par sa délicatesse et son éclat, mériterait Voici un collier hausse-col en brillants. Ce collier est composé de tenir une place plus importante dans la parure des femmes. d'un tour de cou vulgairement appelé collier de chien : du centre L'Orient en a tiré le meilleur parti, et on pouvait certainement se détache une belle rangée de brillants, de chaque côté de corriger par son excessive légèreté ce que nos joyaux chargés laquelle montent et descendent de jolis ornements en petites de pierres précieuses ont quelquefois d'un peu massif. M. Massin pierres. A ce tour de cou est rattaché un grand ornement en a ouvert le premier le feu, espérons qu'il trouvera des imitateurs..y brillants formant draperie sur la poitrine et s'épanouissant au Son exposition nous a montré combien est heureuse la nouvelle milieu pour supporter trois beaux brillants en forme de poire. voie qui s'ouvre devant la bijouterie française. La même maison avait exposé en 1878 un autre collier M. Boucheron, qui est venu après M. Massin, a l'avantage d'une forme moins cherchée, mais non moins élégante. Celui-ci, de n'etre pas seulement joaillier, puisqu'il pratique en même qui a la forme d'une simple collerette, est composé de deux temps la bijouterie proprement dite et même l'orfèvrerie. Mal- rangées de brillants reliés paf un ornement à jour. D'autres heureusement les moyens dont dispose la sont impuis- brillants détachés surmontent les deux rangées principales et gravure sants à rendre l'aspect éblouissant des pierres précieuses, en donnent de la légèreté à ce beau bijou, au centre duquel sont sorte qu'il faut juger les bijoux que nous reproduisons, seulement suspendues deux perles blanches séparées par une noire. sous le rapport de la forme et du goût général de l'agencement. Nous devons également signaler parmi les chefs-d'œuvre LA JOAILLERIE. bj de joaillerie exposés par la même maison, un diadème de char- d'effets et de couleurs, produites par l'opposition des pierres pré- dons en brillants qui était de la plus grande beauté, ainsi qu'un cieuses taillées à angles vifs, et des perles dont la teinte un peu joli pendant de cou en cristal de roche, taillé, gravé et repercé mate et la forme arrondie font valoir et étinceler les brillants. à jour avec ornement en rose sur argent et terminé en bas par C'est ce que nous voyons dans un pendant de cou, dont l'entou- une perle. rage est formé de huit gros brillants avec une grosse perle au M. Boucheron s'entend singulièrement aux combinaisons milieu et quatre plus petites aux angles. Le bijou se termine dans sa partie inférieure par une magnifique perle blanche en aussi bien dans ses émaux à jour que dans ses bijoux d'acier forme de poire, ciselé, dans ses médaillons de cristal incrusté, dans ses parures Ce qui caractérise avant tout Boucheron, c'est le don qu'il les plus diverses, on retrouve les qualités principales de Bou- semble avoir de comprendre les besoins, les aspirations, le goût cheron : l'élégance et la légèreté. de son époque et de les incarner. Il est avant tout le joaillier de Les joyaux en diamants que M. Falize avait exposés en 1878 notre temps. Qu'il demande ses modèles à la Renaissance, aux n'étaient pas fort nombreux. En effet la joaillerie n'entre que Byzantins ou même aux peuples de l'extrême Orient, les produits d'une manière accessoire dans sa fabrication. Mais si les dia- sortis de chez lui n'en auront pas moins un cachet particulier mants ne sont pas jetés à profusion dans ses bijoux, la manière éminemment parisien, appartenant au Paris du jour. Partout, dont il en use montre toujours l'ingéniosité et le goût épuré qui 8 58 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. distinguent ses ouvrages. Nous citerons par exemple une branche mieux que personne toutes les ressources de l'émail, les a de mûrier, c'est-à-dire une touffe de feuilles en diamants dont employées avec infiniment de goût, pour corriger ce que le l'éclat est très bien combiné avec le mouvement de la feuille, il diamant pouvait avoir de trop incisif. Ces fleurs, qui, dans s'en échappe deux ou trois fruits taillés dans le grenat. Nous l'amandier, comme dans le pommier et le pêcher, sont plus pré- aimons particulièrement le bouquet d'amandiers et de mimosas, coces que la feuille, ressortent directement sur le bois robuste pour son aspect vraiment printanier. La fleur de l'amandier, que de la branche, dont les bourgeons naissants ne sont pas encore les gelées d'avril dessèchent si vite, a des pétales d'une fraîcheur épanouis, et sont d'une vérité qui ferait illusion. Le mimosa, charmante dont le centre rose est d'une adorable délicatesse de qui se mêle dans ce bouquet avec l'amandier, est une plante dont ton ; on se demande comment la joaillerie, éclatante par essence, la tige sèche et cassante porte des fleurs assez semblables à ces peut trouver ces teintes adoucies. Mais M. Falize, qui connaît grelots d'étoffe dont sont bordées certaines broderies espagnoles. elles sont très bien imitées avec de l'or mat. C'est ainsi que la forme une dentelle d'argent noirci. Malgré l'étrangeté de sa con- joaillerie, qui semble une industrie tout urbaine, peut puiser ception première, ce joli objet séduit encore plus qu'il n'étonne, parfois ses inspirations les plus heureuses dans le goût de la c'est du japonais, mais du japonais assaisonné au goût parisien. campagne et l'observation de la nature champêtre, et vraiment M. Falize parle ainsi de la joaillerie dans un rapport qu'il il n'est pas possible de rêver un bouquet plus printanier. a fait en 1876 sur l'Exposition centrale : « Autant l'orfèvre et le Nous ne quitterons pas M. Falize sans avoir signalé un bijoutier trouvent auprès d'eux d'aides et de collaborateurs objet d'un caractère tout différent, un peigne de style japonais. empressés à les servir, autant reste abandonné le joaillier; plus Celui-ci est une fantaisie toute nouvelle : deux monstres en d'émail, plus de ciselure, pas d'incrustation ni de gravure. Les diamant, un dragon et une espèce de phénix sont préposés à la peintres ne peuvent iden pour lui, il est seul dans son atelier garde d'un énorme diamant placé entre eux. Ces deux animaux devant un éblouissement de pierres taillées, et c'est avec ces fantastiques ne seraient assurément pas de nature à effrayer un diamants qu'il doit construire des parures toujours nouvelles. voleur; mais ils n'en font pas moins bonne contenance et se « Les outils sont la pince, la lime, le foret et le marteau ; la détachent en ronde bosse sur un fond d'une grande légèreté que matière : l'or ou l'argent. Mais cette matière doit être peu COI. 1.1 ER DE FLEURS EN PI ERRI s DE COULEUR ET BRILLANTS. (modèle de SAR \H BERNHARDT.) L'ORFÈVRERIE. apparente; elle n'est que le moyen de sertir ou d'enchâsser la « On conçoit, après ce que je viens dire, les difficultés d'un pierre ; elle ne doit jouer qu'un rôle secondaire. tel état, d'autant que si les moyens d'exécution sont peu variés, « On repousse le métal, on le découpe, on le façonne, on le les motifs d'inspiration sont plus rares aussi. perce de trous, qu'il faut disposer d'une manière symétrique et « C'est parmi les fleurs que le joaillier choisit généralement agréable à l'œil. ses modèles, et il en est certaines qui ont été copiées un nombre « On polit ensuite, et c'est dans cette surface ajourée qu'on incalculable de fois; l'églantine, la pervenche, la marguerite sont" sertit les diamants, les émeraudes, les rubis ou les saphirs ; mais les types les plus aimés, mais aussi les plus vulgarisés, et l'habl- les diamants surtout, car le diamant est la base et, pour ainsi leté du dessinateur et de l'ouvrier consiste à rendre le modelé dire, le seul prétexte à la joaillerie; mais son éclat, sa richesse, des pétales, le mouvement de la fleur, et à pousser très loin la sa beauté constituent les premiers obstacles à son emploi. Sa copie de la nature. transparence et ses facettes irradiées repoussent toute apparence « C'est à la recherche d'une expression nouvelle que se de solidité. lancent tous les joailliers aujourd'hui ; les uns empruntent « Le diamant a des effets imprévus ; il déjoue le modelé de la au bijou ses formes ornées, et traduisent avec le dia- forme, il trompe les yeux, il s'enflamme d'une lumière qui le fait mant, des palmettes, des rinceaux, des enlacements ou des saillir mal à propos ou reste transparent, et fait trou dans la masse. grecques. D'autres préfèrent les figures géométriques ; mais « Vues à quelque distance, toutes les pierres se confondent la plupart, restant dans le domaine de la plante, cherchent dans un seul rayonnement, c'est un fouillis de lumière qui n'a dans les contours variés des feuilles un nouvel élément de plus ni plans, ni formes, ni contours. succès. » ORFÈVRERIE Italie — . Nous avons vu déjà que dès le xv® siècle l'Italie avait atteint les plus hauts sommets de l'art moderne et que l'orfèvrerie avait été durant cette période la profession par excel- lence, celle dans laquelle se sont formés tous les maîtres qui, dans la peinture comme dans la sculpture, ont illustré l'école italienne sous la Renaissance. L'universalité dans les études et par conséquent dans la production avait été le caractère de l'art, qui ne commença qu'au siècle suivant à se renfermer dans des spécialités. 11 est bien peu d'artistes fameux sous la Renaissance auquel on n'ait pu attribuer, sans trop d'invraisemblance, quelque ouvrage se i-attachant à l'industrie par son usage, mais prenant un caractère d'art par la manière dont il avait été conçu et exécuté. L'authenticité de l'attribution est loin d'être démontrée pour la plupart de ces pièces dont nos amateurs se montrent | aujourd'hui si avides, mais la facilité même avec laquelle on j place un nom illustre sur leur étiquette prouve l'alliance intime ¡ qui existait entre l'art proprement dit et ses applications les plus directes aux industries usuelles. La Lombardie est, plus qu'aucune partie de l'Italie, riche | en orfèvrerie du xvi® siècle. Parmi les pièces d'orfèvrerie reli- gieuse que l'on signale plus particulièrement à l'attention des étrangers, nous citerons une aiguière en vermeil, dans l'église de Santa Maria presso San Celso, à Milan, et le superbe plateau qui l'accompagne. On doit citer aussi une très belle croix enri- chie d'émaux, conservée à l'Ospedale Maggiore de Milan, et dont la décoration est particulièrement remarquable. Au reste, les collections privées de la Lombardie ne sont guère moins riches en objets d'art de tout genre, que les édifices religieux et municipaux, et les expositions rétrospectives qui ont eu lieu à Milan, ces dernières années, ont révélé aux ama- teurs une foule de pièces intéressantes qui étaient demeurées jus- qu'ici ignorées du public, au moins en France. C'est notamment dans les petits objets usuels, tels que les bonbonnières et les coflVets que l'on voit avec quelle délicatesse les orfèvres italiens de la Renaissance traitaient le rîligrane d'argent. Les objets du genre de ceux dont nous parlons ont rarement les honneurs d'une collection publique, mais ils n'en sont pas moins intéres- sants par leur caractère intime et ils montrent certainement un des côtés les plus charmants de l'orfèvrerie italienne du XVI® siècle. roxaonnière du xvi® siecle, en filigrane d'argent, rehaussée d'émaux. (collection de m. LECOMTE. ) Le musée national bavarois possède un marteau en argent repoussé et doré, qui est une pièce historique dans l'orfèvrerie italienne. On en attribue le dessin à Michel-Ange, sans d'ailleurs apporter aucune pièce à l'appui de cette assertion. Il a servi au pape Jules III pour inaugurer le jubilé proclamé par son prédé- cesseur Paul III, en i55o. D'après le cérémonial usité dans cette occasion, le pape doit frapper trois coups de marteau sur la porte d'or de l'église Saint-Pierre, et le marteau dont il s'est servi est généralerhent offert comme cadeau à quelque grand LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. : celui-ci a en effet appartenu au duc Ernest de est le dernier des artistes italiens qui aient eu cette personnage universalité, Bavière. et après lui, non seulement les orfèvres ne pratiquent plus la Benvenuto Cellini, qui exécutait avec le même talent une grande sculpture, mais ils sont même distincts des bijoutiers; à il demeure exclusive- bague, un vase d'orfèvrerie ou une statue de grandeur colossale. chacun adopte une profession laquelle ment attaché, et le cercle dans lequel se meut rintelligence créa- récit de ses aventures, qui, dans une autre époque, l'eussent trice des artistes va en se rétrécissant de plus en plus. mené tout droit aux galères ou à l'échafaud, et en même temps Cellini, qui fut un écrivain fort spirituel en même temps il décrit avec la plus grande complaisance les ouvrages qu'il a qu'un grand artiste, a raconté sa vie dans un livre traduit dans faits pour le pape, pour le roi de France ou pour les autres princes toutes les langues et extrêmement curieux par les détails qu'il qui l'ont employé. Comme il maniait le poignard avec autant de donne sur les mœurs de son temps. L'auteur fait le cynique facilité que l'ébauchoir et qu'il avait partout des démêlés avec la p 6-2 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. justice locale, il dut quitter plusieurs fois Florence où il était né du roi de f ranee, pour lequel il travailla pendant cinq années con- et Rome où il avait établi sa résidence. En i Sqo il entra au service sécutives ; après son retour en Italie, il se iixa à Florence, où il COFFRET EN FILIGRANE D ARGENT É M A 1L L É, X VI< (COLLECTION DE JI. G. ROLDO PEZZOLl.) mourut en i 571. C'est pendant cette dernière partie de sa vie qu'il dans le cours de sa vie de très nombreuses pièces d'orfèvrerie, on exécuta sa fameuse statue de Persée, qui est certainement le plus en connaît bien peu qui présentent comme authenticité une bel ouvrage qu'il ait fait comme sculpteur. Quoiqu'il ait exécuté garantie absolue. La plus importante est la fameuse salière qu'il SALIÈRE DE BENVENUTO CELLINI. (CABINET IMPERIAL DE VIENNE.) avait exécutée pour François I®'" et qui fait maintenant partie du assez malheureuse, et en somme c'est surtout l'habileté du pra- cabinet impérial de Vienne. Le travail en est extrêmement soigné ticien qu'il faut admirer ici. On peut en dire autant d'une aiguière et la ciselure en est parfaite, mais la disposition des lignes est conservée au palais Durazzo, à Gênes, et d'une coupe de forme L'ORFÈVRERIE. 63 bizarre, qu'on voit à Munich, et dont l'attribution est d'ailleurs a décrit très minutieusement dans ses écrits tous les ouvrages incertaine. Plusieurs belles pièces d'argenterie, ayant appartenu qu'il a faits, et il serait au moins singulier qu'il eût omis précisé- aux grands-ducs de Toscane, se voient dans les collections de ment ceux qui nous sont parvenus. Toutes ces pièces d'ailleurs Florence, et on ne manque pas de les donner à Cellini, mais ce se recommandent par l'excellence du travail, mais rarement par qui peut jeter un certain doute sur leur auteur, c'est que Cellini le goût, qui est assez souvent faux et maniéré. Quoiqu'il ait eu m M.\RTEAU EX A R G E X" ï REPOUSSÉ ET DORÉ. (MUSÉE DE MUNICH, XVI® SIÈCI. E.) de nombreux élèves, Cellini n'est pas un chef d'école et la déca- trouvons que, pendant le cours du siècle suivant, cette déca- dence arrive aussitôt après lui. dence ne fit que s'accentuer de plus en plus sous l'influence né- M. Ferdinand de Lasteyrie apprécie ainsi les dernières faste du chevalier Bernin, dont l'omnipotence en fait d'art fut, etapes de l'orfèvrerie italienne. « Si, pour en revenir à notre on le sait, presque aussi grande que celle de Lebrun à la cour de point de départ, dit-il, nous jetons un regard sur l'orfèvrerie France. Ce fut encore bien pis au xvin® siècle. Le maniérisme, Italienne, que nous avons vue si admirable aux xiv® et xv® siè- chez nos voisins, ne se racheta pas même par la grâce parfois des, mais déclinant déjà dans la seconde moitié du xvi®, nous piquante de l'école de Boucher et de Watteau. Aussi, les pièces T aiguière en vermeil du xyi® siècle. trésor de l'Église de santa maria presso san cels g, a milan.) ( 66 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. d'orfèvrerie italienne de cette époque sont-elles peu recherchées ments d'autel étaient continuellement façonnés pour le besoin par les amateurs. Le duc d'Hamilton en a cependant recueilli des églises. « Parmi les autres pays de l'Europe, dit F. de Las- quelques-unes, entre autres une aiguière et un grand plateau à teyrie, après avoir parlé de l'Italie et de la France, l'Allemagne liqueurs fabriqués pour le dernier des Stuarts, le cardinal d'York, est peut-être le seul où la Renaissance eut un caractère propre, qui, comme on le sait, passa en Italie la plus grande partie de le seul qui ait fait autre chose que de suivre servilement et de sa longue existence. Ces deux pièces sont l'œuvre d'un orfèvre plus ou moins loin le mouvement de transformation du goût de Rome, qui était alors fort en vogue. Il avait pour lui le goût commencé en Italie. En dehors de ce mouvement, une grande de son temps. Mais était-ce donc là qu'en devait venir la belle impulsion avait été directement imprimée à l'art allemand par un industrie illustrée par les Orcagna, les Ghiberti et les Polla- groupe d'artistes éminents, en tête desquels figure Albert Dürer. juolo ? » La tradition gothique existait encore; mais, tout en conservant les formes allongées caractéristiques de ce style, l'imagination ALLEM.A.GNE. — Jusqu'au XV® siècle, l'orfèvrerie allemande des artistes dont il s'agit en avait modifié les éléments consti- avait été presque exclusivement religieuse : des châsses, des tutifs. Aux lignes rigides de l'architecture, ils avaient mêlé calices, des ciboires, des crucifix, des candélabres et des orne- d'abord, puis substitué presque entièrement une ornementation RELIQUAIRE DU XIII® SIECLE, EN ARGENT REPOUSSÉ. (MUSÉE GERMANIQUE, A NUREMBERG.) tout empruntée au règne végétal, entrelaçant capricieusement siblement comme nombre, en même temps que, comme style, elle rameaux et feuillages, de façon à conserver néanmoins toujours perdait son originalité. v à la pièce une harmonieuse symétrie. Ce système de décoration, Le trésor impérial de Vienne possède plusieurs reliquaires inauguré vers la fin du xv® siècle, et qui prévalut pendant la pre- en or émaillé et ornés de pierres fines dont le style ornemental mière partie du xvi®, est ce qui caractérise le mieux, selon moi, marque la dernière période de la Renaissance, On trouve encore le vrai style de la Renaissance allemande. » une certaine élégance ornementale dans les pièces de cette L'orfèvrerie, comme les autres arts qui se rattachent directe- époque, mais on y sent une influence italienne qui d'ailleurs ment ou indirectement à la sculpture ou à la peinture, était dura peu. donc dans une bonne voie pendant la première partie de L'orfèvrerie allemande du xvii® siècle est généralement assez la Renaissance. Mais la Réforme, qui arrêta si complètement lourde de forme et extrêmement surchargée d'ornementation. l'essor de la peinture religieuse, devait porter le coup fatal à Dans les calices, les écussons et les figures de saints et d'anges l'orfèvrerie d'église. Du moment qu'on abandonnait avec le culte sont à peine visibles, tant ils sont noyés dans les arabesques et des saints la plupart des cérémonies pompeuses de l'église les ornements de tout genre. Deux calices en argent repoussé et romaine, les pièces les plus importantes du mobilier ecclé- ciselé, qui faisaient partie de la collection de San Donato, carac- siastique n'avaient plus de raison d'être. L'orfèvrerie religieuse térisent bien le style de l'orfèvrerie religieuse qui Allemagne. ne fut pas anéantie subitement, mais sa fabrication diminua sen- L'un d'eux porte à,la base des médaillons représentant saint 68 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. Augustin et saint Paul, se'parés par des anges avec les attributs C'est donc plus spécialement de l'orfèvrerie profane qu'il de la Passion, et l'autre est décoré avec les figures des évangé- faut nous occuper, car c'est dans cette direction que l'art s'est listes, mais dans l'un comme dans l'autre il faut un œil assez développé à partir de la Réforme. « Quant à l'orfèvrerie aile- exercé pour distinguer ces personnages au milieu des ornements mande, dit Albert Jacquemart dans son Histoire du mobilier, enchevêtrés dans lesquels ils se trouvent. nous en possédons un échantillon des plus curieux daté de 1536 : c'est l'aiguière avec son plateau représentant la victoire de le mobilier d'un curieux. Citons même, parmi les orfèvreries aile- Charles-Quint sur les Africains et la prise du fort de la Goulette, mandes du xvi® siècle, certaines merveilles de mécanique, telles sujet représenté sur diverses matières et toujours avec apparat. que la nef en orfèvrerie dorée et émaillée que possède l'hôtel de On peut reprocher, en général, au style allemand une certaine Cluny et sur laquelle figure Charles-Quint sur son trône, entouré lourdeur; mais les orfèvres ont su imprimer à leurs pièces et de sa cour. Une horloge, placée sur le pont, indique les heures, surtout à certains vidrecomes, un caractère de pompe véritable- et d'ingénieux rouages mécaniques mettent en mouvement tous ment monumental. Dans cette foule de pièces qui survivent au les personnages et la nef elle-même, allument les canons qui naufrage des temps, il y a, certes, un choix à faire; mais on peut tonnent, orientent les voiles, et font sonner les fanfares aux trouver encore aujourd'hui des types bien dignes d'entrer dans musiciens, pendant que les dignitaires défilent devant l'empe- 70 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. reur, qui les salue, et rentrent dans la dunette dont ils e'taient sanee, et l'Allemagne avait en quelque sorte la spécialité de leur d'abord sortis. De pareilles pièces, que l'on considérerait presque fabrication. C'est du moins en Allemagne qu'on trouve les pièces de nos jours comme des jeux d'enfants, étaient alors d'un prix les plus importantes dans ce genre, pour lequel on avait recours élevé et constituaient les cadeaux que se faisaient les souverains aux plus fameux orfèvres en même temps qu'aux plus fameux entre eux. » mécaniciens du temps. Un des morceaux les plus célèbres de . Plusieurs pièces importantes de l'orfèvrerie allemande se cette orfèvrerie est la Diane chasseresse qui faisait partie des rattachent à des types analogues. On peut citer entre autres une collections de San Donato, et qui est l'œuvre de Wenzel Jam- coupe en argent doré et émaillé, en forme de vaisseau, qui fait nitzer, orfèvre, né à Vienne en i5o8 et mort à Nuremberg eh partie du Musée germanique à Nuremberg, et qui est d'un travail i585. Ce groupe mécanique est en vermeil et en argent. La très remarquable. déesse, montée sur un cerf dix cors, tient dans la main droite un Les pièces mécaniques étaient fort estimées sous la Renais- épieu terminé par un croissant, et la laisse de deux chiens PLATEAU EN VERMEIL, PAR MI HEL RAUNER. (XVIII® SIECLE.) L'Amour est monté en croupe à côté d'elle et, sous les pieds de Des figurines d'anges en relief décorent la coupe ainsi que le sa monture, on voit un tout petit Nemrod chassant à courre. La couvercle, sur lequel se dresse, émergeant d'une couronne, une serrure est placée dans le piédestal et une clef servait à remonter fleur bossuée servant de piédestal à un porte-étendard, armé de le mouvement mécanique. pied en cap : l'oriflamme qu'il tient à la main est orné des armes L'horlogerie allemande a acquis sous la Renaissance une d'Autriche qu'on retrouve également sur le bouclier. Suivant un assez grande réputation, non seulement pour le mouvement, usage, qui fut très en faveur au xv« siècle, mais qu'on ne trouve mais encore pour la monture. Cette monture affecte quelquefois plus dans le siècle suivant, l'argent est recouvert, à l'intérieur des formes un peu bizarres, qui ne répugnent pas, on le sait, à comme à l'extérieur, d'émaux de couleur, qu'animent encore des l'esprit germanique. Assez souvent les pendules prennent les incrustations de grenaille d'or figurant des rayons et des allures d'un animal en marche. Il y a au musée de Munich une flammes. horloge en argent doré, qui remonte au xvi® siècle et dont la L'argenterie hongroise ne semble pas avoir atteint un niveau forme est celle d'un chameau. artistique très élevé, surtout si on la compare à celle des Italiens La coupe de l'empereur Frédéric IV, conservée dans le du xvi° siècle ; cependant elle n'est pas sans mérite, surtout sous trésor impérial de Vienne, passe pour une des plus belles pièces le rapport de l'invention, car l'exécution est de l'orfèvrerie quelquefois un peu allemande. Cette coupe repose sur un trépied brutale. Les assiettes, les plats, les corbeilles, sont formé trois généralement par paires de lions héraldiques portant des écussons. décorés au milieu d'un sujet qui représente quelquefois un LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. paysage, et qu'encadrent sur les bords des fruits ou des fleurs. les Turcs. Il y a aussi des pocals enrichis d'émaux, avec des Le muse'e de Pesth contient sous ce rapport une foule de pièces petites statuettes de guerriers, etc. intéressantes, et c'est à lui qu'il faut avoir recours pour les La bijouterie hongroise est généi'alement d'un travail plus pièces de l'industrie hongroise, qui sont assez rares dans nos soigné que l'orfèvrerie du même pays. On explique ce fait par collections. Il y a des plats de dimension tout à fait monumentale, la passion que ce peuple a toujours montré pour la parure, pas- entre autres celui qui représente la mort d'un jeune comte sion qui a du activer de bonne heure les développements de Esterhazy, dans un combat livré en lôSz entre les Hongrois et cette industrie. Des fleurs émaillées, encadrées dans des orne- ments de filigrane d'argent forme le fond de cette bijouterie. çons avec l'aigle impériale russe et le saint Georges à cheval, et Les figurines jouent aussi un certain rôle dans cette bijouterie, sur le pourtour quatre médaillons ovoïdes représentant des chas- mais au lieu des personnages mythologiques, si en vogue dans seurs et des chasseresses. les autres pays, ce sont des guerriers armés de pied en cap, qui Le mouvement de la Renaissance, qui se ressentit dans les en font habituellement les frais. Ces personnages empruntent Flandres un peu plus tard qu'en Italie, s'y manifesta aussi d'une souvent leurs costumes des peuples orientaux avec lesquels les manière différente. La forme ornementale s'y montre en général Hongrois ont été si souvent en rapport, et auxquels ils ont plus lourde dans son ensemble, tandis que l'exécution présente demandé une partie de leur ornementation. par places d'inconcevables finesses. L'usage qui s'introduisit de Un vidrecome du xvi® siècle, portant la date de iSSz, avec monter en or et en argent, des fruits naturels, comme la noix de le portrait du roi de Pologne auquel il a appartenu, est décoré coco des Indes, ne fut certainement pas sans influence, et les d'une façon assez curieuse. A la base quatre hiboux sont placés figures délicatement sculptées, qui enserrent l'écorce fibreuse et dans des petites niches, sous des dragons portant des capara- raboteuse de la noix, forment l'effet le plus singulier. LE MÉTAL DANS LIT TEMPS MODERNES. 74 sur un s ap- Des flacons analogues à celui qu'on vient de voir ne sont d'eux est une coupe posée sauvage agenouillé qui dans l'orfèvrerie allemande, qui présente une étroite prête à tirer de l'arc. Sur la panse du vase, les amours s'ébattent pas rares parenté avec celle des Pays-Bas. Une autre particularité, que avec les monstres marins et, sur le couvercle, Neptune, tenant nous ne trouverons dans l'orfèvrerie française, mais qui d'une main son trident, souffle dans une conque marine. Près de pas dans la direction n'est pas rare de l'autre côté du Rhin, c'est la présence de lui, un grand cygne aux ailes déployées allonge femmes élégamment vêtues, selon le costume du xvi® siècle, et opposée son long col effilé. Sur une autre coupe qui porte la servant de à des qui s'offraient généralement date de i63(), le couvercle est surmonté d'un coupes Cupidon décochant supports comme présents de noces. une flèche; la panse et le piédestal sont ornés de nombreux bos- Ribeauvillé Alsace conservé de pré- sages en haut-relief, ovales et piriformes, ressortant au milieu La petite ville de en a deux restes de l'orfèvrerie alsacienne du xvii® siècle. Ce sont des d'arabe.sques. offerts les de Ribeaupierre, qui étaient seigneurs Le stvle allemand du xvii® siècle est bien vases comtes apparent dans ces par de Ribeauvillé. La forme de ces vases est assez originale ; l'un grands gobelets à forme conique, dont le col est légèrement évasé. Leur décor consiste habituellement en pièces de monnaie plateau sont contournés à oves et enrichis de médaillons et de autour desquelles courent des tiges de plantes portant des feuilles fleurs. son ou d.s fleurs qui semblent énormes à côté des médailles qu'elles C'est à Augsbourg que l'orfèvrerie allemande a atteint ont pour mission d'encadrer. plus grand développement, et c'est là aussi que les traditions de Les Allemands ont fréquemment décoré les vidrecomes du la Renaissance persistèrent le plus longtemps. Toutefois on peut xvii'" et du xvin® siècle avec des bacchantes et autres person- dire, sans y mettre trop de sévérité, que l'orfèvrerie allemande nages mvthologiques, mais ils y mettent aussi quelquefois des cesse de compter comme art à partir du xviii® siècle. « On volt sujets religieux. Un très beau vidrecome hollandais montre encore d'assez nombreux spécimens d'orfèvrerie allemande dans .lésus-Christ et la Samaritaine à la fontaine, en argent repoussé les collections d'amateurs, dit Ferdinand de Lasteyrie; mais, et traité en haut-relief. passé la première moitié du xvii® siècle, je n'en connais pas qui Le mariage du dauphin de France, fils de Louis XV, avec mérite une mention particulière. » Marie-Josèphe de Saxe, en 1747, est représenté sous une forme Il ne faut pourtant pas omettre un artiste prussien d'un allégorique sur un plateau en vermeil, œuvre de Michel Rauner grand mérite, Charles "Wagner, qui vint s'établir à Paris vers 183o, d'Augsbourg. La composition centrale, assez heureusement et exerça sur l'orfèvrerie et surtout sur la bijouterie française agencée, est entourée d'amours et de rinceaux, et les bords du une action des plus heureuses et des plus efficaces. VJDKECOME EN ARGENT REPOUSSÉ, TRAVAIL ALLEMAND DU XVIie SIÈCLE. 76 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. France — . L'arrivée en France de Benvenuto Cellini exerça- plateau qui se trouve à Londres dans une collection particulière. t-elle sur notre orfèvrerie nationale une influence aussi décisive Cette aiguière, reproduite dans le grand ouvrage de Labarte, est qu'on l'a dit quelquefois? Si la chose n'est pas impossible, ni en argent doré; sa décoration comprend plusieurs sujets mytho- même improbable, elle est au moins assez difficile à prouver, logiques, formant des bas-reliefs peu saillants qui recouvrent la puisque l'on ne possède presque pas de pièces d'orfèvrerie panse, et une tête de femme fait le motif principal du goulot, authentique du un faune. Une temps de François I®"". Les superbes services auquel se rattache une jolie anse terminée par commandés pour le roi et dans lesquels la statuaire jouait un rôle jolie coupe du Louvre, dont la vasque soutenue par Bacchus si important, ont été fondus pour payer sa rançon. Aussi c'est représente Vénus faisant forger les armes d'Énée, passe égale- d'après les gravures du temps plutôt que d'après les ouvi'ages ment pour être son œuvre. Mais il règne à ce sujet la plus com- originaux que l'on peut se rendre compte du style de l'orfèvrerie plète incertitude. française. Mais l'artiste qui eut à cette époque la plus grande ré- Étienne de Laulne était en même temps un très habile gra- putation, celui qui nous a laissé les modèles les plus parfaits, c'est veur en taille-douce et on doit à cela de connaître son style, car il Étienne de Laulne. On lui attribue une superbe aiguière avec son n'est resté de lui aucune œuvre originale dont on puisse dire MIROIR, B'APRES ETIENNE DE LAULNE. POT EN ÉTAIN, PAR FRANÇOIS BRIOT. qu'elle est réellement authentique. Mais les quatre cents pièces Tout le monde connaît le plat et la fameuse aiguière du qu'il a laissées, tant d'après ses propres dessins que d'après ceux musée de Cluny, mais quand on a nommé son auteur, François d'autres maîtres, foule de modèles Briot, il faut s'arrêter faute de documents. « L'aiguière de comprennent une pour Cluny, l'industrie, entre avec cer- autres, des manches de couteaux, des pommeaux dit Jal, n'est point datée et l'on n'assigne pas quelque d'épées et des miroirs d'une grande élégance. titude une époque à son exécution. Mais on y voit François Le règne de Henri II est considéré comme l'époque où l'art Briot, en apparence âgé d'une trentaine d'années et dans un français de la Renaissance s'est élevé le plus haut, et l'orfèvrerie costume qui est celui des Français du temps de Henri III; on a naturellement été appelée à participer au mouvement artistique pourrait donc supposer que Briot fit cet ouvrage quelques de cette époque. Mais de toutes les créations des beaux-arts, les années après la mort de Benvenuto Cellini, dont le style était a pièces d'orfèvrerie sont assurément les moins durables. En France la mode et vers i58o. Cela reporterait la naissance de François particulièrement elles ont subi une destruction à peu près com- Briot à une année très voisine de i55o. » plète. L'orfèvrerie sacrée a disparu pendant les guerres religieu- L'artiste a fait plusieurs plats dont les dispositions essen- ses, et la politique a fait successivement envoyer à la fonte tous tielles sont identiques à celui du musée de Cluny, mais où les les services d'or et d'argent qu'employaient la cour et la figures sont différentes. C'étaient des variantes d'un meme type, noblesse. Si nous avons conservé quelques pièces de François que l'artiste était chargé de faire pour divers personnages. Le Briot, nous le devons uniquement à ce qu'elles sont en étain. niat Hn mnçftp rip Tliinv est tellement connu aue nous avons L'ORFÈVRERIE. 77 préféré en donner un autre dont nous empruntons la gravure été au XIV® siècle. Claude fut un des familiers de Catherine de au grand ouvrage de M. Edouard Lièvre. Briot a fait des hanaps Médicis. Triste époque que la fin de ce siècle, triste pour la et différents vases enrichis d'arabesques et de médaillons repré- France d'abord, pour les arts ensuite, dont elle devait nécessaire- sentant habituellement des sujets mythologiques. Son style orne- ment amener la ruine. Les guerres de religion sont assurément mental caractérise bien les élégances raffinées de la sculpture de tous les fiéaux le plus destructeur. En même temps qu'elles française sous la Renaissance. s'attaquent aux œuvres du passé, elles arrêtent la production du « Un orfèvre parisien dont nous ne connaissons aucune présent. Ainsi fut-il au temps de la Ligue. Quelques ordonnances œuvre, dit Ferdinand de Lasteyrie, mais dont le nom est resté malencontreuses, mais bientôt rapportées, de Charles IX, célèbre par la part qu'il prit aux événements de son temps, c'est n'auraient pas suffi pour amener la décadence d'une industrie Claude Marcel. Il fut prévôt des marchands sous la Ligue, aussi florissante que l'orfèvrerie parisienne, si la guerre civile en comme son aïeul Etienne Marcel, de turbulente mémoire, l'avait permanence et la pénurie des finances n'y avaient eu, de leur côté, une part plus décisive encore. Une autre cause de la déca- Henri IV n'a pas été un roi fastueux comme François I®' et dence de l'orfèvrerie ce fut l'engouement inouï pour les pierres il n'a jamais eu bien grande estime pour les beaux-arts. Néan- précieuses de tout genre qui prit naissance sous le regne des der- moins son règne a été marqué par une innovation qui mérite niers Valois. L'éclat du diamant et des perles éclipsa tout à coup d'être signalée. On doit à Henri IV d'avoir établi des logements celui de l'or et de l'argent, l'éblouissante industrie du joaillier, dans le Louvre pour les artistes et les artisans les plus distingués. si bien appropriée au goût d'une cour efféminée, fit rejeter au Ses intentions sont clairement manifestées par des lettres second plan l'art exquis de l'orfèvre. » patentes du 22 décembre 1608. « Nous avons eu cet égard en la L'inventaire récemment découvert des biens et meubles de construction de notre galerie du Louvre, d'en disposer les bâti- Gabrielle d'Estrées montre pourtant de grandes richesses qu'on ments en telle forme que nous y puissions loger commodément ne soupçonnait pas à la cour de France à cette époque. Quant quantité des meilleurs ouvriers et plus suffisants maîtres qui se au roi, il avait un orfèvre nommé Vimont, qu'il employait sans pourraient rencontrer, tant de peinture, sculpture, orfèvrerie, doute pour les joyaux et le service de table de sa maîtresse, bien horlogerie, sculpture en pierreries, qu'autres de plusieurs et plus que pour son usage personnel, car la seule pièce qu'il lui excellents arts, tant pour nous servir d'iceux, comme pour être ait commandée directement est un crachoir. par ce même moyen employés par nos sujets en ce qu'ils auraient 78 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. besoin de leur industrie, et aussi pour faire comme une pépi- ensuite Lacoste, furent les orfèvres les plus occupés du règne de nière d'ouvriers de laquelle, sous l'apprentissage de si bons Louis XIV. « Lacoste, dit Alexis Monteil, alla dans sa jeunesse maîtres, il en sorte plusieurs qui, par après, se répandraient à Paris pour y terminer son apprentissage; et comme il maniait par tout notre royaume, et qui sauraient très bien servir le avec une égale habileté le crayon, le marteau et le ciseau, il fut public, etc. M admis chez Ballin et chez Delaunay, qu'il n'appelait pas des Pour les gens de métier, en général, mais surtout pour les orfèvres, mais bien des sculpteurs en argent et en or. Il avait tra- orfèvres, le logement au Louvre offrait de très grands avantages, vaille' avec eux à ces beaux meubles d'orfèvrerie qui ornaient les notamment celui de les soustraire aux règlements parfois très maisons royales : à ces grandes balustrades d'argent, à ces gênants du corps de métier auquel ils appartenaient. Car la cor- grandes tables d'argent, à ces grands bancs d'argent, que l'am- poration n'avait aucun pouvoir sur ceux qui étaient attachés à bassadeur de Siam avait de la peine à soulever; à ces grands la maison du roi. Plus tard, sous Louis XIV, on tenta de former chandeliers d'argent hauts de huit ou neuf pieds, à ces grands dans les ateliers des Gobelins une grande manufacture dont les bassins d'argent de dix ou douze pieds de tour; à ces grands produits fabriqués devaient être employés pour le mobilier des cadres de miroir en or massif, pesant jusqu'à quinze ou vingt châteaux royaux et exécutés sous la direction du peintre Charles livres. Mais quand il vit, dans des temps de^ détresse, fondre à Lebrun. Les plus grands maîtres de nos industries d'art ont la monnaie ces chefs-d'œuvre qui avaient été dessinés par Le attaché leurs noms à cette institution, qui n'eut d'ailleurs qu'une Brun, qui avaient coûté dix millions et qui n'en rendirent que durée assez courte, puisque, du vivant même de Louis XIV, la trois, il quitta Paris. « Ce que je regrettai le plus, disait-il un jour, manufacture des Gobelins perdit le caractère d'universalité que ce ne furent pas les profits de mon état, ce fut de ne pouvoir Colbert avait voulu lui donner, et ne fut plus utilisée que comme plus espérer de devenir garde-juré. Tous les orfèvres de Paris, fabrique de tapisseries. nous vivons dans l'espoir de le devenir, d'être revêtus de la robe Si l'orfèvrerie fut exclue de la fabrication royale, les orfèvres à manches de velours, enfin d'avoir l'honneur de porter un des n'en continuèrent pas moins à travailler pour la maison du roi, glorieux bâtons du dais aux solennelles entrées des rois. Toute et à être attachés à sa maison. Ce fut dans son extrême jeunesse, notre vie nous voyons ce glorieux bâton, et en mourant nous le lorsqu'il jouait encore au soldat, que Louis XIV prit le goût de voyons encore. » l'orfèvrerie. Comme il était passionné pour ce jeu et que de La fonte des objets de métal à laquelle Alexis Monteil fait simples soldats de plomb eussent été jugés indignes d'amuser allusion remonte aux années néfastes de 1689 et 1690. Cette l'auguste enfant, on chargea l'orfèvre Merlin de confectionner fonte, qui n'amena pas du tout les résultats pécuniaires qu'on en des petits soldats en argent, et cet orfèvre est toujours demeuré attendait, n'eut d'autre résultat que la destruction complète de depuis ce temps attaché à la personne du roi. Au reste, il ne fut l'ancienne orfèvrerie royale, dont quelques pièces seulement pas le seul, et toute une légion d'artistes, travaillant sous la nous sont connues par la gravure. Mais elle ne porta pas un bien haute direction de Lebrun, reçut pour mission de satisfaire les grand préjudice à la corporation des orfèvres de Paris que nous caprices du roi. retrouvons bientôt plus florissante que jamais. Bérain, qui a fait de si beaux dessins de meubles et de tapis- « Les orfèvres, écrit Charles Louandre, l'un des corps de series, a fait aussi des modèles d'orfèvrerie. On lui doit entre métier les plus riches et les plus influents de la capitale, étaient autres la composition d'une cafetière en argent repoussé et ciselé très nombreux dans la section du Pont-Neuf et de l'île Notre- qui faisait partie de la fameuse collection de San Donato et dont Dame. En 1700, on en comptait trente-six sur le quai qui porte la panse octogone repose sur un culot sphérique couvert de leur nom, treize dans la rue du Harlay, douze sur la place Dau- roseaux en fleur, de gaînes et de lambrequins sur fond grain- phine, six sur le quai de l'Horloge, trois rue de Lamoignon, un dorgé. cour du Palais. Ballin est le plus célèbre parmi les orfèvres qui se sont fait « Un recensement général du mobilier de la bourgeoisie un nom sous Louis XIV. Dès l'âge de dix-neuf ans il avait com- parisienne, fait en 1700, nous montre quelle était à cette date la posé quatre grands bassins décorés de figures en relief, qui richesse des bourgeois de Paris. Ce recensement constate qu'on eurent un tel succès que le cardinal de Richelieu, en les achetant, trouvait chez les simples particuliers, outre la vaisselle plate, lui commanda quatre grands vases pour les accompagner. des soufflets, des grils, des sonnettes, des écritoires en argent, Ballin a fait tous les genres, et il a travaillé pour les églises de petits ménages en argent à l'usage des jeunes filles, des ten- autant que pour les châteaux, mais c'est surtout pour le somp- tures en tapisserie à fleurs d'or et d'argent, des garnitures de tueux mobilier de Versailles qu'il a été appelé à déployer son cheminées à crépines d'or, des guéridons et des fauteuils d'ébène talent. « Il y avait là, dit Perrault dans ses Hommes illust?-es, des massif à pieds en argent massif ou doré, des chaises de velours tables d'une sculpture et d'une ciselure si admirables que la à galons d'or, des bureaux en bois de violette et en bois d'oli- matière, toute d'argent et toute pesante qu'elle était, faisait à vier, des bibliothèques ornées d'incrustations d'ivoire ou peine la dixième partie de leur valeur. C'étaient des torchères d'écaillé. » ou de grands guéridons de huit à neuf pieds de hauteur, pour Les lois somptuaires qui accompagnèrent la vieillesse morose porter des flambeaux ou des girandoles ; de grands vases pour de Louis XIV et qui furent maintenues dans les premières mettre des orangers et de grands brancards pour les porter où années de la Régence ne purent jamais recevoir une exécution l'on aurait voulu; des cuvettes, des chandeliers, des miroirs, bien complète et finirent même par tomber complètement en tous ouvrages dont la magnificence, l'élégance et le bon goût désuétude. Aussi nous voyons malgré tout de nouvelles répu- étaient peut-être une des choses du royaume qui donnaient une tations se former. plus juste idée de la grandeur du prince qui les avait fait faire.» Le second Claude Ballin, neveu et élève du précédent, Après Claude Ballin, Delauney, son gendre, Alexis Loir, et n'atteignit jamais la réputation de son oncle; néanmoins il L'ORFÈVRERIE. 79 obtint une grande vogue dans la première moitié du xviii® siècle. surfaces planes, les courbes régulières elles-mêmes, la symétrie, C'est lui qui fut chargé de faire la couronne dans la composition la régularité sous toutes leurs formes, étaient absolumtnt pros- de laquelle entraient les deux plus beaux diamants connus alors, crites. Rien de ce qui peut se résoudre par une formule mathé- le Sancy et le Régent; le nom de ce dernier vient du duc matique n'était admis dans ce style baroque, «rocaille», comme d'Orléans, régent du royaume, par qui il avait été acheté pour le on l'a nommé depuis, dont les aspérités sans nombre et les roi. « Ballin, dit Ferdinand de Lasteyrie, était un excellent formes contournées fatiguent l'œil, autant qu'à l'usage elles orfèvre. Quant au style de ses œuvres, il devait nécessairement doivent blesser la main. Quelques artistes habiles, quelques bons se ressentir du goût de son époque, le goût le plus faux, le plus ciseleurs traitaient certainement avec grâce le nu de la figure abâtardi, le plus dépravé qui fut jamais. La ligne droite, les humaine, mais cette grâce elle-même était mêlée de tant d'affé- CAFETIERE EN ARGENT, STYLE LOUIS XIV terie, qu'elle était là comme une nouvelle preuve de la déca- pommes de canne à cannelures en spirale et poignées d'épées. dence du goût. » Cependant la nécessité, triste contrainte pour des gens de cette Après ce second Ballin, qui peut être regardé comme un trempe, de fournir aux exécutants des modèles qu'ils pussent trait d'union entre le xviii® siècle et le siècle précédent, nous mettre en œuvre et aux acheteurs des pièces dont ils pussent voyons surgir dans l'orfèvrerie deux artistes, ou plutôt deux se servir, a réfréné parfois l'intempérance de Meissonier. Il y a groupes d'artistes, se rattachant, les uns à Germain, les autres une imagination presque assagie, eu égard au goût de l'époque, à Meissonier. A notre avis, Germain a un talent infiniment plus dans la cuvette et la nef composées pour le roi, et dans le distingué, mais comme Meissonier nous semble caractériser modèle d'un seau à rafraîchir dont les deux sirènes forment les beaucoup mieux la tendance et le goût de son temps, nous en anses, qu'il dessina en 1723. Cependant nous devons noter parlerons en premier. « En feuilletant l'œuvre de Meissonier, comme des modèles d'extravagance dans le jet des rocailles qui dit M. A. Darcel, on voit que l'on n'a affaire qu'à un décorateur, se hérissent autour des pièces, trop semblables à des amas de bien qu'on y trouve une foule de modèles pour vaisselle reli- rocs et de glaçons, le surtout composé en lyâS pour le duc de gieuse, vaisselle de table et bijouterie, comme tabatières. Kensington Pour cette orfèvrerie, où l'on sent une recherche si 82 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. extravagante de la nature que les qualités du métal y dispa- Livre de légumes disposés en groupe, tels qu'on les retrouve raissent, sinon dans rexécution, qui est généralement fine et encore servant de bouton au couvercle des casseroles à légumes précieuse, du moins dans la composition, il fallait des ornements et des soupières. » pris sur le vif des choses. Aussi Meissonier a-t-il publié un Meissonier avait certainement] exagéré ses tendances, mais les principes auxquels il prétendait rattacher l'art ornemental cette belle orfèvrerie française du xvme siècle, dont l'époque la dans l'orfèvrerie n'étaient pas mauvais en eux-mêmes, puisqu'ils plus brillante peut être fixée aux alentours de lySo. Une superbe répondent en somme à une des époques les plus brillantes de terrine, qui a passé successivement dans les collections Pichón nos industries d'art, et notamment de l'orfèvrerie, et San Donato, nous en offre un brillant spécimen. Ses pieds L'emploi des fleurs, des fruits, et même des animaux, rendus fourchus, d'où s'échappe une tige de céleri, reposent sur un pla- avec une grande rigueur d'observation, mais présentant toujours teau ovale dont les bords sont enrichis de feuillage. Sur le cou- de belles dispositions décoratives, est le principal caractère de verde sont jetés, autour d'une orange garnie de son feuillage 84 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. des ortolans, des huîtres, des truffes, des champignons, des arti- On est un peu surpris de trouver un écusson de la maison chauts et des poissons modelés dans la perfection. Demidoff dans une magnifique soupière, due à l'orfèvre Antoine- Sur une autre pièce du même genre, on voit sur le cou- Jean de Villeclair, reçu maître en lySo; mais cette belle pièce, verde une carotte et des oignons formant centre, et des épis qui faisait partie des collections de San Donato, avait reçu pri- groupés autour avec divers feuillages, tandis que la panse est mitivement un écusson français qui a été recouvert depuis. Le décorée de feuilles de chêne et de laurier. Ailleurs c'est un couvercle est formé d'un chien entouré de gibiers et de divers chou qui est le point de départ de cette décoration, qui est très attributs de la chasse. On a pu remarquer déjà que ce genre de variée dans ses détails, mais dont le principe ornemental est décoration est extrêmement fréquent dans l'orfèvrerie de table à toujours le même. cette époque. Ailleurs c'est un artichaut isolé qui décore le haut du cou- Les pièces que nous avons jusqu'ici sont d'un style très verde, et cet isolement n'est même pas très heureux, si on veut riche, quelquefois même un peu surchargé, qui caractérise très le comparer aux groupes de plantes, de fr,uits et d'animaux, que bien une des faces du xviii® siècle, mais qui ne l'absorbe pas nous avons vus précédemment. d'une manière aussi exclusive qu'on l'a prétendu quelquefois. SUCRIER EN ARGENT, PAR PIERRE GERMAIN. Ce mode contourné devient certainement un peu fatigant, à la Carrousel, à l'orfèvrerie du roi, en 1748, l'année même de sa longue, mais il l'est moins que l'affectation de simplicité qui est mort. Ce recueil, divisé en deux parties, orfèvrerie d'église et venue à la mode un peu plus tard et qui était bien voisine de la orfèvrerie de table, est bien la réunion des plus réjouissantes raideur. fantaisies que l'on puisse rêver. Germain, qui, dans un court Nous avons parlé plus haut de Germain : ce nom est celui avant-propos, annonce qu'il procédera toujours du simple au ' d'une famille d'orfèvres dont plusieurs ont eu un très grand composé, semble avoir toujours eu grand souci des contours. talent, quoique l'un d'eux, Thomas Germain, ait éclipsé les Ceux-ci sont presque toujours coulants et arrondis, malgré les autres par son immense réputation. C'est en parlant de Thomas rocailles au ton mat dont le fond poli des pièces est surchargé, Germain que Voltaire a dit : et il est rare qu'une moulure solide vienne en interrompre la « Et ces plats si chers, que Germain ligne serpentine. En même temps que ses propres compositions. A gravés de sa main divine » Th. Germain a publié quelques pièces du service que Jacques Le succès de Th. Germain fut immense, et toutes les cours Roettiers exécuta pour le Dauphin, pièces qui ne se distinguent de l'Europe lui demandaient ses ouvrages et sacrifiaient au bon de celles du maître que par un emploi plus grand de la figure goût du jour. « Ce qu'était ce bon goût et ce qu'étaient ces humaine, mais ce sont toujours les mêmes formes contournées, oeuvres, dit A. Darcel, Th. Germain a pris soin de nous le mon- le même abus de ce style qu'un seul mot suffit à caractériser et trer dans les éléments d'orfèvrerie qu'il publia chez lui, place du qu'on appelle rocaille. SOUPIÈRE EN ARGENT, COMMANDÉE A PIERRE GERMAIN fPAR CATHERINE II. (COLLECTION DE M. LE BARON GUSTAVE DE ROTHSCHILD.) 86 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. Le père de Th. Germain s'appelait Pierre, et il avait Faut-il accepter le nom de Germain pour une aiguière, très obtenu, à la fin du règne de Louis XIV, une assez grande cèle'- jolie d'ailleurs, qui a fait partie de la fameuse collection de San brité comme orfèvre. Le fils de Tb. Germain, dont le prénom Donato? En tout cas, l'auteur de cette aiguière est assurément est également Pierre, eut à son tour une assez grande répu- un orfèvre d'un grand mérite. tation, en sorte que le nom de Germain revient pendant tout le La présence d'écussons armoriés sur le milieu de la pièce cours du XVIII® siècle dès qu'il s'agit d'orfèvrerie. Comme il y a est un des caractères de l'orfèvrerie au xviii® siècle. La couronne bien peu de pièces de Thomas dont l'authenticité soit bien héraldique qui les surmonte se mêle aux feuillages et aux roseaux établie, les amateurs se rejettent assez volontiers sur l'un des qui recouvrent les aiguières dont le bec s'enrichit de feuilles deux Pierre, lorsqu'il s'agit de désigner l'auteur d'un vase ou d'acanthe. Tout cet ensemble, finement ciselé, produit le plus d'un plat d'argent qui leui\semble mériter un nom illustre. heureux effet. On attribue également à Pierre Germain un charmant sucrier caractériser aussi bien que celui-ci le style de cette période de à anses formées de ceps de vigne, en argent repoussé et ciselé, transition qui est le style distinctif des œuvres d'art exécutées avec décor de guirlandes de fleurs, culot à contours et palmettes, sous Louis XYI. Le corps de la soupière se compose de deux pieds en volutes et couvercle surmonté d'un fruit ; en tout cas, parties : la partie inférieure, plus large, affecte la forme d'une ce travail appartient à la période peut-être la plus exquise de coupe godronnée, montée sur quatre pieds de feuillages et l'orfèvrerie, puisqu'il date de 1720. décorée de guirlandes de laurier que rattachent en quatre points Parmi les pièces les plus remarquables de l'orfèvrerie fran- différents des nœuds de rubans ; la partie supérieure est ornée çaise au xviii® siècle, il faut citer une soupière en argent de de deux médaillons dont l'un représente le triomphe de Potemkin, Pierre Germain, qui fait partie de la collection de M. le baron et l'autre Bellone épargnant les vaincus, sans doute par allusion Gustave de Rothschild et qui a fait l'admiration des connais- à la clémence du général. Le couvercle est couronné par un tro- seurs à l'exposition rétrospective du Trocadéro. Cette soupière phée d'armes surmonté d'un casque empanaché. Les feuillages est en quelque sorte historique, puisqu'elle a été commandée par d'argent mat se détachant sur un fond en argent poli, qui forment l'impératrice de Russie Catherine II, et fit partie d'un service un des traits spéciaux de l'orfèvrerie à cette époque, sont ici du offert par cette souveraine au prince Potemkin, à la suite de ses plus charmant effet. victoires sur les Turcs. Peu de morceaux d'orfèvrerie peuvent L'époque de Louis XVI est bien loin d'avoir l'exubérance 88 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES ornementale qui caractérise l'époque précédente, mais elle est Les surtouts de table du temps de Louis XVI sont d'une encore riche, comme le montre la pièce en argent que nous incroyable variété, et quelquefois d'une rare élégance. Il y en venons d'examiner. Elle va pourtant devenir pauvre, en cher- a qui représentent une fontaine en forme d'obélisque : deux chant avec excès la simplicité. Une soupière d'argent, de la col- vases servent de flambeaux, et six coupes en verre, simulant des lection de M. Vaisse, ornée de cannelures, et dont le couvercle cuves, sont enchâssées dans des montures enguirlandées, en est surmonté d'un enfant portant un écusson, peut être signalée argent ciselé. comme marquant la transition au style de l'époque impériale qui Il est bon de noter que, lorsqu'on arrive à la période de va bientôt survenir. Louis XYI, un grand changement s'est opéré dans les moeurs, et A la fin du xviii® siècle, on associait volontiers l'argent avec que l'orfèvrerie devait nécessairement en ressentir le contre- les tons riches et profonds des cristaux de couleurs. Ainsi, de coup. La royauté s'était sensiblement appauvrie, et'les grandes jolies salières en cristal bleu sont pourvues de montures en fortunes privées, qui autrefois étaient l'apanage à peu près argent finement ciselées, dont les pieds contournés en feuilles exclusif de la noblesse, se trouvaient passer peu à peu aux mains d'acanthe sont surmontés de têtes de bacchantes d'où s'échappent plus actives des commerçants et des fabricants. Enfin la classe des ceps de vigne chargés de fruits et de feuilles. moyenne, qui était dévorée du désir de ressembler à la noblesse. mais qui n'en avait pas encore les moyens, voulait du moins se la reproduction des menus objets tels que les bonbonnières, payer les apparences du luxe. « De là, dit Ferdinand de les étuis à ouvrages, les flacons de poche, les tabatières, les Lasteyrie, l'industrie qui prit de suite un si grand développe- théières, etc. A cette époque, le style a la prétention de revenir ment : du similor^ des pierres fausses, des faux diamants, du à la noblesse antique ; les médaillons d'empereurs romains pren- stJ'ass, comme on les baptisa, dès l'abord, du nom de l'orfèvre nent place sur les facettes des boîtes à thé de forme hexagonale, allemand qui les avait inventées. Or cette double industrie et, à force de revenir à la simplicité, le couvercle n'a plus d'autre tomba tout de suite entre les mains d'ouvriers si habiles, qu'elle ornement qu'une couronne de chêne ou de laurier. eut un moment de véritable vogue. La fabrication de faux Le dernier orfèvre du xviii® siècle, dont le nom soit demeuré bijoux devint une industrie spéciale, bientôt soumise à des règle- célèbre, est Auguste, à qui fut confié le soin de fabriquer la cou- ments où nous voyons ceux qui s'y livraient désignés sous le ronne du sacre de Louis XYI. Il avait adopté complètement le nom de bijoiitiers-faussetiers. » style pseudo-romain, qui était alors à la mode parmi les artistes, D'un autre côté, la grande orfèvrerie ne répondait plus mais sa carrière fut entravée par le mouvement révolutionnaire, beaucoup au goût du jour, et les plus habiles ciseleurs de devant lequel tous les arts somptuaires durent momentanément l'époque, les Gouthière et les Caffieri, travaillaient plus volon- s'effacer. Quand l'orfèvrerie recommença à produire de nouveau, tiers le bronze que l'argent. Enfin l'orfèvrerie de table elle-même Auguste vivait, mais ce furent de nouveaux venus qui captivé- devait, dans beaucoup de maisons riches, céder la place à la rent la faveur publique : Biennais, qui fut l'orfèvre en titre de porcelaine, qui était alors au moment de sa plus grande vogue. l'empereur, eut l'occasion de montrer son talent dans plusieurs Aussi, la seule branche de l'orfèvrerie qui fût réellement floris- circonstances, et notamment à l'occasion du mariage de Napo- santé à cette époque est celle qui se consacrait exclusivement à léon avec Marie-Louise d'Autriche. le métal dans les temps modernes. Odiot est un nom historique dans l'orfèvrerie française, et il tion de cette famille. La grande réputation de la maison date n'est pas possible d'en parler sans rappeler le passé de cette des commencements de ce siècle, et le nom d'Odiot figure à maison célèbre. Elle a eu pour fondateur, en 1720, Jean-Baptiste- toutes nos expositions parmi ceux des orfèvres récompensés. Sous à l'exécution du Gaspard Odiot, qui fut grand garde de l'orfèvrerie en lySq, et le premier empire, la ville de Paris confia Odiot l'orfèvre qui aujourd'hui appartient à la sixième généra berceau du roi de Rome, dont Prudhon avait composé le expose GRAND VASE, PAR KIRSTEIN. dessin ; Thomire, le célèbre bronzier, fut son collaborateur dans vogue, comme son père l'avait été sous la génération précé- cet ouvrage qui est resté célèbre dans l'histoire de l'orfèvrerie. dente. Seulement, le goût public était encore en train de subir En 1814, Odiot, qui était colonel de la garde nationale de Paris, une modification nouvelle. « Comment, dit Ferdinand de se distingua particulièrement dans la défense de la barrière de Lasteyrie, aurait-il pu en être autrement, au lendemain du jour Glicby ; on peut voir son portrait dans le fameux tableau où l'état de la société française venait d'être encore une fois si d'Horace Vernet, qui est maintenant au Louvre. profondément modifié ? En toutes choses, n'était-il pas naturel Sous la Restauration, la réputation que la maison avait que la Restauration prît le contre-pied de la Révolution et de acquise s'accrut de encore, et Charles Odiot devint l'orfèvre en l'Empire ? Et puis les princes, les nombreux représentants L'ORFÈVRERIE. 91 l'aristocratie, qui rentraient en France après une si longue Il produisit beaucoup, à la satisfaction de sa riche clientèle, absence, avaient contracté d'autres goûts pendant leur séjour à mais peu de ses œuvres eurent un véritable caractère d'art. » l'étranger. En Lût d'orfèvrerie, par exemple, leur œil s'était L'imitation du style anglais, qui avait fait le succès de la habitué aux somptuosités d'assez mauvais aloi, il faut en con- maison Odiot, lui a attiré quelquefois les sévérités de la critique. venir, qui n'auraient pu contenter des amateurs d'un goût C'est aujourd'hui 24. Gustave Odiot qui est à la tête de délicat, mais qui, pour le public en général, contrastaient cette maison, et l'importance de ses envois à l'Exposition heureusement avec la maigreur de formes du style impérial. Les de 1878 prouve qu'il entend lui conserver sa position exception- orfèvres anglais passaient pour fort habiles. Odiot prouva facile- nelle dans l'orfèvrerie française. On a particulièrement remarqué ment que, dans ce genre, il pouvait faire aussi bien qu'eux. un grand surtout de table, style Louis XYI,un vase Renaissance PLATEAU AVEC INCRUSTATIONS, PAR CHRISTOFLE. décoré de bas-reliefs représentant des amazones, et une superbe dans l'orfèvrerie un genre pittoresque, qui a trouvé des imita- pièce décorative figurant un char traîné par des chevaux teurs, mais qui, malgré le talent qu'il y a dépensé, nous semble marins, et conduit par des tritons. très peu approprié au métal. Cet Alsacien était grand chasseur Fauconnier, dont la réputation date également de la Restau- et grand marcheur : il explorait sans cesse les Vosges et les ration, fut un véritable artiste. En grand vase, commandé par le montagnes de la Forêt-Noire, et il cherchait dans le paysage de roi Charles X, pour être offert en cadeau au sultan, et une son pays des motifs qu'il pût traduire avec l'or ou l'argent. autre pièce du même genre, offerte par souscription au général Il n'existait alors aucun précédent pour ce genre, dont il est bien Lafayette, sont ses principaux ouvrages. Trop amoureux de son réellement le créateur. Les biches, les cerfs, les sangliers, étaient art pour être bien habile à gérer ses affaires. Fauconnier fut pris sur le vif : il obligeait le métal à se faire paysagiste, en sorte souvent en perte avec de grands travaux, pour lesquels il que les branches et les broussailles, se mêlant aux cornes et aux employait toujours les plus habiles collaborateurs, et qui souvent pattes des animaux, produisent quelquefois une certaine confu- lui revenaient plus cher qu'ils ne pouvaient lui rapporter. sion dans l'ensemble ; mais il rachetait tout par l'ingéniosité de II mourut pauvre, laissant à ses neveux, les frères Fannière, l'invention, le charme de l'agencement, la finesse du mouvement, l'héritage de son beau et consciencieux talent. la délicatesse exquise du travail. Kirstein, orfèvre alsacien de la même époque, a introduit Ces sujets pittoresques, qu'il traitait toujours en demi- LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. 9- relief, lui servaient à orner des tabatières, des broches des goût charmant, et en fait d'orfèvrerie religieuse, diverses œuvres ou : médaillons. Ses chasses et ses groupes d'animaux étaient toujours du meilleur style, parmi lesquelles je me contenterai de citer fort petits et travaillés avec une incroyable minutie. Malgré tout l'ostensoir de la chapelle du pape, un autre, de style byzantin, les le talent qu'il a dépensé dans des pièces de ce genre, l'esprit offert par la reine Marie-Amélfe à la cathédrale de Cologne, de la même conçoit avec une certaine répugnance des forêts et des feuillages deux reliquaires de la Madeleine et le bel ostensoir en relief exécutés avec du métal, et si Kirstein n'avait jamais fait église. » cité inconnu de se faire un nom dans la autre chose, il serait peut-être pour la bizarrerie de son S'il est difficile à un encore de maintenir entreprise, mais il ne serait à l'est coup sûr pas compté parmi les production artistique, il peut-être plus a l'habi- maîtres de l'orfèvrerie française. Chose singulière, cet homme, un nom déjà célèbre à la hauteur où l'opinion publique qui a toujours rêvé d'être celui dirige un novateur, ne s'est jamais élevé si tude de le placer. M. Emile Froment-Meurice, qui dans difficulté haut dans son art que un grand cette vase lequel il a aujourd'hui la maison, a dû connaître plus que pour observé rigoureusement le style classique alors en vigueur. Ce tout autre, puisqu'à la mort de son père il était trop jeune pour lui fallut en vase, où l'on sent en plein le goût qui a dominé en France, sous pouvoir diriger personnellement la maison et qu'il la Restauration et sous la monarchie de Juillet, est certainement à son quelque sorte prendre d'assaut la haute position attachée avaient une des plus belles pièces d'orfèvrerie et si hésitations que l'on ait faites à cette nom. Il y est parvenu pourtant, quelques elles ont époque. Le bas-relief sa qui court tout autour de la panse repro- accompagné le début de carrière, disparu complète- de Nous si duit la célèbre composition de Thorwaldsen sur le triomphe ment après sa belle exposition 1878. ignorons les du prati- d'Alexandre. M. Froment-Meurice possède qualités personnelles et Kirstein, qui s'était formé lui-même par le travail et l'obser- cien, mais il possède au plus haut degré celles de l'inspirateur à une élé- vation, résolut de donner à son fils une instruction artistique très directeur. M. Froment-Meurice joint l'imagination chacune de ses soignée. Mais celui-ci, qui s'est fait pourtant une certaine dans répu- gance naturelle dont on retrouve la trace sorte. Nous avons tation comme orfèvre, a par la suite abandonné la profession de productions et qui les signe en quelque n'exclut la son père, pour se livrer à peu près exclusivement à la statuaire. affaire en lui à un délicat chez qui la fécondité pas et Au règne de Louis-Philippe répond dans l'orfèvrerie une finesse. Il a résolu le problème difficile de produire beaucoup période de tâtonnements et de transformations. Froment-Meu- bien. et de délicieux rice, l'orfèvTe le plus illustre de ce rien de frais plus temps, mérite que nous nous On ne peut imaginer plus le roi Cette de arrêtions un moment sur ses antécédents et le rôle particulier que l'aiguière exécutée pour d'Espagne. aiguière d'une de qu'il a eu dans les arts. Ceux qui aiment à voir les traditions d'art cristal de roche montée en vermeil et ornée guirlande émaillés est faite le et de goût se perpétuer dans une famille suivront toujours avec fruits de perles fines à feuillages d'après intérêt les expositions de M. Froment-Meurice, dont le nom est, dessin de M. Henri Cameré. candélabres en ciselé forment depuis un demi-siècle, une des gloires de l'industrie parisienne. Une pendule et des argent Cette Le fondateur de la maison, François Froment, ayant appris fort un ensemble plein de détails excessivement intéressants. pendule et ces candélabres, faits d'après un dessin de M. Ca- jeune le métier d'orfèvre, obtint, en 1798, une médaille de les M. Dous- mérite et, encouragé par ce succès, il vint s'établir à Paris meré et exécutés par M. Lafrance pour figures, par au duc d'Aumale et l'année suivante. Il parvint à s'y faire un nom et comptait déjà samy pour l'ornementation, appartiennent de parmi les orfèvres en réputation quand la mort vint le surprendre sont destinés au château Chantilly. un ostensoir de en 1802. Il laissait un fils d'un an, et veuve s'étant remariée L'orfèvrerie religieuse était sa représentée par l'enfant vermeil, orné d'émaux et de diamants, destiné à orfèvre du nom de Pierre-Jacques Meurice, l'église de avec un une croix traité par lui comme un fils voulut joindre le nom de son beau- Notre-Dame du Sacré-Cœur d'Issoudun; par pectorale, au Pie IX père à celui de son père. Bien que la maison offert eût pris déjà une style roman, et par un anneau pastoral pape extension à cette époque, ce fut François Froment- par le diocèse de Genève. Sur le grande chaton, M. A. Meyer a exécuté en émail. Les la tiare et l'écu du Meurice qui acquit la grande célébrité aujourd'hui attachée à le portrait de saint Pierre clefs, forment des motifs d'ornementation dont on a su fort habi- ce nom. pape de la sainte en or Parmi ses œuvres capitales, on rappeler un bouclier lement tirer parti. Une statuette peut Vierge, en élevée sur un socle d'argent qui a figuré à l'Exposition de 1844 et qui est resté émaillé, avec mains et visage agate rosée, tout à fait dans célèbre dans l'histoire de l'orfèvrerie de cette époque. Il repré- monté en vermeil, mérite une mention spéciale sentait les quatre phases principales de la vie du cheval, l'état le groupe des objets religieux. chasse les nous des offertes sauvage, la guerre, la et courses civile par : au centre, un Nep- L'orfèvrerie présentait coupes tune en haut-relief était représenté domptant ses chevaux le ministère de l'agriculture, la société hippique, etc., une et un un marins. Ce bouclier de est devenu la propriété de l'empereur de coupe taillée en forme coquillage portée par dauphin, Russie. En 1849, surtout de table, exécuté pour le duc de cadre en argent ciselé au repoussé, un bassin d'argent style Luynes, dans lequel remarquait onze figures en ronde Louis XVI, un surtout de table de et on style rocaille, une parure de etc. bosse, représentant des personnages mythologiques, et plus tard style romain, un pendant cou, etc., Froment-Meurice avait un encrier le nom de en or qu'il fit pour le pape, une épée d'honneur pour Sous Louis-Philippe, avoir incarné le général Cavaignac et plusieurs grandes pièces de genres très tellement absorbé l'opinion publique qu'il semble différents mirent le comble à sa réputation. « Froment-Meurice, en lui l'orfèvrerie française. Cependant Morel et Duponchel ne leur œuvre soit très considé- dit M. Ferdinand de Lasteyrie, s'essaya avec un égal succès doivent pas être oubliés. Quoique leur illustra- dans presque tous les genres d'orfèvreiûe et de bijouterie. On rabie, la plupart des pièces qui ont fait autrefois lui doit un» nombre infini de pièces d'argenterie de table d'un tion sont oubliées aujourd'hui. Leurs tendances pittoresques. L'ORFÈVRERIE. 93 soutenues par une très grande habileté d'exécution, auraient d'ail- j chasse au sanglier, dans une forêt de la Lithuanie, au xiii® siècle : leurs pu, si elles avaient été suivies, entraîner l'orfèvrerie dans une ; les chiens lancés sur le sanglier, et le garde sonnant du cor voie qui n'est pas sans danger. Un surtout de table qui figurait | étaient pleins d'animation et bien conformes au goût de l'époque. à l'Exposition de 1849 ^ excité un grand enthousiasme et sou- | Les candélabres affectaient la forme de sapins, hissés sur des levé quelques critiques. La pièce du milieu représentait une | rochers, et la lumière scintillait sur leurs rameaux chargés de SALIÈRE, PAR CHRISTOFLE. givre ; les seaux à glace étaient entourés d'ours blancs escala- des grandes expositions universelles, a été un triomphe pour dant les glaçons et combattus par des chasseurs : le tout, dit le l'orfèvrerie française. Ce triomphe, qui s'est renouvelé à plusieurs rapporteur du jury, était exécuté au repoussé. reprises, a été complet en 1878; la maiso.n Christofle et G'" Les troubles qui ont suivi la révolution de 1848 ont jeté notamment s'est montrée sans rivale. une certaine perturbation dans les industries d'art, mais elle n'a C'est en vulgarisant les procédés inventés par MM. Elking- été que momentanée. Le second Empire, qui a vu surgir l'ère ton et Ruolz, que le nom de Christofle est devenu populaire en SALIÈRE, PAR CHRISTOFLE. France. Au point de vue de l'industrie, c'était rendre au pays f fabrication. Ils ont en même temps cherché des procédés nou- un véritable service que de faire pénétrer dans les ménages veaux, et perfectionné de plus en plus la production artistique. modestes l'usage d'une argenterie élégante, réservée jusqu'alors Avant d'arriver à leur magnifique exposition de 1878, nous aux classes opulentes. I croyons devoir citer un extrait du rapport des jurys de l'Union En continuant à marcher dans la voie si bien tracée par le centrale des beaux-arts appliqués à l'industrie, au sujet des pièces fondateur de la maison, M. Paul Christofle, son fils, et M. Henri qu'ils avaient montrées en 1876 aux Champs-Elysées : «Rappeler Bouilhet, son neveu, ont élevé singulièrement le niveau de leur i les succès de cette maison, dit le rapporteur, décrire ses œuvres hors LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. ligne, c'est refaire le catalogue des expositions dernières, c'est déroule une frise peinte sur un fond d'or ciselé, et représentant expliquer ce que tout le public intelligent connaît, et a fortiori la marche triomphale des nations apportant au chef de l'Église ce que savent mieux que moi ceux qui m'e'coutent ici. — Mais les volumes où sont contenues les vérités qu'il a promulguées. dire que ce mouvement s'est opéré en moins de quinze ans, —^ Cette frise, due à M. Lameire, est d'un style vraiment monu- que d'une fabrication toute industrielle et pratique où les agents mental, et d'une surprenante grandeur comme allure. Elle cons- chimiques tenaient la première place, les chefs intelligents de titue une des pièces capimles de l'exposition. cette usine ont su tirer une production jeune, robuste et tout à Au surplus, toutes les parties de ce meuble, auquel Carrier- fait originale et charmante, c'est faire d'eux un rare éloge et Belleuse et Jacquemart ont collaboré pour la sculpture, sont leur rendre un honneur bien dû. extrêmement remarquables, si on les considère séparément. Et « Fondre le métal ou le repousser, voilà la base de tout cependant l'ensemble ne produit peut-être pas tout l'effet travail d'orfèvrerie ; le décorer de ciselure, de filigrane, de gra- qu'on en pouvait attendre : il accuse des tâtonnements, des vure, de nielles ou d'émaux, en est, et en a toujours été le com- hésitations bien naturelles d'ailleurs dans une pièce de cette plément obligé. taille et de ce caractère. C'est à la fois un monument et un bijou, « A ces ressources, si simples en apparence et si multiples en sorte que les préoccupations de l'orfèvre viennent quelquefois dans l'application, MM. Christofie et Bouilhet ont su mêler gêner la conception architectonique. Les émaux, les médaillons, d'autres procédés empruntés aux Japonais d'une part et de les écussons, sont semés à profusion, comme les pierres pré- l'autre aux merveilles de la science moderne, l'émail cloisonné cieuses, sur un objet en or de petite dimension, mais ici cette aux couleurs vibrantes et harmonieuses, les patines variées du surcharge d'accessoires, qui vient rompre les grandes lignes, ôte bronze et de l'argent, la gamme des ors du vert au rouge, etc. au monument l'ampleur que le sujet comporte, d'autant plus «Ajoutons que des artistes comme MM. Reiber et Rossigneux, que ces accessoires semblent en quelque sorte rapportés, posés — des émailleurs comme M. de Courcy, leur apportaient un après coup et ne font pas positivement corps avec le monument. concours empressé. — Faut-il s'étonner alors d'un si prompt Dans la même exposition on remarquait un meuble à bijoux succès, d'une métamorphose si complète? style Renaissance. Ce meuble en forme de cabinet est monté sur « Et, tout en créant des œuvres originales, cette maison deux colonnes et deux pilastres ornés de chapiteaux et appliques s'applique à la vulgarisation des types anciens. En 1869, elle de bronze doré. Il est fermé par une porte ornée d'un panneau nous rendait ces beaux spécimens de l'orfèvrerie des Romains, de bronze à jour encadrant un émail translucide et recouvrant identiquement rétablis par la galvanoplastie d'après les types un coffret en acier damasquiné et des tiroirs incrustés d'ivoire. trouvés à Hildesheim. — Aujourd'hui elle propage les formes Sur le côté sont deux panneaux fermant deux armoires à secret. amusantes et neuves des vases de la collection Cernuschi. — Ce meuble, composé et dessiné par M. Rossigneux, architecte, Les reproduire par les procédés chimiques était facile, mais ce offre un spécimen de toutes les ressources que l'art de l'orfè- qu'il faut admirer, c'est la copie parfaite des chaudes patines qui vrerie moderne possède pour décorer un meuble précieux : les colorent et qui doublent leur charme. Copier avec cet ciselure, incrustations, damasquinure, émail cloisonné, émail esprit, c'est créer à nouveau. » translucide, ors de couleur et bronze patiné. Les deux figures Une pièce d'un caractère tout à fait exceptionnel occupait du cartouche sont de M. Mathurin Moreau et la figure de l'A- le centre de la vaste pièce où MM. Christofie et Bouilhet ont mour vainqueur peint sur émail est de M. Frédéric de Courcy. exposé leurs produits en 1878. C'est une bibliothèque nionu- Dans la grande orfèvrerie d'argent,on remarquait tout d'abord mentale appelée à contenir la collection linguistique des bulles un surtout de table de style Renaissance italienne, appartenant de l'Immaculée Conception et qui est destinée à une des salles du à M. le duc de Santona. Les plus grands noms de la sculpture Vatican ; c'est M. Reiber qui en a tracé le plan. Quoique ina- française se trouvent inscrits parmi les collaborateurs de ce chevée en 1877, elle a été portée à Rome, et offerte à S. S. Pie IX, service hors ligne. Le Triomphe d'Amphitrite^ pièce pour milieu au nom du monde catholique ; Mgr l'archevêque de Reims a de table, a été modelé par M. Mercié; M. Mathurin Moreau est offert, en même temps, la statue en argent de la Vierge de l'auteur des groupes de la Pèche maritime et fluviale; M. Hiolle, Lourdes qui couronne le meuble. des deux pièces représentant un Triton et une Néréide; La forme générale de ce meuble est celle d'une grande table M. Lafrance, des jardinières à fleurs figurant l'Europe, l'Asie, à vitrines, qui mesure six mètres de long sur deux de large, et l'Afrique et l'Amérique, M. Gauthrin des quatre candélabres dont le milieu est formé par un avant-corps saillant surmonté représentant les Saisons. Enfin, on doit à M. Mallet les orne- d'un édicule. La table repose sur trente-deux pieds en bois ments modelés qui décorent les étagères, les compotiers, les d'amarante incrustés d'érable, de poirier et de filets d'ébène ; coupes à fruits, etc. Avec de pareils collaborateurs, on n'est pas ces pieds, pourvus de chapiteaux en bronze doré, soutiennent surpris du charme singulier qu'on éprouve en admirant ce une frise décorée d'écussons, qui forment comme la ceinture du service d'argent dont toutes les pièces sont des œuvres du plus meuble, et sont reliés entre eux par des guirlandes d'églantines grand mérite» en souvenir de l'Églantier de Lourdes. Puis vient un service à thé, style grec, avec plateau de L'édicule central est surmonté d'une coupole, image du bronze incrusté d'or et d'argent. Ce service a été composé globe terrestre, sur laquelle est placée Notre Dame de Lourdes, par M. Rossigneux. Les assiettes, les salières sont en argent exécutée en argent massif, ivoire et émail, d'après un modèle repoussé. Un service à café Louis XVI, modelé par Carrier- de M. Lafrance. L'édicule lui-même sert de cadre à deux tableaux, Belleuse, est à la fois riche et élégant. Il est suivi d'un surtout, peints sur cuivre, et représentant, l'un, le Concile d'Éphèse, où d'un service à dessert de la même époque, et d'un surtout Marie fut solennellement proclamée Mère de Dieu; l'autre Renaissance, aussi de Carrier-Belleuse. l'offrande des bulles à S. S. Pie IX; à droite et à gauche se M. Christofie s'est heureusement inspiré des procédés de L'ORFÈVRERIE. 9^ l'Orient dans un certain nombre de pièces de son exposition. dû à M. Reiber, est montée sur un trépied éléphant. C'est un II n'a pas agi en copiste servile, mais en libre imitateur qui laisse spécimen de style indien. Sur le vase, des animaux fantastiques pleinement carrière à l'esprit d'interprétation de l'artiste. On courent dans des rinceaux bleus, etc. Le style persan est repré- peut citer parmi ces oeuvres dans le style oriental une grande senté par une garniture de trois vases à émaux fond jaune et à jardinière élevé sur un trépied cigogne. Le vase, en émail cloi- garniture de bronze nuancé d'or. Deux très jolis meubles d'en- sonné, est décoré d'oiseaux et de feuilles de châtaignier se déta- coignure, de style japonais, sont encore dus à M. Reiber. Ces chant sur un fond bleu. Une autre jardinière, dont le dessin est meubles sont montés sur un pied en bois de fer garni de bronze noir patiné d'or. Sur le pied est une petite armoire à portes d'ensemble pour l'espèce bovine et l'espèce porcine. Enfin, la bombées. Le tout est couronné par une étagère en ébène. Des prime d'honneur, à laquelle ont collaboré MM. Mathurin Moreau, figures japonaises, des animaux fabuleux et des feuillages forment Rouillard et Mallet, représente l'Agriculture, sous les traits d'un la décoration de ces deux meubles. jeune berger; elle est placée au centre d'une jardinière ornée de Le public, après avoir admiré les belles adaptations de style groupes d'animaux et d'attributs agricoles. oriental que nous venons de signaler, se porte volontiers vers les Comme bronze, une des pièces capitales qui soient sorties modèles des objets d'art donnés en prime dans les concours des ateliers de M. Christofie est le superbe vase connu sous le régionaux par le ministre de l'agriculture et du commerce. Le nom de vase d'Anacréon, et dont la composition est due à prix des fermes-écoles montre une Cérès, sur un socle décoré Emile Reiber. Une ode d'Anacréon, qui décrit un ouvrage grec, de bas-reliefs d'animaux. Une génisse, un taureau et une vache a été le point de départ de ce beau vase. Au bas du panneau, et un groupe de porcs, modelés par M. Rouillard, sont des prix on lit une strophe de l'ode xxxix: « Quand je bois, c'est parfumé / 96 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. des essences les plus et les bras enlace's à ceux d'une l'industrie pourrait au moins trouver toutes les ressources dont suaves; jeune fille, je chante Vénus. » Un dessin de Girodet a été elle a besoin. employé pour la composition du Au panneau central, qui repré- reste, M. Christofle ne s'est pas découragé, et, à défaut Anacréon enlacé dans les bras d'une jeune fille. Mais des de moulage, il a sente employé les excellents dessinateurs de sa maison ; modifications importantes ont été apportées par Reiber à la j'imagine que la dépense a dû être plus forte, mais le résultat de composition primitive, en vue de se plier aux nécessités de la ses reproductions, copiées d'après des dessins pris sous plusieurs décoration. points de vue, est tellement exact qu'il faut vraiment être pré- Il faut aussi appeler l'attention sur les bronzes patinés à venu pour ne pas croire que les pièces qu'il expose sont dues à reliefs polychromes, qui donnent un attrait tout particulier à un procédé mécanique. de MM. Christofle. Ils ont notablement perfectionné Les produits de la maison Christofle sont des variés. l'exposition plus leurs de déposer l'or, l'argent, le cuivre et les alliages. Ils nous montrent ce dont l'industrie peut être capable lors- moyens Plusieurs belles pièces montrent l'importance qu'on peut tirer ; qu'elle comprend sa puissance et ne craint pas de s'élever jus- des alliages au point de vue décoratif ; les tons du bronze, pati- qu'au domaine de l'art; ils nous font voir aussi ce que peut nés artificiellement, mais d'une façon durable, ont atteint une produire une volonté aussi ferme qu'intelligente. qualité qui ne laisse plus rien à envier aux plus belles pièces Dans l'orfèvrerie religieuse contemporaine, nous signalerons anciennes de la Chine et du Japon. Le brun et le noir sont surtout M. Poussielgue-Rusand. L'orfèvrerie religieuse met tout d'une coloration superbe, l'association de l'or vert et de l'or en œuvre, l'or, l'argent, le cristal, les émaux, les et pierres pré- rouge produit dans le décor des effets surprenants et pleins de cieuses ; elle exige une grande expérience de tous les modes de charme. travail : le repoussé, la ciselure, la gravure, le sertissage des Parmi les pièces de cette série il faut citer particulièrement pierres. Elle est, à la fois, orfèvrerie, bijouterie, joaillerie, etc. les deux Japonaises de M. Guillemin, dont la belle patine noire, De plus, la conception des pièces d'orfèvrerie religieuse se heurte brune et est du plus bel effet : la robe et la ceinture de ces à tout autant de difficultés rouge, particulières que l'exécution. On se figures japonaises, destinées à servir de torchères, sont décorées de trouve en présence d'une tradition, et d'une tradition impla- reliefs en argent et or de couleur. Les vases et les services de cable, car le symbolisme chrétien ne s'invente plus et n'est guère table, décorés de fleurs de pêcher, de glycine, de cognassier sur susceptible de se renouveler ; il s'inspire forcément du passé. La fond ou noir, les jardinières et les candélabres, où une forme est byzantine ou romane, gothique ou renaissance, mais rouge branche rouge corail s'unit à des courges d'or sur fond noir, elle ne saurait être grecque et peut bien difficilement être mo- montrent toutes les ressources d'un procédé que je crois appelé derne. à grand avenir. Ce me paraît particulièrement heureux C'est en s'inspirant des précieux restes du un genre moyen âge que dans les décors de style oriental; mais MM. Christofle ne s'en M. Poussielgue-Rusand est parvenu à vaincre les difficultés sans tiennent pas là, et ils ont appliqué le même procédé à un vase nombre que présente l'orfèvrerie religieuse. Son exposition grec composé par M. Chéret, qui représente les Arts décoratifs est vraiment surprenante. Elle réunit tous les genres de l'orfè- couronnés par une Minerve en or et en argent ; les quatre anses vrerie religieuse. La manière de M. Poussielgue-Rusand est du vase sont formées par des enfants portant des attributs. large, on pourrait même dire architecturale. Il se complaît dans M. Christofle a eu l'heureuse idée de reproduire par la gai- 1I les grandes lignes et leur subordonne les détails. C'est même ce vanoplastie les principales pièces du Trésor de Hildesheim. C'est I trait particulier qui le distingue de M. Armand Calliat, un des une bonne fortune pour nos travailleurs, qui peuvent ainsi voir I rares orfèvres religieux que nous ayons à signaler ici. l'orfèvrerie antique à côté des œuvres contemporaines. Ces Parcourons l'exposition de M. Poussielgue-Rusand. Voici pièces, au nombre de vingt-neuf, ont été moulées, à l'origine un ostensoir en argent enrichi d'or de diverses teintes. Les douze de la trouvaille, par M. Kuhstardt d'Hildesheim. Retouchées et apôtres, en plein relief, représentés agenouillés, et avec leurs ciselées, d'après les originaux du musée de Berlin, par M. Schrapp, emblèmes caractéristiques, entourent la base de l'ostensoir. Les chef des ateliers de ciselure de MM. Christofle et Bouilhet, elles instruments de la Passion, ciselés en relief sur des fonds d'émail sont aujourd'hui un des plus grands attraits que nous offre et reliés par des pierres fines, décorent le sol jusqu'à la naissance l'exposition de cette maison. de la tige, où on voit les attributs des évangélistes. En haut de Après avoir reproduit le Trésor d'Hildesheim, M. Chris- la tige, Notre-Seigneur est représenté versant son sang dans le tofle s'était proposé de répandre de la même manière les plus calice, et à ses pieds deux anges agenouillés présentent la légende : belles pièces du fameux Trésor de Bernay, qui est au cabinet Infinem dilexit eos. L'emplacement de l'hostie a la forme d'un des médailles de la grande bibliothèque. Mais il n'a pas trouvé cœur d'où partent les rayons, parmi lesquels sont placés les neuf en Tránceles facilités qu'il avait eues en Allemagne : pour mener chœurs d'anges. Des colombes figurant les âmes des justes con- à bien ce travail, il aurait voulu mouler d'abord les pièces, comme vergent vers l'hostie, et à la naissance de chaque rayon est une il avait fait à Hildesheim ; or les règlements de la bibliothèque fleur de marguerite. Le revers de l'ostensoir diffère de l'autre s'y opposaient absolument. On ne peut pas blâmer un conser- côté en ce qu'au lieu du Christ versant son sang, on voit la Vierge vateur d'exécuter ponctuellement les règlements qu'il est chargé présentant l'Enfant Jésus. Aucun des détails de cette pièce remar- de faire appliquer, et on comprend que si un fabricant avait été quable ne nuit à sà silhouette générale qui est pleine de style. admis à faire des. moulages, dix autres pouvaient venir le lende- Tout se commande, comme dans une œuvre d'architecture. Cet main réclamer la même faveur. Mais la bibliothèque n'aurait I ostensoir est à la fois riche et sévère, fouillé et calme. L'impres- aucune raison pour employer la même rigueur vis-à-vis d'une I sion qu'il produit est celle d'une grandeur indiscutable. collection publique ; c'est ce qui nous fait tant désirer de voir se ! Une châsse en cristal, portée par des personnages et accom- réaliser le projet d'un musée des arts décoratifs, dans lequel i pagnée de deux anges qui tiennent des fanaux, a aussi un aspect VASE DÉCORATIF, PAR CHRISTOFLE. 98 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. architectural saisissant. Elle esfconçue dans le style du xiv® siècle. saint Michel transperce le démon de sa lance victorieuse; quatre 11 est difficile d'interpréter avec plus de goût et d'art, de mieux évêques en buste décorent le montant. s'inspirer d'une époque et de la faire revivre avec plus d'intelli- Une crosse pour un évêque de Versailles décédé (Mgr Ma- gence et de science. bille). L'évêque est représenté à genoux devant saint Pierre. Puis viennent : un tabernacle à porte trilobée surmontée Le prince des apôtres est placé sur son trône ; sous ses pieds le d'une croix, style du xiiP siècle. Le tabernacle est gardé par serpent vaincu cherche vainement à avaler le monogramme du deux anges qui tiennent une lance et un bouclier. Christ. Des émaux placés autour de la crosse représentent saint Un tabernacle de style romano-byzantin orné d'une balus- Jean l'Évangéliste, saint Julien, saint Louis et saint Vincent de trade. La porte émaillée représente le Christ bénissant le monde ; Paul. il est placé sur la montagne d'où partent les quatre fleuves. Un autel de la Vierge, fait d'après les dessins de M. Roynet, L'émail est vert, bleu et or ; en haut une petite croix dans des est conçu dans le style Renaissance. Il est destiné à l'église rinceaux décorés d'oiseaux, de forme archaïque. d'Yvetot. Sa décoration se compose de bronzes, de marbres et Une crosse pour Mgr l'archevêque de Paris, exécutée d'à- d'émaux. Cet autel a été modelé par M. Chedeville. près un dessin de Viollet-le-Duc. Dans le tournant de la crosse, Un autre autel, un autel du Sacré-Cœur, trouvera sa place toute naturelle dans la cathédrale d'Auch. Il est conçu dans le placé l'austérité par le luxe, le grandiose par le raffiné. L'orfèvre style des fameuses stalles du xv® siècle^ avec lesquelles il doit lyonnais est un délicat. La finesse de son outil ne laisse pas s'harmoniser. prise à la moindre critique. Ses œuvres sont charmantes, élé- Parmi les objets de moindre grandeur, il faut signaler : gantes, ravissantes, tout ce que l'on voudra, mais elles ont le tort, Un calice gravé et décoré en ors de couleur. Des médaillons pour des pièces destinées à l'église, de trop faire songer au cof- encadrés de pampres de vigne et de divers feuillages représentent fret capitonné dans lequel on les renfermera soigneusement après l'histoire de la chute et de la rédemption. telle ou telle cérémonie. M. Armand Calliat a raison de dire que Un calice, un ciboire et une burette décorés d'émaux cloi- ses œuvres sont éminemment personnelles, il pourrait ajouter sonnés, dans le style du xiii® siècle, et exécutés d'après les dessins qu'elles sont aussi bien de leur temps. Avec son exposition nous de M. Cuypers, architecte à Amsterdam. nous trouvons en plein art du xix® siècle. Partout l'on retrouve le cachet particulier qui distingue La vitrine d'exposition de M. Calliat, comme le dit celui-ci M. Poussielgue-Rusand et qui lui fait une place à part dans dans son excellent catalogue, est divisée en cinq groupes princi- l'orfèvrerie religieuse. paux. Le plus important contient l'ostensoir de Notre-Dame de M. Poussielgue-Rusand se complaît dans les grandes lignes, Lourdes. L'idée dont l'artiste s'est inspiré est peut-être un peu M. Armand Calliat s'attache avec amour au flni des détails. Ce alambiquée; mais peu importe, puisque le résultat est une dernier est plus moderne, plus fait pour saisir le genre de déco- œuvre charmante. Voici le motif : « L'Immaculée Concep- ration qui convient à nos églises contemporaines, églises quel- tion donnant au monde le Dieu de l'Eucharistie. » Bien des gens quefois douées d'an certain caractère, mais toujours élégantes, seraient très embarrassés en présence d'une semblable donnée ; riches et petites. Les reproductions de M. Armand Calliat sont mais il y a des graces d'état pour les artistes. Puis vient une le complément inévitable d'une dévotion mondaine qui a rem série de reliquaires. Le premier, d'un mètre d'élévation, est en L'ORFÈVRERIE. 99 argent doré. Le pied est porté par quatre griffons ; au-dessus rouge était une pièce tout à fait hors ligne. Mais comme la plu- sont les armes des donateurs, le baron et la baronne d'Aubigny- part des pièces d'orfèvrerie de sa maison se recommandent sur- Uberherrn, de Mgr de Dreux-Brezé, et de S. S. Pie IX. La face tout par les émaux qui les décorent, je me l'éserve d'en parler et les côtés du pied sont ornés de sujets émaillés. Des fleurs de dans le chapitre qui traitera plus spécialement de l'émail. lis forment la décoration du centre de la croix. Le reliquaire, La division du travail, dans l'orfèvrerie comme dans tous appartenant à Notre-Dame de Saint-Étienne en Forez, porte le les arts appliqués à l'industrie, vient compliquer la fabrication, fac-similé de la lettre d'envoi de saint Louis, roi de France. en mettant un obstacle à l'unité de l'œuvre. Le dessinateur Les autres groupes possèdent un magnifique retable de compose l'ensemble, le sculpteur en modèle les figures et les Notre-Dame de Bourg en Bresse, un reliquaire de Saint-Mors, ornements, puis viennent le fondeur, le ciseleur, le polisseur; il de Carpentras, puis des burettes, des calices, des chandeliers, des faut pourtant que l'œuvre semble partir d'un seul jet, qu'elle vases divers, etc. obéisse à une direction unique, et qu'il n'y ait pas de diver- En dehors des grandes maisons dont nous venons de parler, gence entre la manière de voir des coopérateurs. Les incrusta- il faut signaler quelques fabricants qui ne font de l'orfèvrerie tions, les combinaisons entre des matières diverses, le rapport qu'accidentellement, mais qui apportent dans cette branche le des parties qui doivent être mates et de celles qui conserveront ■talent qu'on est habitué à leur voir dépenser ailleurs. Ainsi, tout leur éclat métallique, sont difficilement calculés d'avance M. Boucheron, joaillier et bijoutier de profession, sait aussi se par celui à qui revient la conception première, et le jeu de la montrer orfèvre à ses heures. Son bougeoir en ferrures d'or lumière vient souvent modifier l'idée qu'il se faisait de son œuvre. Le talent du fabricant est de réunir ces éléments divers ; révélé l'existence, et dont le caractère, assez voisin de celui de c'est pour cela que le véritable orfèvre est celui qui connaît à l'école du XVI® siècle, avait cependant un type particulier trahis- fond toutes les parties qui constituent la fabrication. Mais il saut un talent mystérieux et un maître inconnu. Quelques faut aussi qu'il sache faire son choix parmi les artistes qu'il personnes initiées au secret de M. Vechte lui demandèrent de emploie, et il est arrivé plusieurs fois que le succès d'une grande ses ouvrages et l'encouragèrent à se déclarer et à ne plus désa- maison était dû surtout à des pièces conçues et exécutées par un vouer des œuvres dont quelques-unes passaient déjà pour les collaborateur unique. plus beaux ornements de splendides musées. M. Vechte consentit Vechte pourrait en fournir un exemple. Voici comment le enfin à ne plus s'abriter derrière un autre siècle que le sien. » duc de Luynes, rapporteur d'une des sections du jury dans une Le musée du Luxembourg possède deux vases de Vechte. des précédentes expositions, racontait les débuts de cet artiste : L'un, qui devait représenter la Paix et la Guerre, est une repro- « L'orfèvrerie d'art, dit-il, compte en France plusieurs hommes duction en galvanoplastie d'un modèle en plâtre reste inachevé. habiles à concevoir une pensée générale comme à diriger vers L'autre, qui est au contraire très terminé, est une composition un but unique les artistes ou les ouvriers dont ils emploient les inspirée du Paradis perdu de Milton. On peut y voir le talent talents ou le travail ; il n'en existe peut-être en Europe qu'un merveilleux avec lequel l'habile artiste savait passer de la ronde seul capable de composer et d'exécuter lui-même comme faisaient bosse à des reliefs à peine sensibles. Un vase merveilleux, repré- autrefois les maîtres italiens. M. Vechte commença par repousser sentant le Combat des dieux contre les géants, a figuré à l'Expo- des ornements pour les bronziers; il fit ensuite des pièces imitées sition des Beaux-Arts en 1847, et les artistes ont été unanimes de celles de la Renaissance, boucliers, casques de fer, plats pour admirer ce chef-d'œuvre. « Ce vase admirable, dit le duc d'argent, petits vases. A mesure qu'il produisait sans révéler de Luynes, acheté par l'orfèvre anglais Mortimer, figura dans son nom, les antiquaires et les amateurs s'étonnaient de voir l'exposition de ses successeurs au Palais de Cristal; ce fut pour paraître et vendre, à de hauts prix, des objets presque tous au cette œuvre de M. Vechte que le jury international demanda et repoussé, d'un mérite supérieur, dont rien n'avait jusque-là obtint la médaille de première classe décernée à MM. Hunt et LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. 100 Roskell. » Il n'est pas rare dans les expositions universelles de C'est à l'Exposition de 1867 qu'on a vu la fameuse coupe de l'orfè- voir des fabricants étrangers battre les nôtres avec des ouvrages des Courses qu'on pourrait appeler le chef-d'œuvre mêmes artistes ne français dont ils étaient devenus les acquéreurs. vrerie contemporaine, si d'autres ouvrages des citer Vechte est mort en 1868. Mais l'orfèvrerie française possède pouvaient aussi bien mériter ce titre. Nous pouvons parmi aujourd'hui deux artistes de premier ordre qui heureusement les principaux ouvrages des frères Fannière qui ont figuré à l'Ex- travaillent pour leur compte et n'ont jamais songé à mettre au position de 1878 : un service des fabricants étrangers leur talent absolument hors Une coupe donnée comme prix pour concours régional en la décoration de cette coupe est entièrement ligne. vinicole, 1869; Les frères Fannière méritent une place à part dans l'orfè- formée de vignes. une vrerie contemporaine. Ce ne sont pas de grands industriels, des Une coupe de la Loi, que l'on voit personnifiée par sur des chefs d'importantes maisons, des directeurs devastes entreprises, femme placée entre deux enfants. Cette coupe, laquelle comme de recon- la ce sont des hommes modestes, qui dans connaissance prati- noms propres sont gravés, a été offerte, gage à la satisfaction de leur métier comptent parmi les ouvriers les plus habiles, naissance, à une personne qui avait su arranger, que très et évité mais l'art revendique, et a déjà classés parmi les maîtres. des deux parties, une affaire d'intérêt compliquée, que une brouille et un Véritables artisans de la Renaissance égarés dans notre siècle, par là procès. dont le est formé les Fannière ne confient qu'à eux-mêmes le soin de donner Une un coupe du Printemps, support par une fille tenant des fleurs. L'intérieur de la coupe est à leurs inspirations et ils sont leurs corps propres praticiens. jeune décoré un charmant petit groupe représentant une fauvette De là le charme indéfinissable que causent leurs ouvrages, par défend son nid contre un serpent. charme qui réside qui avant tout dans la relation harmonieuse des Une coupe supportée par deux sirènes; l'intérieur parties, et dans cette exécution délicate et savante qui traduit grande le nettement la pensée de l'auteur sans tâtonnements ni hési- est décoré d'un bas-relief représentant Triomphe d'Amphi- trite. Cette coupe appartient à M'"® Blanc. tations. avec bassin à double en Les frères Fannière sont élèves de leur oncle Fauconnier, Une aiguière et plateau, fond, et de forme orientale. La décoration est formée orfèvre plein de talent, et du peintre Drolling. Les deux frères argent repoussé de de plantes d'eau et de petits canards qui se complètent admirablement, l'un s'étant plus particulièrement coquillages, barbotent. voué à la sculpture et l'autre à la ciselure. Leur exposition en décorée de en est une mérite, par le talent et la conscience dont elle témoigne, d'être La pendule lapis, figures argent, véritable œuvre d'art. Le couronnement du monument se com- citée en première ligne. d'une très belle figure représentant le Génie des Arts ; sur Les statuaires apprécieront plus particulièrement le Bellé- pose les côtés, la Poésie et la Musique personnifiées. rophon combattant la Chimère^ beau groupe en argent, offert Un à tabac, dont la décoration est entièrement faite d'un pot comme prix de courses au comte de Lagrange et que plus les avec une de tabac, est on ne peut plus pittoresque ; regrettera peut-être de ne pas voir exécuté en bronze et sur une plante sont formées par une branche dont les feuillages couvrent anses grande échelle pour la décoration d'un de nos jardins publics. la Le plateau est en style moresque, et sur le couvercle, C'est en effet une conception monumentale et vraiment superbe panse. héros on voit un Arabe qui fume. des Le est pour la tournure et l'agencement lignes. repré- salière avec sirènes et un pot à moment où il va lancer son javelot contre le monstre Puis viennent une tritons, senté au bière, de l'Exposition de 1867, un service de style Louis la XV, un qui se roule à terre, la gueule ouverte et menaçante, service à thé de style japonais, un encrier servant de pendule ; tête levée vers l'adversaire qui le serre de près. Pégase se décore l'encrier sur sa tête une boule sur cabre et enlève son cavalier dans un élan vigoureux. Tout un enfant qui porte même de noblesse et laquelle est le cadran. cela est plein de verve, de vie, et en temps Un légumier en argent, décoré de feuillages de chêne et de d'élégance. L'anse est formée avec des cardons et le couvercle Nous retrouvons dans cette exposition un pot à bière en châtaignier. avait attiré est orné d'artichauts et de carottes. argent massif, ciselé, repoussé au marteau, qui déjà est une en acier repoussé, dont le manche l'attention publique à l'Exposition de 1867 où il figurait. C'est Et claymore magnifiquement décoré avec des feuillages, des chiens et de bien le pot à bière allemand, tel qu'on le voit représenté sur les ornements gravures du temps d'Albert riches Diirer, tel qu'on l'emploie encore dans les brasseries d'outre-Rhin. Mais d'un type, Nous pourrions encore ajouter toute la série des bijoux, aujourd'hui bracelets, qui sont autant de petits chefs- dont la forme générale était en quelque sorte imposée par l'usage, broches, épingles, MM. Fannière ont su tirer une œuvre d'art charmante, absolu- d'œuvre. une sorte de à est formée d'une mettent coquetterie ment nouvelle par sa décoration. L'anse tige Les frères Fannière cette travailler exclusivement l'argent, en sorte que c'est toujours la de houblon, dont les racines constituent l'attache ; tige de plus que sa valeur intrin- des ramifications qui courent de chaque côté du vase en valeur artistique l'objet beaucoup envoie un inestimable. chargeant de feuilles et de ffeurs délicatement ciselées et l'en- sèque, qui donne à leurs ouvrages prix se notre revue de l'orfèvrerie lacent de toutes parts. Le même système d'ornementation Nous avons tenu à terminer se les de retrouve dans le couvercle, qui se soulève par une petite figurine. française par ces deux éminents artistes, que gens goût à considérer comme les pre- Un mulot, l'hôte habituel des houblonnières, divers insectes, de tous les pays sont unanimes et habituellement le houblon, miers dans leur profession, et dont les ouvrages sont destinés de l'espèce de ceux qu'on trouve sur chefs-d'œuvre de l'art détachent relief et viennent rompre les lignes sinueuses de à être placés au premier rang parmi les se en la végétation contemporain. L'ORFÈVRERIE. 10 I Angleterre. — Depuis Henri VIII, l'Angleterre n'a pas analogue. Il faut ajouter que pour la partie technique de la cessé de mettre dans la circulation un nombre considérable de profession, pour les procédés employés, pour la monture et pièces d'orfèvrerie. Parmi les ouvrages les plus remarquables l'ajustage, l'orfèvrerie anglaise n'est surpassée par celle d'aucun exécutés sous la Renaissance, on cite une coupe! en forme autre pays. Mais si nous voulons apprécier ces produits au de calice donnée par la reine Elisabeth à la corporation des point de vue de l'art et du goût, nous sommes obligés de juger orfèvres de Londres. La révolution de 1649 porté qu'un les choses différemment. coup momentané à cette fabrication et, comme la richesse « L'Angleterre, dit M. Ferdinand de Lasteyrie, est toujours nationale a toujours été en croissant depuis cette époque, la restée, à travers les révolutions, le pays conservateur par excel- pratique de l'orfèvrerie n'a jamais cessé de suivre une marche lence. On y trouve encore un certain nombre de ces grosses pièces d'argenterie, comme chez nous Louis XIV en fit tant faire gné la matière. Mais du style, du goût, il n'y en a pas trace. qui ne survécurent malheureusement pas à son règne. De C'est du Louis XIV sans grandeur, du Louis XVsans esprit et sans grandes richesses d'orfèvrerie se trouvent accumulées en Angle- originalité. Le retour a des formes plus châtiées ne se manifeste terre entre les mains des corporations municipales ou indus- que bien tardivement et surtout bien incomplètement en Angle- trielles, dont tout le monde sait quelle est la puissante organisa- terre, sous l'influence ultra-classique du sculpteur Flaxmann. » tion chez nos voisins. J'ai déjà eu l'occasion de citer Norwich, Les formes générales et le système ornemental adopté au parmi les villes les plus riches de ce genre. Bristol, Bath, York, xvii® et au xvia" siècle, pour les pièces d'orfèvrerie, sont à peu Doncaster, ne le sont guère moins, et les corps de métiers de près les mêmes en France et en Angleterre. Seulement la forme bien des villes, ceux de Londres surtout, pourraient au besoin générale est moins élégante en Angleterre et l'ornement est plus rivaliser avec elles. Gomme richesse, comme luxe d'apparat, cela maigre. représente beaucoup ; comme valeur d'art, à peu près rien. L'orfèvrerie anglaise du xviii® siècle présente une certaine L'orfèvrerie anglaise, pendant tout le xvii® siècle, et presque uniformité» Les cafetières à manche d'ivoire montrent invaria- jusqu'à la fin du xvm®, n'a guère en effet qu'une qualité incontes- blement un goulot en bec d'oiseau terminé en feuille et prenant table; c'est cossu, c'est bien établi ; on voit qu'on n'a pas épar naissance dans un cartouche d'enroulemènts et de fleurs qui se 104 LE METAL DANS LES TEMPS MODERNES. continue sur les côtés. Nous nous rappelons, dans la collection Les rapports industriels et commerciaux entre la France et de San Donato, une théière à anse mobile, en argent repoussé, l'Angleterre avaient été complètement interrompus pendant tout dont le travail, excessivement riche de détail, était pourtant d'une le temps de la Révolution. Quand ils se rétablirent sous la remarquable pauvreté décorative. Le goulot, terminé en tête de Restauration, le goût anglais fit un moment invasion dans cygne, se rattachait au ventre par une série d'ornements d'une notre orfèvrerie. Mais cette irruption d'un style étranger saillie toujours égale, représentant divers feuillages mêlés à des ne fut pas de longue durée, et lorsque, en ] 852, les deux nations chiffres ou à des lettres. Un pigeon forme quelquefois le motif se mesurèrent sous le rapport du travail, il fut aisé de constater qui décore le couvercle des boîtes à thé de cette époque. que le style en vigueur était complètement différent des deux Nous pourrions encore citer, comme travail anglais, une côtés de la Manche. La supériorité était très grande de notre théière et un pot à crème en argent repoussé et ciselé, avec décor côté, mais l'orfèvrerie anglaise a singulièrement progressé depuis de guirlandes, roses, œillets, chrysanthèmes, etc., fond grain- cette époque, comme on a pu le constater en 1878. dorgé. Le goulot de la théière se termine en tête de grue. A l'exposition de i855, on a beaucoup remarqué un surtout de table exposé par MM. Hunt et Roskell, et dont la composi- beau bouclier, décoré de sujets tirés du Pa7-adisperdu de Milton, tion était entièrement due à un artiste anglais, Joseph Brown. figurait, en 1878, dans l'exposition de cette importante maison. Ce surtout de table était destiné à la corporation des orfèvres, en MM. Elkington sont les auteurs du beau service d'orfèvrerie sorte qu'il prenait le caractère d'une pièce officielle et historique. placé dans la salle à manger du pavillon du prince de Galles, à Richard II, concédant à la compagnie sa charte d'incorporation, l'Exposition de 1878. Le prince leur a fait la commande d'un occupait le centre de la composition, et des petits groupes dis- vase qu'il destinait à être offert en prix pour les courses de Long- posés autour du socle indiquaient les diverses opérations de l'ex- champs : c'est une coupe à bords échancrés, soutenue par un traction, de l'affinage des métaux précieux. L'un des bouts de dragon aux ailes éployées qui sert de pied. La Déesse de la table représentait la Science et l'autre la Charité. guerre, entourée de génies, forme le motif central de la décora- M. Hancock, dont on se rappelle un superbe vase représen- tion de la panse du vase, dont l'anse est formée par une femme tant la fameuse rencontre du camp du Drap-d'Or, et M. El- gracieusement cambrée. Cette pièce, exécutée en argent kington, qui s'est fait connaître par ses procédés d'argenture repoussé et ciselé, est une de celles qu'on a le plus remarquées électro-chimique, sont à la tête de l'orfèvrerie anglaise contempo- dans l'exposition de MM. Elkington. raine. Un de nos plus habiles ciseleurs français, M. Morel- L'Exposition de 1878 nous a fait faire ample connaissance Ladeuil, est aujourd'hui attaché à la maison Elkington, et son avec un orfèvre de New-York, M. Tiffany, dont les produits ont io6 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. )oui¡d'an grand succès auprès du public. M. Tiffany demande lui donne, dans l'application si recherchée à l'heure qu'il est beaucoup aux Japonais. Il a eu le bonheur de pouvoir les étudier des procédés de l'extrême Orient, une certaine avance sur nos sérieusement avant nous à l'Exposition de Philadelphie, ce qui orfèvres. Il doit aux Japonais une variété infinie de formes et de POT A CRÈME, ARGE.NT REPOUSSÉ. TRAVAIL ANGLAIS. XVII^ SIECLE. motifs plus ingénieux, plus imprévus et plus décoratifs les uns d'opposition ou d'harmonie pleins d'originalité. M. Tiffany ne que les autres ; il leur doit encore l'art de mélanger les métaux s'est pas borné au Japon dans ses travaux, l'Inde l'a souvent et de faire produire à leurs heureuses combinaisons des effets admirablement inspiré, comme le montre le superbe service à thé de son exposition. Les pièces qui ont emprunté leurs motifs de vue du goût. Quoi qu'il en soit, M. Tiffany est un des de décoration au pays de M. Tiffany sont moins recommanda- orfèvres artistes à qui appartient l'avenir ; c'est un chercheur bles. Elles témoignent d'une grande habileté chez les artistes qui heureux, et le succès qu'il a obtenu à notre grande Exposition les ont inventées, mais laissent un peu à désirer au point est parfaitement légitime. L'ORFÈVRERIE. O rient — . La réunion d'objets indous qui forment la Icol- pays, on peut dire que la France en particulier n'avait aucune lection du prince de Galles était assurément une des plus grandes notion des principes constitutifs de son art et de son industrie. curiosités de l'Exposition universelle. Depuis vingt ou trente ans, La collection du prince de Galles a donc eu pour résultat d'où- la Chine d'abord et ensuite le Japon ont été l'objet d'études spé- vrir devant nous des horizons absolument nouveaux et l'excellent ciales qui nous ont fait connaître la tournure que prend l'art volume publié par le docteur George C. M. sous le dans ces deux Birdwood, pays. Mais l'Inde proprement dite avait toujours titre de Manuel de la section des Indes britanniques, est le été négligée, et avant le voyage du prince de Galles dans ce guide que nous devons suivre ici tout naturellement, en abordant Ctf aotr-rz^^TLC pièce d'argenterie, xvii® siècle. (jiadras.) collection de s. a. r. le prince de galles. un sujet complètement nouveau pour nous. Constatons d'abord étymologique, et qu'il n'est maintenant employé que pour dési- la différence énorme qui sépare les industries européennes de gner l'opération par laquelle on convertit, au moyen des celles de l'Asie. machines, les matériaux bruts en articles propres à l'usage de « Il est impossible, dit le Manuel de la section des Indes l'homme... Dans l'Inde, tout, quant à présent du moins, est tra- britanniques, dans une description des industries de l'Inde, vaillé à la main, et chaque objet, jusqu'aux jouets des prix les de suivre la classification adoptée aux expositions universelles plus modiques et aux vases de terre, est une œuvre d'art. D'un européennes des arts et de l'industrie, basée comme elle l'est sur autre côté, il est impossible de mettre l'art décoratif indien, qui cette large et infranchissable barrière qui doit séparer l'art de procède d'une tradition morte, bien qu'il soit parfait dans la l'industrie, lorsque les produits industriels ne sont plus des forme, sur le même rang que les arts vivants et progressifs d'Eu- ouvrages faits par la main de l'homme, mais fabriqués à l'aide rope, où s'affirme la science d'invention et de création du de machines. C'est ainsi que le mot même de manufacture est véritable poète, agissant spontanément d'après sa arrivé propre inspi- en Europe à perdre toute trace de son véritable sens ration, science qui constitue ce qu'on appelle les beaux-arts. no LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. L'esprit artistique se trouve partout aux Indes à l'e'tat latent ; il inaccessibles; puis l'art indou, et enfin cet art qui est résulté de ne lui manque que la mise en œuvre et l'étincelle de la vie... Il l'infiuence des arts arabe et persan sur l'Inde. Malheureusement est indispensable aussi de considérer que nous avons dans l'Inde aussi les collections indiennes deviennent à chaque exposition plusieurs variétés distinctes indigènes dans l'art décoratif : nous successive de plus en plus encombrées d'articles métis; résultat avons les arts sauvages des tribus primitives de la péninsule, de l'influence de la Société anglaise, des écoles de missionnaires, qu'on ne rencontre plus maintenant que dans les parties les plus des écoles d'art et des expositions internationales de l'art indien ; mais, surtout, l'ésultat de l'irrésistible énergie et de la puissance théières, en presse-papiers, en pièces capitales ; c'étaient, à leurs manufacturière des villes de Manchester, Birmingham, Paris et yeux, les plus rares présents qu'ils pussent mettre aux pieds du Vienne. Aucune collection des Indes n'a accusé d'une manière prince. » aussi flagrante la grandeur et les progrès de ce mal que l'exposi- La collection du prince de Galles, en nous révélant des tion des présents faits au prince de Galles. On désirait faire à trésors inconnus jusqu'ici, nous a montré que cet art appartenait Son Altesse Royale tous les honneurs possibles; les chefs et au passé et que les imitations plus ou moins bâtardes de nos pro- princes indigènes, dédaignant en beaucoup de cas l'art de leur duits européens allaient, dans un avenir très prochain, remplacer pays, avaient fait exécuter en argent massif des copies littérales les pièces si originales dont nous avons vu les derniers échan- des plus nouveaux modèles de Birmingham, consistant en tillons. Indépendamment des armes, qui formaient la plus belle LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. partie de la collection, mais dont nous n'avons pas à nous on les trouve un peu partout et les ouvriers de l'Indoustan sont occuper maintenant, de superbes pièces d'argenterie, dans sous ce rapport d'une incroyable habileté. lesquelles les pierres précieuses et les perles fines se mêlent au L'art de l'orfèvre et du bijoutier remonte dans les Indes à filigrane, des sacs brodés d'or et de pierreries, des plateaux la plus haute antiquité, et il serait assurément téméraire d'assi- émaillés d'une incroyable richesse, montraient les productions gner une date à ses débuts. Mais la décoration des pièces de l'art ancien à côté de celles de l'art moderne. Les émaux de d'orfèvrerie aussi bien que celle des bijoux s'exécute en quelque Jeypore sont particulièrement renommés. Quant aux filigranes. sorte machinalement et sans autre enseignement qu'une tradi- tion transmise du plus vieux au plus jeune depuis un nombre Vizianagrani et Visagapatam, qui font bien ressortir le caractère indéfini de siècles. « Les annales les plus primitives, dit le prédominant des ouvriers indigènes qui travaillent les métaux Manuel de la section des Indes britanniques^ les épopées précieux; ce qui les caractérise, c'est la manière dont ils travail- nationales, les sculptures et les peintures anciennes représen- lent un bloc de métal en apparence absolument insuffisant, et tent la bijouterie indoue, la vaisselle d'or et d'argent, la poterie arrivent à le transformer en une surface étendue couverte commune et les instruments de musique, absolument sous les d'ornements, par un battage qui donne au métal la ténuité d'un niêmes formes que nous les foyons à présent, et les descriptions tissu de papier, sans pour cela diminuer en rien sa solidité qui en sont faites concordent exactement avec ce que nous possé- effective. Par leur habileté consommée, par leur connaissance dons actuellement. Après la bijouterie archéologique d'Ahmeda- parfaite et leur exacte appréciation de l'ornementation conven- bad, les plus beaux bijoux de l'Indoustan, et du style indou le tionnelle des surfaces, ils savent donner au métal, sous le plus plus pur, sont les bijoux en or battu de Savantwani, IMysore, petit volume possible, et à des pierres absolument dénxiées de L'ORFÈVRERIE. valeur au point de vue commercial, la plus haute valeur artis- « Au Japon, dit A. Jacquemart, la damasquinure s'applique tique qu'il soit possible de leur donner, sans jamais violer, même au fer fondu et forgé, au bronze, et concourt souvent à des tra- dans les plus minutieux travaux de détail, les principes fonda- vaux tellement fins qu'on les classerait bien plutôt parmi la mentaux du dessin d'ornementation, et toujours ils arrivent à bijouterie que dans les bronzes. Dans l'Inde il en est de même : plaire, même par des effets d'un luxe quelquefois barbare et la damasquinure et les nielles se réunissent pour l'embellissement exagéré. » des coupes élégantes, des boîtes à bétel et d'une foule d'autres Un des côtés les plus caractéristiques de l'orfèvrerie orientale produits rivaux des armes merveilleuses du même pays ; et cet c'est la damasquinure, qui est pratiquée dans la Turquie, la art de damasquinure s'est maintenu avec une telle persistance, Perse, l'Inde, et même dans l'extrême Orient. que les dernières expositions universelles nous ont montré des FLAMBEAU ARABE EN CUIVRE INCRUSTÉ D'ARGENT, XV® SIÈCLE. (COLLECTION DE M, LE BARON GUSTAVE DE ROTHSCHILD.) coffrets variés de forme, en fer, entièrement couverts au dedans éclatant; d'autres fois il forme relief et se trouve ciselé avec une et en dehors de végétations multiples en or d'une incroyable perfection inouïe ; il arrive même que, sur ce travail distingué, richesse. Ce travail s'exécute à Kosli, au Bengale, et se vend à l'artiste détache encore des alvéoles où viennent s'insérer des un prix incroyable de bon marché. rubis en cabochons qui rehaussent le blanc de l'argent et rendent « Il est d'ailleurs un genre de damasquinure spécial à l'Inde la damasquinure rivale de la plus belle orfèvrerie. On trouve et dont l'effet est des plus artistiques : nous voulons parler des ainsi des bouteilles, des aiguières, des coupes dont quelques- incrustations d'argent sur un métal noir, mat, très cassant, qui unes paraissent remonter à une époque ancienne. paraît être composé en grande partie de nickel; sur ce fond « La damasquinure persane n'est pas moins riche que celle absorbant les artistes jettent les réseaux arabesques, les fieurs de l'Inde; comme elle, indépendamment des armes, on la trouve ornemanisées, les frises du style le plus élevé ; souvent l'argent appliquée sur des objets en fer d'une extrême élégance; mais où arase la surface et se détache par la seule puissance de son blanc 1 elle se montre sous ses formes les plus variées, c'est dans les i5 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. grands plats dits vases de Chine, dont il a été question déjà, et beaux flambeaux en cuivre dont l'exposition rétrospective du dans les flambeaux, porte-torches et autres ustensiles du culte, Trocadéro, en 1878, nous a montré de si merveilleux modèles. comme les lampes votives, ou encore dans les coupes à boire, Nous pourrions citer comme exemple deux superbes flam- miroirs et autres objets symboliques ou cabalistiques. » beaux arabes, appartenant à M. le baron Gustave de Rothschild La multiplication des ornements serrés et pressés les uns et qui ont figuré à cette exposition. Ces flambeaux, qui datent du contre les autres est un des caractères de Fart décoratif des XV® siècle, sont en cuivre incrusté d'argent. Leur forme est celle Arabes, mais si riche en détails que puisse être leur ornemen- d'un vase renversé, d'où s'échappe la tige destinée à porter le tation, elle ne présente pas le caractère de confusion qu'on a luminaire. Dans l'un des deux, la décoration est formée par de quelquefois reproché aux Indou^ Les petits dessins tirés de la grands caractères d'écriture qui se succèdent tout autour de la flore ou présentant des combinaisons géométriques sont assez pièce, sur laquelle les incrustations d'argent dessinent les plus généralement semés sur un fond, et ils servent la plupart du gracieux entrelacs. L'autre est orné de médaillons polylobés, temps d'accompagnements pour des inscriptions en lettres arabes formés par une double corde qui passe de l'un à l'autre en s'en- roulant sur elle-même et dans lesquels sont des cavaliers. On sait en effet que la prescription d'après laquelle les musulmans ne doivent pas représenter d'êtres animés n'a jamais été observée bien rigoureusement par les Arabes, qui, dans maintes occasions, ont fait entrer des animaux et des figures dans leur système ornemental. C'est à Damas que l'on fabriquait ces belles lampes de mosquées, si recherchées aujourd'hui par les amateurs et dont nous avons vu à l'exposition rétrospective du Trocadéro de si merveilleux échantillons. Des inscriptions circulaires en grands caractères portent les titres des sultans qui ont consacré la mosquée, et s'encadrent dans de gracieuses arabesques rehaussées d'or. « La Perse, l'Asie Mineure, et même la Tur- quie, dit A. Jacquemart, sont les contrées privilégiées pour le travail du métal repoussé; c'est de là, on le sait, qu'est venu chez nous l'emploi de la bouilloire et de ces cafetières appelées d'abord du Levant. Nous avons vu des buires persanes élégantes avec leur plateau, où les godrons, les palmes saillantes avaient reçu le rehaut de touches d'émail bleu pâle imitant un semé de turquoises; d'autres, où le rôle de l'émaillerie, plus important encore, complétait la décoration délicate faite au marteau par l'artiste. De grands bassins, analogues aux braseros de l'Europe, servent à contenir le feu sur lequel le café est entretenu constam- ment chaud pour le service des visiteurs. C'est dans les buires à bassin couvert d'un obturateur et qui servent pour les ablu- tions avant et après le repas, qu'on rencontre les merveilles du genre; il en est qui, encadrées de godrons dans leurs parties principales, ornées de bandes spirales, offrent dans chacune de ces divisions des sujets de la plus fine exécution, alternant avec des ornements mêlés d'animaux et d'oiseaux d'un travail micros- copique ; souvent alors les scènes représentées sont empruntées aux légendes sacrées et offrent les combats des héros contre les monstres ; alors encore les anses se contournent en dragons effrayants, le goulot effilé se termine lui-même en tête mena- çante aux yeux de rubis, aux crêtes relevées de perles d'émail. » Dans la fabrication persane, les objets de la vie courante, narguilés, gourdes à vin, seaux à glace, tasses à sorbets, sou- coupes à confitures, plats à viande, à fruits ou à légumes, sont d'assez grande dimension. Les lettres arabes ont par elles- généralement décorés, soit avec des scènes de chasse, soit avec mêmes un caractère ornemental très décidé, et leurs lignes des fleurs. La tulipe, fleur mystique, la rose pourpre, la jacin- impérieuses contrastent d'une manière souvent très heureuse the, le chèvrefeuille, l'œillet d'Inde, l'œillet à longue tige, sont avec le semis de fleurs sur lequel elles se détachent. C'est ce représentés quelquefois au naturel, mais plus souvent encore genre de décoration qu'on rencontre le plus souvent sur ces sous une forme ornementale. AIGUIÈRE PERSANE. EXPOSITION DE I 8 7 8. L'ÉMAIL. L'ÉMAIL L'émail est un verre coloré, tantôt opaque, tantôt trans- fondu dans les formés des parent, qui s'applique le compartiments sur métal de par plusieurs manières. petites lames Quand il métalliques introduit dans rapportées une à une et soudées est les sur la parties de creuses d'une plaque de métal plaque, manière à gravé, c'est produire des émail petites cloisons, c'est un un champlevé émail ou [à taille cloisonné. d'épargne. S'il est Quand le métal est ciselé en creux, de manière à former un RELIQUAIRE EN EMAIL CHAMPLEVÉ. (COLLECTION DE M. ODIO T.) petit bas-relief sur lequel on coule de l'émail translucide, qui par les orfèvres et les : on prend une teinte bijoutiers a aussi plus ou moins foncée comprend qu'il suivant y qu'il recouvre une des émaux partie mixtes, c'est-à-dire dans plus moins lesquels des ou c'est émail procédés diffé- creuse, un de basse-taille. rents ont été Enfin les émaux appliqués sur une même des pièce, mais nous devons peintres sont ceux dans lesquels la plaque surtout nous métallique préoccuper ici des est entièrement procédés typiques. recouverte par un sujet peint en Voici d'abord le émail. Tels les procédé employé pour les émaux en taille sont quatre principaux genres d'émail employés d'épargne. « On décalque, dit M. Delaborde, un dessin sur la CM. G.CC'TZWLLE^^ ' É É IR E D'/AR I B E R T O ARCHEVÊQUE DE MILAN, COUVERTURE DE L V AN G L I A , DU DOME DE MILAN.) EN OR, ÉMAUX ET PIERRES PRÉCIEUSES: XI® SIÈCLE. (TRESOR n8 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. surface unie du métal, et au moyen du burin, du oiselet et des taille d'épargne noircie au tampon donnerait, sous le froton et échoppes, on évide tout ce qui n'est pas le contour du dessin ; sous la presse, une impression excellente. Les espaces évidés de cette façon on obtient une véritable gravure en relief dont la entre ces contours forment autant de petites cuves qu'on remplit BRULE"PARFUM EN ÉMAIL CLOISONNÉ DE LA CHINI . (COLLECTION DE S. M. LÉOPOLD II, ROI DES BELGES.) de poudre ou de pâtes 'd'émail de diverses nuances, selon que température du moufle, s'affaissent au niveau des tailles 1 artiste a combiné son dessin et suivant que la chimie lui vient d'épargne, de manière à ne plus offrir qu'une surface pleine en aide^ Ces émaux, sans liaison entre eux, se fondent à la haute dans laquelle brillent les contours du dessin formés par le métal. 120 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. Les perfectionnements amene's par l'adresse des orfèvres n'ont Nous avons vu déjà que ce genre d'émail a été connu des introduit dans ce procédé d'autre variété que le plus ou moins Gaulois et pratiqué pendant tout le moyen âge. La ville de d'importance^donnée au métal : tantôt les traits du dessin seu- Limoges a donné son nom aux émaux sortis de ses ateliers et lement sont épargnés en relief, et les figures sont rendues par qui ont eu longtemps une grande supériorité sur les autres, mais est donné l'émail en se détachant sur le fond uni et doré du métal ; tantôt par extension, le- nom d'émail de Limoges aujourd'hui sont des silhouettes entières "de personnages qu'on réserve par les amateurs à tous les émaux sur cuivre, dont la provenance ce dans le métal, et elles se détachent sur un fond d'émail. » est indécise. Ce titre n'implique pas nécessairement une fabri- EMAIL PAR LEONARD LIMOSIN. cation limousine, il veut simplement dire fait dans le genre et métal sur laquelle on trace à la pointe le dessin; on'/découpe des par les procédés employés à Limoges. Le Louvre et le musée de lames du même métal d'une hauteur proportionnée à la gran- Cluny sont très riches en émaux de ce à genre, dont on trouve deur de la pièce (de r à 4 millimètres), et l'on fait suivre ces aussi de très remarquables échantillons dans le trésor de plu- lames tous les contours du dessin en les arrêtant avec de la cire; sieurs églises. puis quand le dessin est ainsi hérissé de ce relief en traits déliés, Comme exemple des émaux champlevés, on peut citer un on soude à la plaque toutes ces lames. De ce moment, la plaque reliquaire du xiii® siècle, de fabrication allemande, qui a figuré est cloisonnée, c'est-à-dire qu'elle présente un réseau, et dans ce à l'exposition rétrospective du Trocadéro en 1878, et qui fait réseau autant de cloisons qu'en exigeaient le dessin et les nuances partie de la collection de M. Odiot d'émaux dont on disposait. On distribue dans chacune de ces M. Delaborde définit ainsi le procédé qu'on emploie pour cloisons de la poudre d'émail, je veux dire le fondant et les les émaux cloisonnés. « On prend, dit-il, une mince feuille de oxydes métalliques colorants pulvérisés ensemble; on passe la L'ÉMAIL. 121 plaque dans le four pour obtenir la fusion, et quand elle est à ces fines inscriptions, qui ressortent en or brillant au milieu refroidie, au moyen du polissage on unit le tout comme une des vives couleurs d'un émail translucide. » glace mosaïque dans laquelle les cloisons viennent affleurer en Les Chinois, les Japonais, les Indous, nous ont laissé traits effile's et brillants, de manière à tracer les limites des d'admirables modèles d'émaux cloisonnés. émaux en même temps que les contours du dessin. La dorure Des petites fleurs, des papillons, des plantes aquatiques donne plus d'éclat à ces traits du visage, à ces plis de vêtements. jetées sur un fond habituellement clair et d'un ton laiteux É M I L , PAR LEONARD L 1M G S 1N. OU nacré, produisent des colorations riches et harmonieuses pour former les anses. Le récipient repose soit sur des têtes tout à la fois. d'éléphant, décor emprunté à l'Indoustan mais très commun Les brûle-parfums chinois, si recherchés aujourd'hui des dans tout l'extrême Orient, soit sur des oiseaux qui tournent la amateurs, présentent presque toujours certaines parties en tête en allongeant leur cou, comme on le voit sur un superbe bronze dont la teinte assombrie contraste avec les teintes bril- brûle-parfum qui appartient au roi des Belges. lantes de l'émail. Presque toujours le couvercle est percé à jour Les grandes fleurs émaillées qui décorent la panse des vases pour laisser passer la fumée du parfum qui brûle dans l'intérieur. chinois produisent les effets décoratifs les plus riches et les plus Souvent aussi une ceinture de bronze entoure le brûle-parfum brillants que l'œil puisse rêver. à l'endroit où repose le couvercle. Des dragons étranges comme « L'art japonais, dit M. Burty [les Émaux cloisonnés anciens les Chinois savent en inventer s'agitent au milieu des flots gravés et modernes)^ diffère de nos données occidentales par des points sur la ceinture, ou bien s'enroulent dans des mouvements bizarres essentiels. Les principes qui s'en dégagent sont très curieux. i6 122 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. Dans la composition, il évite la symétrie des parallèles; il joue duire des passages de lilas. L'originalité et la fermeté de son toujours sur des quantités impaires, trois, cinq, sept, lorsque au style tiennent à ce qu'un épisode naturel, étudié de plus près, contraire nous procédons par deux, quatre,huit. Dans le dessin, est toujours habilement disposé dans un centre tout à fait fan- il accentue la silhouette et s'arrête lorsqu'il a rencontré le carac- taisiste et de convention; les yeux sont ainsi intéressés au même tère typique d'un personnage, d'un objet inanimé, d'un grand degré que l'esprit est piqué. » effet de la nature. Dans les colorations, il aborde les tons les A une époque inconnue, les arts de l'extrême Orient parais- plus francs, il les pose sans mélange, mais il les relie entre eux sent s'être répandus dans les contrées de l'Europe qui avoisinent et en atténue la radiation trop intense par des tons intermé- l'Asie. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on retrouve dans les émaux diaires d'une finesse surprenante; par exemple,dans un bijou où byzantins du xii® siècle des procédés analogues et une gamme de dominent le bleu vif et le rouge, il ne manquera pas d'intro couleurs à peu près identique à celle des Chinois. Suivant M. Delaborde, la transmission, quoique n'étant pas encore démon- ' s'exécutaient généralement sur or et sur argent, et la vogue trée historiquement, est incontestable. i qu'ils acquirent fit le plus grand tort à la fabrication de Limoges Nous avons dit que les émaux de basse taille étaient des | qui travaillait principalement sur le cuivre. Cette fabrication petits bas-reliefs en métal, ayant une saillie extrêmement minime j d'ailleurs était en pleine décadence dès le xv® siècle et, comme elle et recouverts par des émaux de différentes couleurs et toujours ¡ était presque exclusivement religieuse et que le zèle pour les transparents. Ce genre d'émail était un simple coloriage, dans | reliques s'était beaucoup refroidi, elle ne pouvait soutenir la lequel la couleur était plus ou moins foncée suivant qu'elle concurrence avec un procédé qui s'appliquait surtout à la bijou- s'accumulait en plus grande quantité dans une partie creuse, et terie. dans lequel par conséquent l'expression du modelé venait de la Ce ne furent pas les orfèvres, mais bien les peintres verriers ciselure et non de la peinture qui n'était qu'une teinte posée sans de Limoges qui firent les premiers éfnaux de peintres, et, en préoccupation de l'ombre et de la lumière. Ce procédé, qui nous créant la seconde école de Limoges, assurèrent à l'industrieuse a été apporté de Venise, fut pratiqué dans toute la France et cité deux siècles de célébrité artistique. Au reste, ce ne fut nulle- même dans toute l'Europe, depuis le xiv® siècle jusqu'à la fin ment le désir de faire mieux qui fit rechercher des procédés du xvi*. nouveaux, et les véritables artistes ne sont venus qu'après les Les émaux de basse taille étaient des bijoux précieux qui inventeurs; ce fut simplement la nécessité de créer une industrie \ L'ÉMAIL. 123 rivale, dont les produits imiteraient les e'maux de basse taille et blage de vingt-trois plaques d'émail réunies dans une monture pourraient se vendre meilleur marché. Pour cela on peignait sur en bois. 11 y en a deux qui se font pendant et qui représentent la plaque une espèce de camaïeu où les ombres seulement étaient tous deux des sujets religieux, avec le portrait en pied des dona- indiquées, et on étendait ensuite des émaux colorés et transpa- taires qui sont, pour le premier, le roi François P' et sa femme rents qui, rehaussés d'un travail d'or pour accuser les lumières, Éléonore; pour le second, le roi Henri 11 avec la reine Catherine produisaient à peu près l'illusion des émaux de basse taille. Une de Médicis : ces donataires sont agenouillés devant un prie-Dieu. fois que le procédé fut découvert et mis en pratique, de véri- Les émaux sont colorés en partie sur paillons. Les carnations sont tables artistes ne tardèrent pas à surgir et illustrèrent cette modelées par des hachures enlevées sur une préparation bleue et industrie dont l'origine est absolument française et limousine. glacées de bistre dans les ombres. Le musée possède aussi Dans nos vieilles industries, le fils suivait toujours la carrière plusieurs plaques représentant des sujets mythologiques, comme de son père, c'est ce qui explique pourquoi dans la liste des Neptune et Doride, d'après une composition du Rosso, Vénus et peintres-émailleurs de Limoges nous voyons toujours plusieurs artistes porter le même nom. La plus ancienne famille qui s'est fait connaître dans cette industrie est celle des Penicaud; et Nardon Penicaud est le plus fameux. « Tous les émaux que l'on peut certainement attribuer à Nardon Penicaud, dit Alfred Darcel, sont exécutés par apprêt sur fond blanc, c'est-à-dire que les traits principaux du dessin sont largement appliqués au pin- ceau en bistre sur fond blanc, excepté pour les bleus turquoise et pour les carnations. Les premiers sont appliqués avant les traits du dessin; les secondes sont modelées en blanc sur un fond violet bleuâtre, qui donne à toutes carnations des émaux de Nardon Penicaud un ton caractéristique et facile à reconnaître. Parfois un trait en bistre noir opaque donne plus de force aux contours dans l'ombre. Des émaux translucides recouvrent le fond, sur lesquels des rehauts d'or sont appliqués au pinceau avec une grande habileté et souvent avec une grande abondance, afin d'accentuer les lumières. » Léonard Limosin est le plus illustre parmi les peintres émailleurs de cette période. La notice des émaux du Louvre apprécie ainsi sa manière. « Dans une même composition il réunit tous les genres et sait les fondre, avec une adresse qui révèle un praticien consommé et un savant coloriste. Ainsi la peinture en apprêt sur fond blanc, sur le métal lui-même et sur paillons, se marie, dans certaines de ses pièces, avec la grisaille dessinée et modelée par enlevage et avec le modelé par hachures ou au pointillé plus spécial au portrait. Mais les couleurs des émaux sont choisies, suivant la nature du fond, de façon à former une gamme continue, qui ménage les transitions entre les tons les plus éclatants et les ombres les plus intenses. Ainsi, ce sont les bleus, les verts et les pourpres des draperies qui recou- vrent d'habitude les paillons, lesquels en avivent l'éclat, tandis BUIRE EN ÉMAIL DE LIMOGES, PAR PIERRE RAYMOND. que les bruns de diverses nuances et les violets reçoivent un (MUSÉE NATIONAL DE MUNICH.) éclat moindre du métal ou du fond blanc sous-jacent. Puis, dans ces couleurs transparentes flottent quelques nuages d'émail blanc, l'Amour, où l'on a cru longtemps reconnaître une image de qui forment les lumières et qui ont leur écho dans les carnations, Diane de Poitiers, qui serait également représentée, mais à côté les animaux et les accessoires, modelés par les procédés ordi- de Henri II, dans une jolie plaque représentant un seigneur en naires de la grisaille. De telle sorte que ce sont les couleurs inter- costume du xvi° siècle, monté sur un cheval blanc et tenant une médiaires, couchées sur le métal ou le fond blanc, qui d'un femme en croupe. Enfin nous avons d'admirables portraits, entre côté se lient, par leur transparence, avec les vives clartés des autres ceux d'Anne de Montmorency, de François de Lorraine, émaux sur paillons, et de l'autre avec les grisailles par les touches duc de Guise, de Henri II, de François II, de Catherine de d'émail blanc qui y sont parfondues. Enfin quelques portraits, Médicis, etc. ceux des donateurs par exemple, où la ressemblance doit être L'histoire des émaux peints était figurée d'une manière bien cherchée, sont modelés au pointillé. Les tableaux de la Sainte- complète dans l'exposition rétrospective du Trocadéro. Les beaux Chapelle présentent l'exemple le plus magnifique et le plus com- portraits de Léonard Limosin qui font partie de la collection de plet de la réunion de tous ces genres. » M. le baron Gustave de Rothschild peuvent être comptés parmi Léonard Limosin est représenté au musée du Louvre par de les chefs d'œuvre du maître. Ces portraits, comme tous ceux du superbes émaux qui sont tous placés dans la galerie d'Apollon. maître, sont exécutés sur apprêt; les traits du visage sont dessinés Le fameux tableau votif, dit de la Sainte Chapelle^ est un assem au pinceau et quelquefois modelés par le moyen des hachures. 124 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. Pierre Raymond prend place peu après Léonard Limosin, particulières en possèdent aussi quelques-uns ; les plus impor- parmi les peintres émailleurs de Limoges. C'est un dessinateur tants d'entre eux ont figuré à l'exposition du Trocadéro en 1878 ; correct, parfois un peu sec et dont les ouvrages présentent quel- nous rappellerons un grand plat exposé par M. le baron Gustave quefois plus de précision dans la forme que de charme dans de Rothschild, et décoré de sujets tirés de la Genèse et peints en l'aspect. grisaille sur fond noir, ainsi que la jolie aiguière provenant de Pierre Raymond a été le plus fécond des émailleurs. Parmi la même collection. les pièces capitales de ce maître il faut signaler au musée du Unhanap appartenant à M. le baron Alphonse de Rothschild Louvre plusieurs pièces représentant des scènes de l'Ancien et du et dû aussi à Pierre Raymond représente le dieu Mars avec des Nouveau Testament, et des sujets tirés de la mythologie. Parmi amours. Il est d'une forme extrêmement élégante, et le sujet les musées étrangers, les plus riches en ouvrages de Pierre Ray- principal qui décore la panse est séparé par un gros cordon de mond, sont le South Kensington Museum de Londres, et le lauriers des deux frises supérieure et inférieure. Musée national bavarois de Munich. Nos grandes collections Dessinateur moins correct et d'un goût moins pur que ses hanap en éjiail de limoges. peintur es en grisaille, par pierre raymond. (collection de m. le BARO n alphonse de rothschild.) devanciers, Jean Courtois se préoccupe surtout de la couleur. Il un des derniers émailleurs de Limoges qui aient mérité le titre n'a pourtant pas le charme et la suavité des maîtres qui l'ont de maîtres. précédé, quoique les teintes de ses émaux soient les plus scintil- Les émaux de Petitot qui obtinrent un si légitime succès au lantes. Comme la plupart des émailleurs de Limoges, il est assez xvii" siècle ne se rattachent en aucune façon à l'école de Limoges, peu inventif, et son œuvre est presque toujours la reproduction qui à ce moment ne vivait déjà plus que par le souvenir. Ce sont d'un tableau ou d'une gravure célèbre, dont il modifie quelque d'exquises miniatures, mais comme le métal ne joue aucun rôle peu la disposition, mais dont il ti-ansforme complètement la dans leur exécution, il n'y a pas lieu de s'y arrêter ici. L'émail, couleur, suivant les nécessités de la peinture en émail. Le Parnasse, tel que l'ont compris les orfèvres et les bijoutiers, a pour ainsi d'après Raphael, qui a figuré à l'exposition rétrospective du dire cessé d'exister pendant le xviii® siècle et pendant la première Trocadéro en 1878, est un des principaux ouvrages de cet émail- partie duxix®. Il était réservé à la période contemporaine de nous leur. On voyait à la même exposition une grande plaque repré- faire assister à cette résurrection dont l'honneur revient surtout sentant Minerve, mère de tous les arts. Ces deux ouvrages, qui à MM. Christofleet Falize. Seulement les recherches de M. Chris- font partie de la collection de M. le baron Gustave de Roth- tofie le poussaient naturellement davantage du côté des pièces schild, se rattachent à la plus brillante époque de Jean Courtois, d'orfèvrerie, tandis que M. Falize a surtout appliqué l'émail à la mmm'k 120 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. bijouterie. C'est principalement la nécessité de réparer des pièces d'émail cloisonné : des essais du même genre avaient été tentés anciennes, qui a fait renaître cette industrie depuis longtemps l'année d'avant sur de grandes pièces par M. Christofle. C'est abandonnée dans nos ateliers, et notre goût immodéré du bric- dans les albums japonais que M. Falize a puisé les éléments de à-brac a bien été pour quelque chose dans les efforts qui ont été l'ornementation, en même temps qu'il empruntait aux Chinois tentés dans ces dernières années. Mais c'est moins la cause que les principes de couleurs pour les émaux. La plus grande difficulté le résultat que nous devons examiner ici. semblait être de pouvoir réduire aux proportions d'un bijou ce C'est en 1868 que M. Falize a réussi sa première pièce travail, déjà si délicat, lorsqu'on l'applique à de plus vastes AIGUIÈRE EN EMAIL DE LIMOGES, PAR JEAN COURTOIS. surfaces. Il fut aidé dans ses recherches par son coopérateur, les siens, et bientôt, renonçant à souder les cloisons pour M. Tard, qui est aujourd'hui un de nos émailleurs les plus maintenir sur l'émail le refiet vif des paillons, il mêla les émaux distingués. C'est à leurs efforts qu'on doit de posséder aujourd'hui opaques et les émaux transparents, chargeant ceux-ci en gouttes cette palette d'émaux aux tons rompus, mats et vibrants tout et creusant les autres en alvéoles. Ce procédé bien simple cons- ensemble, dont chaque couleur est classée et numérotée et qui tituait cependant une véritable innovation, puisqu'on n'en trouve rend tant de services aux émailleurs. d'exemple dans aucune pièce connue. Un très habile émailleur, Après l'émail cloisonné, à tons mats, à la surface lapidée M. Pye, qui fut longtemps collaborateur de Falize, a poussé ce aux cloisons soudées, il fallait chercher autre chose. Charles genre à une perfection qui dépasse tout ce qu'on a fait jusqu'à Lepec avait essayé d'employer le système du cloisonnage avec ce jour. Les dessins indiens et persans occupent une place des couleurs transparentes posées sur paillons, et il en était importante dans cette fabrication, mais ne l'absorbent pas encore à ses premières tentatives quand la guerre arriva. Falize complètement ; en effet, outre ses bijoux de style oriental, la profita de ces essais pour fondre les procédés de Lepec avec maison Falize montre une prédilection marquée pour le moyen L'ÉMAIL. 127 âge et surtout pour la Renaissance. Les jolies miniatures des ration des colliers, des boucles d'oreilles, des bagues, des broches, missels sont pour ses dessinateurs une source intarissable d'ins- des bracelets, des bonbonnières, des flacons, etc. pirations : les entrelacs saxons, les animaux fantastiques des Le plus grand défaut qu'on reproche à ce genre de bijoux Scandinaves, les jolis feuillages multicolores du xv® siècle, sont c'est le prix très élevé auquel il monte assez souvent, et qui tour à tour étudiés, rajeunis, transformés, et servent à la déco s'explique d'ailleurs par ce fait que ce ne comporte aucun VASE EN ARGENT CISELÉ, AVEC ORNEMENTS RÉSERVÉS EN ÉMAUX, PAR BOUCHERON. procédé mécanique. Il y a tel bracelet, dont le cloisonné a | précieux auxiliaires étaient trouvés : l'un, M. Tard, émailleur réclamé deux mois de travail assidu. Il est bon d'ajouter du ! habile et indépendant; l'autre, M. Guignard, un des employés reste que l'émail cloisonné possède une force et une solidité qui | les plus anciens de l'usine, rompu à toutes les ressources du défient tous les champlevés du monde. | métal, initié à tous les mystères chimiques de la cuve, aux magies Maintenant que nous avons vu quelle était la part de 1 de la pile, et qui suivait d'un œil patient les dégradations des M. Falize, nous le laisserons apprécier lui-même les procédés j tons métalliques sous l'action des réactifs et du feu. employés par M. Christofle pour cette fabrication. « Parlons, « M. Reiber, ce Japonais de Paris, en trouvant ces deux dit-il, de ces procédés d'émail | et de patine que j'ai cités déjà et | hommes, comprit qu'il allait enfin réaliser ses projets ; c'est qui ont puissamment aidé la maison à se transformer. Deux i alors que nous vîmes naître cette profusion de vases, de coupes. ciboire, par boucheron, décoré d'Émaux, genre limoges, peints par a. meyer, et représentant des évangélistes, martyrs et fondateurs d'ordres. i3o LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. se déta- de tables, de plateaux aux dehors inspirés d'Ok-Say qui, en peu feuillages, des fleurs de glycine, d'acacia, de pêcher, d'années, égalèrent, puis surpassèrent les plus belles pièces de la chant des fonds jaunes, noirs ou bleus, forment une richesse sur ne laisse rien à envier aux arts de Chine et du Japon. de coloration » qui plus En effet, c'est en grande partie à M. Christofle qu'on doit l'Orient. contribué à l'introduc- d'avoir remis en usage chez nous le procédé employé par les Parmi les fabricants qui ont le plus Chinois faire leurs émaux cloisonnés sur cuivre. Ce procédé tion de l'émail dans l'orfèvrerie moderne et à son perfectionne- pour bandelettes de cuivre il faut également citer M. Barbedienne et M. Boucheron. consiste à contourner à la main de petites ment, faisan doré décorait un les exposé mince et à appliquer le plat sur les formes à décorer, en remplissant Il suffit de rappeler qui les c'est-à-dire les cloisons obtenues, avec de il y a quelques années par M. ensuite intervalles, Barbedienne, et ses belles pièces imitées ou plutôt inspirées de l'Orient, pour reconnaître que dans tous les. essais qu'il a tentés jusqu'ici, M. Barbedienne a toujours su prendre place au premier rang. Quant à M. Boucheron, quoiqu'il soit plus spécialement bijoutier, il empiète assez volontiers sur le domaine de l'orfè- vrerie, et son vase, forme chope, en argent ciselé, avec orne- ments et fleurs réservés en émaux transparents sur or, fait assurément grand honneur à sa maison. Mais où M. Boucheron emploie l'émail d'une façon vraiment originale, c'est quand il ■ l'associe avec les pièces précieuses dans ses bijoux. Parmi les pièces les plus remarquables qui soient sorties des ateliers de M. Boucheron, nous signalerons une libellule dont le corps est en brillants et les yeux en rubis ; les ailes, enrichies de nervures en diamants, sont faites avec des émaux transparents, c'est-à-dire des émaux sans fond et tenus seulement par de légères cloisons sur les côtés. Ces émaux sont teintés et fondus de façon à donner par la transparence l'effet des ailes de la libellule, où les couleurs se dégradent d'une manière insensible en passant d'une nuance à une autre. Les anneaux du corps sont alternés sur or et sur argent. Il y a là une nouveauté qu'il faut signaler : nos collections ne présentent aucun modèle de ce genre, et les amateurs ne manqueront pas de remarquer ce qu'il y a de séduisant dans ces riches colorations dont l'effet rappelle nos vitraux d'église. On en voit de nombreuses applications dans la vitrine de M. Boucheron, qui a employé ces émaux transparents avec un grand succès dans divers bijoux et objets d'art, notam- ment dans une bonbonnière qui a été fort remarquée à une de nos dernières expositions. La crosse ornée de fleurs en émaux translucides que M. Bou- cheron a envoyée à l'exposition du métal organisée en 1880 par l'Union centrale des Beaux-Arts appliqués à l'industrie, forme certainement le plus joli assemblage de couleurs qu'il soit pos- sible de rêver. Cette crosse, que décore un saint Michel terras- sant le démon, a été le sujet de quelques critiques au point de vue religieux, et on a dit avec quelque raison qu'elle éveillait l'idée d'un bouquet plutôt que celle d'un bâton pastoral. Mais si elle CISELÉ SUR FOND D'ÉMAIL ROUGE, ne CHATELAINE EN OR MAT présente pas dans l'aspect toute l'austérité qu'on aime à trouver PAR BOUCHERON. dans les allures d'un évêque et qui dans les crosses du moyen âge s'allie si bien à la richesse décorative, on est obligé de con- l'émail fondu. Pour les objets décorés de cette façon, il faut venir qu'elle est irréprochable sous le rapport de la disposition refaire le dessin à chaque exemplaire de la même pièce, ce qui comme goût et de l'exécution comme travail. C'est un charmant n'existe pas avec les émaux à cloisons fondues, qui sont toujours bijou mondain auquel son usage particulier donne un caractère forcément les mêmes. religieux. C'est M. Reiber qui est à la tête des ateliers de composition Une invention bien originale, je dirais presque bizarre, si et-de dessin, pour la maison Christofle; les émaux cloisonnés et ce mot n'était pris dans un mauvais sens, c'est le Guignol japo- les bronzes incrustés sont donc en grande partie son œuvre et nais de M. Boucheron. Ce Guignol est une veilleuse en émaux lui font le plus grand honneur. On ne peut rien voir de plus translucides, au travers desquels la lumière produit des points riche comme décoration : vases, coffrets, jardinières, garnitures brillants comme la lumière perçant au travers des vitraux. Cette de cheminées, avec des oiseaux, des animaux fantastiques, cou- lumière scintillante est pourtant de la plus extrême douceur et ne rant dans les rinceaux ; des branches d'arbres, des plantes, des blesse nullement le regard. La veilleuse est elle-même une espèce LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. de joujou fort amusant : c'est aussi l'opinion des petits Japonais l'émail comme un simple repoussoir. C'est ce que nous montre qui regardent le spectacle sous la surveillance de leur maman. Le une jolie châtelaine en or ciselé qui se détache sur un fond tout repose sur un socle enrichi de fleurs étranges et d'animaux d'émail rouge. fantastiques, comme l'imagination des Orientaux sait en inventer. Les émaux peints, qui ne sont à proprement parler qu'une Dans quelques-unes de ses pièces, M. Boucheron emploie branche de la peinture, ne différant des autres que par les pi'O- cédés qu'on emploie, forment aujourd'hui une des classes les plus brillantes de nos industries d'art. Parmi les artistes qui se livrent plus spécialement à la peinture en émail, et qui ont ob- tenu dans ce genre les plus sérieux succès, il faut nommer M. Claudius Popelin, auteur du grand émail limousin, repré- sentant Gaston de Foix,_ et que M. Falize avait monté dans un admirable cadre d'argent repoussé et ciselé en haut-relief. LIBELLULE, PAR BOUCHERON. PLAT É M AILLÉ, PAR CHRISTOFLE. Le bel émail de VAmoiir vainqueur^ qui décorait le centre d'un meuble exposé par M. Christofle,- est l'œuvre de M. Fré- déric de Courcy, un peintre qui apporte, dans ses figures sur émail, des délicatesses de dessin qui font songer aux Clouets. Enfin nous citerons encore M. Serre, un des colla- borateurs habituels de M. Barbedienne, MM. Meyer, Soyer, M°^® de Col, etc. LES ARMES. i33 LES ARMES Les armes doivent être considérées ici sous un point de vue simplement de rappeler au souvenir des amateurs le souvenir de tout à fait spécial. Ce n'est aucunement la qualité de l'arme au quelques armes de luxe qui sont considérées comme des chefs- point de vue de son usage militaire qui doit nous préoccuper, d'œuvre. Dès lors on ne sera pas surpris si nous avouons haute- c'est la forme et la décoration. Telle arme qui dans un arsenal ment nos préférences pour certaines époques et pour certains n'occuperait peut-être qu'un rang secondaire prend au contraire pays. Les armes de la Renaissance et les armes de fabrication la place d'honneur dans un musée consacré à des objets d'art. orientale doivent par-dessus tout attirer notre attention. Par la même raison, on ne doit pas s'attendre à trouver ici une Les armes offensives présentent rarement sous le rapport de histoire même sommaire de l'armement du soldat, il s'agit tout l'art autant d'intérêt que les armes défensives, parce qu'elles offrent moins de surfaces à décorer. Cependant il y a quelques pières dont la corbeille, tantôt pleine, tantôt repercée à jour, enve- épées qui occupent dans nos musées une place d'honneur méri- loppe la main et la défend complètement. Rien n'est plus élégant tée. La forme de l'épée n'est pas très variée : sa lame droite et que ces épées à la poignée légère, dont le pommeau se couvre diminuant vers la pointe prête peu au décor, mais la rondelle des méandres d'une ornementation d'argent incrusté et ciselé qui sert de la croix qui forme la poignée ont fourni qui va courir ensuite sur les branches délicates et orner les hou- pommeau, branches. Souvent le aux artistes bien des occasions de montrer leur talent. tons des quillons ou les rendements des Vers la fin du siècle, dit Albert Jacquemart, les épées pommeau, la fusée et le berceau même sont ciselés dans le fer et « xv® destinées à frapper d'estoc étaient longues, rigides, acérées ; la offrent des figurines merveilleuses, des enroulements d'acanthes poignée se complique d'abord de gardes, au nombre de deux ou et de rinceaux comme les savaient combiner les artistes de la trois réunies, puis des pas d'âne, puis des branches secondaires Renaissance. Ici, tous les reliefs en fer poli ressortent sur un allant parfois rejoindre le pommeau; c'est vers le milieu du fond grainé d'or; là des camées s'insèrent dans le metal et en XVI® siècle disposition du berceau, qui plus rompent la couleur sévère; ailleurs encore, l'émail se mêle aux que se montre cette tard progressera encore pour arriver jusqu'à ces poignées de ra- sculptures, et l'arme devient bijou. Or, du moment où le luxe ]36 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. s'attachait ainsi à la poignée de l'arme, il fallait que la lame en reusement fragiles, pour adopter les aciers espagnols. Tolède, fût digne. L'Espagne eut longtemps le privilège de fournir l'Eu- par-dessus toutes les autres villes, eut un renom mérité, et les rope, que disons-nous, le monde, de ses lames incomparables; plus illustres de ses armuriers signèrent souvent de leur nom, on les expédiait partout, et l'Orient lui-même négligeait ses marquèrent toujours de leurs chiffres les objets sortis de leurs merveilleux damas si beaux de teinte et de travail, mais malheu mains. » BOUCLIER ITALIEN EN FER REPOUSSÉ DAMASQUINÉ D'OR ET D'ARGENT. {MUSÉE HISTORIQUE DE DRESDE.) Plus tard Milan acquit de la réputation pour ses lames La forme du bouclier a naturellement varié suivant les âges. d'épées, et plusieurs épées de prix, dont la poignée est due à des Vers la fin du xi® siècle, l'homme d'armes portait un bouclier de artistes d'un autre pays, sont pourvues de lames italiennes. Deux forme allongée, arrondi à la partie supérieure et pointu par le superbes épées, conservées au Musée impérial des armures, à bas. Il était à cette époque d'une très grande dimension, et sa Vienne, présentent cette particularité quelapoignée, chef-d'œuvre convexité était assez prononcée, de façon que, dans certaines de l'orfèvrerie allemande du xvi® siècle, est adaptée à une lame circonstances, l'homme en pliant le genou pouvait avoir tout le de fabrication italienne. corps garanti par son bouclier. Le bouclier normand était en LES ARMES. bois, recouvert de cuir et maintenu par une garniture de fer : Sous Philippe-Auguste, le bouclier devint plus petit et la des figures bizarres étaient presque toujours peintes sur la sur- partie supérieure, au lieu d'être arrondie, fut coupée par une face extérieure et servaient comme moyens de reconnaissance ligne droite horizontale. Après la bataille de Crécy, on vit appa- personnelle. Les boucliers de cette époque ne se trouvent guère raître des boucliers tout à fait carrés et que les gentilshommes les collections, mais voit des représentations sur faisaient porter devant eux par leurs valets. On donne le nom dans on en exemple sur la tapisserie de Bayeux. de targes à des boucliers de dimension restreinte quelques monuments, par que portaient REVERS DU B O UC L IE R .,CI-CON TRE. (MUSÉE HISTORIQUE D_E DRESDE.) et en effet en général les archers et dont la forme varie suivant les pays. comprend dès lors que leur forme soit assez variée, La uns sont d'autres et par le bas. On targe allemande est carrée et à surfave concave. La ron- les ronds, allongés pointus tant de soins dache, bouclier de forme circulaire dont se servaient les comprend surtout que les artistes aient pu apporter Italiens du xvi* siècle, était généralement en cuir bouilli. Il y en à la décoration d'ouvrages, qui, par leur allure, doivent pré- mais leur avait aussi en fer et quelquefois de très richement gravées qui senter un caractère essentiellement militaire, qui, par étaient portées par les officiers. destination réelle, devaient être assimilés aux pièces d'orfèvrerie ces bou- Quant aux superbes boucliers ciselés et gravés, qui sont et aux joyaux les plus précieux de la couronne. Dans classés dans nos musées comme monuments des arts, ils fai- cliers, qui étaient généralement assez pesants, et qui eussent été salent partie des armes de parade, que les pages et les écuyers d'un usage peu commode, le fer est presque toujours le métal portaient devant les seigneurs pendant les cérémonies, mais qui qui domine, et l'or ne se montre que d'une manière discrète. La presque jamais n'ont été employées comme armes de guerre. On doublure, quoique matelassée et piquée, est quelquefois accom- i8 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. pagnée de ravissantes figurines et les courroies qui servaient à des sujets et des ornements, a toujours été l'arme de prédilec- maintenir le bouclier au bout du bras sont souvent enrichies tion des artistes, et il n'en est pas qui ait fourni plus de chefs- d'arabesques. d'oeuvre. Les collections de Turin, inférieures sous le rapport Le bouclier, avec les grandes surfaces qu'il présente pour la des tableaux et des statues à celles des autres grandes villes décoration et la liberté qu'il laisse pour le choix et la disposition d'Italie, renferment au contraire des armes merveilleuses, dont on chercherait vainement ailleurs un équivalent. De somp- cesse Victoire de Saxe, nièce et héritière du prince Eugène tueuses armures de toutes les époques se pressent dans VAr- de Savoie. Des petits bas-reliefs, représentant les principaux meria Reale de Turin, mais la pièce qui occupe la place d'hon- épisodes de la guerre de Marius contre Jugurtha, sont dis- neur et devant laquelle on amène tout d'abord les étrangers est posés dans cinq médaillons en forme de croix, celui du le superbe bouclier dont on attribue l'exécution à Benvenuto milieu étant beaucoup plus grand que les autres. Des faisceaux Cellini. d'armes et des figures de vaincus enchaînés occupent les places Ce bouclier a été donné à l'Université de Turin par la prin laissées vides entre les médaillons. Une tête de Diane, dans 9 s BOUCLIER ATTRIBUÉ A BENVENUTO CELLINI. (ARMERIA REALE DE TURIN.) Il 140 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES laquelle on a cru trouver une allusion à la duchesse de Valenti- ce magnifique bouclier comme une œuvre de Jules Romain, nois, a été jugée un motif suffisant pour justifier l'attribution à d'autant plus que VArmeria Reale de Turin possède un autre Cellini de ce magnifique bouclier. Mais il serait au moins singu- bouclier, bien authentiquement de Jules Romain, et représentant lier que Cellini, qui, dans ses mémoires, décrit avec une com- les noces de Neptune et de Thétis, qui est également une œuvre plaisance si marquée jusqu'au moindre de ses ouvrages, ait pré- d'art de premier ordre, et qui présente plus d'un point de res- cisément omis de signaler une pièce de cette importance. Cette semblance avec celui qu'on veut donner à Cellini. omission a même entraîné quelques savants italiens à considérer La tête de Gorgone est un emblème que les artistes de la E.BOCOUñ r L.a-MPor-L Renaissance ont fréquemment employé dans la décoration des à sujets mythologiques apparaît dans leurs armures, aussi bien armures. Dans l'antiquité, on attachait une sorte d'idée supersti- que dans leurs décorations architectoniques et dans leurs pièces tieuse à cette représentation qui, dans la croyance populaire, d'orfèvrerie. Dans les casques, dans les cuirasses, on voit surgir, avait pour effet d'éloigner les maléfices et d'épouvanter les mau- au milieu d'exquises nervures, les images en pied, ou simple- vais esprits. Sous la Renaissance on y vit un motif de décoration ment en buste, de Jupiter, Mercure, Diane ou Neptune, et tous parfaitement approprié à des armes, puisque, selon la fable, la les attributs des divinités païennes se jouent sur des fonds da- Gorgone inspirait, à ceux qui avaient le malheur de la regarder, masquinés d'or. UArmeria Reale de Turin est peut-être, pour une terreur si subite et si profonde, qu'elle les pétrifiait. les productions de ce genre, la plus riche collection de l'Europe. Le goût des Italiens de la Renaissance pour les médaillons Au commencement du xv® siècle, la tête et le cou étaient LES A RMES. 141 protégés par le bassinet et par le camail de mailles, l'un posant mobile autour d'un rivet, se levait, s'abaissait à volonté; ce tut sur l'autre. « Vers 1450, dit P. Lacombe, le bassinet céda la lavz5îère où on perça des vues. Enfin, à la base de ce casque, on place à l'armet. Celui-ci fut formé d'une calotte de fer, qui alla attacha un système circulaire de pièces articulées, dessinant une s'épanouissant sur la nuque en une large gouttière, et d'une cravate et un commencement de justaucorps; ce fut le gorgerin^ pièce courbée en forme de quart de boule, placée en bas et par qui tint la place du camail de mailles. » devant de manière à couvrir le menton et la bouche. Cette L'Allemagne a produit, au xvi® siècle, de très beaux casques pièce, percée de trous pour la respiration, s'appelle la bavière. en fer repoussé et doré, avec des visières formées de masques A la rencontre de ces deux pièces, on en ajouta une troisième grimaçants ou de têtes d'animaux. Les enroulements, souvent un pour boucher le vide entre la calotte et la bavière; celle-ci. peu massifs, de l'ornementation donnent à ces casques un aspect puissant et robuste, bien éloigné assurément des délicatesses de « Les casques, envisagés au point de vue de l'art, dit Albert l'art italien, mais qui marque franchement sa date et sa natio- Jacquemart, ne remontent guère au-delà du xvi® siècle; on peut nalité. bien trouver quelques armets de guerre élégants et curieux avec Tantôt les figures qui décorent ces beaux casques sont do- leurmézail en pointe, leur crête à torsade; mais c'est plus parti- rées, tandis que le fond conserve la teinte assombrie du fer; culièrement parmi les bourguignottes et les morions que se mon- tantôt ce sont les personnages qui gardent l'apparence du fer et trent les vrais objets d'art. La bourguignotte, casque léger sans le fond au contraire est doré. mézail, au timbre arrondi surmonté d'une crête, à petite visière, Les artistes milanais du xvi® siècle ont fait d'admirables couvre-nuque et oreillettes, se prête aux plus belles conceptions armures de parade. Leurs casques de tournois, tout damas- ornementales; couverte de rinceaux, relevée de figures, elle se quinés d'or et d'argent, sont souvent décorés d'armes de tout surélève souvent au moyen de représentations fantastiques genre, glaives, lances, flèches, carquois, massues, boucliers, ron- comme la chimère ailée sculptée sur le casque de François I®"^. daches, etc., qui, mêlés parmi des palmes et des nœuds, pro- Quelquefois, le timbre lui-même affecte la forme d'une tête de duisent souvent les effets les plus pittoresques et les plus im- lion ou de dragon ; même celle d'un homme couronné de lau- prévus. riers; dans quelques spécimens, l'ornementation régulière réserve CASQUE EN FER REPOUSSÉ ET DORÉ, XVI® SIECLE. ÎSfp "• - /ii-= " ■■ -:>-- ^v\- V CASQUE DE TOURNOIS, XVI® SIÈCLE. (ARMERIA REALE DE TURIN.) 144 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. de grands médaillons où surgissent en bas-relief des sujets reli- I la damasquinure. Le morion, moins antique de forme, avec son gieux, mythologiques ou guerriers. Le relief ressort le plus sou- timbre élevé, sa crête saillante, son bord rabattu sur les côtés et vent sur fond doré, et il se combine parfois avec les richesses de 1 relevé devant et derrière en forme de bateau, offrait une défense moins complète; il est souvent d'un galbe plein d'élégance, C'est Le lion de saint Marc apparaît dans la décoration de quelques sous cette forme qu'apparaît le casque d'or de Charles IX. Avec morions vénitiens. Dans un morion du xvi° siècle, qui fait partie la bourguignotte, il est l'ornement naturel des trophées. » du Musée impérial des armures, à Vienne, ce lion occupe un CASQUE RENAISSANCE, MORION. (CABINET DE M. VAISSE.) médaillon placé au centre du cimier et entouré de figures allé- costume militaire de cette époque (85o) était encore, à quelques goriques : le corps même du casque est simplement recouvert modifications près, celui des soldats romains de la dernière d'arabesques. période de l'empire d'Occident. Mais la tapisserie de Bayeux, La Bible manuscrite de Charles le Chauve montre que le exécutée peu de temps après la conquête de l'Angleterre par 146 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. Guillaume le Conquérant, prouve que, dès le ix® siècle, l'équipe- c'est-à-dire une tunique faite de peau ou de toile, sur laquelle ment de l'homme de guerre s'était complètement modifié. Ce se cousaient des plaques de métal ou des anneaux de fer dis- qui va dominer jusqu'au xni® siècle, c'est la cotte de mailles. posés les uns à côté des autres, de manière à se recouvrir en partie. Un capuchon, composé à peu près de la même manière, Ce genre d'armement arriva à son apogée à l'époque de la préservait la tête et le cou en retombant sur les épaules, et un bataille de Bouvines (1214). Seulement comme à cette époque système analogue fut également appliqué aux jambes. De véri- les armes défensives devinrent beaucoup plus pesantes, la tables mailles serrées se substituèrent peu à peu aux anneaux cotte de mailles, qui garantissait assez bien de la pointe, ne des premiers temps, auxquels on trouvait l'inconvénient de préservait nullement de la violence du choc. On voulut tenter laisser trop d'espace exposé aux coups de l'ennemi. d'y parer à l'aide de coussins rembourrés, de doublures mate- PARTIE^ANTÉRIEURE DU CAPARAÇON DU CHEVAL DE CHRISTIAN II. (MUSÉE HISTORIQUE DE DRESDE.) PARTIE POSTÉRIEURE DU CAPARAÇON DU CHEVAL DE CHRISTIAN II. (MUSÉE HISTORIQUE DE DRESDE. 148 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. lassées qu'on plaçait sous la cotte de mailles, mais la chaleur qui commencement du xiv® siècle; quand on arrive au xv«, elle a en résultait pour l'homme d'armes était littéralement insuppor- complètement disparu, et l'armure couvre du haut en bas table. On reconnut bientôt que le choc qu'on fait subir à une l'homme d'armes qu'elle est chargée de protéger. plaque métallique est réparti sur sa superficie, et les armures Au XV® siècle l'armure est complète ; voici quelles sont les formées de plaques furent jugées préférables aux anneaux et aux pièces qui la composent : mailles de fer. La cotte de mailles se raccourcit beaucoup dès le 1 ° La cuirasse, en deux pièces formant boîte ; tlíS . PLAQUES LATÉRALES DE L'ARMURE DU CHEVAL DE CHRISTIAN II. (MUSÉE HISTORIQUE DE DRESDE.) 2® Les épaulières, qui relient le brassard à la cuirasse ; 10° Les grevières, destinées à garantir les jambes ; 3° Les bras ou. brassards ; 11 ° Les souliers ou solérets en lames articulées ; 4° Les coudières avec les gardes^ qui couvrent la saignée ; 12° Le gantelet, composé de lames de fer cousues sur un 5® Les avant-bras ; gant de buffle. 6° Les faudes avec leurs gardes, c'est-à-dire les pièces tom- C'est donc un total de douze pièces qui composait l'armure bantes; sous Charles VII; il est bon de noter que le gantelet était alors Le la cuirasse et qui paraît sur le bas- d'invention récente. La main était restée jusque-là sans autre 7° haiibergeon sous ventre ainsi que le post-tergum ; abri que le gant de peau. 8° Les cuissots ou cuissards ; L'ornementation allemande est souvent un peu lourde : ainsi 9® 'Les genouillères ; les célèbres armures qu'on fabriquait à Nuremberg pendant les LES ARMES. Í 149 XV® et xvi® siècles font quelquefois bon effet dans nos collections, l'Allemagne n'a jamais connues. Le caractère un peu massif des par la conscience et la bonhomie d'exécution qui caractérisent les armures allemandes est, d'ailleurs, assez bien en rapport avec artistes de ce pays, mais il ne faut pas, quand on veut les appré- les habitudes et le tempérament de ceux qui les portaient. cier, les regarder à côté des armures italiennes de la même L'armure de Henri II, entièrement exécutée par des artistes époque, car celles-ci ont une délicatesse et une élégance que français, est considérée comme un des chefs-d'œuvre de cette CHANFREIN OU PLAQUE FRONTALE DU CHEVAL DE CHRIST,'lAN II. (MUSÉE HISTORIQUE DE DRESDE.) industrie sous la Renaissance. Elle est de fer poli et couverte de facio, en Corse. Le casque de Henri II est de ceux qu'on petites compositions en bas-relief travaillées au repoussé. Les désignait au xvi® siècle sous le nom de bourgiiignotte ; il porte sujets sont tirés de l'histoire du grand Pompée, et les armuriers une crête, une avance sur le front et deux oreillettes, mais il paraissent avoir suivi à la lettre le récit de Lucain. laisse le visage à découvert. Outre cette armure qui est complète, le Musée possède un « Il est de fer, dit Barbey de Jouy, repoussé, ciselé, noirci, admirable bouclier, ayant également appartenu à Henri II et sur doré, damasquiné d'or, de travail italien. Une ffgure de l'Amour lequel sont représentées l'attaque et la défense de la ville de Boni- est placée sur la partie culminante, en avant de la crête ; deux 1 30 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. petits génies de la Victoire sont groupés sur le devant du timbre; les oreillettes, des armes sont disposés en riches trophées sur les l'un d'eux porte le chiffre de Henri II et l'autre le croissant, qui côtés du timbre, deux esclaves en arrière, et la déesse Diane est était son emblème; une couronne se voit au-dessus, soutenue représentée deux fois sur la crête du casque. » par Mars et Bellone. Deux belles figures de Victoires décorent Le casque et le bouclier de Charles IX sont des armes de parade ; trois sortes d'émaux les décorent (opaques, translucides, Il ne suffisait pas que l'homme fût cuirassé du haut en bas, cloisonnés). La composition du bouclier, évidemment inspirée il fallait encore préserver sa monture des coups du dehors. de celle qui décore le bouclier de Henri II, représente un L'armure du cheval est moins compliquée que celle du cavalier, ensemble d'opérations militaires. Le casque est décoré d'une mais elle n'est pas moins riche. tête de Méduse et de trophées ; sur les oreillettes on voit d'un Le Musée historique de Dresde, un des plus riches du monde côté un Mars et de l'autre une Victoire assise. en pièces historiques, renferme, entre autres chefs-d'œuvre, la LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. magnifique armure de parade de l'électeur Christian II, une des Sur la partie antérieure du caparaçon du cheval, trois plus belles qui soient restées du xvi® siècle. D'admirables bas- médaillons représentent le combat contre les Centaures, l'épi- reliefs, représentant les travaux d'Hercule, décorent les difie- sode du lion de Némée et la lutte avec Antée. Sur la partie pos- rentes pièces de l'armure du cheval. Ces bas-reliefs sont disposés térieure, on voit d'autres sujets, l'hydre de Lerne, l'aventure de en médaillons encadrés dans une riche ornementation. Sur l'un Cacus, etc. des flancs, on voit le héros enfant et assis sur son berceau, Le chanfrein ou plaque frontale du cheval est très richement saisissant dans ses petites mains les deux serpents envoyés décoré d'arabesques : on y voit peu de scènes de la vie contre lui, et au-dessus Hercule frappant de sa massue le d'Hercule, mais simplement une image du héros placée au sanglier d'Érymanthe. centre dans un petit médaillon. Le harnais des chevaux est aussi quelquefois d'une grande la mameluk, les hautes ceintures et le pur costume classique. richesse. La collection des écuries impériales et royales de Vienne Les richesses entassées dans le bazar des armes sont incalculables : possède plusieurs modèles de harnachements, dont la décoration là se gardent ces lames de damas, historiées de lettres arabes, composée de fleurs et d'entrelacs semble empruntée au style avec lesquelles le sultan Saladin coupait des oreillers de plume oriental. au vol et qui portent sur le dos autant de crans qu'elles ont Les armes orientales présentent dans leur décoration un abattu de têtes; ces kandjars dont l'acier terne et bleuâtre perce caractère absolument différent de celui que nous avons vu dans les cuirasses comme des feuilles de papier et qui ont pour celles de l'Occident. La figure n'y joue aucun-rôle : la flore avec manche un écrin de pierreries ; ces vieux fusils à rouet et à les rinceaux et les entrelacs en constitue le système ornemental. mèche, merveilles de ciselure et d'incrustation; ces haches Le bazar des armes à Constantinople est le point de l'Europe d'armes qui ont peut-être servi à Timour, à Gengiskan, à Scan- où on peut le mieux se faire une idée de la fabrication orientale. derbeg, tout l'arsenal féroce et pittoresque de l'antique Islam. « Là, dit Théophile Gautier, se retrouvent les grands turbans Là rayonnent, scintillent et papillotent sous un rayon de soleil évasés, les dolmans bordés de fourrures, les larges pantalons à tombé de la haute voûte, les selles et les housses brodées d'or et ' poignard a manche de cristal orne de pierreries, la gaine en acier incrusté d o r, poignard incrusté d'or a manche en ivoire et gaine en or. (collection de s. a . r. le prince de galles.) LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. d'argent, constelle'es de soleils et de pierreries. Ce bazar est considéré comme si précieux, qu'il n'est pas permis d'y fumer; ce mot dit tout, car le Turc fataliste allumerait sa pipe sur une poudrière. » Constantinople, où viennent s'accumuler depuis des siècles toutes les richesses de l'industrie orientale, n'est pourtant pas une ville de travail, et les Turcs, pour leur part, n'ont pas apporté d'éléments nouveaux à l'art des Arabes, qui était en pleine prospérité à Damas et au Caire lorsqu'ils se sont rendus maîtres du pays. Le travail des armes de luxe n'est du reste dans tous ces pays qu'une branche de l'orfèvrerie, et l'ornemen- tation qui décore les casques et les boucliers est celle qu'on retrouve dans les aiguières et dans les lampes des mosquées. « Lès sabres persans ou turcs, dit A. Jacquemart, sont tous courbes et à poignées assez simples de forme, leur mérite est dans la lame seule ; l'Inde offre, au contraire, assez souvent des armes droites, sortes d'épées ou de sabres à spatule vers le bout, appelés kounda. Presque toujours les poignées indiennes se distinguent par leur petite dimension et par une rondelle en forme de cuvette servant de pommeau ; parfois cette cuvette est surmontée d'une petite tige un peu recourbée. On trouve aussi des épées indiennes dont la poignée arrondie enveloppe la main et se continue par un brassard ; comme on en trouve dont la lame est flamboyante ou en dents de scie. « Inutile de dire que les poignards sont non moins riches que les sabres ; souvent damasquinés sur la lame, ils ont des poignées précieuses de la plus grande élégance. Le jade, le cris- tal, rehaussés de pierres précieuses serties d'or, en sont les élé- ments les plus ordinaires, et, chose vraiment remarquable, cette richesse et ce goût semblent s'étendre à toutes les nations d'ori- gine indienne, à l'empire birman, la presqu'île de Malacca, le royaume de Siam et jusqu'à Java. Ce qui permet de distinguer toute cette dernière famille de produits, c'est la présence de figures monstrueuses étrangères aux habitudes d'ornementation des Indous proprement dits. « Il y a là, surtout parmi les poignards et à commencer par les khouttars, toute une collection précieuse et intéressante à former, les kris et les couteaux malais avec leurs ciselures mer- veilleuses creusées dans l'or et l'argentjvenant clore la série. « Nous voudrions parler des masses d'armes aux ailes découpées à jour, aux hampes damasquinées et rehaussées de turquoises ; des haches d'armes au tranchant bordé d'inscrip- tions, au fer damasquiné d'or, qui transforment parfois leur hampe en un pistolet primitif à mèche, et de ces armes d'hast, lances au fût peint en laque des plus riches arabesques ou tout en fer ciselé, à la lance ciselée de fines arabesques et relevée de rubis. » Les armes formaient certainement la partie la plus intéres- santé de la magnifique collection d'objets indiens, exposés par le prince de Galles en 1878. Il y avait là des poignards, des sabres, des boucliers, des fusils, des harnais, des selles d'une incomparable richesse, et qui n'étaient pas moins remarquables par la délicatesse et le fini des ornements que par la profusion des pierres précieuses qui les décoraient de toutes parts. On lit dans le Manuel de la Section des Indes britanniques: « Dans l'une des vitrines centrales, on remarque le canon d'un magnifique fusil à mèche splendidement damasquiné en or, avec une sorte de dessin de fleurs de pavot, les tetes des fleurs s'abaissant l'une au-dessus de l'autre de toute la longueur du bouclier ciselé et enrichi de diamants, accompagné d'une écharpe en soie de broderies et de pierreries. (collection de s. a, r. le prince de galles. — exposition universelle de 1878.) LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. canon. C'est le plus beau modèle de damasquinage de toute la lorsque les ouvriers indigènes purs imitent à la lettre les dessins collection du prince. Tout près se trouve un fusil à mèche européens. persan, dont la crosse est sculpte'e en ivoire sur un fond brun « Le caractère mécanique des manufactures européennes chocolat, et représente des scènes de la vie des animaux sau- exige dans l'ensemble un fini mécanique, tout à fait déplacé dans vages; chaque groupe est un véritable camée. Les armes les plus les compositions hardies et de libre allure des ouvrages supérieurs riches resplendissent d'or, d'émaux et de pierres précieuses, et artistiques du pays, dans lesquels le fini est rigoureusement su- sont généralement de pur dessin indien. Il n'y a à la vérité que bordonné à l'usage pratique et à l'effet artistique, et si le goût peu de place laissée à l'envahissement du dessin européen dans du fini mécanique devient prédominant, grâce à la propagation les armes orientales. Il y a cependant plusieurs épées et poi- des idées de la classe moyenne anglaise, parmi les princes et les guards de dessin indigène qui ont été montés par des ouvriers chefs de l'Inde, les œuvres indiennes, telles que les armes et anglais, et l'effet qui en résulte n'est pas moins déplorable que la joaillerie, deviendront bientôt des industries du passé, w LA SERRURERIE « La forge du serrurier, dit le serrurier Lamour dans son créer. Si Gérés donne du pain aux Cyclopes, c'est qu'ils lui PréliminaÍ7'e apologétique sur la forge, est aux autres inventions avaient fabriqué la charrue. Si le pieux Énée conserve et établit, de ce genre qui existent dans la société, ce que le génie est aux au milieu des combats, les fugitifs de Troie, c'est qu'il est sciences : elle en est l'âme et la force, aucune ne peut se passer armé par l'époux de Vénus. Notre nourriture et notre défense sont d'elle, et elle ne les a précédées toutes que pour aider à les des objets purement nécessaires, et si l'agriculture a des beautés, elles ne sont pas l'effet de l'art, elle les doit toutes à la nature ; magnifiques qui ne se répètent pas tous les jours, pour la consi- mais la serrurerie embellit encore l'utile. Elle a des parties pleines dérer seulement dans ses opérations ordinaires ; une clef est le d'agrément, de délicatesse et de majesté. Elle est susceptible de gage précieux de la sécurité publique. De là, la probité du ser- toutes les formes. Elle a, quand elle le veut, l'énergie de la pein- rurier devient le premier caractère de son art. Dans les autres, ture et de la sculpture, la hardiesse de la sculpture et toujours elle est toujours une vertu, parce qu'ils sont exercés par des la solidité. Tout ce qui sort de ses mains devient monument; hommes; mais dès l'origine de celui-ci, elle a été de son voyez-le dans nos palais, dans nos places publiques, dans nos essence. On sait que chez les Romains, lorsque leur austérité temples. Enfin dépouillez-la, si vous voulez, de ces ouvrages était encore féroce et que chaque républicain était despote dans i58 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. sa famille, une femme surprise avec une fausse clef pouvait être pentures. « De l'autre côté du Rhin, dit Viollet-le-Duc, on mise à mort par son mari... » fabriqua de merveilleux ouvrages de serrurerie pendant les xv° A l'exception des armes, les industries modernes n'ont et XVI® siècles. Les grilles du tombeau de Maximilien à Inspruck, employé le fer qu'assez tardivement. C'est dans les pentures des ' celles des cathédrales de Constance, de Munich, d'Augsbourg, portes qu'il apparaît d'abord, et il arrive assez vite à la perfec- qui datent du xvi® siècle, sont de véritables chefs-d'œuvre et tion, puisque les garnitures des portes de Notre-Dame, exécutées mériteraient de figurer dans une publication spéciale. » à la fin du xiii® siècle, sont considérées comme les chefs-d'œuvre Dans les travaux de serrurerie, comme dans bien d'autres du genre. industries, le style allemand s'arrête avec le xvi® siècle, et, à partir Les serrures les plus anciennes ne remontent pas au-delà de cette époque, les clefs aussi bien que les serrures affectent les du XII® siècle et elles se perfectionnent en même temps que les formes usitées en Italie et en France, sans parvenir à en créer CLEF EN FER. XVI® SIÈCLE. PASSE-PARTOUT DU ROI LOUIS XVI. de nouvelles. La serrurerie française de la Renaissance a produit même de la fameuse grille placée devant la Loggetta de Venise, des merveilles, et le musée de Cluny possède une riche collec- chef-d'œuvre d'Antonio Gai, exécuté en bronze contrairement tion de pièces de cette époque. Les plus belles sont peut-être à nos usages français, d'après lesquels les grilles sont toujours en celles qui proviennent du château d'Anet, bâti sous Henri II. fer forgé. Des travaux très remarquables ont été exécutés pendant tout le Les battants de porte aussi bien que les serrures et les clefs XVII® et le XVIII® siècle : on sait que le roi Louis XVI s'intéressait appartiennent à l'industrie propre du serrurier. Mais cette indus- vivement à cette industrie qu'il pratiquait personnellement, et trie ne se bornait pas là, elle comprenait aussi l'art des landiers dans laquelle il a même fait preuve de quelque talent. et des chenets qui a eu aussi un grand développement. Les heurtoirs et les marteaux de porte ont aussi fourni des La nécessité de n'employer pour les cheminées que motifs à quelques pièces admirables pendant le xv® et le xvi® des objets en métal capables de supporter les ardeurs du feu, siècle, et, dans ce genre, l'Italie est demeurée sans rivale. Là a fait donner une grande importance aux chenets qui, dès encore on retrouve les plus grands noms de la sculpture le commencement du xv' siècle, faisaient partie intégrante italienne. Mais en général, dans les pièces de ce genre, le du mobilier. Le musée de Cluny possède plusieurs beaux bronze a été employé plus souvent que le fer forgé. Il en est de modèles de chenets du moyen âge. La plupart sont d'assez LA SERRURERIE. i5g grande^ dimension et quelques-uns sont remarquables par leur fallait, à l'intérieur de ces cheminées, de forts chenets de fer, dé- décoration. signés alors sous le nom [de landiers, pour supporter les bûches « Les cheminées dans les habitations du moyen âge, dit énormes que l'on jetait sur le foyer et les empêcher de rouler Viollet-le-Duc, étaient larges et hautes. Généralement, un dans l'appartement. Il y avait les landiers de cuisine et les landiers homme pouvait y entrer debout sans se baisser, et dix ou d'appartement. Les premiers étaient assez compliqués comme douze personnes se plaçaient facilement autour de l'âtre. Il forme, car ils étaient destinés à plusieurs usages. Leur tige était MARTEAU DE PORTE EN FER FORGÉ ET GRAVÉ. TRAVAIL ITALIEN DU XV® SIÈCLE. munie de supports ou crochets pour recevoir les broches, et leur et hors du toyer de la cheminée, facilitaient la préparation de tête s'épanouissait en forme de petit réchaud pour préparer quel- ces mets. » ques mets, comme nos cases de fourneaux, ou pour maintenir Les landiers d'appartement étaient souvent décorés avec un les plats chauds. Dans les cuisines, l'usage des fourneaux divisés assez grand luxe. C'est à cette catégorie qu'appartiennent ces en plusieurs cases n'était pas fréquent comme de nos jours ; les grandes figures de chevaliers qui, dans les cheminées du moyen mets cuisaient sur le feu de la cheminée, et l'on comprend facile- âge, se dressent devant la flamme du foyer dont ils semblent ment que ces foyers ardents ne permettaient pas d'apprêter cer- être les gardiens. tains mets qu'il fallait remuer pendant leur cuisson ou qui se Au XVI® siècle, les grandes tiges qui, sur le devant des préparaient dans de petits poêlons. Les réchauds remplis de landiers, s'élevaient verticalement pour empêcher les bûches de braise à la tête des landiers, se trouvant à la hauteur de la main rouler sur le pavé, commencent à disparaître, et on voit le véri- LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. table chenet, où l'ancienne tige est remplacée par une boule de comme on le voit sur les beaux chenets de bronze dont Jean de métal sur laquelle on peut poser le pied pour se chauffer. Cette Bologne a donné les dessins. Comme toujours, les plus grands boule ne pouvait manquer d'être décorée; elle se chargea de artistes de l'école italienne ont prêté leur concours à cette bas-reliefs et se transforma quelquefois en élégantes figurines, industrie si humble en apparence, en sorte que Florence et MARTEAU DE PORTE. BRONZE FLORENTIN. XV® SIÈCLE. SAN DONATO. Venise ont conservé des chenets que l'on peut classer parmi les Les chenets en bronze ciselé du temps de Louis XVI ont chefs-d'œuvre de la sculpture et de la ciselure. quelquefois un caractère vraiment exquis dans leur allure; la Il en a été de même en France pendant tout le xvn® et le grâce un peu cherchée est toujours le caractère dominant de xvin® siècle. cette époque. Ces chenets qui, dans les cheminées de luxe, sont LANDIER EN FER FORGE, presque toujours dorés, ont d'ailleurs une dimension assez toutes les chambres, est relégué, avec toutes les choses du passé, restreinte, comme la cheminée à laquelle ils appartiennent. dans les collections des amateurs de bibelots. Les mouchettes Aujourd'hui que les bougies ont remplacé partout les dont on se servait dans la classe pauvre étaient en général d'un anciennes chandelles de suif avec lesquelles nos pères s'éclai- travail très grossier, et le peu de soin qu'on en prenait leur don- raient, on ne sait plus guère ce qu'étaient les mouchettes, et cet nait souvent un aspect d'une malpropreté repoussante ; mais ustensile de métal qui, il y a à peine quarante ans, se trouvait dans les maisons opulentes, on employait également des mou- dans tous les appartements, dans toutes les chaumières, dans chettes, pour la confection desquelles on dépensait quelquefois LA SERRURERIE. un véritable luxe. On a fait, au dernier siècle, des mouchettes monumental devrait peut-être faire classer ailleurs que dans un bleues damasquinées d'or qui pourraient, par la délicatesse du chapitre consacré à des objets usuels. Mais leur auteur était si travail, être classées dans la bijouterie. fier de son titre de serrurier, et il a poussé si loin l'art de tra- Parmi les ouvrages les plus importants de la serrurerie fran- vailler le fer, qu'il est impossible de parler de serrurerie d'art çaise il faut citer les grilles de Jean Lamour, que leur caractère sans songer aussitôt à ces admirables grilles de Nancy, qui seront toujours citées parmi les chefs-d'œuvre de nos industries l'ordre composite, sont d'un caractère très personnel, car l'au- d'art au xviii® siècle. teur avait en vue ce qu'il appelait l'ordre français, et il a apporté C'est sur la place Stanislas à Nancy que sont les belles dans cette intention des modifications qui en faisaient un décor grilles qui relient les édifices d'un aspect vraiment royal qui les absolument nouveau. décorent. dit Le serrurier Lamour les ce a toutes composées, dessinées Pour l'exécution matérielle du travail, voici qu'en de naain et forme sa ensuite exécutées, ainsi que les grands balcons des Jean Lamour lui-même : « Tout ce qui est en solide, fenêtres du palais, où est maintenant installé le musée de la comme les carcasses et les bâtis, les socles, les piédestaux, les ville. Le des les plat pilastres est à les gaines enrichies de baguettes et bases, les corps de pilastre, les chapiteaux, architraves, d'ornements tournants. Les chapiteaux, quoique se rattachant à corniches, etc., sont en fer battu et rivés sur les marnages. Les 21 102 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. tôles sont si exactement appliquées, qu'elles semblent ne faire casse nue, distribuer les parties si exactement qu'une ligne aurait qu'un meme corps. Les saillies des corniches, les diñérents changé les profils et les saillies. Il fallait, pour observer une profils y sont observés avec une précision qui fait douter que parfaite égalité, faire rouler les calibres, les échantillons, se ren- ce soit du fer forgé; à peine y aperçoit-on les rivures et les voyer les épaisseurs des corps, tant en plan qu'en élévation, joints. Pour construire ces ouvrages, il a fallu établir une car observer les lignes parallèles des aplombs, de même que les horizontales et dégauchir tous les corps, les consolider par tenons, présente une surprenante unité et un ensemble décoratif dont mortaises et congés, afin de les renforcer pour que le tout ne on chercheraitvainement un équivalent ailleurs. Enfin, les fasse qu'un seul et même assemblage. » rampes en fer forgé, qui décorent le grand escalier du palais, Ce système de décoration métallique a été appliqué par sont également dues à Jean Lamour. Voici la description que Lamour dans le grand balcon et les fenêtres de l'hôtel de ville. l'auteur en donne : « La courbure des doubles rampes, dit-il, ne De toutes parts, la teinte noire du fer se marie avec les détails semble pas être un ouvrage en fer forgé. La plate-bande annonce rehaussés d'or, et se détache tantôt sur la verdure des feuillages, un métal moulé et poussé avec le fer d'un menuisier, puisqu'il n'y tantôt sur la teinte claire des édifices, de sorte que l'ensemble a dans tous ses contours aucun jarret qui dérange un dessin suivi. LA SERRURERIE. i63 La peine qu'a donnée cette plate-bande n'est pas concevable; combien il faut faire couler le calibre pour dresser toutes les il faut être de l'art pour comprendre combien il faut de justesse moulures, filets et faces et pour ne point corrompre cette forme.» pour profiler et contourner ces pièces sans s'écarter du plan, Lamour, qui était le serrurier en titre de Stanislas, roi de MOUCHETTES EN ACIER BLEUI DAMASQUINÉ D'OR. TRAVAIL FRANÇAIS D'ENVIRON IJOO. (SOUTH KENSINGTON.) Pologne et duc de Lorraine, a passé toute sa vie à Nancy, sa ville « Après les premières années de ce siècle, dit M. Philippe natale. C'est le type de l'ouvrier intelligent et convaincu. Sui- Burty, commença la décadence de la serrurerie. A la grille vant lui, tous les travaux humains relèvent de la serrurerie, qui monumentale et capricieuse succéda un alignement monotone est aux autres industries ce que le génie est aux sciences. et niais de barreaux pointus. Des lances, encore des lances, toujours des lances, rien que des lances 1... Et pour changer, sant dans la cour du Carrousel la revue d'une compagnie de un paquet de lances noué par des rubans, ou les faisceaux de voltigeurs de da garde nationale, s'écria : « Fermez ces grilles, verges du licteur ! Le symbole d'une prison contre laquelle on « ces serins vont-s'envoler ! » Il avait raison, le brave maréchal, se heurte en entrant dans un jardin ou en pénétrant dans une rien ne ressemble mieux que ces grilles aux barreaux d'une cour 1... Vous souvient-il qu'un jour un maréchaljde France, pas- cage. » i 66 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. Une tentative de résurrection a eu lieu depuis quelques rerie architecturale n'a pas encore toute l'importance années. Les belles qu'on grilles du parc de Monceaux ont montré voudrait lui voir, ce n'est pas à nos artisans du métal qu'il faut que la serrurerie française n'avait pas perdu les traditions du s'en prendre, mais seulement aux architectes, qui ne semblent passé. Enfin, à nos dernières expositions, on a vu par les pas comprendre assez toute l'importance de cet élément de ouvrages de MM. Huby, Moreau et Baudry, que, si la serru décoration. LES BRONZES « Tout le monde sait, disait M. Guillaume, dans une confé- de la conception sculpturale. Il nous suffira de la belle rence faite à l'Union centrale des rappeler Beaux-Arts appliqués à figure d'Hermès ou Mercure, conservée au musée de l'Industrie, l'on Naples. que range sous la dénomination très générale de Dans les villes anciennes les ouvrages en bronze étaient bronzes une nombreuse série beaucoup d'alliages dans lesquels le cuivre, plus communs que ceux, en marbre. Mais comme le bronze est dominant dans une proportion très forte, se trouve uni, soit à de facile à fondre quand on veut l'employer pour d'autres l'étain, soit à du zinc, ceux-ci étant usages, purs ou mêlés avec du la destruction a été systématique et universelle, tandis les plomb, soit que avec tous ces métaux diversement associés. Il y a statues en marbre, ne représentant rien comme valeur intrin- aussi des bronzes qui contiennent de l'argent ou de l'antimoine, sèque, étaient négligées par les pillards. Nous devons à cela d'en et quelques-uns dans lesquels on rencontre des traces de fer. Les avoir conservé un assez grand nombre en marbre, tandis les combinaisons que qui peuvent résulter du mélange de ces différents ouvrages en bronze sont partout assez rares. Pour les bronzes éléments sont nombreuses. Quelles qu'elles soient, leur densité antiques, le musée de Naples est de beaucoup le plus riche de est supérieure à celle du cuivre ; elles sont plus dures et plus l'Europe et il le doit aux villes de Pompei et Herculanum, qui, tenaces que lui, et cependant plus fusibles ; elles coulent mieux ayant été détruites avant les invasions barbares et ayant ainsi aussi lorsqu'elles sont en fusion. Refroidies, elles offrent plus de échappé au moyen âge, ont été retrouvées à peu près intactes. résistance aux agents extérieurs et leur grain serré les rend sus- Le musée du Louvre, si riche en monuments de marbre, n'a ceptibles de recevoir par la main-d'œuvre un fini plus parfait. qu'une salle consacrée aux bronzes de l'antiquité. Elle contient « La composition du bronze a une grande importance, car une curieuse série d'ustensiles étrusques et romains, les- des parmi rapports que l'on établit entre ses parties constitutives résul- quels on remarque quelques belles cistes, une collection assez tent les qualités essentielles qu'il doit posséder : ce sont avant complète d'armes et de candélabres, des chaudrons, des vases de tout la fiuidité, la ductilité, la résistance. tous genres et de toutes formes, des coupes dont Il plusieurs sont « faut, en effet, ' que le métal liquéfié pénètre activement d'une belle conservation, et quelques objets d'un caractère dans plus toutes les parties du moule, en épouse tous les replis ; il spécial, par exemple les strigiles dont se servaient les athlètes faut qu'il reçoive sans se briser le travail du marteau, sans se pour se gratter la peau encore tout imprégnée d'huile et de déchirer celui du ciseau ou du burin, sans s'érailler ou s'empâter sable, et qui plus tard sont devenus d'un usage général dans les celui de la lime; il doit avoir la ténacité qui, tout en assurant la bains publics. Parmi les statuettes, il faut signaler, outre les solidité des ouvrages, permet à l'artiste de leur donner le carac- images des divinités dont quelques-unes sont fort belles, quelques tère et l'effet que la matière comporte; déplus il est nécessaire figurines d'acteurs et de mimes, des acrobates faisant divers que la fonte ait naturellement une belle couleur, car on peut tours, des masques tragiques ou comiques, des figures gro- vouloir conserver celle-ci ; il faut, en tout cas, qu'elle puisse tesques, des figures de gladiateurs et d'auriges, et d'autres per- bien prendre la patine. sonnages du même genre, qui rappellent la passion des anciens « La couleur naturelle offre à mon sens un grand intérêt. pour les spectacles. On n'en tient pas tout le compte qu'il faudrait ; elle peut seconder Nous avons déjà parlé plus haut des bustes antiques en les vues de l'artiste; il est possible de la fixer. D'un autre côté, bronze, mais nous avons omis de signaler à l'attention du lec- la coloration que le bronze contracte par une légère oxydation teur la manière particulière dont les anciens traitaient souvent de la surface, et qui est la patine, cette coloration tient aussi les cheveux et la barbe, et qui ne semble pas avoir été adoptée dans la sculpture en bronze une place importante. On arrive par nos statuaires modernes. artificiellement à donner des teintes qui, bien que factices, sont « Il n'est pas à ma connaissance, dit M. Guillaume, que l'on solides, et on peut par là introduire dans une œuvre une variété ait jamais imité, même de loin, le beau buste de Bacchus, dit que l'art ne répudie point. Mais suivant que la patine, qui est le Platon, de Naples, qui offre cet exemple si digne de remarque l'effet du temps, se produit avec une couleur légère ou pesante, que les mèches de cheveux et de la barbe sont terminées par des suivant qu'elle a l'apparence d'un émail brillant ou d'un sédiment fils de métal roulé qui ont la mobilité et la légèreté des boucles terreux, elle devient pour le métal une marque de noblesse ou naturelles. Même observation pour la tête de Vespasien qui est un signe d'infériorité. Aussi, pour tous ces motifs, s'est-on beau- au Louvre, et qui porte une couronne dont les feuilles ont été coup occupé de rechercher et de déterminer les proportions de rapportées une à une, ce qui donne à l'image une singulière l'alliage. » ampleur. » L'antiquité nous a laissé quelques bronzes admirables, aussi Le moyen âge, qui nous a laissé dans l'orfèvrerie de si admi- bien sous le rapport de l'exécution technique que sous celui 1 rabies modèles, est resté en arrière pour les grands ouvrages LES BRONZES. 167 en bronze, et le xv® siècle italien a e'té, à ce point de vue, une musée, par le nombre et la qualité des ouvrages en bronze véritable résurrection. Florence, indépendamment de ses mer- qui décorent ses places publiques et la façade de ses édifices. veilleuses collections, peut être considérée comme un immense Sous les arcades du portique appelé la Loggia dé" Lan^i on voit d'abord le fameux Persée de Benvenuto Cellini. Le célèbre Les jolies statues qui décorent le piédestal sont également son orfèvre a raconté tout au long dans ses mémoires les péripéties ouvrage. Non loin de là et sous le même portique, on trouve le qui ont accompagné la fonte de cet ouvrage célèbre, les difficultés curieux groupe de Donatello représentant Judith et Holopherne. matérielles qu'il a dû vaincre et les angoisses qu'il a éprouvées Ce qui a, dit-on, le plus contribué à donner à cette composition. J68 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. plus bizarre qu'e'légante, une grande célébrité', c'est que, lorsque A Venise, le bronze joue un rôle important dans la déco- le groupe fut mis en place, après la fuite de Pierre de Médicis, . ration des places et des monuments. Ainsi, sur la place Saint- on vit là une allusion à la délivrance de la tyrannie. Marc, les trois mâts, où flottaient les étendards de la Répu- Les admirables Portes du baptistère de Florence, sculptées blique, symbole de la puissance de Venise sur les royaumes de par Ghiberti, sont considérées comme un des plus grands chefs- Chypre, de Candie et de la Morée, reposaient sur de superbes d'œuvre que la sculpture ait produits ; nous n'avons pas à y piliers de bronze, sculptés par A. Leopardi. Sur l'un de ces revenir puisque nous en avons déjà parlé plus haut. Mais il faut piliers, on voit un médaillon représentant le doge Leonardo dire deux mots de la Porte de bronze, que Jacopo Sansovino Loredano. Les deux grandes vasques de bronze qui ornent la a exécutée pour l'entrée de la sacristie de la basilique de Saint- cour du Palais ducal sont aussi d'un bel effet décoratif. Marc, à Venise. Il ne faut pas chercher ici le style incomparable On comprend que nous ne pouvons en aucune façon dresser de Ghiberti, mais une vie et une animation qui rattachent en ici un catalogue même sommaire des grands ouvrages de bronze quelque sorte le fameux sculpteur vénitien à la famille des qui décorent les palais ou les places publiques, pas plus que des grands coloristes, ses compatriotes. Les têtes qui se détachent en statues en bronze qui font l'admiration des touristes, dans les haut-relief, dans les compartiments qui décorent la bordure, musées ou les églises d'Italie. Il nous suffit de montrer les diffé- sont toutes des portraits, et parmi eux on remarque celui de rents emplois du bronze pendant le xv® et le xvi® siècle Sansovino lui-même, ainsi que ceux de ses deux amis intimes, en Italie. Nous rappellerons aussi, pour en finir avec la statuaire le Titien et l'Arétin. de la Renaissance, qu'indépendamment des sujets religieux ou coffret en bronze. travail italien de i 5 3 o. (south kJensington.) mythologiques conçus dans une intention décorative, d'admi- décadence? Certes si on compare cette époque à celle qui la pré- rabies portraits en pied des grands personnages du temps, une cède, on est bien obligé de reconnaître que le terme de déca- série de bustes parmi lesquels il suffit de citer celui de Cosme I®'" dence n'a rien d'exagéré. Et cependant il ne faudrait pas se de Médicis, dans le musée de Florence, montrent la très grande méprendre sur la valeur du terme; l'art italien, qui avait été extension de la sculpture à cette époque, en même temps que sublime, s'est abaissé lorsqu'il n'a plus été que spirituel et 1 extrême habileté des fondeurs. Il faut également rappeler les amusant, mais on peut lui rendre cette justice qu'il n'a jamais admirables candélabres de bronze, tout ornementés et enrichis été plat et banal. On peut se plaindre des attitudes violentes et des plus gracieuses figures, comme ceux qu'on admire dans des formes souvent boursouflées que prennent les figures du plusieurs églises d'Italie, ainsi que dans quelques collections Bernin, on peut trouver que telle statuette de travail italien se célèbres, par exemple dans le musée d'industrie artistique de Milan. rapportant au xviii® siècle a des allures sémillantes peu en Nos musées d'Europe possèdent presque tous de ravissants rapport avec la gravité d'allures qu'on demande habituellement petits coffrets de bronze, dont toutes les surfaces sont décorées à la sculpture, mais ce sont là des traits qui caractérisent une de bas-reliefs, et les angles de statuettes en même temps que la époque bien plutôt qu'une nation et qu'on retrouve à peu près poignée et les pieds sont enrichis de fines ciselures. Quoiqu'une partout au même degré dans la période dont nous parlons. élégance un peu recherchée soit le caractère habituel de ces La Renaissance allemande a produit de très habiles petits meubles, il y en a quelques-uns dont le caractère monu- sculpteurs et d'excellents orfèvres, mais ils n'ont que bien rare- mental est tellement accusé, qu'on est tenté en les voyant de ment travaillé le bronze, en sorte que nous n'avons pas à nous ea prononcer les plus grands noms de la sculpture, et il est telle occuper ici. La même observation peut s'appliquer aux Pays-Bas, cassette en bronze par exemple, dont le couvercle est orné de et quoique la Belgique ait eu quelques fondeurs célèbres, les ou- figures en bas-relief que la tradition attribue à Michel-Ange. vrages en bois ou en pierre y sont bien plus nombreux et surtout Qu est-il advenu de la statuaire italienne pendant le xvii® et plus importants au point de vue de l'art que ceux qui devaient le xviii® siècle, qu'on range ordinairement dans la période de être exécutés en bronze. Néanmoins, il faut faire mention des ■ anoovino. se ■J'OJ^.'rE EN ER0NZ1Í I31'^. J..A SACRISTIF, ^aro I CANDELABRE EN BRONZE DU XVI® SIECLE ( Mu^ée, cL'Art ¿ruL·i^ tri&L ¿Le-MU-aji^ ) COUVERCLE DE CASSETTE EU BROUZE Eudes imp LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. petits mortiers de cuivre ou de bronze que l'on rencontre assez rique, les épices commencèrent à devenir une des nécessités de la fréquemment dans ces pays. Ces mortiers, dont quelques-uns vie quotidienne. Il fallait des mortiers pour les piler, et non sont décorés assez richement, portent presque tous une date, et seulement on en trouvait chez tous les droguistes et les phar- la plupart sont pourvus d'une inscription indiquant le nom du maciens, mais encore dans la plupart des ménages aisés. maître fondeur qui lés a exécutés. Leur usage vient de l'époque La Renaissance française, quoiqu'elle ne vienne qu'en où, par suite des rapports plus fréquents avec les Indes etl'Amé- seconde ligne, puisque la place d'honneur appartient de droit à DEUX DES FIGURES QUI ORNE.N'T LE PIÉDESTAL l'Italie, a été sous le rapport de la production du bronze une assez tellement impatient d'être cardinal qu'il fut tout à coup veuf » brillante époque. Presque tous nos grands sculpteurs ont tra- Le cardinal en bronze, la tête nue, les mains jointes, est age- vaillé le bronze en même temps que le marbre, et d'assez nom- nouillé devant un prie-Dieu en marbre blanc. Le tombeau de breux monuments montrent l'association des deux matières. Le sa iemme est placé vis-à-vis. Il existe un projet de la main de tombeau du chancelier Birague et de sa femme, œuvre de Ger- Germain Pilon, qui montre le tombeau de Birague, comme main Pilon conservée au musée du Louvre, peut nous donner l'artiste l'avait conçu primitivement, et qui d'ailleurs n'offre une idée de ce genre de sculpture. C'est de ce personnage que pas de différences essentielles avec le monument tel qu'il a Michelet a dit : « Birague, l'homme de la Saint-Barthélemy, été exécuté. Plusieurs des tombeaux royaux de Saint-Denis DU PERSÉE DE BENVENUTO CELLINI. LES BRONZES. portent comme celui-ci des figures de bronze faisant corps avec i coup plus important que le bronze. Nous avons en revanche un monument en marbre. ! quelques bustes en bronze qui sont, à bon droit, considérés Il est juste de dire pourtant que, dans la plupart des monu- 1 comme des chefs-d'œuvre. ments de la Renaissance française, le marbre joue un rôle beau- ! Parmi les bustes en bronze attribués à Germain Pilon, il y NEPTUNE, STATUETTE EN BRONZE PAR LE BERNIN. en a un dont l'authenticité ne repose peut-être pas sur des magistrale dont l'austérité d'allure contraste un peu avec les documents parfaitement établis, mais qui compte assurément habitudes du maître, mais qui est assurément digne de lui parmi les plus beaux ouvrages de la Renaissance ; c'est celui de par le savoir et l'exécution. Jean de Morvilliers, évêque d'Orléans, et garde des sceaux de Au commencement du xvii® siècle^ une transformation France ; il appartient à l'évêché d'Orléans et a figuré à l'Expo- complète survint dans l'architecture française. Au lieu des raffi- sition rétrospective du Trocadéro en 1878. C'est une œuvre nements et des élégances de la Renaissance, au lieu des délicates LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. arabesques qui couraient le long des pilastres, des frises qui décoration des salles et des escaliers intérieurs, dont l'aspect encadraient d'une manière si exquise les portes et les fenetres, luxueux et grandiose est partout nettement caractérisé. nos architectes s'attachèrent à exprimer l'ide'e de solidité et de Or nous devons remarquer que ce résultat est presque tou- puissance. Si les tâtonnements, qui accompagnent toujours une jours dû à la combinaison des bronzes, tantôt sombres, tantôt modification du goût public, amenèrent quelquefois, sous dorés, avec les marbres de couleur sur lesquels ils se détachent. Henri IV et sous Louis XIII, par exemple, un résultat un peu Il nous suffira de rappeler le grand escalier du palais de Ver- massif, les artistes atteignirent complètement sous Louis XIV le sailles, dont la décoration, faite d'après les dessins de Ch. Lebrun, but qu'ils avaient tenté de réaliser depuis un demi-siècle. On est enrichie de bronzes exécutés par Coysevox. Le but des peut ne pas aimer le style Louis XIV ; on peut lui trouver artistes a été certainement de donner une haute idée de la puis- parfois des allures un peu compassées, mais ce qu'on ne peut sanee et de la richesse du monarque pour lequel ils travail- lui dénier, c'est une véritable empreinte de grandeur et de laient ; ils ont pleinement réussi, car l'aspect de cette décora- majesté. La beauté de cette architecture toutefois n'est ni dans tion est vraiment royal, et les imitations qui en ont été faites à les façades dont la solennité est souvent un peu froide, ni dans l'envi dans les palais princiers de l'Europe sont bien loin d'avoir les profils dont le contour est parfois un peu sec, mais dans la cette grandeur d'allure. A cette époque aussi, les groupes et les statues en bronze bassin de Neptune. L'exécution de la plupart des groupes qui le furent employés pour la décoration des parcs, concurremment décorent ne remonte qu'au xvm® siècle, mais l'ensemble du avec les ouvrages en marbre. C'est alors que les Keller acquirent bassin est une conception du xvii®. Le groupe central représente leur grande célébrité comme fondeurs. C'est à eux qu'on doit la Neptune et Amphitrite. Neptune est assis dans une grande fonte des deux belles fontaines décorées d'animaux qui ter- conque et tient son trident ; Amphitrite est à sa gauche ; près minent le parterre du côté du parc. A gauche, le Tigre terras- d'elle, une naïade lui présente des productions maritimes, tandis sant un ours, et le Limier abattant un cerf, ont été sculptés par que les tritons et les monstres marins se jouent autour des deux Houzeau. A droite, le Lion terrassant un sanglier, etle Lion ter- divinités. Lambert-Sigisbert Adam est l'auteur de ce beau rassant un loup, sont des ouvrages de Van Clève. De grands groupe, qui a'été terminé en 1740. Les autres groupes qui déco- groupes décoratifs, dont à vrai dire quelques-uns sont seulement rent le bassin sont dus à Lemoine et à Bouchardon. C'est égale- en plomb, étaient regardés à cette époque comme l'accessoire ment Bouchardon qui est l'auteur des deux Amours conduisant indispensable d'un bassin, et cet usage s'est perpétué jusqu'au des dragons marins. Outre ces statues, le bassin est bordé du milieu du xviii® siècle. C'est le parc de Versailles qui montre les côté du château par une série de vases richement décorés, qui plus beaux modèles de ce genre d'ornementation. De nombreux produisent l'effet le plus grandiose. bassins ont été ornés de sujets mythologiques qui, lorsque les gran- Le métal s'introduisait dans le mobilier en même temps que des eaux jouent, font l'office defontainesjaillissantes. Aubout du dans l'architecture, mais ce n'est guère que vers le xviii® siècle tapis vert et à l'entrée du grand canal, on trouve le bassin qu'on a commencé à faire ces cartels si gracieusement contour- d'Apollon, qui est des plus importants par sa décoration. Il tire nés qui s'accrochaient aux parois des salons. son nom d'un groupe en plomb, exécuté par Tuby, sur le dessin Les figures accompagnent quelquefois, mais rarement, ces de Lebrun, et qui produit le plus bel effet. Mais le vrai belles horloges dont l'encadrement en bronze doré et ciselé est chef-d'œuvre dans ce même genre, c'est sans contredit le resté comme un des types les mieux caractérisés du mobilier MORTIER EN CUIVRE FONDU. MORTIER DE LAMBERT YANSOEN. TRAVAIL (iSgq.) ALLEMAND DE LA FIN DU XVI® SIECLE. (COLLECTION GERMAIN BAR ST.) LES BRONZES. 173 français sous Louis XV. Un grand et superbe cartel, dans l'hôtel un groupe de deux petites figures : un berger jouant de la du prince Galitzin, à Bruxelles, formé de feuillages et de fleurs flûte, et une bergère assise, qui tient sa houlette, en même de grande dimension, est couronné dans sa partie supérieure par temps qu'elle caresse un mouton. Ce genre de décor indique JEAN DE MORVILLIERS, ÉVÊQUE D'ORLÉANS, GARDE DES SCEAUX DE FRANCE. BUSTE EN BRONZE ATTRIBUÉ A GERMAIN PILON. l'époque de transition ; car quand le goût des pastorales a corn- lement à l'art du métal, et, au xvin® siècle, il prend assez fré- meneé à se répandre, les ornements contournés du style rocaille quemment la forme d'applique posée contre la muraille. C'est ce étaient bien près de disparaître. qu'on nomme des bras : la matière qui les compose est presque De même que la pendule, le candélabre appartient essentiel toujours de bronze doré. 174 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. Quelques-uns de ces bras en bronze doré du temps de Des ciseleurs d'un très grand talent exécutaient souvent ces Louis XV présentent des enroulements dont le vigoureux carac- appliques. Les écrivains du dernier siècle, qui nous ont transmis tère contraste avec les élégances mignardes qui sont venues à la tant de détails sur les faits et gestes des grands personnages de mode un quart de siècle plus tard. On peut citer comme types leur temps, ne nous fournissent aucun renseignement sur les du genre ceux qui décorent le palais royal de Gênes. Au reste, le admirables ciseleurs qui portèrent si haut l'art du bronze sous même palais renferme aussi de superbes bras du temps de Louis XVI. On ne sait même pas exactement l'époque où est né Louis XYI, en sorte qu'il est facile d'apprécier la différence pro- Gouthière, le plus célèbre d'entre eux : cependant on en fixe fonde qu'il y a entre les deux styles. approxhnativement la date à 1740. Le plus ancien document GUE. que l'on connaisse sur ses œuvres remonte à Tannée 1766. époque, car c'est cette année-là qu'il commença les travaux du « Gouthière avait donné à mon bisaïeul, Jacques Rondot, dit pavillon de Luciennes, pour M™" du Barry, travaux qui durent être M. Natalis Rondot, dans une note publiée par la Chronique des très considérables, puisqu'elle y dépensa, suivant un auteur du Arts^ des dessins de plusieurs de ses ouvrages ou de ses compo- temps, plus que les maîtresses de dix rois réunis. « On ne pouvait sitions ; j'en possède encore six. Deux sont de la main de Gou- rien voir, dit le Manuel du voyageur aux environs de Paris, par thière et sont signés par lui. Ils représentent des vases dont l'anse Villiers, an X, de plus précieux, de plus fini, que ces bronzes ■est formée dans l'un par un faune, dans l'autre par une sirène. que Gouthière avait pour ainsi dire pétris. Le grand salon était Deux autres dessins de vases portent le nom de Gouthière, écrit orné d'une corniche à console, véritable chef-d'œuvre ; une autre par une main étrangère ; un autre dessin de vase est signé : Le pièce, le salon ovale, était revêtue de glaces qui répétaient une Barbier. Del. 1766, avec cette mention : Exécuté par Gouthière. » superbe cheminée de lapis en forme de trépied, d'une richesse En 1771, Gouthière prenait le titre de ciseleur et doreur du prodigieuse de bronze. Depuis ces ouvrages, on n'a pas porté Roy ; sa réputation devait être déjà très grande à la même l'art de façonner le bronze à un plus haut degré de perfection. » lt.;!!IÍIIII|lliig»KIIUilllll|llli|SÍ!¡{i|»iS;iyilltl(|JliHI!!Í!lllia{t!Íliií!!!M!I)tí!«;i!flkltfttI!lllF9MFfcr;f(fSMIIIII!!!!!;;;!>!!VE;MllllllltI3t;i;!^^ '!Ívijíi|ïijijjj|'Íg]j- LES ARMES DE FRANCE ET DE NAVARRE, DANS LE GRAND ESCALIER DE VERSAILLES. EXÉCUTÉES EN BRONZE, PAR ANTOINE COYSEVOX, SUR LES DESSINS DE CHARLES LEBRUN. 176 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. M. le baron Ch. Davillier, qui a fait sur Gouthière une des arts du département de Seine-et-Oise se transporta à étude spéciale, nous fournit les renseignements suivants sur la Luciennes et fit l'inventaire de tous ses objets mobiliers saisis triste fin du grand artiste : « On sait, dit-il, que M™<^ du Barry, par le domaine, comme le furent alors tous les biens de condam- condamnée par un arrêt aussi injuste qu'inutile, fut exécutée le nés à mort et d'émigrés. Gouthière, qui depuis longtemps 8 décembre lygS. Peu de temps après sa mort, la commission n'avait rien reçu de la comtesse, réclama au Domaine, le i^'fruc- tidor an III (10 août 1795), le payement de ses mémoires, « compris le voyage des ouvriers ; la monture et l'ajustage des qui montaient à 756,000 francs, somme considérable, même si « mêmes ornements, 46,000 francs ; la dorure, 63,000 francs, l'on a égard à la dépréciation du papier-monnaie. Le ciseleur, « pour la pose des dorures, 5,000 francs, compris le qui prenait la qualité d'inventeur de la dorure au mat^ expliquait « voyage des ouvriers. Trois autres piédestaux pareils étaient dans sa réclamation qu'il « avait contribué de ses travaux aux « portés à 420,000 francs. » Bien qu'il consentît à réduire le « munificences de Luciennes ; la ciselure des bronzes d'un seul tout de 756,000 francs à 642,000 francs, en retenant certains « piédestal et de quelques accessoires était évaluée 5o,ooo francs. objets non terminés et non livrés, Gouthière ne put se faire LES BRONZES. T77 payer par l'administration. Une commission avait été chargée Plus de dix ans après, en 1806, le pauvre artiste, sans doute de les examiner ; mais presque aucun des créanciers ne fut payé. ruiné depuis longtemps, adressa au Domaine une nouvelle GRAND CARTEL LOUIS XV, EN BRONZE CISELÉ ET DORÉ. demande en liquidation, mais sans plus de succès, et, réduit à logue du cabinet du duc d'Aumont, sont extraits des pièces du solliciter une place à l'hospice, il mourut dans la misère. » Les procès intenté par Gouthière fils aux héritiers de du Barry, documents cités par M. le baron Ch. Davillier, dans son cata Parmi les pièces les plus célèbres qui sont considérées .78 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. comme étant l'œuvre authentique de Gouthière, il faut citer sur un trépied à têtes de satyres, en bronze doré, garni de trois deux grands et magnifiques candélabres à trois lumières, en anneaux et reposant sur trois sphinx ailés, en bronze vert, bronze ciselé et doré au mat, qui faisaient partie de la célèbre accroupis sur une base en marbre bleu turquoise]; cette base est collection de San Donato. « Ils sont composés chacun, dit le ornée de petites branches de vigne, de vases de fruits et de catalogue, d'un vase ovoïde en diorite orbiculaire antique, élevé petites couronnes ; au centre du trépied, un serpent enroulé. w partant de la base, rejoint la partie inférieure du vase ; trois lumières, formé d'une corne d'abondance que tient une figure de branches contournées, à feuilles d'acanthe et couronnées de femme en bronze vert. vigne, sont placées au-dessus des têtes de satyres. Le haut du « Les bronzes Louis XVI ne se décrivent pas, dit A. Jacque- vase est surmonté d'un groupe de fruits d'où se détache un hou- mart ; les moins éclairés les reconnaissent entre tous. Ces quet de roses et d'oeillets, le tout en bronze ciselé et doré au mat, groupes délicats enlacés pour soutenir des de la tiges multiples qui plus grande finesse. » vont dérouler leurs rinceaux et fleurir en culots destinés à Un porter type que l'on rencontre assez fréquemment dans le des lumières sans nombre, ces génies se les mobilier jouant parmi du guir- temps de Louis XVI, c'est le candélabre à trois landes de fleurs, et les acanthes dont les plus nombreux ont la LES BRONZES. 179 souplesse de la fibre végétale ; toute cette fine ornementation veille les délicates porcelaines de Sèvres, de la Saxe et de l'Inde. rivale du bijou, rendue plus douce encore par l'or mat qui lui Certes, il y a loin de cette mièvrerie à la science robuste du enlève les reflets métalliques, c'était bien là ce qui convenait aux XVI® siècle, mais on y lit bien la politesse galante et le dernier mœurs polies, épurées, qu'avait voulu inaugurer Marie-An toi- sourire de cette société qu'une sanglante bourrasque va faire dis- nette. Posés sur les tables et les consoles mignonnes, sur les paraître. » cheminées de marbre blanc, ces bronzes accompagnaient à mer- La statuaire subit à la fin du xviii® siècle une transformation s.) complète qui s'opéra par un double mouvement. D'abord on vit ritent d'être mentionnés. Dans les arts industriels, le retour à l'an- une tentative de réalisme dont Pigalle et Houdon furent les tiquité, que nous avons signalé dans l'orfèvrerie, modifia égale- représentants les plus décidés. Les bustes qu'on doit à ces deux ment le style des ouvrages en bronze, et on doit à Thomire des artistes se distinguent par un caractère d'individualisme très pendules et des statuettes meublantes qui caractérisent assez prononcé, dont le portrait de Diderot, exécuté en bronze par bien le goût qui a prévalu sous le premier Empire. Clodion, qui Pigalle, est un des types les plus remarquables. Le mouve- appartient à la même époque, fut un dissident qui, à cause de sa ment classique, dont Louis David a été le représentant le plus personnalité, mérite une mention spéciale. Dans ses statuettes, décidé pour la peinture, eut naturellement son contre-coup dans il a toute la grâce et même l'afféterie du xviii® siècle, dont il la sculpture, mais il inspira peu d'ouvrages en bronze qui mé- semble être un représentant égaré dans un monde peu fait pour LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. l'apprécier, mais dans l'ornementation, et notamment dans les Le mouvement romantique de i83o^ en détachant les sculp- appliques en bronze doré dont il a donné les modèles, il semble teurs de l'étude trop exclusive de l'antiquité romaine, eut pour céder à l'entraînement général, et ses ouvrages ne se distinguent effet de les ramener à la nature, et un très grand progrès fut pas essentiellement de ceux de ses contemporains. accompli à partir de cette époque, non seulement dans la sta- tuaire proprement dite, mais encore dans toutes les industries mais encore pour les statuettes et les petits groupes d'animaux qui s'y rattachent. Dans les bronzes, Barye est certainement qu'il a faits en vue de l'industrie. Malgré la dimension très res- parmi nos sculpteurs contemporains celui qu'il convient de nom- treinte qu'il a dû donner à de petits bronzes destinés à être pla- mer en premier lieu, non seulement pour les admirables ouvrages cés sur des cheminées ou même à servir de serre-papiers, Barye qui décorent nos jardins publics et quelques-uns de nos édifices. a su imprimer à toutes ses œuvres un caractère vraiment monu- i paire de candélabres en diorite orbiculaire par gouthière. è LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES, mental, et ses plus petits ouvrages pourraient toujours, s'ils labeur de celui qui crée le modèle. Un grand artiste que nous étaient grandis, former la décoration d'une place publique. Un admirons tous, M. Barye, pense autrement. Il ne se remet à fait qu'il est bon de noter, parce qu'il est contraire à nos habi- personne du soin de fondre ses ouvrages ; il ne les quitte qu'ache- tudes contemporaines, c'est que Barye, comme les sculpteurs de vés ; il est dans le vrai. Mais l'habileté de nos fondeurs ne laisse la Renaissance et de l'antiquité, ne se contentait pas de faire le rien à désirer. Chez eux l'on moule au sable d'une manière modèle, il travaillait personnellement le bronze et n'était étranger excellente : nos fontes brutes sont parfaites. Les procédés de la à aucune des parties techniques de son art. « Quant à la repro- cire perdue ne sont point tombés dans l'oubli ; mais à cet égard duction de son oeuvre en métal, dit M. Guillaume, j'admettrai notre indifférence est extrême Il est certain, ajoute M, Guil- volontiers que les soins de la fonte peuvent être distraits du laume, que, dans l'antiquité, les statuaires non seulement mode- C.\NDÉLABRES LOUIS XVI. laient leurs statues, mais encore qu'ils les fondaient et leur don- menee sa statue, jusqu'à celui où elle est prête à aller décorer naient, en les ciselant eux-mêmes, la dernière main. Les artistes un monument : du moyen âge et ceux de la Renaissance continuaient ces erre- — Le statuaire fait son petit modèle en terre. ments. Quelques-uns même, et des plus illustres, se livraient — On le moule en plâtre et il le répare. par plaisir à des travaux que nous délaissons ; car nous savons — Il l'exécute en grand en terre. que Brunelleschi, le grand architecte florentin, qui était aussi — On le moule à creux perdu pour en avoir un plâtre. un grand sculpteur, dans ses loisirs, aidait Ghiberti à ciseler les — Le plâtre est réparé. portes du Baptistère. Si l'admiration qu'excitaient les beaux — On le moule à bon creux. bronzes était raisonnée, les sculpteurs modernes essayeraient de — On garnit le moule avec de la cire. suivre l'exemple de leurs devanciers. » — On le construit dans la fosse et l'on place les armatures. Voici comment Clarac, dans son grand ouvrage sur la sculp- — On finit d'élever le moule et d'y repousser la cire. ture, énumére les opérations de la fonte d'une statue équestre — On coule le noyau. colossale à cire perdue, depuis le moment où le statuaire com- — Le moule est démonté. 184 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. — Après avoir réparé la cire, on dispose les jets et les évents. — Elle est réparée, ciselée, assemblée, mise en place. — On fait le moule de potée. Ce n'est pas ici le lieu de décrire en détail chacune de ces — On rétrécit et l'on remplit la fosse, opérations, mais, pour la partie technique de la fonte des grands — Fusion de la cire et cuisson du moule. ouvrages, on trouvera tous les détails désirables, soit dans le — On l'enterre et l'on fait l'écheno. récit que Cellini a donné dans ses mémoires de la fonte de son — Le moule étant prêt, on coule la statue, Persée^ soit dans les écrits du sculpteur Falconnet, qui décrit — On la tire du moule. minutieusement toutes les opérations auxquelles il s'est livré pour la fonte de sa grande statue de Pierre le Grand, à Saint- sentant les Gracques, qui est maintenant au musée du Luxem- Pétersbourg. bourg. Ce groupe marque véritablement une date, car c'est à Revenons maintenant à la sculpture proprement dite. Nous partir de cette époque que les sculpteurs s'attachent de plus en croyons que les progrès accomplis depuis quelques années dans plus à produire des ouvrages en métal. la statuaire en bronze sont dus en grande partie à M. Guillaume, Aujourd'hui, de grands ouvrages en métal décorent la plu- qui a exercé une très grande influence, non seulement sur les part de nos édifices. Il suffit de rappeler l'Apollon^ de Milet, qui jeunes artistes qu'il a si longtemps dirigés, mais encore sur le surmonte l'Opéra, le Génie des A)-ts^ de Mercié, qui décore le goût de ses contemporains. On n'a pas oublié la sensation que grand guichet du Louvre, et bien d'autres ouvrages remar- produisit au Salon de i855 son beau groupe en bronze repré quables dont l'énumération seule nous entraînerait trop loin. mQ. Jc Elioéne Guillaume sc. A.Lalauze aq, LES GEACQUE.S / .Mws&e.' duy Lur&nbouj-c/ .J Imp.A. Sa]mor» i86 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. Des animaux en bronze de grandeur colossale, des vases déco- Parmi ceux-ci, il est impossible de ne pas nommer en passant ratils ou des statues viennent tour à tour prendre place dans nos M. Pyat, qui a composé les modèles d'une foule de candélabres, jardins publics, dans nos squares, sur nos places. Et Paris n'est de pendules, de vases et d'objets de tous genres, souvent remar- pas seul à bénéficier de ce mouvement : la province le suit avec qués à nos expositions, et M. Constant Sévin, qui est plus spé- empressement, et honore ses grands hommes avec des statues ou cialement attaché à la maison Barbedienne, et qui est l'auteur, des monuments commémoratifs. C'est ainsi Renaissance que le conseil mu- entre autres choses, de la belle pendule style que nicipal de Besançon vient de faire placer sur la maison où est tout le monde a admirée en 1878. M. Barbedienne occupe aujour- né Victor Hugo une plaque commémorative en bronze, com- d'hui le premier rang parmi nos fabricants de bronzes d'art : il a posée et exécutée par M. Yilleminot, et qui a figuré à l'exposi- acquis cette haute position autant par le zèle qu'il met à s'en- tion de l'Union centrale en 1880. tourer des collaborateurs les plus habiles, lorsqu'il s'agit de mon- M. Yilleminot, auquel on doit plusieurs ouvrages d'un carac- trer des modèles nouveaux, que par le soin qu'il apporte à ses tère monumental, notamment le grand lion qui figurait à l'Ex- belles reproductions des ouvrages du passé. Ajoutons que, pour position universelle de 1878 et le grand vase décoratif qui décore la beauté de ses fontes, M. Barbedienne peut rivaliser avec les maintenant le square de la rue de Sèvres, est aussi un des ar- meilleurs modèles du passé, et avec ceux de l'extrême Orient qu'il tistes qui ont le plus contribué à élever nos industries d'art à la a étudiés mieux que personne. Nous n'avons pas à revenir ici sur hauteur où nous les voyons aujourd'hui. Ce genre est la beauté des ouvrages orientaux dont nous avons déjà longue- cultivé aujourd'hui par des hommes du plus grand mérite. ment parlé à propos de l'orfèvrerie, des émaux et des armes. LES APPLICATIONS MOBILIÈRES Le métal, qui, dans les meubles de l'antiquité, avait été la « Mais voilà Louis XIY, voilà Boulle, et le bois s'incruste matière première dominante, prend un rôle tout à fait accessoire d'écaillé et de métaux brillants, pour se mettre au niveau du quand on arrive au moyen âge. Les lits, les sièges, les tables sont luxe des palais ; le meuble est encore officiel, pompeux, étranger bois, et si le fer apparaît dans les bahuts, c'est principalement à la vie intime, ou bien il en n'y pénètre pour ainsi dire que par du dans la serrure. Si nous exceptons des petites cassettes portatives le côté extérieur : le salon de réception, le cabinet de travail rattachent à l'orfèvrerie plus qu'au mobilier magistrat et de l'homme public. S'il est permis de chercher les qui se encore pro- prement dit, et divers objets d'un caractère tout à fait spécial, indices des modifications à venir, c'est là qu'on les trouvera ; la comme les candélabres, nous voyons que, pendant le xv® et le tablette du bureau prend des contours ; ses avant-corps s'inflé- XVI® siècle, le métal ne s'associe que d'une manière assez restreinte chissent en courbes bombées; ses pieds, légèrement assouplis aux meubles alors en usage. en S, viennent poser sur des entre-jambes en X ; il y a détente admis à et Les cabinets italiens, tout chargés de peintures, de mo- dans la rigidité générale du meuble officiel Yersailles, saïques, de marbres de différentes couleurs, de pierres pré- primitivement inspiré par le génie compassé de Lebrun, puis des Gobelins. cieuses, ne pouvaient donner qu'une place secondaire à la déco- perpétué par la rigide discipline ration métallique. On trouve pourtant le bronze doré sur les « Sous la Régence et pendant les jeunes années de Louis XY, colonnes dans les qui tout va changer : les bois divers vont triompher et parer des chapiteaux des torses, statuettes couvrent vont se les frontons, et quelquefois dans les moulures et les ornements meubles d'une forme nouvelle ; les petits appartements des pilastres. Mais c'est seulement en France, et à partir du substituer aux salons d'apparat ; la chambre à coucher va deve- XVII* siècle, que le métal commence à constituer le véritable élé- nir le nid de la vie privée et s'entourer du boudoir, du cabinet, ment décoratif du mobilier. de ces mille recoins élégants et commodes pour la comédie à Yoici comment A. Jacquemart résume l'histoire des trans- surprises et cachettes que va jouer la société française. formations du meuble depuis la Renaissance : « Pendant la « Ainsi, que de choses nouvelles : la commode véritable Renaissance, dit-il, les préoccupations sculpturales et la recherche avec ses divisions multiples ; le caprice est poussé à tel point que des formes de l'architecture entraînent le mobilier dans une voie souvent la loi fondamentale de l'art, la convenance, est totale- sérieuse, incompatible avec les coquetteries du bois coloré ; ment oubliée ; pour créer des perspectives à l'œil, le meuble n'a lorsque, sur la fin, le besoin d'une élégance un peu tapageuse se plus ses côtés parallèles ; ils se courbent en s'écartant pour aller manifeste, c'est par les applications d'ivoire gravé et par l'ad- s'accoter sur un fond beaucoup plus large que la face antérieure, jonction des pierres dures; l'architecture domine encore; elle se en sorte que les tiroirs, forcément rectangulaires, s'isolent dans de joyaux comme les personnages de la cour. le vide et laissent entre leur côté et celui du meuble des cavités pare « Sous Louis XIII, le meuble se fait grand à l'unisson des complètement perdues. Plus tard, lorsque les ébénistes vou- autres ouvrages d'art ; l'ébène, que la sculpture ne parvient pas lurent rentrer dans des formes plus sages, pour ne pas perdre à égayer, cherche un appoint dans le bronze ciselé ou même l'avantage pittoresque de ces dispositions en éventail, ils fian- dans l'application du cuivre repoussé ; la Flandre essaye déjà quèrent de petits meubles d'une sorte d'étagère en quart de d'y joindre des encadrements d'écaillé. cercle où se logeaient les bibelots à la mode, les choses de pro- VASE EN BV^ONZE Appartenant à la Ville de Paris L.VILLEMrNOlMNV, • Imp, C aclart., Paris H.VALEÎTTni, se / fîC TO^CHEP^E EN CUIVI^E POLI Appartenant à Madame Eric Lepel-Cointet L.VILLEMINOT.DrV", H. VALENTIN, SC , Imp,Cadart.Paris , I. "i'- Jiv- " ^TíÚT-»- ^ ^ ■ ■ ^ ■"*' ■■ ■■'»:■>..'^..-■^■r··.·····'· ■■-■■■■■■■■ ■ _ ^ . .^V.-v •.•• ..-r*!.-^ "- ' ' ' rjr-. ••■-- . ■ , l " '' ' ■ -^ .v.- , PLAQUK COMMEMORATIVE EN BI^ONZE à la Ville de ' Appartenant Besançon i .VILLEMINOT, INV. Imp,Ca.¿art.ParÍB - LES APPLICATIONS MOBILIERES. J87 venance exotique ou les fines porcelaines de Sèvres et de Saxe. parfois avec une grande finesse. Mais la marqueterie de Boulle a En rentrant dans la logique architecturale du meuble, ils avaient été considérée comme une véritable innovation. Le nom de Boulle ajouté à sa richesse et satisfait au goût du moment. » a été porté par toute une famille d'artistes, qui s'est fait un nom Dès le règne de Henri IV, mais principalement à partir de pendant tout le xvii" siècle, par les meubles sortis de leur fabrique Louis XIII, on voit en eftét le métal tenter de s'associer au bois ou exécutés sous leur direction. Le plus célèbre de cette famille dans le mobilier. Dans les retables, les enroulements un peu mas- est André-Charles Boulle, fils de Jean et neveu de Pierre Boulle, sifs de l'ornementation encadrent des petits bas-reliefs sculptés, qui, tous deux, étaient logés au Louvre et portaient le titre de menuisiers du roi. André-Charles Boulle, né en 1642, mourut à torique à une authenticité incontestable, nous pouvons citer deux l'âge de quatre-vingt-dix ans, et le Mei-citre de France annonce magnifiques coffrets de mariage, à deux corps et à trois faces, sa mort en ces termes (mars 1732) : « André-Charles Boulle, qui ont été commandés au célèbre ébéniste par Louis XIV, à natif de Paris, architecte, peintre et sculpteur en mosaïque, ébé- l'occasion du mariage du grand dauphin, son fils, avec Marie- niste, ciseleur et marqueteur ordinaire du Roy, né en l'année 1642, Christine de Bavière. Ces deux chefs-d'œuvre, dont la forme et le 10 novembre, est mort à Paris, dans les galeries du Louvre, la décoration sont à peu près identiques, sont restés au palais de où il avait l'honneur d'être logé depuis l'année 1672. Cet illustre Versailles, jusqu'à ce que le grand dauphin les fit transporter artiste, dont le mérite était connu en France et dans les pays au château de Meudon, sa résidence favorite, où il mourut. Ils étrangers, est infiniment regretté par les amateurs des beaux- ont ensuite passé en d'autres mains, et faisaient naguère encore arts. Il laisse des fils de sa profession, héritiers de ses talents et partie de la fameuse collection de San Donato, à Florence. Voici de son logement aux galeries du Louvre. » comment le catalogue décrit ce meuble : « Il est à double cou- Parmi les œuvres de Boulle qui joignent un caractère his- verde et à six ornements à cannelures en bronze doré, servant i88 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. d'abattants et recouvrant six séries de tiroirs à bijoux, à deux et en étain sur écaille. Les entrées de serrure sont formées de mascarons de têtes barbues aux angles, à six mascarons de têtes dauphins en bronze doré. La base, supportée sur la face par de femmes laurees, servant de seiTures aux abattants, qui ont à quatre balustres accolés, n'est pas d'une moindre richesse d'orne- leur base six mufles de lions; le tout en bronze doré, ainsi que mentation en bronze doré et travail précieux de marqueterie. les tores de lauriers et la pomme de pin couronnant ce meuble Elle est reliée par un entrejambes cintré, orné d'un plateau cir- splendide, dont la marqueterie, en première partie pour le corps culaire en bronze doré. A la partie supérieure, un tiroir à entrée du meuble, en seconde pour le couvercle, est exécutée en cuivre de serrure en bronze doré, représentant une tête laurée. Les ouïs XIII. deux intérieurs ne sont pas d'un moins riche travail de marque- elle n'a point de tiroirs, n'est supportée sur la face que par deux terie que l'extérieur, et présentent une série de tiroirs invisibles balustres ornés à leurs angles supérieurs de quatre têtes d'agneau à secret. Sur chacune des faces, une poignée en bronze doré, qui en bronze doré, et présente au milieu un large et fort beau mas- aide à ouvrir les tiroirs intérieurs. Trois clefs qui sont, elles caron, tête de satyre couronnée de pampres, en bronze doré. aussi, des modèles de luxe dans leur genre, accompagnent ce L'entrejambes cintré est remplacé par un panneau de marque- meuble qui n'a d'autre rival que le suivant, son pendant... Boulle terie rectangulaire. — Nous ne connaissons pas d'œuvres de a reproduit le meuble précédent, avec cette seule différence que Boulle d'un plus grand caractère, d'une plus admirable perfection. » le corps est en seconde partie et la marqueterie du couvercle en Les pendules monumentales en marqueterie de Boulle sont première. Il n'a apporté de sérieuses modifications qu'à la base ; quelquefois d'un caractère superbe. La gaine, enrichie de beaux Kjü LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. bronzes dorés, porte la pendule, habituellement surmontée d'une soin, plus de solidité et plus d'honneur que lui, et rien ne sortait ligure du Temps. Dans une de ces pendules, on voit, sous le de ses mains qui ne fût à l'abri de tout reproche, même jusqu'aux mouvement, un joli bas-relief représentant les Parques. parties qu'il était obligé de confier au dehors... » « Les ouvrages de cet habile homme, dit Gersaint, en par- Crescent père et fils, qui vinrent après Boulle et firent éga- lant de Boulle, sont toujours recherchés avidement par les lement des meubles enrichis d'ornements en cuivre et en écaille, curieux, quoiqu'ils soient d'un goût différent de celui qui règne acquirent une grande réputation sous la Régence. Crescent fils aujourd'hui... Jamais on n'a travaillé avec plus de goût, plus de portait le titre « d'ébéniste des palais du duc d'Orléans », et ses ouvrages, comme il le dit lui-même, « peuvent se placer dans les Gobelins, de tous les artistes chargés de la confection du mobi- plus beaux appartements des personnes les plus curieuses ». lier royal, la surintendance des travaux donnée à un même « C'est au xviii* siècle, dit A. Jacquemart, que le bronze, artiste, homme de haute réputation, devaient avoir pour effet appliqué à l'ornementation mobilière, prend chez nous une d'amener une harmonie d'ensemble en rendant toutes les indivi- importance capitale ; il s'agissait de le faire concourir aux déco- dualités solidaires d'une pensée unique. Aussi, s'il est rations possible somptueuses des palais, et de le mettre souvent en riva- encore de saisir quelque ressouvenir du passé dans les bronzes lité avec l'orfèvrerie monumentale alors en usage. Est-ce aux des époques de Henri IV et de Louis XIII, le de mêmes règne mains que sont dus les spécimens des deux arts ? Il est Louis XIV se présente de toutes pièces, avec ce style permis de le quelque supposer en les voyant sortir d'un centre unique en peu gourmé, mais plein de grandeur, dominé par les formes de vertu d'une même impulsion : la réunion au Louvre, puis aux l'architecture contemporaine et par le génie de Lebrun. » 192 LE MÉTAL DANS LES TEMPS xMODERNES. A l'époque où Boulle découpait le cuivre et le mêlait si phin, fils de Louis XIV, et qui fut plus tard donnée à Necker ingénieusement à l'écaillé pour la décoration des meubles, le par Louis XVI, montre bien cette période de transition. Ce goût de la dorure était à peu près général dans la décoration. On superbe meuble, qui provient du château de Versailles, a été n'est donc pas surpris de voir le bois sculpté et doré prendre ensuite au château de Coppet, d'où il est passé en Italie : il fai- dans le mobilier une grande importance, et chercher à remplacer sait partie de la collection aujourd'hui disséminée du château de les applications métalliques mises à la mode par Boulle et ses San Donato. successeurs. Il est à remarquer même que c'est surtout dans les « Quant à Louis XV et à la Régence, ce fut, dit A. Jacquemart, meubles en bois sculpté et doré que le style a commencé à se une transformation absolue; avec le mobilier intime, on vit contourner et les ornements à prendre une importance prépon- commencer l'ère des chicorées et des rocailles, en même temps dérante aux dépens des grandes lignes, ce qui a formé le genre que la perfection de la ciselure ; parmi les promoteurs du genre, appelé rocaille. Une belle table, qui a appartenu au grand dau- il faut citer Meissonnier qui, peut-être, poussa le caprice jusqu'à l'exagération ; mais les artistes d'un mérite rare apparurent Crescent, dont les bronzes sont aussi fort remarquables, serait alors : tel Philippe Caffieri, dont les almanachs nous donnent plus connu, si sa réputation n'eût été éclipsée par celle de son élève l'adresse rue des Canettes ; issu d'une famille de sculpteurs Gouthière. N'oublions pas Gallien, dont les recherches de M. Louis renommés, sculpteur lui-même, il imprima à ses ouvrages un Courajod révèlent le mérite. « C'est en effet un véritable artiste, cachet de bon goût et de remarquable élégance. On peut citer dit-il, que ce Gallien,àqui Duvaux demanda une grille; son titre parmi ses meilleurs ouvrages les meubles chargés de bronzes modeste de « maître fondeur "» ne l'a pas fait assez remarquer. Ses que nous avons déjà mentionnés : l'un dans la collection de Sir contemporains cependant appréciaient bien son mérite. Il modela Richard Wallace, l'autre chez M. le baron Gustave de Rothschild. et exécuta pour le roi différentes horloges de grand Pour éviter apparat et que ses travaux fussent confondus avec la masse des destinées à décorer certains appartements publics des palais de la imitations qu'on cherchait à en faire, il les poinçonnait d'un couronne. C'est à lui que les intendants des menus commandé- G couronné qu'il appliqua jusque sur les objets formant sa col- rent de dessiner, fondre et ciseler la superbe pendule de la lection : nous l'avons vu sur un magnifique bronze florentin et cheminée du cabinet du conseil, à Versailles, lors de la réfection sur un groupe en bronze du Laocoon, aujourd'hui classé dans de ce salon, en lyàô. Elle représentait la France le cabinet gouvernée par de M. Chàrles Mannheim. Caffieri eut un rival ; la Sagesse, et couronnée par la Victoire, qui accorde sa protec- LES APPLICATIONS MOBILIÈRES. 193 tion aux Arts. Elle fut payée 6,5oo livres à son auteur. L'admi- « C'est du fils de Philippe Caffieri, deuxième du nom, qu'il ration qu'excita cette œuvre est constatée par le duc de Luynes est question ici, dit le baron Ch. Davilliers. Il ne se voua pas à dans ses Mémoires. » la grande sculpture et ne fut pas, comme Jean-Jacques, de l'Académie royale. Il borna son ambition à être membre de la ouvrages de celui-ci la partie ornementale. Philippe Caffieri modeste Académie de Saint-Luc. Parfois, cependant, il lui arriva acquit de son vivant une grande réputation pour les bronzes de collaborer pour ainsi dire avec son frère, en ajoutant aux d'ameublement ; VAlmanack Dauphin de 1711 le cite parmi les 25 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. '94 artistes les plus connus de l'Acade'mie de Saint-Luc, et comme les ouvrages de notre artiste, les bronzes qu'il fit pour Notre- « renommé pour ciseler et fondre » ; il figure aussi dans VAlma- Dame, bronzes « d'un travail admirable », suivant un auteur nach des Marchands^ parmi les fondeurs acheveurs. » Les contemporain. N'oublions pas une magnifique commode appar- anciens catalogues nous montrent que ces ouvrages étaient fort tenant à M. le marquis d'Hertford ; elle est ornée de très beaux recherchés. On décrit dans celui de La Live de Jully (1769), sous bronzes de style rocaille, et porte, sur un des rinceaux de droite : la rubrique Philippe Caffieri, un corps d'armoire de vingt-deux Fait par Caffieri. » pieds de long, une grande table de bureau, une écritoire, un « Quant aux formes, dit Albert' Jacquemart, elles prennent secrétaire et une pendule. « C'est, dit P. Rémy, un tout des licences inimaginables ; tout se gonfle pour se profiler en ensemble de la plus grande conséquence, à l'imitation des lignes singulières ; rien de droit, de régulier ; les angles s'arron- du fameux Boulle. Ce meuble est de Philippe Caffieri, dissent ou se creusent ; des sinuosités inattendues sillonnent les ouvrages cet artiste si célèbre. » Mentionnons encore rapidement, parmi surfaces ; les choses ventrues, contournées, tarabiscolées, sont seules admises, et là-dessus croissent et se développent des végé- sur cuivre, le bronze doré apparaît sur les meubles d'une façon tations de bronze à chicorées impossibles ; le cuivre doré d'or plus discrète que dans l'époque précédente. 11 accompagne les moulu rampe en bordures capricieuses, surgit tout à coup en porcelaines dont les plaquettes décorent les meubles, il enrichit poignées imprévues, se contourne en encoignures, forme des de ses fines ciselures les parties saillantes, mais il ne couvre plus guirlandes détachées ; ainsi se complète un tout bizarre, tou- les grandes surfaces et se subordonne à l'architecture du meuble, jours spirituel et parfois élégant à force de singularité. » au lieu de la commander. Un autre meuble qui, dans le siècle de Louis XV, prend une Parmi les meubles qui faisaient partie de la collection de ■ allure extrêmement gracieuse et vraiment caractéristique de San Donato, il y avait une très belle console de Riesener, signée l'époque, c'est la chaise à porteurs. Le musée de Cluny en pos- j sous le marbre supérieur, et dont le catalogue donnait la des- sède qui sont de toute beauté, et plusieurs grandes collections cription suivante : « Elle est supportée par quatre colonnes d'amateurs en montrent des types d'une rare élégance. Mais je enguirlandées de lierre, et qui sont couronnées de chapiteaux n'en connais pas dont la forme soit plus gracieuse que celle qui d'ordre dorique. Elle a trois tiroirs, dont deux de côté en quart faisait partie des collections de San Donato. Cette chaise, en de cercle. Ces tiroirs sont enrichis de frises en bronze doré et de bois sculpté, est entièrement décorée sur fond d'or, et couron- perles, surmontés d'une galerie losangée à jour, galerie qui règne née d'un revêtement et d'une galerie en bronze doré à jour. Les également autour du second marbre. » panneaux extérieurs sont peints de sujets mythologiques, et l'in- Pendant le xviii® siècle, le marbre était presque toujours térieur est garni de velours rouge de Gênes. accompagné de bronzes dorés qui prennent la forme de gracieux Quoique l'époque de Louis XVI ait eu d'admirables ciseleurs feuillages, de guirlandes ou de petits bas-reliefs allégoriques. LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. Plusieurs des cheminées, dont la décoration est en partie I de bronzes dorés, qui provient du boudoir de la marquise de métallique, ont pris place dans les collections publiques, et le ! Serilly. South Kensington Museum en possède un des types les plus Ces cheminées avaient pour accompagnement naturel les intéressants dans la cheminée en marbre bleu turquoise, ornée torchères et la pendule, où le marbre se trouvait également mêlé avec le bronze. Le socle de la pendule était en marbre, et raine fait également, et avec une perfection remarquable, de le métal était employé plus spécialement pour les figurines, les petits cadres en métal précieux qui relèvent de la bijouterie plus groupes d'enfants, les petits bas-reliefs ou les ornements qui en encore que du mobilier. C'est ainsi qu'un cadre à portrait a été ornent la décoratioil. honoré d'un prix d'honneur à l'exposition de l'Union centrale, Le métal était généralement employé pour les cadres de en 1880. Ce cadre, dû à MM. Debut et Coulon, est en or rouge tableaux, et souvent de la manière la plus heureuse. On en fait poli et ciselé, mais le style du décor est emprunté à la serrurerie. aujourd'hui beaucoup d'imitations ; mais l'industrie contempo Les angles sont enrichis d'émaux cloisonnés, où les feuilles vertes içS LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. et les fleurettes rouges se détachent sur un fond bleu. Les I II faut également signaler, à propos de l'emploi du métal colonnettes à canaux polis reposent sur des pieds faits d'enrou- j dans le mobilier, ces beaux tissus brodés d'or et d'argent qui lements inspirés de certaines ferrures du xv® siècle. i décoraient autrefois les appartements et leur donnaient quelque- fois une splendeur inouïe. Ce genre d'industrie, qui n'est plus de nous soient restées comme modèles de cette fabrication autrefois mise aujourd'hui que pour les étoles et les vêtements ecclésias- si florissante, appartiennent toutes au mobilier ecclésiastique. tiques, se pratiquait alors partout et se pliait à tous les usages. Les tentures recouvertes d'application de broderies d'or et Il est bon de remarquer toutefois que les plus belles pièces qui d'argent donnent au mobilier de la Renaissance un caractère de véritable magnificence. Ces broderies s'enroulent généralement ficence des tissus brodés d'or et d'argent, et chacune de ces deux entre elles et viennent ensuite se relier à un cartouche central villes prétendait à une suprématie absolue dans ce genre de dont la décoration est formée d'un vase de cornes d'abondance fabrication. Les dais se couvraient d'applications d'arabesques ou de tout autre motif du même genre. d'or, d'argent et de soie, d'une délicatesse infinie et d'un goût Au XV® siècle. Gènes et Florence rivalisaient pour la magni exquis. Quelques-unes des superbes tentures de cette époque DEVANT D'AUTEL EN VELOURS CRAMOISI 200 LE MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. sont restées dans le trésor des églises ; d'autres ont pris place jusque-là. L'emploi à peu près exclusif du bois d'acajou lui dans nos grandes collections d'amateurs. L'Espagne nous a égale- donna en outre une teinte uniforme, que rompaient assez mal ment laissé dans ce genre de fabrication quelques ouvrages très les maigres palmettes en usage à cette époque. Depuis quelques remarquables, qui peuvent rivaliser avec ceux de l'Italie. années, il est vrai, nos ébénistes ont fait de grands efforts, en La France a connu aussi ces belles tentures brodées d'or et tournant leurs études du côté du passé, et un immense progrès a d'argent qui sont un des caractères du mobilier italien de la été accompli. Sous le rapport de l'exécution et du goût, les Renaissance, mais elle les a appliqués surtout au mobilier reli- meubles exposés en 1878 par MM. Fourdinois, Beurdeley et gieux. Au XVII® siècle, les devants d'autel s'enrichissent de Dasson, sont absolument irréprochables, et peuvent être compa- broderies d'argent en haut-relief se détachant sur fond d'or. La rés à ce que l'industrie française a produit de mieux dans les mitre et les attributs épiscopaux, les pilastres à coquilles, les plus brillantes époques de son histoire, mais si les fabricants qui gerbes et les guirlandes de feuillages forment le dessin habituel les exposent se croient obligés de les accompagner d'une éti- de ces broderies, dont on a conservé quelques modèles d'une quette portant une date historique, telle que : style Henri II, extrême richesse. Le goût de ces riches tissus s'est singulière- style Louis X'VI, etc., c'est qu'ils reconnaissent eux-mêmes ment affaibli et altéré pendant la seconde partie du xviii® siècle, l'impuissance où ils sont de donner à leurs productions un style et il a dû s'effacer complètement devant l'invasion du style qui caractérise le temps où nous vivons. C'est là, à notre avis, le pseudo-romain, qui caractérise la fin du règne de Louis X'VI. seul reproche que l'on puisse faire à la fabrication contempo- La réaction classique de David a été fatale au mobilier qui raine, si parfaite d'ailleurs sous tant de rapports. a pris, sous le premier Empire, une raideur qu'il n'avait pas eue CADRE A PORTRAIT EN OR ROUGE MASSIF POLI ET CISELÉ, PAR MM. J. DEBUT ET L. COULON. i i k >r •-'I , i V /"_ j. 90 le MÉTAL DANS LES TEMPS MODERNES. L'ORFEVRERIE. Odiot est un nom historique dans l'orfèvrerie française, et il tion de cette famille. La grande réputation de la maison date l'aristocratie, qui rentraient en France après une si longue Il produisit beaucoup, à la satisfaction de sa riche clientèle, n 'est pas possible d'en parler sans rappeler le passé de cette des commencements de ce siècle, et le nom d'Odiot figure à absence, avaient contracté d'autres goûts pendant leur séjour à mais peu de ses œuvres eurent un véritable caractère d'art. » maison célèbre. Elle a eu pour fondateur, en 1720, Jean-Baptiste- toutes nos expositions parmi ceux des orfèvres récompensés. Sous l'étranger. En Tiit d'orfèvrerie, par exemple, leur œil s'était L'imitation du style anglais, qui avait fait le succès de la Gaspard Odiot, qui fut grand garde de l'orfèvrerie en 1754, et le premier empire, la ville de Paris confia à Odiot l'exécution du habitué aux somptuosités d'assez mauvais aloi, il faut en con- maison Odiot, lui a attiré quelquefois les sévérités de la critique. l'orfèvre qui expose aujourd'hui appartient à la sixième généra- berceau du roi de Rome, dont Prudhon avait composé le venir, qui n'auraient pu contenter des amateurs d'un goût C'est aujourd'hui M. Gustave Odiot qui est à la tête de délicat, mais qui, pour le public en général, contrastaient cette maison, et l'importance de ses envois à l'Exposition heureusement avec la maigreur de formes du style impérial. Les de 1878 prouve qu'il entend lui conserver sa position exception- orfèvres anglais passaient pour fort habiles. Odiot prouva facile- nelle dans l'orfèvrerie française. On a particulièrement remarqué ment que, dans ce genre, il pouvait faire aussi bien qu'eux. un grand surtout de table, style Louis XVI, un vase Renaissance EC INCRUSTATIONS, PAR CHRISTOFLE. une superbe dans l'orfèvrerie un genre pittoresque, qui a trouvé des imita- es chevaux teurs, mais qui, malgré le talent qu'il y a dépensé, nous semble très peu approprié au métal. Cet Alsacien était grand chasseur e la Restau- et grand marcheur : il explorait sans cesse les Vosges et les landé par le montagnes de la Forêt-Noire, et il cherchait dans le paysage de et une son pays des motifs qu'il pût traduire avec l'or ou ;an, l'argent. au général Il n'existait alors aucun précédent pour ce genre, dont il est bien dessin ; Thomire, le célèbre bronzier, fut son collaborateur dans vogue, com| reux de son réellement le créateur. Les biches, les cerfs, les sangliers, étaient cet ouvrage qui est resté célèbre dans l'histoire de l'orfèvrerie. dente. Seuk iconnier fut pris sur le vif : il obligeait le métal à se faire paysagiste, en sorte En 1814, Odiot, qui était colonel de la garde nationale de Paris, une modifil lesquels il que les branches et les broussailles, se mêlant aux cornes et aux se distingua particulièrement dans la défense de la barrière de Lasteyrie, al qui souvent certaine confu- pattes des animaux, produisent quelquefois une Clichy 5 on peut voir son portrait dans le fameux tableau où l'état de rapporter. sion dans l'ensemble ; mais il rachetait tout par l'ingéniosité de d Horace Vernet, qui est maintenant au Louvre. profondémej B Fannière, l'invention, le charme de l'agencement, la finesse du mouvement, Sous la Restauration, la réputation que la maison avait que la Rest^ la délicatesse exquise du travail. acquise s'accrut encore, et Charles Odiot devint l'orfèvre en l'Empire ? a introduit Ces sujets pittoresques, qu'il traitait toujours en demi-